Le Débat du cueur et du corps de Villon

Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 113-114).

LE DEBAT
DU CUEUR ET DU CORPS DE VILLON,
En forme de Ballade.

Qu’est-ce que j’oy ? — Ce suis-je. — Qui ? — Ton cueur,
Qui ne tient mais qu’à ung petit filet,
Force n’ay plus, substance ne liqueur,
Quand je te voy retraict ainsi seulet,
Com pouvre chien tappy en recullet.
— Pourquoy est-ce ? — Pour ta folle plaisance.
— Que t’en chault-il ? — J’en ai la desplaisance.
— Laisse m’en paix ! — Pourquoi ? — J’y penseray.
— Quand sera-ce ? — Quant seray hors d’enfance.
— Plus ne t’en dy. — Et je m’en passeray.

— Que penses-tu ? — Estre homme de valeur.
— Tu as trente ans. — C’est l’aage d’ung mullet.
— Est-ce enfance ? — Nenny. — C’est donc folleur
Qui te saisit ? — Par où ? — Par le collet.
Rien ne congnois. — Si fais : mouches en laict :
L’ung est blanc, l’autre est noir, c’est la distance.
— Est-ce doncq tout ? — Que veulx-tu que je tance ?
Si n’est assez, je recommenceray.
— Tu es perdu ! — J’y mettray resistance.
— Plus ne t’en dy. — Et je m’en passeray.

— J’en ay le dueil ; toi, le mal et douleur.
Si fusse ung povre ydiot et folet,
Au cueur eusses de t’excuser couleur :
Se n’as-tu soing, tout ung, tel, bel ou laid,
Ou la teste as plus dure qu’ung jalet,
Ou mieulx te plaist qu’honneur ceste meschance !
Que respondras à ceste conséquence ?
— J’en seray hors quand je trespasseray.
— Dieu, quel confort ! — Quelle saige eloquence !
— Plus ne t’en dy. — Et je m’en passeray.

— D’ond vient ce mal ? — Il vient de mon malheur.
Quand Saturne me feit mon fardelet,
Ces maulx y mist, je le croy. — C’est foleur :
Son seigneur es, et te tiens son valet
Voy que Salmon escript en son roulet :
« Homme sage, ce dit-il, a puissance
Sur les planètes et sur leur influence. »
— Je n’en croy rien ; tel qu’ilz m’ont faict seray.
— Que dis-tu ? — Rien. — Certe, c’est ma créance.
Plus ne t’en dy. — Et je m’en passeray.

ENVOI.

— Veux-tu vivre ? — Dieu m’en doint la puissance !
— Il te fault… — Quoy ? — Remors de conscience ;
Lire sans fin. — Et en quoy ? — En science ;
Laisse les folz ! — Bien, j’y adviseray.
— Or le retiens. — J’en ay bien souvenance.
— N’attends pas tant que tourne à desplaisance.
Plus ne t’en dy. — Et je m’en passeray.