Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/12

Société des Écrivains Catholiques (p. 48-53).

XII.


Ce qu’ont fait pour les peuples l’Église et la Révolution. — Rapacité du Clergé. — Saint Louis, roi de France.


L’ordre social, basé sur la religion, vous déplaît infiniment, M. Dessaulles ; vous ne cessez de le dire et de le répéter sur un ton vraiment ahurissant. Mais pourquoi tant vous démener ? Il y a un moyen bien simple et bien facile de mettre un terme aux crises de nerfs que vous éprouvez en voyant l’Église figurer parmi vous avec quelque chose de cette attitude de Reine qu’elle avait jadis, quand tous les peuples de l’Europe étaient foncièrement chrétiens, Émigrez et allez planter votre tente au milieu des Peaux-Rouges, puisque la vie sauvage a tant d’attraits pour vous. Vous êtes à peu près le seul dans le pays qui ait les goûts que vous manifestez ; pourquoi tourmenter les gens inutilement et les engager à partager une manière de voir qui leur répugne invinciblement ? Laissez-nous donc en repos, et, encore une fois, si vous voulez vivre libre comme Bob et Rouget dans la plaine, ne prenez pas la peine de l’écrire ; mais émigrez et faites-nous grâce de vos scandaleux propos. Nul ne vous retient ici malgré vous ; qu’avez-vous donc à tant japper, puisque vous vous obstinez à demeurer dans un pays où tout le monde est content ?

Vous êtes aujourd’hui parmi nous le très chétif et à peu près seul représentant, grâce à Dieu, de l’hydre révolutionnaire. Par votre bouche, elle maudit ce qui entrave ses efforts ; elle exalte ce qui est de nature à lui frayer la route à la domination. Le diable recrute ce qu’il peut.

Inspiré par lui, vous aboyez contre l’Église et l’accusez d’appauvrir les peuples en les dilapidant, de les tenir dans un esclavage abrutissant. Menteur fieffé ! calomniateur insigne ! L’histoire est là debout, écrite non sur un parchemin ou un papier fragile, mais en monuments de toutes sortes, monuments qui couvrent encore la face de l’Europe, malgré les efforts que l’on a faits pour les anéantir, afin d’effacer pour toujours le témoignage qu’ils rendent à la vérité, et ces monuments attestent que l’Église a tout fait pour la prospérité des peuples, et qu’elle les a réellement rendus prospères à un degré dont nous ne pouvons plus, dans nos temps de suprême misère, nous faire une idée exacte, tant qu’elle a tenu parmi les nations le rang d’honneur et d’autorité qu’elle doit occuper. Et aujourd’hui encore, si nous avons un reste de civilisation, si nous jouissons de quelque bien-être et de quelque sécurité, c’est à elle que nous le devons et à nul autre.

C’est l’Église qui a civilisé le monde, en y faisant pénétrer, comme goutte à goutte, au prix du plus pur de son sang, les idées d’ordre, de justice, de noble obéissance et de charité ; c’est elle qui a aboli l’esclavage et proclamé les véritables droits de l’homme, en apprenant aux riches et aux pauvres, aux petits et aux grands, aux faibles et aux puissants à se regarder tous comme des frères ; c’est elle qui a réconcilié les peuples avec le pouvoir, par le soin qu’elle a pris de rendre ce dernier paternel, de despotique qu’il était ; c’est elle qui a assaini le sol de l’Europe, en restituant à la culture, par le travail incessant de ses légions de moines, d’immenses déserts et de nombreux marécages qui jusque-là n’avaient vomi que la putréfaction et la mort ; c’est elle qui a amélioré, perfectionné et encouragé l’agriculture ; c’est elle qui a couvert la face de la terre de maisons de prières, dont plusieurs sont des monuments proclamés les plus parfaits modèles de l’art ; c’est elle qui a soulagé toutes les misères et toutes les infortunes, et qui a bâti de véritables palais pour recueillir les membres souffrants de Jésus-Christ ; c’est elle qui, à force d’avertissements donnés aux grands et aux puissants de la terre, de prières et de sollicitations, a diminué le nombre des guerres, les a rendues moins barbares, moins funestes, moins désastreuses, lorsqu’elle n’a pu les empêcher ; c’est elle et elle seule qui, en possession de la plénitude de la science, l’a fait couler à pleins bords dans tout le cours des âges, et à tel point que les hommes, aujourd’hui réputés savants, ne sont pas capables, à moins de méditer des mois et des années entières, de comprendre dix lignes d’une de ces pages admirables qu’ont écrit d’humbles moines dans des siècles qu’on qualifie de barbares ; c’est elle enfin qui devait ramener l’Éden sur la terre, si le virus de l’orgueil satanique ne se fut pas infiltré dans le cœur de l’homme.

Quand on sait cela, mille et mille voix, mille et mille monuments l’attestent, on se sent pris d’une inexprimable indignation, lorsqu’on vous entend dire, M. Dessaulles, que si on laisse faire l’Église, elle accaparera la fortune publique, puis rejettera les charges communes sur le peuple seul, s’en déclarant exempte de droit divin.

Pauvre cervelle démantibulée que la vôtre ! L’Église ayant droit de posséder, tout ce qu’elle possède lui appartient en propre, et elle peut, de même que tout propriétaire, faire de ses biens l’usage qu’elle jugera le plus convenable. Ses possessions, très considérables autrefois, n’étaient pas la fortune publique dans le sens que vous avez en vue ; mais elles l’étaient réellement par l’usage que cette mère si charitable en faisait. Je viens de vous dire comment elle les employait, et l’histoire en est encore à mentionner un seul gouvernement qui ait accompli la centième partie de ce qu’elle a opéré en faveur des peuples.

Mais vous et les vôtres, qui vous montrez si charitables en paroles envers ce pauvre peuple, et qui accusez l’Église de le fouler aux pieds en l’exploitant, qu’avez-vous fait, que faites-vous en sa faveur ? Hypocrites que vous êtes ! On le sait depuis longtemps ; on vous a jugés d’après vos œuvres, comme le dit la Sainte Écriture. Des ruines immenses, des mares de sang encore fumantes, sang qui n’est que celui des prêtres et du peuple et non le vôtre, car, pour le vôtre, vous le ménagez extrêmement et vous êtes encore à en donner une seule goutte pour n’importe quelle noble cause, attestent ce que vous savez accomplir en sa faveur. Vous avez ravagé les temples, saccagé les hôpitaux, les monastères, les couvents et dépouillé l’Église de tout ce qu’elle possédait. Vous êtes entré dans cette voie depuis 89, et aujourd’hui en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne et en d’autres endroits encore vous continuez à exercer le même système de pillage et de dévastation. Les peuples en sont-ils plus heureux ? L’immense cri de la misère publique, du paupérisme affreux, qui règne partout où vous êtes à l’œuvre, vous répond mille fois : non. Les affreuses saturnales de la Révolution, dont vous êtes l’apôtre très-dévot, n’ont enrichi que certains particuliers, rapaces connue vous, et ces particuliers, une fois repus, une fois engraissés des dépouilles de l’Église, ne se sont plus guère souciés du pauvre peuple.

Aujourd’hui, partout où les belles idées, que vous patronisez, ont pris corps dans les faits, la misère publique est telle que jamais on n’a rien vu de semblable, depuis le règne des Césars païens. Les gouvernements même, qui se sont rendus coupables de tant de spoliations sacrilèges, en sont tous réduits, à l’heure qu’il est, à déclarer banqueroute, et, pour se maintenir, ils tondent, à qui mieux mieux, ce pauvre peuple, émancipé de l’Église, comme jamais vil troupeau n’a été tondu. Et vous, incomparable M. Dessaulles, qui désirez prendre de l’embonpoint, en mangeant le bien d’autrui, vous ne jappez contre l’Église et ne prêchez la Révolution que pour voir enfin vos grossiers désirs accomplis.

Quiconque a assez d’intelligence pour comprendre ce que disent journellement, même des feuilles peu amies de l’Église, sait quel triste sort la Révolution a fait aux peuples de la France, de l’Italie et de l’Espagne. Et vous, le grand redresseur de toutes les injustices, pourquoi donc ne parlez-vous pas des abominations que ne cesse de commettre le gouvernement italien ? Vous n’avez de malédictions que contre le pouvoir temporel du Pape ; mais, quant au gouvernement de Victor-Emmanuel, dont la plume se refuse à relater les infamies quotidiennes, vous n’en dites mot. Homme juste ! de quel éclat vous brillez !

Une chose à remarquer, c’est que vous et ceux de votre espèce ne prêchez l’omnipotence des gouvernements et leur supériorité sur l’Église, que pour mieux mettre à exécution vos idées dévastatrices. Vous savez fort bien qu’un gouvernement, ami de l’Église, est immensément fort, et, pour parvenir à le renverser plus sûrement, vous feignez de prendre en main ses intérêts et de le débarrasser d’une tutelle importune et déshonorante. Mais, quand est enfin arrivé le jour où les gouvernements ne sont plus unis à l’Église, vous vous jetez, sur eux comme des loups avides et vous en faites bel et bien justice. Les Communeux viennent de nous dire ce que vous savez faire.

Les faits étant tels que je viens de les exposer succinctement, on ne peut s’empêcher de lever les épaules de dégoût, lorsqu’on vous entend dire, avec tout l’aplomb que donnent d’ordinaire l’ignorance crasse, la mauvaise foi et l’impiété sans vergogne, que jamais la rapacité du clergé n’a connu de bornes ; qu’au douzième et quinzième siècle l’Angleterre fut pressurée et mangée de toutes manières par les légats et les évêques que les Papes lui ont imposés ; qu’enfin saint Louis fut lui-même obligé, et, à diverses reprises, de faire saisir les sommes considérables que les Papes prélevaient, en France, en dépit du pouvoir civil, soit pour entretenir le luxe effréné de leur Cour, soit pour défrayer les dépenses des guerres injustes, et quelquefois même abominables dans leurs moyens comme dans leur but.

Il n’y a pas un mot de vrai dans toute cette tirade que vous ont inspirée les plus vils instincts, et écrire l’histoire de la façon que vous le faites, c’est copier Voltaire mot-à-mot, et, par suite, mentir honteusement. Pourquoi tant vous monter contre les fausses décrétales, lorsque vous commettiez des indignités aussi révoltantes ? Tartuffe incarné ! Si vous faites semblant d’avoir voué un culte à la justice et à la vérité, ce n’est que pour vous autoriser à les mieux bafouer et salir ensuite.

Vous portez même l’audace jusqu’à dire que saint Louis a été gallican, qu’il a su ramener à l’ordre le pape Grégoire IX, et que, si le gallicanisme est une hérésie, saint Louis hérétique a cependant été reçu à bras ouverts dans le ciel. Et à l’appui de ces avancés vous parlez de la prétendue Pragmatique sanction de saint Louis.

Tous les meilleurs historiens rejettent cette fable. Je n’en citerai qu’un, M. J. Chantrel, dont les travaux sur l’histoire ont été très-considérables et très consciencieux, qui a consulté toutes les sources où ses devanciers ont puisé, et qui a fait une saine et très-savante critique de leurs avancés. Voici ce qu’il affirme relativement à saint Louis :

« Saint Louis, dit-on, a désapprouvé la conduite des Papes. Il n’y a rien dans son histoire qui confirme cette assertion… On dit encore que c’est à saint Louis qu’il faut faire remonter ce qu’on appela dans la suite les libertés de l’Église gallicane. On s’appuie surtout pour cela sur une pièce, la Pragmatique sanction, qui est loin d’être authentique… En supposant cette pièce authentique dans tous ses articles, il ne s’y trouverait rien de contraire à l’infaillibilité dogmatique du Souverain Pontife ; il n’y aurait même rien d’hostile au Saint-Siège, excepté dans le sixième article qui se lit comme suit :

« Nous ne voulons aucunement qu’on lève ou qu’on recueille les impôts et les charges que la cour de Rome a imposés ou pourrait imposer aux églises de notre royaume, si ce n’est pour une cause urgente, et de notre plein et libre consentement. »

« Mais on a prouvé péremptoirement que ce dernier article ne se trouve pas dans les plus anciens textes ; il est démontré que c’est une addition faite dans un temps où la cour de France était en querelle avec le Saint-Siège, probablement sous Phillippe-le-Bel… La date de l’acte, 1268 ou 1269, qui est la date de la plus intime amitié du Pape et du Roi, suffirait seule à le faire rejeter, et les expressions qui s’y trouvent en réfutent complètement l’authenticité. » Et, en effet, la prétendue Pragmatique sanction de Saint Louis, commence par ces mots : Ad perpetuam rei memoriam, formule dont jamais les rois de France ne se sont servis, et qui est propre aux actes Souverains de la Papauté,

Voilà, M. Dessaulles, comment vous et les vôtres, qui êtes des menteurs-nés, tant vous êtes possédés de l’esprit de haine contre l’Église, écrivez l’histoire des saints et des Papes.