IV

L’idée de M. le commissaire

Sa maison !… Sa maison !… la « Bella Nissa » était devenue la maison de Hardigras !…

Comme le pauvre M. Supia rentrait chez lui, plus accablé que jamais, il trouva sur son chemin la charmante Antoinette qui était déjà au courant.

– Eh ! parrain ! lui souffla-t-elle, ne trouvez vous pas que ce n’est pas des manières pour ce Hardigras d’appeler la « Bella Nissa » sa maison !

Il fonça sur elle, comme s’il allait la tuer, mais la petite, d’une pirouette, lui avait déjà échappé.

Elle aussi, maintenant, était furieuse et elle lui jeta, de derrière une porte : « Je ne vous la dirai jamais, mon idée ! »

Dans la matinée, M. Supia fut convoqué à la police. Il trouva là M. Bezaudin et les deux inspecteurs de la Sûreté, MM. Souques et Ordinal.

Ils étaient maigres tous les deux, secs, étriqués dans des vêtements assez poussiéreux. Ils se ressemblaient singulièrement.

N’aimant qu’une chose au monde, leur métier, ils pensaient toujours à leurs affaires, c’est-à-dire qu’ils étaient toujours soupçonneux, sournois, taciturnes, voyant le monde en laid. Quand on leur abandonnait quelque gros gibier, ils se lançaient sur sa piste avec une muette frénésie qui n’était apaisée que lorsqu’ils le rapportaient tout pantelant, les poignets brisés par les menottes.

D’une bravoure du reste à toute épreuve, ils portaient maintes cicatrices…

Ce qui les distinguait, c’est que M. Ordinal parlait quelquefois ; M. Souques jamais. Il écrivait. Et il n’admettait d’ordre que par écrit. C’était un système.

M. Souques avait le plus grand mépris pour M. Ordinal, et M. Ordinal détestait M. Souques.

Ils s’en voulaient de ce que chacun volait à l’autre dans leur chasse à l’homme.

Cependant l’aventure commune de la nuit précédente les avait rapprochés dans une rage mutuelle contre Hardigras.

Hardigras leur avait peut-être sauvé la vie. Ils ne lui pardonnaient pas. Ils lui en voulaient d’avoir abîmé deux « pièces » qui leur appartenaient : les deux rats d’hôtel.

Bref, ils étaient dans un état d’esprit trop près de celui de M. Hyacinthe Supia pour que tous trois ne s’entendissent pas bientôt.

Quand à M. Bezaudin, il souriait plus que jamais. Il se voyait débarrassé de deux hôtes dangereux, c’était le principal. Et ses premiers mots ne laissèrent aucun doute sur la reconnaissance qu’il en avait à Hardigras.

– Eh bien ! fit-il, dès que l’on eut introduit le patron de la « Bella Nissa », votre Hardigras nous a rendu un fameux service cette nuit !

Cet accueil trop désinvolte déplut souverainement à M. Supia.

— À vous, peut-être ! grogna-t-il en s’asseyant, mais en ce qui me concerne, je constate que Hardigras tient surtout à rester seul à me voler ! C’est un privilège qu’il ne veut partager avec personne.

Et il jeta sur sa table la bande de calicot sur laquelle Hardigras avait donné une explication si parfaitement cynique de son acte d’héroïsme…

M. Bezaudin haussa les épaules… Tout cela n’est pas bien grave, fit-il, et ne saurait vous faire oublier qu’il a empêché votre maison de brûler et qu’il vient de sauver la vie de ces deux messieurs…

Ici, M. Ordinal redressa la tête et interrompit tout net M. Bezaudin.

— Pardon, monsieur le commissaire, exprima t-il d’une petite voix sèche et assez désagréable, ce n’est pas la première fois que notre vie se trouve menacée, à M. Souques et à moi ! Mais je vous prie de croire que nous n’avons jamais eu besoin d’un voleur de profession pour nous sortir d’un mauvais pas !…

— J’en suis persuadé, répliqua le commissaire bon enfant… Tout de même, vous ne sauriez nier, M. Souques et vous, qu’après ce qui s’est passé cette nuit, vous ne deviez à Hardigras quelque reconnaissance !

— Et de quoi donc, monsieur le commissaire ? reprit plus sèchement encore M. Ordinal… Peut-être de ce qu’il nous a privés, grâce à cet incident, de la joie professionnelle d’arrêter nous-mêmes deux flibustiers sur lesquels nous avions déjà la main !

— Et qui allaient vous tuer !

— Ou nous rater ! C’est le risque de tous les jours dans notre métier, monsieur le commissaire !

M. Souques approuva, d’un signe de tête.

M. Ordinal reprit :

— La belle besogne, en vérité, qu’a faite là votre Hardigras !… Ces messieurs vont peut-être crever à l’hôpital sans avoir eu le temps de manger le morceau. C’est désormais une affaire entre Hardigras et nous !… Nous ne quitterons pas Nice avant de l’avoir arrêté ! C’est notre dernier mot, monsieur le commissaire !…

Et M. Ordinal se tourna vers M. Souques. Ce dernier fouilla, silencieusement dans sa poche et en sortit les menottes qu’il montra au commissaire. Il n’avait pas besoin de parler. On l’avait compris.

Sur quoi, M. Bezaudin leur rit au nez :

— Ah ! messieurs ! faites donc comme il vous plaira !… mais permettez-moi de vous dire que jusqu’aujourd’hui, vous n’avez pas été plus malins que les autres !…

M. Hyacinthe Supia, qui avait écouté M. Ordinal et M. Souques avec les marques de la plus vive approbation, se retourna alors tout de go vers le magistrat et lui demanda sur un ton dénué de toute affabilité :

— Mais si vous n’arrêtez pas Hardigras, monsieur le commissaire, qu’en ferez-vous donc, je vous prie ?…

— Rien, proclama M. Bezaudin… Je n’en ferai rien !… je vous le laisse… j’avais une idée, n’en parlons plus !

— Pardon ! Pardon ! releva M. Supia… l’autre jour vous m’avez dit : « N’arrêtons pas les complices ! » Aujourd’hui, vous me dites : « N’arrêtons pas Hardigras ! » J’ai bien le droit de connaître l’idée d’un commissaire de police qui semble considérer que son premier devoir est de n’arrêter personne.

— Arrêter Hardigras !… Arrêter Hardigras !… Ce n’est pas moi qui vous en empêcherai… Bigre !…

— Votre idée, monsieur le commissaire ?… Ces messieurs et moi tenons absolument à la connaître, insista M. Supia, de plus en plus hostile…

Mais MM. Ordinal et Souques, assis côte à côte, fixaient vaguement le plafond, pour bien montrer à quelle distance ils étaient de l’idée de M. le commissaire.

Voyant qu’elle leur importait si peu, M. Bezaudin qui, pour être philosophe, n’en était pas moins homme, c’est-à-dire susceptible d’un certain amour-propre, se décida aussitôt à leur en faire part.

— Eh bien !… voilà !… J’ai pensé que nous faisions fausse route avec Hardigras…

— C’est-à-dire ? demanda M. Supia, qui trouvait l’attitude de M. Bezaudin de plus en plus suspecte…

— C’est-à-dire qu’au lieu de le traquer comme on l’a fait jusqu’à ce jour…

— Vous voudriez peut-être vous arranger avec lui ?

— M. Supia, il n’y a point d’arrangement possible entre un magistrat comme moi et un homme comme Hardigras…

– J’aime à vous l’entendre dire.

– Mais c’est une considération qu’un homme comme vous aurait peut-être tort de repousser dans les circonstances que nous traversons…

– Ah ! par exemple !… moi, avec ce bandit !…

– Allons bon !… voici déjà les grands mots… Un bandit ! La nuit dernière, il n’a pas agi comme un bandit et je n’en veux pour preuve que la sympathie de la foule qui augmente tous les jours pour Hardigras…

– La sympathie de la foule ! glapit M. Supia. De quelle foule parlez-vous donc, monsieur le commissaire ?

– Oh ! d’une foule pas très reluisante, c’est entendu !… mais pas bien méchante non plus, allez ; de celle qui aime les bonnes farces et les mauvais tours, qui se plaît à voir rosser le commissaire, je la connais… et vous aussi, monsieur Supia, vous la connaissez, car elle constitue la clientèle la plus solide de votre bonne vieille maison… Eh bien ! c’est la complicité de cette foule-là que je trouve redoutable !… Et j’ai pensé que si l’on faisait entendre à Hardigras que la plaisanterie a suffisamment duré…

– Vous appelez cela une plaisanterie ! râla M. Supia…

Dans son indignation, il alla chercher aide et assistance auprès des deux inspecteurs, mais ceux-ci continuaient à fixer imperturbablement le plafond où cependant Hardigras n’avait encore tracé aucune inscription.

— Monsieur Supia, reprit le commissaire agacé, laissez-moi développer toute ma pensée, je vous en prie… Après, mon Dieu, vous en ferez ce que vous voudrez !… Si l’on disait à Hardigras : « On veut bien tout oublier, mais à une condition, c’est que tu ailles te faire pendre ailleurs, seulement tu restitueras tout ce que tu as subtilisé !…

— Volé, monsieur, volé !… Moi aussi j’appelle les choses par leur nom !…

— Oui, tout ce que tu as volé dans les magasins de la « Bella Nissa »…

— Alors, vous voulez traiter avec Hardigras ?

— Il ne s’agit nullement de traiter avec lui ! Il s’agit de vous en débarrasser au meilleur compte et le plus vite possible !… Qu’il sache seulement qu’on ne le poursuivra pas jusqu’au bout du monde s’il restitue… ce qu’il peut restituer encore… je suis sûr qu’il ne se le fera pas dire deux fois !…

— Et par qui lui ferez-vous dire cela, monsieur le commissaire, puisque vous avez été incapable de découvrir cet appartement où il loge et nourrit ses amis à mes frais ?…

— Je suis persuadé, tenez, que votre service de nuit, oui, ces quatre messieurs que Hardigras a forcés de boire votre champagne et vos liqueurs, ne demanderaient pas mieux que de rendre à Hardigras ce petit service, en reconnaissance de cette nuit mémorable… Voulez-vous me permettre de leur dire, devant vous, deux mots à ce sujet ?… — Quelle honte !… soupira M. Supia en se laissant tomber, accablé, sur une chaise… enfin ! essayez !… comme vous dites, d’une façon ou de l’autre… Il faut en finir !…

Le commissaire appela son secrétaire, lui dit deux mots et, un instant après, les quatre veilleurs de nuit étaient introduits.

Bouta, Aiguardente, Tantifla et Pistafun étaient plus florissants et gaillards que jamais.

Ils prétendaient qu’ils ne s’étaient jamais mieux portés que depuis qu’ils avaient pris ce qu’ils appelaient : la purge de Hardigras !

En face du commissaire, ils prirent une mine consternée.

— Messieurs, leur déclara M. Bezaudin de sa plus grosse voix, s’il ne dépendait que de moi, il y a vingt-quatre heures que je vous aurais déjà accordé une hospitalité qui vous changerait singulièrement de celle que vous avez goûtée chez votre ami Hardigras !…

— Hardigras n’est point notre ami, interrompit Tony Bouta… sans quoi, « mestre ! », nous serions malades de trop de graisse ! mais, pour dire la vérité, nous ne l’avons pas pris « à grippe » !…

— Ouais ! fit le commissaire, un peu moins d’histoires, s’il vous plaît ! Je sais à quoi m’en tenir sur votre compte ! et je vous aurais déjà déférés au Parquet, si je n’avais cédé aux instances de M. Supia, ici présent, qui veut bien considérer que vous vous êtes laissé, entraîner à boire plus que de raison des liqueurs dont vous n’auriez pas dû, cependant, ignorer la provenance !

— Et Sébastien Morelli, est-ce qu’il l’ignorait, lui, la provenance ? Dites un peu, monsieur le commissaire…

— Il ne s’agit point ici de M. Morelli ! Cet homme est au-dessus de tout soupçon.

— Oui, pour lui « on a coulé lessive », mais pour nous, tout de suite le « barilong » (le mur long, le bagne), et pourquoi, je vous dis, parce que l’on nous a ouvert de force le « gigier » (gésier).

— Taisez-vous, Tony Bouta ! et écoutez ce que vous dit cet excellent M. Supia. Là où je vois, moi, une aggravation de délit, il trouve, lui, le moyen de vous excuser ! Eh bien ! il faut lui prouver votre reconnaissance !

— Notre « reconnaissance » ! gémit Aiguardente, qué faut-il faire, « mestre », pour vous la prouver ?

— Messieurs, je ne vous demande point de m’indiquer où se trouve cet appartement où Hardigras accumule le fruit de ses rapines…

— Qué jé tombe du mal de la terre (du haut mal) si je m’en fais même l’idée ! fit entendre Tory Bouta, la main levée. Mais si jamais on me le souffle à l’oreille, je vous le saurai dire, mestre, ou que le « diaou » m’enterre !

— Et moi, protesta Tantifla, qué jé meure étique jusqu’au bout des ongles (phtisique) si jé mé doute où votre Hardigras il respire !…

— Qué jé né mange plus jamais une « estocafida », proclama Aiguardente ; qué jé né boive plus un coup de « blée » ; qué jé né fasse plus un « piccaresta à le boccia », (réussir un coup à la boule), si j’ai jamais su quelque chose de son domicile légal, familial et paternel.

— « Avaï » conclut Pistafun, nous ne sommes point mal plaisants, « mestre » ! mais Hardigras, nous ne le connaissons « ni en blanc ni en vert ! » (ni d’Ève ni d’Adam). Là-dessus, il ne faut point nous confusionner !… Nous avons été apportés devant lui, ficelés comme « saucissons » qué j’en ai encore les membres qui me lancent !… Le reste que l’on peut vous dire c’est des « estrabots » (des bobards).

M. Bezaudin laissa gravement tomber ces mots :

— Je ne vous le demande point parce que je le sais ! Ce matin même Hardigras serait au « Novi » (aux nouvelles prisons) si M. Hyacinthe Supia, dans son inépuisable bonté ne fût venu me supplier d’épargner un homme qui a sauvé ses magasins de la ruine et de l’incendie et qui, au péril de ses jours, a conservé à l’État deux de ses plus utiles serviteurs.

Ce disant, il se tournait vers MM. Ordinal et Souques qui avaient cessé de considérer le plafond pour fixer avec obstination le bout de leurs bottines.

— Certes ! continua le magistrat, ces messieurs, pas plus que moi-même ne sauraient entrer en composition avec un homme aussi coupable que Hardigras, lequel s’est placé, par ses fantaisies criminelles, en dehors de la société, mais il appartenait à celui qui a été seul lésé dans toute cette affaire de faire entendre la voix de la pitié. Je viens donc vous dire, à vous qui ne connaissez point le domicile de Hardigras, mais qui « par hasard » pourriez rencontrer cet aimable compagnon, qu’il serait peut-être bon qu’il sache que M. Hyacinthe Supia est prêt à lui pardonner ; bref, à retirer sa plainte s’il veut bien restituer dans les délais les plus courts tous les objets qui ont disparu de la « Bella Nissa », de par son fait, ce qu’il ne saurait nier puisque, tous ses vols, il les a signés !… Qu’il sache bien aussi qu’après avoir effectué toutes ces restitutions il a le plus grand intérêt à disparaître avant que la police ait mis la main sur lui, car s’il m’arrive de le rencontrer, moi, je l’envoie, comme vous dites, au « Barilong », lui « et tous ses complices ! » Vous m’avez compris cette fois, messieurs ?

— Avaï ! reprit Pistafun… comme vous y allez, monsieur le commissaire !… Vous menez bien du tapage pour une chose qui ne nous regarde pas… Mais si « nous n’en pouvons pas de plus » nous devons tout de même vous dire notre sentiment !…

— Dites toujours, Pistafun !…

— Eh bien ! « mestre », notre sentiment est que ce « diaou » de Hardigras ne rendra jamais les meubles.

— Jamais ! répétèrent les autres en secouant tristement la tête.

— Et qu’est-ce qui vous fait dire cela, je vous prie ?

— Il les aime trop ! Il en prend trop de « soignes », expliqua Pistafun. Si vous voyez comme tout cela est bien tenu, sans un grain de poussière ! c’est plaisir !… Surtout ses armoires à glace, il y en, a partout, dans la salle à manger, dans le salon, dans la chambre à coucher et jusque dans la cuisine ! Et par terre, sur le carreau, du linoléum comme on n’en a jamais connu dans les palais même au temps des Lascaris !… Que voulez-vous ? Il aime son intérieur, cet homme !… Et toutes ses casseroles depuis la plus grande où l’on pourrait faire cuire des cougourdons pour toute une noce, jusqu’à la plus petite qui est mignonne et comme pour une poupée ! Non ! non ! Il ne faut point demander ce qui ne se peut !… Si moi, Pistafun, je le rencontrais tout à fait par hasard et que je sache que c’est lui Hardigras, car devant nous il n’a pas quitté son masque… ah !… et si je lui disais : « Hardigras, fait un peu plaisir à ce bon M. Supia, rends-lui ton mobilier, savez-vous ce qu’il me répondrait : « Pistafun ! tu té moques, eh ! « va pinta des gabia ! » (Va peindre des cages !…) Non ! non ! « mestre » ! adressez-vous à d’autres, ou plutôt faites sans rien dire, puisque vous savez où loge cet « appartemin » de mystère ! vous n’avez pas besoin de nous, diable !…

M. le commissaire était devenu cramoisi. Sa tactique échouait lamentablement. Il croisa les bras et, tourné vers M. Hyacinthe Supia, il prononça avec indignation :

— Vous voyez, monsieur, où nous en, arrivons avec vos avances à Hardigras !… Eh bien ! maintenant, monsieur Supia, vous n’avez plus la parole (M. Supia n’avait rien dit). Rien ne me retiendra plus !… c’est la guerre à boulets rouges ! Hardigras en galère ! c’est mon dernier mot !…

À la sortie du commissariat, M. Hyacinthe Supia fut rejoint par les deux inspecteurs de la sûreté. M. Ordinal l’entreprit à peu près en ces termes :

— Maintenant que M. le commissaire nous a donné carte blanche, ça ne va pas traîner. Seulement il faut nous laisser faire. Nous nous sommes procuré à la Bibliothèque municipale des cartes et documents relatifs à la vieille ville, au château, aux issues souterraines sur la vallée du Paillon : cela nous guidera dans notre recherche de certaines caves, adjacentes certainement à vos magasins et dont Hardigras a fait, à vos dépens, son trop joyeux repaire. Ne vous occupez plus de rien. Nous allons disparaître. Si l’on vous vole : n’en faites pas éclat. Au contraire, arrangez-vous pour qu’on n’en sache rien. Soyez patient, c’est tout ce que nous vous demandons. Nous répondons de tout !

M. Supia écouta cette déclaration d’un air assez mélancolique. Cependant, comme ces deux messieurs étaient son dernier espoir, il ne voulut point les décourager.

Les trois premiers jours se passèrent fort convenablement. Hardigras se montrait discret. M. Supia, de guerre lasse, finissait par s’habituer à ses menus larcins, mais le quatrième jour, M. Morelli, tout à fait remis de sa terrible aventure, vint lui rapporter qu’un magnifique service d’argenterie avait disparu !

Et les inspecteurs de la sûreté ne donnaient toujours point signe de vie. Il n’y avait pas de raison pour que les choses ne s’éternisassent point. M. Supia retourna voir le commissaire.

Il le trouva des plus inquiets. À Paris, on commençait à s’étonner de la longue absence de MM. Souques et Ordinal et de leur persistant silence. On demandait des explications à Nice qui ne savait quoi répondre. M. le commissaire était au courant de la dernière conversation que ces messieurs avaient eue avec M. Supia, mais, comme celui-ci, il trouvait que l’événement se prolongeait au delà de toute prévision. Depuis deux jours il avait fait marcher tous ses hommes et on ne lui avait rien rapporté qui méritât d’être retenu. Dans les bars, dans les « cabanons », partout où la « branda », la « grappa » et le petit vin blanc délient les langues, on avait vainement prêté l’oreille, sous des déguisements divers, aux réflexions et discours des plus joyeux compagnons : dans les restaurants à prix fixe où les employés célibataires de la « Bella Nissa » prenaient leurs repas, non seulement on n’avait fait aucune allusion à la disparition des deux inspecteurs, mais on ne prononçait même plus le nom de Hardigras. Ces messieurs savaient que beaucoup d’entre eux étaient soupçonnés d’avoir mis beaucoup de bonne volonté à la disparition du facétieux cambrioleur et, depuis quelques jours, ils savaient tenir leur langue. Enfin si MM. Ordinal et Souques n’avaient pas quitté Nice « ou si on ne les avait pas fait disparaître » certains agents qui les connaissaient bien auraient retrouvé leurs traces, si bien grimés fussent-ils ! Mais rien ! rien, rien ! Au fond, ce Hardigras pouvait être capable du meilleur comme du pire. Après les avoir sauvés, sachant qu’il n’en était résulté que deux ennemis nouveaux qui avaient juré de le conduire au « barilong », il s’en était peut-être débarrassé sans remords.

M. Supia revint chez lui, pensif, n’ayant tiré de sa conversation avec le commissaire aucun réconfort. Depuis quelque temps, on ne s’amusait point dans la famille. Et peut-être y avait-il d’autres raisons à cette absence de gaîté que les méchants tours de Hardigras. Voici le moment de pénétrer dans « l’intérieur » de M. Hyacinthe Supia et de faire plus ample connaissance avec les personnages qui le décorent. Le mystère de la « Bella Nissa » nous a tellement occupé jusqu’ici que nous avons du négliger tout ce qui ne se rapportait point directement aux hauts faits de Hardigras et que nous n’avons pu qu’apercevoir Mlle Antoinette qui, elle aussi, avait son idée pour l’arrêter.