Le Génie de l’homme

Œuvres complètes, Texte établi par précédée d'une notice par Sainte-Beuve, Librairie Firmin Didot frères, fils et Cie (p. 13-16).

Mais quel Astre, étalant son écharpe d’albâtre,
Blanchit des vastes Cieux le pavillon bleuâtre ?
Laissez-moi contempler, du front de ces coteaux,
Ce disque réfléchi qui tremble sur les eaux !
Liée à nos destins par droit de voisinage,
La Lune nous échut à titre d’apanage ;
Et l’éternel contrat qui l’enchaîne à nos lois
D’un vassal, envers nous, lui prescrit les emplois :
Par elle nous goûtons les douceurs de l’empire.
Des traits brûlants du jour quand le monde respire,
Tributaire fidèle, en reflets amoureux,
Elle vient du soleil nous adoucir les feux ;
Tantôt brille en croissant, tantôt lui tout entière,
Et commerce avec nous et d’ombre et de lumière.
Cet astre au front mobile, en voyageant dans l’air,
Obéit à la terre, et commande à la mer,
Ramène de Téthys la fièvre régulière,
Et balance ses flots sur leur double barrière.
Dans un cercle inégal mesurant chaque mois,
La Lune autour de nous marche et luit douze fois,
Et son pas suit de près les pas de notre année.
Satellite paisible, elle nous fut donnée
Pour dissiper des nuits la ténébreuse horreur,
Et cette obscurité, mère de la terreur.
Tandis que le Soleil, éclairant d’autres mondes,
Ne laisse sur ses pas que des ombres profondes,

O Phébé, dévoilant ton char silencieux,
Vers les monts opposés lève-toi dans les Cieux ;
Sur le dôme étoilé que ton éclat décore,
Le soir, fais luire aux yeux une plus douce aurore ;
Et, remplaçant le jour qui par degrés s’enfuit,
Prends de tes doigts d’argent, le sceptre de la nuit :
De tes tendres clartés caresse la nature,
Rends leur émail aux champs, aux arbres leur verdure.
A travers la forêt que ton pâle flambeau
Se glisse, et du feuillage éclairant le rideau,
A l’âme, en ses pensers doucement recueillie,
Révèle le secret de la mélancolie !
Quel demi-jour charmant ! quel calme ! quels effets !
Poursuis, reine des nuits, le cours de tes bienfaits ;
Protége de tes feux, et rends à son amante
Le jeune homme égaré sur la vague écumante ;
Au voyageur perdu dans de lointains climats
Prête un rayon ami qui dirige ses pas :
Tandis que le Sommeil, les Songes, le Silence,
Doux et paisible essaim qui dans l’air se balance,
Planent près de ton char et composent ta cour.
Centre de l’univers et monarque du jour,
Le Soleil cependant, immense, solitaire,
Dans son orbe lointain voit rouler notre Terre.
Il échauffe, il nourrit de ses jets éclatants
Ces globes, loin de lui, dans le vide flottants,

Et, les animant tous de ses clartés fécondes,
De ses rênes de feu guide et retient les mondes.
Lui seul, de l’univers supportant le fardeau,
Il en est le foyer, et l’axe, et le flambeau ;
En tournant sur lui-même il échauffe sa masse,
Et dispense ses feux jusqu’aux bords de l’espace ;
Ardent, inépuisable en sa fécondité,
Inébranlable, et fixe en sa mobilité.
Soleil ! astre sacré, contemple ton empire !
Tout vit par tes regards, tout brille, tout respire ;
Souverain des saisons, le monde est ton palais,
Les globes sont ta cour, et le ciel est ton dais.
Notre terre à tes yeux sans fin se renouvelle,
Et, roulant nos débris sur sa route éternelle,
Le Temps emporte tout ; mais il ne t’atteint pas.
Les révolutions, longs tourments des États,
Ébranlent notre globe et te sont étrangères.
Tu n’es jamais troublé du bruit de nos misères ;
Et ton front, toujours calme, éclaire les tombeaux
Des peuples dont tu vis s’élever les berceaux.
Qui pourrait s’égaler à ta vaste puissance ?
Ta présence est le jour, la nuit est ton absence,
La nature sans toi c’est l’univers sans Dieu.
Père de la lumière, et des vents et du feu,
Renfermant dans les plis de ta robe éclatante
Le rubis, l’émeraude, et l’opale inconstante,

D’une pluie à jets d’or inonde l’univers,
Et, la décomposant dans le prisme des airs,
Nuance des saisons la mobile ceinture ;
Suspends, au front des bois, un réseau de verdure ;
Et, prodiguant partout un luxe de couleurs,
Dore, argente ou rougis le panache des fleurs ;
Donne un habit de neige au lis qui vient d’éclore,
Et l’arc-en-ciel au paon, et la pourpre à l’Aurore ;
Et garde pour les Cieux ce pavillon d’azur,
Ce manteau de saphir, d’où s’échappe un jour pur,
Et que la vaste mer réfléchit dans son onde.
Voilà comme par toi se décore le monde.
Oh ! de quel saint transport mon cœur est agité,
Grand Astre ! Quand tes feux dans l’air ont éclaté,
Soleil ! quelle est ta pompe ! Oui, lorsque ta lumière,
Symbole radieux de ta beauté première,
Enflamme les forêts, les monts et les déserts,
Brille, et se multiplie en flottant sur les mers,
Je crois voir de Dieu même, au sein de son ouvrage,
Partout se réfléchir la glorieuse image ;
Et dans l’ombre du soir, ton globe moins ardent
Vient-il à se pencher aux bords de l’occident,
Qu’avec respect encor j’y retrouve l’emblème
Du souverain Moteur lorsqu’il fixa lui-même
A la création un terme limité,
Et rentra dans la nuit de son éternité !