Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/02

Société des Écrivains Catholiques (p. 11-15).

II.


De la raison laïque de M. Dessaulles et de la raison humaine — Nécessité de la foi. — De la liberté.


Vous comptez beaucoup, même entièrement, sur la raison humaine, sur la vôtre en particulier. Toute fringante qu’elle soit, je viens de vous démontrer que ce n’est pas cependant un bijou. À votre propre raison, vous donnez la préférence sur l’autorité de l’Église, du Pape et des Évêques. Vous êtes donc déiste, c’est-à-dire que vous êtes dans cette catégorie d’impies et de blasphémateurs qui croient que c’est avoir assez fait que de reconnaître l’existence de Dieu. Quant au reste, vous en faites facilement et joyeusement justice. Avec Dieu et sa parole, parole que vous interprétez à votre guise et qui n’est plus que la vôtre par conséquent, vous vous déclarez satisfait. Pour moi, je vous avouerai qu’un oisillon de votre espèce ne m’inspire pas la moindre confiance quand je le vois interpréter la parole de Dieu. Quoique vous disiez, j’aime mieux les explications et interprétations de l’Église que les vôtres. Vous venez un peu tard, voyez-vous, et avec une raison qui semble bien peu affermie et même fortement engagée dans la voie du radotage.

Cette raison humaine, considérée humainement, que peut-elle la plupart du temps ? Vous le savez par expérience ; je viens de vous le mettre sous les yeux : se contredire et entasser inepties sur inepties sitôt qu’elle veut construire de ses propres mains un édifice religieux. Où en serions-nous, par exemple, s’il nous fallait accepter un code religieux de votre fabrique ? À admettre ni plus ni moins que des ineffabilités semblables à celles que Mahomet, votre modèle, nous dit lui avoir été révélées par son grand coq blanc.

La raison humaine seule ne peut nous servir de guide et rien de surprenant dans cette proposition. Vous vous rappelez ce que je vous ai dit relativement à l’ordre surnaturel. Si vous m’avez compris, vous avez dû voir que l’homme, étant appelé à une fin absolument surnaturelle, doit de toute nécessité croire des vérités absolument surnaturelles c’est-à-dire des vérités que nulle intelligence créée, si parfaite qu’on la suppose, ne comprendra jamais. La chose est évidente, car autrement l’ordre surnaturel ne serait pas lui-même, ce qui est absurde.

Et d’ailleurs n’admettez-vous pas vous-même la vérité sur laquelle j’insiste ici, lorsque vous dites, page 48 de vos abominations, que l’homme ne saurait jamais égaler Dieu ? Or, si l’homme ne saurait jamais égaler Dieu, il s’en suit rigoureusement que l’homme ne comprendra jamais Dieu parfaitement, et que Dieu, par conséquent, peut nous révéler, comme c’est en effet ce qui a eu lieu, une foule de vérités touchant sa nature, ses opérations, etc., que nous ne pourrons jamais comprendre. Donc la foi, dans notre état présent, est absolument nécessaire et quiconque le nie renonce par là même au titre d’être raisonnable. Pourriez-vous refuser d’admettre cette conclusion, vous, l’homme raisonnable et philosophique par excellence, si l’on en croit vos affirmations ?

Donc, encore en matière de foi, il n’y a pas à discuter, mais il faut admettre. Tout le rôle de la raison, en pareille matière, se borne à bien établir le fait de la révélation. Ce fait, une fois établi, il ne reste plus qu’à courber le front et qu’à dire amen. Est-ce là cependant ce que vous faites ? Pas le moins du monde. Pour vous, malgré certaines affirmations qui vous allaient à merveille quand elles servaient à fortifier une partie de votre thèse, mais dont vous vous gardez bien de tirer les conséquences, il n’y a pas de foi. C’est la raison humaine qui décide de tout, la raison humaine incarnée dans votre individu. La preuve, vous me la donnez page 87 de votre Grande guerre ecclésiastique lorsque vous dites : « D’une personne à une autre, d’une intelligence à une autre, il ne saurait y avoir d’autre rapport possible que la parole, et la discussion. Pour faire accepter une vérité, il ne faut pas seulement affirmer, mais il faut examiner, discuter et convaincre. Et le seul résultat possible de notre entretien, vous m’affirmant une opinion et moi l’examinant, c’est la conclusion : Je suis convaincu où je ne le suis pas. Si je ne le suis pas, comme la loi du Christ est la loi parfaite de la liberté, vous n’avez pas le droit de m’imposer une opinion dont, dans ma conscience, cette lumière intérieure que Dieu m’a donnée, je ne puis voir la rectitude. La violence pourra sans doute me faire taire, mais produira-t-elle l’adhésion de l’Esprit ? Certainement non… L’ultramontanisme veut que ce soit le Pape, conseillé par un entourage qui, depuis des siècles, se montre absolument étranger aux plus simples notions de la philosophie du droit, qui soit l’arbitre suprême des principes et des opinions des hommes. »

Ainsi, d’après vous, M. Dessaulles, Dieu ou celui qui le représente très-certainement ne saurait être cru sur ses seules affirmations. Il faut qu’il discute, qu’il vous convainque par des raisons que vous agréez, et, s’il vous plaît de n’être pas convaincu, vous l’enverrez promener. Peut-on rien imaginer de plus affreux, de plus orgueilleusement bête ? Je ne le pense pas. Il n’y a pas de système plus propre que celui-là à mettre la stupidité en honneur. En effet, plus on est stupide, moins on comprend, et, comme on ne doit admettre que les vérités que l’on comprend, il s’en suit que les plus stupides seront les plus libres, n’étant pas obligés de croire les vérités dont ils ne voient point la rectitude et qui les gêneraient dans la pratique. Cette théologie, qui est la vôtre, est bonne pour les veaux ; mais les hommes, qui portent le visage tourné vers le ciel, ne sauraient s’en contenter.

Vous invoquez ce passage des Saintes Écritures où il est dit que la loi du Christ est la loi de la parfaite liberté. Mais vous interprétez ces paroles en vrai luron que vous êtes. Allez-vous, en bonne vérité, vous mettre en tête de nous faire accroire que Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu sur la terre ôter tout frein à la pensée comme aux passions humaines ? Pourquoi descendre du ciel dans la but de nous apprendre que nous n’avions qu’à vivre en pourceaux, comme les grands philosophes de l’antiquité, pour être agréables à ses yeux ? C’était parfaitement inutile ; il n’avait qu’à laisser aller le monde comme il allait.

La liberté, que nous donne la loi du Christ, est une liberté qui nous affranchit du mal, tant dans nos pensées ou opinions que dans nos actes. Le pouvoir de penser comme de faire le mal ne constitue pas la vraie liberté ; c’est, au contraire, une faiblesse, par conséquent un manque de liberté. Tous ceux qui, en ce bas monde, ont le moins de liberté, et vous comptez parmi ces gens-là, illustre M. Dessaulles, sont ceux qui boivent l’erreur et l’iniquité comme l’eau. Dieu est le plus libre des êtres, parcequ’il n’est sujet ni à l’erreur ni au mal. Plus on lui ressemble, c’est-à-dire moins on tombe dans l’erreur et moins on commet de fautes, plus on est libre.

La conclusion à tirer de là, c’est que l’Église romaine, par ses Congrégations, surtout par la Congrégation de l’Index, favorise extrêmement la liberté, loin de la restreindre, quoiqu’en dise votre pauvre petite raison qui choppe à la moindre difficulté. En comprimant la licence des opinions, la liberté de penser, de même qu’en défendant sous les peines les plus sévères les œuvres où pullulent les erreurs de toute sorte, elle ne fait rien autre chose que nous maintenir dans la vraie liberté des enfants de Dieu.

Il y a une vérité et c’est le plus excellent de tous les biens ; vous êtes forcé d’en convenir. Si donc il est légitime, comme on ne saurait en douter, de comprimer l’audace des voleurs et des brigands qui tentent de nous ravir des biens purement temporels, comment ne le serait-il pas de réduire à l’impuissance d’agir ces mécréants qui veulent tuer la vérité et nous donner en retour les élucubrations de leur esprit malade et fiévreux ?

L’erreur conduit immanquablement au mal, et le mal est un assujétissement aux mauvaises passions et au démon. Donc, tout ce qui tend à nous soustraire à l’erreur et au mal nous préserve de l’esclavage et nous maintient dans la liberté. C’est ce que fait la Sainte Église romaine par l’intermédiaire des Congrégations qu’elle a établies.

Je sais que vous n’admettez point cette conclusion et que vous continuerez de pester contre les Congrégations romaines, surtout contre celle de l’Index. Mais toutes vos injurieuses éloquences à l’adresse de ces saintes Congrégations ne prouvent pas plus contre elles que les clameurs des repris de justice ne prouvent contre le tribunal civil qui les a condamnés.