Le Juif et la Sorcière/02


CHAPITRE II.

Il ne faut pas croire, toutefois, que la misère, l’affligeante et hideuse misère fût le partage de Magui ; non, elle travaillait, et, laborieuse et intelligente comme elle l’était, son travail aurait pu la faire vivre dans l’aisance ; mais elle n’avait rien à elle, la bonne fille ! ses amis, ses amans, ses voisins, les pauvres qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas travailler, tous avaient part à ses libéralités ; et lorsque les gens prudens et sages, comme il y en a tant, lui reprochaient son peu de prévoyance pour l’avenir, elle répondait encore que l’on n’emportait rien de ce monde, et que l’essentiel était d’y vivre gaîment, en aidant son prochain autant qu’on le pouvait.

Avec cette humeur et une figure avenante, une taille bien prise, on pense que la Magui avait pu donner matière à la médisance, dans son temps. On avait en effet un peu glosé sur son compte, autrefois ; mais depuis que sa fraîcheur se fanait, que sa démarche devenait moins leste, on devenait plus indulgent à son égard : peut-être aussi sa conduite était-elle plus prudente. Ce qui est certain, c’est qu’on avait à peu près oublié ses aventures, lorsqu’un événement assez étrange en réveilla le souvenir, et donna lieu à de nouveaux propos sur son compte. Un enfant nouveau-né, une petite fille, fut trouvée à la porte de l’église de Saint-Anatolle, au sortir de la première messe. Tous les soupçons se portèrent d’abord sur Magui ; et les magistrats de la ville, ainsi que les ecclésiastiques, l’interrogèrent sévèrement. Mais elle répondit si naïvement à leurs questions, sa réputation de franchise était si bien établie, elle avait d’ailleurs si peu caché ses démarches depuis quelque temps, que son innocence resta généralement démontrée ; et, à l’exception de quelques femmes qui conservèrent des préventions parce que, d’après leur opinion, Magui était la seule dans le pays capable d’une telle faiblesse, il fut à peu près reconnu qu’elle n’était pas la mère de l’enfant, dont la naissance demeura un mystère. En attendant qu’il s’éclaircit, personne ne se souciait beaucoup de se charger de la malheureuse petite créature.

« Je la prendrai si l’on veut, moi, dit Magui. Bah ! la charge d’un enfant n’est pas encore si lourde, et celui-là me sera peut-être un appui pour ma vieillesse ! Viens, pauvre petite ! tu ne seras pas vêtue de riches habits, nourrie de mets délicats, mais tu ne seras pas maltraitée non plus : la Magui n’a jamais tourmenté personne, et elle ne commencera pas par toi.

La petite fut baptisée, pour le cas où elle ne l’aurait pas été, et nommée Brigitte ; puis, Magui l’emporta dans sa maison.

Elle la coucha d’abord dans son lit. Ensuite, une bonne femme qui espérait ne plus avoir d’enfans lui donna le berceau où elle en avait élevé sept ; une seconde, qui était nourrice, allaita Brigitte en attendant que sa mère adoptive se fût procuré une chèvre : car les pauvres s’aident entre eux plus que les riches ne les aident ; et bien leur en prend ! La layette se composa de même des dons de quelques amies de Magui et de pièces de ses propres vêtemens qu’elle façonna pour cet usage. Bref, la petite Brigitte se trouva passablement pourvue des choses nécessaires à un enfant, et fut chérie et soignée comme peu d’enfans le sont, même par leurs mères. Magui se découvrait une puissance d’affection qu’elle ne s’était pas soupçonnée jusqu’alors : bonne et obligeante envers tout le monde, ses attachemens particuliers (soit que ce fût peut-être la faute de ceux qui les inspiraient), n’avaient été ni bien vifs, ni bien durables ; celui qu’elle ressentit pour sa fille d’adoption, devait durer autant que la vie de toutes deux.

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