Le Diable aux champs/3/Scène 8

Calmann Lévy (p. 143-144).



SCÈNE VIII


Devant la porte du château de Noirac


PYRAME, LÉDA, MARQUIS.

MARQUIS. — Belle Léda, reine des levrettes, je vous présente mes hommages. Ah ! que vous avez les pattes blanches ce matin ! Bonjour, bonjour, Pyrame ; je me porte bien, merci !

PYRAME. — As-tu fini, avec tes manières ! chien de comtesse, va ! chien de manchon, chien de couvre-pied rose, chien de gimblettes !… Léda, ne faites pas attention à ce roquet-là !

LÉDA. — Je trouve qu’il sent bon, il sent la crème !

PYRAME. — Vous aimez donc ça la crème ? C’est écœurant ! Parlez-moi d’un bon manche de gigot !

MARQUIS. — Toi, tu manges du gigot, portier ? Tu ne connais que le pain de munition, et quant à la crème, tu n’y as jamais goûté. Voyez, belle Léda, comme j’ai la barbe bien peignée et comme on m’a tondu les pattes ce matin !

LÉDA. — Il est drôle, ce petit, il m’amuse !

PYRAME. — Léda, vous êtes une coquette ! Vous me disiez tout à l’heure que vous aimiez les grandes dents blanches, et celui-là n’en a plus ; c’est un vieux folâtre.

LÉDA. — J’aime les marquis, c’est mon faible ; mon maître est un marquis !

PYRAME. — Vous ne détestez pourtant pas les paysans !

LÉDA. — Mon cher, j’aime à rire et à causer avec tout le monde. Mais où est donc mon maître ? Je l’ai perdu. Il faut que je le cherche.

MARQUIS. — Ah ! voilà Jenny qui m’appelle. Je me sauve. Si elle me savait ici en compagnie d’un gros chien malpropre !…

PYRAME. — Gare le fouet, Marquis ! Ah ! que c’est agréable d’être grand seigneur et de ne pouvoir faire société avec personne de son espèce ! Allons, pauvre esclave, viens faire un tour avec moi, dépêche-toi avant qu’on te voie filer !

MARQUIS. — Où vas-tu ?

PYRAME. — Trouver mon maître, qui déjeune par là-bas.

MARQUIS. — Est-ce qu’on y mange de la viande ?

PYRAME. — Tiens, je crois bien !

MARQUIS. — Ah ! j’y vais. On ne m’en laisse pas manger, et je l’aime tant la viande !

JENNY, courant après Marquis. — Ici, ici, monsieur ! Je vous vois vous sauver ! Fi, que c’est vilain ! Vous vous couchez, à présent ? vous demandez pardon ! Allons, venez voir votre maîtresse qui a du chagrin. Venez l’amuser et lui dire que vous l’aimez bien aussi, vous !

(Elle l’emporte.)

PYRAME, seul. — Est-on malheureux d’être chien de qualité ! Ah ! je vais prendre un bain dans la mare verte, pour me mettre en appétit !