Le Dernier Jour d’un Condamné
Le Dernier Jour d’un condamné, Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; OllendorffRoman, tome I (p. 678).


XXXI


Il vient d’entrer un monsieur, le chapeau sur la tête, qui m’a à peine regardé, puis a ouvert un pied-de-roi et s’est mis à mesurer de bas en haut les pierres du mur, parlant d’une voix très haute pour dire tantôt : C’est cela ; tantôt : Ce n’est pas cela.

J’ai demandé au gendarme qui c’était. Il paraît que c’est une espèce de sous-architecte employé à la prison.

De son côté, sa curiosité s’est éveillée sur mon compte. Il a échangé quelques demi-mots avec le porte-clefs qui l’accompagnait ; puis a fixé un instant les yeux sur moi, a secoué la tête d’un air insouciant, et s’est remis à parler à haute voix et à prendre des mesures.

Sa besogne finie, il s’est approché de moi en me disant avec sa voix éclatante :

— Mon bon ami, dans six mois cette prison sera beaucoup mieux.

Et son geste semblait ajouter :

— Vous n’en jouirez pas, c’est dommage.

Il souriait presque. J’ai cru voir le moment où il allait me railler doucement, comme on plaisante une jeune mariée le soir de ses noces.

Mon gendarme, vieux soldat à chevrons, s’est chargé de la réponse.

— Monsieur, lui a-t-il dit, on ne parle pas si haut dans la chambre d’un mort.

L’architecte s’en est allé.

Moi, j’étais là, comme une des pierres qu’il mesurait.