Le Disciple de Pantagruel/1875/19

Attribué à
Texte établi par Paul LacroixLibrairie des bibliophiles (p. 49-50).

Comme Panurge arriva en ung pays plat, qui n’est point labouré, mais fort fertil, là où croissent les pastez chauld, et d’une nuée dont tombent les alouettes toutes rosties, et comme l’on y couvre les maisons de tartelettes toutes chauldes.

CHAPITRE XIX.


DE l’aultre part de l’ung desdictz fleuves, il y a ung aultre grand pays plat qui est fort fertil, mais il n’est point labouré ; toutesfois il y croist si grande abondance de petiz pastez tous chauldz que c’est une chose’ incredible, et viennent en une nuict comme les champignons ; et ceulx du pays ne vivent d’aultre chose, car, incontinent qu’ilz sont levez, au matin, ilz les vont cuillir par grandes pennerées, comme ilz feroient fresses ou champignons.

Si tous les frians de Lyon y estoient, je croy qu’ilz en gresseroient bien leurs lippes et leurs barbes, car ilz sont fort bons. Tous les matins, environ soleil levant, il se lieve une grande nuée fort espesse, de laquelle, dés que le soleil donne dessus, les alouettes en chéent toutes rosties, et ne fault que ouvrir la bouche, car elles tumbent toutes chauldes dedans ; mais il fault porter du sel qui les veult menger salées, pource qu’il n’en croist point au pays, à cause que l’aer y est trop doulx.

Du long des hayes dudict pays, lesquelles sont d’arbres comme groseliers, croissent les tartelettes et flannets tous chauldz, desquelz les bonnes gens du pays usent pour yssue de table.

Il y en croist en si grande abondance qu’on en couvre les maisons au lieu de thuylle ou d’ardoyse. Les petiz enfans du pays ne se desjeunent d’aultre chose.