Le Diable aux champs/1/Scène 7

Calmann Lévy (p. 38-41).



SCÈNE VII


Sur le balcon de la chambre de Diane


DIANE, JENNY.

JENNY. — Mon Dieu, madame, est-ce que vous êtes souffrante ?

DIANE. — Non, j’ai mal aux nerfs ; je ne peux pas dormir.

JENNY. — Je le crois bien ! Monter à cheval, boire du vin sur du thé, du thé sur du vin ; et puis un gros cigare ! il ne m’en faudrait pas la moitié pour ne pas fermer l’œil d’une semaine. Mais vous êtes là pieds nus et la tête découverte par le frais de la nuit !

DIANE. — Cela m’est agréable.

JENNY. — Vous voulez donc vous tuer ?

DIANE. — Oui, si je croyais qu’on s’amusât mieux dans l’autre monde que dans celui-ci. Crois-tu à un autre monde, toi ?

JENNY. — Oh ! je crois au ciel. Il faut bien qu’il y ait du bonheur quelque part !

DIANE. — Alors, tu crois à l’enfer aussi !

JENNY. — Moi, je ne sais pas ; je n’y ai guère pensé jusqu’à présent.

DIANE. — Et en y pensant ?

JENNY. — Je crois bien que je n’y crois pas.

DIANE. — Tu es donc hérétique, petite ?

JENNY. — Je ne sais pas ; et vous, madame ?

DIANE, riant. — Moi, je doute de tout, ce qui ne m’empêche pas d’être bonne catholique. C’est bien porté ! Ah çà ! dis-moi donc, babillarde, avec qui causais-tu tout à l’heure sous ma fenêtre, que tu ne m’entendais pas sonner ?

JENNY. — J’étais en train de dire à votre nouveau jardinier-fleuriste de renouveler les fleurs du salon demain matin.

DIANE. — Tu lui as dit cela bien longuement. Est-ce qu’il te fait déjà la cour, celui-là ?

JENNY. — Non, madame.

DIANE. — Comment est-il, ce garçon ? Je ne l’ai pas encore vu.

JENNY. — Il est très-bien.

DIANE. — Qu’est-ce que tu appelles très-bien ? Aussi bien que Gustave ?

JENNY. — Oh ! non, pas si bien !

DIANE. — En ce cas, il est affreux ; car je l’ai vu, ton Gustave ; il était laid.

JENNY. — Je le voyais beau.

DIANE. — Pauvre fille, je te fais de la peine ! J’avais résolu de ne plus t’en parler.

JENNY. — Oh ! je veux bien en parler.

DIANE. — Non, non, j’en ai assez. Parle-moi de ton nouvel amoureux, car je suis sûre que ce jardinier t’en a conté tout à l’heure. J’ai compris cela aux inflexions de sa voix… qui est fort agréable, par parenthèse. Quel est-il ? d’où sort-il ?

JENNY. — Je ne saurais vous dire qui il est. Il s’appelle Florence.

DIANE. — Tiens ? c’est un nom de comédie, c’est un nom d’emprunt, cela. Florence, jardinier-fleuriste… Oui, oui, c’est quelque nom de guerre, de compagnonnage, comme ils disent, je crois. Ah çà ! a-t-il l’air d’être bon jardinier ?

JENNY. — Mais je ne sais pas quel air il faut avoir pour cela !

DIANE. — Que tu es épilogueuse ! A-t-il l’air de s’occuper de son emploi, de l’aimer ?

JENNY. — Il m’a dit qu’il aimait son métier comme un art.

DIANE. — Il a dit cela ? Voilà juste le jardinier qu’il me fallait. Et il a admiré les serres ?

JENNY. — Je ne sais pas.

DIANE. — Quel âge a-t-il ?

JENNY. — Vingt-cinq ou trente ans, peut-être plus, peut-être moins !

DIANE. — C’est clair. Est-il blond ou brun ?

JENNY. — Il est brun. Non, il est plutôt blond… Ma foi, je n’ai pas bien remarqué cela.

DIANE. — Ah ! Jenny, tu ne regardes plus aucun homme. Que tu es belle d’aimer ainsi ! Comment fais-tu ?

JENNY. — Pour aimer ? C’est malgré moi.

DIANE. — Oui, et c’est malgré elle aussi que la rose sent bon. Tiens, sérieusement, je voudrais pleurer.

JENNY. — Pleurer sans sujet ? Ah ! vous êtes malade. Voyons, madame recouchez-vous, je vous en prie. Soignezvous par amitié pour moi, si ce n’est par précaution pour vous-même.

DIANE. — Tu m’aimes donc un peu, toi ? Dis la vérité.

JENNY. — Oh ! je vous aime de tout mon cœur.

DIANE. — Tu mens, ton cœur est à ton infidèle.

JENNY. — Tout ce qui m’en reste est à vous.

DIANE. — Bonne créature ! Allons, je vais me coucher ; mais je sens bien que je ne pourrai pas dormir.

JENNY. — Je resterai auprès de vous sans rien dire, jusqu’à ce que vous dormiez.

DIANE. — Tiens, traite-moi comme un enfant. Sais-tu quelque chanson ?

JENNY. — Oh ! oui, j’en sais beaucoup.

DIANE. — Tu ne chantes pas faux, par hasard ?

JENNY. — Je n’en sais rien.

DIANE. — N’importe ! chante sur ce balcon, et si je ne te parle pas, rentre sans bruit, ferme ma fenêtre, et va te coucher.