Le Diable aux champs/4/Scène 2

Calmann Lévy (p. 168-170).



SCÈNE II


Sur la rivière.


En bateau.


MAURICE, DAMIEN, EUGÈNE, approchant du pavillon.

EUGÈNE. — Tournons le long du parc, et nous reprendrons le sentier du pré pour rentrer chez nous ; à moins que nous n’allions faire une visite par eau à monsieur Jacques.

DAMIEN. — Le Mayeux ne passera pas jusque-là.

MAURICE. — Il passera, ou il dira pourquoi.

DAMIEN. — Mais qu’est-ce qui grimpe donc là au pavillon de Florence ? Est-ce qu’il est revenu tailler sa vigne, au lieu d’achever la conquête de Myrto ?

MAURICE. — Oh ! ce n’est pas lui… Attendez donc, c’est quelqu’un qui paraît fort en peine.

EUGÈNE. — Un voleur ?

MAURICE. — Ça en a tout l’air. Il voulait entrer par la fenêtre, et à présent il nous voit. Il paraît bien penaud.

EUGÈNE. — Donnons-lui la chasse, ça nous divertira.

MAURICE. — Eh non ! attends. Je connais cet imbécile-là ! C’est un petit bourgeois de Sainte-Aigue.

EUGÈNE. — Tiens, pardi ! monsieur Hippolyte Chopart ! Qu’est-ce que vous faites donc là, monsieur Hippolyte Chopart ?

POLYTE. — Ah ! c’est vous ! Bien le bonsoir, messieurs ! Vous arrivez à propos, je suis bien en peine… Je me promenais dans le parc.

MAURICE. — Quelle nouvelle manière de vous promener avez-vous inventée là ? Vous mangez les raisins de notre ami le jardinier du château ?

POLYTE. — Oh non ! par exemple… Je n’en ai guère envie Je vous dirai ça tout à l’heure. Amenez donc votre bateau par là, que je descende.

MAURICE. — Pourquoi ? Puisque vous êtes monté par la treille, descendez par la treille et tournez l’angle du pavillon.

POLYTE. — Eh ! sacredié, pas possible ! J’ai cassé le treillage, voyez ! Je ne peux plus mettre les pieds dessus, et je ne me tiens plus que par les mains à la barre de la croisée. Dépêchez-vous, que diable ! je vais tomber.

MAURICE. — Bah ! vous savez bien nager ?

POLYTE. — Sapristi, non. Est-ce qu’elle est profonde par là, la rivière ?

EUGÈNE. — Non, une trentaine de pieds, pas davantage.

POLYTE. — Excusez ! Venez donc vite.

MAURICE. — On y va ; on y va. Mais d’abord vous direz ce que vous faisiez là, ou bien, serviteur, vous boirez un coup.

POLYTE. — Eh bien, dites donc, farceurs, dépêchez-vous !

MAURICE. — Dépêchez-vous vous-même. Confessez-vous !

POLYTE. — Eh pardié ! c’est ma tante qui m’a fait monter là pour voir s’il y avait quelqu’un de caché là-dedans. Un peu de curiosité, voilà tout.

MAURICE. — Ah oui-dà ! (Bas à Eugène.) Trois pieds de vase et un pied d’eau ; c’est assez pour le rafraîchir, et il faut donner cette petite leçon aux curieux de la ville.

EUGÈNE. — Ça y est ! (À Polyte.) Y êtes-vous ? (Bas à Damien.) Un bon coup de pied contre le mur !

DAMIEN. — J’y suis.

MAURICE. — Donne-moi la perche. Allons, monsieur Chose, sautez !

POLYTE. — Par où ? Comment ? Je ne vous vois pas, sous les feuilles.

EUGÈNE. — À droite. (À Damien.) Demi-tour à gauche. Le Mayeux ne tourne qu’à gauche. C’est fait ! Le Mayeux ne demandait que ça.

POLYTE, dans l’eau, barbotant. — Au Secours ! au secours ! je vas me noyer. Ah ! j’ai pied. Sacristi ! j’ai manqué mon coup ; me voilà propre !

DAMIEN. — Dame ! on vous dit de sauter à gauche. C’est comme ça que vous perdez la tête, vous ? Heureusement que nous sommes là. Sans nous vous périssiez, jeune homme !

POLYTE. — Allons, donnez-moi la main et passez-moi l’eau, que j’aille retrouver ma tante !

MAURICE. — Eh bien, voilà une tante qui va retrouver un joli neveu ! Allons, entrez dans le Mayeux, mon gentilhomme ! Vous pouvez bien dire que vous devez la vie à ce beau navire.