Le Journal d’une dame de la cour au temps de George Ier/01

Le Journal d’une dame de la cour au temps de George Ier
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 83 (p. 191-230).
II  ►
LE JOURNAL
D'UNE
DAME DE LA COUR
AU TEMPS DE GEORGE Ier[1]

PREMIERE PARTIE


L’histoire moderne nous offre peu d’événemens aussi contraires à toute prévision que l’accession de la maison de Brunswick au trône d’Angleterre. Soit au dehors, soit au dedans, tout semblait y faire obstacle. Les puissances catholiques sans exception voyaient d’un œil jaloux ce résultat qui promettait un nouveau chef à la ligue du nord, et bon nombre d’états protestans y étaient opposés par leurs calculs politiques. L’Irlande, l’Ecosse, profondément désaffectionnées, se préparaient à prendre les armes en faveur des Stuarts. Les futurs rebelles, qui déjà se comptaient, s’organisaient, s’armaient avec un zèle et une audace également redoutables, pouvaient compter sur l’appui plus ou moins actif, plus pu moins ostensible de la France, de l’Italie, de l’Espagne. L’empire était hostile aux prétentions de l’électeur de Hanovre, qui n’avait à espérer que la sympathie probablement stérile d’une république épuisée, la Hollande et d’un royaume embryonnaire, la Prusse. Depuis la disgrâce de la duchesse de Marlborough, depuis la faveur de Harley et de Saint-John, tous deux arrivés au ministère, les tories étaient maîtres du pouvoir, et la grande majorité des tories était composée de jacobites, maintenant presque déclarés. La bonne reine Anne, assiégée de ces scrupules que les approches de la mort rendent plus poignans, en était presque venue à se regarder comme usurpatrice des droits de son frère. On espérait à bon droit de sa faiblesse, exploitée par lady Masham, tous les actes nécessaires pour infirmer, autant qu’il était possible, les articles de l’act of settlement (1701), l’unique barrière opposée par la prévoyance des whigs aux chances d’une seconde restauration. Introduits par Godolphin et ses collègues dans la carrière politique et traîtres à leurs premiers patrons, les deux ministres que nous venons de nommer avaient à leur dévotion pour trois ans une chambre des communes qu’ils venaient de faire élire. La chambre des lords, plus difficile à manier, ne leur offrait plus, grâce à une douzaine de créations toutes récentes, qu’une résistance fort atténuée. Ils avaient eu le plein loisir de refondre l’administration civile ainsi que les commandemens militaires, et ce travail, indolemment commencé par Oxford (Harley), se poursuivait avec une bien autre suite, une bien autre activité depuis que Bolingbroke (Saint-John) était parvenu à dominer l’influence de son collègue et rival. Pas un partisan des Stuarts qui ne comptât sur une éclatante et prochaine victoire. Le prétendant, — celui qu’ils appelaient Jacques III, — se sentait assez fort, assez soutenu par la fortune, pour se refuser à un changement de religion qui aurait doublé ses chances et que lui demandaient instamment la plupart des catholiques attachés à sa cause. L’exemple d’Henri IV, si encourageant qu’il dût être, ne pouvait le décider à échanger une messe contre un royaume. En revanche, la vieille électrice Sophie, qui caressait encore à quatre-vingts ans passés le désir de mourir reine d’Angleterre, comptait cependant si peu sur cette gloire suprême qu’elle et son fils refusaient à leurs partisans, en vue des élections du parlement, les plus minimes secours, l’assistance pécuniaire la plus limitée. Considérant le bon vouloir de la reine Anne comme le meilleur gage de leur grandeur possible et tremblant de se compromettre vis-à-vis d’elle, ils n’osaient se permettre la plus insignifiante démarche, l’initiative la plus indirecte. Les grands seigneurs whigs dont ils sollicitaient l’appui dans leur correspondance secrète ne leur inspiraient pas grande confiance. Comment en eût-il été autrement, lorsque parmi ces personnages éminens ils en connaissaient plusieurs, — des plus accrédités, des plus illustres, — qui, même investis du pouvoir, avaient entamé avec le prétendant et ses amis des négociations où leur honneur et leur vie étaient en égal péril. Marlborough, son gendre Sunderland, bien d’autres encore, en étaient là, Shrewsbury également, qui, mêlé tour à tour aux combinaisons des deux partis en présence et traité par eux en allié douteux, finit, à l’heure décisive, par emporter d’un seul coup la victoire incertaine.

On sait à quelle surprise elle fut due. Tandis que Bolingbroke se fiait aveuglément aux protestations amicales du duc de Shrewsbury, celui-ci concertait avec Argyle et Somerset (l’orgueilleux Somerset) les mesures qui allaient anéantir toutes les combinaisons jacobites. Le jour où la reine est reconnue en danger de mort, le conseil s’assemble à Kensington. Ni Argyle ni Somerset n’ont reçu de convocation spéciale. La porte s’ouvre néanmoins devant eux, et leur complice Shrewsbury, devançant l’exclusion qu’on pourrait leur opposer, les remercie d’être accourus spontanément à l’heure des grandes résolutions. Pris à court, gênés, décontenancés par cette apparition inattendue, les autres membres se taisent. Les deux grands pairs whigs prennent séance, et tout accord immédiat devient impossible à leurs antagonistes. Poussant leur pointe, comme aurait dit Saint-Simon, Argyle et Somerset proposent de confier immédiatement à Shrewsbury le poste vacant par la démission de Harley. Bolingbroke, sans objection contre un choix pareil, qui, — un quart d’heure plus tôt, avant qu’il n’eût pressenti l’embûche, — aurait pu être le sien, déguise sous un sourire contraint sa rage impuissante. Shrewsbury est immédiatement conduit chez la reine, qu’on arrache un moment aux somnolences de l’agonie, et qui lui remet d’une main déjà glacée la baguette officielle (staff), insigne de ses nouvelles fonctions. Le duc veut lui rendre celle qu’il détient comme lord-chambellan ; elle refuse d’un geste cette démission, et le nouveau ministre, déjà lord-lieutenant d’Irlande, se voit investi des trois plus grandes charges de la couronne. « Sort étrange, fait remarquer lord Mahon, pour un homme qui, après avoir joué un rôle essentiel dans la révolution de 1688, avait sans cesse demandé à Guillaume III l’unique faveur de ne remplir aucun rôle politique, — préférant, disait-il, un zéro sans valeur à un chiffre mal placé. »

Appelés par ces trois pairs, entraînés par leur exemple, les autres whigs du conseil privé se hâtèrent d’accourir. Somers, le plus illustre de tous et le plus digne de respect, oublia pour cette fois les infirmités qui le tenaient en dehors de toute action politique, et le conseil, ainsi régénéré, prit en quelques heures toutes les mesures voulues pour assurer le maintien de l’ordre successoral établi depuis plusieurs années par les acts of settlement. A sept heures du matin, le lendemain 1er août 1716, la reine expirait. « Il ne me fallait plus que six semaines, disait Bolingbroke à l’envoyé français Iberville, et j’aurais mis les choses en tel état qu’il n’y aurait rien eu à craindre de ce qui vient d’arriver[2]. » Six semaines, ou six heures, ou six minutes, n’est-ce pas tout un en pareil cas, et l’irréparable se calcule-t-il ?

Immédiatement après le décès de la reine, devant le conseil réuni de nouveau, parut le résident hanovrien, M. Kreyenberg, porteur d’un acte authentique, écrit et signé par l’électeur, lequel nommait, suivant les clauses de l’acte de régence, les sept grands-officiers de la couronne et les personnes qui, jusqu’à l’arrivée du nouveau roi, devaient remplir les fonctions de lords-justiciers. Cette liste contenait les noms de dix-huit membres de la pairie, tous appartenant au parti whig et entre autres celui du lord-chancelier Cowper. Ni Marlborough, ni Sunderland, ni Somers, ne faisaient cependant partie de cette haute commission. Le premier, après un exil volontaire déterminé par les sourdes persécutions du ministère tory, venait justement de débarquer à Douvres. Son entrée à Londres fut une sorte de triomphe ; mais ce témoignage de la faveur publique ne le consola pas de l’affront qui lui était infligé. Il s’éloigna aussitôt après avoir prêté serment. Bolingbroke, défait et humilié, continuait sa gestion ministérielle, et, le portefeuille sous le bras, attendait, comme le premier solliciteur venu, à la porte de cette chambre du conseil où quelques jours plus tôt il s’était vu primant les plus hautes têtes du pays. Peut-être alors regrettait-il d’être resté sourd aux téméraires incitations de l’audacieux Atterbury, cet évêque de Rochester qui lui proposait, dit-on, le 30 mars, d’aller en surplis à Charing-Cross proclamer Jacques Stuart. Maintenant rien de pareil n’était plus à risquer, car la machine gouvernementale fonctionnait sans encombre. L’Irlande, où on redoutait une insurrection catholique, avait accepté sans le moindre trouble la proclamation du nouveau souverain. L’Ecosse ne s’était pas montrée moins docile, moins résignée au fait accompli ; le parlement, tenant séance le jour même où la reine était morte, n’avait pas même voulu, dans un moment aussi critique, attendre pour délibérer le retour de son speaker absent. Pairs et commoners votaient à l’envi les adresses requises et le renouvellement des taxes qui se trouvaient éteintes par la mort du souverain. Les tories enfin, à mauvais jeu faisant bonne mine, et semant d’avance, pour ainsi dire, leurs futurs griefs, offraient d’augmenter considérablement la liste civile, — stratagème habile que déjouèrent les whigs.

Pendant que tout se déclarait ainsi en sa faveur, l’électeur George-Louis, dans son château d’IIerrenhausen, où la grande nouvelle lui était parvenue le 5 août, semblait ne pas pouvoir se résigner aux grandeurs dont il allait être investi. Sans s’inquiéter autrement des instances qui lui arrivaient de tous côtés, sans tenir compte des dangers que le moindre délai pouvait faire naître, ce petit prince allemand, devenu tout à coup un des plus puissans souverains de l’Europe, se donnait, comme indécis, tout le temps de la réflexion, tous les dehors de l’indifférence. Plus de trois semaines s’écoulèrent avant qu’il eût achevé les préparatifs de son départ, et même alors, quand les moindres affaires de son électorat chéri eurent été compendieusement ajustées et réglées, il ne pouvait, paraît-il, se résoudre à quitter ses bons Hanovriens. On lui fit l’honneur de croire que ces délais étaient le résultat de profonds calculs, on s’imagina qu’une prudence extrême le retenait sur le continent jusqu’à ce que les affaires anglaises eussent pris un tour plus décidé ; mais, en l’étudiant de plus près, les historiens en sont venus à ne plus voir dans cette lenteur de résolution et d’allures que le flegme naturel à sa nature essentiellement germanique. Parti le 31 août du Hanovre, il n’aborda que le 18 septembre sur la berge de Greenwich, après un séjour à La Haye, où il avait reçu les ambassadeurs, de toutes parts accourus pour le complimenter.

Ses états allemands restaient confiés à un conseil de régence que présidait son frère, le prince Ernest, qui allait devenir évêque d’Osnabruck. Il emmenait avec lui son fils aîné, George-Auguste (depuis George II), et sa bru, Wilhelmine-Dorothée-Charlotte, fille de Jean-Frédéric, margrave de Brandebourg-Anspach. A la suite du nouveau roi parurent d’autres personnages, favoris et favorites, qui jetèrent une certaine défaveur sur le caractère de leur maître : le baron de Bernstorff, mêlé à la sombre aventure qui avait eu pour dénoûment l’abominable assassinat de Königsmark[3], — la comtesse Sophie Platen, fille de l’odieuse créature qui joua le principal rôle dans cette tragédie, et mariée au complaisant général Kielmansegge, — Mlle Ermengarde-Mélusine de Schulenburg, que, parmi les filles d’honneur de sa mère, George Ier avait élue pour maîtresse, — le baron de Bothmar, diplomate hanovrien, ténébreux agent de toutes les intrigues qui avaient eu pour objet d’assurer à son maître la couronne d’Angleterre, — M. Robethon, le secrétaire intime, et sa digne moitié, deux espèces qu’on retrouve mêlées à toutes les menues besognes, à tous les immondes trafics d’une administration corrompue et corruptrice. Cette petite bande de parasites affamés, — ajoutez-y deux Turcs, deux mamelouks, Mahomet et Mustapha, — se ruèrent aussitôt sur la riche proie que leur offrait l’Angleterre, tout à coup livrée à leur discrétion. Leur maître, complètement isolé du peuple qu’il avait à gouverner et dont il ignorait la langue aussi bien que les coutumes et les sentimens, semblait trouver tout naturel qu’on exploitât cette facile conquête. On a conservé l’historiette de ce cuisinier habitué aux économies d’Herrenhausen, et qu’effrayaient les dilapidations de Windsor. Il vint la larme à l’œil demander son congé. — Pourquoi me quitter ? lui dit le roi, familier avec ses gens. — Sire, on vole trop. — Beau scrupule en vérité ! va donc, nigaud ! repartit George en éclatant de rire. — L’amant de la Platen et de la Schulenburg ne pouvait en effet, descendant en lui-même, y trouver beaucoup de rigueur.

L’histoire, dans son indulgente équité, lui tient pourtant compte de certaines vertus royales, restées sans relief pour les contemporains faute de mise en scène et de grâce qui les fissent valoir, George Ier, nous dit-elle, avait de la droiture, de la sincérité ; il ne manquait ni du sentiment de l’honneur ni d’une certaine bienveillance naturelle. Fidèle à ses amitiés, il se souvenait mieux d’un service que d’une ingratitude ou d’un méfait. Son humeur était égale, ses penchans le portaient à l’économie. Un courage incontestable, une certaine connaissance des choses militaires, ne l’empêchaient point d’apprécier la paix ce qu’elle vaut. En somme, il aimait son peuple autant qu’il lui était donné d’aimer quelque chose ici-bas ; mais l’extérieur était gauche, l’attitude maussade : nul goût pour les pompes de la royauté, nulle intelligence des arts, — sauf de la musique, qu’il aimait comme tout bon Allemand. Les hommes politiques lui reprochaient, jointe à une obstination invincible, une compréhension très bornée des grands intérêts qu’il avait à mettre en balance. « Il a, disait lord Chesterfield, des vues, des affections limitées comme l’électorat d’où il nous vient. L’Angleterre est un trop gros morceau pour un esprit si étroit. » Ajoutez à ceci que, lors de son avènement, il avait cinquante-quatre ans passés, un âge où le pli est pris, l’ornière creusée, où les habitudes sont contractées, les dispositions immuables.

Il se méfiait de son fils, — dont il ne se croyait pas le père, s’il faut s’en rapporter à Saint-Simon, — et le tint toujours en suspicion presque haineuse. George-Auguste de son côté n’avait jamais pu pardonner à George-Louis la captivité où, depuis l’année 1694 s’éteignait lentement la malheureuse Sophie-Dorothée de Zell ; on raconte qu’il avait tenté d’arracher sa mère aux cachots glacés du château d’Ahlsen, et que cet acte de dévoûment filial l’avait à jamais perdu dans l’esprit ombrageux de son père. Quelques fermens d’une animosité irréconciliable subsistèrent toujours entre eux malgré le continuel travail de réparation et d’apaisement où s’épuisa la vie de la princesse qui fut la reine Caroline[4]. De toutes les qualités requises pour le difficile métier de roi, George-Auguste, qui fut George II, et que les tories avaient surnommé le Capitaine, n’eut jamais qu’un certain esprit de justice et beaucoup de bravoure personnelle, déployée avec éclat sur les champs d’Oudenarde et de Dettingen. En revanche, son intelligence était plus bornée encore que celle du roi auquel il devait succéder ; il aimait l’or pour lui-même, il le contemplait, il le palpait avec volupté. — Finissez de compter ces guinées, ou je vous laisse la place, lui dit un jour, écœurée, — l’historiette est signée Horace Walpole, — une des femmes de chambre de sa femme qu’il poursuivait de ses importunités mal venues. Les petites choses le préoccupaient à l’exclusion des plus importantes, une vétille de service à l’égal d’une impertinence diplomatique. Un jour de grand lever, le voyant soucieux et sombre, les courtisans ébahis crurent à l’arrivée de quelque grosse nouvelle. Je ne sais quelle insignifiante bévue commise par un valet, et dont personne que le prince ne s’était aperçu, avait amené ce nuage. Ses minutes étaient aussi exactement comptées que ses guinées, et il attendait, montre en main, à la porte de sa maîtresse, que l’heure du rendez-vous quotidien eût régulièrement sonné. Il courtisait à grand bruit et grand scandale mainte femme dont il ne se souciait guère, ne voulant pas sembler épris de la sienne, qui, fort peu jalouse, lui laissait l’apparence d’une liberté absolue. Jamais elle ne s’avisa de prendre garde à ses infidélités. Elle traitait avec une condescendance ironique Henrietta Hobart (mistress Howard), — qui devint ensuite comtesse de Suflolk, — et, souriant, réclamait de « sa bonne sœur » les services que l’étiquette lui permettait d’exiger d’elle. D’humeur placide et bienveillante, — de plus parfaitement sourde, — cette rivale inoffensive paraissait monopoliser la faveur royale à ce point que de vieux courtisans crurent faire merveille en se groupant autour d’elle pour exploiter en commun et accaparer à leur profit une influence qu’ils supposaient solidement établie. Chesterfield, Gay, Swift, conçurent cette espérance, et commirent cette maladresse ; Pope, Arbuthnot, Bolingbroke, en firent autant, et la Suffolk, qu’ils portaient aux nues, pouvait se croire déesse. La vraie déesse pourtant, c’était la reine dans la solitude où on la laissait, et où Robert Walpole, — un fin renard, — venait en fort petit comité lui tenir compagnie. Du reste une plume élégante a ainsi esquissé le portrait de Caroline d’Anspach. « Jeune, elle avait été belle[5] ; il lui restait une physionomie expressive, un sourire d’une extrême douceur. Sa réputation était immaculée, sa conduite marquée au coin de la prudence et du bon sens. Durant ces violentes querelles qui mirent en lutte son beau-père et son mari, elle sut conserver l’estime du premier sans perdre l’affection du second. Jusqu’à George III, aucun membre de sa famille n’avait obtenu au même degré qu’elle la faveur populaire. Ses façons, combinant la dignité royale avec la bonne grâce féminine, sa conversation éminemment variée de sujets et de ton, attiraient naturellement autour d’elle par un mélange inattendu d’enjouement et de sérieux. Une fine repartie ne lui manquait guère, une discussion métaphysique ne l’effrayait point. On pouvait même à la rigueur lui trouver (adoucis) les travers d’une Philaminte ou d’une Bélise en voyant à sa toilette le sermon de la veille discuté en même temps que les atours du lendemain, les théologiens pêle-mêle avec les gens de cour, les philosophes exposant leurs idées aux belles dames de la maison royale, un madrigal de Stephen Duck posé sur une lettre de Leibniz ou un éloge emphatique de la reine pompeusement rédigé par le docteur Clarke (celui que Voltaire appelle quelque part un moulin à raisonnemens). Elle aimait surtout à mettre aux prises deux savans prélats, et, se mêlant à leurs controverses, elle laissait aisément entrevoir, du moins on l’assure, une grande incertitude en matière de dogmes. Par le fait cependant, son appui ne fut jamais donné qu’à des prêtres de grand savoir et de haute vertu. Le mérite l’attirait toujours, même chez ses ennemis. L’historien Carte, lord Lansdowne le poète, tous deux jacobites zélés, lui durent la fin de leur exil, et ce dernier lui témoigna sa gratitude en reprenant de plus belle le cours de ses manœuvres en faveur du prétendant… Sans en faire semblant, sans affecter la moindre autorité, on peut dire que dix années durant elle gouverna le royaume[6]. »

Telle était la princesse auprès de qui fut placée, comme dame d’honneur, la femme du lord-chancelier, la comtesse Cowper, dont le journal va maintenant nous servir à étudier avec quelque détail la cour de George Ier. Ce journal paraît avoir été tenu pendant plusieurs années consécutives, de 1714 à 1721 tout au moins. On n’en possède toutefois que deux fragmens. L’un nous mène du 20 octobre 1714 aux premiers jours de novembre 1716 ; l’autre, moins régulièrement suivi, du 9 avril au 5 juillet 1720. Le début nous reporte au couronnement du premier des Brunswick et à la promotion de lady Cowper comme dame du palais. Quelques détails sur lord et lady Cowper sont le complément nécessaire de l’espèce d’introduction que nous avons crue indispensable à la parfaite intelligence de ces curieux mémoires.

Comme beaucoup d’autres magistrats et d’hommes d’état fort distingués, lord Cowper n’a pas pris dans l’histoire une place égale à celle que lui firent ses contemporains dans le maniement des affaires publiques. Au commencement du XVIIIe siècle, il marchait de pair avec les plus grands personnages de son temps et de son pays, — Halifax, Sunderland, Oxford, Stanhope. — Robert Walpole ne fut longtemps auprès de lui qu’un fort petit seigneur, un aspirant politique sans science et sans talent oratoire. On a vu déjà que, dans l’espèce de conseil chargé de gouverner le pays jusqu’à l’arrivée de George Ier, Cowper fut admis de préférence à Marlborough et à Somers. Il était, surtout depuis la disgrâce de Marlborough, un des chefs du parti whig, un de ceux qui tenaient l’électeur de Hanovre au courant des affaires politiques anglaises. Dès 1710, une correspondance suivie s’était établie entre la princesse Caroline et sa femme, et il est bien permis de penser que cette correspondance était plutôt affaire d’état qu’affaire de sentiment. Si on l’eût conservée, on aurait sans doute là un intéressant document à consulter pour l’histoire de l’époque ; on est d’autant plus autorisé à le croire que la princesse manifesta quelquefois un certain souci à propos de quatre-vingts lettres d’elle dont sa dame d’honneur était nantie, et qui, si elles s’égaraient en des mains hostiles, lui semblaient de nature à devenir compromettantes. En ce temps de publicité restreinte, on avait une peur singulière de ces sortes de trahisons qui mettent à nu les pensées secrètes et révèlent les complots intimes. Notre époque est beaucoup mieux aguerrie aux révélations de tout ordre.

Cette lady Cowper, si avant dans les secrets de son époux, si directement associée aux menées politiques du parti whig, nous paraît être issue de bonne race jacobite. Son père, John Clavering de Chopwell, était un gentilhomme du comté de Durham, appartenant à la branche cadette des Clavering de Callalee et d’Axwell, lesquels figurent à plusieurs époques dans les prises d’armes royalistes, jusques et y compris le mouvement de 1715. Mary Clavering était belle, ainsi que l’atteste son portrait, gravé d’après sir Godfrey Kneller ; elle était spirituelle, ses souvenirs en font foi. Elle jouait remarquablement bien, nous dit-elle, de ce « clavecin » si cher aux mères de nos grands’mères ; enfin, née en 1685, elle foulait du pied la fleur de ses vingt ans lorsqu’un procès l’amena jusqu’au cabinet du garde des sceaux, lord Cowper, lequel était veuf. Il ne le fut pas longtemps après cette heureuse rencontre, et quelques mois à peine s’étaient écoulés quand un mariage secret unit l’aimable solliciteuse au magistrat dont elle était allée implorer les conseils. Garde des sceaux et mariage secret ne vont guère ensemble, n’est-il pas vrai ? Toujours est-il que les choses se passèrent ainsi, car on a une lettre de lord Cowper à sa seconde femme (20 décembre 1706), citée dans les Lives of chancellors de lord Campbell, où il lui annonce la déclaration prochaine de leur hymen, encore ignoré de lady Cowper, sa mère. Le journal de lady Mary nous apprend en outre qu’une beauté de très noble race, lady Henrietta de Vere, lui disputa par mille moyens plus ou moins légitimes l’amour et surtout la main de lord Cowper. Celui-ci échappa aux pièges de cette rusée coquette, et sa loyauté paraît avoir été récompensée par l’amour le plus sincère et le plus tendre qu’une honnête femme ait jamais porté à son époux. Lady Cowper ne put survivre plus de quatre mois à la perte de ce mari bien-aimé[7].

Nous allons donc avoir sur les premiers momens du règne de George Ier, sur le début des Brunswick en Angleterre, sur l’insurrection jacobite de 1715, sur les tragiques exécutions dont elle fut suivie, sur les pratiques de l’administration whig, alors dirigée par trois hommes remarquables, George Halifax, Charles Townshend et James Stanhope, le témoignage intime d’une femme intelligente qui ne manquait ni d’informations exactes ni de facultés observatrices. L’intérêt des siens et surtout l’affection conjugale ont fait peut-être parfois transiger lady Cowper, dans ses appréciations des hommes et des choses, avec la rigueur naturelle de ses principes ; mais elle portait au milieu d’une cour très démoralisée l’invincible préservatif d’une conscience pure, d’une grande dignité personnelle et d’un légitime orgueil. Espérons qu’en nous donnant le droit d’élaguer quelques-unes de ces pages d’ailleurs assez peu nombreuses et en choisissant ce qu’elles offrent de plus vivant et de plus caractéristique, nous n’entreprenons pas un travail dépourvu d’intérêt. Comme l’a fait remarquer l’éditeur du journal de lady Cowper, les souvenirs de cette femme d’esprit et ceux de son noble époux[8] comblent une lacune dans la série des mémoires du temps.


I

Les mensonges que je vois perpétuellement se répandre et s’accréditer autour de moi, dit lady Cowper, m’ont donné l’idée de noter pendant ma résidence à la cour tout ce qui me paraîtra digne d’un souvenir. Ceci ne pourra être une besogne quotidienne, je suis trop occupée pour l’ajouter à mes autres soins ; mais une ou deux fois la semaine je trouverai bien à me ménager une heure de loisir, et je la consacrerai à prendre au vol quelques notes informes que je réunirai plus tard, et auxquelles je donnerai un ordre plus méthodique, si Dieu m’en accorde la force et le temps.

Peut-être est-il bon de dire, par forme d’avant-propos, que depuis quatre années j’entretenais avec la princesse auprès de laquelle je vais être placée une correspondance régulière, et que j’ai d’elle maintes et maintes lettres dont quelques-unes sont les plus affectueuses du monde. Après la mort de la feue reine (la reine Anne), et quand j’eus reçu la réponse de la princesse (Caroline d’Anspach) à mon compliment de condoléance, je lui écrivis pour lui offrir mes services, non sans ajouter que, parfaitement résignée à tout ce qu’il lui plairait de décider là-dessus, je ne m’offusquerais aucunement d’un refus. Son altesse me répondit que, la volonté de son époux devant primer la sienne, elle ne pouvait rien me promettre encore, mais que l’amitié du prince ne lui semblait pas devoir me faire défaut en cette occasion. Je pris ceci pour une honnête excuse, et pensai que les importunités dont son altesse était assaillie ne lui laissaient pas la liberté de me prendre auprès d’elle. Cette opinion me parut encore mieux fondée quand, après avoir été l’objet des distinctions les plus flatteuses, je vis, sans qu’on m’eût encore rien dit, désigner deux nouvelles dames d’honneur. Croyant que ma requête n’avait aucune chance d’être admise, je laissai les choses à leur cours naturel jusques au couronnement, qui eut lieu le 20 octobre 1714.

Je me rendis à cette cérémonie avec lady Bristol, qui désirait bien plus vivement que moi la charge de dame d’honneur, et l’avait briguée avec bien plus d’instances. Elle m’annonça que je serais nommée, se gardant bien toutefois de me dire qu’elle le tenait de la princesse elle-même. Arrivées dans Westminster-Abbey, nous trouvâmes les bancs des pairesses si bien garnis que j’en fus réduite, comme bien d’autres, à me faufiler jusqu’à celui des évêques, placé à côté de l’autel. Là, je m’assis sur le dernier rang, près des degrés de la chaire, et plusieurs dames survenues ensuite me frôlaient au passage pour aller encore plus avant. Survint lady Northampton, tirant après elle lady Nottingham, laquelle prit ma place de vive force et me contraignit ainsi de monter quelques marches de plus. Ces deux dames sollicitant à l’heure même, au vu et su d’un chacun, le gouvernement des jeunes princesses, je ne pus voir dans leur façon d’agir une impertinence préméditée. Peut-être cependant me regardaient-elles, très à tort, comme poursuivant le même emploi. Bref, sans le vouloir et par ce procédé un peu brutal, elles me procurèrent une des meilleures places de l’abbaye, en même temps une des plus en vue. Je n’oublierai jamais les sentimens qui s’élevèrent en moi pendant l’imposante cérémonie, et la joie que j’éprouvai à voir notre sainte religion, nos libertés, nos biens, sauvegardés et mis hors d’atteinte. Après le chant des litanies, lady Nottingham, se frayant un chemin parmi les gens placés devant elle, vint s’agenouiller ostensiblement en première ligne (ce que personne autre ne fit), et bien en face du roi. Chacun de s’ébahir et de la regarder avec une surprise ironique, tant cette conduite semblait bizarre, même en tenant compte des prétentions de la dame, qui se regarde comme une des mères de la haute église ; mais revenons au poste éminent où ses étranges façons m’avaient contrainte de m’installer. Les lords qui, voisins de la chaire, m’avaient vu faire mine d’y monter racontèrent en plaisantant à mon mari qu’ils s’étaient un moment flattés de m’entendre prêcher. — Son zèle pourrait l’y convier, répondit-il, mais je ne lui connais pas le talent des sermons. — Oh ! que si fait, mylord, repartit aussitôt lord Nottingham[9]. Depuis près de quatre ans, votre femme va prêchant de telles doctrines que, si elle avait été pour cela traduite en cour de justice, vous-même, vous son mari, auriez eu grand’peine à la défendre. — Ces paroles et le procédé de lady Nottingham, m’ouvrant tout à coup les yeux sur la haine que nous portait une famille si influente, me confirmèrent dans l’idée que la princesse ne pouvait songer à m’approcher de sa personne.

Ce fut au couronnement que lord Bolingbroke vit le roi pour la première fois, après plusieurs tentatives inutiles pour être admis auprès de sa majesté. En face de cette figure inconnue, le roi, au moment même où l’ex-ministre fléchissait le genou devant lui, demanda qui ce pouvait être. Cette question ne fut pas perdue pour l’habile courtisan, qui, après avoir descendu les marches du trône, se retourna et salua trois fois jusqu’à terre le souverain qu’il n’avait pas pu en écarter. On peut bien penser que les jacobites, ce matin-là, n’étaient pas précisément à la noce ; mais pas un n’avait manqué de venir, et ils faisaient aussi bon visage que possible, répondant en revanche avec une amertume sarcastique à quiconque leur adressait la parole. J’avais par exemple à quelques sièges au-dessous du mien lady Dorchester[10], l’ancienne maîtresse du roi Jacques II, et au moment où l’archevêque faisait le tour du trône, demandant, selon le rituel, le consentement de l’assistance, elle dit presque haut, s’adressant à moi : — Comment ce vieil imbécile peut-il croire qu’on ira lui répondre non au milieu de tant d’épées sorties du fourreau ?

Quatre jours après, au sortir de la chapelle, — c’était un dimanche, — je me rendis au drawing-room de leurs altesses. La princesse, dès qu’elle m’aperçut, vint à moi. — Lady Essex Robartes vous a-t-elle transmis mon message ? — Je ne l’ai pas vue, répondis-je, depuis l’Opéra, où votre altesse lui a parlé. — Fort bien ; j’ai donc à vous annoncer moi-même que vous avez fait une conquête… — Et, voyant que je rougissais : — Oh ! poursuivit-elle en riant, vous en aurez toute la honte ou tout l’honneur, à votre choix. C’est M. de Bernstorff, qui de sa vie n’avait pris garde à une femme, et, comme je tiens à lui être agréable, je lui ai confié un message qu’il vous portera de ma part. Voyez un peu quel rôle je me donne là !… — Sur ces mots, elle sortit du salon.

Au bas du grand escalier, je trouvai le secrétaire de M. de Bernstorff, lequel me faisait demander l’heure où il me plairait de le recevoir, et à quatre heures de l’après-midi je vis accourir ponctuellement ce très influent personnage. Il venait, au nom de la princesse de Galles, m’offrir d’être dame du palais. Je m’excusai de n’avoir point sollicité avec plus d’instance cette faveur très désirée, alléguant la crainte que j’avais eue d’ajouter une importunité à celles dont la princesse devait être assaillie, sur quoi l’envoyé de la cour me fit mille complimens, aussi bien en son nom que de la part de leurs altesses, dont il me conseilla de venir baiser les mains dès le jour suivant. Je crus devoir saisir cette occasion pour lui remettre un exposé de la situation des partis que mylord m’avait priée de transcrire et de traduire en français, afin qu’il fût placé sous les yeux du roi.

J’allai le lendemain, vers onze heures, rendre mes devoirs à ma nouvelle maîtresse, qui m’embrassa cordialement à plusieurs reprises et me tint les propos les plus flatteurs du monde. La duchesse de Saint-Albans[11] était venue pour le même objet. Avec cette dame assistaient à notre installation la duchesse de Bolton, mistress Clayton, mistress Howard[12], la gouvernante des princesses, et deux ou trois dames étrangères. Le prince fit son compliment à la duchesse de Saint-Albans et à moi, comme déclarées, et le soir même nous inaugurâmes nos fonctions.

Les 26 et 27, rien de remarquable, si ce n’est à certains points de vue la désignation « comme dame du palais hors rang » de la duchesse de Shrewsbury, fille du marquis Paleotti, de Bologne, et dont la mère était une Dudley, petite-fille naturelle de Dudley, comte de Leicester. Pour épouser le duc, aujourd’hui lord-chambellan, cette belle Italienne abjura la foi catholique. Elle doit sa promotion à l’entêtement du roi, qui trois fois de suite a requis la princesse de l’obliger personnellement par ce choix, contre lequel elle aurait pu élever de terribles objections. Tout le monde sait effectivement que le frère de Mlle Paleotti a dû contraindre le duc à consacrer par l’hymen des liens que l’amour avait probablement rendus fort étroits. Ce mariage, le pire qu’il pût contracter, lui fit manquer la plus riche héritière des trois royaumes, une Percy, devenue veuve par la mort de lord Ogle. La duchesse paraît détestée de son mari, et le lui rend bien ; mais elle a des talens remarquables, un esprit des plus divertissans, qu’elle exerce à tort et à travers sans trop tenir compte des convenances, une excellente mémoire, beaucoup de lecture : elle sait trois langues dans la perfection. En somme, a travers tout son bavardage et ses bruyantes allures, elle n’en est pas moins une femme politique par excellence, pétrie de ruse, façonnée à l’intrigue et d’un commerce fort périlleux, comme je l’ai appris à mes dépens. Lorsque mylord eut résigné les sceaux à la suite d’un débat soulevé par le procès du docteur Sacheverell, cette noble personne s’abstint fort exactement de me venir trouver, voire de m’adresser la parole quand nous nous rencontrions en lieu tiers, et cela jusqu’à l’avènement du roi George. Nos relations ne se sont renouvelées que depuis un mois, à un souper chez Mme de Kielmansegge[13] ; mais nous étions encore en termes assez réservés jusqu’au souper de ce soir, où je me suis mêlée à la conversation dont elle tenait le dé. Parlant de l’extrême voracité du roi Louis XIV : — Sire, disait-elle, il mange de ceci, puis encore de ceci, puis de cela… Et comptant sur ses doigts, elle en était au vingtième plat, lorsque, lui coupant la parole : — Sire, dis-je à mon tour, Mme la duchesse oublie qu’il a mangé bien autre chose. — Qu’a-t-il donc tant mangé ? demanda le roi. — Sire, répondis-je, il a mangé, il a dévoré son peuple, et si la Providence n’avait pas conduit votre majesté sur le trône alors qu’elle l’a fait, il nous aurait mangés, nous autres aussi… Sur quoi le roi, se tournant du côté de la duchesse : — Entendez-vous, madame, ce qu’elle dit ? — Et il me fit l’honneur de répéter ce propos à différentes personnes, ce qui n’a pas dû me mettre fort bien dans l’esprit de notre jalouse Italienne. Du reste, quand on a ses entrées dans les appartemens royaux, il faut abdiquer tout ressentiment des anciennes querelles, et n’en point embarrasser nos rapports avec nos maîtres.

Présentées le 28 au baisemain du roi. Oubliant qu’il avait déjà vu la duchesse de Saint-Albans, il l’a saluée sans la moindre hésitation. Devant moi au contraire, il s’est arrêté. — Mais je l’ai déjà vue ; elle est de ma connaissance, a-t-il répété cinq ou six fois au duc de Grafton[14]… Celui-ci ayant dit à quelle occasion je me présentais : — C’est avec plaisir, reprit sa majesté, que je la féliciterai de sa nomination. — Et je fus embrassée comme l’avait été la duchesse.

Une grave question d’étiquette a occupé tout notre temps. Il s’agissait de savoir si la princesse était tenue ou non de baiser la femme du lord-maire quand celle-ci viendrait faire sa cour. Les précédens étaient nombreux en faveur du pour et du contre ; mais, après avoir bien constaté qu’à un gala de la Cité la reine Anne n’avait point baisé la mayoress, on a décidé en dernier ressort que la princesse ne baiserait pas non plus.

29 octobre. — Pour voir défiler la procession annuelle du lord-maire, nous étions aux fenêtres de la maison d’un quaker, tout près et un peu au-dessus de Bow-Church. J’ai pensé laisser mes oreilles dans cet affreux tapage de tambourinades et de frénétiques hourrahs. La pauvre lady Humphreys[15] faisait assez triste mine au milieu d’une foule comme je n’en ai jamais vu, et on l’entendait crier à son page « de tenir bien haut la queue de sa robe, » ne voulant pas sans doute avoir à se reprocher la perte d’un des privilèges de la mayoralty. Une plaisanterie que brodaient à l’envi le roi et sa bru consistait à prétendre que le lord-maire avait loué pour les besoins de la solennité cette étrange compagne, et, désirant les bien convaincre du contraire, j’ai dû rappeler que mistress Humphreys était par alliance quelque peu cousine de la première femme de mon mari. On est ensuite tombé d’accord que, si la mayoress eût été empruntée ou louée, on l’aurait choisie de meilleur aspect et de plus haute mine.

30 octobre. — Anniversaire de la naissance du prince de Galles. La cour était splendide. La soirée s’est terminée par un bal dont le prince et la princesse ont inauguré les danses. Ma noble maîtresse a dansé en pantoufles[16] et fort bien, le prince mieux que pas un autre.

2 novembre. — M. de Bernstorff m’est venu voir. Je lui ai fort recommandé de faire nommer sir David Hamilton premier médecin, ce qu’il m’a promis. Je suis allée après cela porter à la princesse les Œuvres de Bacon qu’elle m’avait prié de lui procurer.

8 novembre. — Rendu à la princesse, de très bonne foi, un livre que Mme de Kielmansegge m’avait remis pour elle. Cependant mistress Howard me prévient que ces dames se détestent cordialement, et que la princesse tient en profond mépris la favorite de son beau-père. Celle-ci, en me chargeant du livre en question, a dû vouloir faire montre de nos bons rapports, et me perdre ainsi dans l’esprit de ma maîtresse, ruiner mon crédit auprès d’elle. — Sans cela, poursuit mon informatrice, pourquoi ne pas faire porter son livre par la duchesse de Bolton ou la duchesse de Shrewsbury, avec lesquelles elle est au mieux ?… — Je tiens au reste de Piloti que cette dame est fille de la vieille Elisabeth de Meissingen, comtesse Platen, maîtresse du père de sa majesté, celle-là même qui fut cause de son divorce avec la malheureuse Sophie-Dorothée.

Aujourd’hui même la duchesse de Saint-Albans a été nommée groom of the stote[17], et la duchesse de Shrewsbury a pris son rang parmi les dames du palais au même titre que nous toutes.

15 novembre. — Après une indisposition qui a duré toute la semaine, je reprends mon service. La princesse m’a dit qu’elle avait lu l’exposé de mylord (celui dont j’ai déjà fait mention) et m’en a vivement complimentée. A la bassette, le soir, j’ai joué si petit jeu que cela m’a valu quelques railleries. J’en ai pris texte pour expliquer à ma noble maîtresse que je jouais par devoir, non par inclination, et que, avec quatre enfans à pourvoir, personne ne devait me blâmer en me voyant économe de leur futur avoir, moyennant que je ne fisse aucune épargne aux dépens des convenances de mon rang. Cette déclaration m’a valu ses éloges. — Le premier devoir d’une femme, m’a-t-elle dit, est de prendre soin de ses enfans.

Le docteur Clarke, notre éminent théologien, est venu ce matin offrir ses ouvrages à la princesse, qui paraît l’avoir en grande estime, et veut absolument lui faire accepter un évêché[18]. On a parlé devant son altesse, qui l’a fort désapprouvé, du projet formé contre la duchesse de Shrewsbury, qu’on voudrait attaquer devant la chambre des communes comme incapable, en qualité d’étrangère, de remplir aucune fonction auprès de la princesse de Galles. Lady Bristol intrigue à force pour être nommée hors rangau lieu et place de la duchesse de Shrewsbury. Jusqu’ici elle n’a obtenu que des refus. Chose étrange, cette dame m’a proposé de ruiner mistress Coke dans l’esprit de notre maîtresse en révélant ce qu’elle appelle « les désordres de sa conduite. » — A quoi j’objectais que, ne connaissant aucun fait à la charge de la personne en question, il me paraîtrait cruel de la diffamer ainsi. — Vous pourrez, m’a-t-elle répondu, répéter en invoquant mon témoignage que c’est une femme perdue, un sujet scandaleux, que j’ai vu mylord Berkele lui glisser un billet de la main à la main[19]. Je tiens d’ailleurs de sir John Germaine et de lady Betty (sœur de Berkeley) que ce dernier est le véritable père de l’enfant que mistress Coke vient de mettre au monde. — Si vous êtes sûre de tout cela, ai-je répondu, vous êtes mieux en mesure que personne d’en entretenir la princesse. — Non, repartit-elle, j’ai, pour ne le pas faire, des raisons que je suis obligée de garder par devers moi ; mais je vous répète que vous rendrez un grand service à votre maîtresse en écartant d’elle une créature de cet ordre. — On peut croire que ceci ne m’a pas ébranlée dans ma ferme volonté de ne me pas mêler à de si odieux propos. Le fond de ces menées, je l’ai su depuis, était que lady Bristol, ayant demandé à être nommée maîtresse de la garde-robe, avait été éconduite par la princesse sous prétexte que celle-ci ne voulait point nommer à cet emploi, lequel avait été promis par le prince à mistress Coke[20].

19 novembre. — Ce matin, grande passe d’armes théologique. Nous parlions entre nous du docteur Smaldridge, évêque de Bristol, qu’on a loué devant la princesse comme « le plus saint prélat du royaume. » Survient lady Nottingham, qui renchérit encore sur cet éloge. La princesse alors, selon sa coutume, et pour alimenter la causerie par un peu de contradiction, met en avant le mérite du docteur Clarke, dont les écrits sont, assure-t-elle, les plus beaux du monde. — Les premiers, d’accord, repart aussitôt la comtesse ; mais dans les plus récens il y a trace d’hérésie… Partant de là, elle s’espace sur la doctrine de la Trinité, le symbole d’Athanase, etc., non sans invoquer l’autorité du docteur Smaldridge contre celle du docteur Clarke. Mistress Clayton, présente à cette discussion, affirme en revanche que le docteur Smaldridge, quoi qu’il ait pu dire à lady Nottingham, ne tient pas pour dogmes obligatoires toutes les clauses du symbole d’Athanase, et comme l’autre persiste à traiter d’hérétique le docteur Clarke : — Madame, dis-je à la comtesse, j’ai lu les ouvrages dont vous parlez, et ne vois pas en quoi ils s’écartent de l’orthodoxie ; mais votre seigneurie a sans doute sur ce point, assez grave en lui-même, des lumières fort supérieures aux miennes. Vous voudrez sans doute bien, puisque vous vous portez accusatrice, fournir quelque preuve, citer des textes… Là-dessus, se redressant comme une personne qui prend peur : — Pensez-vous donc, me répond-elle, que je hasarde ma foi dans des études si périlleuses ? Je n’ai jamais ouvert un seul de ces livres. — Comment, madame, c’est en parfaite ignorance de cause que vous vous prononcez sur une controverse pareille, et que vous taxez les gens d’hérésie ? — Voilà une discussion qui ne servira point, ou je me trompe fort, à la faire nommer gouvernante. J’espère aussi avoir quelque peu endommagé l’influence du docteur Smaldridge, qui fut jadis un des soutiens de Sacheverell, et qui compte avec lord Nottingham parmi les meilleurs appuis du torysme. A eux deux, si on les laissait faire, ils mettraient toutes choses sur le bon pied, — c’est leur expression favorite, — l’un dans l’état, l’autre dans l’église. Jamais je n’ai regardé lord Nottingham comme un whig de bon aloi. Son hostilité contre le dernier ministère de la reine Anne était le résultat de la haine qu’il portait à lord Oxford (haine payée d’un ample retour) et de sa rancune contre la reine, laquelle le jugeait un homme rapace et lui témoigna toujours une mortelle aversion. On a une lettre d’elle à lord Godolphin où elle dit a qu’elle perdra sa couronne avant d’employer lord Nottingham, dont la suffisance impérieuse et l’avidité insatiable l’ont à jamais éloignée. »

J’ai lu aujourd’hui à la princesse tous les témoignages relatifs aux désordres qui, le jour du couronnement, éclatèrent sur trois points différens, et aux outrages dont le roi fut alors l’objet. Le prétexte de ces rébellions et l’excuse invoquée par les accusés, c’est qu’on les aurait provoqués en brûlant les effigies du pape et du prétendant. On devait aussi, selon eux, livrer aux flammes l’image de Sacheverell, et leur mot d’ordre en conséquence était partout : Sacheverell for ever ! Le fait est que toutes ces manœuvres ont eu pour objet l’élection d’un parlement tory. Chaque jour, pour ainsi dire, la publication de quelque scandaleux pamphlet venait surexciter l’opinion en diffamant quelque notabilité du parti whig. Je me souviens, entre autres, d’avoir acheté et rapporté chez nous un prétendu discours prononcé, — assure-t-on, — par mon mari en faveur du duc d’Ormond devant le roi siégeant en conseil !… Ce qui mit le comble à cette confusion fut la proclamation du prétendant, adressée le même jour à tous ou presque tous les hauts fonctionnaires, et qu’ils reçurent par la poste. Ce prince y parlait si ouvertement des dispositions de la feue reine, « favorable, disait-il, à ses droits, » que tout le monde crut ce document apocryphe ; mais huit jours plus tard M. Prior, ministre plénipotentiaire à Paris, en affirma l’authenticité, qu’il avait tout d’abord révoquée en doute. Rien n’a mieux servi que cette déclaration à convaincre la cour que, s’il est convenable de donner aux tories quelques bonnes paroles, il serait souverainement imprudent de se fier à leurs menteuses professions de foi et d’obéissance passive.

La duchesse de Shrewsbury a-t-elle affirmé à la princesse, comme on le prétend, qu’à son arrivée en Angleterre les femmes de gentilshommes lui avaient baisé la main ? Le duc est furieux de ce ridicule mensonge ; sa femme paraît indignée qu’on le lui attribue. A certain point de vue, elle est dans son droit, car personne ne doit répéter au dehors les propos tenus chez la princesse.

Celle-ci me traite avec une tendresse et des marques d’estime que j’apprécie au-delà de tout ce que je saurais dire. Je répondrai à sa confiance par une droiture, une sincérité absolues, car je suis venue à la cour avec le ferme propos de ne jamais me permettre un mensonge. Un bon trait de la comtesse de Nottingham. Cette dévote rigide a quitté la chapelle avant la fin du service pour aller occuper sa place à la réception derrière le fauteuil de la princesse, donnant ainsi la préférence au pouvoir terrestre sur celui d’en haut. Parlez-moi des zélés de la haute église ! Pour moi, j’étais harassée de fatigue à force de me tenir debout. Il m’a fallu deux jours entiers de repos pour me remettre.

25 novembre. — M. de Bernstorff m’est venu trouver dans l’après-midi. Selon lui, le comte de Nottingham et l’évêque de Bristol commencent à être connus pour ce qu’ils sont, des tories sournois, et leur règne touche à sa fin. Je suis allée à la cour, où le prince était malade par suite d’un repas trop copieux. Bien qu’il eût pris le lit, les dames du palais étaient introduites, et ont joué l’hombre avec les gentilshommes du prince. Par une bonne fortune assez rare, j’ai gagné huit guinées.

29 novembre. — La princesse m’a remerciée d’avoir l’autre jour, à dîner chez mistress Clayton, porté la santé de leurs altesses, et comme je répondis que je n’y manquais jamais : — Voilà sans doute, remarqua le prince, pourquoi je me porte si bien depuis mon arrivée en Angleterre. — Bien avant cela, répliquai-je, mes enfans portaient chaque jour la santé du « jeune brave de Hanovre. » C’est une périphrase par laquelle M. Congrève, dans une de ses ballades[21], a désigné votre altesse. — Et qui est, s’il vous plaît, ce M. Congrève ? m’a demandé le prince. — J’ai saisi l’occasion de vanter le mérite de cet écrivain distingué, gardant pour moi l’étonnement que m’avait causé une question si imprévue.

II

Imprévue, et pourquoi donc ? Fallait-il beaucoup s’étonner que des princes comme ceux-ci fussent peu sensibles à une bouffée d’encens poétique, et restassent étrangers au mouvement littéraire de leur époque ? Au fait et au prendre, que leur importaient Congrève, le bel esprit, et les flatteries ingénieuses par lesquelles il s’efforçait de les grandir ? Autres étaient leurs soucis. Présidant à l’immense curée de places et d’emplois lucratifs qui était devenue la grande affaire du moment, ils n’avaient au fond qu’une préoccupation, celle d’associer leur intérêt personnel ou dynastique aux ambitions fébriles qui se manifestaient autour d’eux. Chaque page du journal de lady Cowper porte témoignage de ces odieux trafics auxquels se livraient avec une effronterie naïve les favoris et les favorites. Elle s’en indigne et s’en moque, suivant l’humeur du moment ; mais ensuite, presque à son insu, elle s’abandonne au train général des choses, et sans se croire inconséquente, rassurée par son désintéressement personnel, on la voit céder aux sollicitations qui la pressent, et briguer, elle aussi, pour les siens tel ou tel lambeau de la riche proie que se partagent sous ses yeux les limiers de la meute hanovrienne. C’est en ce sens qu’on peut rapprocher et mettre en regard diverses notes de ce curieux journal, laissant pour cette fois de côté l’ordre rigoureux des dates.

Le colonel Burgess est nommé gouverneur de la Nouvelle-Angleterre. À ces populations encore empreintes du puritanisme originel, on envoie un maître perdu de mœurs, fanfaron de vices, « blasphémateur bruyant, » et deux fois traduit devant les tribunaux comme accusé d’homicide. Lord Cowper charge sa femme de faire comprendre à M. de Bernstorff quel scandale va résulter d’un choix si déplorable ; mais Burgess s’est assuré des protections influentes, sa nomination est maintenue, et, pour parer le coup, l’agent de la colonie est contraint de lui payer sa démission, qui coûta mille livres sterling aux braves puritains du Massachusetts.

Le père de Bolingbroke, sir H. Saint-John, négocie pour être pair. Cette intrigue contrarie les whigs et gêne la poursuite qu’ils dirigent en ce moment même contre l’ex-ministre de la reine Anne. Lady Cowper est encore chargée de faire échouer une mesure si manifestement inopportune ; mais elle se sent vaincue d’avance, « les profits de l’affaire étant, dit-elle, dévolus à M. de Bothmar, qui n’y renoncera certainement pas. »

Voici un affligé qui vient l’entretenir de ses griefs. C’est M. Benson, à qui on enlève ses fonctions au bureau du commerce pour les donner à M. Chetwynd, alors encore obscur, mais dont le nom marqua plus tard, mêlé aux spéculations effrénées qui jetèrent un si triste éclat sur le règne de George Ier. Par quels moyens M. Chetwynd a-t-il obtenu cette place importante et largement rétribuée ? C’est Mme de Kielmansegge qui l’a sollicitée pour lui. Or la dame sait ce que vaut son crédit, et ne le vend pas à perte. M. Chetwynd lui a remis de la main à la main cinq cents livres sterling (dites deux mille au moins, si vous voulez avoir l’équivalent actuel de cette somme). M. Chetwynd en outre doit lui payer deux cents livres sterling par an aussi longtemps que son office lui restera. Enfin comme prime, comme épingles du marché, il a remis à la favorite une magnifique paire de pendans d’oreilles qu’elle étale avec complaisance. — On ne lui connut jamais bijoux de cette valeur avant son arrivée chez nous, remarque lady Cowper.

Mais lady Cowper elle-même, étrangère à de pareils marchés, n’en est pas moins compromise dans cette mêlée ardente qui provoque les révoltes de sa conscience, et dont elle ne parle guère qu’avec une amertume contenue. Écoutez-la raconter ses déboires de solliciteuse, et sachez discerner au milieu de ses doléances le triomphe discret d’une belle dame à qui le roi porte un vif intérêt, ce dont, en tout bien, tout honneur, elle n’est pas autrement fâchée.

1er et 2 décembre. — Deux journées ennuyeuses s’il en fut, employées en négociations pour placer un mien beau-frère, que je ne puis réussir à caser comme le voudrait celle de mes sœurs qu’il a pour femme. Lord Halifax, qui m’avait promis de lui procurer une commission dans les gabelles, est venu s’excuser, vu que le roi lui-même s’était réservé cette nomination, et m’offrir une position à peu près équivalente. Il fallait le consentement des intéressés. Mon beau-frère se serait prêté aux circonstances ; mais ma sœur élevait objection sur objection, difficulté sur difficulté. La place en question était taxée, elle n’offrait aucuns profits en dehors du salaire fixe, etc. Bref on attendait mieux de mon crédit, et après m’être donné beaucoup de peine, je me trouvais n’avoir contenté personne. C’est ce qu’est venue me notifier une chère tante, dont le mari, dépourvu de tout mérite, n’en a pas moins été gratifié par mylord d’une fonction qui, fort insuffisamment remplie, lui rapporte environ mille livres sterling par an. Mon mari, à qui j’ai fait part de ces tracasseries, était littéralement furieux, et ne parlait de rien moins que de destituer séance tenante ce malheureux oncle, pour lequel j’ai dû intercéder, si mécontente que je fusse à bon droit des procédés de ma tante. Ah ! la parenté, la parenté ! qu’elle est pesante aux gens en place !

3 décembre. — Nous sommes rentrés en possession de notre ancien appartement dans Lincoln’s Inn Fields, et, au moment où j’y arrivais, un messager de lord Halifax m’est venu avertir que, ayant eu occasion de faire savoir au roi par Robethon que la place à laquelle sa majesté voulait pourvoir m’avait été destinée, notre gracieux souverain se déciderait en toute connaissance de cause. M. de Bernstorff est venu le soir m’apporter la commission, dont le roi n’a plus voulu disposer autrement dès qu’il a su pour qui elle avait été primitivement signée. « Laissez-la-lui, je n’y veux pas toucher ; elle l’aura, elle l’aura,.. » telles sont les paroles obligeantes dont il s’est servi à mon occasion, et dont je lui suis plus reconnaissante que de la faveur elle-même. Mes parens, eux, préféreraient sans doute un supplément de dix livres sterling à toutes les courtoisies imaginables.

6 décembre. — Après avoir dit à la princesse combien j’étais pénétrée des bontés qu’on avait pour moi, je suis allée remercier le roi au drawing-room. L’appartement étant chauffé outre mesure, et mes porteurs de chaise ne se trouvant pas là au moment où je sortais, j’ai attrapé un bon rhume. Soupé chez Mme de Montandre[22] avec lady Dorchester, Mme de Kielmansegge et l’ambassadrice de Venise, Mme Tron[23]. M. Methuen[24], le seul homme présent, faisait les yeux doux à Mme de Kielmansegge. Vers la fin du repas, une lettre est remise à Mme Tron. C’est monsieur son mari qui lui enjoint de rentrer au plus vite : le bonhomme est un jaloux de la vieille école. Elle au contraire, charmée de se trouver en pays libre, veut adopter nos usages et vivre comme tout le monde. De cette diversité d’opinions, il résulte qu’elle est souvent grondée et parfois battue, si la chronique dit vrai, Ce dernier point la désoblige, mais de tout le reste elle n’a cure, et on l’a surnommée la Beauté sans souci.

8 décembre. — Bernstorff est venu se plaindre à moi de lord Halifax, de l’orgueil insupportable qu’il déploie vis-à-vis de ses collègues (lesquels lui donnent bien quelque sujet de plainte par la manière dont quelques-uns d’entre eux disposent sans égard pour lui des places et emplois publics), ainsi que de ses accointances familières avec lord Oxford (il nie la chose) ; on voudrait aussi qu’il se prêtât à éteindre toutes les anciennes querelles, et il le promet. Pour établir ses bons rapports avec lord Oxford, on n’a qu’un seul fait à invoquer, c’est que le tout-puissant ministre n’a pas encore dépouillé lord Dupplin d’une place promise à mylord Nottingham pour son gendre, sir Roger Mostyn. Lord Halifax motive ses refus sur ce que sir Roger doit des comptes au gouvernement, comptes dont on presse autant que possible la liquidation.

11 décembre. — Nouvelle démarche de M. de Bernstorff. Il invite mon mari à prévenir les lords whigs de ce qui se passe, et voudrait faire savoir à lord Halifax que le roi, d’après certains rapports, le croit peu disposé à seconder, comme lord de la trésorerie, les poursuites que l’on veut intenter aux membres du dernier ministère. S’il en était ainsi, on n’aurait plus à douter de son amitié pour lord Oxford. Tout ceci émane de lord Nottingham, qui chaque jour vient trouver le roi, et, la main sur son cœur, le régale de quelque adjuration solennelle : « sire, mon devoir m’oblige… Ma conscience me reprocherait… Je dois toute la vérité à mon maître, etc., etc. » Et le fond de ces calomnies est que lord Halifax n’a pas encore placé sir Roger Mostyn !

En effet, lady Cowper est en droit de trouver que lord Nottingham a grand tort de faire peser dans la balance des intérêts publics ses convoitises inassouvies ; mais elle inscrit dans son journal, à peu de temps de là, une mention qui prouve que le vieux ministre tory n’était pas seul préoccupé de faire ses affaires en même temps que celles du pays. La place de clerc du parlement, richement rétribuée, comme chacun sait, était alors occupée ; la survivance seule du titulaire était une belle chance de fortune. Robethon, le secrétaire intime, se fit donner par le roi le droit de la garantir à qui bon lui semblerait. Cette garantie était chose vendable, et, bien entendu, il la vendit. Qui l’acheta ? — M. Spencer Cowper, le propre frère du lord chancelier, non pour lui certes, pour ses enfans. Et en effet, lui-même étant nommé juge en 1727, ses deux fils successivement occupèrent de 1710 à 1788 le poste lucratif qu’il leur avait arrhé moyennant dix-huit cents livres sterling. L’argent était bien placé, comme on voit ; mais la transaction était-elle bien nette ?

14 décembre. — On a exécuté ce matin à Newgate un individu qui samedi dernier, dans la cour de Saint-James, portant deux ou trois bottes de son épée à travers le drapeau qui s’y trouve, insultait le monarque et lui contestait ses droits à la couronne. C’est un papiste irlandais, jadis au service du comédien Wilks, lequel avait été obligé de le mettre à la porte pour quelques méfaits analogues dont le duc d’Argyle prit ombrage.

16 décembre. — Voici la duchesse de Bolton en campagne pour faire comprendre mistress Oglethorpe parmi les filles d’honneur de la princesse. Outre que ce titre de fille est assez étrange quand on le confère à la mère de plusieurs enfans, tout le monde sait que les Oglethorpe ont servi d’espions pour le compte de la France. Celle dont il s’agit est partie pour Paris le lendemain même des funérailles de la reine. Sa mère l’avait naguère mise hors de chez elle, la reniant comme imbue de protestantisme et suspecte d’opinions libérales. Avec un pareil certificat, la belle trouva aisément accès parmi les whigs, et fréquenta tout spécialement la maison de lady Mohun[25] , qui réunissait volontiers les libertins du parti. On ne peut douter que notre espionne, en pareille compagnie, ait fait bien du mal, et de plus d’une manière.

17 décembre. — J’ai mandé M. de Bernstorff, qui m’avait fait promettre de le prévenir, si jamais mistress Oglethorpe était recommandée à ma princesse ; j’avais aussi à lui parler de mistress Kirk, présentée pour femme de chambre par la duchesse de Saint-Albans. Je lui ai fait connaître ces deux créatures. Je lui ai raconté comment mistress Kirk avait conduit toute l’intrigue entre lady Mary Vere et le duc d’Ormond, et pris soin de l’enfant qui en était résulté, qu’elle était mêlée à toutes les secrètes affaires des Oxford, que personnellement elle avait été la maîtresse du duc de Somerset. Bernstorff a pris note de tout, et m’a promis de communiquer ces renseignemens à qui de droit.

Peut-être ceux qui liront ces lignes s’étonneront-ils, m’ayant connue, de me voir si peu charitable à l’égard de mon prochain ; mais par le fait j’aurais pu dire pis de mistress Kirk, s’il m’eût paru convenable de faire entrer en ligne de compte mes griefs personnels. Et comme je n’ai de ma vie abordé ce sujet avec qui que ce soit au monde, il n’est peut-être pas hors de propos que je consigne ici, pour mémoire, ce que cette femme avait entrepris contre moi, tout en remerciant Dieu d’avoir échappé aux pièges qui m’étaient tendus par elle au profit d’une indigne rivale.

Mylord se trouvant déjà veuf à l’époque où la feue reine lui confia les sceaux, il n’est pas surprenant que plus d’une jeune personne ait ambitionné de s’unir à lui. Aucune toutefois ne rechercha ce mariage avec autant de suite et d’artifice que lady Harriet Vere, à qui sa fortune plus que médiocre et sa réputation plus qu’endommagée ne laissaient pas grand’chose à perdre dans de pareilles poursuites, quel qu’en pût être le résultat. Par mistress Morley, sa parente, elle avait sondé le terrain, et l’inutilité de ces premières avances lui donna immédiatement à penser que lord Cowper avait ailleurs des engagemens déjà pris. — Un espion fut mis sur la piste, et sut bientôt que mylord louait du côté de Hammersmith une maison de campagne où il passait constamment la nuit. Informations prises à ce sujet, on découvrit que j’étais cause de la froideur avec laquelle étaient accueillies les avances de lady Harriet. Aussitôt, sous des noms supposés, cette demoiselle et mistress Kirk, sa digne inspiratrice, établirent une correspondance avec mylord. Leurs lettres étaient apportées par un émissaire déguisé en femme qui s’arrangea toujours de manière à ne se point laisser surprendre. Dans ces lettres, qui se pouvaient attribuer à une personne du plus haut rang, on laissait entendre que, si lord Cowper m’épousait, on empêcherait son titre de passer à ses descendans. La première arriva justement la veille du jour où j’allais devenir sa femme, et ne fit pas obstacle à l’union projetée, que mylord voulut pourtant tenir secrète et après laquelle, pour plus de sûreté, il se hâta de rentrer à Londres. Cette marche inattendue trompa nos confédérées, et leur fit penser que, ayant réussi à l’éloigner de moi, elles viendraient facilement à bout de lui faire abandonner un mariage qu’elles supposaient encore à l’état de simple projet. Aussi, à partir de ce moment et jusqu’au mois de janvier, c’est-à-dire quatre mois durant, mylord reçut-il chaque jour une missive nouvelle remplie de faussetés sur mon compte. On y parlait de moi dans les termes les moins ménagés et les plus méprisans. J’étais une coquette, et promettais de ne pas m’arrêter là. Mon talent de musicienne me désignait aux tentatives de tous les mauvais sujets de la capitale, et n’était qu’un appeau destiné à les grouper autour de moi. On citait les expressions familières dont ils se servaient entre eux quand il était question de mon humble personne. Lord Wharton[26], certain soir, avait dit à lord Dorchester[27] en sortant du théâtre : — Voilà l’opéra terminé ; si le cœur vous en dit, allons chez Molly Clavering. Elle nous le jouera d’un bout à l’autre. (À ce sujet, autant vaut remarquer que je ne m’étais jamais produite en public comme musicienne, et ne jouais que pour les hôtes de ma tante Wood, avec qui je résidais. Quant aux deux personnages qu’on mettait en scène si obligeamment, oncques de ma vie je n’avais rencontré ni l’un ni l’autre.) Lorsque les auteurs de ces belles calomnies purent croire à l’effet, des mauvaises impressions qu’elles avaient dû produire contre moi, mylord fut un jour abordé par un membre des communes, M. Mason, qui lui demanda, au nom d’une cliente de mon frère, poursuivant un procès devant la court of delegates, un entretien particulier. Un premier refus détermina de nouvelles instances, toujours au nom de cette femme, mistress Weedon, qui finit par laisser entrevoir le but de ses sollicitations en parlant à mylord « d’une belle personne qu’elle avait à lui recommander. » Celui-ci, pressentant quelque découverte relative à la mystérieuse correspondance, finit par accepter un rendez-vous qui lui fut donné… chez mistress Kirk.

Ce nom lui fit à peu près deviner qu’il s’agissait de lady Harriet Vere, car depuis près d’un mois, chaque dimanche en se rendant à la chapelle, et aussi quand il en sortait, il était en butte aux œillades de cette aventureuse demoiselle, embusquée au fond d’une voiture de louage avec sa confidente mistress Kirk. Ses conjectures se vérifièrent de point en point, car il trouva chez cette dernière lady Harriet armée de ses airs les plus vainqueurs, accoudée à une table sur laquelle brûlaient deux flambeaux de cire, et, sous prétexte d’un grand mal de tête, appuyant son beau front sur ses belles mains. Ce jour-là, ni elle, ni ses deux complices, présentes à la réunion, ne hasardèrent la moindre ouverture ; mais de nouvelles entrevues suivirent, et dans l’intervalle mistress Weedon et mistress Kirk n’épargnèrent pas leurs visites à mylord, essayant toujours de l’amener à épouser leur amie. Elles prétendaient que la reine lui avait promis une dot de cent mille livres sterling. Mylord répondit à cela fort modestement que, n’ayant pas de domaine assez considérable pour asseoir l’hypothèque d’un pareil apport, il n’oserait pas conclure un hymen aussi disproportionné ; puis, pressé de plus belle et mis au pied du mur, il avoua m’avoir promis de devenir mon mari, ajoutant qu’il regarderait comme un procédé cruel de fausser parole à une innocente jeune fille coupable seulement d’avoir aussi longtemps toléré ses assiduités. Sur ce point, elles ne se trouvèrent pas d’accord avec lui. Renonçant à m’épouser, prétendaient-elles, il ne ferait que me rendre le mauvais tour que j’avais joué à M. Floyd, dont je m’étais défaite sans le moindre scrupule dès que mylord avait paru s’occuper de moi. Fort heureusement pour moi, je n’avais rien celé de cette affaire à mon prétendu. Aussi put-il répondre à ces bienveillantes personnes qu’elles se trompaient du tout au tout sur la manière dont les choses s’étaient passées. Elles ne l’en tinrent pas quitte pour si peu, et alors, — feignant un jour d’être quelque peu ébranlé, — il amena mistress Kirk à confesser tous les stratagèmes dont elle avait usé pour l’amener à ce point, comme, par exemple, de rédiger les lettres déjà mentionnées, lettres écrites chez elle et qu’elle faisait simplement recopier et signer par lady Harriet Vere. Une fois nanti de ces édifians aveux, mylord saisit la première occasion de répondre à une fort tendre épître que lady H. Vere lui adressa (car elle jouait le rôle d’une personne violemment éprise) pour se retirer définitivement, et lui notifier son prochain mariage avec moi. — Je suis heureux, ajoutait-il, d’avoir trouvé une femme contre laquelle les pires ennemis qu’elle pût avoir, m’écrivant tous les jours afin de la noircir dans mon esprit, n’ont pu articuler aucun grief de quelque portée. Quant à son talent musical, il m’attache à elle plutôt qu’il ne m’en éloigne en me prouvant qu’elle a toujours préféré ses études solitaires à la compagnie des jeunes libertins dont on veut qu’elle ait courtisé l’attention et les hommages. — On pourrait croire qu’un pareil langage était fait pour ôter tout espoir à ces misérables femmes ; mais, tant qu’elles ne nous crurent pas mariés, elles continuèrent à harceler mylord de leurs importunités, auxquelles il ne put mettre un terme qu’en m’avouant pour sa femme. Encore eut-il quelquefois de leurs lettres, même après cela. On voit si j’étais autorisée à m’entremettre pour empêcher mistress Kirk d’être admise au service de la princesse.

18 décembre. — Après avoir eu lord Halifax à dîner, je suis allée voir les trois petites filles de son altesse, qui sont réellement de petits prodiges, plus particulièrement la princesse Anne, qui, à peine âgée de cinq ans, parle, lit, écrit en perfection l’allemand et le français, sait beaucoup d’histoire et de géographie, s’exprime très joliment en anglais, et danse à merveille[28].

22 décembre. — Mistress Danvers, jadis habilleuse de la feue reine, s’étonne, à ce qu’il paraît, de la liberté avec laquelle je parle de sa majesté. — Je lui ai fait répondre par sir David Hamilton, porteur de ce beau message, que, si je parlais librement de sa majesté défunte, mistress Danvers n’avait point à s’en offusquer, vu que je m’exprimais en fort bons termes sur le compte des personnes qui l’ont fait mourir à petit feu. Femme d’esprit et femme d’intrigue, mistress Danvers, après nous avoir comblés d’amitiés, nous laissa là, mylord et moi, lorsque les sceaux furent ôtés à mon mari ; un de nos amis lui fit remarquer qu’on s’étonnait de ne plus la voir chez nous, sur quoi elle répondit « qu’elle avait autre chose à faire. » En revanche, quand nous vînmes nous réinstaller dans Lincoln’s Inn Fields, cette honnête personne, nous voyant en bons termes avec le pouvoir et voulant profiter de ce qu’elle est ma proche voisine, me fit déclarer qu’elle comptait me voir assidûment et ne plus sortir de chez moi. Je pris la balle au bond pour la remercier de ses bienveillantes intentions, en lui déclarant à mon tour que je n’en pourrais profiter, ayant par malheur autre chose à faire.

Parvenue par le crédit de lady Masham à installer sa fille comme habilleuse de la reine, elle l’a mariée en temps utile à un évêque irlandais dévoré d’ambition qui crut faire sa fortune en s’affublant de cette petite fée, laide à plaisir. Il court sur le compte de ce révérend prélat de bonnes histoires. On raconte qu’après un baptême il recueillit l’eau restée dans les fonts, et en fit hommage à la maîtresse du logis en la lui recommandant comme un remède souverain contre les ophthalmies. Une autre fois, ayant traité magnifiquement, en épicurien qu’il est, un officier de marine, il lui proposa de lui montrer sa bibliothèque. L’autre rechignant quelque peu : — Venez, venez, lui dit l’évêque, je ne serai pas fâché d’avoir votre avis sur quelques ouvrages. — Bref, insistant toujours, il le mène dans une cave admirablement garnie. Là, savourant la surprise de son convive : — Que dites-vous de mes livres ? — Je n’en pourrais guère trouver qui m’intéressent autant, repart l’autre ; mais je prendrai la liberté de demander à votre seigneurie pourquoi la plupart sont in-quartaut

23 décembre. — L’évêque de Londres s’est permis une singulière démarche. Mistress Howard est venue de sa part dire à la princesse que, comme doyen de sa chapelle, il se croyait tenu de se mettre à sa disposition pour lever tous les doutes, apaiser tous les scrupules qui pourraient alarmer sa conscience, ou sur lesquels elle voudrait être éclairée. Son altesse a paru légèrement piquée du compliment. — Renvoyez-le avec toute sorte de politesses, a-t-elle répondu à la messagère qu’il avait choisie ; mais je le trouve assez impertinent de supposer que je n’entends pas ma religion, moi qui, pour rester protestante, ai refusé d’être impératrice[29].

6 janvier 1715, jour des Rois. — De ma vie je n’ai vu à la cour pareille cohue. On jouait un jeu d’enfer. Ma maîtresse étant de moitié avec la duchesse de Montague[30], ces dames ont gagné à elles deux plus de six cents livres sterling. J’ai renvoyé bien loin M. Archer quand il est venu me proposer une place aux tables de hasard, où la moindre mise était de deux cents guinées. Partout ailleurs on se foulait, on s’écrasait de la plus étrange façon du monde. L’ambassadrice de Venise, se remémorant peut-être les algarades brutales de monsieur son mari, ne cessait de crier, dès qu’on approchait d’elle : — Prenez garde à mon vizaze : prenez garde à mon vizaze !… car c’est ainsi qu’elle prononce. Le roi finit par saisir au vol cette plaisante adjuration, et se tournant vers quelqu’un de sa suite : — Entendez-vous, dit-il, notre aimable ambassadrice ? pourvu que vous ayez soin du visage, elle vous abandonne tout le reste du corps.

Soupé avec le roi chez les Montague, la duchesse n’ayant jamais voulu accepter mes excuses. Dans le courant de la soirée, le roi m’a fait présent de deux hures de sanglier, dont il avait goûté l’une, qui lui parut excellente. Aussi se targuait-il d’être mon « essayeur. » Ceci, je présume, compte au nombre des faveurs dont il faut se vanter, et me rappelle qu’aux repas publics du roi de France, lorsqu’il veut distinguer particulièrement quelqu’un des assistans, il lui fait porter un bonbon sur lequel préalablement se sont posées ses gencives édentées. 2 février. — Ma maîtresse s’est hautement plainte de lord Halifax, et j’ai parlé à mylord pour qu’il engageât son collègue à se justifier. — Le duc de Buckingham, pour je ne sais quel motif, a résigné sa pension, et lord Strafford[31], vers le milieu du mois dernier, a dû, par ordre du roi, remettre tous ses papiers entre les mains de lord Townshend. Sa femme, qui se donnait pour être en voie de maternité, a jugé convenable de faire fausse couche lorsque la disgrâce du comte commençait à s’ébruiter. Il faut dire que c’était chose convenue d’avance. Sa belle-mère avait eu la bonté de m’en avertir sous le sceau du secret.

14 février. — La princesse m’a dit que lord Halifax l’était venu trouver et que ses explications l’avaient satisfaite. Pendant la réception du soir, la duchesse de Roxburgh a dit à la comtesse de Buckenburgh (de Piquebourg, comme l’appellent les Français) que la comédie à laquelle notre princesse doit assister demain est de celles qu’une femme de bon renom ne doit jamais voir. Il s’agit de la Wanton wife de Betterton. Je l’ai vue une fois, et c’est bien peu, car elle jouit d’une grande vogue, et les dames en particulier la redemandent fréquemment. J’en ai parlé dans de bons termes à la princesse, qui sous ma garantie a persisté dans son projet.

15 février. — Accompagné la princesse au théâtre ; elle n’a pas été autrement fâchée d’avoir suivi mon conseil, et la pièce l’a beaucoup amusée. Au fait et au prendre, elle n’est pas plus risquée que beaucoup d’autres comédies contemporaines. On peut, j’en conviens, souhaiter que notre scène s’amende sous ce rapport, et je n’en désespère point depuis que les théâtres sont placés sous le contrôle de M. Steele[32].

Retenue chez moi par l’état de ma santé pendant les journées suivantes, j’ai su qu’il y avait eu chez M. de Bernstorff une sorte de pacification entre les grands personnages du parti whig. À cette occasion, M. de Bernstorff s’est permis de dire au roi que « je me portais caution » pour lord Halifax. Bien heureux qui peut répondre de soi ; je m’en tiens là prudemment, et ne me charge que de mes propres fautes. Au surplus, ces divisions nous font beaucoup de mal : c’est un récif sur lequel notre barque a déjà sombré.

23 février. — Lady Saint-John et la marquise de Gouvernet[33] ont soupé chez moi. La première m’a montré une lettre de lord Bolingbroke à son père, lettre où il proteste de son innocence par rapport au prétendant. J’en ai pris soigneusement copie, mais je doute qu’il en tire grand avantage


III

Ici le journal s’interrompt et n’est repris qu’au mois d’octobre. Nous retrouvons lady Cowper installée à Kensington, d’où elle vient fréquemment à Londres, « et sans avoir rien à craindre, nous dit-elle, depuis que les troupes sont campées dans Hyde-Park. » Elle y vient pour presser, autant qu’il est en elle, l’expédition des secours que réclament à grands cris ses « amis de Newcastle, » menacés par les rebelles du Northumberland. La prise d’armes de 1715 date du 6 septembre, jour où l’étendard du Chevalier fut levé en Écosse (à Kirkmichael) par le comte de Mar. Forster et Derwentwater ne soulevèrent les comtés de Northumberland et de Lancastre que le 6 octobre suivant. Lord Halifax était mort avant tous ces troubles, et Stanhope, devenu le principal ministre, tenait tête à l’orage subitement déchaîné avec des ressources dont l’insuffisance étonne encore aujourd’hui ceux qui écrivent l’histoire de ces temps agités. Bolingbroke, poursuivi avec une vigueur peut-être excessive et dans tous les cas fort maladroite, s’était réfugié sur le continent, et peu après, jetant le masque, avait accepté la direction des affaires de Jacques III.

Dans cet intervalle de février à octobre, les souvenirs de lady Cowper n’enregistrent guère que des luttes d’influence à propos de telle ou telle place que l’on veut obtenir de tel ou tel ministre, et que celui-ci défend de son mieux, dans l’intérêt de ses protégés personnels, contre l’influence des princes et des favoris. Le « patronage » est, pour les hommes d’état anglais, un moyen de gouvernement dont ils entendent se réserver l’honneur et les avantages moraux. Une autre grande préoccupation de lady Cowper est la guerre sourde que les collègues de son mari faisaient à ce dernier, regardé par eux à la fois comme un associé peu traitable, un rival éventuel, un successeur possible. Ils voudraient l’écarter en l’abreuvant de menus dégoûts, et Townshend comme Walpole y travaillent à qui mieux mieux, non sans quelque succès. Bernstorff lui-même, dont lady Cowper s’est longtemps ménagé l’appui, Bernstorff est circonvenu. Il vient un beau jour lui faire une espèce de scène, qu’elle supporte avec une indignation contenue, et qui laissa une rancune de quelque durée chez notre fière Anglaise.

… Quand mon mari fut parti, Bernstorff se mit à parler du congé donné au duc de Somerset[34]. Je lui dis, comme répétant un bruit assez généralement répandu, qu’on s’attendait à le voir sous peu de temps remplacé par le duc de Newcastle, et je constatai que cette prévision lui plaisait assez peu, d’où je conclus à part moi qu’elle n’était pas sans fondement. Sur le point de s’en aller, il me dit : — Mylord est beaucoup trop vif, et vous êtes de votre côté beaucoup trop vive. Les ministres se plaignent fort du chancelier. Ils l’accusent de leur reprocher trop souvent les fautes qu’ils ont pu commettre. — Je suis fâchée, monsieur, lui répondis-je, que vous puissiez croire cela. Notre but, à mylord et à moi, c’est de bien servir sa majesté. Il reprit alors : — Je vous répète que vous êtes trop vifs tous les deux. Croyez-moi, cela ne vaut rien ; cela tourne toujours en ruine… — Puis, craignant peut-être que je n’eusse pas bien saisi le sens de ces dernières paroles : — Je vous dis, recommença-t-il avec une grande violence, que cela tourne toujours en ruine. — On peut aisément se figurer quel effet ces expressions si peu mesurées produisirent sur moi. Au fait, je ne crois pas qu’une lady, ayant du pain à manger, ait jamais été à si petite occasion traitée avec un pareil sans-gêne ; mais je savais d’où nous venait tout cela, et je vis bien que nos ennemis prenaient peu à peu l’ascendant. Les membres du cabinet sont jaloux de la grande réputation que mylord a su mériter. Ils ne demanderaient pas mieux que de l’évincer, et, comme justement ils le savent dans un état de santé fort précaire, ils vont de tous côtés s’apitoyant à grand bruit sur cette maladie « qui le met, disent-ils, hors d’état de supporter la fatigue de la vie officielle. » Ils sont déjà convenus entre eux de le remplacer par le lord chief justice Parker[35].

Quelques jours après mon entrevue avec Bernstorff, le prince et la princesse, que j’allais voir à l’occasion d’un anniversaire, me témoignèrent les meilleures dispositions. Après mille choses flatteuses sur le compte de mon mari, le prince me chargea de lui dire qu’il ne fallait pas prendre les choses trop à cœur. — Si je ne l’avais pas regardé comme un courtisan émérite, ajouta son altesse, je lui aurais appris, d’après ma propre expérience, comment il faut se conduire avec mon père, lorsqu’on lui voit faire fausse route. On tâche d’empêcher le mal ; mais, si on n’est pas écouté, on accepte avec un calme parfait le déboire et la contrariété. Dites de plus à mylord que, venant à régner, je ne lui donnerai pas souvent matière à contradiction ; et en attendant, chaque fois qu’il voudra livrer bataille dans le cabinet, ajoutez que je lui servirai d’arrière-garde. — Il était difficile, on le voit, de tenir un langage plus obligeant. Au commencement de novembre, Bernstorff m’a fait deux visites ; mais je me suis arrangée pour ne pas le voir en particulier, et ne lui ai pas ouvert la bouche sur les affaires publiques. Le 16 novembre est arrivée la nouvelle que les rebelles avaient mis bas les armes à Preston devant les troupes royales. J’ai le malheur de compter parmi eux plusieurs de mes proches ; mais la plupart sont catholiques romains. M. Forster, un de mes cousins, siégeant à la chambre basse pour le comté de Northumberland, les commandait en cette occasion. Dans le courant de l’été, des messagers d’état avaient reçu ordre de l’arrêter ; il s’était dérobé à leurs poursuites en se cachant chez M. Fenwick, de Bywell, un autre de mes cousins. C’est, j’imagine, par égard pour son oncle et sa tante (lord et lady Crewe) qu’il a été choisi comme général, et nullement à cause de son aptitude particulière, attendu qu’il n’a de sa vie assisté aux manœuvres d’une armée. La pauvre lady Crewe, lorsqu’elle le sut en passe d’être arrêté par ordre du roi, conçut de telles craintes, et s’agita tellement qu’en fin de compte, prise de convulsions, elle fut emportée au bout de quatre jours.

La nouvelle d’une victoire remportée en Écosse[36] est venue ajouter à l’allégresse publique, atténuée cependant par l’impopularité du duc d’Argyle, qui commandait nos soldats. On a été jusqu’à prétendre qu’il avait subi un échec complet ; la suite a prouvé que cette rumeur était fausse, puisque les rebelles, dispersés de toutes parts, n’étaient plus guère qu’au nombre de 1,500, lorsque l’arrivée du prétendant est venue rendre au soulèvement une partie des forces qu’il avait déjà perdues.

Quelques mots ici ne seraient pas de trop pour faire comprendre le mauvais renom du duc d’Argyle. Marlborough, qui l’a toujours traité en rival, ne lui a pas ménagé les accusations les plus déshonorantes. Argyle passe pour l’avoir desservi auprès de la reine Anne, et a pu revendiquer sa bonne part dans la chute du ministère dont l’illustre capitaine avait la direction. Le baron de Bernstorff, lord Townshend, lord Sunderland, M. Walpole, voyant le duc dans la grande intimité du prince de Galles, et craignant que, grâce à cette faveur, il ne les supplante quelque jour, s’attachent à le démonétiser de leur mieux. C’est afin de lui ménager un échec certain, et par les conseils secrets de Marlborough, qu’en le choisissant pour conduire la campagne en Écosse on lui a donné si peu de troupes et on les lui a données si tard, laissant ainsi au comte de Mar les chances les plus favorables.

On ne parle depuis quelque temps que de la retraite de mylord. Le prince, averti par moi, n’a pas hésité à mander Bernstorff, qu’il a grondé de laisser s’accréditer une telle rumeur. Aussi ce dernier m’a-t-il dépêché sa nièce, Mlle Schutz, qui est une fort jolie femme, et ne manque pas de certaines qualités, mais dont les prétentions excessives ont aliéné toute la cour. Je la connais de longue date, et la voyais beaucoup ; mais l’antipathie marquée que le prince professe pour elle n’a pas laissé de me gêner dans nos relations. Elle m’a fait de grands reproches au nom de son oncle : je ne le traite plus en ami, je m’arrange pour ne plus le recevoir tête à tête, etc. J’avoue que, depuis l’algarade dont il m’a régalée à Kensington, je n’ai pu me résoudre à le voir sur un certain pied d’intimité. Cependant, sur la requête formelle de sa nièce, je promis de le recevoir le vendredi suivant à portes closes.

Il fut exact au rendez-vous, et entama de nouvelles plaintes sur ce que je ne le traitais pas assez bien. Comment avais-je pu douter de lui ? Comment, si je supposais à certains ministres des vues hostiles contre mylord, ne l’avais-je pas averti ? Pensais-je donc qu’il ne ferait pas tout au monde pour le maintenir à son poste ? — A tous ces propos, et à mille autres du même genre, je répondais assez froidement. Je lui dis que cette place si enviée ne nous tenait guère au cœur, qu’elle entraînait trop de soucis pour qu’on s’y attachât beaucoup. Bernstorff reprit, s’étendant sur la bonne volonté du roi pour mon mari, « que sa majesté le trouvait pourtant d’humeur inquiète et parfois difficile,… que c’était à moi, sa femme, de lui adresser à ce sujet quelques remontrances, et de le rendre, si cela se pouvait, un peu plus accommodant. » Je m’étonnai de ce reproche et de l’insinuation qui s’y trouvait jointe. Lord Cowper ne le méritait à aucun égard, et mon interlocuteur avait dû se méprendre sur le sens des paroles royales… Au fait, le roi n’est pour rien dans ceci, et Bernstorff trouve commode de faire passer les reproches de lord Townshend sous le couvert de sa majesté. C’est une finesse diplomatique dont je n’entends pas qu’il me croie dupe.

Décembre. — On commence dès le 5 du mois à s’entretenir de l’arrivée du prétendant en Écosse[37]. Un certain nombre des prisonniers de Preston, et surtout les plus qualifiés, ont été transférés cette semaine à Londres. On les y a fait entrer, les mains liées derrière le dos, et leurs chevaux (auxquels on avait retiré leurs brides) conduits à la longe chacun par un soldat. La populace chargeait d’insultes ces malheureux vaincus, promenant devant eux une bassinoire[38], et leur tenant mille propos odieux qui provoquèrent de la part de certains prisonniers des reparties assez bien trouvées. Le chef de ma famille paternelle était parmi eux[39]. Il a plus de soixante et dix ans. De grands désastres de fortune qu’il espérait réparer ainsi lui ont fait quitter ses foyers. Je n’ai ni assisté à cette désolante exhibition, ni souffert qu’aucun de mes enfans en fût le spectateur. C’eût été une espèce d’insulte à la parenté. Cependant peu de gens se sont abstenus, je dois le dire. — Dans mes souvenirs du mois dernier, j’ai omis un détail curieux, à savoir la proposition qui me fut faite par Mlle Schutz au nom du baron de Bernstorff de laisser évader Tom Forster[40] sur la route, si tel était mon désir.


1716. — 17 janvier. — Voici le mois où, conformément à un vieil usage, les légistes de tout ordre qui ont ou peuvent avoir affaire au lord-chancelier lui envoient un présent de nouvelle année, lequel représente à peu près 3,000 livres sterling. C’est l’équivalent toujours accru des vins ou épices qu’on donnait jadis et qu’un avide chancelier fit convertir en espèces trébuchantes et sonnantes. Tout le monde récriminait depuis longtemps contre cet abus ; mais aucun des intéressés ne songeait, et pour cause, à l’abolir. Lord Nottingham, entre autres, recevait l’offrande accoutumée en levant les yeux au ciel, et en se plaignant d’y être contraint par la tyrannie de la tradition. Mylord a mieux fait, ce me semble ; il a rompu avec cette coutume surannée, et formellement défendu qu’on lui présentât la redevance annuelle.

1er et 2 février. — On m’apprend que le lord chief justice Parter va être élevé à la pairie et devenir gardien du sceau privé à la place de lord Sunderland, à qui serait donnée quelque grande charge. M. de Bernstorff n’était probablement pas bien au courant de tout ceci, car il ne m’avait parlé que de la pairie. Je suis allé voir ma princesse, qui m’a fait le plus gracieux accueil. Elle était dans son cabinet, achevant une lettre pour Mme d’Orléans[41]. Son altesse m’a paru très montée contre lord Townshend et M. Walpole, qui, selon elle vont à tout ruiner. Je saisis cette occasion de lui demander si elle persistait dans sa résolution de devenir tory. A cela elle répondit en me demandant à son tour si je pouvais la convaincre par de bons argumens que les whigs ont à cœur mieux que les tories de maintenir la prérogative royale. — Cette démonstration, lui dis-je, ne me paraît pas impossible.

Lord Nottingham fait tout ce qu’il peut pour mettre les tories au mieux avec la princesse. Lord Finch, son fils, joue le même jeu. Sa dernière motion à la chambre haute avait pour objet de la compromettre dans un conflit avec celle des communes, et il comptait sur cette querelle pour faire avorter les procès de haute trahison. C’est du moins ce que m’ont dit le prince et le baron de Bernstorff. — Je suis allée chez Mme Robethon[42]. D’après quelques paroles échappées à son mari, je vois clairement que les Hanovriens et le ministère ne sont plus, à beaucoup près, en aussi bons termes que par le passé. Après tant de prévenances et de caresses mutuelles, cette brouille me semble plaisante.

4 février. — La princesse, avec qui j’ai passé deux heures, croit le baron de Bernstorff fort refroidi pour lord Townshend et M. Walpole. A mon avis, il ne lui en parle sur un ton d’inimitié que pour se faire bien venir d’elle et mieux pénétrer le fond de sa pensée. Son altesse en veut aussi au duc d’Argyle, que, tout en reconnaissant ses torts, j’ai défendu de mon mieux. Ceci l’a conduite à me dire que le duc, avec quelques bonnes qualités, a pour les contrebalancer de grands défauts. — Il est, poursuivit-elle, irréconciliable dans ses aversions, et croit trop facilement aux méchans propos. Tenez, par exemple, il a fait tout au monde pour m’empêcher de vous prendre, sous prétexte que vous aviez une intrigue réglée avec le roi. — Il a eu tort, s’il l’a fait, de tenir pareils propos sur mon compte. Je ne connais si grand personnage au monde qui pût m’attirer dans une intrigue de ce genre, et j’espère que votre altesse voudra bien m’en croire sur parole, car je ne me sens pas d’humeur à me défendre par voie d’argumens. Ce sont de pauvres vertus que celles dont on défend ainsi les intérêts… Là-dessus la princesse a repris sur un ton très gai : — Vous venez justement de répéter là ce que je disais, il y a quelques semaines, à Mme de Kielmansegge, et je vais vous conter à quel sujet ; mais vous n’en soufflerez mot. Quelqu’un était allé lui rapporter un désobligeant propos de mon mari, qui ne l’accusait de rien moins que d’avoir été bien avec tous les hommes du Hanovre. Elle vint me porter ses plaintes, et je dus lui répondre qu’un langage aussi peu mesuré n’était point à l’usage du prince. — Il n’en est pas moins vrai, poursuivit mon éplorée, que l’on me témoigne depuis lors beaucoup de mépris ; plusieurs de mes connaissances ont même cru devoir rompre avec moi. Fort heureusement M. de Kielmansegge prend à cœur ma réputation, et il ne tiendra point à lui que justice ne me soit rendue… À ces mots, elle tire de sa poche un certificat en bonne forme, tout entier de la main de ce prodigieux mari, par lequel il atteste que madame son épouse lui a toujours été fidèle, et qu’il n’a jamais eu lieu de suspecter sa conduite… Que répondre à cela ? Qu’elle avait tort de se tourmenter, que je ne doutais point de sa loyauté conjugale, mais qu’elle ferait bien de ne point exhiber à d’autres que moi un document dont se passent en général les vertus bien établies… Au surplus, ajoutai-je pour en finir, il n’en existe pas beaucoup de pareils, et pour mon compte c’est le premier dont j’aie jamais ouï parler.

Dîné chez Mme de Gouvernet et de là au spectacle, où on donnait le Cobbler of Preston[43] ; aux acclamations que soulevaient tous les passages empreints de royalisme, on pouvait juger du bon effet des nouvelles arrivées hier, la prise de Perth, évacuée par les rebelles.

7 février. — Mon dernier petit garçon étant malade, je n’ai pu me rendre avant sept heures à la masquerade, qui était splendide. Elle a dû coûter, disent les connaisseurs, de sept à huit cents livres sterling. M. d’Iberville, l’envoyé plénipotentiaire français, explique à ses familiers que l’abandon de Perth n’est qu’une feinte[44] imaginée en France pour prolonger la guerre et donner au régent le loisir de venir en aide aux adhérens des Stuarts.

8 février. — La comtesse de Dorchester, avec laquelle j’ai dîné chez mistress Clayton, et qui est un démon d’esprit en même temps qu’un démon de laideur, a fait son possible pour m’amener à cette idée, que mon mari devrait s’aller pendre haut et court. — Rien n’est triste pour un homme supérieur tel que lord Cowper, me disait-elle avec ses airs malins, comme de se trouver uni à des imbéciles. Achitophel ne s’est pas pendu pour autre chose[45]. Le dépit de voir ses conseils méconnus par Absalon ne l’eût point, croyez-le bien, conduit à une résolution si extrême ; mais il constatait chez ce prince une irrémédiable nullité qui le livrait sans défense aux inspirations de gens incapables. On n’en pouvait tirer ni pied ni aile. David d’autre part, dont la sagesse devait triompher à la longue, mettait invariablement sur le compte d’Achitophel toutes les mesures adoptées par Absalon, et ne pouvait pas manquer, le cas échéant, de faire pendre ce conseiller funeste. Achitophel, homme bien avisé, pensa qu’il valait mieux se pendre lui-même. A bon entendeur, salut ! — Comme elle achevait ce beau compliment, qui pour la transparence ne laisse rien à désirer, Mlle Schutz est venue annoncer qu’un exprès du duc d’Argyle apportait la nouvelle de son entrée à Dundee[46].

9 février. — On jugeait aujourd’hui les criminels d’état. A son grand chagrin et au mien aussi, je le puis dire, mylord a été choisi par le roi pour remplir les fonctions de high-stewart. Pourquoi cette mission n’a-t-elle pas été confiée à lord Nottingham ? Il n’en a pas moins fallu s’exécuter et partir en grand appareil pour aller déployer les sévérités de la loi contre ces malheureux rebelles. Le cortège était ainsi composé : dix laquais en livrées neuves, deux carrosses ordinaires, un troisième attelé de six chevaux, dix-huit gentilshommes en dehors de la livrée, le roi d’armes Carter[47] portant la baguette, avec l’huissier de la verge noire dans le même carrosse. Bien que ceci soit à l’encontre des usages reçus, je n’ai voulu aucun luxe dans les livrées de nos gens, et les ai fait faire très simples, trouvant peu convenable de parader en si triste occasion et à propos de pauvres créatures comme nous dont on va ordonner le trépas. De même n’ai-je point voulu aller assister au prononcé des arrêts, d’autant que parmi les condamnés j’avais un parent, lord Widdrington[48]. Le prince a cru devoir être présent, et au retour s’est montré fort ému de cette tragique séance. N’est-il pas malheureux que de telles rigueurs soient indispensables ?

10 février. — J’ai fait emplette ce matin, avant ma sortie, de quelques rubis et de quelques émeraudes. Reçu deux billets de Mlle Schutz, qui m’assassine de sa correspondance. A la cour, toute l’après-midi. La princesse y jugeait en dernier ressort un litige depuis longtemps entamé. Il s’agit de savoir si le lord-chambellan et le vice-chambellan ont leurs entrées dans la chambre à coucher. Ces messieurs les réclament. Les dames de la chambre prétendent qu’on doit les leur refuser ; mais j’estime qu’elles ont tort…


C’est le 9 janvier que le parlement avait ouvert sa session, et ce jour-là même le comte de Derwentwater fut décrété d’accusation avec les autres membres de la pairie qu’on regardait comme ses complices (lord Widdrington et lord Nairn, les comtes de Nithisdale, Wintoun, Carnwath, et le vicomte Kenmure). S’étant reconnus coupables et s’en remettant à la clémence royale, six d’entre eux furent immédiatement condamnés à mort. Le septième, lord Wintoun, voulut se justifier, et il fallut instruire séparément contre lui. On fit pour sauver les condamnés les démarches les plus actives, et bon nombre de whigs (parmi lesquels sir Richard Steele) inclinaient manifestement aux mesures de clémence. Il fallut tout l’ascendant de Walpole, à qui tant de sévérité devait répugner, pour maintenir le gouvernement dans la voie des rigueurs réputées nécessaires. Encore faillit-il échouer, et n’obtint-il qu’à une faible majorité de 7 voix la confirmation de l’arrêt primitif. Stanhope se conduisit noblement : pour sauver lord Nairn, son ami et camarade d’études, il alla jusqu’à mettre au jeu sa démission, que ses collègues n’osèrent jamais accepter. Un autre ministre, le comte de Nottingham, encouragé par cet exemple, prit en main devant la chambre haute la défense des condamnés. Ce fut pour le cabinet une grande surprise et un grand désarroi, d’autant que les lords, à la majorité de 5 voix, votèrent une pétition au roi, demandant sursis, et le sursis entraînait presque forcément commutation de la peine capitale. Il fallait bien accorder quelque attention à cette démarche d’un des grands corps de l’état. Outre lord Nairn, furent ajournés le comte de Carnwath (à qui la princesse de Galles s’intéressait vivement) et lord Widdrington, le parent de lady Cowper. En revanche, l’exécution des trois autres pairs fut décidée pour le lendemain. Dans la nuit, comme chacun sait, le comte de Nithisdale parvint à s’évader grâce au merveilleux dévoûment de sa femme. Bref, le 24 février 1716, deux têtes seulement tombèrent sous la hache du bourreau, celle de James Radcliffe, comte de Derwentwater, et celle de William Gordon, vicomte Kenmure. Tous deux se repentirent hautement de s’être reconnus coupables, tous deux offrirent à Dieu une fervente prière pour le prétendant.

Lord Wintoun, contre qui, nous l’avons dit, se suivait une procédure particulière, ne fut mis en cause que le 4 5 mars suivant. Bien qu’à peu près fou, — du moins passait-il pour en être là, — il déploya une étonnante adresse à faire naître toute sorte de difficultés, à créer des motifs d’ajournement, et bien qu’en somme après mille échappatoires il se vît condamner comme les autres, encore trouva-t-il moyen, — la sévérité dès lors se relâchant quelque peu, — de s’évader à l’instar de lord Nithisdale.

L’histoire rapporte que lord Cowper, impatienté par les continuelles défaites de ce dernier accusé, réfuta un jour dans des termes beaucoup trop acerbes les objections qu’il soulevait obstinément. — J’espère cependant, mylord, lui dit lord Wintoun, que vous me ferez justice, et ne m’appliquerez pas ce que nous appelons chez nous la loi Cowper, pendre d’abord pour juger ensuite. L’histoire dit encore qu’en prononçant l’arrêt porté contre les pairs catholiques le chancelier ne sut pas s’abstenir d’attaques évidemment déplacées contre leur croyance religieuse, et qu’il leur recommanda pour l’heure suprême d’autres guides spirituels que ceux dont ils avaient jusque-là suivi les conseils.

En bonne et loyale épouse, lady Cowper ne trouve rien à reprendre dans la conduite ou les paroles de son mari. — Je suis enchantée, dit-elle, d’entendre vanter de toutes parts la harangue que mylord a prononcée en faisant connaître l’arrêt ; mais aucun éloge n’a valu pour moi celui du docteur Clarke, qui trouve ce discours superlativement beau, et prétend qu’il serait impossible d’y ajouter ou d’en retrancher une lettre sans le gâter d’autant[49].

Mais hélas ! de toutes les revendications, celles de la défaillance humaine sont les plus inévitables. Bien peu de jours après ce triomphe oratoire, et lorsque le départ du prétendant eut définitivement rendu la paix à l’Angleterre et son ascendant au ministère whig, le lord-chancelier, à la suite d’un accident, se trouva tout à coup plus malade. En même temps que sa santé décline son ambition. Il veut quitter la vie publique, se retirer des affaires, céder la place à ses rivaux, aller vivre aux champs. Sa digne compagne, non sans quelques pénibles efforts, accepte courageusement ces projets d’abdication. Voici ce qu’elle écrit, à la date du 15 février : « J’ai dit à mon mari qu’il ne trouverait jamais en moi un obstacle à ses desseins ; je lui ai offert, pour peu que cela puisse lui plaire, de le suivre à la campagne, d’abandonner ma charge, et, ce qui est encore autre chose, je lui ai promis de ne jamais regretter ce sacrifice, le plus grand que j’aie à lui faire. Je crois qu’il l’acceptera. »

Ce plan de retraite la tourmente, il est vrai. Cependant elle lui donne un commencement d’exécution ; d’obligeans amis à qui elle s’adresse dans ces poignantes perplexités lui offrent de s’entremettre pour déclarer à qui de droit que lord Cowper va succomber sous le fardeau ministériel, et faire nommer à sa place le lord chief justice Parker, à qui on substituerait l’ex-chancelier comme gardien du sceau privé. À cette sinécure honorifique, véritable fiche de consolation, pourra être jointe la réversion sur deux têtes successives d’une charge de fermier des douanes… Mais, tandis qu’en prudente mère de famille lady Cowper arrange ainsi l’existence politique de son mari et l’avenir de leurs enfans, le lord-chancelier se rétablit, et tous ces projets de retraite s’en vont à vau-l’eau. Lady Cowper enregistre avec une joie bien sentie cet heureux changement, et reprend aussitôt un vif intérêt à la marche des affaires publiques.


19 février. — On a des nouvelles de Preston par les juges qui sont allés y procéder contre les rebelles. Ils représentent le pays comme très imbu de l’esprit jacobite. On ne croyait pas jusqu’au jour de l’exécution que le roi osât sévir. Il y a eu de tristes récriminations : des fils ont accusé leurs pères de les avoir entraînés, et M. Shafto, qui a été fusillé peu après la bataille, prétendait avoir été contraint par son fils à prendre les armes.

Lady Collingwood ayant écrit à un de ses amis, personnage fort influent, pour qu’il sollicitât la grâce de son mari, cet ami lui a répondu en ces termes, ou à peu de chose près : — Ayez-vous bien réfléchi à la requête que vous m’adressez ? Ignorez-vous donc que, si votre mari est pendu, vous aurez droit, comme provision de veuve, a un revenu de cinq cents livres, tandis que, si on lui accorde la vie, il ne vous restera pas un groat pour vivre tous les deux ? Pensez-y bien, et pesez votre réponse. Je ne ferai aucune démarche avant de l’avoir reçue. — La réponse, je ne sais comment, n’est pas arrivée en temps utile, et le malheureux qu’elle eût pu sauver est monté à la potence.


Cependant les intrigues de cour vont leur train. Le prince et la princesse de Galles luttent sourdement contre le ministère whig. lis se plaignent de Bernstorff, sur qui Townshend et Walpole exercent maintenant une influence toujours croissante, et qui les maintient dans la faveur royale envers et contre les tories. Or nous verrons à leur tour, par un revirement assez curieux, cette influence de Walpole ou de Townshend s’imposer à leurs altesses, sans que Bernstorff y soit pour rien, tout au contraire. En attendant, arrêtons nos regards sur ces dissentimens de famille qui devaient, éclatant quelques années plus tard, donner tant de tablature au cabinet présidé par Walpole, et tant de prise aux ennemis de la dynastie hanovrienne. Le journal de lady Cowper nous montrera plus d’une fois encore dans le détail ce jeu toujours intéressant des antagonismes politiques.


E.-D. FORGUES.


  1. Diary of Mary, countess Cowper, lady of "the bedchamber to the Princess of Wales, — London, J. Murray. — La pairie fut conférée au lord-chancelier Cowper en 1718. Le sixième comte Cowper, né en 1806, était en 1835 sous-secrétaire d’état aux affaires étrangères. Le poète Cowper, fils d’un chapelain de George II, appartenait à cette famille, dont il a popularisé le nom, déjà illustre.
  2. Lettre d’Iberville au roi de France, 2 août 1714.
  3. Voyez sur cette participation et le caractère de Bernstorff la Revue de juillet 1845.
  4. Ce dernier nom a remplacé dans l’histoire celui de Charlotte.
  5. Son mariage est de 1705. Elle était née en 1683 et avait passé trente ans lorsqu’elle devint princesse de Galles. Lady Cowper était, à fort peu de chose près, du même âge que sa maîtresse.
  6. Lord Mahon, Histoire d’Angleterre de la paix d’Utrecht à celle d’Aix-la-Chapelle.
  7. Lord Cowper mourut en octobre 1723, sa femme le 5 février 1724.
  8. Le journal de lord Cowper a été imprimé (mais non publié) en 1833, par le club de Roxburgh. Coxe, l’historien de la maison d’Autriche, le biographe de Walpole, en avait eu le manuscrit à sa disposition. Lord Manon a pu se procurer un des exemplaires imprimés. Cette bonne chance ne nous a pas été donnée, à notre grand regret.
  9. Daniel Finch, un des parangons de l’anglicanisme, qui à l’avènement de George Ier fut président du conseil. Il quitta les affaires publiques en 1716.
  10. Catherine Sedley, créée — pour ses bons et loyaux services — comtesse de Dorchester. C’est elle qui disait avec autant d’effronterie que de gaîté : « Je me demande pour quelles qualités Jacques II choisit ses favorites. Pas une de nous n’est jolie, et si nous ayons quelque esprit, il est trop… borné pour s’en apercevoir. »
  11. Diana de Vere, mariée en 1694 au fils de Charles IIn et de la comédienne Nelly Gwynn.
  12. La duchesse de Bolton (Henriette Crafts), fille naturelle du duc de Monmouth et d’Eleanor Needham. — Mistress-Clayton (depuis lady Sundon), qui plus tard, comme maîtresse de la garde-robe, acquit sur la reine Caroline un certain ascendant, attribué par les mauvaises langues à ce qu’elle avait surpris le secret d’une infirmité dont sa majesté se tenait pour humiliée. — Mistress Howard, précédemment miss Hobart, et plus tard comtesse de Suffolk quand George II en eut fait sa favorite.
  13. Sophie Platen, depuis comtesse de Darlington, — celle qu’Horace Walpole avait surnommée l’Éléphant. Elle était plus jeune, moins laide et aussi avide que sa rivale la Schulenberg, mais en revanche bien moins influente.
  14. Ce petit-fils de Charles II et de la duchesse de Cleveland était à ce moment un des lords of the bedchamber.
  15. La femme du lord-maire, sir William Humphreys. Il se distingua, quoique libéral, par ses rigueurs contre les pamphlétaires et les colporteurs de l’époque.
  16. On appelait ainsi les souliers sans talons hauts.
  17. Ce titre, qui répond maintenant à celui de premier gentilhomme de la chambre, paraît ne convenir guère à une duchesse. Auprès d’une reine, il se confond avec celui de maîtresse de la garde-robe. L’étole (the stole) est une veste étroite, garnie de taffetas cramoisi et brodée anciennement de roses, de fleurs de lis et de couronnes. L’office de groom est d’ailleurs une sinécure absolue. (Voyez le Manual of dignities.)
  18. Samuel Clarke refusa toujours cet avancement et mourut recteur de Saint-James. Il refusa aussi à la mort de Newton la maîtrise des monnaies.
  19. James Berkeley, marin très distingué, fut premier lord de l’amirauté en 1718 et 1727.
  20. Cette dame, fille de M. Hale et célèbre pour sa beauté, avait épousé en secondes noces un membre du parlement, l’honorable Thomas Coke, vice-chambellan de la reine Anne, dont miss Haie était une des filles d’honneur. Il passe pour avoir été le modèle d’après lequel Pope a représenté sir Plume dans son Rape of the Lock.
  21. A propos de la bataille d’Oudenarde, William Congrève avait rimé une chanson où se trouvent ces trois vers :
    Not so did behave
    Young Hanover brave,
    In this bloody field, I assure ye ; etc.
    Ce qui rend encore plus inexcusable l’étrange ignorance du prince royal.
  22. Femme d’un La Rochefoucauld qui, passant en Angleterre avec Guillaume III, servit avec honneur dans les guerres de ce règne et aussi dans celles du temps de la reine Anne.
  23. Il y a un palais de ce nom à Venise.
  24. Fils du négociateur auquel on doit le fameux traité avec le Portugal.
  25. Seconde femme de ce lord Mohun qui avait péri en 1712 dans un duel avec le duc d’Hamilton.
  26. Un des plus célèbres débauchés du temps.
  27. Evelyn Pierpoint, créé duc de Kingston en 1715, et père de lady Mary Wortley Montague, dont les lettres sont si connues.
  28. Elle épousa depuis le prince d’Orange. Le feu roi de Hollande était son petit-fils.
  29. Caroline d’Anspach avait effectivement refusé d’épouser l’archiduc Charles, depuis empereur, parce qu’il était catholique romain. Gay fait allusion à ce souvenir dans son Epistle to a lady.
  30. Fille du duc de Marlborough.
  31. Il s’agit ici de Thomas Wentworth, petit-neveu du célèbre ministre. Il avait obtenu le titre de comte de Strafford en 1711, après avoir pris part aux négociations de la paix d’Utrecht. Il fut compris dans l’accusation portée contre Oxford et Bolingbroke.
  32. Sir Richard Steele avait été nommé, immédiatement après l’accession au trône de George Ier, surintendant des écuries et gouverneur des comédiens du roi, — fonctions étrangement accouplées.
  33. A la révocation de l’édit de Nantes, la marquise de Gouvernet obtint à grand’peine la permission de se retirer en Angleterre, où était établie une de ses filles. Le titre de marquis de Gouvernet appartient à l’ancienne famille de La Tour du Pin.
  34. Le duc de Somerset avait pour gendre sir William Wyndham, un des six moindres jacobites dont Stanhope avait demandé l’arrestation. Il offrit en plein conseil privé sa garantie personnelle en échange de la liberté qu’on laisserait à Wyndham. Les ministres refusèrent, et le duc, déjà personnellement brouillé avec eux, ne voulut pas rester leur collègue.
  35. Depuis comte de Macclesfield. Ce fut lui en effet qui remplaça lord Cowper en 1718. Dans les différends du roi et de ses enfans, il fut toujours contre ces derniers, qui plus tard s’en souvinrent et s’en vengèrent de leur mieux.
  36. La bataille de Sheriffmuir, dans le comté de Perth. Les deux armées purent à titre égal revendiquer la victoire ; mais le duc d’Argyle en définitive recueillit tous les fruits de cette journée.
  37. Il n’y débarqua que le 2 janvier suivant.
  38. Cette bassinoire était là pour rappeler la prétendue fraude à l’aide de laquelle le prétendant, enfant supposé, aurait été introduit dans le palais de White-Hall. — On la retrouve à chaque instant dans les caricatures de l’époque.
  39. Clavering de Callalee.
  40. Ce fut en effet une évasion qui sauva les jours très compromis du général nommé par les insurgés ; mais elle eut lieu quelques semaines plus tard, au moment où son procès allait s’instruire. Thomas Forster passa en France, où il mourut peu après l’avènement de George II.
  41. Charlotte de Bavière, mère du régent.
  42. On a vu plus haut quel rôle jouait le mari de cette dame. Quant à elle, sa laideur et son disgracieux organe l’avaient fait surnommer madame Grenouille. N’est-on pas fâché de voir lady Cowper en commerce réglé avec pareilles espèces ?
  43. Le Savetier de Preston de Ch. Johnson. Cette ancienne pièce a fourni le sujet d’un opéra-comique (le Brasseur de Preston) donné à Paris en 1846.
  44. D’Iberville était l’assidu correspondant des principaux jacobites.
  45. Achitophel, dans tout le cours de cette saillie par allusion, représente lord Cowper. Absalon est le prince de Galles, David le roi George Ier.
  46. Les lenteurs, les indécisions de la poursuite dirigée par le duc d’Argyle contre les débris de l’armée jacobite, ont laissé planer jusqu’à présent une certaine obscurité sur son dévoûment à la dynastie hanovrienne.
  47. Carter (ou Jarretière) est le premier des trois rois d’armes. Les deux autres prennent les noms de Clarencieux et Norroy.
  48. Lord Widdrington fut en effet condamné à mort, mais il reçut son pardon.
  49. Ceux de nos lecteurs qui seraient curieux de savoir à quoi w’en tenir sur ce morceau d’éloquence le trouveront dans la biographie de lord Cowper par lord Campbell.