Le Diable aux champs/7/Scène 3

Calmann Lévy (p. 303-304).



SCÈNE III


Sur le théâtre des marionnettes, qui représente une maison de campagne


CASSANDRE, PIERROT, son jardinier.

CASSANDRE. — Oui, je te dis que tu es un imbécile, et que si tu te fais vacciner, je te chasse de mon service.

PIERROT. — Dame ! je n’y tiens pas beaucoup, monsieur Cassandre ; mais on m’a dit que ça me conserverait le teint frais.

CASSANDRE. — Voyez l’animal, avec son teint ! une figure de navet, avec des yeux de betterave !

COTTIN, dans le public, riant aux éclats. — Ah ! voilà les pièces que j’aime ! C’est quand il y a des légumes dedans !

CASSANDRE, sur le théâtre. — Je te dis que je t’interdis la vaccine ! C’est une invention du diable !

PIERROT. — Pourquoi donc ça ?

CASSANDRE. — Parce qu’elle est nouvelle.

LE CURÉ DE NOIRAC, dans le public. — Bou ! c’est une pièce contre les conservateurs. Gare à nous !

LE CURÉ DE SAINT-ABDON. — Bah, bah ! il est permis de rire ! Nous ne rions pas si souvent !…

PIERROT. — On m’a dit pourtant que ça empêchait la petite vérole.

GERMAIN, dans le public, tout haut. — C’est vrai que ça l’empêche ! Faut pas dire le contraire !

CASSANDRE, sur le théâtre, se tournant vers le public. — Moi je vous dis le contraire. (Parlant à Pierrot.) Et vous êtes une bête de me contredire. On n’empêchera jamais la petite vérole.

GERMAIN, dans le public. — Eh si !

CASSANDRE, sur le théâtre, à Pierrot. — Tu n’es qu’un malhonnête de m’interrompre, et si ça t’arrive encore, je te ferai tâter de ma canne.

GERMAIN, dans le public — Est-il méchant et obstiné, ce vieux-là, avec sa tête de chanvre ?

CASSANDRE, sur le théâtre. — Encore ? Tu m’appelles tête de chanvre !

PIERROT. — Je n’ai rien dit, monsieur.

CASSANDRE. — Si fait !

(Il lève sa canne.)

GERMAIN, dans le public. — C’est pas lui, c’est moi !

CASSANDRE, sur le théâtre. — Tu dis que c’est toi, tu t’en vantes ! Eh bien, attends !

(Il rosse Pierrot, qui se sauve. Cassandre, en voulant le poursuivre, tombe sur le nez. Grands éclats de rire et trépignements de joie des paysans, qui s’écrient : )

C’est bien fait ! c’est bien fait !

(Ils applaudissent. Une petite fille entre et parle bas à Jenny, qui sort. Florence la suit des yeux avec étonnement. La pièce continue.)