Le Gouvernement de la défense nationale - La Conquête de la France par le parti républicain/01
PAR LE PARTI RÉPUBLICAIN
Au 4 septembre 1870, l’émeute d’une capitale avait renversé le gouvernement d’une nation. L’Empire finissait de la fin commune à nos monarchies et à nos républiques depuis 1789. Nos inconstances, en détruisant les traditions du pouvoir, ont créé une tradition révolutionnaire : à Paris est échu l’office public d’élever et d’abattre chaque régime. Aucun de ceux qui tombent là n’a été soutenu par la France.
Si elle avait accepté le fait accompli même quand les gouvernemens venaient de glisser sur un hasard imprévu, une faute unique, une impopularité factice, où demeuraient intacts leurs services et leur honneur, moins que jamais songeait-elle cette fois à arrêter un écroulement où déjà rien ne restait debout. En vain étaient encore en place les fonctionnaires du régime, en vain gardait-il des partisans, à qui un mois de désastres ne faisaient pas oublier vingt années de succès. Nulle voix ne dit qu’achever la défaite par la révolution était compromettre la résistance nationale.
La France était d’autant moins prête à défendre l’Empire qu’elle se sentait plus responsable de l’avoir créé. Car le régime ne s’était pas imposé à elle comme une surprise de l’habileté ou comme une victoire de la force ; il s’était fait par l’initiative la plus spontanée, par l’énergie la plus persévérante du suffrage universel. C’est le peuple français qui, hors des partis et malgré eux, s’était donné à un Napoléon. Avoir, en 1848, par le premier usage du plébiscite[1], bâti contre les impuissances de l’anarchie parlementaire et les férocités des luttes sociales, une digue d’autorité et d’ordre ; avoir, en 1851, su gré au coup d’Etat qui, sous le nom d’Empire, remettait les affaires de tous à un seul et réduisait l’activité publique au soin des intérêts privés ; avoir approuvé tous les changemens apportés à la constitution par le maître, et accepté même les libertés par obéissance ; avoir trouvé dans le prestige restauré au dehors, dans la paix ininterrompue au dedans, dans la richesse partout croissante, la longue justification de cette confiance ; et tout à coup tomber de ces prospérités en un abîme où s’engloutissaient la gloire, la puissance, les épargnes, les hommes, surtout l’homme chargé de veiller sur tous les biens et impuissant à se sauver lui-même, c’était perdre plus que des batailles, plus que des armées, plus qu’un gouvernement. La France voyait condamnée sa propre sagesse, punie sa longue volonté de ne pas vouloir. Pour le salut, rien ne lui restait, sinon cette volonté inexercée, étrangère aux affaires publiques. Elle sentait qu’elle s’était méprise sur les conditions de l’ordre dans la société. Son malheur, où elle reconnaissait sa faute, pesait sur elle comme un remords, et lui enlevait toute confiance en elle-même. Ainsi timide au moment où il lui aurait fallu de l’initiative, elle n’était prête encore qu’à obéir.
Les faits, au contraire, donnaient raison à la minorité, qui s’était montrée défiante au régime impérial. Cette minorité se divisait en trois partis.
Le plus nombreux se composait d’hommes qui, sans fanatisme de préférence pour une forme de gouvernement, sans complicité de doctrines avec la démagogie, voulaient, comme la condition et la garantie de l’ordre, la liberté. Ils refusaient d’abandonner l’avenir de tous à la garde hasardeuse d’un seul. Leurs idées avaient trouvé leur expression la plus lumineuse, la plus simple et la plus complote, quand reparut à la tribune relevée M. Thiers. Sa revendication des franchises intérieures, qu’il définit « les libertés nécessaires, » sa défiance contre les changemens de l’Europe et la témérité d’aimer la grandeur des voisins, son respect pour la foi catholique de la France et les droits de la papauté étaient leurs respects, leurs défiances et leurs revendications. La France, dès alors, savait n’être en désaccord avec eux que sur la meilleure manière de gérer un patrimoine également cher à eux et à elle. Elle avait repoussé leurs conseils sans suspecter leurs intentions, et, parce qu’ils ne passaient ni pour destructeurs de la société ni pour ennemis de l’Empire, elle leur avait prêté une oreille plus attentive à mesure que l’Empereur, en amoindrissant la dictature, semblait recommander lui-même leurs doctrines. Et malgré que, par ses candidatures officielles, il continuât à soutenir la politique de son passé contre la politique de son avenir, ils avaient, minorité toujours, mais minorité grandissante, fait entrer dans le Corps législatif, aux élections de 1869, quatre-vingts représentans. Or, sur l’unique désaccord entre eux et le pays, le malheur venait de prononcer. Les institutions vingt ans chères à la France semblaient, pour avoir sombré sur recueil, l’avoir fait surgir ; le régime réclame par eux, semblait, pour n’avoir pas été soumis à l’épreuve, celui qui eût tout sauvé. Conseillers naturels de l’anxiété publique, ils présentaient pour triompher de la mauvaise fortune le remède qu’ils avaient proposé pour la prévenir, le gouvernement du pays par le pays. Comme ils avaient voulu ce gouvernement sous l’Empire, ils le voulaient sous la République, plus pressans parce que les circonstances étaient plus urgentes. Ils avaient hâte de former par des élections libres une Assemblée qui se vouât à la défense, et ne doutaient pas qu’une adhésion générale ne composât cette fois cette Assemblée de leurs chefs.
La minorité de la minorité poursuivait de tout autres desseins, elle-même scindée en deux groupes aussi contraires l’un à l’autre qu’ils l’étaient ensemble aux hommes, de liberté : c’étaient les bourgeois révolutionnaires et les ouvriers socialistes.
Les premiers s’honoraient d’être appelés « irréconciliables, » leur passion la plus forte était leur haine contre l’Empereur. Celui-ci avait, dès son avènement, consacré leurs chefs lorsque, par le coup d’État, il proscrivit les plus connus des députés, par les commissions mixtes, déporta ou interna les républicains les plus capables d’agir, et, par l’obligation du serment, contraignit les plus scrupuleux de ses adversaires à s’exclure eux-mêmes des fonctions publiques. Quand, après plusieurs années, il les crut assez impuissans pour leur pardonner sa rigueur, l’amnistie qui leur rendit la patrie et le foyer, les laissait exilés de leur ancienne existence. La place autrefois conquise par les uns dans l’armée, dans la magistrature, dans l’enseignement, demeurait perdue ; la clientèle que les autres s’étaient faite comme avocats, médecins, industriels, s’était dispersée ; et, jusqu’au jour imprévu où la presse devint libre, les lettres n’offraient guère aux plus capables de penser et d’écrire que la faim. Les difficultés, les dégoûts, les misères de cette vie brisée, et, par contraste, la carrière facile des obéissans à l’usurpateur, les honneurs, la fortune, le pouvoir des transfuges qui l’avaient servi, tout rouvrait sans cesse la blessure des victimes, aggravait de leurs malheurs privés leurs griefs politiques, et les confirmait dans l’impatience d’une représaille qui vengeât leur cause et eux-mêmes. Partout où ils étaient revenus, ils représentaient l’insoumission de la volonté. Ils s’y trouvaient affermis par l’amitié fidèlement gardée aux compagnons de luttes et d’épreuves, par le culte voué aux victimes les plus illustres et les plus implacables de la cause commune. Car en quelques hommes l’horreur de Napoléon avait dominé l’amour du sol natal : Victor Hugo, Louis Blanc, Edgar-Quinet, Ledru-Rollin, étaient les plus célèbres de ceux qui, perpétuant leur exil comme la suprême protestation contre l’usurpateur, ‘voulaient être le droit qui attend l’épuisement de la force.
La souffrance est le témoignage le plus sûr que l’homme puisse donner à ce qu’il croit et à ce qu’il aime. Elle revêtait d’une dignité commune le personnel assez mêlé du parti. Un certain nombre consumait des mérites certains en ingrates besognes, et pâtissait évidemment pour sa conscience politique : à d’autres la paresse, la médiocrité des aptitudes ou le débraillé des mœurs eussent suffi pour fermer l’avenir. Sans distinguer entre eux, on faisait honneur de leurs insuccès à leur vertu républicaine. Ces blessés du droit, si inégales que fussent leur destinée et leur action, poursuivaient la même œuvre, et elle formait un tout ordonné, hiérarchisé, comme une ascension de haine. A. la base, sur le sol de la France, le patient effort des obscurs, qui, dans la région de leur influence, recrutaient une par une les inimitiés ; au-dessus, une élite de soldats, de penseurs, d’écrivains, groupés dans la communion de l’exil volontaire, plus grands à l’horizon lointain, plus beaux dans leur immobilité théâtrale et héroïque ; et, au faîte de la pyramide humaine, le poète à l’air de prophète qui, des hauteurs où se forme la foudre, laissait tomber les éclairs et le retentissement de son verbe, et contre le crime d’un jour semblait amasser de l’immortalité.
Il y avait là de quoi plaire aux esprits absolus, aux imaginations ardentes, aux cœurs généreux. C’est dire que les revenans de Décembre trouvèrent surtout crédit dans la jeunesse. Loin que le manque de mesure offense son goût, l’outrance des sentimens comme celle des gestes est un besoin de cet âge, il songe à déployer ses forces plus qu’à les employer. Et comme, n’ayant pas souffert, cette jeunesse ne pouvait sentir les mêmes rancunes que les victimes de l’Empire, elle satisfit sa passion de l’extrême en s’attachant aux conséquences les plus hardies du régime républicain. Ainsi, par cette poussée des disciples qui transforme les doctrines des maîtres, les révolutionnaires modérés en tout, sauf en leur haine de Napoléon, virent diminuer leur importance, et une autorité croissante appartint aux révélateurs de vastes changemens. Lorsqu’en 1868 la presse et les réunions devinrent libres, ce parti était le plus impatient d’agir, le plus apte à soulever les passions. Les tribunes populaires qui se dressèrent dans les grandes villes furent en fait accaparées par lui. Il sut plus que tout autre fonder des journaux pour lesquels il trouva des ressources. Le prestige des vieilles renommées, l’audace des jeunes énergies, la complicité même de ses adversaires lui furent un secours. Le Français, téméraire d’imagination et timide d’actes, vit en conservateur et rêve en révolutionnaire. Rien ne refroidit son goût tout intellectuel du changement comme la crainte d’être troublé dans ses habitudes par le succès des réformes ; il lui faut des agitations qui ne soient pas des ébranlemens. La solidité de l’Empire rassurait ces frondeurs, leur permettait de goûter à la fois les deux satisfactions entre lesquelles ils auraient dû choisir sous un régime plus précaire, et d’être opposans avec sécurité.
Les docteurs en révolution trouvaient d’ailleurs une auxiliaire imprévue dans la magistrature : sa vigilance servait leur cause en les empochant de professer trop haut les doctrines qui eussent effrayé le pays. L’indépendance absolue des opinions, l’émancipation du suffrage universel qui les transforme en votes, et l’avènement du régime républicain, qui soumet tout à la puissance élective, étaient leurs thèses préférées. Ils s’honoraient d’être ainsi les amis les plus sûrs, les plus vrais de la souveraineté populaire, et d’étendre sur toutes les institutions politiques l’unité d’un plan logique. Pour sauvegarder le pouvoir du peuple, il fallait supprimer les armées, qui protègent de loin en loin la nation contre l’étranger et sans cesse le gouvernement contre la nation, et, pour assurer la paix perpétuelle entre les races, confier la protection de l’ordre dans chacune à une milice formée de citoyens, par suite incapable d’opprimer la volonté générale. Pour sauvegarder les intérêts quotidiens du peuple, il fallait remplacer la magistrature inamovible et nommée par le gouvernement, donc deux fois tentée de préférer à la justice les ordres du pouvoir ou les préjugés de corps, et soumettre par le jury les citoyens à la justice des citoyens. Pour délivrer la conscience du peuple, il fallait combattre le catholicisme, l’invérifiable de ses dogmes, l’intolérance de ses préceptes, et la servitude d’esprit maintenue par la foi. C’était, disaient-ils, reprendre l’œuvre de la Révolution française. Mais de cette Révolution qu’ils proposaient déjà et comme un bloc, non à l’examen mais au culte de tous, eux choisissaient les actes, les dates et les héros. Comme leurs jugemens du passé obtenaient une immunité qu’on n’eût pas maintenue à leurs condamnations du présent, ils faisaient de la politique par l’histoire et avaient commencé leur propagande par une suite d’ouvrages sur leurs pères de 1792 et de 1793. Ces pères n’étaient pas les hommes de liberté, mais de tyrannie et de sang. Les audaces vieillies de Lamartine, qui, par l’apothéose des Girondins avait du moins condamné la Terreur, ne suffisaient plus : on amnistiait la Terreur elle-même. On plaçait sur des autels, comme les saints laïques de la patrie, non seulement ceux qui, fût-ce dans le crime, avaient été les premiers, Danton[2], Robespierre[3], Saint-Just[4], non seulement tous les montagnards pour qui la tyrannie des assemblées par la populace, et la proscription des assemblées par elles-mêmes furent les moyens réguliers du gouvernement[5], mais les monomanes d’atrocité comme Marat[6], les subalternes de la scélératesse comme Hébert[7], les manœuvres de la guillotine comme Lebon[8], les utopistes sanguinaires comme Babeuf[9]. Tous devenaient sacrés dès qu’ils avaient travaillé pour le peuple. Et le peuple qui purifiait ainsi ses serviteurs et leurs œuvres n’était pas toute la nation : ces historiens excluaient du peuple la noblesse, traitaient en adversaire la bourgeoisie, dédaignaient la multitude rurale. Leur respect était réservé aux foules urbaines, leur préférence au prolétariat des grandes villes, leur idolâtrie à la plèbe de la capitale. C’est cette plèbe seule qui avait été la sagesse dans ses caprices, le droit dans ses révoltes, la probité dans ses pillages, la clémence dans ses assassinats. La philosophie de cette école était la foi à l’infaillibilité de la canaille, et le parti tout entier, en célébrant avec une sorte de tendresse furieuse les anniversaires qui pesaient sur la mémoire de la France, semblait prendre à tâche de réhabiliter l’horrible dans l’histoire. Or ces hommages aux morts étaient des appels aux vivans. Paris était glorifié de ses attentats contre les pouvoirs afin qu’il exerçât encore sa puissance destructrice. C’est en lui que le parti révolutionnaire mettait son espoir, montrant par-là ce que valait le respect promis à la souveraineté de la nation. Certains théoriciens, que la pente des audaces logiques entraînait aux franchises périlleuses ne dissimulaient même pas leur mépris de la volonté générale. Ils ne cherchaient que la force capable d’imposer leurs réformes. D’avance ils la justifiaient et se justifiaient en disant que la vérité est au-dessus du consentement ; qu’une minorité a le droit d’établir les institutions bonnes à tous et de servir un peuple même malgré. lui. À cette doctrine, qui leur permettait de prendre en tout avis d’eux seuls, ils avaient donné une formule : « la République est supérieure au suffrage universel. »
Par cela seul que les révolutionnaires attaquaient l’Empire, leur effort s’était brisé contre l’attachement de la France à ce régime. Résolument hostile à leur entreprise, elle n’avait pas pris au mot leurs condamnations contre l’ordre social. Elle excusait que dispersés par l’armée, condamnés par la magistrature, abandonnés par l’église, les vaincus du 2 décembre eussent le verbe et le cœur amers, elle les croyait meilleurs que leurs paroles. Néanmoins un sentiment confus, mais profond comme un instinct, la laissait défiante de doctrines où abondaient les contradictions. Elle pressentait en ces serviteurs les plus impérieux des maîtres ; elle s’étonnait qu’au nom du peuple ils prétendissent détruire les institutions tenues pour les plus nécessaires par le consentement le plus universel ; et elle refusait partout son aveu à ceux qui prétendaient n’en avoir pas besoin pour la rendre heureuse. Tandis que, sans l’intervention du gouvernement, elle eût volontiers voté pour des conservateurs libéraux, cette intervention était superflue pour liguer les amis du repos et les amis de la liberté contre les révolutionnaires. Ceux-ci n’avaient même pas eu, jusqu’aux dernières années de l’Empire, le concours des Français les plus étrangers aux timidités de la pensée ou des intérêts et les plus prêts aux actions violentes, les ouvriers.
A des hommes cultivés et assez riches pour donner leurs loisirs à la politique ou assez habiles pour trouver en elle une carrière, le plus important des problèmes sociaux paraît l’organisation du pouvoir : à des hommes incultes et pauvres la plus importante des affaires paraît l’organisation du travail. Cette différence explique les mécomptes qui, depuis 1789, troublent l’orageuse union des bourgeois révolutionnaires et des ouvriers socialistes.
Après avoir, durant des siècles, assuré aux métiers un marché et aux artisans une condition proportionnée à leur mérite professionnel, le régime corporatif, peu à peu dépouillé de ses garanties en conservant ses contraintes, n’était plus, à la fin de l’ancien régime, qu’un moyen de fiscalité pour le trésor royal. Avec la certitude de ne pas s’élever dans sa caste par le travail, et avec l’incertitude de suffire par ce travail aux dépenses de sa vie, le prolétariat avait commencé pour l’ouvrier, et aussi l’impatience d’un changement. La liberté des professions proclamée par l’Assemblée Constituante rompit les liens où étouffait l’artisan : mais il avait seulement changé d’esclavage. Dans ce monde nouveau d’où avaient disparu les anciennes corporations et le droit d’en former de nouvelles, il était interdit à l’ouvrier de s’unir avec ses compagnons, même pour débattre ses salaires et opposer sa seule force, le nombre, à la puissance de l’argent. La loi émancipatrice le livrait au patronat. Puisqu’il ne pouvait compter sur lui-même pour la défense de sa vie, il lui restait, pour unique espoir, l’arbitrage et la protection de l’Etat. Ainsi le socialisme sortit, comme une conséquence naturelle, de la loi qui supprimait en France la liberté d’association. Puis, les souffrances du prolétariat le rendant hostile à ceux qui gouvernaient sans le soulager, il espéra davantage de leurs adversaires, aida aux violences des plus destructeurs, et fut le soldat de victoires toujours stériles pour lui, jusqu’au jour où, après six ans de patience déçue, il se tourna contre tous ces bourgeois qui tous s’accordaient à se servir de lui sans le servir. Avec Gracchus Babeuf, il opposa aux révolutionnaires politiques la révolution sociale, voulut mettre dans les fortunes l’égalité qu’ils s’étaient contentés d’introduire dans les formules, et exerça contre eux le droit à l’insurrection qu’ils avaient enseigné. Sa tentative fit si peur que la France pour le combattre se serra autour des terroristes ; il fut vaincu, enchaîné et, comme Samson aveugle, condamné à tourner la meule pour nourrir ses maîtres. Sa rancune fut dès lors toute son opinion, et Bonaparte, au Dix-huit Brumaire, put abattre à la fois tous les partis politiques sans qu’un ouvrier se levât pour les défendre. Après un demi-siècle, le même cycle d’espoirs et de déceptions s’était rouvert. Enrôlé de nouveau par les bourgeois révolutionnaires, le prolétariat avait, par l’émeute, rétabli la République, obtenu sa part de souveraineté légale par le suffrage universel, et attendu de la réforme politique la réforme sociale, comme aux jours de la grande Révolution. Mais on put mesurer combien avait diminué sa patience. Elle durait depuis six ans lorsque le prolétariat de 1795 s’était révolté. En 1848, il avait dit : « Nous mettons six mois de misère au service de la République. » Avant qu’ils fussent écoulés, il exigeait, aux journées de Juin, un pouvoir où il eût porté, pour toutes doctrines, l’anarchie de ses haines. Sa défaite l’avait affermi dans la certitude qu’à jamais dupe de la bourgeoisie, il était destiné, auxiliaire à être oublié, adversaire à être mitraillé par elle. C’est pourquoi, le Deux décembre, il assista avec impassibilité comme à un fait indifférent, et même avec satisfaction comme à une revanche, à la ruine commune de tous les partis républicains.
C’est pour lui que, dans ce conflit auquel il ne se mêlait pas, se préparait la plus grande victoire. L’Empire était fait par le seul prince peut-être qui fût de cœur avec les prolétaires, eût cherché le raisonnable de leurs désirs et parfois ajouté à leurs rêves les siens. Au moment où il n’avait besoin de personne, il s’occupa de ceux pour qui personne ne travaillait, durant la période dictatoriale leur fit douce la dictature, et, quand il jugea l’heure venue de rendre au pays quelque liberté, il commença par leur donner ce que depuis la Révolution tout gouvernement leur avait refusé, le droit d’unir leurs intérêts, de concerter leur action, d’opposer à la puissance du patronat la puissance des grèves. Et par une de ces contradictions multiples où se plaît l’ironie de l’histoire, tandis qu’en 1789 les bourgeois de l’Assemblée Constituante, conservateurs de la propriété individuelle, avaient donné sa force au socialisme d’Etat, après 1852, un socialiste couronné, revenant à l’antique tradition de la France et rendant aux ouvriers le moyen de défendre par leur accord leur intérêt, les mettait en situation de compter moins sur l’Etat et plus sur eux-mêmes.
Dans ces groupemens formés par l’intérêt professionnel, les anciens meneurs du peuple n’avaient pas de place : révolutionnaires politiques, ils n’avaient pas compétence dans les questions de métier. Tous les ouvriers étaient aptes au contraire à comprendre les questions professionnelles et par suite à distinguer, parmi leurs compagnons, les plus capables de servir la cause commune. Le premier résultat de la réforme impériale fut de donner à la classe ouvrière une direction autonome, et, ces premiers élus de leurs pairs considéraient pour essentiel de tenir séparées leur œuvre et la politique. Autres et plus vastes étaient les alliances qu’aussitôt ils conçurent et préparèrent. Si dans chaque nation l’entente se faisait entre les ouvriers des divers métiers, si dans le monde entier elle s’étendait entre les ouvriers des diverses nations, la puissance du prolétariat deviendrait infinie, et sa volonté, maîtresse de régler et de sus-prendre toutes les productions, suffirait, sans qu’il fût besoin de recourir aux gouvernemens, à changer le sort des ouvriers. L’Association internationale des Travailleurs commença, conçue par des Français, française par l’étendue rationnelle et audacieuse du plan. Et ce plan était à la fois une œuvre de courage et de patience : de courage, parce que, pour améliorer le sort de leur classe, les novateurs ne comptaient ni sur l’émeute ni sur le pouvoir, mais seulement sur l’initiative individuelle et la discipline volontaire ; de patience, puisqu’ils demandaient aux privations et à la solidarité de leurs pairs toute la semence des récoltes lointaines.
Mais en ne cédant rien aux colères, à la cupidité, à la paresse, cette méthode blessait les haineux incapables de reconnaître la justice où ne seraient pas les vengeances, les impatiens résolus à ne consentir aucuns délais aux accapareurs de la richesse, les paresseux pour qui le bonheur finit où l’effort commence. Ceux-là rêvaient d’un changement plus complet et plus prompt. Pour eux, qu’était la société ? La spoliation héréditaire. Le commencement de l’ordre ? Le partage égal de la richesse. La durée de l’ordre ? Le maintien de légalité rétablie. L’instrument de l’ordre ? Des lois assez réparatrices pour imposer la justice aux hommes. La garantie de l’ordre ? La vertu révolutionnaire d’un prolétariat assez fort pour imposer la justice aux lois. Qui pouvait remettre en un fonds commun les richesses offertes à tous par la nature et accaparées par quelques-uns ? L’Etat seul. Qui pouvait, après le nouveau partage, mettre obstacle à la reconstitution de l’inégalité ancienne ? L’État seul. Quel était donc pour chaque prolétaire l’unique moyen de changer son sort ? Conquérir l’État. Plus les hommes étaient incultes, faibles et avides, plus leur devenait tentatrice cette doctrine, qui épargnait à leur ignorance les incertitudes et les peines de l’effort individuel, faisait de leur avenir non leur propre affaire, mais l’affaire du gouvernement, transformait le pauvre dénué de tout en copropriétaire de la richesse universelle, l’ouvrier, incertain chaque jour de son salaire, en un créancier perpétuel de la société, le bonheur en un changement facile à improviser comme une émeute et simple à libeller comme un décret. C’est pourquoi les fondateurs de l’Internationale eurent aussitôt pour adversaires les socialistes d’Etat.
Les deux doctrines ne différaient pas seulement par leurs résultats à venir. Selon qu’il opterait pour l’une ou pour l’autre, le prolétariat allait choisir entre deux emplois contraires de sa force immédiate. S’il tenait sa cause distincte des partis politiques, et poursuivait uniquement, par l’union volontaire des travailleurs, ses griefs contre le capital, le prolétariat ne pouvait être conseillé que par des hommes vivant de son existence, sortis de lui, il demeurait son maître. S’il prétendait changer son sort par la puissance de l’État, il lui fallait, pour conquérir cette puissance, prendre parti dans les luttes politiques, et, comme il ne possédait encore ni hommes de parole experts aux stratégies de la légalité, ni conspirateurs de profession habiles aux surprises opportunes de la violence, il était obligé d’obéir à ces hommes d’une autre origine que lui, il ne pouvait que marcher derrière ces chefs à la bataille, entrer par personnes interposées au Parlement. Décider si les ouvriers amélioreraient leur sort par leur propre force ou par la force de l’Etat c’était donc décider si le prolétariat se gouvernerait lui-même ou retomberait sous la direction de la bourgeoisie révolutionnaire.
Si elle perdait son influence sur les ouvriers, la bourgeoisie révolutionnaire n’était plus qu’un état-major sans soldats. Au moment où ils s’organisaient pour s’unir dans le monde entier, elle, depuis longtemps internationale par ses sociétés secrètes, comprit l’importance de la tentative et plus que jamais voulut tenir dans sa main un levier fait pour soulever le monde. Elle se mêla partout au conflit d’idées qui divisait les artisans, partout soutint, contre les modérés, les haineux, et à la transformation du prolétariat par le travail opposa la revanche du prolétariat par la politique. Les Congrès annuels où les fondateurs de l’Internationale conviaient les mandataires du prolétariat permirent de mesurer les progrès faits par cette propagande. Partout, dès 1868, la masse des ouvriers se prononçait pour la lutte politique et l’alliance avec les révolutionnaires.
Nul plus que les révolutionnaires de France n’avait travaillé à ce résultat. Pour eux surtout, persuadés que la nation sans mœurs publiques et sans autorités sociales était à prendre, que le nom de Napoléon était toute la charte de l’Empire, et que, s’ils abattaient un homme, ils devenaient maîtres d’un peuple, avoir ou perdre l’armée des émeutes, était être ou n’être pas. Et si les prolétaires français, comme ceux de tous les pays, étaient attirés vers le socialisme d’Etat par leur pauvreté fatiguée d’épreuves et lasse d’incertitudes, ils étaient accessibles à la violence par des particularités d’instincts et d’intelligence. En France, il ne suffit pas, pour gagner le peuple, de servir ses intérêts, il faut satisfaire son imagination. La République restait chère aux ouvriers, et dans les ateliers parisiens se conservaient, comme une légende d’héroïsme, les souvenirs des barricades. Les nouveaux chefs qui voulaient détacher leur cause des causes politiques, et cherchaient, par un effort lent, consciencieux, obscur, à affranchir leur classe, ne donnaient rien à cette imagination. Trop impassibles, ils laissaient froide la multitude, et par suite n’avaient pas attiré des adhésions assez nombreuses et recueilli des fonds assez considérables pour se donner le prestige d’aides immédiates et efficaces aux grévistes dans les conflits avec les patrons. A défaut d’amis aussi sûrs, la masse ouvrière trouva des amuseurs plus entraînans, lorsque les chefs « irréconciliables » jouèrent pour elle, sur les tréteaux des réunions publiques, la parade de la liberté. Autour des prolétaires le silence ne fut plus seulement celui de l’étude, mais celui de l’abandon. Trop sages, ils devenaient suspects ; pour ne pas se déclarer ennemis de l’Empire, il fallait qu’ils fussent ses agens. Ces calomnies finirent par avoir raison de leur courage. Enfans de Paris, ils ne purent résister au mot de République. Enfin entre la bourgeoisie révolutionnaire et eux, il y avait une communauté de passion incroyante : ce lien avait été le premier, resta le plus fort, et la complicité des haines religieuses prépara la complicité des haines politiques.
Dès qu’elles eurent ensemble été proclamées par les congrès de l’Internationale, les ouvriers français, comme par un plébiscite ratificatif, se firent inscrire nombreux dans la société. Fermée d’abord à tous ceux qui n’étaient pas les travailleurs des métiers, elle s’ouvrit dès lors aux, travailleurs de la politique. Adversaire de l’Empire, traitée par l’Empire en ennemie, elle devint en France l’énergie active du prolétariat. A la fin de l’Empire, plus de 200 000 internationaux étaient groupés dans les centres industriels, les grandes villes, et Paris en comptait 70 000.
Ce n’est pas que cette alliance des ouvriers socialistes et des bourgeois révolutionnaires eût rétabli l’ancienne et naïve foi du peuple dans la bourgeoisie. Une rancune profonde de tous les mécomptes subis comme autant de trahisons, un jaloux esprit de caste étaient communs à tous les prolétaires. A l’exemple de la bourgeoisie, ils ne poursuivaient que le triomphe de leur classe et savaient que, dans la lutte sociale où était engagé leur avenir, ils seraient seuls contre tous. Mais, résolus à changer de condition par la puissance de l’État, ils avaient intérêt à avoir en face d’eux le gouvernement le plus disposé à céder ou le plus facile à détruire. L’Empire ne leur donnerait pas au-delà de ce qu’ils jugeaient maintenant dérisoire, et, à leurs premières tentatives pour obtenir plus, contre eux César s’armerait, acclamé et invincible. La meilleure chance de le renverser était qu’ils intervinssent dans cette querelle sur la liberté, où l’Empereur avait contre lui une partie de la France, et saisissent l’occasion de faire avec la bourgeoisie la République. La République apporterait le régime parlementaire, c’est-à-dire l’instabilité des doctrines et des partis. Dès lors, il n’y aurait plus dans l’Etat une autorité perpétuelle pour assigner des limites au socialisme. Tandis qu’il réclamerait ses droits comme doctrine, il trouverait comme parti maintes opportunités de rapports et de marchés avec les factions soucieuses de se trouver des alliés, et prêtes à payer les concours. Il pourrait, en échange de ses votes, obtenir pour quelques-unes de ses réformes la sanction des lois, accoutumer l’opinion à ce rôle de l’État, et, le jour où il n’aurait plus rien à attendre de ses alliés, serait fort pour la rupture inévitable, prêt à abattre à son tour la bourgeoisie, à achever sans elle et contre elle la révolution sociale.
Pas plus que les révolutionnaires bourgeois, les ouvriers socialistes ne subordonnaient d’ailleurs la poursuite de leurs plans à l’adhésion générale. Ils avaient moins de scrupules encore, parce qu’ils croyaient réclamer leur part de biens soustraits au prolétariat par les autres classes. Jamais le consentement de l’usurpateur n’a été indispensable pour légitimer la revendication du propriétaire. Pour reprendre ce qui leur appartenait, toute occasion, tout moyen leur seraient bons.
Malgré leur alliance, révolutionnaires et socialistes avaient échoué devant le suffrage universel aux élections de 1869. Dans la défaite commune des opposans à l’Empire, ils avaient été les plus vaincus. Tandis qu’une vingtaine de députés venait accroître le groupe des conservateurs libéraux, les révolutionnaires avaient à peine triomphé dans six collèges, soit avec des hommes tout à fait à eux comme Rochefort, Esquiros, Raspail, Bancel, soit avec des habiles comme Gambetta et Ferry, qui s’étaient avancés par leur programme à la rencontre des contingens démagogiques.
Mais ces votes avaient aussi permis de reconnaître que le parti le plus faible en nombre occupait en France des positions fortes et comme des places de sûreté. Tandis que ses adversaires étaient répandus sur toute la surface du pays, lui se trouvait rassemblé presque tout entier dans les villes ; dans les plus grandes cités, il avait ses réserves, assez fortes pour qu’en tout temps, il fallût compter avec lui et qu’aux jours de violence, il n’eût à compter avec personne ; à Paris enfin, où étaient concentrés à portée de sa main tous les ressorts de l’autorité, il était le plus prêt à les saisir, le jour où la crainte inspirée à tous par l’Empereur ne tiendrait plus chacun en sa place.
En 1870, le plébiscite était venu accroître cette puissance révolutionnaire. Il avait uni plus intimement les socialistes et les jacobins, puisque, au lieu de chercher des gages les uns contre les autres, dans des combinaisons de candidatures, ils s’étaient trouvés unanimes à exprimer de même, en trois lettres, les mêmes haines. Il avait désuni les hommes de liberté. Le plus grand nombre s’était résolu à accepter par un même vote la dynastie et les réformes qui semblaient solliciter, inséparables désormais, l’aveu de la France. D’autres, voyant se perpétuer avec le plébiscite une pratique artificieuse, et, fût-ce au profit de mesures émancipatrices, un instrument de dictature, s’étaient abstenus, ou avaient voté : « Non. » Il s’était fait ainsi un certain mélange de libéraux et de révolutionnaires. Leur coalition accidentelle n’avait pas eu le temps de se rompre, et l’entente naturelle entre les libéraux le temps de se renouer, quand la guerre succéda au plébiscite, et que le 10 août, au lendemain de nos premières défaites, la France renouvela ses conseils municipaux. Dans le désaccord survenu entre des hommes qui jusque-là pensaient de même, et dans le rapprochement opéré entre ceux qui jusque-là poursuivaient des desseins contraires, le parti avancé avait trouvé son avantage. Nombre de villes, surtout les grandes, votèrent des listes où les amis de la liberté réglée se trouvaient unis à des amis de la violence politique et à des partisans de la liquidation sociale.
A mesure que s’aggravaient les malheurs de la campagne, les Français qui s’étaient dits amis de l’Empire devenaient plus timides dans leur fidélité, ceux qui s’étaient déclarés ses adversaires s’affermissaient dans leur opposition. Enfin, quand le suprême désastre détruisit à Sedan la dernière armée de la France, il parut donner irrémédiablement tort à tous les libéraux qui avaient cru assurer les destinées de la nation par un pacte avec la dynastie impériale. Il ne justifiait, triste victoire, lamentable triomphe, que les prophètes de malheur : les révolutionnaires seuls paraissaient les amis clairvoyans de la France. La justification de leur haine était faite pour accroître tout d’un coup leur crédit dans le pays, leur dédain du sentiment général, leur certitude qu’ils devaient, dans l’intérêt public, consulter seulement eux-mêmes, et leur audace à saisir tout le pouvoir que leur offrirait l’occasion.
Or toutes les barrières qui avaient contenu dix-huit ans la rébellion de leur volonté contre la volonté générale tombaient devant eux. Ils avaient cédé aux contraintes matérielles dont la force première est la police et la force dernière l’armée : cette armée était tout entière devant l’ennemi ou prisonnière chez l’ennemi, et, sans armée pour la soutenir, la police n’est plus redoutable. La puissance du mot Napoléon, contre lequel s’était brisé si longtemps leur effort, était brisée elle-même, et le prestige passait à un autre mot, la République, au régime qu’ils n’avaient cessé de vouloir et qu’ils venaient d’établir. Si, plus d’une fois adoptée et confisquée dès son avènement par ses adversaires de la veille, la République avait traité en ennemis ses fondateurs les révolutionnaires, c’était toujours à l’aide de l’armée et de la police aujourd’hui impuissantes. Maintenant les diverses opinions étaient obligées de se servir elles-mêmes, n’avaient plus que leur énergie personnelle pour influer sur les événemens. Rien ne pouvait être plus favorable au parti qui recrutait ses troupes parmi les masses les plus prêtes à agir, et, pur de cette complicité impériale où étaient compromis tous les autres, semblait, au lieu de leur égal, presque leur juge. Les malheurs publics préparaient donc au parti révolutionnaire des chances qu’il n’avait jamais rencontrées depuis l’invasion de 1792, qu’il ne retrouverait jamais plus favorables.
Ce serait les perdre toutes que demander à la France sa volonté. Sans doute des élections générales consacreraient la République : mais le suffrage universel engloutirait dans sa foule paysanne la coalition des révolutionnaires ouvriers ou bourgeois, et, malgré qu’une popularité d’accident les portât en plus grand nombre à la Chambre, le pouvoir n’appartiendrait ni à leurs personnes, ni à leurs doctrines. Pour garder et accroître leur influence, il leur fallait prévenir cette réponse nationale, se substituer à sa volonté, empêcher qu’elle les désavouât. S’ils ne sont qu’une minorité infime dans la France, ils sont groupés dans les villes d’où le gouvernement s’exerce sur tout Je pays. Il leur est facile de se faire forcer la main par quelques mouvemens de la rue, et de saisir les fonctions publiques : le salut du pays, l’urgence de défendre l’autorité contre les vengeances populaires, et la foule contre ses propres excès, légitimeront leurs entreprises. La résistance locale n’est pas à craindre : les chefs des conservateurs restent ensevelis sous l’écroulement de l’Empire, et, pour opposer manifestations à manifestations, les libéraux manquent d’habitude et de temps. Ces timides, si la peur les gagne, seront les premiers à appeler au secours les révolutionnaires qui auront déchaîné la foule et paraîtront la contenir.
La place prise, la désapprobation du gouvernement n’est pas plus à redouter : blâmerait-il en province les initiatives qui lui ont donné le pouvoir à Paris, et chicanerait-il sur une procédure de légalité ses amis d’hier, ses partisans d’aujourd’hui, ses défenseurs de demain, plus maîtres que lui de la contrée ou ils dominent ? Nantis de leur gage, ils pourront mieux obtenir l’investiture des fonctions déjà prises, et, moitié soumis, moitié menaçans, les assurer, sinon à eux-mêmes, tout au moins à des hommes sûrs. Cela fait, tout sera gagné. Pour ajourner les élections nouvelles, on affirmera qu’elles retarderaient l’œuvre de la défense ; les dépositaires provisoires du gouvernement seront libres de supprimer, avec les Conseils généraux et les Conseils municipaux, toutes représentations de la volonté générale, sous prétexte qu’elles ont été faussées par la pression du régime déchu ; et, toujours sous prétexte d’épargner du temps, ils les remplaceront par leurs amis. De cette sorte, sans que la France ait parlé ni protesté, toutes les autorités seront occupées par ceux qui avaient le moins à compter sur ses suffrages. Alors, mesurant leurs audaces à la passivité des multitudes rurales et aux sommations des minorités urbaines, ces détenteurs révolutionnaires du pouvoir commenceront à satisfaire leurs griefs contre l’armée, la magistrature, l’église, la richesse. Si le régime dure assez, ils dompteront par les nouvelles habitudes la seule résistance qu’ils aient à craindre, la révolte silencieuse des traditions, opposeront au sentiment public la puissance des faits accomplis, et, par l’audace d’un jour, auront pris pour longtemps hypothèque sur l’avenir.
Cette minorité faible par le nombre, mais résolue, va partout en France, après le 4 septembre, prétendre au pouvoir, partout réussir, et substituer, à la défense de la France, l’avènement d’une faction.
Les premières proclamations du gouvernement apprirent, dès le 4 septembre, à la France, qu’elle avait par une volonté unanime détruit la tyrannie impériale. Pour connaître combien diffèrent la vérité officielle et la vérité vraie, il suffisait à chaque Français de voir autour de lui et en lui. Mieux encore le regard apaisé de l’histoire discerne-t-il que la France n’eut alors de volonté ni pour faire, ni pour empêcher, et qu’elle fut absente de l’œuvre accomplie en son nom. Les différences de caractère qui distinguent chaque province et l’inégalité des périls que la guerre apportait aux diverses régions mettent seulement une variété de détail dans l’ensemble des faits, partout semblable, et tout prouve combien il faut peu d’hommes pour mener les hommes.
Dans l’Alsace et la Lorraine, le changement du régime fut presque inaperçu. Où la défaite était l’invasion de la province, de la cité, du foyer, les épreuves devenaient si proches et si rudes qu’elles envahissaient à leur tour toutes les pensées, Changer de gouvernement n’importe guère à qui se demanda s’il lui faudra changer de patrie. L’angoisse encore règne, et règne seule dans les régions qu’atteindra demain la marche déjà commencée des vainqueurs en Champagne et dans l’Ile-de-France. Qu’importent les rivalités politiques entre Français et le remplacement des uns par les autres, si demain doit se substituer à tous, comme l’expulseur dernier et le maître durable, l’étranger ? On laisse Paris nommer les nouveaux fonctionnaires, dont plusieurs seront devancés par l’ennemi dans leurs postes : les regards ne se détachent pas du chemin par où est attendu l’envahisseur. Si les Français interviennent, c’est pour rendre justice au patriotisme des autorités qu’ils ont vues tout occupées comme eux de la défense, et souhaiter qu’elles soient maintenues. Ils pensent que si l’on révoque à cette heure et sur ce sol tragiques, les agens familiers avec le pays, ses habitans, ses ressources, on prive les populations envahies et la France même de l’aide la plus précieuse, soit pour obtenir de l’ennemi une occupation moins dure, soit pour aider d’avis sûrs les retours offensifs de notre armée[10]. La passion politique est importée par quelques administrateurs, qui ont obtenu un département en récompense de leur hostilité à l’Empire ; mais ceux-là ont conscience de n’être pas d’accord avec le sentiment général, puisqu’ils demandent à destituer dans toutes les municipalités les élus des communes et à choisir seuls les remplaçans[11]. La plupart des préfets au contraire, plus intelligemment républicains, comprennent que le nouveau gouvernement doit être fort, non contre la nation, mais contre l’envahisseur, et travaillent, au lieu de diviser les Français par la politique, à les unir par le patriotisme[12].
Autour de ces régions, d’autres moins immédiatement menacées, la Flandre, la Picardie, la Beauce, l’Anjou, le Maine, la Normandie, la Bretagne, se partagent la vaste plaine qui forme la France du Nord. Sur elle encore passe le frisson de la guerre comme un de ces souffles qui courent sans obstacle du Rhin à l’Océan ; aux armées aussi (elle se sait ouverte. Les bataillons de mobiles où est assemblée sa jeunesse font dans Paris ou autour de la capitale face à l’ennemi. Le cœur de ceux qui restent est avec ces absens. Il n’a jamais battu pour la politique. Matelots et paysans de ces races sérieuses ont un instinct commun de défiance contre cette puissance, pour eux occulte, décevante, hors de portée. Ceux du littoral n’attendent pas que nul gouvernement transforme le ciel rude, la terre pauvre et l’océan redoutable. Ils savent les élémens dont ils dépendent inaccessibles aux lois des hommes. C’est à l’auteur de la nature qu’ils se sentent soumis eux-mêmes : la conscience de l’infini qui sépare sa force et leur faiblesse leur a appris non la révolte, mais la prière. Et, comme si l’indigence de leur condition s’étendait à leurs espoirs, ces pauvres d’esprit, satisfaits pourvu qu’à risquer chaque jour leur vie ils trouvent le pain quotidien, sont les plus étrangers des hommes à l’orgueil et à l’envie révolutionnaires. Cette modestie de désirs dépose en leurs âmes, avec le courage et la patience, une richesse incorruptible comme le sel que l’Océan laisse sur leurs rivages. Et de même que la saine amertume est portée au loin dans l’intérieur des terres par les souffles nés sur les eaux, de même les vertus de la race maritime se répandent par les alliances, le voisinage et l’exemple, dans les populations rurales, et fortifient la sagesse que celles-ci apprennent du sol. En Bretagne, les landes maigres, qui s’étendent, comme une houle, et de la mer ont les brumes tristes et les tempêtes hurlantes ; dans les plaines flamandes et picardes, l’horizon bas, gris, pluvieux, la terre plate où la variété et le charme de l’existence rurale sont chassés par la monotonie mécanique et l’aide des exploitations industrielles ; dans la Beauce, l’uniformité d’une étendue sans abri contre les courans glacés de l’hiver, sans ombre contre les brûlures de l’été, déconseillent l’homme de vivre au dehors, où se prend la fièvre des nouvelles et des discussions. Cette nature lui rend plus cher le chez soi où, la porte close, règne la famille, où le calme sain du foyer fait saines et calmes les pensées.
Dans les herbages normands et les jardins de l’Anjou, autre est l’existence, grasse comme le sol. Là le calme des populations n’est plus, comme dans les régions rudes, une énergie qui, malgré les besoins, dompte les désirs, mais un bon sens calculateur qui tient conseil avec ses intérêts. Là le plus long entretien de l’homme est avec la terre. Elle le persuade que s’enrichir en la soignant est s’assurer presque tous les avantages de la vie ; que, pour cette gestion, il n’a pas besoin de tiers, et que plus ces tiers, fussent-ils députés ou ministres, s’occuperont de lui, plus sera envahie par des étrangers, souvent spoliateurs, cette indépendance où est la garantie la plus sûre de son avenir. C’est pourquoi il n’aime pas la politique, il se sent amoindri même par ce qu’elle promet. Son sens pratique goûte les biens acquis plus que son imagination n’est éprise des biens annoncés par les novateurs, surtout socialistes. Il ne veut pas cesser d’être le maître qui travaille à son heure, mange à sa table et dort sous son toit, pour devenir le valet qui ne choisit plus ni sa tâche, ni sa destinée, ni son repos. Il calcule enfin que toute solution de continuité dans le pouvoir est une brèche ouverte à l’inconnu. C’est pourquoi il n’aime pas la révolution. Cette méfiance instinctive avait été fortifiée dans le populaire, par les classes plus aptes à se former une opinion réfléchie sur les affaires d’Etat : par la bourgeoisie active et riche, qui dominait dans les régions du Nord et ressentait dans ses intérêts tout amoindrissement de l’ordre ; par la noblesse qui, surtout en Bretagne et en Anjou, gardait encore un prestige de tradition et abhorrait dans la République les souvenirs de la Terreur. Ainsi rudesses et faveurs de la nature ont formé à l’équilibre stable du caractère ces populations si différentes. En toutes la raison est froide, le sang calme, l’action lente. Entourées de cette atmosphère, les grandes cités elles-mêmes, Lille, Amiens, Rouen, Le Havre, Nantes, Angers, demeurent en ordre. En vain parmi leurs masses ouvrières les doctrines explosives ont été répandues : dans la sagesse ambiante, la poudre fuse sans éclater. La révolution n’a pas été faite, mais supportée, par cette France silencieuse et réfléchie[13].
Protégée au Nord contre l’invasion par le cours de la Loire, les halliers de la Bourgogne, le plateau de Langres, les Faucilles et Belfort, limitée au Sud par l’estuaire de la Gironde, le cours de la Dordogne, les sommets méridionaux de l’Auvergne et des Alpes, s’étend, de l’Océan à la Suisse et à l’Italie, une autre France. Le sol monte d’un mouvement général vers le Sud-Est. Depuis les régions à demi submergées du marais Vendéen et les plaines de la Sologne aux eaux stagnantes, il s’élève aux collines du Poitou, du Berry, du Nivernais ; celles-ci contournent de leurs assises les plateaux tourmentés du Limousin, de la Marche, du Bourbonnais, eux-mêmes contreforts du plateau central qui domine par ses plus hauts remparts les plaines du Midi. Ces altitudes, coupées d’une longue et large brèche, s’abaissent par les pentes brusques des Cévennes jusque dans la vallée du Rhône, mais pour se relever sur l’autre rive du fleuve et monter plus haut encore, aux plus grands sommets de l’Europe. C’est aussi de l’Europe la région qui rapproche et étage dans le plus étroit espace les variétés les plus diverses de relief, de nature et de produits : là se touchent et se superposent toutes les sortes de travail, depuis les prisons souterraines des mines jusqu’au parcours pastoral des montagnes. Cette diversité de la nature et des existences marque sa trace dans le caractère des populations.
Sur les rivages de la Vendée et de la Saintonge, les pêcheurs et les paysans connaissent les mêmes périls de la mer et la même ingratitude de la terre que ceux de Bretagne, demandent aussi peu à la vie et attendent aussi peu du pouvoir. La résistance à l’étranger occupe tout leur courage, mais le souvenir de la guerre civile que leurs pères soutinrent sur le sol natal, contre « les Bleus » proteste encore contre la République[14]. Plus étrangers à ces passions, les paysans de la Sologne, solitaires des étangs et des bois, non seulement n’ont pas de prise sur les affaires générales, mais le plus souvent les ignorent. Dans le jardin de la Touraine c’est la libéralité plénière de la nature, l’air apaisé, le ciel doux, la terre féconde d’aspects comme de produits, une beauté faite de richesses et une richesse faite de beautés : là, comme le dit la langue populaire « la plaisance du pays » a poli depuis des siècles le caractère des hommes à la douceur des choses. Le calme des volontés, au lieu d’être une énergie dominatrice de ses épreuves, est une mollesse assise en ses satisfactions et peu disposée à les troubler d’un effort, fût-ce pour les défendre. Entre ces populations et les plus semblables à elles dans le Nord, la différence est comme l’inégalité de la lumière, là-bas plus voilée et plus rare, ici plus active et rayonnante, qui là-bas éclaire seulement, ici colore et à sa clarté môle de la chaleur. Ici les hommes se recherchent davantage pour échanger des impressions et des nouvelles. Mais, tempérés comme leur climat, ils ont à la fois de la curiosité et de l’indifférence, plus soucieux de connaître les événemens que de les dominer : la révolution ne trouve parmi eux ni amis ni opposans.
Elle a un parti plus nombreux et plus actif dans la région voisine qui, du Périgord à la Franche-Comté, décrit par le Limousin, le Berry, le Nivernais, la Bourgogne et le Bourbonnais son grand arc de cercle autour du plateau central. La Franche-Comté, plus proche de l’invasion, est le moins occupée de politique. Dans la Haute-Saône, un seul désir se formule, inspiré par le souci de la défense : Vesoul demande qu’elle ne soit pas interrompue par des changemens de personnes[15]. La province n’a qu’une grande ville, Besançon où l’horlogerie emploie beaucoup d’ouvriers et qui est représentée au Corps législatif par un républicain, Ordinaire. Même là, le patriotisme impose silence à la révolution. Jusqu’au 8 septembre, aucune violence n’est tentée contre le préfet, et il offre de mettre à la raison « la minorité turbulente, » grâce à la garde nationale « dont il est sûr[16]. » La réponse est un décret qui nomme Ordinaire préfet du Doubs. Il était naturel que le gouvernement ne risquât pas un conflit pour maintenir le préfet de l’Empire : mais le calme de la ville attendait la décision de Paris.
La Bourgogne, dans ses trois départemens, a trois expressions politiques, et partout les villes y pensent autrement que les campagnes. Dans l’Yonne, aux nouvelles de Paris, le conseil municipal d’Auxerre, composé de républicains, répond par une adhésion publique, ardente, et c’est parmi ses membres que le gouvernement choisit le préfet : mais celui-ci pour gouverner comme le souhaite la ville, réclame « plein pouvoir » de changer les maires dans tout le département[17]. Dijon était une capitale de bourgeoisie à l’humeur aimable et aux mœurs policées, assez exaltée d’esprit pour être frondeuse, trop douce de goûts pour être révolutionnaire. Elle avait accommodé ces dispositions en portant au conseil municipal des hommes de professions libérales, de bonne compagnie et se croyait garantie par la correction des allures contre l’outrance des doctrines. De même elle avait choisi pour député Magnin, comme un libéral de belle humeur et non comme un chef de démagogues. Mais le 4 septembre, Magnin devenant ministre, mettait ses amis en demeure de manifester leur confiance à leur élu par leur ardeur républicaine. Toute ville de 50 000 habitans compte assez de déclassés et de badauds pour accueillir, par quelque tumulte de rues, un changement de gouvernement ; grâce à eux le conseil municipal pouvait se montrer dur aux représentans du pouvoir vaincu ; chasser de Dijon les hauts fonctionnaires de l’Empire, était rendre vacans des emplois que les principaux du conseil municipal se croyaient aptes à occuper, que le ministre les aiderait à obtenir ; et pour s’assurer honneurs, influence et gain, il n’est guère de modérés qui ne devinssent violens. Le conseil télégraphie, dès le 4 septembre au soir, que « composé de démocrates et ayant la confiance de la population » il s’est « emparé des fonctions publiques. » et « installé par délégation à la préfecture, » d’où il lance ses ordres aux fonctionnaires et met le procureur général « à la porte de son parquet[18]. » Le gouvernement confie aussitôt à l’un de ces délégués l’administration de la Côte-d’Or. Mais celui-ci, en déclarant que « la République a été acclamée avec enthousiasme par la population des villes, » ajoute : « les campagnes sont plus froides[19]. »
Mâcon était, moins encore que Dijon, une ville révolutionnaire. Mais tandis que la population de la Côte-d’Or était toute agricole, en Saône-et-Loire prospéraient les plus importantes des industries métallurgiques et minières qui, de plus en plus pressées, forment, du Cher et de la Loire aux portes de Lyon, « la région noire. » La principale cité du département était le Creuzot, une usine devenue une ville. Des centres ouvriers comme Montceau grandissaient, plus importans que les sous-préfectures. De même les idées et surtout le tempérament des prolétaires tendaient à dominer de leur violence brutale la modération des bourgeois libéraux, et l’audace des démagogues était excitée par les influences de Lyon. Ils mirent à profit la première heure pour s’imposer, et partout la similitude de leurs procédés et de leur langage prouva un concert établi d’avance. Le conseil municipal de Mâcon était composé de libéraux ; dès qu’il apprit les nouvelles de Paris, il proclama dans la soirée du 4 septembre la République. Le préfet aussitôt donne sa démission et disparaît. Il n’y a donc nulle résistance à vaincre, quand un groupe de meneurs entraîne la foule vers la préfecture qu’il veut envahir. Le poste de garde, fourni par le 73e de ligne, croise la bayonnette. La poussée de ceux qui suivent jette ceux qui précèdent sur la pointe des armes, dans la bagarre quelques-uns sont blessés, un mobile mortellement. La surprise de ce malheur et la crainte de la foule livrent le conseil à ceux qui souillent la violence populaire. Ils obtiennent de lui qu’il réclame du gouvernement le départ immédiat du 73e. Le général, ainsi désavoué par la municipalité, donne sa démission. et comme la force militaire, faute de chef et d’ordres, demeure inerte, les démagogues pénètrent enfin dans cette préfecture qu’ils ont voulu envahir pour y rester maîtres. Une vingtaine d’hommes à qui personne n’a donné mandat, s’y transforme en « comité départemental provisoire » et se superpose ainsi au conseil municipal qui se laisse annuler. A Autun, de même, les révolutionnaires, écartés par les élections dernières, se substituent à la municipalité choisie par la ville, et celle-ci, pour toute résistance, demande au gouvernement si les élus de la population « doivent céder la place à ceux qui veulent la prendre. » Au Creuzot le conseil est démocrate, mais pas assez pour la minorité la plus ardente. Elle forme un « comité républicain » qui d’abord a « délégué deux de ses membres pour assister à la réception de toutes les dépêches » et qui ensuite annule le conseil municipal, en n’agréant que six des conseillers élus et en leur adjoignant quatorze ouvriers ou négocians que le suffrage universel n’a pas nommés, que le « comité » désigne seul[20]. Et la masse des ouvriers accepte comme une victoire cette élimination des hommes qu’elle a choisis il y a moins d’un mois, et le remplacement de ses élus par des non-élus qui s’imposent au nom d’un comité non élu. Or, ces mandataires du parti avancé ont pris possession de l’autorité provisoire pour s’accréditer auprès du gouvernement, lui donner des avis qui aient l’apparence de la volonté publique, et obtenir un préfet qui, devant son pouvoir à leur initiative, consacre leur usurpation. Dès le 6 septembre, « les membres composant la commission départementale provisoire demandent que le citoyen Boysset, ancien représentant de Saône-et-Loire, qui jouit d’une grande considération et peut exercer une grande autorité morale soit immédiatement nommé préfet de Saône-et-Loire. » Le 8, ils renouvellent l’instance impérieuse, tandis que, sans plus de pouvoirs et avec la même unanimité, des groupes semblables transmettent, des villes secondaires à Paris, « le vœu du département. » Même hors du département ils agissent : les « délégués » du Creuzot se rendent à Dijon et, après les avoir entendus, le préfet de la Côte-d’Or avertit le gouvernement qu’au Creuzot la question devient « sociale, » le péril « grave » et propose Boysset comme le modérateur nécessaire[21].
Mais le gouvernement se souciait peu d’être représenté par des hommes capables de s’appuyer sur leur propre force pour le servir ou pour lui résister. Il préférait qu’ils eussent son choix pour titre unique auprès des populations, et qu’ainsi leur docilité fût sans réserve ou leur destitution sans embarras. Moins qu’ailleurs, dans une contrée où la menace de la guerre sociale aggravait les difficultés politiques, voulait-il remettre le pouvoir à un favori des. prolétaires, à un mandataire qui prétendrait l’indépendance d’un arbitre, et qu’on ne pourrait déposséder sans en faire un adversaire dangereux. C’est pourquoi le préfet nommé fut un professeur d’opinions violentes, mais étranger au pays, Frédéric Morin. L’accueil fait à ce choix prouva combien, même où les révolutionnaires étaient le plus disciplinés et le plus ardens, il y avait de l’artifice dans leurs agitations et de la faiblesse derrière leurs audaces. Nulle part, pas même au Creuzot, ils ne se sentirent capables de lutter contre la passivité obéissante qui partout les submergeait, et leur chef, Boysset, ne fut, au lieu d’un séditieux, qu’un mécontent.
La force de la révolution était plus redoutable dans la Loire, la contrée de France où les usines, drues comme les épis d’un champ, paraissent le principal fruit de la terre. Là n’étaient guère d’habitans qui ne dépendissent plus ou moins de ces industries. échappassent tout à fait à la propagande prolétaire, et les ouvriers, surtout nombreux à Saint-Etienne, se trouvaient bien placés pour faire la loi aux autorités qui de cette ville gouvernaient le département. Les élections municipales venaient de porter aux affaires un conseil acquis à la république de l’Internationale. Le soir du 4 septembre, les représentans de Saint-Etienne marquèrent ce qu’ils espéraient du nouveau régime, en arborant sur l’Hôtel de Ville le drapeau rouge. Ni le préfet impérial qui déclarait lui-même « sa situation intolérable » et demandait un successeur, ni le général qui n’osait hasarder un conflit entre ses quelques soldats et la multitude ne s’opposèrent à rien. Sauf que les couleurs nationales furent respectées, à Roanne le Conseil municipal, mandataire du même parti, se trouva poussé par les mêmes passions : tenant les fonctionnaires comme destitués, il désigna trois membres pour gouverner l’arrondissement. Ce pouvait être l’anarchie pour peu que l’exemple se propageât. Le député de Saint-Etienne, Dorian, était ministre. Le préfet nommé dès la matinée du 5 septembre fut de sa main et habilement choisi, si donner le change aux passions était les dompter. Pour obtenir l’obéissance des révolutionnaires dans une de leurs places fortes, il fallait que le préfet fût lui-même un homme de révolution. La seule qui intéressât vraiment les prolétaires était la révolution sociale. Mais c’était celle que les bourgeois du 4 septembre voulaient le moins favoriser. M. Dorian, maître de forges, était, par son avenir de patron, attaché à la vieille organisation de la propriété, autant que, pour son avenir de politique, il devait se montrer impatient de grandes réformes. Sous l’Empire, son journal, l’Eclaireur, avait distrait les ouvriers de leurs intérêts par des colères, et dénoncé comme ennemis, au lieu du patron, le soldat et le prêtre. Le rédacteur, César Bertholon, franc-maçon et sectaire, satisfaisait ses propres rancunes à exciter celles du peuple. Bien qu’il n’offrît rien aux pauvres sinon de la haine, il leur avait donné la soif de ce poison amer et passait pour leur ami. C’est cet homme qui fut nommé préfet. Sa première dépêche annonça que, dès le 5 septembre, il a « dissous conseil général dont l’esprit était hostile à la République et antipathique à la population. Le nouveau conseil départemental composé d’hommes sûrs et dévoués. Présence jésuites irrite population et peut causer désordre. Consulter Dorian. On demande expulsion, que faut-il faire ? » Moins pressé d’enlever le drapeau rouge, il promet de s’en occuper « demain. » Ainsi s’annonce la série de dérivatifs violens qui, pour éviter les agitations sociales, va précipiter les représailles politiques, et livrer tout le pouvoir aux républicains démagogues. Mais ce n’est pas que, même dans la Loire, ceux-ci lui semblent être la majorité. « L’esprit des campagnes est ce qu’il était avant le 4 septembre. Elles ignorent tout et sont entretenues dans l’erreur par les cléricaux et les fonctionnaires impérialistes. Pour obtenir l’ordre, il a fallu suspendre beaucoup de maires. Les paysans croient sur parole quiconque représente le gouvernement. Tant qu’ils seront sous l’influence des ennemis de la République, ils seront un obstacle. Ils ne croiront au changement de régime qu’en voyant un changement de fonctionnaires… En résumé : Arrondissement de Saint-Etienne esprit excellent, — Roanne divisé, — Montbrison tout clérical[22]. » Donc il ne s’agit pas d’obéir à l’opinion générale, il s’agit de la soumettre à la minorité maîtresse de Saint-Etienne et de soumettre cette minorité socialiste à une oligarchie républicaine et bourgeoise.
Dans le Berry, le Nivernais et le Bourbonnais, la révolution n’a pas de capitale, mais elle est semée jusque dans les sillons des laboureurs. Les usines, moins juxtaposées, sont encore nombreuses, répandues à travers la campagne et mêlent les travaux et les désirs des ouvriers aux habitudes et aux passions des paysans. Ceux-ci n’ont pas l’âme patiente de leur race. Dans leur pays, plus qu’ailleurs, les grandes propriétés se sont maintenues, le plus souvent prises à bail par des fermiers, qui les sous-louent en détail aux habitans devenus des colons. Ce régime tient inconnus l’un à l’autre le maître et le cultivateur de la terre, prend à l’un et à l’autre, en faveur d’un tiers qui ne la possède ni ne la travaille, une part de ce qu’elle produit, et, tout en donnant moins au propriétaire lointain, excite dans l’âme des ouvriers agricoles, quand ils comparent leurs difficultés de vivre à la valeur des immenses domaines, une envie facile à transformer en désir de partage. Ouvrière et rurale, les deux populations voyaient ensemble, dans la différence de leurs conditions, l’égalité de leurs misères, et s’apprenaient l’une l’autre à détester davantage l’injustice universelle. Elles y étaient encore instruites, depuis la Révolution française, par plusieurs familles de bourgeoisie, transfuges de leur classe, et qui avaient employé le prestige de leur fortune, faite parfois de biens nationaux, et les ressources d’une intelligence cultivée à détruire dans le peuple la résignation à son sort. Dès le milieu du siècle, ces instituteurs héréditaires des haines sociales, les Massé, les Turigny, les Gambon, avaient assez d’influence pour envoyer, pour représentans aux Assemblées, Michel de Bourges tribun parfois superbe, Félix Pyat rhéteur sanguinaire et prudent, Gambon courageux et fanatique. Domptées sans être détruites par l’Empire, les passions s’étaient enhardies dès qu’il sembla moins fort. D’exil, Pyat gardait son influence à Vierzon ; en 1869, Bourges avait élu le meunier Girault ; le 24 avril 1870, Gambon avait à Argenais près Cosne donné exemple d’une révolte rurale et était poursuivi pour « attentat à main armée contre un gouvernement établi. » Le 4 septembre, les révolutionnaires, s’ils ne sont pas groupés dans une grande ville, sont répandus dans les petites cités de la province et jusque dans les villages. Dans le Cher, Girault apparaît dès le 5 septembre envoyé comme commissaire par le Gouvernement : sa nomination semble une garantie pour les démagogues et les tient en repos. Dans la Nièvre ils agissent : à Cosne, Gambon saisit l’autorité et « décrète à tort et à travers[23] ; » à Château-Chinon, le premier conseiller municipal prétend que le sous-préfet lui cède la place ; à Clamecy, une commission municipale qui s’est élue destitue de sa propre autorité le maire et le sous-préfet[24]. Dans l’Allier, Mathé tente l’invasion de la préfecture. A Moulins sa liste, il n’y a pas un mois, réunissait 250 voix contre 2 200 obtenues par des candidats modérés : qu’importe ? Un vrai révolutionnaire ne se soumet pas à la volonté publique, il la soumet. Mais ces tentatives ne recrutent et ne meuvent que quelques groupes. Elles échouent contre l’inertie générale. Même ces populations gardent la prudence paysanne, se dérobent aux risques, et attendent : le gouvernement du 4 septembre n’a rien à craindre d’elles. Libre, il ne remet l’autorité à aucun des socialistes agraires qui ont voulu la prendre : Mathé n’entre pas plus à la préfecture de Moulins, que Massé à celle de Ne vers ; Gambon obtient pour toute faveur qu’on arrête l’instruction commencée contre lui ; Girault lui-même, impuissant à empêcher que le seul candidat dont il ne veuille pas devienne préfet du Cher, donne sa démission. Ces disgrâces de ceux qui semblaient les maîtres du peuple n’excitent pas même une rumeur de ce peuple. Il n’a vraiment qu’un maître, l’État. L’Etat lui donne pour conducteurs à Moulins un médecin de Paris, à Nevers et à Bourges deux avocats du pays, Girerd et Louriou, républicains déclarés, et qui, sous le nom de la République, veulent assurer le pouvoir à leurs amis, mais non appeler au partage des biens les multitudes. Semblables aux grands troupeaux qui ne choisissent pas leurs bergers et, en quelques mains que soit le bâton du pâtre, se laissent conduire, ces multitudes suivirent dociles les chois désignés par le gouvernement.
L’anarchie morale qui, sous l’obéissance, germe dans ces provinces ne s’étend pas au Limousin. Là, presque toute la population est paysanne, attachée à son sol, à son existence bien que dure, et ne se soulève ni contre son sort ni contre le pouvoir. Elle a constamment nommé des mandataires dévoués à l’Empire. Mais une industrie est concentrée à Limoges avec la fabrication de la porcelaine, et l’importance des ateliers qui donnent à la ville sa population et sa richesse font de Limoges une cité ouvrière. Ces travailleurs étaient sous l’influence de la société internationale, le conseil municipal était leur élu. Ses propres passions et celles de la foule éclatent ensemble : le 4 septembre, il saisit tous les pouvoirs. Trois de ses membres sont délégués à la mairie, cinq à la préfecture. Ces cinq désignent aussitôt le préfet qu’ils veulent, et, symbole de la facilité avec laquelle ce parti parle au nom du peuple, le délégué qui notifie ce vœu à Paris signe « pour le Conseil municipal tout entier » et, en proposant le candidat, le déclare attendu par « l’unanimité de la population[25] » Ce candidat, Georges Perrin, est un journaliste qui a quelque temps rédigé à Limoges le Libéral du Centre et qui a grossi à Paris le groupe des jeunes « irréconciliables. » Le gouvernement, trop heureux que là, comme à Saint-Etienne, une population socialiste se contente d’un préfet ardemment ré publicain, nomme le jour même préfet Georges Perrin, qui obéira à la ville et fera obéir les campagnes.
Agricole comme le Limousin, et sans grandes villes, la Dordogne a toutes les raisons d’être paisible, et le serait partout, si elle ne formait les confins où la moyenne France touche la France méridionale et où commence une autre race. Périgueux avait, aux élections du 10 août, nommé une municipalité d’opposans, et, sans s’arrêter à la fadeur des nuances moyennes, s’était ralliée aux couleurs violentes. Le premier élu avait été le docteur Gilbert, partisan et ami de Rochefort. La même fortune qui, le 4 septembre, a porté le pamphlétaire au gouvernement porte, dès le 5, le médecin à la préfecture de la Dordogne. La première dépêche du nouvel administrateur est pour envoyer « une poignée de main » au nouveau maître de la France, puis il résume sa politique par ces mots au ministre de l’Intérieur : « Ne faites rien dans la Dordogne sans consulter Rochefort[26]. » Il semble qu’il ait dès le début poussé l’audace des opinions assez loin pour être en avant des plus purs. Mais qui jamais fut pardonné par ses rivaux de leur prendre leur place, même en y portant leurs idées ? Or, à Périgueux, un ancien représentant de 1848, le « citoyen » Chavoix, s’est mis par dépêche à la disposition du « citoyen ministre, » il « attend »[27]et un avocat, Louis Mie, s’agite, dont la parole échauffe depuis plusieurs années la démagogie locale. Une seule ville est trop petite pour contenir, ces trois importances. Avant la fin d’une semaine, les deux républicains sans emploi sont unis-contre celui qu’on leur a préféré et Chavoix transmet au gouvernement, comme « votée en réunion publique et aux acclamations unanimes de plus de 6 000 citoyens » la demande que le docteur Guilbert et Louis Mie « partagent l’honneur et le fardeau de l’administration, à pouvoir égal, dans le département de la Dordogne[28]. » Deux consuls, c’est presque Rome ; une assemblée de six mille citoyens à Périgueux, c’est déjà la Gascogne. Le gouvernement n’accorde rien à leur unanimité, et des six mille pas un ne se lève pour réclamer à Gilbert la part de Mie.
Plus à l’Est commence, avec la région des moyennes et des grandes montagnes, la sérénité des hauteurs. Les villes elles-mêmes, enveloppées de cette atmosphère, n’ont pas de tumulte. Les élections du 10 août viennent d’y donner le pouvoir à des municipalités libérales et modérées. A Clermont, capitale de l’Auvergne, l’avocat Bardoux, le premier élu, nommé maire par l’Empire, transmet, le 5 septembre, au nouveau gouvernement le désir des plus audacieux : dans le pays de M. Rouher, le conseil général est bonapartiste, eux souhaitent « une commission départementale républicaine[29], » mais ils ne le veulent qu’avec la permission de Paris. A Aurillac, les retards du préfet impérial à annoncer la révolution, ses refus de contresigner les actes du nouveau régime n’excitent aucun désordre dans la rue. Le conseil municipal, suppléant à cette passivité, proclame et affiche, sans réclamer la destitution de ce fonctionnaire. C’est seulement après cinq jours qu’il « adjoint trois de ses membres à l’administration départementale pour aviser aux mesures de salut public et de défense nationale[30]. » A Mende, c’est le chef du parti libéral, le docteur Th. Roussel qui télégraphie : « Si le préfet de la Lozère n’est pas nommé, prière d’attendre l’arrivée d’une lettre adressée par cercle patriotique pour motiver, dans intérêt de défense nationale, le maintien du préfet actuel[31]. » A Privas, la municipalité a nommé une commission départementale que préside un ancien député de 1848, Gleizal : lui-même atteste la tranquillité universelle, sollicite un préfet étranger au département et conclut par ces mots « Armez le pays[32]. » Au Puy, où la municipalité est bonapartiste[33], c’est le préfet impérial qui prend l’initiative des mesures révolutionnaires, s’adjoint, pour l’administration du département, « un comité d’hommes connus pour leurs opinions libérales et républicaines » et, d’accord avec eux, propose « d’adjoindre pareillement au conseil municipal du Puy un comité consultatif de huit membres[34]. » Ce préfet impérial, plus républicain que son département, ne semble pas assez républicain à Paris. Il est remplacé par un homme que l’on envoie de la capitale convertir la contrée. Dès l’arrivée de ce nouveau venu, Béhaguel, la municipalité conservatrice fait, le 12 septembre, « adhésion au gouvernement de la République[35], » et, grâce à lui, les progrès coûtent si peu que, dès le 17, « le comité républicain et un grand nombre d’habitans » jugent cette adhésion insuffisante et « demandent la dissolution du conseil municipal et la révocation du maire[36]. » Le préfet continue son œuvre républicaine jusqu’au jour où les papiers des Tuileries apportent la preuve qu’il a été lui aussi un agent de l’Empire. Le gouvernement le révoque et, pour n’être plus trompé, le remplace par Henri Lefort, républicain jusqu’au socialisme. Sous le socialiste éprouvé, comme sous le faux républicain, comme sous le bonapartiste, le département obéit toujours et ne change pas.
Cette placidité de l’Auvergne se retrouve dans les Alpes. Elle règne en Savoie, pays d’agriculture, aux villes de vieille bourgeoisie, et qui s’était donnée dix années auparavant à l’Empire autant qu’à ta France. A peine à Saint-Julien et à Bonneville, sous l’influence des révolutionnaires genevois, trouve-t-on l’avocat, le docteur et le pharmacien nécessaires pour constituer des commissions provisoires et tenter quelques tumultes[37]. A Annecy, personne ne descend dans la rue que les curieux de nouvelles, rien ne se meut que le clavier du télégraphe, pour les solliciteurs de places. La passivité est telle que le gouvernement la peut mettre à l’épreuve. Il a, dans la confusion des premiers jours, donné à la fois la préfecture d’Annecy à deux républicains, l’un Philippe réside dans le département, l’autre Louis Jousserandot arrive de Paris. Celui-ci trouve l’autre installé déjà et ; pendant deux jours, les deux préfets, qui ne songent pas comme en Dordogne à gouverner ensemble, se disputent la place. Un conflit qui laissait incertaine l’autorité eût offert une rare facilité de troubles aux factions d’une ville ardente. Annecy supporte l’épreuve sans connaître même la tentation, entre les deux rivaux demeure patiemment neutre jusqu’au moment où Jousserandot, nommé ailleurs, rétablit par son départ l’unité des pouvoirs[38]. A Chambéry, capitale de la province, la République compte en si petit nombre ses amis de la veille que le Conseil municipal ne proclame pas, le soir du 4 septembre, le nouveau gouvernement. Il faut que des particuliers prennent, au milieu de l’abstention générale, l’initiative de le reconnaître. Leur comité compte un seul élu du suffrage universel, un conseiller général : tous les autres membres n’ont mandat que d’eux-mêmes. Et d’autre part la population est si inerte que cette poignée d’hommes, sans opposition de personne, s’installe à la préfecture, se déclare Commission départementale, demande à Paris des instructions, en attendant, requiert le concours de l’autorité militaire, envoie dans les sous-préfectures des délégués pour prendre la place des sous-préfets, et réclame la destitution des magistrats[39]. Elle a à sa tête un ancien préfet de la République, Guiter. Nommé préfet de la Savoie, il est le seul préfet de France qui ait l’expérience de ses fonctions, il sait donc obéir ; chef des démocrates savoisiens, il les satisfera en les faisant obéir eux-mêmes ; eux et lui enfin sont assez peu nombreux pour tirer toute leur force de celle que le gouvernement leur donne. De même dans les Hautes-Alpes, ou le chef des démocrates Cyprien Chaix, nommé préfet, reconnaît que « le parti républicain est peu nombreux[40]. » Dans les Basses-Alpes, jusqu’au 10 septembre, le préfet impérial reste, oublié par le gouvernement, supporté sans aucune impatience par la population. A son départ seulement, un avocat de Digne, Paul Cotte, sent s’éveiller en lui l’énergie républicaine : il s’empare de la demeure vide, escorté de sept personnes, un conseiller général, un propriétaire, un conducteur de trains, un vétérinaire, un ouvrier tisseur, un serrurier, un charron ; les institue « commission départementale » pour administrer le département ; convoque les fonctionnaires ; leur signifie qu’il « se constitue révolutionnairement préfet provisoire, » et les menace de révocation immédiate s’ils ne reconnaissent, séance tenante, cette « dictature révolutionnaire, » comme il la qualifie lui-même. Les fonctionnaires déclarent reconnaître le gouvernement du 4 septembre, mais demandent s’il a lui-même reconnu ce dictateur bas-alpin, faute de cette preuve résistent, en appelant au conseil municipal comme au représentant régulier de l’opinion. Celui-ci, soutenu par eux, essaie de contenir la commission départementale, qui persiste à siéger au nom d’un peuple toujours absent, soit pour la soutenir, soit pour la chasser. C’est au dehors qu’elle trouve des partisans : le 13 septembre, Paul Cotte fait afficher une dépêche envoyée par « l’administration supérieure de Marseille au Président de la commission révolutionnaire à Digne. — Votre devoir est d’imposer la République. Tout citoyen qui transgresse vos volontés sera traité en ennemi de la République. » Les fonctionnaires continuent à ne pas reconnaître le dictateur, et protestent par dépêches auprès de leurs ministres, le secrétaire général de la préfecture, qui est resté à son poste, télégraphie à l’Intérieur : « La soi-disant commission départementale, réduite à trois ou quatre hommes, par le départ du peu d’hommes raisonnables qu’elle renfermait, entrave de la façon la plus absolue tous les services publics, et en particulier le service de la guerre et le service financier. Toutes les patiences sont à bout. Envoyez un préfet de suite. » Le préfet n’arrive que plusieurs jours après, et se trouve, dès son arrivée, « seul maître dans le département[41]. » Malgré les provocations, les conflits et le langage incendiaire, le feu ne prend pas dans ces neiges.
Le Dauphiné est moins calme. Grenoble avait envoyé au Corps législatif un député d’opposition et le conseil municipal était républicain. Ce n’était pas assez pour une partie des habitans, prolétaires avec les ouvriers gantiers qu’employait la principale industrie de la ville. Vogeli, ancien vétérinaire de l’armée, homme d’intelligence et de commandement, qui enseignait par son journal le Réveil la guerre au gouvernement et la discipline contre l’ordre, Aristide Key, propagateur de libre pensée, d’enterremens civils, et qui faisait de l’irréligion une religion, étaient les plus connus des meneurs révolutionnaires. Quand ils apprirent la révolution de Paris, ils voulurent qu’à Grenoble elle mît en leurs mains le pouvoir. Le conseil municipal venait de proclamer la République, ils l’entourent de bandes hurlantes, lui signifient qu’à une ère nouvelle, il faut des hommes nouveaux ; que ces hommes nouveaux sont eux-mêmes, ils se font un titre de ce que le suffrage universel, asservi par l’Empire, ne les a jamais élus. Le conseil s’intimide et cède à une « commission municipale » que les meneurs ont choisie. Le même procédé est employé contre la préfecture et avec un égal succès : le préfet se retire devant une « commission départementale » où les meneurs se nomment eux-mêmes. Tels sont les pouvoirs qui se disent « spontanément constitués par la population[42]. » Aussitôt ils révoquent les sous-préfets, donnent des ordres à tous les fonctionnaires, et instituent comme un service public « l’association républicaine, » qui ouvre des clubs permanens dans plusieurs quartiers de Grenoble : elle tient sous pression la foule, de sorte que celle-ci soit toujours prête quand les meneurs auront besoin d’invoquer la volonté générale[43]. La machine révolutionnaire joue si bien que le gouvernement de Paris juge qu’il y aurait imprudence de choisir pour le représenter un de ceux qui la manœuvrent. Ils seraient plus maîtres que lui. Pour les contenir sans rompre avec eux, et subordonner à sa puissance leur autorité locale, il leur envoie de Paris un préfet.
Dans cette région centrale entre le Nord et le Midi, où, par la rencontre des climats et le mélange des races, se l’orme l’expression moyenne de la France, toutes les diversités de la politique semblent répandues à l’aventure et juxtaposées par hasard. Dans le désordre apparent de ses contradictions est néanmoins caché un certain ordre. D’abord la politique ne fait que de loin en loin quelques petites taches de fermentation parmi les vastes étendues d’inertie. Ensuite elle n’émeut guère que les villes et, dans les villes, les populations ouvrières. Enfin, au-dessus d’une certaine altitude, elle n’agite même pas les villes, elle est une plante de plaine qui meurt dans les montagnes.
La raison de ces faits apparaît aussi visible qu’eux. Dans les plaines, sur les bords des fleuves, aux croisemens des vallées, sont les chemins des peuples et les marchés des échanges et, avec les facilités de la vie, les vastes sociétés des hommes. Où ils vivent réunis, toute nouvelle a des curieux, tout événement une assemblée, chaque émotion frémit en tous, et la politique est une forme ; de cette vie générale où l’individu devient l’atome d’une puissance collective. Dans les cités, gloire de l’homme, où tout parle de lui seul, où l’œuvre de ses mains dompte et cache l’œuvre de la nature, l’orgueil de l’intelligence crée la foi que cette intelligence par ses combinaisons peut créer tout, même le bonheur. La confiance dans cette efficacité illimitée et soudaine obsède surtout les imaginations dans les cités où le travail attire et entasse les ouvriers, où la matière, soumise à, la pensée, prend toutes les formes et tous les usages prévus et ordonnés par le calcul. Les témoins et les acteurs de ces métamorphoses continues s’accoutument à adorer la toute-puissance de la raison, s’attendent qu’elle dompte les misères et les iniquités sociales comme les résistances des corps inertes. La certitude qu’elles peuvent être réformées sans délai, par la volonté, révolte les prolétaires contre les épreuves de la vie, comme si la patience était une lâcheté. Et dans leurs multitudes, que leur travail même tient toujours assemblées, toute étincelle tombe sur un foyer d’incendie : espérances et colères s’allument les unes aux autres et grandissent en confondant leurs flammes.
Au contraire, dès que l’homme est hors des cités, des ateliers et des usines, il retrouve la nature que lui cachaient les œuvres de pierre et de fer. Les paysans sont, par les nécessités de l’œuvre agricole, dispersés sur la surface du sol qu’ils cultivent : dans cette solitude où s’éteignent les rumeurs des villes et le souffle haletant des usines, l’homme entend moins la voix des hommes et mieux celle de la terre. Elle lui enseigne la sagesse de peu compter sur autrui, la collaboration nécessaire du temps dans toute fécondité et la philosophie de la patience. A mesure qu’il vit plus haut dans les montagnes, la fertilité décroissante du sol l’oblige à occuper plus de ce sol pour vivre. Il est défendu par l’espace contre la contagion de fièvres intellectuelles qui sévissent dans les masses populaires, il voit mieux, dans les étendues qu’il domine et que son regard parcourt, la petitesse de la place occupée par les plus puissantes industries, par les plus vastes villes, quelle trace grêle et peu profonde les mains humaines impriment sur la masse énorme de la nature, et combien, malgré elles, demeure immuable la face du monde. Il contemple sans cesse les victoires des choses sur l’homme, et il ne compte pas sur la plus incertaine et la plus fragile de ses œuvres, la politique, pour vaincre la puissance d’inertie que les lois permanentes de la vie opposent aux lois improvisées des foules.
Voilà pourquoi les régions du Limousin, du Berry, du Nivernais, du Forez, de la Bourgogne, où le trésor souterrain des mines s’ajoute à la fertilité du sol, où un filon de richesse, divers dans sa nature mais ininterrompu dans sa fécondité, attire, emploie et fixe, par masses épaisses, les travailleurs du kaolin, de la houille, du fer, de l’acier, du verre, de la soie, connaissent à la fois la fièvre industrielle et politique. Voilà pourquoi, au sud de ces régions agitées, les pentes agricoles et les hauteurs pastorales de l’Auvergne et des Alpes portent jusqu’aux frontières du Midi le climat, le silence et la gravité du Nord. Ainsi dans la moyenne France, qui sépare les deux autres et que leur influence se dispute, le Nord se continue encore par les montagnes, et par les plaines s’annonce déjà le Midi.
ETIENNE LAMY.
- ↑ Le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte fut nommé président de la République par 5 474 226 suffrages sur 7 327 325 votans.
- ↑ Danton, par le docteur Robinet, in-8o, 1865. « Excellent fils, bon père et bon époux, maître bienfaisant, ami et compatriote dévoué, citoyen intègre. » p. 35… « partout, Danton se montre avec ce caractère d’émancipation tolérante, d’initiative organique et de sollicitude conservatrice. » Introduction p. X. « Toutes les imputations d’immoralité, de vénalité et de dilapidation qui ont été portées contre lui. sont démenties par les faits. » Id., p. XX.
- ↑ Histoire de Robespierre, par Hamel, 3 vol. in-8o ; 1861. « Robespierre, on l’a dit justement, c’était le principe fait homme. » p. 92. « Robespierre restera, non seulement comme un des fondateurs de la démocratie, dont il a donné la véritable formule dans la Déclaration des Droits de l’homme, mais ce qui vaut mieux encore, comme un des plus grands hommes de bien qui aient paru sur la terre. T. III, 807.
- ↑ Histoire de Saint-Just, par Hamel. « Quel amour de l’humanité ! Quelle affection pour les classes souffrantes ! Quelle pitié pour les malheureux ! Quelle science des rapports sociaux ! Saint-Just fut une de ces puissances de la création que la nature enfante dans ses jours de prodigalités. » 621.
- ↑ Les derniers Montagnards, par J. Claretie, 1868, in-8o. Dans sa préface, l’auteur disait de ces ouvrages sur la Révolution : « De ce besoin de renseignemens précis sont nées ces monographies intéressantes, curieuses, courageuses, que nous avons vues paraître dans ces dernières années, analyses exactes et profondes qui permettront à un écrivain futur de composer la synthèse définitive de cette grande histoire, » p. II ; Les conspirateurs de Prairial sont ainsi jugés : « Goujon est un sage en même temps qu’un énergique, » p. 109 ; Homme « un des hommes les plus intègres de la Révolution ; » Soubrany « dans le procès de Louis XVI fut un des conventionnels les plus radicaux : point d’appel au peuple, point de sursis, la mort, il lui semblait que la Convention à cette heure était comme un immense Conseil de guerre… Il avait tout sacrifié à la République, noblesse et fortune. mais sans arrière-pensée avec une sainte et patriotique ardeur, » p. 117 ; Bourbotte « avait réclamé la mise en jugement de la reine après avoir voté la mort du roi sans appel ni sursis ; c’est lui qui, avec Albitte et Chabot, s’opposa à ce qu’on recherchât les complices des massacres de Septembre et demanda le rapport du décret contre leurs auteurs. Peut-on blâmer l’excès du patriotisme ? » p. 112 ; Contre Duquesnoy seul une apparence de sévérité. Il avoit été moine. « Le moine fanatique subsiste sous le costume du conventionnel. On ne jette jamais tout d’une pièce le froc aux orties, des lambeaux en restent qui brûlent, robe d’inquisiteur, comme une robe de Nessus, » p. 128 ; L’auteur résume son opinion sur ces derniers montagnards par ces mots : « Ce groupe suprême suffirait pour le salut de la France. »
- ↑ Marat, par Bougeart, 1865, 2 vol. in-8o. — « Pauvre révolution ! Elle aussi sera stigmatisée de l’épithète de sanguinaire, et, quand on voudra l’incarner sous ce rapport, ce sera dans la personne de Marat ! Ingénieux rapprochement que nous acceptons et qui ne fut pas sans vraisemblance. Tous les deux en effet subirent les mêmes destinées. Après avoir marqué leur avènement par un appel solennel à la clémence, tous les deux furent forcés, car il ne leur était plus possible d’abandonner une cause devenue celle de l’humanité, tous les deux, pour se défendre, furent contraints d’opposer à la fureur de la contre-révolution la violence de la justice armée. Et tous les deux, pour prix du plus rare dévouement, lurent assassinés : Marat par la réaction républicaine aristocratique ; la Révolution par la réaction monarchique. » I, p. 98. À propos du plan de Constitution de Marat : « Comme il fait habilement ressortir dans son paragraphe « des forces de l’État, » que la France est heureusement le pays qui par sa situation, le nombre de ses habitans et le caractère guerrier de ses citoyens, a le moins besoin d’armée disciplinée ! On n’est pas assez revenu depuis sur cette observation : c’est que le pouvoir avait trop d’intérêt à conserver cent mille Janissaires a sa discrétion, » p. 173.
- ↑ Les Hébertistes, par Tridon, 1864, in-8o. « L’avènement des Hébertistes fut l’avènement de la science et de la raison sous la forme la plus énergique, la plus populaire, mais aussi sous la forme qui pouvait seule en assurer le triomphe définitif, » p. 16. « Ce qu’on veut flétrir du nom d’Hébertisme est la face la plus brillante de la Révolution. Obscurcie aujourd’hui par les insulteurs jurés, elle est destinée à resplendir toujours davantage. Certains docteurs espèrent que nous en sommes à jamais débarrassés. Les idées ne meurent pas lorsqu’elles sont la vie même de l’humanité, » p. 19. « Ce qui distingue ces âpres lutteurs de la cohorte des illustres, c’est qu’altérés de justice et de réparation, ils mettent sans hésiter la main à la besogne. » p. 14. « A leur voix, Bastille, monastères et parlemens s’écroulèrent, et dans Notre-Dame régénérée, sur l’autel des sacrifices, l’hérétique du moyen âge, l’amie de Voltaire et de Diderot, la Raison a trôné. » p. 16.
- ↑ Joseph Le Bon, par Emile Le Bon, 1861, in-8o. « Il en embrassa la cause (de la Révolution), et le fit dès lors résolument, avec l’abnégation personnelle, avec le dévouement qui caractérisaient tous ses actes, du moment qu’ils intéressaient le bien de ses semblables, » p. 2. « Quand la dictature était devenue la loi de la France, (il) avait sacrifié au patriotisme tous les autres sentimens de son cœur, il ne pouvait être accusé, s’il était coupable, que d’avoir, devant l’ennemi, subordonné sa raison elle-même à la raison publique, aux lois du temps et aux directions des chefs élus et applaudis chaque jour par la nation, » p. 91.
- ↑ Gracchus Babeuf de Buonarotti, réimprimé en 1868 par Ranc, avec préface. « C’est grâce aux Babouvistes que, pendant le premier Empire et la Restauration, la tradition révolutionnaire n’a pas été un seul instant interrompue, et que dès les premiers jours de 1830, le parti républicain s’est trouvé reconstitué. Ils ont affirmé, au prix de leur sang, la nécessité prochaine d’une constitution exclusivement fondée sur le travail et la justice. » Préface, XIX.
- ↑ La commission municipale de Troyes propose le 5 septembre à Paris un préfet « pour le cas où le gouvernement croirait devoir apporter des modifications dans le personnel de l’administration départementale de l’Aube, » mais ajoute que « cette démarche ne saurait être interprétée dans aucun cas comme un acte de défiance contre l’administration préfectorale actuelle, dont le chef a jusqu’au dernier moment rempli consciencieusement son devoir. » Enquête sur les actes du gouvernement de la Défense nationale. Dépêches. Annales de l’Assemblée nationale, t. 25, p. 789.
- ↑ Le préfet de la Haute-Marne : « Chaumont, 6 septembre. A Langres, à Chaumont et autres communes importantes, il n’y a aucun secours à espérer pour la guerre, des autorités municipales. » — » 15 septembre. Tout se passe bien dans le département. Nous remanions presque toutes les administrations municipales. » — « 16 septembre. J’ai remplacé presque tous les maires et j’ai constitué des commissions au lieu des conseils municipaux hostiles. » — « 17 septembre. La magistrature est l’ennemie la plus naturelle de la régénération qui s’opère. Donc destitution des procureurs, mise à l’ordre du jour. Confiez aussi aux préfets le droit de destituer les présidens de Sociétés de secours mutuels. Spuller. » Id., 1174-1176.
- ↑ M. Tirman, préfet des Ardennes : « Les préoccupations politiques s’effacent devant les désastres dont notre pays est le théâtre… Je ne crois pas qu’il soit utile de faire beaucoup de modifications dans le personnel des maires. L’ancien préfet M. Froy avait pour principe de se laisser guider par le choix des populations. » Id. 786. Le préfet de l’Aube, Lignier-Pougy, ancien représentant de 1848 : « Troyes, 12 septembre. Pas un seul des maires actuels n’entrave et n’entravera les travaux de la défense nationale. S’il n’est pas permis d’en attendre un concours ardent, ceux qui les remplaceront ne feront pas mieux. Ce qu’il y a, selon moi, de plus utile et de plus praticable à faire aujourd’hui dans mon département. c’est de nommer maire provisoire le premier inscrit au tableau du Conseil municipal, et, à son refus, de laisser au Conseil lui-même le soin de le choisir dans son sein. » — « 17 septembre. La présence de l’ennemi, la durée et les charges de la guerre sont aujourd’hui la seule préoccupation des populations dans mon département. Le gouvernement n’y rencontre aucune hostilité : les hommes les plus connus par leur hostilité contre la République s’effacent et se taisent. Mois, d’un autre côté, il ne se manifeste en sa faveur ni enthousiasme ni ardeur de la part même du parti démocratique. C’est un affaissement général. » Id. 700,.
- ↑ Le préfet du Nord, chef du parti républicain, télégraphie au gouvernement. Lille, 15 septembre. — « L’état politique de mon département est très facile à caractériser brièvement. Anxiété extrême sur ce qui va se passer à Paris. Tout est là. Si vous résistez avec succès aux Prussiens, ici tout ira bien. Testelin. » Id. p. 1189. — Le préfet du Pas-de-Calais annonce le 7 septembre : « Proclamation de la République bien accueillie. » Mais, le 9, il n’est pas sûr que les maires du département affichent les circulaires du gouvernement. Id., p. 1289. — Dans l’Aisne, le préfet de l’Empire, M. Ferrand, a reçu du gouvernement cette dépêche le 6 septembre : « Restez à votre poste, vous avez toute notre confiance. Le gouvernement vous est reconnaissant de votre noble attitude devant l’ennemi. » Après avoir répondu le 7 : « Je perdrais l’estime des honnêtes gens, la vôtre, toute autorité morale s’il n’était constaté que j’ai donné ma démission, » M. Ferrand ajoute : « Angoisses extrêmes au sujet de l’invasion. Malheureusement, surtout dans les campagnes, plus d’abattement que de ressort. Partout ordre complet. A Saint-Quentin, le Conseil municipal a voté une adresse d’adhésion au nouveau gouvernement, dans les autres chefs-lieux, généralement attitude expectante. » L’Explosion de la citadelle de Laon, par Gustave Dupont, conseiller à la Cour d’Appel de Caen. Caen, 1877, p. 164 et 175 à 179. — Le préfet de la Seine-Inférieure, le républicain Dessault écrit : « Rouen. 14 septembre. Le calme continue à régner dans tout le département. Préoccupation des événemens. Dessault. » Dépêches, p. 1355. Le Havre cherche dans la Révolution la chance de devenir chef-lieu du département. — Le Havre, 12 septembre. « Pas d’entente avec Rouen. Nous voulons nous défendre. Rouen ne se défendra pas. Tous nos patriotes demandent à grands cris la création d’une préfecture au Havre ; notre salut en dépend, celui de la République en dépend aussi. Le maire, Guillemard. » Id., 1855. — Le préfet impérial de la Loire-Inférieure, pour calmer quelques effervescences de Nantes, télégraphie : « J’ai pensé qu’il était convenable de m’adjoindre deux membres de l’administration municipale. » En même temps, les deux membres Guepin et Lauriol, qui d’adjoints veulent devenir successeurs, télégraphient que la voix populaire les a « désignés pour remplir les fonctions de préfet par intérim. » Mais Guepin qui va devenir le préfet définitif qualifie lui-même ces mouvemens de « petites agitations. » ld., 1116. — Le préfet de la Sarthe : « Le Mans, 8 septembre. Département et villes calmes. » Id., 1337. — Le préfet de l’Eure : « Évreux, H septembre. Le département parfaitement tranquille. » Id., 981. — Le préfet d’Eure-et-Loir : « Chartres, 15 septembre. Le département accepte et obéit parfaitement. » Id. — Le préfet de l’Orne : « Alençon, 17 septembre. La République est acceptée, sauf, bien entendu, par les meneurs du parti bonapartiste ; on se rendra maître des campagnes, qui ici font les élections, en agissant avec modération. Albert Christophle. » Id., 1227.
- ↑ Les préfets de ces départemens ne s’illusionnent pas sur ces dispositions. Aucun ne dit que la Révolution fut désirée où il l’apporte. Ils constatent les répugnances qui les attendent, et n’espèrent pas plus qu’être acceptés. Le préfet de la Vendée rend témoignage au patriotisme des mobiles « peu équipés, peu exercés, mais très ardens. » « Les hommes sont superbes, pleins de force et d’enthousiasme. » Mais « on s’était fort effrayé de la proclamation de la République. » Dépêches des 12 et 13 septembre, id., p. 1418. — Le préfet de la Vienne à Poitiers, 8 septembre. Installé à la Préfecture de la Vienne sans difficulté. Département paraît paisible. » Id., p. 1423. — Le préfet de la Corrèze : « Tulle, 8 septembre. L’esprit de la population est excellent à Tulle comme à Brive, où j’ai passé la journée d’hier, à Ussel et dans tous les centres un peu importans. L’esprit s’améliore dans les campagnes. » Id., p. 913. — Le préfet de l’Indre : « Châteauroux, 11 septembre. Les bourgeois sont rassurés, c’était là le premier point… » Id., p. 1063.
- ↑ Le 7 septembre, le maire et les adjoints télégraphient au Gouvernement : « Demain vous recevrez par courrier une pétition couverte de signatures d’habitans de Vesoul demandant le maintien de. M. Larribe comme préfet de la Haute-Saône. » Id., 1316.
- ↑ Id., 970.
- ↑ Id., 1431.
- ↑ Id., 931.
- ↑ Ib., 932.
- ↑ Id., 1318-1319.
- ↑ Dijon. Administration provisoire à l’intérieur. « La situation du Creuzot. ville industrielle avec une population de 26 000 habitans dont 10 000 ouvriers est très grave. La municipalité existante est républicaine, mais elle est dépassée par un groupe considérable d’ouvriers qui demandent des représentans. Je crois qu’une question sociale se présentera et que le péril est grave… Mon avis est le suivant : nommer Boysset chargé de l’administration du Creuzot, lui dire de s’y rendre immédiatement et faire nommer dans les quarante-huit heures par élection une commission municipale. » Id., 923.
- ↑ Id., p. 1095 et 1096.
- ↑ Dépêche du préfet républicain, Id., 1199.
- ↑ Id., 1198.
- ↑ . Id., 1428-1429.
- ↑ Id., 951.
- ↑ Id.
- ↑ Id., 953.
- ↑ Id., 1241.
- ↑ Id., 891.
- ↑ Id., 1144.
- ↑ Id. 780.
- ↑ Le parti républicain n’a aucun représentant dans ce corps. « Dépêche du Préfet impérial, 5 septembre, Id., 1106.
- ↑ Id.
- ↑ Id., 1107.
- ↑ Id., 1107.
- ↑ Id., 1347-1348.
- ↑ Id., 1348.
- ↑ Id., 1339-1341.
- ↑ Id., 751.
- ↑ Id., 737-741.
- ↑ Id., 1009.
- ↑ Rapport du préfet de l’Isère sur l’insurrection du 18 mars 1871. Annales de l’Assemblée nationale, t. 9, p. 284.