Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/06

Société des Écrivains Catholiques (p. 27-30).

VI


L’Église, depuis M. Dessaulles, s’est trompée sur les questions de droit et de philosophie.


Vous avez, M. Dessaulles, l’incroyable audace de soutenir que, depuis six siècles, l’Église, sur toutes les questions de philosophie et de droit, a été forcée par la faillible raison logique de reconnaître ses torts, et de renoncer à mille prétentions qu’elle appuyait faussement sur la parole de Dieu ou la révélation. Vous répétez ce stupide blasphème plus de dix fois dans le cours de votre Grande guerre ecclésiastique. C’est un peu fort pour un homme qui prétend crever de dévotion. En revanche, plus de dix fois aussi vous nous rebâchez que l’Église, comme Mgr  de Montréal, a la tête infiniment dure et qu’elle ne cède rien sur ce qu’elle nomme les principes. Comment, en vérité, faites-vous pour ne pas voir que vous tombez par ces dires dans une contradiction flagrante ? De pareils avancés, il n’y a qu’une conclusion à tirer : c’est que vous parlez en l’air, sans savoir ce que vous dites. Cette conclusion est aussi légitime qu’elle est inexorable.

Confondant tout, surtout ce qui, dans l’Église, est de simple organisation extérieure et temporaire avec ce qui est strictement de foi, vous vous en donnez, en indiscipliné que vous êtes. Vous croyez entasser Pélion sur Ossa en formulant vos futiles objections ; mais il suffit d’un seul grain de bon sens pour en avoir vite raison.

Si l’Église a le pouvoir de faire des lois, elle peut aussi les défaire : ces deux choses sont corrélatives. Quand il s’agit de l’autorité civile, vous ne faites pas difficulté de l’admettre. Et pourquoi ne le pourrait-elle pas ? Avec le pouvoir de lier, n’a-t-elle pas aussi reçu celui de délier, comme l’attestent les saints Évangiles ? C’est incontestable, et alors vos objections ne sont plus que des impertinences de la pire espèce. Je ne puis dire moins, quelque désir que j’aie de vous être agréable.

Quant aux principes ils sont immuables et l’Église le sait mieux que vous. À ce sujet, vous parlez de philosophie. Vous seriez bien embarrassé de dire quand et comment l’Église a renié les vrais principes de cette science. C’est elle, au contraire, qui les a conservés, car, sans elle, ils auraient certainement péri dans tous les naufrages qu’a subis la pauvre raison humaine, en s’abandonnant aux débauches de l’orgueil. Si vous aviez, non pas de la science, car ce serait trop exiger de vous, mais une légère teinture de la seule histoire contemporaine, vous sauriez que l’Église a plus énergiquement pris la défense des véritables droits de la raison que tous les prétendus philosophes que vous hantez, philosophes dont la doctrine aboutit, en dernière analyse, à faire de l’homme un pur animal, quelque peu plus élégant et plus perfectionné que le singe. On conçoit que vous, M. Dessaulles, vous aimiez une philosophie qui ne trouve pas mauvais que l’homme se permette parfois de marcher à quatre pattes. L’Église, qui n’a jamais cessé et ne cessera jamais de prêcher que Jésus-Christ est son modèle, ne peut permettre des amusements de ce genre.

Vous parlez aussi du droit que l’Église a toujours méconnu, si l’on vous en croit. J’ignore quel plaisir vous pouvez prendre à aborder ce chapitre, car le droit, comme son nom l’indique, a pour effet de redresser. Or, vous ne devez guère l’avoir en estime, si l’on en juge par la propension que vous avez à aller de travers. N’importe, disons-en un mot, puisque cela vous agrée.

Tout ce qui a rapport au droit se rattache nécessairement à la morale. Or, l’Église ne pouvant pas errer en pareille matière, puisqu’elle est chargée, d’après les injonctions de Jésus-Christ lui-même, de conduire les hommes dans les voies du salut, il en résulte que, à priori, on peut affirmer, sans crainte aucune de se tromper, que le droit ecclésiastique a toujours été conforme à la plus stricte équité. Ce que dit le bon sens chrétien, l’histoire, tant ancienne que moderne, vient le confirmer, et nombre de protestants l’ont eux-mêmes reconnu. La preuve, c’est que pendant le dernier concile général, le célèbre protestant anglais, M. Urguhart, était à Rome, suppliant tous les jours le saint concile de développer les principes du droit politique chrétien, et de lui donner la haute sanction de son autorité.

Qu’il y ait eu, dans le cours des siècles, des variantes dans le droit ecclésiastique, rien de surprenant, et cela devait être. Nos assemblées législatives reconnaissent, par la tenue annuelle de leurs assises, qu’à des besoins ou à des progrès nouveaux il est nécessaire d’apporter des modifications dans l’application des principes du droit, non pas parce que plusieurs d’entre eux venant en concurrence et devant être appliqués simultanément, il faut en prendre la résultante, c’est-à-dire, adopter une solution qui les satisfasse tous sans en blesser aucun.

Cela explique comment il se fait que l’Église ait donné des solutions diverses aux questions proposées relativement au prêt à usure. Le principe est toujours là, consigné dans les saintes Écritures : le prêt par lui-même ne doit absolument rien rapporter. Mais il peut arriver, et de fait la chose a eu lieu, que le prêt d’argent, eu égard aux circonstances qui l’accompagnent, permette d’exiger quelque chose à son occasion. Ce quelque chose s’apprécie diversement, suivant les diverses circonstances. L’Église l’a toujours ainsi compris et enseigné. Tant que ces circonstances ne se sont pas présentées, elle a strictement défendu le prêt à usure, et elle le devait. Elle l’a permis, dans de justes limites, sitôt que les circonstances, devenues autres, l’ont exigé. En cela, comme en toutes les autres matières, l’Église a une fois de plus prouvé qu’elle est dirigée par la sagesse d’En-Haut.

C’est ici le lieu de vouer à l’exécration publique cette phrase, la plus inepte qu’aient jamais écrite les impies et que vous nous donnez, page 96 de votre Grande guerre ecclésiastique, comme émergeant de votre propre cerveau, pour accroître sans doute vos mérites personnels : « Le progrès veut que ce qui est vérité aujourd’hui devienne erreur demain. »

À l’occasion de cette étourderie sans nom, vous me permettez, savantissime M. Dessaulles, vous, le grand pontife de la religion laïque, de vous faire remarquer que toutes vos tirades sont du plus suprême ridicule et de votre aveu même. Si la vérité n’est pas immuable ; si elle varie, comme vous le prétendez, quelle peut être la raison d’être de votre pamphlet. Démontrer que vous n’êtes qu’un sot qui n’a pas eu la sagesse de se taire, et voilà tout. Ce que vous vilipendez aujourd’hui comme faux sera vrai demain ; à quoi bon alors tant vous trémousser ?

Vous dites ce qui suit, page 94 de votre Grande guerre : « Le prêt à intérêt est donc enfin permis, après avoir été si inflexiblement flétri, malgré la célèbre parabole où Jésus loue deux serviteurs fidèles qui avaient doublé, en les faisant profiter, les sommes que leur maître leur avait laissées, et blâme si sévèrement le troisième pour avoir enfoui son talent, au lieu de le mettre entre les mains des changeurs. » Les italiques sont de vous et, à propos des dernières paroles citées, vous mettez en note, au bas de la page : les banquiers du temps. Voudriez-vous bien me dire où vous avez péché ces mots : entre les mains des changeurs qu’une note explicative, de votre fabrique, traduit par ces autres mots : les banquiers du temps ?

Impie et mille fois sacrilège ! Non content de falsifier l’histoire, vous osez faire dire à l’Écriture Sainte ce qu’elle ne dit point. Dans la parabole, que vous citez, il n’est nullement question de changeurs, ni de près ni de loin. Vous l’affirmez cependant. C’est de la dernière impudence. Il faut être vous pour se permettre autant. Le changeur, c’est vous, ni plus ni moins, et l’Écriture Sainte se garde de mentionner votre nom, parce qu’il désigne une personnalité moins respectable que celle de Pilate, Caïphe et Judas. Vous trahissez la justice et la vérité, sans éprouver le moindre remords. Il n’y a pas de signe plus évident que vous êtes, de ceux qui pèchent contre le Saint-Esprit.