Le Fils du diable/VII/4. La tour du Guet

Legrand et Crouzet (Tome IIIp. 306-315).
Septième partie

CHAPITRE IV.

LA TOUR DU GUET.

Le lendemain était le jeudi de la mi-carême. C’était le soir que devait avoir lieu ce fameux bal masqué dont les convives de Geldberg se faisaient fête depuis leur arrivée.

Les Parisiens cantonnés à Obernburg, Esselbach et autres quartiers, triomphaient ce jour-là. Ils avaient eu froid et leur estomac était saturé de choucroute ; les billets qu’ils avaient payés, pour la plupart, un prix exorbitant, ne leur avait guère donné, jusqu’ici, que le droit de regarder de loin les magnificences de Geldberg ; — ils n’avaient pas précisément à se plaindre, puisque tout était beau, prodigue, splendide ; mais ils commençaient à s’apercevoir que rien de tout cela, n’était fait pour eux et qu’ils vivaient de miettes échappées à la table des privilégiés.

Ils commençaient à s’avouer qu’ils faisaient en quelque sorte partie des décors et accessoires de la fête. — Quand il fallait du monde pour grossir un cortège, pour emplir une salle de spectacle, pour faire foule enfin, on s’empressait de les convoquer. Ils ne se faisaient jamais prier ; ils arrivaient à la première sommation, afin d’utiliser leurs frais ; — on les recevait admirablement, mais l’occasion passée, on les oubliait.

Et ils étaient alors réduits aux joies congrues d’Esselbach et d’Obernburg, ils regardaient tristement leurs cartes inutiles et qui ne valaient guère mieux que les billets de faveur des théâtres de Paris, les soirs d’entrées généralement suspendues.

Le piquant, c’est qu’ils étaient là, dans ces petites rues du voisinage, confondus avec les fournisseurs de toute sorte qu’on avait mandés de France. — Lions et lionnes du numéro deux coudoyaient, hélas ! tailleurs, coiffeurs et modistes des deux sexes !

Mais en ce bienheureux jour de la mi-carême, l’arrière-ban des invités allait prendre une éclatante revanche ; tout le monde était du bal ; plus de distinction entre les privilégiés et les invités extra muros !

Ce bal hospitalier, et encore la grande chasse aux flambeaux du lendemain, pouvaient compenser bien des jours de dépit et d’attente.

Après cela, on pouvait s’en retourner à Paris et se donner la douce joie d’exciter l’envie des simples en répétant sur tous les tons :

— Ah ! c’était bien beau !… bien beau !… Ah ! cher, — ou chère, — je vous plains de n’avoir pas vu cela !… Une occasion pareille ne se représentera jamais !

Et les descriptions ! et les broderies ! et le roman ! — On a vu la merveille ; on en peut parler : c’est la gloire. — Qui va s’enquérir si l’on était assis dans un bon fauteuil, au milieu du salon, ou debout, appuyé contre la porte de l’antichambre ?…

Dès le matin, il régnait, à l’intérieur du château, une certaine agitation. Dans les corridors on ne rencontrait que domestiques affairés et caméristes en émoi ; chacun faisait ses préparatifs de longue main ; c’était une lutte engagée entre le dedans et le dehors, et les dames s’armaient, de tous côtés, en conscience, pour cette bataille de luxe et de coquetterie.

En ce qui regardait la maison de Geldberg elle-même, les préliminaires du bal étaient entièrement achevés ; tout était prêt, et la salle, fermée dès la veille, cachait pour quelques heures encore ses magnificences inconnues, qui attendaient l’admiration de la foule.

Cependant, les gens de Geldberg n’étaient pas oisifs, tant s’en fallait ; bien que toutes les mesures fussent prises, ils avaient ce matin un surcroît de besogne.

Quelques invités, de la plus respectable espèce, avaient attendu, en effet, jusqu’au dernier moment pour quitter Paris et se rendre à la fête. Il en était arrivé la veille et cette nuit même.

Or, c’était là un fort grave embarras, parce que le château était plein, du rez-de-chaussée aux combles.

À cette occasion, il arriva un petit événement qui occasionna une certaine rumeur parmi la livrée, et dont l’écho parvint jusqu’aux chefs de la maison.

Il restait à caser certain Monsieur, hors de puissance de femme, et qui, se montrant d’aimable composition, déclarait que le moindre coin lui suffirait.

C’était charmant, mais il fallait trouver un coin.

Le chevalier de Reinhold, consulté, indiqua, l’une après l’autre, toutes les chambres qu’on avait négligé de restaurer, et qui, néanmoins, s’étaient trouvées successivement remplies ; il n’y avait de place nulle part.

À force de chercher, le chevalier parla de cette pièce abandonnée qui formait le plus haut étage de la tour du Guet, et qui avait servi autrefois aux mystérieuses expériences du vieux Gunther.

Il y avait encore, parmi les domestiques du château, deux ou trois serviteurs des anciens comtes ; c’est assez dire que la livrée de Geldberg n’ignorait aucune des légendes qui couraient sur la famille éteinte de Bluthaupt.

La plupart des valets de Paris affectaient, à l’endroit de ces vieilles histoires, une très-superbe crédulité ; mais le diable n’y perdait rien.

Après la légende des trois Hommes Rouges, dont ils s’occupaient énormément, la plus connue était celle qui racontait comme quoi le dernier seigneur de Bluthaupt, avec l’aide maudite du démon, avait essayé de faire de l’or dans son laboratoire de la Tour du Guet.

On ressassait d’autant plus volontiers cette fantastique histoire, que, depuis deux ou trois jours, un bruit étrange s’était répandu dans les campagnes voisines. On disait que cette lueur surnaturelle dont parlait la légende, l’âme de Bluthaupt, s’était rallumée, durant ces dernières nuits, au sommet de l’antique donjon…

Quand l’ambassadeur dépêché vers Reinhold revint à l’office et qu’il parla de préparer la chambre de la Tour du Guet, il y eut une hésitation grave parmi la livrée.

D’esprits forts, on n’en trouva plus…

Personne ne se souciait de monter là-haut et d’affronter les périls inconnus de cette diabolique retraite.

Cependant il fallait agir.

Cinq ou six valets et autant de servantes armés, les uns de bâtons, les autres de couteaux de table, se formèrent en corps d’armée et tentèrent la périlleuse ascension.

À la première volée de l’escalier tournant, on souriait un peu ; à la seconde, on s’entre-regardait ; à la troisième, chacun serrait machinalement son arme et se sentait prendre d’idées très-noires.

On y voyait à peine, dans cette vis étroite, éclairée seulement par des meurtrières.

Aux dernières marches de la troisième volée, le bataillon s’arrêta comme un seul homme ; il y avait encore un étage.

On tint une sorte de conseil, et quand on se remit en marche, nous devons le dire à la honte du genre masculin, ce furent les servantes qui prirent les devants.

L’armée arriva devant une petite porte en plein cintre, dont le battant unique gardait des restes d’inscription.

La cage de l’escalier, les marches poudreuses, la porte et jusqu’aux lettres à demi effacées, tout cela vous avait vraiment un méchant air de sortilège !…

Les servantes, cependant, se rangèrent en haie, et l’un des domestiques, porteur d’un énorme trousseau de clefs, en essaya plusieurs dans la serrure ; sa main tremblait à faire compassion.

Au bruit de la première clef essayée, on entendit comme un mouvement à l’intérieur de la chambre…

Toutes les figures devinrent blêmes.

Les hommes voulaient redescendre ; mais les filles, en qui la curiosité combattait la crainte, tenaient bon encore.

Nina, la jolie camériste de madame de Laurens, arracha le trousseau de clefs des mains du valet poltron et se mit vaillamment en besogne.

Tandis qu’elle éprouvait les clefs l’une après l’autre, on entendit, mais distinctement cette fois, un bruit de verre brisé.

Nina venait d’introduire dans la serrure une clef qui faisait jouer le pêne, rien ne retenait plus la porte. La jeune fille poussa résolument le battant, qui demeura immobile.

— Le diable est derrière !… murmura une voix dans l’escalier.

— Aidez-moi, dit Nina à ses compagnes ; il n’y a qu’à pousser…

Les servantes, après bien de l’hésitation, donnèrent un coup de main timide.

Mais la porte semblait plus inébranlable, ouverte que fermée.

— Il faudrait un levier pour enfoncer cela ! dit la camériste de madame de Laurens.

L’idée fut accueillie avec un véritable enthousiasme ; chacun redescendit beaucoup plus vite qu’il n’était monté ; cette retraite ressemblait à un sauve-qui-peut général.

On était descendu sous prétexte de chercher un levier ; le levier fut trouvé, mais personne ne remonta.

M. le chevalier de Reinhold, à qui le cas fut rapporté, haussa les épaules avec mépris et ordonna d’envoyer des ouvriers pour faire le siège du donjon. Il ne manqua pas, comme on peut le penser, de gourmander sévèrement la lâcheté de ses gens.

Les poltrons ne pardonnent point à la peur d’autrui.

En somme, on avait bien des choses à faire au château ce matin-là ; quand il s’agit de trouver des ouvriers, l’histoire des bruits entendus et de l’inexplicable résistance de cette porte ouverte était déjà publique.

Nina et ses compagnes affirmaient avoir senti parfaitement l’effort d’un bras robuste qui défendait la porte par derrière.

Il ne se rencontra pas un homme pour tenter de nouveau l’aventure.

On délogea Ficelle pour caser le Monsieur, et le siège du donjon fut remis au lendemain.

Une chose singulière, c’est que, vers le milieu du jour, Klaus gravit les marches de l’escalier tournant, sans que personne l’en eût prié.

Il portait à la main un panier qui semblait contenir des provisions.

Sans doute il connaissait le mot magique qui, mieux qu’une clef vulgaire, ouvrait la petite porte du laboratoire, car le battant tourna sur ses gonds rouilles à la première pression de sa main.

Quand il redescendit, il n’avait plus son panier de provisions.

La journée se passa ; le soir, à l’heure où les premières voitures, amenant les invités du dehors, arrivaient à la grille du château, madame de Laurens était seule dans sa chambre à coucher avec Joséphine Batailleur.

Il y avait déjà deux ou trois jours que celle-ci était arrivée de Paris. Depuis qu’elle avait mis le pied au château, madame de Laurens avait éloigné de sa personne Nina et son autre camériste.

Elle avait fait faire un lit à Batailleur dans une chambre attenant à son propre appartement.

La marchande du Temple avait amené avec elle une enfant qui passait pour sa fille.

C’était une jolie petite créature, à l’air souffrant et doux ; les gens du château ne l’avaient vue qu’une seule fois, au moment de l’arrivée ; depuis lors, elle n’avait point quitté la chambre de madame Batailleur.

Sara n’avait pas entièrement achevé de s’habiller pour le bal ; elle était encore à sa toilette, où Batailleur remplaçait, sans trop de désavantage, les deux caméristes absentes.

Pour donner au bal plus de caractère, la plupart des invités s’étaient concertés d’avance sur la question des costumes.

Sara, ainsi que sa sœur Esther, faisait partie d’un quadrille qui devait représenter les principaux personnages des Mille et une Nuits ; elle portait la riche veste brodée et la robe de cachemire toute parsemée de pierreries de la belle Zobéide ; un poignard recourbé pendant à sa ceinture, et il ne lui manquait que le haut turban de perles dont Batailleur fixait en ce moment l’éblouissante aigrette.

Petite attendait, assise devant sa glace. Ce costume oriental, qui semblait fait tout exprès pour son genre de beauté, lui donnait des grâces nouvelles ; elle était si charmante que Batailleur, tout en activant sa besogne, lui jetait des œillades où il y avait à la fois de l’admiration et de l’orgueil, car Batailleur se disait que cette beauté était bien un peu son ouvrage.

Petite avait les yeux fixés sur son miroir ; mais elle ne se voyait point ; sa pensée était bien loin de la fête prochaine. Elle rêvait.

Sa rêverie, en ce moment, était chagrine ; on voyait la courbe, délicate et noire comme le jais, de ses sourcils se froncer par instants ; ses lèvres se relevaient en un sourire méchant et amer.

La chambre où elle se trouvait était ornée avec goût, mais ne rappelait en rien les magnificences érotiques de son boudoir de Paris. Par une porte ouverte, on apercevait l’intérieur de la pièce occupée par la marchande du Temple ; on y voyait deux lits, dont l’un disparaissait à moitié derrière de longs rideaux tombants.

Le regard de Sara se dirigeait souvent vers ce lit, et alors sa physionomie s’adoucissait tout à coup jusqu’à exprimer l’amour le plus tendre.

— Tout de même, dit Batailleur en essayant le turban sur ses deux mains arrondies, voilà un article qu’on ne trouverait pas dans beaucoup de magasins de la capitale !… Ma chère Madame, ajouta-t-elle avec un mouvement d’orgueil bien légitime, je parie que vous ne regrettez pas vos deux criquettes de femmes de chambre.

— Non, répliqua madame de Laurens avec distraction.

— À la bonne heure !… Voyons, nous coiffons-nous ?

— Pas encore, dit Sara, j’ai le temps.

— Ah ! si c’était moi, s’écria la marchande, comme je serais pressée de voir tout ça !… Ça va-t-il être soigné, mon Dieu ! quand j’y pense !… mais il n’y a pas à dire non, voyez-vous, quand mon Polyte entrera pour jouer son rôle, il faut que je puisse le regarder un petit peu.

— Nous verrons cela, ma bonne.

— Ah dame ! c’est qu’il est très-bien avec son grand manteau… Il n’est pas bête, allez, Polyte, sans que ça paraisse !…

Petite se leva et entra sans répondre dans la chambre de Batailleur ; elle se dirigea vers le lit entouré de rideaux.

Une bougie qui brûlait sur la table éclairait la chambre faiblement, Sara souleva les rideaux et découvrit le visage d’une petite fille endormie.

C’était encore une de nos connaissances du Temple : Nono, la pauvre servante du bonhomme Araby.

Elle sommeillait, la tête appuyée sur son bras grêle. Ses traits étaient bien pâles, à l’exception de deux taches d’un rouge vif qui enluminaient les pommettes de ses joues.

Sa boucne s’entr’ouvrait pour donner passage à son souffle, régulier, mais pénible ; peut-être était-ce l’effet d’un rêve : elle semblait souffrir…

Mais elle était charmante, sur ce lit blanc, et ses grands cheveux, épars sur l’oreiller de mousseline, faisaient un cadre gracieux à la beauté de son visage.

Ses traits avaient une délicatesse exquise et rappelaient vaguement ceux de Sara ; on avait peine à penser que naguère un dénûment horrible pesait sur cette jolie et frêle créature.

Sara la contemplait avec des yeux ravis ; elle joignait les mains, comme si sa bouche distraite eût rencontré malgré elle des paroles de prière.

— La cacher toujours !… toujours ! murmura-t-elle ; il y a donc des supplices qui n’ont pas de fin.

Batailleur l’avait suivie, en étouffant le bruit de ses pas, pour ne point éveiller l’enfant.

— Je ne sais, reprit Sara dont la figure s’attrista subitement ; elle a l’air plus malade ce soir… Le docteur Saulnier est-il venu ?

— Je l’attends, répondit Batailleur ; mais bah !… à cet âge-là, il y a toujours de la ressource !… Et quand la petite saura qu’elle est la fille d’une noble dame, ça la repiquera drôlement et tout de suite !

— Quand le saura-t-elle ?… murmura madame de Laurens, qui baissa la tête.

— Dame !… répliqua Batailleur, le cher homme finira peut-être par s’en aller, quand le diable y serait !

Sara croisa ses bras sur sa poitrine en un mouvement brusque ; on voyait son sein battre par soubresauts faibles et contenus sous la brillante étoffe de son costume.

— Il y a une malédiction sur moi ! dit-elle à voix basse, rien ne me réussit !… Autour de moi, les menaces s’accumulent… et quelque main mystérieuse semble s’opposer partout à l’accomplissement de mes vœux. Si l’on pouvait croire en Dieu !…

Elle s’arrêta et passa le revers de sa main sur son front.

— Quand je vous écrivis, reprit-elle, pour faire venir l’enfant, je croyais bien que tout serait fini à votre arrivée… M. de Laurens était dans un état tel, que ses deux médecins m’avaient avoué l’imminence du danger… Mais ces maladies sont étranges… Le lendemain il était mieux que jamais… Et qui sait si, tous tant que nous sommes, nous ne mourrons pas avant lui…

— Allons donc ! dit Batailleur.

Petite secoua la tête.

— Je n’avais jamais eu de pressentiments, murmura-t-elle, et je me raillais de toutes ces choses que la raison ne peut point expliquer… mais, depuis une semaine, mes nuits sont tourmentées… il me vient à l’esprit des pensées inconnues… J’ai peur !…

— Un peu de fièvre… interrompit la marchande.

— Peut-être est-ce cela qu’on appelle les remords ! murmura madame de Laurens, comme en se parlant à elle-même.

Batailleur était à bout de consolations ; elle se tut.

Petite garda le silence durant une minute.

Puis elle se pencha au-dessus de sa fille endormie, et sa lèvre effleura le front de l’enfant.

— Comme elle brûle ! murmura-t-elle. Ah ! c’est qu’elle a tant souffert !… si je la perdais, savez-vous bien que je serais la plus malheureuse des femmes… car je me dirais parfois que je suis la cause de sa mort…

— Dame !… répliqua Batailleur, le fait est que ça serait un peu ça !

Sara lui jeta un regard où se peignait sa navrante détresse.

— Non… oh ! non ! balbutia-t-elle, ce n’est pas moi… Pourquoi me dites-vous cela, vous, qui savez comme je l’aime !

— C’est que, ma chère Madame…

— Voulez-vous donc me tuer ?… D’ailleurs, elle ne mourra pas !… elle est si jeune ! c’est une enfant !… Ah ! ces mères qui savent prier sont heureuses !… ajouta-t-elle en passant ses doigts dans les cheveux mêlés de sa fille. Judith ! Judith ! mon trésor bien-aimé !… que j’aurais de joie à donner tout cet or, amassé si longuement, pour te rendre la force et la vie !

Un faible sourire vint se jouer sur les lèvres entr’ouvertes de la petite Galifarde.

— Ne dirait-on pas qu’elle m’entend ?… s’écria madame de Laurens, heureuse tout à coup. Voyez ! cet air de souffrance qui nous faisait peur a disparu. Comme elle sera belle dans un an d’ici !… Folles que nous étions de penser à la mort !

On frappa en ce moment à la porte extérieure de la chambre.

— Ce doit être le médecin, dit Batailleur.

Petite regagna aussitôt son appartement.

Aux yeux du médecin Saulnier, elle n’avait que faire auprès de cette enfant, qui était la fille de la marchande du Temple.

Et pourtant, que n’eût-elle pas donné pour entendre ce qui allait se dire au chevet de Judith !

Elle ferma la porte de son appartement et resta tout auprès, collant tour à tour son œil et son oreille à la serrure.

Le docteur Saulnier entra et alla s’asseoir auprès du lit de l’enfant.

Sara le vit prendre la lumière et regarder attentivement le visage de Judith, après lui avoir tâté le pouls durant plus d’une minute ; puis elle le vit secouer la tête, tandis que ses lèvres prononçaient des paroles qui n’arrivaient point jusqu’à elle.

Ces paroles, Sara croyait les deviner.

Le médecin tendit la bougie à Batailleur, afin d’avoir ses deux mains libres.

Il examina Judith pendant un instant encore, puis il souleva la couverture.

L’œil de Sara s’agrandissait derrière la serrure ; son âme était dans son regard.

Mais, soit hasard, soit volonté. Batailleur changea de place et mit sa taille épaisse entre la porte et le lit.

Sara ne vit plus rien.