XXIV
Du royaume de Lar et des diverses erreurs de ses habitants.


Tous les habitants de royaume de Lar sont idolâtres : plusieurs adorent un bœuf comme une divinité, c’est pourquoi ils n’en tuent aucun ; et quand il en meurt quelqu’un, ils oignent leurs maisons de sa graisse[1]. Il y en a cependant parmi eux qui, quoiqu’ils ne tuent point de bœuf, en mangent cependant bien la chair quand ils ont été tués par d’autres. On dit que l’apôtre saint Thomas a été mis à mort dans cette province, et que l’on y a conservé son corps jusqu’à présent dans une église. Il y a dans ce pays-là beaucoup de magiciens, qui s’adonnent aux augures et aux divinations. Il y a aussi beaucoup de monastères où l’on sert les idoles ; certains habitants leur consacrent leurs filles, quoiqu’ils les gardent dans leurs maisons, excepté les jours que les prêtres des idoles veulent faire leurs solennités. Car alors ils font venir ces filles et ils chantent avec elles à l’honneur de leurs faux dieux, d’un ton aussi déplaisant que forcé. Ces filles portent aussi à manger avec elles, et présentent ces mets à l’idole. Et pendant qu’ils chantent et trépignent, ils s’imaginent que leurs dieux mangent de ce qui leur a été présenté ; et surtout ils répandent en leur présence le jus des viandes, à quoi ils croient que leurs dieux prennent un singulier plaisir. Ces cérémonies étant achevées, les filles s’en retournent chez elles. Elles continuent de servir ainsi les idoles jusqu’à ce qu’elles soient mariées. On observe encore en ce pays-là une coutume, que quand le roi est mort et qu’on le mène pour être brûlé, plusieurs de ses soldats se jettent dans le feu dans l’espérance que dans l’autre vie ils ne seront point séparés de lui ; les femmes font la même chose lorsque leurs maris doivent être brûlés, dans l’espérance qu’elles seront leurs épouses en l’autre monde. Et ceux qui n’observent point cela ne sont aucunement estimés parmi les gens du pays. Il y a encore une autre coutume étrange en ce pays-là : si quelqu’un est condamné pour crime, il regarde comme une faveur de s’égorger lui-même à l’honneur de quelque dieu. Car si le roi lui accorde cette grâce-là, alors tous ses parents et ses amis s’assemblent, et dix ou douze lui mettent le couteau sur la gorge ; ils l’assoient sur une chaise et le mènent par toute la ville en criant : « Cet homme se doit tuer à l’honneur de tel ou tel dieu. » Après quoi il se perce lui-même, en criant : « Je me tue en l’honneur d’un tel dieu. » Cela dit, il écarte sa plaie, et l’achève lui-même avec un autre fer ; et il se fait tant de plaies qu’enfin il en meurt. Les parents brûlent son corps avec beaucoup de joie.

  1. On sait que le bœuf et la vache sont considérés comme animaux sacrés par les Hindous.