Le Général Maison et le 1er corps de la Grande Armée

Le Général Maison et le 1er corps de la Grande Armée
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 19 (p. 168-204).
LE GÉNÉRAL MAISON
ET
LE 1er CORPS DE LA GRANDE ARMÉE


I

A la nouvelle qu’après la désastreuse campagne de Saxe l’armée française se repliait sur le Rhin, la population d’Amsterdam se souleva le 15 novembre 1813. Il était à prévoir que la rébellion gagnerait rapidement les autres villes de la Hollande, rattachée à l’Empire depuis l’abdication du roi Louis. Le général Molitor, commandant militaire, impuissant à maintenir l’ordre avec les faibles troupes dont il disposait, avait dû se replier sur Naarden et Gorcum.

En apprenant les événemens de Hollande, informé que Bulow et Wintzingerode marchaient sur Amsterdam, tandis que Schwarzenberg et Blucher demeuraient immobiles sur la rive droite du Rhin, Napoléon put croire tout d’abord que l’ennemi projetait de concentrer son effort sur la Belgique ou de tenter une opération d’hiver dans les Pays-Bas. Pour faire face à cette double éventualité, l’Empereur avait donc acheminé vers le Brabant le général Lefebvre-Desnoëttes avec 2 000 hommes de cavalerie légère, puis les deux divisions de jeune garde Barrois et Roguet. Il avait dirigé sur Namur le maréchal Mortier et la vieille garde. Enfin il expédiait en Belgique quelques gendarmes commandés par le général Henry.

Si le 1er et le 13e corps de la Grande Armée eussent été disponibles, les 70 000 hommes dont ils se composaient auraient suffi sans aucun doute à nous maintenir en possession de la Hollande et de la Belgique. Mais le 1er corps avait été fait prisonnier à Dresde et le 13e s’était vu rejeté sous Hambourg. Comme les dépôts des régimens formant ces deux corps d’armée tenaient garnison en Belgique, l’Empereur avait prescrit, dès le commencement de novembre, la reconstitution du 1er corps à l’aide de ces dépôts, que devait, dans sa pensée, fortifier prochainement l’arrivée des conscrits, tandis que d’autres conscrits, des douaniers et des marins assureraient la défense des places. Le général Decaen fut désigné pour prendre le commandement de cette armée. Toutefois, les levées ne donnèrent pas les résultats qu’on en attendait. Decaen, ne pouvant suffire à tout et soucieux de sauvegarder le grand arsenal d’Anvers plus encore que de défendre la Belgique, avait dû, faute de troupes, abandonner les îles des bouches de l’Escaut et évacuer Bréda, ainsi que Willemstad. Mécontent de Decaen, Napoléon retira le commandement du 1er corps à cet excellent soldat. Pour remplacer Decaen, l’Empereur choisit le général Maison, dont il avait apprécié la valeur en Russie et en Saxe et auquel il destinait un bâton de maréchal.

Nommé commandant du 1er corps par décret du 21 décembre 1813, Maison arriva à Anvers le 25. La 24e division militaire était placée sous ses ordres, ainsi que la division de cavalerie de la garde Lefebvre-Desnoëttes et les deux divisions de jeune garde Barrois et Roguet. En outre, ses instructions l’informaient qu’à tout événement il était lui-même subordonné au maréchal Macdonald, chargé de surveiller le Rhin de Coblentz à Arnhem avec les débris du 11e corps d’armée et du 2e corps de cavalerie. Le 1er corps, auquel Anvers était assigné comme point de rassemblement, devait être constitué à trois divisions ; mais pour compléter la garnison d’Anvers, celles des places et forts qui en dépendaient, Maison dut leur abandonner les 7 000 hommes arrivés à destination du 1er corps, alors que par ailleurs les plus sérieuses difficultés en retardaient l’organisation, car les dépôts, qui attendaient 16 000 recrues, n’en avaient encore reçu, à la date du 28 décembre, que 6 500. Il ne restait donc à Maison, pour tenir la campagne, que les divisions d’infanterie Barrois et Roguet, et la division de cavalerie Lefebvre-Desnoëttes, dont aucune n’appartenait à ce corps d’armée.

Si la garnison d’Anvers avait été par elle-même suffisante à défendre cette place, et si le 1er corps avait été organisé, Maison se serait porté avec les troupes de ce corps et la division Roguet, d’abord sur les Nèthes, ensuite sur le Démer. A ne pas défendre les Nèthes et le Démer, la Belgique était perdue, car, ces lignes une fois abandonnées, aucune autre ne s’offrait jusqu’à la ligne des places de l’ancienne frontière. Mais, avec les faibles moyens dont il disposait, le général en chef devait toujours rester à même de resserrer sur Anvers les quelques bataillons du 1er corps nécessaires à en compléter la garnison, de façon à pouvoir maintenir l’ennemi à distance et l’empêcher de brûler la flotte et les chantiers. En effet, le 11 janvier, Bulow attaquait Roguet à Hoogstraeten et le refoulait sous Anvers, puis il s’avançait, le 13, jusqu’à Wyneghem. Mais, soupçonnant que Maison, qui avait appelé de Bruxelles à Lierre la division Barrois, allait se jeter sur ses derrières, Bulow se retira la nuit même vers Bréda.

La précipitation avec laquelle Bulow venait de lever le siège faisait disparaître toute inquiétude relativement à un retour immédiat des alliés devant Anvers. Cependant Maison ne voulut point tenter de poursuivre à travers les bruyères de la Flandre et par de mauvais chemins un ennemi que la promptitude de sa retraite rendait difficile à entamer. Il semblait du reste vraisemblable que Bulow se disposait à suivre son plan d’invasion et qu’il allait combiner son mouvement avec les Russes qui marchaient par Eindhoven sur Maestricht, cherchant à couper Macdonald et à gagner Bruxelles par Louvain. Maison résolut donc de se porter sur Louvain, dans l’intention de se lier par sa droite au corps du duc de Tarente, dont un détachement de cavalerie occupait Hasselt.

Cependant Macdonald qui, pressé de toutes parts, s’était retiré lentement sur Liège, recevait l’ordre de gagner au plus tôt les Ardennes. A Liège, les autorités civiles s’émeuvent en apprenant le prochain départ des troupes. Le comte de Péluse, commissaire extraordinaire, prescrit au baron de Micoud, préfet de l’Ourthe, d’évacuer le département. Micoud veut enlever les papiers de la préfecture et ceux des diverses administrations, mais il manque de force armée pour appuyer ses réquisitions ! Il réunit pourtant deux cents voitures à peine suffisantes pour contenir les archives de l’Ourthe et celles de la Roer dont les différens services refluent sur Liège. A Bruxelles, le comte de Pontécoulant, commissaire extraordinaire, ordonne aux préfets de prendre secrètement leurs mesures d’évacuation et invite, d’ailleurs sans succès, le général Chambarlhac, commandant la 24e division militaire, à se retirer avec lui sur Valenciennes et Condé. Spectacle douloureux : ce n’est pas seulement une armée française qui bat en retraite, c’est la France elle-même qui recule et abandonne des provinces qu’elle avait crues définitivement conquises, annexées, incorporées à son empire.

Tardivement prévenu de la retraite de Macdonald et lié par les ordres de l’Empereur qui lui prescrivaient de ne point s’éloigner d’Anvers, Maison ne put aller remplacer au pont de Liège l’arrière-garde du duc de Tarente. Il dut se contenter de porter à marches forcées dans cette direction une colonne légère, dont il confia le commandement au général Castex, qui venait d’être substitué à Lefebvre-Desnoëttes. Mais Castex arriva trop tard en vue de Liège pour agir utilement et fut obligé de se replier sur Louvain. Ainsi apparaissent les regrettables conséquences de la mesure que, pour renforcer sa trop faible armée, Napoléon dut se résigner à prendre en rappelant à soi Macdonald ; car aussitôt que la tête des troupes de Wintzingerodo apparut sur Namur, Bulow, qui restait concentré à Bréda avec 24 000 hommes, achemina vers Bruxelles l’une des divisions de son armée, la division Borstell.

Deux partis s’offraient dès lors à Maison : ou bien, acceptant de se voir coupé de la France, il s’enfermerait dans Anvers ; ou bien, laissant dans cette place une forte garnison, il se porterait avec les 4 000 hommes de la division Barrois et les 800 cavaliers de Castex au-devant de l’ennemi, pour en retarder la marche sur la ligne des places du Nord. Maison choisit le second de ces deux partis qu’il considérait comme étant « le plus utile » à sa patrie, mais aussi le plus dangereux et « le moins brillant pour lui. » Il irait donc attendre les têtes de colonnes ennemies qu’il repousserait aisément, engageant ainsi son adversaire à peser sur lui avec des forces supérieures ; mais alors, refusant un combat trop inégal, Maison exécuterait un mouvement rétrograde pour aller prendre une autre position. Tel est le plan que le commandant du 1er corps suivra constamment durant cette pénible campagne, dont nous allons tenter de faire le récit.


II

Le 30 janvier 1814, Maison s’établissait à Bruxelles avec la division Barrois, tandis que le général Meuziau, commandant le 2e chasseurs à cheval de la garde, allait occuper les hauteurs d’Etterbeek, observant de là les routes de Wawre et de Louvain. Maison faisait en outre tenir Waterloo par 50 chevaux et 150 fantassins et poussait la colonne Castex avec un bataillon de douaniers vers Nivelles. Le détachement commandé par Castex devait maintenir les alliés sous la menace d’un mouvement de nos troupes vers Namur, tandis que le général en chef, occupant avec le gros de ses forces la capitale du Brabant, conservait une attitude propre à faire craindre à tout corps ennemi, arrivant sur Louvain, de le voir marcher à lui. En prenant ces dispositions, Maison n’avait d’autre but que de retarder l’ennemi et gagner du temps pour l’armement des places de l’ancienne frontière. Avec 5 000 hommes, quel autre projet eût-il pu former ?

« J’espère, écrivait-il au ministre, que Sa Majesté voudra bien voir que si, au lieu de prendre ce parti, je fusse resté en avant d’Anvers, toute la frontière du Nord eût été découverte, et nos places qui sont dans un état de délabrement affligeant, livrées pour ainsi dire à la merci de l’ennemi, et que je n’aurais apporté à la garnison d’Anvers qu’un surcroît de forces qui lui eût été inutile. Je reste aujourd’hui en position à Bruxelles et à Nivelles, et, si je juge nécessaire de continuer ma retraite, j’ai le projet de prendre position sur Mons et ensuite sur Quiévrain, m’appuyant ainsi de Condé et de Valenciennes[1]. »

Dans la nuit du 30 au 31 janvier, l’ennemi étant venu harceler les postes devant Bruxelles, où les masses se montraient fort agitées, Maison jugea qu’il ne pouvait tenir cette ville avec aussi peu de troupes. Il ne devait en effet aucunement compter sur la garde bourgeoise. S’il se risquait à soutenir en avant de la ville un combat sérieux, Maison s’exposait avoir une partie de la population soulevée tomber sur ses derrières. Vaincu, il sentirait sa retraite sérieusement entravée. Vainqueur, il aurait à punir et à faire des exemples dont le souvenir deviendrait, dans des temps plus prospères, un obstacle au rétablissement de la domination française. Maison prescrivit donc au général Chambarlhac commandant la 24e division militaire d’emmener à Tournai, pour y garder le passage de l’Escaut et pour s’éclairer sur Gand, les détachemens d’infanterie que cet officier général avait sous ses ordres avec un détachement de gardes d’honneur. Le lendemain, 1er février, le général en chef évacua Bruxelles, pour effectuer sa retraite dans la direction de Mons.

L’arrière-garde de nos troupes venait de quitter cette ville quand les premiers cosaques y pénétrèrent par la porte de Louvain. Les Prussiens arrivèrent dans la soirée et prirent aussitôt possession de tous les postes occupés par la garde bourgeoise, qui leur prêta son concours pour assurer le maintien de l’ordre. Bulow réunissait ainsi 10 000 hommes à Bruxelles, pendant que le reste de son armée se répandait dans la Flandre. Le prince d’Orange, le duc de Saxe-Weimar et le général de Bulow qui, de Bréda, s’étaient d’abord rendus à Lierre, firent leur entrée solennelle à Bruxelles le 8 février. La population les acclama à leur passage et, tandis que les cloches sonnaient joyeusement, la garde bourgeoise, qui s’était portée à leur rencontre, les conduisit à l’hôtel de la préfecture, où ils établirent leur résidence.

D’autre part, Wintzingerode, arrivant de sa personne à Namur, le 2 février, y avait été reçu avec un enthousiasme tel que le maire de cette ville faillit être victime de la populace et ne dut son salut qu’au général ennemi. A Charleroi, à Fleurus, les troupes alliées furent accueillies avec des transports d’allégresse. La ville haute de Charleroi illumina. Dans le comté de Namur, dans le Hainaut, des bandes armées prirent les armes pour ne point fournir les approvisionnemens et ne point payer les contributions à l’administration française[2].

Il ne restait plus de temps à perdre pour compléter l’armement des places du Nord, ainsi que Maison l’avait réclamé à diverses reprises. Si les garnisons de ces places restaient incomplètes, Maison se proposait bien, lorsqu’il ne pourrait plus tenir la campagne, de répartir ses troupes entre Condé, Valenciennes et Lille. Mais il lui serait impossible de jeter alors des garnisons partout, Maubeuge, le Quesnoy, Landrecies auraient à en recevoir d’autre part. Il fallait par suite hâter la formation des gardes nationales. Pour constituer les différens services et organiser ces milices, Maison avait détaché dans les places les généraux Noury et de Maureillan, commandant l’un l’artillerie, l’autre le génie du 1er corps, et le général Penne, désigné pour y prendre le commandement d’une brigade.

Pensant que l’inspecteur d’artillerie en résidence à Lille devait s’occuper spécialement de Lille et de Douai, Maison avait prescrit à Maureillan de visiter plus particulièrement les autres places. Cet officier général lui en rendit « le compte le plus alarmant. » Elles se trouvaient presque toutes « hors d’état de résister, » soit parce qu’elles manquaient de poudre, soit à cause de l’insuffisance de leur armement[3]. D’autre part, Penne avait été chargé par Maison de passer une revue des dépôts stationnés dans le Nord, puis d’en former des bataillons qui se réuniraient à Mons pour renforcer le 1er corps. En effet, le général Brenier, commandant à Lille la 16e division militaire, venait d’informer le général en chef qu’il ne parvenait à former aucun des bataillons antérieurement annoncés par lui et que plusieurs de ces bataillons n’avaient même pas reçu les conscrits qui leur étaient destinés[4].

Préoccupé par les fâcheux rapports de Maureillan et de Brenier, Maison, redisant au ministre combien il devenait instant de prendre toutes les mesures pour la mise en état des places, lui avait écrit de Bruxelles : « J’ai envoyé des officiers généraux d’artillerie, du génie et d’infanterie dans ces places pour y organiser les différens services ainsi que la garde nationale. Malheureusement, il n’y a point d’armes à donner aux citoyens et Votre Excellence sait que je n’ai point assez de troupes pour jeter des garnisons partout. Les places de Maubeuge et du Quesnoy me paraissent devoir surtout fixer l’attention, le mouvement de l’ennemi sur la Sambre les mettant plus en danger que toute autre. Je ferai tout ce que je pourrai pour ces places, mais mes moyens ne peuvent suffire à toutes. Si le 1er corps eût été formé, comme il devait l’être, ou si le duc de Tarente n’eût pas eu une destination qui l’a éloigné de sa ligne d’opération de la Sambre et de la Meuse, l’Empereur eût pu garder l’espoir de conserver la Belgique[5]. »

Après avoir évacué Bruxelles le 1er février avec la division Barrois et une partie de sa cavalerie, Maison, se couvrant de la Senne, alla prendre position le même jour à Tubize, laissant son avant-garde à Hal et poussant le 12e voltigeurs sur la route de Mous jusqu’à Soignies. En même temps, Castex, qui, la veille, s’était porté vers Nivelles avec les lanciers et un bataillon de douaniers, ayant appris chemin faisant que l’ennemi occupait en forces cette localité, s’était replié sur Ronquières. Afin de mieux protéger les derrières du 1er corps, Maison prescrivit à cet officier général de s’établir sur le plateau d’Henripont, tout en laissant dans le vallon de Ronquières un détachement chargé d’y surveiller le débouché de Nivelles sur Braine-le-Comte. Pour faire face aux 10 000 hommes que Bulow réunissait à Bruxelles, pour contenir les troupes de Wintzingerode, qui coulaient sur sa droite et déjà la débordaient, Maison disposait tout au plus de 5 500 hommes. En effet, sans tenir compte du bataillon de douaniers qui devait aller bientôt s’enfermer dans Maubeuge, Maison n’avait, à Tubize et aux environs de cette ville, que les quatre régimens d’infanterie de la division Barrois, avec un bataillon du 72e de ligne, la division de cavalerie Castex, et l’artillerie de ces deux divisions, soit ensemble 4 133 baïonnettes, 800 sabres et 20 bouches à feu.

Tant que les troupes de Wintzingerode n’entreprendraient rien de Namur sur Mons, Maison pouvait espérer qu’elles filaient toutes sur les Ardennes. Cet espoir fut promptement déçu, car le général Penne, établi depuis peu à Mons avec les 700 hommes qu’il était parvenu à extraire des dépôts, fut attaqué, le 3 février, par un millier de cavaliers. Bon nombre parmi les jeunes soldats de Penne ne savaient point charger leurs armes, et pourtant, durant toute une journée, ils tinrent tête à l’ennemi qui se retira sur Saint-Symphorien. Craignant d’avoir prochainement sur les bras un détachement d’infanterie alliée, dont la présence à Binche lui était signalée, Penne demanda aussitôt du secours à Maison qui lui expédia de Soignies le 12e voltigeurs avec 4 pièces, 100 cavaliers et 200 douaniers. Le général en chef prescrivait à Penne d’attaquer l’ennemi qui resterait devant Mons, l’autorisant toutefois à se retirer sur Valenciennes et Condé, s’il se sentait pressé par des forces supérieures.

En même temps, des troupes ennemies, venant de Bruxelles, attaquaient le poste de Ronquières. Bien que cette attaque eût été repoussée, Castex, qui observait Nivelles, fit connaître à Maison que le mouvement des alliés, de Namur sur Mons, devenait sérieux. Ils occupaient déjà Rœulx, et le général Castex, ne pouvant plus tenir à Henripont, se retirait sur Soignies. Bientôt les coureurs ennemis sillonnaient toutes les routes en arrière du 1er corps, interceptant ainsi les communications entre Tubize et Mons. N’ayant plus dès lors aucunes nouvelles du détachement commandé par Penne, Maison ordonna à son chef d’état-major, le général Obert, de se porter avec 50 chevaux sur Soignies, d’y rallier la colonne de Castex et de la mener à Mons.

D’autre part, les avant-postes du 1er corps établis à Hal, c’est-à-dire à deux lieues au Sud de Bruxelles, se voyaient inquiétés par une colonne de 2000 hommes sortis de cette ville, et comme, d’après les rapports fournis par Castex, les communications de Maison sur Valenciennes risquaient de tomber au pouvoir de l’ennemi, qu’on supposait maître de Mons, le général en chef jugea qu’il devait se rejeter en arrière d’une bonne marche et se replier sur Ath. Ainsi, débordé par l’invasion de troupes formidables, Maison allait concentrer sa petite armée dans la région comprise entre Ath et Courtrai. Dans cette position, prenant Lille pour point d’appui, Maison, impuissant à barrer la route au corps d’armée de Bulow, pourrait encore le menacer en flanc


III

Le quartier général du 1er corps, la division Barrois et ce qui restait de cavalerie s’établirent à Ath, le 5 février, tandis que l’avant-garde, sous les ordres du général Meuziau, occupait, sur la route d’Enghien, le village de Meslin-l’Évêque. Les deux journées suivantes se passèrent sans incident, mais, le 8 au matin, le général Meuziau apprit qu’un parti composé d’infanterie et de cavalerie marchait sur Lessines. Il envoya dans cette direction une reconnaissance qui rencontra l’ennemi au-delà d’Olignies, le chargea et le reconduisit vivement jusqu’à Lessines. Un feu nourri d’infanterie arrêta devant ce bourg les cavaliers de Meuziau. Plus tard apparut au loin et dans la même direction une colonne de soldats français qui, faits prisonniers sur parole à la reddition de Bois-le-Duc, rentraient en France sous l’escorte de quelques cavaliers. Derrière ces prisonniers, un détachement ennemi cherchait à se dissimuler pour approcher de nos avant-postes et les surprendre. Constatant que cette ruse était éventée, les Prussiens déployèrent leur infanterie dans la plaine, mais le général en chef, déjà prévenu, avait fait prendre les armes à deux régimens de la division Barrois, cantonnés à Ath. Ces régimens n’eurent pas à intervenir, car, après quelques coups de carabine échangés entre tirailleurs à cheval, l’ennemi se retira sur Enghien[6].

Ces mouvemens indiquaient l’approche des alliés. Assurément ils étaient en nombre, car la division Borstell avait quitté Bruxelles pour se mettre à la poursuite du 1er corps. En tardant à se retirer derrière l’Escaut, Maison risquait d’être coupé de Lille. Il résolut donc de se replier sur Tournai, où le général Chambarlhac gardait le passage du fleuve avec les détachemens qu’il avait amenés de Bruxelles, et où le général Ledru des Essarts, commandant supérieur des troupes réunies sur ce point, avait rassemblé 1 700 fantassins et 130 gendarmes, dont se renforcerait le 1er corps. Parmi ces troupes, figurait une colonne volante aux ordres du général Saunier, colonne qui, jusqu’alors indépendante du 1er corps, occupait précédemment Gand.

Le 10 février, toutes les troupes du 1er corps se trouvaient concentrées à Tournai. L’armée y prit aussitôt position en arrière de l’Escaut, étendant sa droite sur la route de Valenciennes jusqu’à Maulde, sa gauche dans la direction d’Audenarde et de Courtrai jusqu’à Espierres ; tandis que deux détachemens placés à Wattrelos et à Tourcoing surveillaient la contrée vers Menin. Enfin Meuziau s’établissait en réserve à Lannoy avec sa cavalerie.

Nous avons dit que, avant de quitter Tubize, Maison avait chargé le général Obert de rallier vers Soignies la colonne Castex et de la mener à Mons. En faisant marcher Castex et le chef d’état-major sur Mons, Maison se proposait de dégager les troupes du général Penne et le 12e voltigeurs, au cas où ils seraient bloqués dans cette ville. Parti de Tubize avec 50 chevaux, Obert gagna directement Soignies, d’où il eut à déloger un parti ennemi qu’il fit poursuivre sur la route de Rœulx. Obert apprit alors qu’après avoir tenté, la veille, de prendre Mons, les alliés s’étaient retirés, mais que Penne avait néanmoins évacué la ville. En effet, sur l’avis que l’ennemi menaçait Maubeuge, Penne, craignant d’être tourné et voulant rester en mesure de secourir cette place, se repliait sur Valenciennes. Lorsque Castex, venant d’Henripont, rejoignit Obert à Soignies, il lui fallut tout d’abord donner du repos à sa troupe. Ces deux généraux ne purent donc pénétrer dans Mons qu’à une heure avancée de la nuit. La ville n’était point occupée, mais au matin, quelques cosaques apparurent. Après les avoir écartés, la colonne se remit en route, et, tandis que Castex allait à Tournai rejoindre l’armée, Obert s’arrêtait à Valenciennes pour y surveiller la répartition des troupes dans les diverses places et pour y conférer avec le général Carra-Saint-Cyr, auquel Maison, faute de pouvoir l’employer en campagne, venait de confier le commandement supérieur de Valenciennes et de Condé.

Rendant compte à son chef de l’affectation donnée à divers corps de troupes, le général Obert, ignorant que Maison allait se porter en arrière de l’Escaut, lui écrivait : « Si vous voulez rester quelque temps à Ath, dites-moi, je vous prie, de vous rejoindre. Tout ce que je vois ici me navre et me saigne le cœur : mauvais esprit chez les habitans, lenteur, misère dans toutes les administrations[7]. » Pourtant le général Brenier assurait que, dans sa division militaire, il pressait activement la formation des bataillons destinés au 1er corps : « Mais, observait-il, c’est une phrase que j’ai répétée sur tous les tons aux commandans de dépôt et qui ne signifie plus rien. D’abord les hommes manquent, ensuite l’armement et l’équipement. Je fais incorporer dans les régimens tous les hommes isolés, dont les dépôts sont trop éloignés, mais ces hommes sont nus et les corps n’ont aucuns moyens[8]. »

L’administration de la Guerre envoyait quand même à Maison dépêche sur dépêche, l’invitant à compléter autant que possible les garnisons des places du Nord, soit en y faisant passer des renforts, soit en y faisant suppléer par les cohortes de gardes nationales urbaines jointes à leurs compagnies de canonniers, et lui prescrivant de s’entendre avec les commissaires extraordinaires envoyés dans les 16e et 24e divisions militaires, ainsi qu’avec les préfets, pour porter au complet l’approvisionnement de ces places. Mais l’organisation des gardes nationales ne se présentait pas comme une opération facile. Si le général Noury avait réussi à constituer quelques compagnies de canonniers, le général Penne ne parvenait point à créer les cohortes urbaines qui n’existaient pas et ne voulaient pas se former. Le général Travers signalait que, à Condé, la bourgeoisie n’était pas portée de bonne volonté pour le service. A Valenciennes, à Douai, les habitans se disaient décidés à ne point souffrir un siège. A Ypres, les bourgeois enclouaient les canons et jetaient les boulets dans l’eau. En général, l’esprit public était mauvais ou froid, et peut-être plus encore dans le Nord qu’en Belgique. « Je n’y reconnais pas de vieux Français, » écrivait douloureusement Maison[9].


IV

Cependant la plus grande partie des troupes alliées qui avaient envahi la Belgique poursuivaient leur marche vers l’intérieur de la France. Laissant à Liège une forte garnison, Wintzingerode gagnait Avesnes, que le gros de son armée, évalué à 30 000 hommes, traversait du 9 au 13 février, tandis que la portion principale du corps de Bulow dépassait Mons, où ce général s’établissait le 16. Mais, avant de quitter Bruxelles, Bulow, confiant aux-Anglais et aux Hollandais le soin de masquer Anvers, avait lancé à la poursuite de Maison divers détachemens réunis sous les ordres du Duc de Saxe-Weimar. D’autre part, l’armée suédoise, devenue disponible par suite de la paix conclue entre la Suède et le Danemark, ne pouvait tarder à entrer en ligne, et, en effet, le 14, on signalait la présence du Prince royal à Dusseldorf. Enfin, le gouvernement provisoire récemment constitué à Bruxelles, décrétait la formation de troupes belges.

Ainsi, tandis que Wintzingerode et Bulow coulaient sur sa droite, Maison allait avoir devant soi les troupes du Duc de Saxe-Weimar, que bientôt sans doute renforcerait l’armée de Bernadotte. Dès le 10 février, quelques partis ennemis, cherchant à couper les communications et à entraver les approvisionnemens, commencèrent à rôder devant les places de première ligne, sommèrent Condé et Valenciennes où leurs parlementaires ne furent point reçus, et allèrent aussi tâter Landrecies. En même temps, l’ennemi se renforçait devant Maison. De Leuze, le major Hellvig poussait ses avant-postes jusqu’au village de Ramecroix, situé à une lieue de Tournai. D’Ath, le général Borstell détachait sur Audenarde 1 500 cavaliers, dont quelques-uns s’avancèrent en reconnaissance vers Courtrai. Ils furent arrêtés, poursuivis et sabrés par les gendarmes du général Henry, mais l’arrivée de forces supérieures devait contraindre Henry à abandonner presque aussitôt cette ville.

A la nouvelle que l’ennemi se portait sur Courtrai, Maison avait tout d’abord rapproché de Tournai la ligne de ses postes avancés, mais, lorsqu’il vit que l’ennemi, tout d’abord intimidé par quelques petits échecs, devenait plus entreprenant et poursuivait en forces son mouvement sur la gauche et sur le front du 1er corps, Maison sentit qu’il lui fallait dès lors serrer son armée sur Lille où ses troupes constitueraient à peu près à elles seules une garnison[10]. Le 1er corps quitta Tournai le 17 au matin, pour aller prendre position derrière la Marque, sa droite à Pont-à-Marcq, sa gauche atteignant, en arrière de la Deule, le bourg du Quesnoy. Le même jour, Penne s’établit avec 50 chevaux, un bataillon de la garde et deux pièces, à Armentières. :


V

Vers la mi-février, Bulow pénétrait en France pour aller rejoindre, par Soissons, l’armée de Blucher, mais il laissait en Belgique, aux ordres du Duc de Weimar, environ 15 000 fantassins, 2 200 cavaliers, et 32 bouches à feu. Ces forces se trouvaient alors ainsi réparties.

Le général-major de Gablentz, posté sur la Nèthe, observait Anvers, tandis que Graham maintenait ses troupes concentrées à Zundert. Ces deux généraux, ainsi placés, pouvaient prendre simultanément en front et en flanc tout détachement de la garnison qui tenterait une sortie. Lancé à la poursuite de Maison, et maintenant établi à Tournai avec sa division, 1400 cavaliers et 16 pièces, Borstell faisait occuper par le major Hellvig la ville de Courtrai dont le colonel russe baron de Geismar s’était emparé le 15 février. Ce colonel portait aussitôt sur Cassel et Hazebrouck son régiment de cosaques et deux escadrons de hussards saxons. Le général Lecoq qui avait sous ses ordres quatre bataillons, deux escadrons et environ dix pièces, observait Condé et tenait la campagne en avant de Leuze, assurant ainsi les communications entre Tournai et Mons, ville que le général-major Ryssel occupait avec cinq escadrons et une batterie et demie d’artillerie. Pour défendre les Pays-Bas contre Maison, tout en restant à même de s’opposer à une vigoureuse sortie de la garnison d’Anvers, le Duc de Weimar crut devoir établir sur la ligne de la Dendre le gros des troupes saxonnes et transporta son quartier général de Bruxelles à Ath, où il arriva le 19 février.

Cependant, la marche de Bulow, qui abandonnait la Belgique et le Nord pour appuyer dans la direction de la capitale, causait à Paris de sérieuses inquiétudes. « L’intention de l’Empereur, écrivait alors Clarke à Maison, est que vous vous portiez en avant et que vous réunissiez toutes les garnisons afin de rappeler Bulow à la défense de la Hollande[11]. » Le ministre ne se rendait point compte que l’armée du Duc de Weimar, numériquement très supérieure au 1er corps, suffisait à assurer aux alliés la conservation des Pays-Bas comme à couvrir les derrières de Bulow, et que, par suite, aucune démonstration ne déciderait ce général à rétrograder. « Il faut, répondait Maison au duc de Feltre, que Sa Majesté soit trompée sur mes moyens, pour m’ordonner de me porter en avant. Je n’ai point d’armée et je n’en ai jamais eu. Tout ce que j’ai pu faire a été d’avoir un commencement de garnison dans les places de l’ancienne frontière. Je n’ai avec moi que 3 600 fantassins et 800 chevaux[12]. »

Maison se préoccupait alors avec juste raison du mouvement que le colonel de Geismar poursuivait audacieusement de Courtrai vers Cassel et Hazebrouck, répandant sur sa route des proclamations en faveur des Bourbons. Déjà le général en chef avait fait occuper Tourcoing par Henry et lancé Saunier avec sa colonne mobile dans la direction de Cassel pour surveiller Geismar. Mais Henry, attaqué à Tourcoing, avait dû se replier en deçà de la Marque. D’ailleurs Maison ne pouvait plus compter sur ce général qui venait de recevoir l’ordre de mener sa colonne de gendarmerie dans l’Ouest de la France où un mouvement insurrectionnel se faisait sentir. Quant à Saunier, il ne parvenait point à franchir la Lys. Par suite, pour tâcher de pénétrer les projets de Geismar et pour se mettre en mesure d’exécuter les volontés de l’Empereur, Maison réunit à Bailleul une forte colonne, dont il confia la direction au général Solignac, commandant la place de Lille, ayant sous lui les généraux Penne et Saunier. En même temps, il faisait occuper Armentières et postait au Quesnoy-sur-Deule une brigade de la division Barrois. Enfin des cavaliers furent envoyés en reconnaissance au Sud de la ville, vers Orchies, Marchiennes et Saint-Amand.

Maison avait prescrit à Solignac de pousser des détachemens dans la direction de Cassel et d’Hazebrouck, afin d’éloigner les partis ennemis répandus dans un pays très coupé, tandis que Penne s’attacherait aux pas de Geismar. Mais, comme il fut bientôt avéré que, après avoir passé la Lys entre Aire et Saint-Venant, le colonel russe filait sur Saint-Pol et Doullens, Penne reçut l’ordre de cesser sa poursuite et de se replier sur Armentières, pendant que Saunier continuait à s’éclairer sur Hazebrouck et maintenait les communications avec Ypres en vue d’une action prochaine.

En effet, dans la matinée du 23 février, le général Solignac, à la tête d’une colonne mobile, se porta sur Ypres. Il entra dans la ville dont il sortit presque aussitôt, après en avoir renforcé d’un bataillon la garnison et après avoir pris les mesures nécessaires à y assurer la tranquillité. Ce même jour, le général Castex se portait en reconnaissance au Nord de Lille et s’avançait au-delà de Mouveaux, cherchant à se procurer des renseignemens sur les mouvemens de l’ennemi aux alentours de Tourcoing. La petite armée de Maison ne s’enfermait donc point dans Lille. Elle ne restait pas inactive, et, par ces marches, entrecoupées de petits combats, son chef voulait tout d’abord l’aguerrir.

Mais Napoléon s’impatiente et, comme si Maison disposait de forces suffisantes, il lui fait réitérer ses ordres par le ministre, en les précisant ainsi : « L’Empereur me charge de vous faire connaître que son intention est que vous réunissiez des détachemens de toutes les garnisons de Flandre et que vous marchiez sur Anvers, que vous réunissiez également une partie de la garnison d’Anvers et que vous repreniez l’offensive. Sa Majesté voit avec peine que, au lieu de rassembler 15 à 18 000 hommes qui doivent être dans les garnisons du Nord pour agir contre l’ennemi et le rejeter dans la Hollande, vous vous êtes enfermé dans les places, et que vous laissez l’ennemi maître de toute la Belgique[13]. » Et, sans tenir compte des justes observations que Maison lui a soumises, sans sembler admettre que l’armée de Bulow se trouve remplacée en Belgique par d’autres troupes, Clarke renouvelle ainsi ses ordres d’un ton plus impératif : « L’intention de l’Empereur est que, douze heures après la réception du présent ordre, votre quartier général soit établi à plusieurs lieues en avant de la position que vous occupez actuellement ; que, si vous vous disposez à marcher sur Anvers, vous devez réunir à vos forces tout ce qui se trouve dans les petites garnisons des places de Flandre et que vous ramassiez ainsi facilement une armée de 15 000 hommes, avec laquelle vous pourrez vous porter sur les derrières de l’ennemi et l’inquiéter, de manière à lui faire craindre que sa retraite sur la Hollande ne se trouve coupée[14]. » A lire ces lignes, il semble vraiment que, « à force d’en parler et d’en mentir à Paris, on avait fini par croire que l’armée du Nord existait[15]. »

Maison n’avait pas attendu l’arrivée de cette seconde missive pour justifier sa conduite avec dignité : « Veuillez faire remarquer à l’Empereur, mandait-il au ministre, que je ne pourrai, en retirant tout ce qui est dans les places, n’y laissant rien absolument, rassembler la moitié de ce que vous dites que je dois réunir. Ce n’est pas sur de faux calculs ou des suppositions qu’on peut appuyer une opération de guerre. Je vois avec bien de la peine que, depuis quelque temps, je n’ai plus la confiance entière de l’Empereur. J’ai supporté ce malheur avec courage et ne l’en ai pas moins servi avec zèle et dévouement. Jamais Sa Majesté n’a voulu croire qu’il y eût des forces ennemies ici. Cependant voici le corps de Wintzingerode qui est parti, une portion de celui de Bulow qui file, et j’ai devant moi plus de troupes que je n’en puis réunir. Le Prince de Suède arrive avec son corps de Danois et de Suédois. Les Anglais et les Saxons sont devant Anvers. La Belgique a été noyée de troupes et l’est encore. Comment y aurais-je tenu avec la poignée d’hommes que j’avais[16] ? »

D’un caractère indépendant, mais soldat discipliné, Maison, lorsqu’il recevait du ministre ces deux pénibles dépêches, s’était déjà mis en mesure d’exécuter l’ordre qu’il avait précédemment reçu de se porter en avant. Insuffisamment renseigné par ses reconnaissances et voulant exactement savoir si l’ennemi cherchait à s’emparer d’Ypres pour attaquer ensuite Ostende, Nieuport, Dunkerque, ou bien s’il se préparait à appuyer par Cassel la colonne de Geismar, Maison résolut de se porter sur Ypres par Bailleul, a la tête d’une partie de ses troupes. Laissant Castex sur la Marque avec ordre de s’éclairer dans la direction de Tournai, postant sur la route de Menin le général Barrois avec quatre bataillons, une batterie et quelques cavaliers pour couvrir Lille, et au besoin pour appuyer Castex, le général en chef occupait Armentières le 24 février. Le lendemain, il poursuivait sa marche jusqu’à Bailleul. Mais, apprenant que l’ennemi rétrogradait précipitamment vers Courtrai, Maison se rabattit aussitôt sur Menin, où il prescrivit à Barrois d’aller l’attendre.

En arrivant à Menin, dans la matinée du 26, Maison y trouva les troupes que lui amenait Barrois. Remettant en marche, après quelques heures de repos, sa colonne ainsi renforcée, il arriva devant Courtrai à la tombée de la nuit. Malgré l’obscurité, les soldats de Maison pénétrèrent très résolument dans la ville que l’ennemi évacua presque sans résistance pour se retirer dans la direction d’Audenarde. Etablissant alors Barrois à Courtrai et y appelant Castex qui, trop faible, n’avait pu s’approcher de Tournai, le général en chef retourna de sa personne à Lille.

Cependant, Maison se disposait à marcher sur Gand, pour tenter d’opérer ensuite sa jonction avec la garnison d’Anvers et tirer de cette place, dont les alliés ne pouvaient faire le siège en règle, la division Roguet. Mais, afin de tourner par ailleurs l’attention de l’ennemi et afin de l’amener ainsi à dégarnir la région qui s’étend au Nord de Lille, le général en chef voulut auparavant lui présenter des troupes devant Tournai, où stationnait la division de Borstell, et où le Duc de Weimar venait de transférer son quartier général. Après avoir prescrit à Barrois et à Castex, restés tous deux à Courtrai, de se montrer en avant de cette ville, sur les routes d’Audenarde et de Tournai, Maison, rappelant de Valenciennes le 12e voltigeurs et le réunissant aux détachemens qui cantonnaient derrière la Marque, passa cette rivière, le 1er mars, avec 1 500 fantassins, 4 pièces et quelques cavaliers. Tandis que le régiment de la garde et une partie de l’artillerie suivaient la chaussée, Maison, conduisant le reste des troupes, débouchait de Bouvines, appuyant sa droite, par Cysoing, sur Wannehain et Bourghelles et faisant occuper les bois d’Esplechin. L’ennemi se replia lentement, disputant le terrain pied à pied ; mais sabré et culbuté, à hauteur de Camphin, par un peloton d’avant-garde, il se retira dès lors fort au loin, laissant à Maison toute facilité pour s’avancer jusqu’à Lamain et y prendre position à une lieue et demie de Tournai. Pensant que Borstell en sortirait au secours de ses avant-postes malmenés sur toute la ligne, Maison attendit vainement son adversaire sur cette position, puis, ne pouvant rien entreprendre sur la ville même, il ramena ses troupes derrière la Marque[17].

Soupçonnant que Maison projetait, soit de renforcer la garnison d’Anvers, soit de se réunir à elle pour opérer sur Bruxelles, Weimar voulait réoccuper Courtrai et jeter des troupes sur la rive gauche de la Lys. Ce même jour, il avait donc acheminé vers Warcoing le colonel de Hobe, avec cinq bataillons, trois escadrons et dix pièces. En même temps, il invitait le major Hellvig, dont les troupes occupaient Audenarde, à marcher vers Courtrai[18]. Le lendemain, Hobe et Hellvig attaquaient simultanément les avant-postes établis à Belleghem et à Sweveghem et les forçaient à se replier sur Courtrai. Mais Barrois, détachant une colonne dans la direction de Sweveghem, pour contenir Hellvig, portait en même temps deux bataillons et de l’artillerie sur la route de Tournai, à la rencontre de Hobe, qui s’avançait par cette chaussée. Ainsi arrêté de front dans sa marche, Hobe, appuyant alors à droite, gagnait à travers champs Sweveghem, pour y soutenir Hellvig, qui venait lui-même d’être refoulé sur ce point. Après une courte résistance, Hobe et Hellvig se retirèrent sur Harlebeke, où ils passèrent la Lys, pour opérer ensuite un mouvement vers Menin. Hobe pensait décider ainsi Barrois à évacuer Courtrai ; mais, apprenant que le poste de Menin se trouvait solidement défendu, le colonel prussien se dirigea sur Audenarde, tandis que Hellvig allait se poster à Deynze. En effet, Maison avait réuni à Menin quelques bataillons, qu’il venait de tirer des places, afin de renforcer sa petite armée avant de la porter sur Gand ; mais la présence de Hellvig à Deynze sur la route de Gand obligeait Maison à modifier ses projets et le forçait maintenant a manœuvrer de façon à faire supposer au Duc de Weimar qu’il avait pour objectif Bruxelles, et non point Anvers.


VI

Maison, qui avait réuni à Courtrai toutes les troupes dont il pouvait disposer, se porta, le 5 mars, sur Audenarde avec 5 400 fantassins, 930 cavaliers et dix-neuf bouches à feu. La division Barrois tenait la tête de la colonne, la division Solignac, à l’arrière, couvrait le parc, suivie du gros de la cavalerie. En même temps, un détachement aux ordres du général Penne se dirigeait sur Vive-Saint-Eloi, pour surveiller la contrée vers Deynze, et surtout pour observer la route de Gand, par où Hellvig pouvait chercher à menacer les communications de Maison. Le général en chef espérait déloger d’Audenarde le colonel de Hobe, y passer l’Escaut et refouler Hobe jusqu’à Renaix. Débordant ainsi la droite des alliés et poussant Penne, de Vive-Saint-Eloi sur Gand, Maison se rabattrait alors dans la direction de cette ville, de façon à opérer sa jonction avec le général Penne. A la faveur de ce mouvement, peut-être lui serait-il possible de communiquer avec Anvers et d’attirer à soi une partie de la garnison ? Maison tentait une opération qui apparaît singulièrement téméraire quand on songe à la faiblesse numérique de ses forces et aux risques qu’il aurait à courir si, réussissant à déborder l’armée de Weimar, il ne parvenait pas ensuite à communiquer avec Anvers. Mais cette opération se trouvait conforme aux volontés de l’Empereur, qui précisément venait de lui faire écrire : « L’intention de Sa Majesté est que vous marchiez d’abord avec un corps volant de 4 à 5 000 hommes, que vous réunissiez successivement toutes les garnisons et que vous tombiez sur les derrières de l’ennemi[19]. »

Après avoir constamment refoulé les avant-postes de Hobe, les troupes de Maison dépassaient déjà le village d’Avelghem, quand la cavalerie prussienne vint attaquer leur tête de colonne. Cette cavalerie fut repoussée et ramenée battant jusqu’à Peteghem, localité que Hobe avait garnie d’un gros détachement d’infanterie muni de canon. Maison forma aussitôt en colonne à droite et à gauche de la route trois bataillons de la division Barrois, laissant la chaussée à sa cavalerie que précédaient deux pièces d’artillerie légère. En cet ordre, les troupes abordèrent l’ennemi qui, chassé de Peteghem, se reforma sur les hauteurs, entre ce village et Audenarde. Le général en chef fit alors avancer six pièces dans les intervalles des trois bataillons, qui continuaient à marcher en masse à distance de déploiement, des deux côtés de la route, et ordonna de battre la charge. Aux cris répétés de : Vive l’Empereur ! les fantassins de Barrois se ruèrent sur l’ennemi, qui, sans attendre leur choc, se retira précipitamment dans Audenarde.

Audenarde possédait encore des restes de fortifications qu’entourait un fossé profond en communication avec l’Escaut, dont les eaux inondaient alors toutes les avenues de la ville. Du côté par où les Français arrivaient, on ne pouvait pénétrer dans l’enceinte qu’au moyen d’un seul pont établi sur le fossé et d’une seule porte située immédiatement au-delà de ce pont Il était environ quatre heures lorsque Maison parut devant Audenarde. Ses troupes s’avançaient sur deux colonnes soutenues par le feu très vif de son artillerie. Malgré une chaude riposte de mousqueterie et de mitraille, le général en chef put reconnaître que Hobe avait creusé des tranchées dans les saillans des anciens ouvrages pour y abriter son infanterie et qu’il avait établi son artillerie de manière à couvrir la porte et à défendre le pont, déjà rendu impraticable. Ainsi la partie de la ville qui s’étend sur la rive gauche de l’Escaut formait en quelque sorte une tête de défilé très difficile à attaquer. Si Maison parvenait à enlever cette tête, il lui faudrait ensuite passer l’Escaut dans Audenarde, puis déboucher devant la superbe position que, sur l’autre rive, les monts d’Edelaere offraient à son adversaire.

Maison croyait encore qu’il avait affaire au seul détachement de Hobe, quand les habitans l’informèrent que ce détachement venait d’être renforcé, à la fois par les troupes envoyées de Tournai et par celles du major Hellvig, rappelé de Deynze. Hobe disposait donc de 5 000 hommes, postes dans la ville ou établis en arrière. De plus, Maison apprit que deux colonnes, fortes ensemble d’environ 2 500 combattans, s’acheminaient vers Gand, l’une expédiée le matin même d’Audenarde, l’autre de Bruxelles. Le général en chef ne pouvait plus songer à emporter Audenarde sans des sacrifices disproportionnés à ses forces. Mais, bien que prévenu par l’ennemi à Gand, marcherait-il quand même sur cette ville, puis sur Anvers, pour tendre la main à Roguet ? Maison comprit les dangers que présentait l’entreprise ; car, s’il ne parvenait pas ensuite à attirer à soi la division Roguet, il resterait alors dépourvu de tout moyen de retraite et de communication quelconque. L’occupation de Gand par les alliés rendait en effet problématique sa jonction avec la garnison d’Anvers. Si les troupes ennemies qui stationnaient à Gand coupaient les ponts de l’Escaut, comme elles venaient de couper celui de la Durme à Lokeren, et arrêtaient Maison quelques heures seulement devant Gand, tandis que, d’Audenarde, Hobe l’aurait suivi, l’armée se trouverait dans une situation des plus fâcheuses. Ces raisons décidèrent le général en chef à se retirer, durant la nuit, sur Courtrai.

Le mouvement de retraite commença à deux heures du matin, et déjà l’armée était en marche, quand Maison fut avisé qu’une partie des troupes de Hobe remontait la rive droite de l’Escaut. D’autre part, un poste, laissé la veille à Avelghem, observait que les alliés se portaient en forces et directement de Tournai vers Courtrai. Sentant sa ligne d’opération menacée, Maison détacha aussitôt plusieurs escadrons et des pièces d’artillerie légère avec ordre d’occuper, à Courtrai, la porte de Tournai. Le colonel Doguereau, de l’artillerie de la garde, contint devant cette porte, par quelques coups de canon, les coureurs ennemis. Pendant ce temps, le général en chef, parvenu à Sweveghem, envoyait à Belleghem une petite colonne, qui devait prendre les alliés en flanc, tandis que lui-même les attaquerait en tête. Mais ils se replièrent alors dans la direction de Tournai, poursuivis jusqu’à Coyghem par Maison qui, voyant ses troupes fatiguées, y prit position. Contenu devant Audenarde par plus de 5 000 hommes, inquiété dans sa retraite par 4 000 au moins, Maison, sans laisser entamer sa petite armée, avait su la ramener à Courtrai, d’où elle menaçait encore Tournai, Audenarde et Gand. Mais l’ennemi, qui occupait maintenant ces trois villes et y couvrait les ponts de l’Escaut, allait sans doute opérer un mouvement concentrique sur Courtrai ; Maison établit donc ses troupes de la façon suivante : le général Penne à Belleghem, avec un bataillon, 100 chevaux et une batterie et demie de la garde ; le général d’Audenarde major commandant le 2e chevau-légers lanciers de la garde, à Sweveghem, avec un de ses escadrons, 2 bataillons et une demi-batterie de la garde ; le colonel de Lastours, chef d’escadron au même régiment des lanciers, à Harlebeke, avec un bataillon, 100 chevaux et 2 pièces ; le général Castex à Cuerne et Heule, avec un bataillon, 2 pièces et le reste de la cavalerie ; Barrois et Solignac, à Courtrai, avec les autres bataillons de leurs divisions, 400 chevaux et 12 canons.

Depuis quelque temps, le Duc de Weimar projetait de porter toutes ses forces sur la rive gauche de l’Escaut et de prendre l’offensive. Pour mieux assurer sa communication avec Audenarde, comme pour augmenter ses moyens de retraite, il avait établi un pont à Herinnes et décidé que Hobe, faisant opérer une simple démonstration en avant d’Audenarde, passerait ce pont avec la majeure partie de ses troupes et rejoindrait l’armée alliée à Warcoing. L’attaque d’Audenarde par Maison et la retraite du 1er corps sur Courtrai modifièrent ces dispositions. N’acheminant plus vers Warcoing qu’un faible détachement, destiné à s’y réunir aux troupes que Weimar y laisserait, le colonel de Hobe reçut l’ordre de marcher directement, par Avelghem, sur Sweveghem, tandis que le gros du 3e corps allemand, venant de Tournai, se dirigerait sur Belleghem[20]. En même temps, une colonne devait se porter de Deynze sur Harlebeke. Le 7 mars après-midi, l’ennemi attaqua simultanément les postes de Belleghem, de Sweveghem et de Harlebeke.

Borstell se présentait avec 15 000 hommes environ devant Belleghem, où commandait le général Penne. Ne pouvant opposer à Borstell une résistance profitable, Penne se replia presque aussitôt, mais en bon ordre, sur une hauteur. Apprenant à la fois que trois de ses postes étaient attaqués, mais prévoyant que le principal effort de son adversaire se produirait sur la route de Tournai, Maison, sans hésiter, se porta au secours de Penne avec trois bataillons de la division Solignac, 200 cavaliers et une batterie d’artillerie légère. Enfilées par le feu de cette batterie sur une grande profondeur, les troupes de Borstell, qui s’avançaient en colonne, s’arrêtèrent alors pour se déployer des deux côtés de la route. Sur ces entrefaites, quelques autres bataillons de la division Solignac et une brigade de la division Barrois arrivèrent de Courtrai. Maison forma ces troupes devant l’ennemi, sur une position avantageuse où il se sentait bien en mesure de soutenir un combat jusqu’à la nuit et où il attendit de pied ferme. Mais, à quatre heures et demie, Borstell, après avoir placé ses postes, se retira lentement sur Belleghem. Maison, laissant alors sur la position le général Penne, rentra à Courtrai.

Pendant que ces événemens s’accomplissaient sur la route de Tournai, d’autres se succédaient de moindre importance, sur celle d’Avelghem où le colonel de Hobe, à la tête de 3 000 hommes, avait attaqué le poste de Sweveghem, poste que défendait le général d’Audenarde avec deux bataillons de jeune garde, deux pièces et un escadron de ses lanciers. Une action s’engagea en avant de Sweveghem, action très vive durant laquelle ce jeune général parvint à repousser plusieurs fois l’ennemi qu’il reconduisit même jusqu’à une lieue du village. Mais Hobe ayant alors mis en ligne des troupes fraîches, d’Audenarde se vit rejeté sur Sweveghem. Encore aux prises avec Borstell, Maison ne pouvait alors envoyer à d’Audenarde le secours que ce général lui demandait. « Après un combat brillant, » d’Audenarde se replia jusqu’à mi-chemin de Courtrai, au moment où la retraite du gros de l’armée allemande sur Belleghem permettait enfin à Maison de le secourir en envoyant à lui Barrois[21]

Tandis que les alliés attaquaient Penne à Belleghem et d’Audenarde à Sweveghem, une colonne ennemie venant de Deynze et forte seulement de 1 200 hommes, menaçait sur la route de Gand le poste de Harlebeke ; mais, grâce surtout aux excellentes dispositions qu’il sut prendre, le colonel de Lastours s’y était maintenu sans peine.

Des faits qui s’étaient déroulés pendant cette journée et du dénombrement des forces que son adversaire lui avait présentées sur chacun de ces trois points : Belleghem, Sweveghem et Harlebeke, forces partout doubles des siennes, il semblait clairement résulter pour Maison que l’ennemi, débordant sa droite par Rolleghem, l’attaquerait, le lendemain, en deux colonnes. Or les engagemens de Belleghem et de Sweveghem coûtaient déjà au 1er corps 180 tués, blessés ou disparus, et le général en chef ne se souciait pas de risquer une nouvelle affaire dans le seul dessein de garder Courtrai, position facile à attaquer, mais difficile à défendre, et qu’il ne jugeait pas essentiel de conserver. Il résolut donc aussitôt de quitter cette ville au jour naissant, mais fut moins prompt à se fixer quant au chemin qu’il devait suivre.

Une idée qui ne se présenterait peut-être point à l’esprit d’un docte théoricien militaire, mais une idée étrangement téméraire, comme parfois il en naît soudain au cœur d’un soldat, s’empare alors de Maison. Si, laissant à Courtrai une arrière-garde pour amuser l’ennemi, il se mettait en marche avant le jour et suivait pendant une lieue environ la route de Tournai, puis se jetait à gauche pour se faufiler entre cette route et celle d’Avelghem, à travers un pays coupé, fourré, couvert, très favorable à son projet, il tomberait ensuite sur les flancs et les derrières des alliés au moment où ils pénétraient dans la ville par les deux chaussées et en ferait un effroyable carnage. Moins impétueux ou plus sages, deux de ses généraux déconseillèrent à Maison cette entreprise. Il finit par céder à leurs instances, mais, après bien des années, il regrettait encore de les avoir alors écoutés.

Maison n’avait plus qu’à se rapprocher de Lille. Le 8 au matin, le quartier général alla donc s’établir à Roncq, avec le gros de la division Barrois, dont une partie prenait position à Halluin, tandis que la cavalerie se plaçait en échelons sur la route de Menin. Quant à la division Solignac, elle se porta jusqu’à Comines pour y garder la Lys. Mais, le lendemain, Solignac constatait la présence à Menin d’un fort parti de cavaliers et de cosaques, que Weimar avait expédié en hâte sur ce point, aussitôt après l’évacuation de Courtrai par nos troupes. Maison crut donc devoir ramener de Roncq à Roubaix son quartier général et la division Barrois.

Cependant, le Prince royal de Suède, dont les alliés annonçaient depuis longtemps l’arrivée, venait enfin de pénétrer en Belgique avec son armée. A le voir s’attarder de ville en ville, on pouvait penser qu’il lui en coûtait d’avoir bientôt à envahir le sol de son ancienne patrie. Mais à ce sentiment naturel s’ajoutaient d’ambitieuses visées : prévoyant la chute prochaine de Napoléon, Bernadotte cherchait à préparer sous main son propre avènement au trône de France. Pour Bernadotte, c’était une chance tout à fait propice que de trouver à la tête du 1er corps un général qui avait été son aide de camp et qui restait son ami, un général longtemps tenu en dehors des hauts emplois et qu’assurément aucun sentiment de reconnaissance ne devait lier personnellement à l’Empereur. Le comte Beugnot, préfet du Nord, qui ne se montrait point alors hostile à l’idée d’une régence, fut fort vite, et pour cause, au courant des intrigues de Bernadotte. Craignant que Maison ne les favorisât, le préfet chercha à pénétrer quels étaient les rapports du général avec le Prince royal de Suède. « Le général Maison, marque Beugnot, me dit qu’il soupçonnait en effet au Prince royal des vues au trône de France. Ce Prince l’avait sondé par ses aides de camp, il lui avait fait quelques communications écrites, mais avec la précaution de ne rien laisser dans ses mains. Le général Maison n’avait pas l’air de s’associer le moins du monde aux espérances du Prince et les tournait plutôt en ridicule. Il annonçait comme parti pris de défendre jusqu’à la dernière extrémité la cause de l’Empereur[22]. »


VII

Le commandant du 1er corps ne céderait pas davantage aux sollicitations du parti royaliste, qui commençait alors à se montrer en Flandre et en Artois. Les émissaires de ce parti comptaient détacher aisément Maison de la cause impériale et s’assurer par ce moyen le concours d’une petite armée. Le Comte de Provence fit donc offrir au général « le bâton de maréchal, le gouvernement à vie des places de Belgique et un établissement proportionné à cette haute fortune. » Maison dédaigna ces avances tout comme il repoussa les propositions de Bernadotte, car il sentait bien que la cause de l’Empereur restait encore celle de la France[23].

Pendant ce temps le duc de Weimar augmentait notablement les forces de son corps d’armée. Le général de Thielmann lui avait amené de Bruxelles 7 000 fantassins et un nombre égal de recrues pour l’infanterie et la cavalerie saxonne. Non compris divers détachemens isolés, le 3e corps allemand se composait dès lors de 18 000 hommes, 1 000 chevaux et 3 batteries et demie. En ajoutant à ces forces les troupes de Borstell ainsi que celles du major Hellvig et du colonel Bichalov, Weimar disposait donc de 27 000 baïonnettes, 3 100 sabres et 41 bouches à feu[24]. Avec les forces maintenant réunies sous ses ordres, le Duc de Weimar ne pouvait, sans manquer aux vrais principes de la guerre, demeurer plus longtemps immobile à Tournai. Tout en laissant devant Lille les troupes nécessaires pour surveiller Maison, il devait chercher à s’emparer des places qui gênaient ses communications avec l’armée de Silésie, et notamment de Maubeuge, car, tant que les alliés ne seraient pas maîtres de cette ville, ils resteraient obligés, pour la contourner, d’utiliser des routes secondaires que le dégel allait rendre impraticables. Dans la nécessité où il se trouvait de suppléer à l’insuffisance de son matériel de siège par un outillage de fortune, le Duc de Weimar voulut tenter de prendre Maubeuge par surprise. Après avoir confié à Thielmann le soin de garder Tournai et de contenir Maison, Weimar résolut de diriger sur Mons la portion principale de son armée. Transférant son quartier général à Fontaine, il mit ses troupes en marche le 17 mars.

Nous avons dit comment Maison, après l’évacuation de Courtrai, avait ramené ses troupes sous Lille. Entre la sûreté des places dont il devait assurer défense et l’obligation où il était de renforcer son armée pour reprendre avantageusement l’offensive, le général en chef se trouvait dans un dilemme redoutable. S’il se conformait aux intentions de l’Empereur qui voulait que dorénavant les milices urbaines fussent seules chargées de garder les places, le général en chef pouvait assurément en tirer les troupes de ligne nécessaires à compléter la division Solignac ; mais les gardes nationales ne se montraient pas, en général, animées d’un bon esprit. Leur organisation se poursuivait lentement, car, sans attendre pourtant l’ennemi en libérateur, les habitans de cette région se résignaient, par apathie, à accepter le joug de l’étranger. Quels élémens pouvait offrir Landrecies, où la population ne dépassait pas 1 500 âmes ? Persuadé d’ailleurs que les alliés attaqueraient prochainement l’une des places de l’ancienne frontière, Maison ne voulait pas entièrement les dégarnir de troupes de ligne. Il opéra donc principalement sur les garnisons d’Ypres et d’Ostende les prélèvemens ordonnés par l’Empereur. En même temps il prescrivit au général Brenier d’acheminer sur Lille tous les hommes présentement disponibles dans les dépôts de sa division militaire. Cette mesure n’allait produire que des résultats insignifians. A la date du 20 mars, la 16e division militaire était parvenue à fournir 6 600 hommes pour la formation du 1er corps ; mais comme Maison jugeait indispensable de laisser 5 500 hommes dans les places, il ne lui restait que 1 100 hommes pour renforcer son corps d’armée.

Ainsi Maison disposait tout au plus de 7 000 hommes, lorsque différens rapports l’avisèrent que l’ennemi faisait fabriquer des pots à feu, réquisitionnait dans le pays toutes les échelles à incendie et en construisait de fort larges avec les mats des bateaux qui naviguaient sur l’Escaut. Bientôt le général en chef fut positivement informé que Weimar opérait un mouvement sur les places de la frontière. Cette nouvelle ne l’étonna point ; depuis longtemps il prévoyait que les alliés tenteraient d’escalader quelqu’une de ces places dont ils connaissaient la faiblesse, et sans doute Maubeuge, qui gênait particulièrement leurs communications. Maison renforça donc d’un bataillon les garnisons de Maubeuge et de Valenciennes et pour se mettre mieux en mesure d’observer les opérations de l’ennemi, plus à même aussi de secourir celles des places qui se verraient menacées, il abandonna les positions de Roubaix et de Tourcoing, et resserra ses troupes autour de Lille. Le 1er corps venait à peine de terminer ce mouvement quand, le 21 mars, Thielmann, qui occupait Tournai, se décida à faire attaquer Lille. Tandis qu’un détachement ennemi, porté vers le Quesnoy-sur-Deule, allait jusqu’à Pont-Rouge reconnaître le poste que Maison y avait laissé pour maintenir ses communications avec Ypres, une forte colonne passait la Marque sur trois points à la fois et repoussait les avant-postes de la division Barrois vers Hellemmes et Lezennes, villages occupés par cette division. Pendant que Barrois réunissait ses troupes à Hellemmes et faisait tête à l’ennemi, dans Lille les canonniers bourgeois couraient à leurs pièces et les gardes nationaux prenaient les armes. Laissant aux Lillois, qui d’ailleurs se présentèrent fort bien, la garde des remparts, et sortant alors de la place avec les troupes de la garnison, la division Solignac et le gros de la cavalerie, Maison se porta sur Sainghin, menaçant ainsi le flanc gauche et les derrières de l’ennemi. Rejetés par Barrois sur Tressin et sur Austaing et par Maison sur Bouvines, les alliés se retirèrent derrière la Marque, cherchant à y prendre position. Mais passant à leur tour cette rivière et culbutant l’ennemi, nos troupes le poursuivirent au-delà de Tressin jusqu’à Baisieux, au-delà de Bouvines jusqu’à Cysoing. Si la nuit ne fût venue, elles l’auraient sans doute ramené jusqu’à Tournai, malgré le mauvais état d’un terrain rendu mou par le dégel.

Le même jour, dans l’intention de s’établir entre Maison et les places de l’ancienne frontière, Thielmann s’était avancé jusqu’à Orchies, d’où il avait poussé un gros détachement vers Pont-à-Marcq. Un bataillon du 75e de ligne, muni de 2 canons, et 200 cavaliers, qui défendaient ce village, avaient contenu, durant quatre heures, puis repoussé jusqu’à Capelle le détachement ennemi fort de 2 000 hommes et de 7 bouches à feu. Ce fut seulement dans la soirée, et après avoir repassé la Marque, que Maison apprit le mouvement opéré par les alliés vers Orchies. Il ne pouvait plus songer alors à se porter sur les derrières de Thielmann qui, à la nouvelle de l’échec subi par ses troupes devant Lille, s’était lui aussi replié sur Tournai.

Maison pouvait assurément se montrer satisfait de ses soldats, mais n’en comprenait pas moins qu’ayant devant soi un ennemi très supérieur en nombre, il ne pourrait rien tenter de sérieux avec sa petite armée, tant qu’elle resterait privée de la division Roguet. Dès longtemps, le général en chef avait engagé Carnot, gouverneur d’Anvers, à tenir cette division sur Beveren et Saint-Nicolas, afin qu’elle fût toujours prête à rejoindre le 1er corps aux environs de Gand. Bientôt informé que Weimar attaquait Maubeuge et persuadé que ce général emmenait avec lui la principale portion de son armée dont, par suite, il avait dû laisser la droite considérablement affaiblie, assuré d’autre part que les braves gens qui gardaient Maubeuge opposeraient à l’ennemi une solide résistance, Maison crut le moment venu de marcher sur Gand, non point seulement pour opérer une diversion, mais surtout pour opérer enfin sa jonction avec la garnison d’Anvers[25]. Le général en chef se proposait de surprendre tout d’abord Courtrai, puis de pousser droit sur Gand, en exécutant ainsi devant l’ennemi une marche de flanc le long de la Lys. Prévenant Carnot de ses projets, faisant répandre par la ville que le 1er corps allait rejoindre la Grande Armée, Maison prit aussitôt ses dispositions pour sortir de Lille avec toutes ses troupes.)


VIII

Maison sortit de Lille à la tête du 1er corps, le 25 mars au matin. Après avoir délogé de Menin le major Hellvig, qui opéra sa retraite dans la direction d’Audenarde, il s’établit à Courtrai, poussant ses avant-postes sur la route de Gand jusqu’à Vive-Saint-Eloi. Mais pour faire croire à Hellvig qu’il se proposait de marcher comme précédemment sur Audenarde, le général en chef détacha vers l’Escaut la brigade Penne, de la division Solignac, brigade qui alla prendre position à Peteghem avec une portion de la cavalerie et quelques pièces d’artillerie légère. Le lendemain, la brigade Penne se replia pour venir former l’avant-garde de l’armée qui dès l’aube quitta Courtrai, surprit à Deynze les éclaireurs ennemis et arriva sous les murs de Gand à deux heures de l’après-midi. 200 cosaques aux ordres du colonel Bichalov et un régiment belge qui s’y formait sous le commandement du colonel Polis et que soutenaient deux bouches à feu, composaient toute la garnison de cette ville.

A l’approche de l’armée française, les cosaques s’avancèrent au dehors, mais furent sabrés de terrible manière par les lanciers du général d’Audenarde et ramenés battant jusqu’à l’entrée de la ville. Comme la porte s’en trouvait fermée et gardée par quelques fantassins, Maison lança la brigade Penne à l’attaque de cette porte que ses défenseurs abandonnèrent aussitôt. Vainement un escadron de cosaques tenta courageusement de charger encore. Il fut repoussé et presque anéanti par les cavaliers du 2e lanciers de la garde. Bichalov, contraint d’évacuer Gand, se retira sur Molle, mais le colonel Polis et plusieurs officiers du régiment belge, avec la majeure partie d’un bataillon de ce régiment, furent faits prisonniers[26].

Dès son arrivée à Gand, Maison avait pris les mesures nécessaires pour rétablir ses communications avec Anvers. Informé que des coureurs ennemis se montraient dans la direction de Lokeren, il avait fait partir aussitôt pour Anvers son sous-chef d’état-major, le colonel Villatte, avec une compagnie de voltigeurs, montée sur des voitures du pays, qu’escortaient une cinquantaine de cavaliers qui devaient accompagner ce détachement jusqu’au-delà de Lokeren. Villatte emportait, à l’adresse de Carnot, l’ordre de mettre à la disposition du général en chef la division Roguet avec son artillerie ainsi que les lanciers et gardes d’honneur restés dans la place. Villatte arriva sans encombre, et dans la nuit même, à destination. Ainsi « moins de quarante heures » après son départ de Lille, Maison avait des troupes sous Anvers.

Roguet quitta Anvers le 27 mars, passa l’Escaut et se porta vers Gontrode et Gyzenzeele, où Maison le posta afin de convaincre l’ennemi qu’il se disposait à marcher par Alost sur Bruxelles, alors que, en réalité, il se proposait de ramener à Lille son armée renforcée et d’aller aussitôt dégager Maubeuge.

Dès qu’il eut appris l’arrivée de Maison à Gand, le général de Thielmann, voulant lui couper la retraite, s’était avancé avec 5 000 hommes de Tournai jusqu’à Courtrai. Mais craignant que le 1er corps n’eût réussi à opérer sa jonction avec la garnison d’Anvers et sentant que, dès lors, il ne se trouverait plus assez supérieur en forces, Thielmann s’était replié pour réunir à ses troupes sept bataillons et quelques escadrons saxons qui lui arrivaient d’Audenarde. Cependant le Duc de Weimar, trompé sur les projets de Maison, prenait ses dispositions pour couvrir Bruxelles. Appelant à son aide la division suédoise du général Walmoden, division qui, détachée du corps du Prince royal, occupait alors Louvain, Weimar concentrait à Alost 9 000 hommes et 900 chevaux avec lesquels il se proposait de prendre en front l’armée française, tandis que Thielmann la menacerait en flanc avec 15 bataillons et 700 cavaliers. En même temps, quelques troupes alliées se postaient à Courtrai, Harlebeke et Deynze, un détachement s’établissait à Leuze, comme soutien de la garnison de Tournai, et le major Hellvig allait renforcer devant Condé et Valenciennes la chaîne des avant-postes[27] .

En opérant, par cette marche hardie, sa jonction avec la division Roguet, Maison avait renforcé son armée d’environ 4 000 baïonnettes, 260 sabres et 14 pièces, de sorte que l’ensemble de ses forces s’élevait maintenant à 9 700 fantassins, 1 360 cavaliers et 35 bouches à feu[28] ; néanmoins, ces forces restaient encore très inférieures à celles de son adversaire.

En établissant la division Roguet à Gontrode, en poussant des reconnaissances bien au-delà sur la route d’Alost, en répandant parmi les habitans qu’il allait marcher sur Bruxelles et délivrer la Belgique, Maison était parvenu à tromper le Duc de Weimar sur ses projets ; mais, pour regagner Lille, il lui fallait en outre échapper à la surveillance de Thielmann qui avait pris position à Audenarde. Si Thielmann, avec 12 000 hommes, allait se placer sur la route de Courtrai, droit entre la Lys et l’Escaut, appuyant ses deux ailes à ces deux cours d’eau ; si en même temps les troupes concentrées à Alost venaient se poster à proximité de Gand, sur la chaussée de Bruxelles, dans le rentrant que forme l’Escaut ; si enfin Graham détachait à Termonde quelques-uns des régimens employés à l’investissement d’Anvers, la situation de l’armée française deviendrait absolument critique. Maison, coupé à la fois de Lille et d’Anvers, n’aurait plus alors d’autre ressource que de se jeter sur les places maritimes. Or le retour à Lille était pour lui, selon sa propre expression, « la grande affaire. » Le général en chef avait supputé ces conséquences possibles de sa marche sur Gand, mais, connaissant l’indécision de son adversaire, il pensait qu’en agissant promptement, il n’aurait point à les redouter. Maison demeurait d’ailleurs convaincu que, sans lui supposer l’intention de retourner à Lille pour sauvegarder les places de l’ancienne frontière, Weimar lui attribuait au contraire deux projets tout différens : ou bien celui de marcher directement sur Bruxelles, ou bien celui de chercher à écraser sous Anvers le corps de blocus pour tenir ensuite la campagne avec avantage en menaçant toujours Bruxelles.

Maison résolut donc de se rabattre immédiatement sur Courtrai. Après avoir fait partir en avant, vers Audenarde, la division Solignac avec un escadron de chasseurs pour occuper momentanément Peteghem et couvrir la marche de ses troupes, Maison évacua Gand, le 30 mars au jour. Le poste que l’ennemi venait de rétablir à Deynze fut surpris et culbuté. Quelques cavaliers prussiens, cantonnés à Courtrai, se retirèrent sans opposer de résistance. Ainsi l’armée put effectuer tranquillement sa marche dangereuse et prendre position sans difficulté à Courtrai. Le général en chef y établit ses troupes de la façon suivante : la division Solignac et un escadron de chasseurs à Belleghem ; la division Barrois et les lanciers à Harlebeke occupant Sweveghem ; la division Roguet, formant réserve, la gendarmerie, le grand parc et le quartier général dans la ville ; le reste de la cavalerie, sous Castex, à la porte de Menin, observant la route d’Ypres[29]

Bientôt informé que Maison lui échappait, Thielmann, rappelant à soi tous ses corps détachés, se portait d’Audenarde sur Avelghem, dans l’espoir de joindre et d’enlever la division Solignac, dont le passage par Peteghem lui laissait supposer qu’elle constituait l’arrière-garde de l’armée française, alors que cette division, qui avait quitté Gand bien avant le gros du 1er corps, venait de s’y réunir à Courtrai. En même temps Thielmann invitait Walmoden à diriger sur Audenarde les forces alliées concentrées à Alost[30].

Le 31 mars, vers six heures du matin, l’avant-garde ennemie commandée par le Prince de Wurtemberg[31]surprit le poste de Sweveghem, qui dut se replier. Les alliés commencèrent alors leur déploiement sur une hauteur, afin d’y former trois colonnes d’attaque. Ayant reconnu ces dispositions, Maison fit sortir aussitôt de la ville plusieurs pièces d’artillerie qui empêchèrent l’ennemi d’achever son déploiement. S’étant d’ailleurs assuré que les alliés arrivaient tous par la seule route d’Audenarde, le général en chef, voulant les rejeter dans le défilé par où ils étaient venus, résolut de les faire attaquer simultanément par les deux ailes tandis qu’il les refoulerait de front. Barrois reçut l’ordre de se porter directement de Harlebeke sur Sweveghem pour attaquer la droite de l’ennemi et lui couper la retraite, tandis que Solignac, partant de Belleghem, menacerait la gauche des alliés. La division Roguet, formée au centre, sur la chaussée d’Audenarde, aurait à les contenir pendant le mouvement des deux ailes et ensuite à les poursuivre. Castex tenait ses cavaliers prêts à soutenir Roguet. Comme en ce pays, par endroits très fourré, il n’était point possible de faire un long usage de l’artillerie, une fusillade très vive s’engagea bientôt sur toute la ligne. Les soldats de Maison abordèrent franchement l’ennemi et partout le culbutèrent en même temps. Comprenant alors que c’était, non point à la seule arrière-garde du 1er corps, mais au 1er corps en entier qu’il avait affaire, Thielmann ordonna sur-le-champ la retraite. Cette retraite allait se tourner en déroute. Écrasés sur leur front d’abord par la division Roguet, puis par les chasseurs du 2erégiment de la garde qui, sous les ordres de Castex et de Meuziau, sabrèrent les cuirassiers saxons et se ruèrent sur l’infanterie ennemie ; forcés de se défiler entre la division Barrois et la division Solignac, dont l’une des brigades, la brigade Penne, pressait vigoureusement leur gauche ; enfin débordés sur leur droite par la brigade Darriule, de la division Barrois, brigade qui s’était établie derrière eux sur la route d’Audenarde, les alliés s’éparpillèrent et prirent la fuite dans toutes les directions. Un bataillon saxon, acculé à un mur, dut mettre bas les armes et trois pièces attelées tombèrent en notre pouvoir. A deux heures de l’après-midi, l’armée de Thielmann se retirait vers Audenarde, poursuivie par le général Darriule qui la reconduisit jusqu’au-delà de Kerkove[32].

« Nous avons fait plus de 1 000 prisonniers, mandait Maison au ministre, et parmi les prisonniers se trouvent deux colonels, plusieurs majors et chefs d’escadron. L’ennemi a laissé plus de 400 morts sur le champ de bataille. Beaucoup se sont noyés en passant trop précipitamment l’Escaut dans des barques. J’estime sa perte à plus de 2 000 hommes, j’ai fait ramasser et conduire à Lille plus de 500 fusils[33]. » Le combat de Courtrai coûtait au 1er corps 300 tués ou blessés ; mais durant toute cette expédition sur Anvers, aucun homme n’était tombé prisonnier et, comme des voitures spécialement destinées à recueillir les éclopés suivaient l’armée, le nombre des traînards fut presque nul.

Cependant, à l’appel de Thielmann, le général Walmoden s’était porté d’Alost sur Audenarde, faisant réoccuper Gand par une colonne dont un détachement aux ordres du colonel de Lottum, se présenta dans la soirée devant Courtrai. Cette tête de colonne eût immanquablement délivré les prisonniers si Maison, qui venait quitter la ville, n’y avait laissé le général d’Audenarde avec ses lanciers, la gendarmerie et un régiment de la division Barrois. L’ennemi fut ainsi contenu et forcé de se retirer au-delà de Harlebeke.

Convaincu que, étant donné le fâcheux état de ses troupes, Thielmann ne pouvait songer présentement qu’à achever sa retraite sur Audenarde, le général en chef, aussitôt le combat terminé, avait acheminé vers Tournai la division Solignac. Puis, après avoir détaché Barrois en observation à Avelghem, Maison se mettait lui-même en marche par sa droite et prenait à son tour, avec la division Roguet et le gros de la cavalerie, la route de Tournai. En traversant Pecq, point où la chaussée venant de Courtrai se réunit à celle qui, longeant la rive gauche de l’Escaut, mène par Avelghem à Audenarde, Maison apprit que Solignac, refoulant les postes ennemis, allait arriver devant Tournai. Le général en chef se hâta de le rejoindre avec la cavalerie et du canon.

L’artillerie prit position au Nord de Tournai sur la route d’Audenarde, à l’Ouest sur celle de Lille et ouvrit son feu à la nuit tombante, tandis que la division Solignac cherchait À s’approcher de la place dont la garnison, aux ordres du colonel Eglastein, s’élevait à environ 2 000 hommes. L’infanterie ennemie, postée sur les remparts, se vit bientôt fusillée par les tirailleurs de la division Solignac qui s’étaient avancés jusqu’au pied même de ces remparts et le tir des quelques pièces de gros calibre, dont disposait Eglastein, restait sans grand effet, alors que nos obus tombaient dru sur la ville et y causaient certains dommages. Au début de cette action, Maison n’avait eu sous la main, en fait d’infanterie, que la seule division Solignac, car la division Barrois était restée en observation à Avelghem. Elle devait ensuite se rabattre directement sur Lille pour couvrir la marche de la gendarmerie et des prisonniers, du grand parc et des bagages qui s’acheminaient de Courtrai à Lille par Menin. Quant à la division Roguet que, chemin faisant, le général en chef avait laissée en arrière, elle ne put arriver qu’assez tard devant Tournai. Comme les troupes, qui toutes avaient combattu à Courtrai dans la matinée, semblaient harassées, Maison ne voulut point engager les régimens de Roguet. À dix heures du soir, il fit cesser le bombardement. Mais, durant la nuit, Maison, qui avait maintenu fort prudemment toutes ses forces sur la rive gauche de l’Escaut, fut avisé que, par-delà ce fleuve, des renforts s’introduisaient dans la place. La brigade Gablentz, arrivant d’Audenarde par la rive droite, et le détachement établi à Leuze en soutien de la garnison entraient en effet à Tournai. Constatant que dès lors la ville était bien gardée, Maison quitta les hauteurs d’Orcy, le 1er avril au jour, pour rentrer à Lille, où, dans cette même matinée, tout le corps d’armée se trouva réuni[34]. Ainsi, en moins d’une semaine, Maison, délogeant l’ennemi de Courtrai, puis de Gand, opérait sa jonction avec la garnison d’Anvers et ralliait à soi la division Roguet. Trompant alors sur ses projets le Duc de Weimar, il se retirait tranquillement vers Courtrai où il battait Thielmann lancé à sa poursuite ; il allait bombarder Tournai ; enfin il ramenait à Lille son armée renforcée et maintenant prête à marcher au secours des places de l’ancienne frontière.

Cependant les alliés s’étaient trouvés dans la nécessité de lever le siège de Maubeuge ; car Borstell, qui contenait les garnisons de Condé, du Quesnoy et de Valenciennes, venait de recevoir l’ordre d’aller rejoindre, devant Soissons, l’armée de Bulow dont il était momentanément détaché. Durant plusieurs jours, on ignora complètement à Lille cette heureuse nouvelle. Aussi, à peine arrivé, Maison prit-il ses dispositions pour opérer un mouvement sur les places de l’ancienne frontière, se proposant d’aller tout d’abord secourir Maubeuge, puis de marcher sur Landrecies et découper les communications de l’ennemi.

Maison se mit en marche le 4 avril et apprit, le 5, en arrivant à Valenciennes, l’entrée des alliés à Paris. En présence des graves événemens qui se déroulaient dans la capitale, et maintenant informé que l’ennemi venait de lever le siège de Maubeuge, Maison résolut aussitôt de retourner à Lille, non toutefois sans renforcer au préalable les garnisons des diverses places, de façon à les mettre en état de faire face à toutes les éventualités. Quelques jours plus tard on eut connaissance de la formation d’un gouvernement provisoire et comme on fut alors informé que divers corps de l’armée française avaient déjà convenu avec les puissances alliées des suspensions d’armes, Maison et Thielmann, voulant éviter une effusion de sang désormais inutile, s’entendirent, à la date du 7 avril, pour cesser entre eux deux les hostilités.


A la tête du 1er corps Maison était parvenu à sauver la partie de la frontière qu’il avait pour mission de protéger. Après avoir écarté d’Anvers les alliés et pourvu à la défense de cette place en y laissant presque toutes les troupes destinées à son armée, Maison, plutôt que de s’y enfermer, s’en était au contraire détaché pour tenter de couvrir la Belgique. Avec 5000 hommes seulement il s’était tout d’abord porté sur Bruxelles, mais soucieux par-dessus tout de sauvegarder l’ancienne frontière, il s’était bientôt rabattu sur Mons et ensuite sur Lille, jetant dans les places, au fur et à mesure qu’ils arrivaient, la majeure partie des soldats que les dépôts parvenaient à lui fournir, ne conservant avec soi « qu’une poignée d’hommes » pour manœuvrer en avant de ces places, mais « gardant une force toujours active pour se ruer sur les détachemens ennemis qui se trouvaient à sa portée[35]. » Puis, quand il reconnut que son adversaire considérablement renforcé pouvait l’immobiliser sous les murs de Lille, Maison se portant vers Gand, d’une marche hardie alla tirer d’Anvers la division Roguet. Disposant dès lors de 11 000 hommes avec lesquels il irait débloquer Maubeuge et menacer les communications de Bulow, il battait Thielmann à Courtrai, le jour même où les alliés entraient à Paris.

Sans jamais se laisser abattre par « les reproches immérités » que l’Empereur lui avait trop souvent adressés, Maison « s’était montré habile, vigoureux et infatigable dans la défense de cette frontière[36]. » Et plus tard, remémorant les résultats que, malgré des difficultés sans nombre, le commandant de l’armée du Nord avait pourtant obtenus, Napoléon manifestait ainsi la haute estime qu’il accordait à Maison : « Ses manœuvres autour de Lille, dans la crise de 1814, avaient attiré mon attention et l’avaient gravé dans mon esprit[37]. »


CALMON-MAISON.

  1. Maison au ministre. 31 janvier 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  2. Maison au ministre, 2 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  3. Maison au ministre, 29 janvier 18H. — Archives historiques de la Guerre.
  4. Id, ibid.
  5. Maison au ministre, 31 janvier 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  6. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique, pendant l’année 1814.
  7. Obert à Maison, 7 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  8. Brenier à Maison, 5 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  9. Maison au ministre, 12 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  10. Maison au ministre, 18 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  11. Le ministre à Maison, 16 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  12. Maison au ministre, 19 février 1811. — Archives historiques de la Guerre.
  13. Le ministre à Maison, 22 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  14. Le ministre à Maison, 23 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  15. Mémoires du comte Beugnot, p. 418.
  16. Maison au ministre, 24 février 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  17. Maison au ministre, 2 mars 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  18. Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du Duc de Weimar, en 1814 : Relation de Plotho.
  19. Le ministre à Maison, 2 mars 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  20. Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du Duc de Weimar, en 1814 : Relation de Plotho,
  21. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique pendant l’année 1814 : Annotations du général Maison.
  22. Mémoires du comte Beugnot, p. 448 et 449.
  23. Discours prononcé à la Chambre des pairs dans la séance du 22 mars 1842, par le duc Victor de Broglie à l’occasion du décès de M. le maréchal marquis Maison.
  24. Opérations du 3e corps allemand sous les ordres du Duc de Weimar en 1814. Relation de Plotho.
  25. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique pendant l’année 1814 : Annotations du général Maison.
  26. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique pendant l’année 1814 : Annotations du général Maison. — Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du Duc de Weimar en 1814 : Relation de Plotho.
  27. Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du Duc de Weimar en 1814 : Relation de Plotho.
  28. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique, pendant l’année 1814.
  29. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique pendant l’année 1814.
  30. Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du Duc de Weimar en 1814 : Relation de Plotho.
  31. Il s’agit ici, non point du Prince royal, mais vraisemblablement du Prince Paul-Charles-Frédéric-Auguste, second fils du roi de Wurtemberg.
  32. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique pendant l’année 1814. — Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du Duc de Weimar, en 1814 : Relation de Plotho. — Maison au ministre, 1er avril 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  33. Maison au ministre, 1er avril 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  34. Historique des opérations du 1er corps d’armée en Belgique pendant l’année 1814. — Opérations du 3e corps d’armée allemand sous les ordres du duc de Weimar en 1814 : Relation de Plotho. — Maison au ministre, 1er avril 1814. — Archives historiques de la Guerre.
  35. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, 1. LII.
  36. Id., ibid.
  37. Extrait de la Revue générale biographique et nécrologique, publiée sous la direction de M. E. Pascallet, Paris, 1845, p. 17.