Le Fils du diable/VI/7. L’échelle humaine

Legrand et Crouzet (Tome IIIp. 191-200).
◄  Petite
Sixième partie

CHAPITRE VII.

L’ÉCHELLE HUMAINE.

D’Obernburg au château de Bluthaupt, la route d’ordinaire déserte et silencieuse, présentait ce soir-là un aspect de vie.

On y voyait bon nombre de voitures, depuis la calèche parisienne jusqu’au véhicule antique et sans nom du pauvre hobereau allemand. Quelques dignes bourgeois d’Obernburg, solennellement montés sur des chevaux de labour, tenaient en croupe leurs compagnes.

Ces couples gras et lourds, se dandinant à l’amble, ne donnaient aucune idée de la ballade de Burger.

Çà et là des groupes de paysans se hâtaient.

Et tout le monde suivait la même direction : voitures, chevaux et piétons, se rendaient au vieux schloss de Bluthaupt.

Depuis quinze jours environ, le pays était en fièvre. La modeste cité d’Obernburg, où naguère encore le passage d’un voyageur faisait presque événement, regorgeait maintenant d’étrangers et ne pouvait suffire à ses hôtes. Il en était de même de tous les bourgs ou petites villes avoisinant le manoir des anciens comtes.

Comme nous l’avons dit, la grande fête de Geldberg avait deux sortes d’invités : ceux de première classe étaient logés au château ; les autres cherchaient asile où ils pouvaient, et c’était vraiment pour le pays une excellente aubaine, une si bonne aubaine que les bourgeois d’Esselbach s’ingéniaient depuis huit jours à inventer une source d’eau minérale ou ferrugineuse qui put ramener chaque année les bourses aimables de ces visiteurs.

Ceci n’était point une idée impraticable. Quiconque possède un puits bourbeux peut affirmer que ce puits, souverain pour les rhumatismes, guérit radicalement les maux d’estomac.

Une table de roulette, un salon de conversation et des annonces dans les journaux de France, voilà ce dont on ne peut se passer.

Tant il est vrai que la fameuse recette de la cuisinière bourgeoise : « pour faire un civet, prenez un lièvre, » n’est pas si naïve qu’on veut bien le dire.

Toutes ces bonnes gens, cheminant sur la route de Bluthaupt, causaient. Dans les voitures, sur les chevaux et parmi les piétons, le sujet d’entretien était le même.

On n’entendait qu’un nom : Geldberg ! on ne causait que d’une chose : le grand feu d’artifice qui devait être tiré, ce soir même, sous les murailles du château.

Ce ne pouvait être rien d’ordinaire. Jusqu’ici la maison s’était exécutée royalement, et l’on avait lieu d’espérer un magnifique spectacle.

Nos trois cavaliers, partis d’Obernburg à la brune, galopaient intrépidement. La route était large aux environs de la ville ; ils passaient sans crier gare, le galop rapide de leurs chevaux s’étouffait sur l’herbe du chemin.

Au bruit prochain de leur course, on se retournait, quelque chose glissait comme un trait dans les ténèbres ; puis, rien.

La nuit était sans lune, comme celle de la veille ; ceux qui avaient de très-bons yeux distinguaient bien trois cavaliers lancés à pleine course, mais nul ne pouvait voir la couleur de leurs manteaux, dont les plis sombres flottaient au vent.

À une lieue de la ville, les trois cavaliers s’étaient arrêtés brusquement devant un groupe de villageois à pied, et l’un d’eux avait demandé :

— À quelle heure se tire le feu d’artifice !

— En voilà un qui parle comme il faut l’allemand, au moins, se dit-on alentour.

— Le feu d’artifice, gracieux Monsieur, répondit un paysan, — doit être bien près de brûler… On dit que ça se verra de loin, et nous allons toujours ; mais nous n’espérons guère être arrivés à temps au bas de la montagne ; vous par exemple avec vos bons chevaux…

Les trois chevaux bondissaient, blessés à la fois par l’éperon, et un merci ! arrivait de loin à l’oreille du villageois, avant qu’il eût fini sa phrase.

Nous n’avons pas besoin de dire que les cavaliers étaient nos trois voyageurs de la chaise de poste aux stores baissés.

De Paris à la frontière, ils avaient trouvé des relais tout préparés ; mais une fois en Allemagne, la vitesse de leur course avait dû se ralentir. Ils craignaient la police, sans doute ; car plus d’une fois ils avaient quitté la grande route pour prendre des chemins de traverse.

Ils étaient en retard d’une heure sur leur propre calcul ; une heure, ce pouvait être la perte de leur espoir le plus cher, la victoire de l’usurpation criminelle et lâche sur le droit, la mort d’un homme !

Ils allaient, penchés en avant comme des jockeys dans l’arène ; leur éperons humides mordaient le flanc de leurs chevaux.

Ils allaient, debout sur les étriers, l’œil fixé au loin vers l’Occident, où devait paraître la première lueur du feu d’artifice.

Comme ils arrivaient au bas de la montagne, à l’endroit où nous avons vu jadis Jacques Regnault, le Madgyar Yanos et le prêteur Mosès quitter la route pour prendre la traverse de Bluthaupt, un trait de feu jaillit vers le couchant et jeta sur le ciel noir une gerbe d’étoiles.

Le cœur des trois frères cessa de battre.

Mais avant que la faible détonation de la fusée eût renvoyé jusqu’à eux son écho lointain, Otto avait enfoncé l’éperon dans le ventre fumant de son cheval.

— En avant ! s’écria-t-il d’une voix changée par l’angoisse ; en avant ! pour le sauver ou pour le venger !

Les chevaux, haletants, précipitèrent leur course furieuse ; ils traversèrent, ventre à terre, la vaste lande, et laissèrent à droite la grande avenue de mélèzes, au centre de laquelle s’ouvrait le précipice de la Hœlle.

Ils dépassèrent en un clin d’œil le champ où se couchaient les mines blanches de l’ancien village de Bluthaupt : aucune lueur ne se montrait plus dans la direction du château ; cette fusée isolée n’était qu’un signal sans doute.

Quelques minutes encore, et ils mettaient pied à terre, tandis que leurs montures se couchaient pantelantes sur le gazon.

Ils étaient derrière le château, sur cette plate-forme dépourvue d’arbres, située à l’opposite de la porte principale.

Devant eux, Bluthaupt dressait sa masse sombre, dont les mille échancrures apparaissaient à peine dans la nuit.

Aux fenêtres, on voyait çà et là briller quelques lumières, par dessus les fortifications qui s’abaissaient à cette place.

La pelouse semblait déserte. Au delà du fossé large et profond, les trois frères voyaient comme une lueur faible qui se mouvait avec lenteur et en divers sens.

Quoiqu’on ne pût rien distinguer par cette nuit profonde, il était facile de calculer que cette lumière devait se trouver en dessous des murailles et sur les rocs taillés à pic qui formaient la base des fortifications.

Les trois frères n’avaient point ce qu’il fallait de loisir pour disserter sur cette lueur et deviner par quel moyen elle se trouvait ainsi suspendue au-dessus du précipice.

Trois coups venaient de sonner à la cloche enrouée du beffroi ! c’était huit heures moins le quart.

Maintenant que le bruit de leur propre marche n’emplissait plus leurs oreilles, nos trois voyageurs entendaient un bruit confus sortir des taillis voisins : c’étaient des murmures vagues qui allaient s’étouffant parfois et parfois s’enflant tout à coup.

De temps en temps, un éclat de rire s’élevait ; de temps en temps, un petit cri de femme.

Si les trois frères avaient eu l’esprit assez libre pour explorer la route parcourue, la source de ces bruits leur eût été d’avance expliquée.

Ils étaient comme au milieu d’une salle de spectacle immense ; le théâtre invisible se dressait devant eux, et, sans le savoir, ils venaient de traverser la foule disséminée des spectateurs.

Depuis l’ancien village de Bluthaupt jusqu’à la pelouse, il y avait du monde ; il y en avait dans les grands bois de pins, sors les arbres alignés de l’avenue et dans les taillis qui avoisinaient le château.

Beaucoup, parmi ces spectateurs impatients, avaient été témoins du passage rapide des trois frères ; mais quand on attend, l’esprit rapporte tout à l’objet attendu. — Chacun pensa que ces mystérieux courriers apportaient de la ville à franc étrier quelque pièce oubliée du feu d’artifice.

Cela fit diversion et l’on en avait grand besoin, car la soirée était glaciale et plus d’une charmante dame grelottait au bras de son cavalier.

Les trois frères, cependant, n’avaient pas tué leurs chevaux pour rester oisifs au bord d’un fossé.

Ils supposaient que Franz était à l’intérieur du château ; ce qu’ils voulaient, c’était arriver jusqu’à Franz.

La douve, du côté de la plate-forme, cachait sa berge escarpée sous une épaisse chevelure de broussailles. Des ronces centenaires et mille plantes sauvages, nourries par l’humidité, jetaient en tous sens leurs pousses vigoureuses et suspendaient comme une rude toison au-dessus de l’eau endormie.

Les trois frères s’étaient agenouillés à quelques pas l’un de l’autre, le long de cette impénétrable bordure. Leurs mains tâtaient le sol et sondaient les broussailles.

— Il y a vingt ans que nous avons fait ce chemin pour la dernière fois, dit Goëtz ; le temps a bien pu boucher notre sentier.

— C’est à peine si la main passe à traversée taillis ! répondit Albert. Trouvez-vous quelque chose, Otto ?

— Je cherche… Si l’on avait au moins quelque petit rayon de lune !…

Ils poursuivirent silencieusement leur besogne durant une minute.

Puis Otto se redressa.

— Prenons notre élan et sautons, dit-il, morts ou vivants nous arriverons bien au fond du fossé.

Albert se releva à son tour, et fit quelques pas en arrière, comme s’il eût voulu tenter le saut le premier.

— Attendez ! dit Goëtz, voici un trou assez large pour laisser passer une belette.

Albert et Otto se rapprochèrent de lui.

— C’est le sentier, dirent-ils en même temps ; les ronces ont grandi… mais en jetant nos manteaux d’avance, par-dessus le bord, nous passerons.

Otto s’avança vers le trou, Goëtz le retint et passa devant lui.

— Vous êtes la tête, vous, frère Otto, dit-il ; laissez faire un peu les bras !

Il s’accrocha des deux mains au gazon de la pelouse, et se plongea dans le trou à reculons. On entendit le grincement de ses habits, déchirés par les broussailles ; ses mains lâchèrent prise, il disparut.

La bordure de broussailles présentait maintenant un trou qui avait à peu près le diamètre du corps d’un homme.

Otto et Albert avancèrent à la fois la tête à l’orifice du trou.

Ils entendirent la voix de Goëtz qui grommelait en bas du fossé.

— Du diable s’il me reste le quart de ma peau !… allez, venez, vous autres !… je suis le plus gros et vous glisserez là-dedans tout à votre aise.

Albert, imitant l’exemple donné, entra dans le fossé à reculons et disparut à son tour.

Puis enfin Otto.

Goëtz lavait ses mains sanglantes dans l’eau froide de la douve.

— Vous n’êtes pas blessé ? demanda Otto.

— Chut ! fit Goëtz en montrant du doigt la lumière qui était maintenant juste au-dessus de leurs têtes, et qui semblait se balancer dans la vide ; on cause là-haut… Et l’on travaille.

Les yeux d’Albert et d’Otto se relevèrent ; durant quatre ou cinq secondes, leurs regards essayèrent de percer l’obscurité.

À force de tâcher, ils aperçurent enfin, autour de la lumière, trois ombres qui s’agitaient, suspendues sous les murailles par une attache mystérieuse.

D’en bas, il était impossible de reconnaître à quel genre de besogne se livraient ces mystérieux ouvriers, on entendait parfois comme le grincement d’une vis ou d’un essieu, et parfois des mots sans suite tombaient jusque dans les profondeurs de la douve. C’étaient des mots français mêlés avec un jargon inconnu.

— Un coup de main, Blaireau ! disait une voix gaillarde et de bonne humeur. Accroche-toi à cette pierre qui avance, et tire un peu à droite.

La réponse de Blaireau se perdit au passage, mais on entendit crier l’invisible essieu.

Les trois frères écoutaient et retenaient leur souffle.

— Oh ! hé, papa Johann ! reprenait la première voix, appuyez sur la corde, sans vous commander, ou ça portera trop bas.

— Dieu de Dieu, grommela une autre voix plus enrouée, c’est tannant le métier de canonnier à vol d’oiseau !…

Otto était entre Albert et Goëtz, qui sentirent en ce moment leurs bras serrés d’une convulsive étreinte.

— Entendez-vous ? murmura Otto.

— Oui, répondit Goëtz ; mais je ne comprends pas…

— Ni moi, dit Albert.

— Il ne s’agit plus de suivre notre route accoutumée, reprit Otto, nous n’avons plus que quelques minutes, et qui sait si nous arriverions à temps !… Le danger est là !

Sa main, étendue, montrait les trois hommes dont les silhouettes confuses apparaissaient autour de la lanterne.

— Nous ne sommes pas des oiseaux, murmura Goëtz.

— J’ai monté à l’assaut bien souvent, ajouta l’homme à bonnes fortunes, mais j’avais une échelle de soie… quelque chose pour appuyer mes pieds !…

— Nous avons nos poignards, dit Otto qui roula son manteau sur sa tête et se jeta le premier dans l’eau glaciale de la douve.

En quelques brasses il fut sur l’autre bord ; ses frères le suivaient. Saisi de froid et grelottant, sous les lambeaux trempés de leurs vêtements, ils commencèrent à gravir la rampe opposée.

Ils gardaient maintenant le silence, car ils approchaient des mystérieux ouvriers.

La route était abrupte et le terrain glissant ; ils avançaient avec peine, étouffant le bruit de leurs efforts.

— Ça doit y être, Bonnet-Vert ! dit au-dessus de leurs têtes la voix enrouée de Pitois.

— Du temps que j’étais artilleur pour de bon, répliqua Mâlou, je passais pour un fameux pointeur… et si nous n’avions pas déserté, je serais peut-être bien capitaine à l’heure qu’il est… Quant à cette vieille affaire-là, j’en réponds… c’est visé comme au polygone ! et le petit va être taillé en trois mille morceaux…

Les bâtards de Bluthaupt n’étaient pas maintenant à plus d’une trentaine de pieds des travailleurs dont ils pouvaient distinguer tous les mouvements.

Ils s’arrêtèrent le cœur serré, la respiration coupée.

Immédiatement au-dessous de la lanterne qui était suspendue à une corde, ils apercevaient une sorte de mortier fixé solidement à une saillie de roc.

Les trois ouvriers étaient attachés par le milieu du corps et se soutenaient chacun à l’aide d’un câble amarré au sommet des murailles. Ils étaient là en un lieu où nul pied humain n’aurait pu descendre sans secours.

La lanterne jetait ses lueurs faibles dans un rayon de deux toises et montrait le roc grisâtre coupé à pic. Au delà, tout était nuit profonde.

— Comprenez-vous à présent ? dit Otto d’une voix contenue.

Goëtz et Albert mesuraient de l’œil la distance qui les séparait encore des travailleurs ; ils étaient comme atterrés ; ils ne répondirent point.

— La lettre de Gottlieb !… reprit Otto ; Franz est chargé de tenir la mèche, et il est à son poste déjà, peut-être ! En tous cas, on connaît l’endroit précis où il s’arrêtera pour mettre le feu… et c’est sur cet endroit que la pièce est braquée.

— Voyons vivement, papa Johann ! reprit en ce moment Mâlou, qui sembla vouloir compléter l’explication ; donnez-moi le boudin que je l’attache comme il faut… le petit Monsieur va se tremper lui-même sa dernière soupe… ça sera drôle !

Otto et ses frères recommençaient à gravir ; pendant une quinzaine de pieds encore, ils purent avancer en s’aidant de leurs poignards plantés dans les fentes du roc.

Mais arrivés à un certain endroit, où se ménageait une étroite plateforme qui permettait de se tenir debout, impossible de faire un pas de plus !

C’était à cet endroit-là même que les trois frères avaient disparu comme par magie la nuit de la Toussaint, en l’année 1824, alors qu’ils arrivaient de Heidelberg trop tard, hélas ! au secours de leur sœur Margarethe…

Otto se dressa sur la pointe des pieds et tâta le roc qui surplombait au-dessus de sa tête.

— Il faut monter ! dit-il.

Albert et Goëtz laissaient pendre leurs bras le long de leurs flancs.

Il y avait vingt ans qu’ils n’avaient vu ce lieu et le souvenir le leur avait montré moins impraticable ; maintenant ils n’espéraient plus franchir ce gigantesque obstacle qui leur barrait la route.

Il eût fallu des ailes…

— Entrons, dit Albert, si Franz est sur la muraille, nous saurons bien le trouver !

— Notre route secrète est bien longue, répliqua Otto, dont la voix assourdie peignait une terrible angoisse, et qui sait si nous avons encore une minute !… Il faut monter !

On entendit, en ce moment, la voix gaillarde de Mâlou, qui criait :

— Oh ! hé ! vieux Fritz ! tournez la manivelle ! la farce est jouée.

Un bruit aigre et discord se fit en haut des murailles ; cela ressemblait au cri d’un cabestan ; les trois ouvriers à la lanterne se prirent à remonter lentement.

— Virez ! virez ! mieux que ça, papa Fritz, dit Blaireau d’un ton moitié plaisant, moitié craintif ; ma montre dit deux minutes moins de huit heures, et je n’aimerais pas qu’on mît le feu avant que nous fussions là haut !

— Deux minutes ! répéta Otto, dont le courage semblait grandir, en ce moment de péril suprême ; si Dieu nous aide, c’est plus de temps qu’il ne faut !

Il entraîna Goëtz jusque sur le rebord de la plate-forme et le plaça juste sous la saillie du roc à laquelle Bonnet-Vert avait fixé le mortier.

— Pensez-vous, frère, dit-il, que vous puissiez nous porter tous les deux ?

— J’essaierai, répliqua Goëtz.

— Montez, Albert ! reprit Otto.

Albert obéit.

Goëtz se tenait ferme sur ses jambes ; mais il était trop loin du roc, qui surplombait en cet endroit, pour pouvoir s’y appuyer.

Quand Albert fut monté sur ses épaules, Otto poursuivit :

— Vos mains peuvent-elles atteindre la rampe ?

— J’y touche, répondit Albert, et ce mortier d’enfer est à peine à trois pieds au-dessus de ma tête !… Oh ! si je pouvais ! si je pouvais !…

Il trépignait, oubliant, dans son trouble, que ses pieds reposaient sur les épaules de Goëtz.

— Tenez-vous ferme, dit Otto en s’adressant à ce dernier ; vous, Albert, appuyez-vous à la rampe et ne bougez pas !

Il fit le signe de croix et prononça le nom de sa sœur Margarethe, comme on invoque une sainte, assise aux marches du trône de Dieu.

Le silence régna sur la plate-forme.

Goëtz sentit un poids de plus sur ses épaules endolories ; un instant ses jambes robustes fléchirent ; un instant son cœur cessa de battre.

Il y avait maintenant trois hommes suspendus à plus de cent pieds au-dessus de l’abîme.

Et nulle lueur pour les guider ; et pas un fil pour les soutenir !…

La nuit couvrait le travail prodigieux d’Otto qui montait lentement, la sueur froide aux tempes, le long du corps frissonnant de ses frères.

Goëtz en équilibre au bord du précipice, gémissait sous le fardeau trop lourd, les mains d’Albert, convulsives et crispées grattaient de l’ongle le roc glissant, Otto montait, calme en face de la mort menaçante, et toujours intrépide…