XLIV
D’un certain homme qui fut maltraité par ordre du sultan.


L’an de Notre-Seigneur Jésus-Christ 1258, le premier des rois d’Abasia voulut, pour un motif de dévotion, aller visiter les Lieux Saints à Jérusalem, de sorte qu’ayant fait part de son dessein à ses conseillers, ils le dissuadèrent d’entreprendre ce voyage, lui représentant les dangers des chemins, particulièrement parce qu’il fallait passer en plusieurs endroits sur la terre des mahométans ; mais ils lui conseillèrent d’y envoyer plutôt quelque évêque en sa place et de le charger de quelque présent pour Jérusalem, Le roi agréa ce conseil et envoya un évêque venant dans le pays d’Aden (encore ainsi nommé), qui est habité par les mahométans, qui haïssaient Jésus-Christ d’une haine implacable ; il fut pris par ces infidèles et mené au roi d’Aden. Le roi ayant appris de lui qu’il était envoyé de la part du roi d’Abasia à la Terre Sainte, il le chargea de menaces pour lui faire renoncer le nom de Jésus-Christ et embrasser l’Alcoran. L’évêque, persévérant dans sa foi, répondit qu’il aimait mieux mourir que d’abjurer Jésus-Christ pour suivre Mahomet. Alors le sultan, rempli de rage en mépris de Jésus-Christ et du roi d’Abasia, lui fit infliger les plus cruels outrages ; après quoi il le renvoya au roi d’Abasia. Ce roi, voulant venger l’injure faite à Jésus-Christ, leva une grande armée d’infanterie, de cavalerie et d’éléphants portant des châteaux sur leur dos, et déclara la guerre au roi d’Aden. Mais le sultan, ayant fait alliance avec deux autres rois, s’en alla à la rencontre du roi d’Abasia. Le combat s’étant donné, beaucoup des gens du roi d’Aden y furent tués, et le roi d’Abasia demeura victorieux. C’est pourquoi il entra dans le pays d’Aden avec son armée et commença à le ravager d’une étrange manière, tuant tous les mahométans qui voulaient faire résistance. Il resta dans ce royaume un mois entier ; et, après avoir causé beaucoup de dommage à son ennemi, il retourna dans son pays chargé de gloire et d’honneur, se réjouissant d’avoir châtié la perfidie du sultan.