Le Croyant/Texte entier

Despret frères (p. Couv-Notes).



LE
CROYANT,
poème
par M. C.-F. Matton,
Avocat, Inspecteur cantonal,
Bachelier ès-lettres de l’université de France et membre de
la Société des Gens de Lettres belges.

NIVELLES,
TYP. DESPRET FRÈRES, LITH. ET LIBR.
1852.




LE


CROYANT.


LE


CROYANT,


poème


par M. C.-F. Matton,
Avocat, Inspecteur cantonal,
Bachelier ès-lettres de l’université de France et membre de
la Société des Gens de Lettres belges.

La foi, toute mystérieuse quelle est, répand sur la vie humaine quelque lumière et quelque grandeur ; l’incrédulité n’établit rien, c’est la philosophie du néant.
(Legris-Duval.)
La foi, flambeau divin, jeté sur notre route
Pour éclairer nos cœurs et nous conduire aux cieux !
(M. La Garde.)



Nivelles,
typ. despret frères, lith. et libr.
1852.




Au Lecteur.






Il y a quelques années, frappé d’admiration à la vue du dévouement dont le Croyant fait preuve dans toutes les circonstances de la vie, nous avions écrit, en l’honneur de ce vaillant soldat du Christ, une pièce de vers de peu d’étendue ; un homme de goût auquel nous en fîmes la lecture, nous donna des encouragements et nous engagea à continuer une œuvre que nous n’avions fait qu’ébaucher. Depuis lors, nous étant senti captivé par les attraits de notre sujet, nous nous sommes laissé entraîner bien au-delà des limites que nous nous étions assignées, et au lieu de tracer comme nous l’avions projeté, un seul tableau du Croyant, nous avons fait une galerie de portraits que nous allons exposer aux regards du public, qui voudra bien, nous l’espérons, nous accorder l’indulgence dont nous avons besoin en traitant un sujet aussi vaste et aussi sublime.

Un jour, un homme de génie, changeant le plan que nous avons suivi, en agrandira les proportions, et fera, au lieu d’une esquisse, un riche et brillant tableau, qu’il enluminera des plus fraîches couleurs de la poésie. Nous, aujourd’hui, nous nous contenterons de montrer le courage du Croyant et, son saint dévouement à l’humanité ; nous ferons briller son ardente charité pour les malheureux, la grandeur et la générosité de son âme ; on le verra rechercher toutes les occasions de faire le bien ; on le verra visiter les lieux les plus arides et les retraites les plus cachées, pour y découvrir des larmes à tarir et des cœurs à consoler.

Transporté en esprit sur le char lumineux d’un ange, nous irons, sous la tutelle de ce divin conducteur, visiter les ruines de la Grèce, les champs où fut Troie, les murs de l’antique Byzance ; puis, suivant à travers le désert la route triomphale que prirent nos aïeux sous la conduite de Godefroid de Bouillon, ce Croyant d’un autre âge, nous jetterons un rapide regard sur Nicée, Antioche et d’autres lieux illustrés par leur vaillance ; reprenant ensuite notre vol à travers les airs, nous irons planer au-dessus de Jérusalem, nous décrirons l’aspect des Lieux Saints, la plaine où campèrent les soldats de la Croix et les murs qu’ils franchirent en vainqueurs pour délivrer le tombeau du Prince des Croyants, le tombeau de Celui qui planta sur le Golgotha le premier arbre de Liberté qu’on osa élever sur la terre ; le tombeau de celui qui mourut la victime innocente du despotisme de ses ennemis ! Enfin, nous essaierons de célébrer les bienfaits que la foi répand dans le cœur du chrétien en toutes les circonstances de sa vie agitée.

Ah ! quand la mauvaise presse abaisse le niveau de l’intelligence humaine ; quand elle attise le feu des passions les plus cruelles et les plus brutales ; quand elle se plaît à séduire la candide innocence ; quand elle soulève le peuple contre l’autorité légitime, il nous a semblé que le moment était venu d’élever la voix contre les corrupteurs du genre humain, et de proposer à nos frères le Croyant comme le plus beau modèle qu’ils puissent imiter.

Il y a déjà bien longtemps que des hommes impies cherchent à pervertir la société. Dès les premiers âges du monde, des esprits dégradés ont tenté de le faire ; mais jamais les écrivains pervers, jamais l’impiété, jamais les novateurs ne mirent plus d’ardeur qu’aujourd’hui à fausser les consciences : au théâtre, sur la place publique, dans les carrefours, au cabaret, dans leurs chansons bachiques, ils ont appris au peuple à insulter l’Évangile.

Nous, nous avons voulu relever sous leurs tables d’orgies ce livre divin, et montrer à ceux qu’ils ont égarés que c’est là, et là seulement, que l’homme peut puiser ses consolations et ses espérances ; nous avons voulu leur apprendre à se réjouir à la lecture de ce code immortel, de ce testament que nous a laissé, comme un témoignage de son amour, un père affectueux, un ami dévoué le frère le plus tendre !

L’Évangile ! mais c’est la voix de l’avenir ; c’est la colonne de feu qui doit éclairer aujourd’hui les pas des nations égarées dans les ténèbres de la nuit ; c’est cette colonne qui doit illuminer les sentiers les plus obscurs de la vie, et guider l’humanité à travers les embûches et les périls de tous genres, vers la terre promise des croyants.

Frères, vous qui, dans les malheurs de ce vallon de larmes, jetez encore un regard consolant sur les joies et les récompenses d’un monde meilleur ; vous qui connaissez un baume pour tous les maux qui nous affligent ; vous pour qui c’est un bonheur de trouver l’occasion de faire le bien ; qui avez sondé toutes les blessures ; qui avez compassion de toutes les infortunes, ah ! unissons-nous pour travailler au bonheur des hommes selon la mesure de nos forces. Tachons surtout de guérir ces terribles maladies qui accablent leurs âmes : le doute, l’incrédulité et les passions effrénées qui font tant de ravages ; efforçons-nous de resserrer les nœuds de cette fraternité chrétienne qui peut faire de toutes les nations du monde une seule et grande famille d’amis et de frères qu’un même berceau a vus naître !

Belgique, ô mon beau pays ! ô toi qui as su te soustraire jusqu’à ce jour aux coups de l’orage qui a désolé la plupart des contrées de l’Europe, et qui gronde encore à notre horizon du midi ; toi qui, par ta sagesse et ta prudence, as su te préserver jusqu’à présent de la contagion de vaines et désolantes doctrines, continue, ô mon pays, en marchant dans la voie du progrès, à résister à la séduction de tes ennemis ; reste ferme et debout au milieu des ruines amoncelées autour de toi ; marche et persévère dans les voies de la civilisation chrétienne ; marche, marche toujours ; espère en des temps meilleurs, mais veille constamment et avec attention ; veille, car l’ennemi est à tes portes ; prends garde qu’il ne s’introduise dans la place… il serait intraitable ! Ô ma Belgique, ce serait fait de tes belles institutions, de ton bonheur et de tes libertés !

Mais j’ai espoir en cette génération nouvelle, qu’on élève à l’ombre de ces écoles populaires que la Belgique a ouvertes à l’indigence en 1842 ! Instituteurs de ma patrie, j’ai une entière confiance en vous ! Ah ! vous la justifierez, je l’espère, en formant des citoyens utiles, qui respecteront nos lois, ces sages gardiennes de la tranquillité et de la prospérité publiques ; des citoyens qui chériront le sol qui les a vus naître, et qui suivront les nobles enseignements de cette religion d’amour que le Christ a révélée à la terre pour sauver l’humanité et pour la rendre heureuse !

Et vous, voyageurs attardés dans les voies de la civilisation chrétienne, novateurs qui nous promettez un bonheur sans mélange, un bonheur qu’il ne nous est point donné de trouver ici-bas ; qui voulez subordonner l’esprit à la chair, à la chair qui s’est révoltée contre l’esprit ; vous qui accusez la société de tous les crimes ; qui abandonnez l’individu à ses instincts vicieux, et n’exigez de lui aucun effort pour les vaincre ; vous qui avez profané le nom sacré de Liberté en déchaînant toutes les passions humaines ; qui voulez anéantir les institutions les plus saintes, pour laisser vivre l’homme, ce roi de la création, comme les quadrupèdes de nos forêts, sans lois et sans frein ; vous qui voulez ravir à ceux que vous nommez les envahisseurs de la terre, les fruits d’un long et pénible labeur et les fruits des travaux du père de leurs pères, ô frères, puisse le Croyant vous inspirer quelques pensées salutaires et vous rendre plus dociles à la voix d’une aimable consolatrice qui a des remèdes pour toutes les douleurs !

Revenez à nous, revenez à nous ; abjurez de révoltantes doctrines. Ce que vous appelez philanthropie, nous l’appelons Charité ; c’est la bienfaitrice des infortunés. Frères, venez vous éclairer aux rayons vivifiants de notre beau soleil, du soleil de la Foi ; venez, ils ranimeront votre courage et vos espérances ; venez, et alors vous connaîtrez le bonheur, le seul qu’il soit donné à l’homme de goûter en l’exil de la terre. Ah ! si nous pouvions captiver votre sympathie ; si nous pouvions, même pour une faible part, contribuer à ramener la paix dans les empires et surtout dans vos cœurs, nos efforts seraient dignement récompensés.

Pardonnez si, quelquefois, mais sans intention, nous avons pu vous offenser par la rigueur de notre langage. Croyez-le bien, nous avons écrit ces vers sans colère, sans haine et sans esprit de parti, mais en obéissant à des convictions profondes et à de bonnes et loyales intentions ; car nous avons horreur de l’hypocrisie, quel que soit le voile sous lequel elle se cache ; le vrai Croyant ne doit point l’aimer : que ceux-là mêmes qui ne partagent pas nos convictions, nous jugent donc sans partialité, et qu’ils sachent bien que si nous détestons les mauvaises doctrines, nous aimons cependant tous les hommes, car tous les hommes sont nos frères.

Si nous parvenons à captiver l’attention de quelques âmes, de ces âmes soucieuses, qui déplorent avec nous les malheurs de notre époque ; si nous sommes assez heureux pour ajouter une fleur, quelque pâle qu’elle soit, à la couronne littéraire de notre pays, ah ! alors, nous remercierons le Ciel de nous avoir inspiré ; car, nous le savons bien, lorsqu’une lyre chrétienne rend d’harmonieux accords, c’est qu’une main divine en fait vibrer les cordes.

PROLOGUE.

Dans l’aveugle transport d’une injuste colère :
« À quoi sert, dit l’impie, un Croyant sur la terre ?
» Son cœur est satisfait quand il peut, chaque jour,
» Murmurer à genoux, sans haine et sans amour.
» Quelques mots incompris d’une vaine formule,
» Qu’inventa des humains la faiblesse crédule. »


À quoi sert le Croyant !!! quel mot injurieux !
Mânes de nos héros, de vos palais des cieux,
Descendez un instant, venez, ombres heureuses ;
Venez, découvrez-nous les blessures nombreuses
Dont vous fûtes jadis couverts en combattant,
Et dites à l’impie à quoi sert le Croyant !
Guerrier de mon pays dont le bras magnanime
Planta notre étendard sur les murs de Solyme,
Toi dont jadis Le Tasse a chanté les exploits,
Ô Bouillon, apparais aux appels de ma voix !
Aux yeux du mécréant fais brandir cette épée
Qui du sang musulman fut si souvent trempée,
Et dis-lui qu’aujourd’hui d’autres Croyants encor
Dignement porteraient cet instrument de mort.


Vous aussi qui savez, même au milieu des larmes,
En contemplant le ciel, trouver encor des charmes ;
Et vous, nobles mortels que l’on voit ici-bas
Soutenir pour le Christ tant de rudes combats ;

Vous tous qui confondez et l’envie et la haine,
En consumant vos jours pour la faiblesse humaine ;
Aux cris de la douleur vous qu’on voit accourir,
Vous qui savez aimer, vous qui savez mourir,
Vous que l’Esprit Sacré si puissamment inspire,
Nous allons essayer de chanter sur la lyre
Vos sublimes vertus, votre saint dévoûment,
Et la pieuse ardeur de votre cœur aimant.


LE CROYANT,
Poëme


Qu’entends-je ?… C’est le bruit d’un cliquetis de chaîne
Auquel vient se mêler une clameur lointaine.
D’affreux rugissements ont ébranlé les airs ;
C’est la terrible voix des monstres des déserts !…
Accourez, plébéiens, dans le cirque de Rome ;
Hâtez-vous, venez voir couler le sang de l’homme ;
Venez goûter à l’aise un bien digne plaisir !
Pour récréer Néron, des chrétiens vont mourir !
Place, place au consul, à la vierge sacrée,
Qui nourrit sur l’autel la flamme vénérée !
Place aux augures ! place aux prêtres imposteurs,
Fièrement entourés d’un cercle de licteurs !
Sur la dalle sonore on voit l’immense foule,
À flots précipités, comme un torrent qui roule,
S’élancer dans le cirque en ce jour solennel ;
À Jupiter-Tonnant l’on élève un autel,
Et des prêtres en chœur entonnent sa louange.
À la voix des tribuns tout le peuple se range ;
Sur ses lourds gonds gémit une porte d’airain :
« Les voilà ! les voilà ! » dit la foule ; soudain,
De malheureux captifs, que le licteur entraîne,
Au devant de la mort s’avancent dans l’arène :
« Vils chrétiens, leur dit-on, pour calmer son courroux,
» Devant notre empereur fléchissez les genoux ;
» Adorez Jupiter, que Rome entière adore,
» Et reniez ici votre Christ, qu’elle abhorre. »

À ces mots, les chrétiens, en regardant les cieux,
Les cieux, leur doux espoir, restent silencieux.
Néron, à leur aspect, sent du feu de la rage,
En ce terrible instant, s’enflammer son visage ;
De l’enfer ont bondi les démons courroucés,
Et dans le cirque ouvert les monstres sont lancés.
Vers l’arène de sang, le tigre de Nubie,
La panthère de Ziph, le lion de Lybie,
Se sont précipités, de fureur frémissants ;
Ils jettent dans les airs d’horribles hurlements,
Et le peuple romain a triomphé de joie ;
Les monstres dévorants s’acharnent sur leur proie ;
Du flanc de nos martyrs le sang s’échappe à flots ;
Ils demandent au ciel grâce pour leurs bourreaux…
Alors l’Esprit divin vient consoler leur âme,
De l’amour du Seigneur soudain il les enflamme ;
Ils délaissent un monde où règne la douleur,
Et des élus ils vont savourer le bonheur.

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Sur le bord du chemin, au pied de la colline,
Le voyageur contemple une tour qui s’incline.
Est-ce quelque manoir où veillent des guerriers,
En attendant le jour des assauts meurtriers ?
Non, non, rassurons-nous, c’est le paisible asile
Où vivent des Croyants, loin des bruits de la ville ;
Lorsque pâlit l’éclat du jour à son déclin,
Ces hommes studieux, penchés sur le vélin,
Recherchent le vrai sens d’un texte qu’on ignore ;
Déjà l’aurore brille, ils le cherchent encore.
Dans leur sainte retraite, ennemis du repos,
Ils ont voué leur vie à ces nobles travaux,
Et par l’ardent effort d’un généreux courage,
Ces Croyants ont sauvé plus d’une illustre page.
Ô noble Démosthène ! et toi, sage Platon !
Sauveur de ton pays, éloquent Cicéron !
Beau Cygne de Mantoue, ô sensible Virgile !
Et toi, chantre d’Hélène et du bouillant Achille !
Vous qui fîtes couler tant de pleurs de nos yeux,

Vos sublimes discours, vos vers mélodieux
Auraient été perdus dans la nuit éternelle,
Si ces pieux savants, par l’ardeur de leur zèle,
Ne vous avaient sauvés du ravage des ans.
Tu dois à ces auteurs tes admirables chants.
Racine ; lu leur dois ta suave harmonie ;
Ils ont électrisé ton sublime génie.

Et vous, gloire de l’homme, ô merveilles des arts.
Vous qui réjouissez aujourd’hui nos regards,
Splendides monuments, ô saintes basiliques,
Qui dans l’air étalez ces dômes magnifiques
Contre lesquels en vain lutte l’effort du temps,
Ne vous devons-nous pas à ces doctes Croyants ?


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D’un jeune et bel enfant j’entends la voix plaintive ;
Et sa mère, tremblante, à ses maux attentive,
Auprès de son berceau prie en versant des pleurs.
L’infortuné ne peut résister aux douleurs ;
Il relève deux fois sa tête qui retombe ;
Il fixe sur sa mère un œil terne… et succombe !
Bel ange, il va chanter aux pieds de l’Éternel,
Parmi les chérubins, les cantiques du ciel.
Cependant, ici-bas, sa malheureuse mère
Va consumer ses jours dans la tristesse amère ;
Loin d’elle s’est enfui le paisible repos ;
Rien ne peut soulager ses incurables maux ;
Le jour nait, et déjà le chagrin la dévore ;
Lorsque la nuit s’abaisse, elle gémit encore.
Mais son fils, qui pour elle intercède toujours,
Du Grand Consolateur a conquis le secours :
Bientôt un chérubin aux diaphanes ailes,
S’élance comme un trait des sphères éternelles ;
Vers la terre il descend : c’est l’ange de la foi ;
Ô pauvre mère, il vient s’abattre près de toi,
Te parle de ton fils, ce bel ange qu’il aime,
Et te promet qu’aux cieux tu l’aimeras toi-même.


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Un tableau désolant a frappé mon regard.
Sur les rochers déserts de l’altier Saint-Bernard,
Un voyageur perdu s’enfonce dans la neige ;
Un froid mortel l’accable et la crainte l’assiège ;
Sa force l’abandonne ; hélas ! il va périr,
Si la main d’un ami ne vient le secourir !
Ô des infortunés divine Providence,
À l’heure du danger viens prendre sa défense !
Seigneur, ne permets pas qu’en ces déserts affreux
Loin de ceux qu’il chérit, périsse un malheureux !…
Franchissant le rocher d’un bond hardi, rapide,
Et promenant partout un regard prompt, avide,
Un Croyant généreux cherche le voyageur ;
Il le trouve et de joie a palpité son cœur.
Sur le bord des torrents, dans la neige glacée,
De la religion sentinelle avancée,
Nous le voyons encore, au péril de ses jours,
À son frère éploré prodiguer son secours ;
Ni les vents déchaînés, ni le profond abîme,
Rien ne peut effrayer son dévoûment sublime.


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Dans ma belle patrie il est un heureux coin
Qui de mes tendres jeux fut jadis le témoin ;
Là naquit un Croyant qu’électrisa sans cesse
Un zèle infatigable, une sainte tendresse.
Admirez son courage : il traverse les mers
Pour porter l’Évangile au milieu des déserts.
Il aborde sans arme à des rives lointaines ;
De l’immense Amérique en explorant les plaines,
Affrontant les dangers de ces lieux redoutés
Où la mort à ses yeux s’offre de tous côtés,
Sans crainte il se confie à la frêle pirogue ;
Sur la vague en courroux elle s’élance et vogue :
Hardi navigateur, presque seul, sans secours,
Du grand Meschacébée il remonte le cours.
Bravant à chaque pas la mort et la souffrance,
Soldat sacré du Christ, il sut doter la France
D’un immense pays plein de peuples nouveaux ;

Mais l’ingrate oublia ses utiles travaux.
Nous avons essayé, nous, chrétien d’un autre âge,
De redire en ces vers son généreux courage,
Et plein d’un saint respect pour ses pieux labeurs,
Nous avons sur sa tombe épanché quelques fleurs 1.


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Autres soldats du Christ, qui parcourez la terre
Afin de soulager notre humaine misère
Et de rendre le calme à tant de cœurs souffrants,
Ô vous qu’ont décriés l’envieux, les méchants,
Vous qu’en ce siècle impie on persécute encore,
Frères, consolez-vous, leur haine vous honore !
Souvent nous avons vu vos timides amis
Se taire quand criaient vos fougueux ennemis :
Pour oser vous défendre il faut quelque courage ;
Nous, de vos détracteurs nous braverons la rage,
Et nous ferons ici parler la vérité,
Par leurs vaines clameurs sans être épouvanté.
Ils disent que prônant l’ignorance profonde,
Vous tentez de bannir la liberté du monde,
Pour nous faire gémir sous un joug oppresseur ;
Mais de vos ennemis ce langage est menteur :
On peut haïr l’erreur sans haïr la science ;
Chérir la liberté sans aimer la licence.
La liberté ! pourquoi ne l’aimeriez-vous pas ?
Serait-elle pour vous, ô frères, sans appas ?
Elle est fille du Christ ; mais l’homme n’est pas sage ;
Des présens les plus beaux il fait mauvais usage.
Ce peuple qui naguère a détrôné ses rois,
Dont la main déchira le code de ses lois,
D’un pouvoir paternel qui secoua la chaîne,
Qui sema dans l’Europe et le trouble et la haine,
Qu’on entendit pousser des cris séditieux,
Quand il était si libre, était-il plus heureux !
D’imprudents novateurs ont égaré son âme
Par les charmes trompeurs de leur doctrine infâme ;
Mais vous, sages Croyants, mais vous, leurs vrais amis
Des peuples vous voulez éclairer les esprits,

Non point par ce flambeau dont la lueur perfide,
Comme ces feux errants, vers l’abîme nous guide ;
Mais par ce beau soleil qu’on appelle la Foi,
Frères, je me souviens de ces heures d’émoi
Où, prodiguant vos soins à l’épouse que j’aime,
Par votre saint langage, à cet autre moi-même,
En lui montrant les cieux, vous rendiez le bonheur,
Quand déjà sur son front, que couvrait la pâleur,
Je croyais de la mort voir se peindre l’image.
De ma reconnaissance accueillez donc l’hommage !
Je saurai dans mon cœur garder ce souvenir ;
L’absence ni le temps ne pourront l’en bannir.


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Sous les pas des coursiers un torrent de poussière
S’élève et du soleil obscurcit la lumière.
J’entends la mâle voix du clairon belliqueux,
EL les hennissements des coursiers valeureux.
Dans l’air a retenti ce cri terrible : « Aux armes ! »
Et tout-à-coup l’on voit, dans la plaine en alarmes,
Dans les plis du vallon, des milliers de soldats
Ardemment s’élancer au-devant du trépas.
Un éclair a brillé… Soudain les canons grondent ;
Sur les monts, dans les bois les échos se répondent.
Le rapide boulet, qui s’échappe en sifflant,
Dans les rangs ennemis trace un sillon sanglant,
On s’approche, on se mêle, on combat avec rage ;
Le désordre est partout, partout naît le carnage.
Au milieu de débris de glaives, d’étendards,
Des membres palpitants dans les champs sont épars…
Mais le bronze se tait, et bientôt la nuit sombre
Approche, et par degrés étend partout son ombre.
Les blessés, les mourants, sur la terre étendus,
Parmi leurs frères morts languissent confondus ;
Accablés de douleur, délaissés, ils gémissent,
Et leurs plaintes au loin tristement retentissent.
Quel sera le destin de ces infortunés !
Devront-ils en ces lieux périr abandonnés ?
Reverront-ils encor les champs de leur patrie ?

N’embrasseront-ils plus une mère chérie ?
Au moins s’il leur restait, en ce suprême instant,
La consolante voix d’un ami bienfaisant !…
Dans les sentiers du camp cheminant en silence,
Avec la blanche étole, un lévite s’avance.
Dans le bleu firmament brille une étoile d’or ;
Partout autour du camp règne un calme de mort.
Versant ses blancs rayons, la lune amie éclaire
De ce consolateur la marche solitaire ;
À ceux qui vont mourir, pour adoucir leur fin,
Il porte l’huile sainte et le céleste pain.


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Au fond d’un noir cachot un condamné sommeille ;
Un lévite à genoux près de sa couche veille.
Il veille pour celui que le trépas attend.
Faisant pour se lever un effort languissant,
Le captif, en ouvrant son humide paupière,
Gémit lorsque du ciel il revoit la lumière ;
De la sanglante mort, devant ses tristes yeux,
Passe et repasse encor le fantôme odieux.
Voici son dernier jour ! Devant lui quel abîme !
Mais la religion par sa voix le ranime ;
L’ange de l’Espérance est descendu vers lui ;
Le chagrin soucieux aussitôt s’est enfui ;
Le calme de son âme est peint sur son visage.
De l’aimable vertu, ce doux trésor du sage,
Il commence à goûter les suaves attraits ;
Il sent renaître enfin le bonheur et la paix ;
Dans ses yeux ranimés se tarissent les larmes.
Tout-à-coup il entend le cliquetis des armes !
L’illusion s’envole, et de nombreux soldats
L’entraînent sans pitié vers le lieu du trépas.
Frères ! entendez-vous le char sanglant qui roule ?
Un anathème affreux part du sein de la foule ;
Mais près du malheureux le saint prêtre est resté ;
Il lui parle du Christ et de l’éternité.
Docile à des discours qu’inspire la sagesse,
Dans ses bras fraternels le condamné le presse…

Mais voici l’échafaud ! quel moment plein d’horreur !
Il sent, à cet aspect, faillir son triste cœur ;
Il saisit de Jésus l’image consolante,
La porte avec ferveur à sa lèvre brûlante,
Et contemplant le front de ce divin ami,
Il songe que bientôt il mourra comme lui.
De loin brille dans l’air le tranchant de la hache.
Ce fatal couperet tout-à-coup se détache ;
Une tête bondit, roule sur l’échafaud,
Et le prêtre, à genoux, implore le Très-Haut.
En ce suprême instant d’angoisse et de misère,
Détracteur du Croyant, qu’as-tu fait pour ton frère ?
Toi qui parlais si bien de ton humanité,
Qui vantais la douceur de la fraternité,
Qu’as-tu fait, qu’as-tu fait pour calmer son martyre ?
Rien, pour le consoler tu n’avais rien à dire.


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Le soir, dans la bruyère et dans le fond des bois,
Le peuple entend gémir de lamentables voix ;
Les airs sont infectés d’une vapeur mortelle ;
L’oiseau, morne, inquiet, soulève à peine une aile
Qui ne peut soutenir son languissant essor.
Il gémit ; on dirait qu’il voit venir la mort,
Une sombre terreur plane sur la nature ;
Le riche en son palais, le pauvre en sa masure,
Chacun tremble ; soudain le monstre redouté
Apparaît ; devant lui tout fuit épouvanté ;
Il frappe sans pitié la vierge sans défense
Et l’enfant que ne peut protéger l’innocence.
Le fatal instrument qui creuse les tombeaux,
Ni le jour ni la nuit, jamais n’est en repos ;
Du monotone airain gémit la voix plaintive.
Affrontant les dangers d’une funeste rive,
Où se montre partout le spectre du trépas,
Alors que chacun fuit, le Croyant ne fuit pas.
Voyez-le dans ces temps de tristesse et d’alarmes :
À braver le péril il sait trouver des charmes ;
Au chevet du malade il s’empresse toujours ;

À calmer la douleur il dépense ses jours.
En Flandre, sous le toit d’une frêle chaumière,
D’une lampe s’éteint la tremblante lumière ;
La nuit étend partout son voile nébuleux ;
Sur un pauvre grabat gémit un malheureux ;
La mort, en épanchant ses pâles violettes,
Vient se fixer déjà sur ses lèvres muettes ;
Mais un prêtre fervent, qui lui parle du ciel,
Lui dépeint le bonheur du séjour éternel.
Le malade, en prêtant l’oreille à ce langage,
A senti dans son cœur renaître le courage ;
Le séjour des élus à lui s’est dévoilé ;
Il embrasse le Christ, puis il meurt consolé.


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Détournons nos regards d’un tableau lamentable ;
Accordons notre luth sur un ton plus aimable.
Des vallons et des bois célébrons les attraits,
Et l’onde murmurant sous des ombrages frais ;
Dans nos riants jardins, où l’abeille bourdonne,
Le printemps a tressé sa brillante couronne.
Nous avons vu les maux de nos Flandres en pleurs,
Dissipons nos regrets dans nos vallons en fleurs ;
D’un bonheur sans remords ils nous offrent l’image ;
En ville est le plaisir, la paix est au village.
Le soleil, qui sourit à l’horizon lointain,
Colore les coteaux des flammes du matin ;
Le berger vigilant guide vers la campagne
Les joyeuses brebis, que le chien accompagne ;
La poudre sous leurs pas s’élève en tourbillon ;
Déjà le laboureur trace un premier sillon.
Du temple du hameau le vieux vitrail scintille ;
De son svelte clocher la croix d’or dans l’air brille ;
Au voyageur lassé souvent il rend l’espoir,
Lorsqu’à travers la brume il apparaît le soir.
Non loin est le séjour d’un vénérable prêtre ;
Providence du pauvre, il apprend à connaître
Ce Jésus qui mourut pour nous rendre immortels,
Et tous les jours expire encor sur les autels.

Ici s’offre l’école ; une cloche argentine
Appelle en cet instant la jeunesse mutine ;
Abandonnant ses jeux, cet essaim pétulant
Vers d’utiles plaisirs s’élance bruyamment.
Suivons-le ; contemplons ces faces rubicondes ;
Voyez tous ces enfants aux chevelures blondes.
À genoux sur leurs bancs, graves, silencieux,
Au Créateur du ciel ils adressent leurs vœux ;
L’ange qui les défend tous les jours sur la terre,
Aux pieds de l’Éternel va porter leur prière.
Que leur meilleur ami, que leur instituteur
Sache leur conserver l’innocence du cœur !…
Ah ! que toujours du Christ la morale l’inspire !
Que dans tous ses discours la sagesse respire,
Et que grandisse encor son noble dévoûment !
Incrédules, pour vous ce serait un tourment
De consumer vos jours en ce réduit humide,
Où toujours recommence un labeur insipide ;
D’y respirer un air de miasme infecté ;
Mais lui, dans cet asile il garde sa gaîté.
Au plus affreux séjour, en ce vallon de larmes,
Le Seigneur sait donner, quand il lui plaît, des charmes :
L’anachorète en trouve au milieu des déserts ;
Le marin qui naguère en traversant les mers,
Disputait sans espoir sa vie à la tempête
Qui déchirait sa voile et grondait sur sa tête,
Regrette dans le port les flots de l’océan ;
Le mineur, englouti dans un gouffre béant,
Sent quelquefois des pleurs humecter sa paupière
Quand du jour il revoit la limpide lumière ;
Ainsi l’instituteur, dans ce réduit obscur,
Trouve en ses dégoûts même un plaisir noble et pur.
Bienfaiteur du village, il nourrit l’espérance
Que sa pieuse tâche aura sa récompense.
Ce consolant penser, qui lui sourit toujours,
En ranimant son cœur vient embellir ses jours.

Frères, nous avons fait une loi bienfaitrice,
Une loi destinée à combattre le vice,

À détruire l’erreur, mère de tous les maux,
Et l’incrédulité, le plus grand des fléaux ;
Mais, si loin de l’école on repoussait le prêtre,
Le malheur en tous lieux s’érigerait en maître :
Si de la terre, hélas ! jamais fuyait la foi,
Qui pourrait contempler l’avenir sans effroi ?
Voyez ce beau pays, la France infortunée ;
Par son impiété la voilà condamnée
Sans relâche à lutter contre les novateurs
Qui faussèrent l’esprit de ses instituteurs ;
Ceux-ci, méconnaissant leur mission sublime,
Ont fait de leur école une école de crime :
Loin de les détourner de funestes penchants,
Ils égarent le cœur des candides enfants.
Mais vous, instituteurs de ma patrie aimée,
Votre âme par la foi toujours est animée ;
Le père de famille en vous met son espoir,
Vous êtes les amis de l’ordre et du pouvoir.
Et par vos soins toujours nous verrons la Belgique
Offrir aux nations le tableau magnifique
D’un peuple qui révère et le Ciel et les lois,
Et qui vit libre et fort sous le sceptre des rois.


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Le peuple veut briser le beau trône de France ;
Il croit en l’abattant voir finir sa souffrance ;
Ses tribuns l’ont séduit par l’espoir d’heureux jours ;
Il veut jeter la bure et vêtir le velours.
Ses cris ont éveillé les échos de la rue ;
Déjà de tous côtés avec rage il se rue ;
Dans les airs retentit le tocsin alarmé.
D’émeutiers tout-à-coup un bataillon armé
S’élance !… les voici !… C’est l’océan qui gronde ;
De leurs flots irrités le Carrousel s’inonde ;
Le Louvre a répété de longs gémissements.
Infortunés Bourbons, que je plains vos tourments !
Mais la reine a pâli ! ses filles éperdues
Tremblantes à son cou se tiennent suspendues ;
En ce moment d’alarme et de trouble, le roi

Tente, mais vainement, de calmer leur effroi.
Pour protéger son sceptre, il peut, des Tuileries,
Faire gronder la voix de ses artilleries ;
Dans Paris, à torrents, verser le sang humain ;
De morts et de blessés couvrir tout le chemin ;
Partout irait frapper la mitraille terrible :
Il ne l’a point voulu ; son cœur est grand, sensible ;
À la France qu’il aime il dit de longs adieux ;
Il ne peut comprimer les larmes dans ses yeux ;
Il fuit, vers Albion s’ouvre un chemin facile,
Et va lui demander un généreux asile.
Cependant, l’émeutier, à l’appel des tambours,
Unit ses bataillons à l’hydre des faubourgs ;
Ô douleur, qu’ai-je vu ? la fureur les entraîne !
De la porte du Louvre ils ont brisé le chêne,
Et, vainqueurs irrités, ils s’élancent d’un bond
Dans l’antique demeure où régnait un Bourbon,
Qu’une ingrate cité maintenant abandonne !
De la salle des rois ils enlèvent le trône ;
Des ornements dorés, des glaces, des joyaux,
Dans le feu dévorant ils jettent les lambeaux.

Il est en ce palais une sainte chapelle
Où de vingt lustres d’or la lumière ruisselle,
C’était là que la reine, en de plus heureux tems,
Au pied du saint autel faisait fumer l’encens ;
C’est là que bien souvent cette noble princesse
Que la mort a frappée en sa frêle jeunesse,
Avec elle venait, dans les jours de malheurs,
Offrir à l’Éternel l’hommage de ses pleurs ;
À genoux prosternée à côté de sa mère,
Elle priait le Ciel de défendre son père
Contre les coups mortels du poignard assassin,
Poignard qui tant de fois se leva sur son sein.
L’émeute, cependant, dans l’enceinte pieuse,
Poussant des cris affreux, s’élance furieuse,
Prend un Christ et l’emporte : à ce divin aspect,
Le peuple se prosterne avec un saint respect ;
Sa foi s’est réveillée, et sa haine sauvage

S’est éteinte, et soudain a cessé le carnage.


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Ô Français, c’est ce Christ qui sauva l’univers ;
De l’esclave c’est lui qui fit tomber les fers.
Liberté, liberté, doux aliment des âmes,
Le Croyant te chérit, de tes feux tu l’enflammes !!!
De tes mâles beautés qui ne connaît le prix ?
De tes charmes divins qui ne serait épris ?
Miné par le chagrin sur la terre ennemie,
Dans le luxe des cours, autrefois Néhémie,
Divine liberté, pleurait ton souvenir ;
En vain de son esprit en voulant le bannir,
Un monarque puissant, pour tromper sa tristesse,
Épanchait devant lui la splendeur, la richesse ;
Rien du pauvre exilé n’apaisait les douleurs,
Et sur ses chaînes d’or il répandait des pleurs.

Songeant à leurs vallons sur une terre ingrate,
Les enfants d’Israël, aux rives de l’Euphrate,
Abandonnaient leurs cœurs à des chagrins amers ;
Les Babyloniens, leurs ennemis pervers,
Au milieu des plaisirs de leurs brillantes fêtes,
Demandaient que, de fleurs en couronnant leurs têtes
De l’aimable Sion ils redissent les chants
Et de leur Jéhova les cantiques touchants ;
Eux, suspendant leur lyre aux saules du rivage,
Regrettaient leur pays sur l’étrangère plage ;
Sur la terre d’exil ils gémirent toujours :
Pour l’esclave, ici-bas, il n’est point de beaux jours.

Quand le cruel Néron, ce fier tyran de Rome,
Au niveau de la brute avait abaissé l’homme ;
Quand, en ces temps d’horreur, sous son joug redouté,
On n’osait prononcer ton saint nom, Liberté,
C’est alors que Jésus, d’un esclavage immonde,
Au prix de tout son sang, vint délivrer le monde ;
Alors de l’Esprit Saint le souffle inspirateur
Des humains abattus vint ranimer l’ardeur,

Et des sages du temps apaiser la tristesse ;
Le monde rajeuni palpita d’allégresse ;
L’infortuné captif sentit tomber ses fers ;
Une ère de bonheur s’ouvrit pour l’univers.
Avide de gagner la couronne immortelle,
Le Croyant, imitant son sublime modèle,
Affronta les dangers des déserts et des flots
Pour arracher l’esclave à ses lâches bourreaux.


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Sous l’éclatant soleil de la zone torride,
Et dans l’autre hémisphère, un génois intrépide
Conquit pour l’Ibérie un pays enchanté,
Le Pérou, par l’Incas autrefois habité ;
Sous des cieux sans nuage on y voit la nature
Étaler en tous lieux sa splendide parure ;
Dans les airs embaumés et sur le bord des eaux,
De tous côtés voltige un peuple entier d’oiseaux.
Il en est un surtout dont le charmant plumage
D’un scintillant bijou nous présente l’image :
C’est le beau colibri, volant de fleurs en fleurs,
Et faisant au soleil chatoyer ses couleurs.
Dans les champs ; dans les bois, la flexible liane
S’élève, court ou rampe au loin dans la savane ;
L’anana, le mangoust suspendent en ces lieux,
Au versant des côteaux, leurs fruits délicieux ;
Sur des fleuves géants la légère pirogue
Fend la vague écumeuse, et rapide elle vogue ;
Du bord des frais ruisseaux s’élance le palmier,
Où, vers le soir, gémit le fidèle ramier ;
L’altier magnolia, dont la lige s’incline,
Balance dans les airs sa tête purpurine ;
Aux flancs des noirs rochers, le cactus épineux
Se dresse en étalant son carmin radieux.
Ah ! qui pourrait penser que sur ces beaux rivages,
Où s’offrent en tous lieux les riants paysages
Et les fruits succulents d’un Éden enchanteur,
L’habitant de Mexique ignore le bonheur ?
Aux plus rudes travaux sa vie est consacrée,

Il baigne de ses pleurs cette riche contrée ;
Vainement la nature, en ces brillants climats,
Prodigue ses bienfaits ; il ne les connaît pas.
Avant l’aurore il part, et, loin de sa chaumine,
Il va s’ensevelir tout vivant dans la mine ;
Là, pour un maître dur, avide de trésor,
Au péril de ses jours il cherche un filon d’or.
Descendez, pénétrez dans sa noire minière,
Où jamais du soleil ne plonge la lumière ;
Dans cet abîme affreux descendez avec moi :
De la création vous y verrez le roi,
Celui que l’Éternel a fait à son image,
Vous le verrez traînant les fers de l’esclavage ;
Mais, au moins, s’il succombe, un Croyant généreux
À ce suprême instant lui fermera les yeux !
En ces antres profonds qu’a maudits la nature,
Il console l’esclave, il panse sa blessure ;
Il soutient ardemment un noble et saint effort,
De ce frère mourant pour alléger le sort ;
Et s’il ne peut briser une chaîne cruelle,
Toujours il rend la paix à son âme immortelle.


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Voyez-vous s’élancer un peuple audacieux !
Ses nombreuses clameurs s’élèvent jusqu’aux cieux ;
Au loin gronde la voix des bronzes en colère ;
On dirait que Paris, sous les coups du tonnerre
Et des vents déchaînés qui viennent l’ébranler,
Jusqu’en ses fondements soudain va s’écrouler !
Des fureurs de la guerre il présente l’image…
Que veut donc cette horde animée au carnage ?…
D’un peuple consterné faire couler les pleurs,
Et goûter le plaisir de compter ses douleurs !…
Pour elle plus de frein ; l’orgie et la licence,
Des fausses voluptés l’indigne jouissance,
Voilà, voilà son but. Des maîtres imprudents,
Pour un bonheur perfide ont enflammé ses sens.
Sectaires dangereux, ô séducteurs des âmes,
Voilà les heureux fruits des maximes infâmes

Dont vous avez nourri ces dociles esprits !
Hardis réformateurs, n’êtes-vous pas surpris
Des rapides progrès de nos guerres civiles ?
Vos disciples fervents ont désolé nos villes,
Ils ont chassé les rois et proscrit leurs enfants,
Et la France gémit sous ses nouveaux tyrans.
Leurs mains ont déchiré l’étendard tricolore ;
C’est un drapeau sanglant qui dans Paris s’arbore.
Cependant de la loi les braves défenseurs
Opposent leur poitrine aux coups des agresseurs ;
Le boulet meurtrier et les balles rapides
Ont décimé les rangs des gardes intrépides,
Qui, martyrs de l’honneur, victimes du devoir,
Contre ses ennemis défendent le pouvoir.
Deux illustres guerriers qu’épargna la mitraille
Qu’ils affrontaient jadis sur les champs de bataille,
Négrier et Bréa, dans ces jours malheureux,
Frappés d’un coup mortel, ont succombé tous deux.
Quatre fois l’orient a vu briller l’aurore,
Dans Lutèce en lambeaux l’émeute hurle encore.
Ah ! qui pourra dompter ce monstre rugissant ?
Protecteur des humains, ô Seigneur tout-puissant,
Prends pitié de la France, et pour tarir ses larmes,
Des mains de ses enfants, ah ! fais tomber les armes
Pour calmer leur fureur, qu’il descende des cieux,
Sans retard, à La voix, un ange radieux !
Mais que vois-je ! Un pasteur à son troupeau fidèle,
Un prêtre généreux, qu’électrise un saint zèle,
Précédé de la croix, l’olivier à la main,
Dans les rangs ennemis s’est ouvert un chemin !
D’un pas ferme il franchit les hautes barricades ;
Il affronte le feu des vives fusillades ;
À ces hommes cruels il vient offrir la paix ;
De l’amour fraternel il leur peint les bienfaits…
Tout-à-coup retentit un mousquet sanguinaire,
Et d’un lâche assassin la balle meurtrière
Frappe perfidement ce sublime orateur,
Quand l’émeute cédait à son discours vainqueur.
Devant les insurgés il tombe, son sang coule ;

On l’emporte baigné des larmes de la foule ;
Chacun pour le sauver voudrait donner son sang.
Inutiles regrets ! sacrifice impuissant !
L’art éploré prononce un arrêt lamentable ;
Le saint prélat expire… Ô spectacle admirable !
Pendant trois jours entiers le peuple vient, en deuil,
Exhaler ses sanglots autour de son cercueil.
Saint martyr de la foi, sur son pâle visage,
Du bonheur des élus se reflète l’image,
France, ne pleure pas ce héros généreux ;
En succombant pour toi, France, il est mort heureux
Ah ! faut-il s’étonner, pour arrêter le crime,
S’il a fait de ses jours l’offrande magnanime,
Au devant du danger si tu le vis courir ?…
Le Croyant sait aimer, il sait aussi mourir !


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Le prince des Croyants, poursuivi par l’envie,
Daigna, pour nous sauver, donner aussi sa vie.
Ah ! s’il l’avait voulu, le tonnerre, soudain,
Aurait frappé celui qui, sur son front divin,
Posa, pour l’insulter, une infâme couronne.
Que fait alors le Christ ? Ce qu’il fait ! il pardonne !
Aux yeux de ses amis, de sa mère aux abois,
Pour sauver des ingrats il meurt sur une croix ;
Il meurt, et cependant sa doctrine si belle
En ce monde pervers vit encore ; c’est elle
Oui console le Juste en l’exil d’ici-bas,
Et qui lui fait sans crainte affronter le trépas.


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Ici je vous atteste, éphémère jeunesse ;
Pour alléger le poids de ma sombre tristesse,
N’était-ce pas la foi qui, dans les mauvais jours,
Venait me prodiguer son bienfaisant secours ?
Douce brise du soir, étoiles radieuses,
Qui dans l’azur des cieux marchez silencieuses,
Je vous atteste aussi ; quand le jour pâlissait,
Beaux astres, c’est vers vous que mon cœur s’élevait !

Sur des jours envolés reportant un œil sombre,
Je vous disais mes maux et mes chagrins sans nombre ;
Mon âme parmi vous brillait au firmament,
Et bien loin avait fui mon horrible tourment.


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Ô vous, mes chers enfants, en votre âme fidèle,
Gardez bien de Jésus la morale immortelle.
Au milieu des méchants quand vous vivrez plus tard,
Laissez tomber parfois, mes amis, un regard
Sur les bien courts instants de votre heureuse enfance ;
Songez à ce temps où, rayonnant d’innocence,
Votre front s’inclinait devant le Tout-Puissant ;
Souvenez-vous alors de votre père absent ;
À nos sages leçons soyez toujours dociles ;
De la religion les sentiers sont faciles :
Suivez-les, mes enfants, ils conduisent aux cieux ;
Puissé-je vous y voir parmi les bienheureux !
Vous que j’ai tant aimés en cette vie amère,
Que la mort m’a ravis, ô mon père, ô ma mère,
Et toi, mon cher enfant, qu’un précoce trépas,
Hélas ! vint arracher tout-à-coup de nos bras !
Toi que j’ai vu mourir, mon fils, dans la souffrance ;
Toi sur qui je fondais ma plus douce espérance,
Toi que je pleure encore, oui, j’espère qu’un jour
Le Seigneur, près de lui, me rendra ton amour !
Ah ! mon bien-aimé fils, c’est la seule pensée
Qui soulage ici-bas ma poitrine oppressée !


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Aujourd’hui, si la foi, ce flambeau radieux,
De ses rayons divins n’éclairait plus nos yeux,
Sur l’océan du monde, égarés, sans étoiles,
Aux autans furieux nous livrerions nos voiles,
Sans pouvoir diriger, après un long effort,
À travers les écueils, notre nef vers le port ;
Sur l’onde ballottés par les vents et l’orage,
Bientôt nous la verrions s’éloigner du rivage,
S’abîmer pour toujours dans un gouffre béant,

Et ses débris épars flotter sur l’océan !
L’Auteur de l’univers, aux premiers jours du monde,
Déjà vit contre lui lutter l’esprit immonde ;
L’incrédule hurlait parmi ses ennemis :
Depuis, d’autres méchants, sous le faux nom d’amis,
En empruntant du Christ la parole immortelle,
En osant outrager sa morale si belle,
D’une lueur trompeuse éclairant nos chemins,
Tentèrent d’égarer les esprits des humains ;
C’étaient les novateurs, race ardente, haineuse,
Dont retentit encor la voix audacieuse.
lis disent que le riche est un envahisseur,
Que le meilleur des rois est un vil oppresseur ;
Pour savourer à l’aise un plaisir plus facile,
Des époux outragés ils ont souillé l’asile,
Et, niant du pouvoir la sainte autorité,
Ils ont donné ton nom, aimable Liberté,
À la licence obscène, et d’une main hardie,
Dans l’Europe éplorée ils sèment l’incendie.


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Liberté ! Liberté ! tes purs adorateurs
Se sont voilé la face en voyant tant d’horreurs ;
Ils ne prononcent plus, ô sainte enchanteresse,
Noble fille du ciel, ton nom qu’avec tristesse !
D’un affreux despotisme on accusait les grands ;
Les peuples, aujourd’hui, ne sont-ils pas tyrans ?
Ils se livrent partout à leurs instincts sauvages,
Et des bords du Danube aux célèbres rivages
Que le Tibre immortel arrose de ses eaux,
Jamais nous ne voyons leurs poignards en repos !


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Il est une contrée où l’orange odorante
Étale ses fruits d’or dans la plaine riante ;
La fleur n’y craint jamais le souffle des autans ;
Il règne en ces vallons un éternel printemps.
Ce climat fortuné, c’est l’antique Italie,
C’est la terre des arts, par le ciel embellie !

Sur un double coteau, s’élève à mes regards,
Vers un large horizon, la cité des Césars ;
Du rapide Onio tombe la cascatelle,
Et je vois onduler vers la ville éternelle,
Le Tibre, vieux témoin des immenses travaux
Où je lis la grandeur d’un peuple de héros !
Mais de tant de palais qui trouble le silence ?
Quelle foule en fureur de tous côtés s’élance !…
S’arrachant à la tombe, ô César, tes soldats
Vont-ils renouveler leurs glorieux exploits ?
Vont-ils recommencer la conquête du monde ?
Serait-ce des tribuns la grande voix qui gronde,
Pour exciter la plèbe à briser ses liens
Et répandre le sang des fiers patriciens ?
Non, c’est un peuple ingrat, qui déclare la guerre
À celui qu’il nommait, hier encor, son père.
Les cris de la révolte ont ébranlé les airs !
Un ministre est tombé sous les coups d’un pervers,
Et des bandits armés célèbrent la victoire
Que vient de remporter un sicaire sans gloire.
Tel on voyait jadis le sacrificateur
S’avancer au milieu d’un peuple adulateur,
Après avoir frappé la victime sanglante
Et lu l’arrêt du sort dans sa chair palpitante ;
Ainsi ce meurtrier, après son noir forfait,
Marchant avec fierté, dans Rome triomphait ;
L’émeute devant lui poussait des cris de rage.
Mais si vous étaliez ce facile courage,
Lâches, si vous marchiez d’un pas audacieux,
Devant l’aigle du nord vous avez fui honteux !
Tous ceux qui révéraient naguères sa puissance,
Délaissent le Saint-Père aujourd’hui sans défense ;
À pleurer des ingrats le voilà donc réduit !
Le Rédempteur du monde, en la dernière nuit,
Nuit d’angoisse et d’horreur, qu’il passa sur la terre,
Fut ainsi délaissé par ses amis, par Pierre,
Ce disciple oublieux, qui fut sourd à sa voix,
Et jusqu’au chant du coq le renia trois fois !
Des chrétiens consternés le guide si fidèle,

Abandonne en secret une cité rebelle !
Et Rome, maintenant, exhale ses regrets ;
Avec lui vont s’enfuir le bonheur et la paix ;
Elle ne pourra plus, l’ingrate, voir encore
Les peuples du midi, du couchant, de l’aurore ;
Et les froids habitants des mornes régions
Que d’un pâle soleil éclairent les rayons,
Aborder avec joie à son pieux rivage,
Pour venir tous les ans lui porter leur hommage ;
D’elle ils s’éloigneront bientôt avec terreur,
Et ne rediront plus son nom qu’avec horreur.
Ô coupable cité, redoute la colère
Qui déjà contre toi s’allume sur la terre !
De nombreux combattants, des bouts de l’univers,
Pour détruire tes murs traverseront les mers,
Et si ce n’est assez pour les réduire en poudre,
En éclats l’on verra sur toi tomber la foudre !
Un volcan, en ouvrant son cratère profond,
T’engloutira vivante en un gouffre sans fond !
Un jour le voyageur errant dans ta vallée,
Quand il découvrira ta plage désolée,
Hélas, en déplorant ta faute et tes malheurs,
Sentira de ses yeux tomber de larges pleurs ;
Recueillant avec soin ta poussière sacrée,
Ainsi qu’une relique antique et vénérée,
Et hâtant son retour vers son heureux pays,
Il ira la montrer tristement à ses fils.
Mais quoi ! s’accomplit-il mon funeste présage !
L’océan a vomi, Rome, sur ton rivage,
Pour punir tes forfaits, d’invincibles guerriers ;
Le sol tremble et frémit sous leurs fougueux coursiers ;
Dans les airs tourbillonne une ardente fumée,
Et la bombe décrit son ellipse enflammée.
De la balle j’entends les aigus sifflements ;
Le boulet destructeur bat les retranchements ;
La brèche s’élargit ; en colonne mobile
Les assiégeants serrés s’élancent dans la ville,
Et Rome a succombé : c’est la troisième fois
Que son aigle est vaincu par le coq des Gaulois.

Vous, oppresseurs du peuple, insolentes cohortes,
Aventuriers, fuyez, fuyez loin de ses portes,
En hâte reprenez vos obliques chemins !
Et vous qu’ils contristaient, infortunés Romains,
Vous qu’ils ont aveuglés, qu’un rayon de lumière
En descendant des Cieux maintenant vous éclaire.
Du Pontife de Rome annonçant le retour,
Les bronzes du Saint-Ange ont tonné tour à tour.
Le voilà ! Tous les fronts sont radieux de joie.
Sur le mont Vatican, en face de la voie
Où jadis, enchaînés derrière leur vainqueur,
Les rois honteux suivaient le char triomphateur,
Un temple dans la nue élève sa coupole,
Et ferme le chemin qui mène au capitole.
Sur les autels du Christ mille cierges en feu,
De leur vive lumière éclairent le saint lieu ;
Le peuple, en se pressant sous son pieux portique,
Inonde de ses flots l’immense basilique.
C’est là que le Saint-Père, au pied de l’Éternel,
Présente de son cœur l’hommage solennel,
Lui demande qu’il veuille, en sa bonté profonde,
De sa grâce épancher les trésors sur le monde,
Qu’il daigne illuminer les âmes des pervers ;
Sa main bénît ensuite et Rome et l’univers.


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Je croyais voir s’éteindre et la guerre et la haine,
Mais mon cœur se berçait d’une espérance vaine ;
J’entends gronder encor la voix des factions ;
Déjà s’est ranimé le feu des passions ;
Méprisant de Jésus la morale sublime,
L’incrédule partout livre son âme au crime.
Tantôt prenant les traits d’un novateur ardent,
Tantôt sous le manteau d’un tribun insolent,
Aux nations il prêche une doctrine infâme ;
Pour lui le corps est tout, il ne croit point à l’âme ;
Il a honni le prêtre et renversé les rois,
Sa main a lacéré le code de nos lois ;
Le vice est son ami, l’orgueil est son idole ;

Rien n’est sacré pour lui, pas même la parole,
Et, nouvel Encelade, escaladant le ciel,
Il irait, s’il pouvait, détrôner l’Éternel.


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Mais du Très-Haut, pourtant, faiblit la patience ;
Enfin il s’est levé le jour de la vengeance,
Et bientôt tomberont ces hommes orgueilleux.
Le glaive du Seigneur est suspendu sur eux.
Entendez-vous mugir l’ouragan plein de rage ?
Dans les champs de l’Éther roule un sombre nuage
Ses flancs sont sillonnés par de brûlants éclairs,
Vastes serpents de feu s’agitant dans les airs.
Des autans en fureur la redoutable armée
S’élance du midi vers l’Europe alarmée.
En ce fatal instant, un archange divin,
Ministre du Très-Haut, est apparu soudain ;
D’une épée il brandit la lame flamboyante.
Éveillant les échos par sa voix effrayante :
« Arrête là, dit-il au nuage vengeur ! »
À peine il achevait, que la foudre en fureur
Gronde, éclate, bondit dans la vaste étendue,
Parcourt tout l’horizon et déchire la nue !
Sur la terre coupable, à flots précipités,
De longs torrents de feu tombent de tous côtés,
Et depuis l’humble épi, trésor de nos campagnes,
Jusqu’aux superbes tours, rivales des montagnes,
Rien ne peut échapper au céleste courroux.
Éperdus, hâletans, hommes, où courez-vous ?
Sur l’onde et sur les monts vous cherchez un asile :
Pourquoi tant vous hâter ? La fuite est inutile.
Il s’ouvre sous vos pas un précipice affreux.
Quel spectacle soudain vient s’offrir à mes yeux !
Dans une salle immense où le luxe étincelle,
D’un candélabre d’or la lumière ruisselle
Sur les mets délicats d’un splendide festin ;
Dans le cristal limpide on voit couler le vin ;
De ses flots épanchés une table est rougie ;
Au somptueux banquet s’est assise l’orgie ;

Des femmes, le sein nu, les yeux hagards, ardents,
Par leurs gestes impurs, pour captiver les sens,
D’une tremblante main qu’affaiblit la mollesse…
Ô Pudeur ! ô Pudeur ! ce spectacle vous blesse !…
Hâtons-nous de voiler ce tableau dégoûtant !!!
Sous les coups redoublés du tonnerre éclatant,
La salle du festin s’ébranlant dans sa base,
Sur ces voluptueux s’écroule et les écrase.
De ces infortunés entendez-vous les cris ?
Au sein de leur débauche, ah ! les voilà surpris !
Toujours ils ne songeaient qu’aux plaisirs de la terre ;
Leur crime, du Très-Haut irrita la colère ;
Ils pouvaient la fléchir par la voix du remords,
Ils ne l’ont point voulu : maintenant ils sont morts,
Ils sont morts au milieu de la débauche infâme,
Ils sont morts ! Cependant vit encore leur âme !
Ô vous qu’ont épargnés les divines fureurs,
Croyants qui déploriez leurs funestes erreurs,
Vous n’êtes point tombés dans le brûlant abîme
Que jadis sous leurs pas creusa la main du crime ;
Sur leur tombe venez, venez prier pour eux ;
Peut-être le Seigneur leur ouvrira les Cieux.


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L’orage a retenti durant la nuit entière ;
Le soleil, épanchant une terne lumière,
Et perçant le nuage à l’horizon lointain,
Pour éclairer le monde, apparaît le matin ;
Son beau disque est souillé par des taches sanglantes ;
Cependant les enfants et leurs mères tremblantes
Appellent leurs époux, leurs pères, à grands cris,
Leurs pères que la mort a naguère surpris !
Dans la cité pompeuse, au milieu des villages,
Des êtres demi-nus, aux livides visages,
Hélas ! pour apaiser le tourment de la faim,
Cherchent en gémissant quelques débris de pain.
Du pauvre métayer le toit est solitaire ;
Sans fruits et sans moissons partout languit la terre,
Et la ronce qui croît au milieu de nos champs,

Du soc du laboureur ne craint plus les tranchants.
La famille, la paix, la gloire, la patrie,
Tout disparaît… déjà règne la barbarie.

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Ô toi qui soutiens l’homme en ce vallon de pleurs,
Toi qui guéris ses maux, qui calmes ses douleurs,
Sainte religion, du Christ fille immortelle,
Tu voiles ton visage, et, déployant ton aile,
Déjà tu prends l’essor et t’enfuis loin de nous !
Ô toi que les Croyants adorent à genoux,
Et qui de tant d’éclat sur nos autels rayonnes,
Qu’allons-nous devenir si tu nous abandonnes !…
Consolatrice aimable, ah ! ne pouvais-tu pas
Encore soulager tant d’êtres ici-bas
Que le crime avilit, que la haine dévore ?…
Il est une contrée où se lève l’aurore ;
Si tu veux nous quitter, religion d’amour,
Tu pourras y fixer ton aimable séjour ;
En ces lointains climats tu reçus la naissance,
Et c’est là qu’autrefois resplendit ta puissance.
La Judée a gardé ton pieux souvenir,
Elle sera joyeuse en te voyant venir.

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Ô du barde chrétien aimable protectrice,
Viens enflammer mon cœur, sois mon inspiratrice !
Muse aux chastes transports, ô sœur des Chérubins,
De la sainte cité montre-moi les chemins ;
Douce amie, à ma voix descends de l’Empyrée,
Et viens joindre à ma lyre une corde sacrée !

Si je pouvais franchir sans coursiers, sans vaisseaux,
Les vallons, les forêts et l’abîme des eaux,
Humble Croyant, j’irais m’abattre sur la terre
Où le Christ accomplit un douloureux mystère ;
J’irais me rafraîchir aux ondes du Jourdain,
Et prier, vers le soir, au funèbre jardin
Où coulèrent les pleurs du Rédempteur du monde,

Dans une nuit funeste, en angoisses féconde ;
J’irais pieusement me jeter à genoux
Sur la roche où jadis il expira pour nous.
Si tu voulais choisir parmi ces joyeux anges
Qui dans les saints parvis célèbrent tes louanges,
Tu m’en enverrais un qui, sur l’aile du vent,
Pourrait guider bientôt mon vol vers le levant,
Toi qui ravis Élie au-dessus des nuages,
Et le fis déposer sur d’inconnus rivages ;
Comme lui, qu’à ta voix, Maître de l’univers,
L’un de tes chérubins m’enlève dans les airs.

À genoux prosterné j’allais parler encore,
Quand soudain l’horizon s’éclaircit vers l’aurore ;
Sur un léger nuage un ange resplendit,
Et dans un char brillant lentement descendit.
Les rayons ruisselaient de sa tête immortelle ;
je n’osais contempler l’albâtre de son aile ;
Légèrement il vint s’abattre près de moi ;
Je tremblais. Pour calmer aussitôt mon émoi :
« Que la crainte, dit-il, ne trouble point ton âme ;
» D’admirer l’orient un saint désir t’enflamme,
» Tu le verras. » Il dit ; sur le char, avec lui,
Il m’enlève, et nos champs à mes regards ont fui.

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Le soleil, fatigué de luire sur le monde,
S’abaisse lentement sous la vague profonde.
À mes yeux apparaît une antique cité,
Où jadis habita l’aimable liberté ;
C’est la mère des arts, c’est la célèbre Athènes.
J’aperçois la tribune où tonnait Démosthènes
Quand au peuple il peignait la noirceur des tyrans ;
Elle a su résister à l’outrage des ans ;
Elle est là, sous la mousse et la ronce sauvage.
C’est ici que trônait un fier aréopage ;
De Saint-Paul c’est ici que l’éloquente voix,
Au milieu des païens retentit autrefois,
Quand à l’aspect des dieux que créa Praxitèle,

Il disait du Très-Haut la puissance immortelle.
Quel est ce monument ? c’est le vieux Parthénon,
Qui du grand Périclès éternise le nom ;
J’admire la splendeur de ce temple sublime
Où le marbre éclatant parle au cœur et s’anime.
S’étendent devant moi les champs de Marathon ;
Se lève au bord des mers le rocher d’où Platon,
À l’aspect d’un ciel pur, peignait en traits de flamme
La laideur du néant et la beauté de l’âme.
Voilà les défilés où de Léonidas
Sont morts en combattant les valeureux soldats,
Pour sauver leur pays d’une chaîne cruelle.
Que l’Hellénie, alors, était puissante et belle !
L’univers admirait sa gloire et sa grandeur ;
Mais que lui reste-t-il d’une antique splendeur ?
Mais que lui reste-t-il de tant de renommée ?
Ah ! tout s’est dissipé comme un peu de fumée.

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L’étoile de Vénus se lève sur Délos,
Et verse ses rayons sur l’écume des flots ;
Le Cygne harmonieux, à l’aile éblouissante,
Et Mars tant redouté de la mère tremblante ;
La pudique Vesta, l’Aigle majestueux
Répandent dans la nuit leur éclat radieux.
Qui donc vous alluma, magnifiques étoiles,
Dont la paisible nuit a parsemé ses voiles ?
C’est Celui qui creusa le lit profond des mers,
Qui tira du néant et l’homme et l’univers.
Et toi, soleil des nuits, ô lune étincelante,
Qui t’avances dans l’air silencieuse et lente,
Il t’a lancée ainsi dans les sentiers divins,
Pour éclairer, le soir, la marche des humains.
Astres, en vous voyant, une sombre tristesse,
Hélas ! vient s’emparer de mon âme et l’oppresse :
Je sais que l’Éternel doit, à la fin des temps,
Éteindre pour toujours vos flambeaux éclatants.
Que deviendra le juste en ce jour de misère ?
Il ira dans les cieux voir briller la lumière

D’un soleil dont l’éclat ne pâlira jamais ;
Il ira savourer une éternelle paix.

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Dans les bras du sommeil l’homme repose encore ;
À peine à l’horizon naît la riante aurore ;
L’oiseau mélodieux s’éveille dans les bois ;
L’écho redit au loin les accords de sa voix.
La brume du matin déjà s’est dissipée.
À mes yeux apparaît une cime escarpée,
C’est l’Ida, dont le front se cache dans les cieux.
Sous mes pieds se déroule un fleuve impétueux ;
Sur sa rive il bondit, s’écoule, écume et gronde ;
Dans les champs où fut Troie il promène son onde
C’est le vieux Simoïs. Ô reine des cités,
Ilion, c’est ici que les Grecs irrités
Désolèrent le cœur des mères alarmées ;
C’est ici qu’en bataille ils rangeaient leurs armées ;
Voilà la rade immense où voguaient leurs vaisseaux,
Dont les blancs pavillons ventelaient sur les eaux.
Là, du bouillant Achille a grondé la colère ;
C’est ici qu’en sa tente enfermé, solitaire,
À la mort de Patrocle il a donné des pleurs ;
Ces lieux ont entendu le cri de ses douleurs.
Voici les verts figuiers de la porte de Scée ;
C’est ici qu’Andromaque éperdue, oppressée,
Pour retarder les pas de son royal époux,
Étouffant ses sanglots, embrassait ses genoux ;
C’est là qu’Astianax, cet enfant plein de charmes,
De son père en voyant le panache et les armes,
Dans le sein maternel fuyait épouvanté ;
Hector, qui l’aperçoit, sourit avec bonté ;
Des pleurs qu’il veut cacher sillonnent son visage ;
Mais rien n’éteint le feu de son ardent courage ;
Il embrasse son fils, sa jeune épouse, il part ;
D’un pas ferme et rapide il franchit le rempart !
Cependant un lion s’élance dans la plaine :
C’est l’intrépide Achille, enflammé par la haine ;
Aux rayons du soleil son armure reluit ;

Le magnanime Hector vole au-devant de lui ;
Sur les murs de la ville et sur la tour altière,
La crainte a rassemblé la ville toute entière.
C’est ici que d’Hécube on entendit les cris
Lorsque fut renversé son infortuné fils ;
À flots précipités, de ses flancs le sang coule ;
Achille, sous ses pieds, avec rage le foule ;
Il attache à son char ses restes palpitants,
Que trois fois ses coursiers, fougueux et hâletants,
Traînent rapidement autour des murs de Troie ;
Puis il livre aux vautours cette sanglante proie.
Mais ces lieux ruinés, d’un malheur plus affreux,
Autrefois ont été les témoins douloureux…

Mais où m’entraînez-vous, souvenirs de jeunesse,
Vous qui me rappelez ces jours pleins d’allégresse
Où, docile à la voix d’un savant professeur,
J’écoutais ses discours tout empreints de douceur,
Quand des héros de Troie il ornait le mensonge !
Hélas ! vous avez fui, temps heureux, comme un songe !
Mais toujours le bonheur, devant nous, ici-bas,
Comme une ombre légère, ah ! ne s’enfuit-il pas !…

Aujourd’hui d’Ilion quelle est la destinée ?
Au plus fatal oubli la voilà condamnée !
Du palais de ses rois quelques débris épars,
Du triste voyageur attirent les regards.
Le savant, pour guider sa recherche incertaine,
Dans ses poudreux vallons trouve une pierre à peine.
Sa ruine elle-même a péri. Cependant
Il est une cité dans le vieil Occident,
Ilion, qui te doit son antique origine ;
Sur ses temples sacrés la croix sainte domine ;
C’est la croix de Jésus : si tu veux, comme nous,
Devant elle, aujourd’hui, t’incliner à genoux,
Notre Christ te fera renaître de ta cendre ;
Tu perdis ta splendeur, il saura te la rendre ;
Si par lui ton désert est un jour visité,
Tu pourras, comme nous, goûter la liberté ;

La liberté ! mais c’est le bonheur sur la terre !
Tes guerriers, pour défendre une infâme adultère,
Autrefois de leur sang rougirent tes sillons,
Quand de la Grèce armée on vit les bataillons,
Sans relâche, dix ans, assiéger tes murailles
Et massacrer tes rois sur tes champs de batailles.
Mais les soldats chrétiens t’apporteront la paix,
La paix qui fut toujours si féconde en bienfaits !

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Voilà que m’apparaît l’immense Propontide ;
Le soleil fait briller sa surface limpide ;
Quelques légers vaisseaux, fendant le flot amer,
Avec leurs poupes d’or glissent sur cette mer ;
Au sommet de leurs mâts s’agitent leurs insignes :
Tels, sur un lac d’argent, s’avancent de blancs cygnes.
Loin de nous déjà fuit l’île de Ténédos,
Et le rocher fameux qui domine Abydos.
Le ciel est calme et pur, et de sa tiède haleine,
Le paisible zéphir ride la mer à peine ;
En passant près de nous, l’aigle, ce roi de l’air,
Monte et cache son vol dans les champs de l’Éther.
De la saison des fleurs aimable messagère,
En hâtant son retour, l’hirondelle légère,
Qui, triste, a délaissé l’occident inhumain,
De l’antique Memphis a repris le chemin.
La flamme aura brûlé le petit nid, peut-être,
Où sa jeune famille, au printemps, reçoit l’être.
« Ah ! lui dis-je, as-tu vu le hameau fortuné
» Et la blanche maison où jadis je suis né,
» Et le banc de gazon où s’asseyait mon père,
« Lorsque, nous racontant ses exploits à la guerre,
» Et montrant nos soldats sur la brèche vainqueurs,
« De son ardeur souvent il enflammait nos cœurs ? »
Les nuages soudain près de nous s’amoncellent,
Sur leurs flancs déchirés de longs éclairs ruissellent,
Et répandent au loin leur livide lueur ;
Tout mon être est saisi d’une secrète horreur ;
De la destruction le monde offre l’image ;

Les autans déchaînés s’élancent pleins de rage ;
Dans le fond des forêts hurle leur grande voix ;
La foudre trois fois tombe et remonte trois fois.
En entendant gronder les vents et la tempête,
À leurs coups je cherchais à dérober ma tête,
Quand, abaissant sur moi des yeux pleins de douceur,
L’esprit qui me guidait, pour rassurer mon cœur :
« Ne crains point, me dit-il, les vents ni le tonnerre ;
» Sur nous le Tout-Puissant veille comme un bon père. »
À ces mots, le soleil luit dans le ciel serein,
Et notre char reprend son rapide chemin.

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Quelle est cette cité qui dans la mer s’avance,
Se mirant dans les eaux ? C’est l’antique Byzance ;
C’est ta fille infidèle, ô pieux Constantin !
Je la vois resplendir des flammes du matin.
Séjour des Osmanlis et reine du Bosphore,
Elle dicte des lois aux peuples de l’aurore.
Son magnifique éclat, son luxe merveilleux,
Du voyageur surpris éblouissent les yeux ;
Ses gigantesques tours, sa muraille profonde
Et ses blancs minarets se balancent dans l’onde.
En ses riants jardins et dans ses frais vergers,
Où la rose fleurit parmi les orangers,
Quand la lune dans l’air se lève radieuse,
Modulant tristement sa note harmonieuse,
Le sensible Bulbul, ami des frais buissons,
Sur le front du palmier prélude à ses chansons.
C’est là que, recherchant la fraîcheur du platane,
Sous l’œil d’un africain, la pensive sultane,
Lorsque du haut des monts descend l’ombre du soir,
Pour respirer l’air pur, en pleurant vient s’asseoir ;
La riche cassolette à ses pieds allumée,
Épanche dans les airs la myrrhe parfumée.
Esclave, elle a perdu son pays sans retour,
Et subit les affronts d’un inconstant amour !
En vain on la distrait au son des mandolines ;
Malheureuse, elle songe à ses vertes collines,

Aux baisers de sa mère !… Ô regrets superflus !
Les côteaux d’Yemen ne la reverront plus !
Ces hommes, cependant, qui flétrissent sa vie,
Et dans leurs chaînes d’or la tiennent asservie,
Pour un geste innocent, pour un simple regard,
La feraient aussitôt tomber sous leur poignard,
Ou livreraient vivante au requin du Bosphore
L’amante que bientôt le monstre affreux dévore.
Ce palais que surmonte un large croissant d’or,
C’est la prison splendide où la captive dort ;
Là, l’ennuque muet, d’une main menaçante,
À l’infidèle montre une corde effrayante.
Au bord de Marmara, des kioskes scintillants
Étalent au soleil leurs vitrages brillants ;
À l’ombre des cyprès, parmi les blanches tombes,
Le beau cygne folâtre au milieu des colombes.
Voyez ces musulmans aux portes des bazars ;
Voyez ces cavaliers qui couvrent les remparts ;
Sous les pas des coursiers ils font trembler la terre ;
Leur bras nerveux brandit un large cimeterre :
Mais un cadi paraît, et ce craintif troupeau
Court présenter sa tête au lacet du bourreau.
Énervés par le vice, avilis, sans courage,
Et façonnés au joug d’un honteux esclavage,
Ils n’osent devant lui lever leur pâle front ;
Ils ne distinguent point la gloire de l’affront ;
Aucun noble penser ne germe dans leur âme ;
Ils n’ont de passion que pour le vice infâme ;
Muets adorateurs de la fatalité,
Ils ne connaissent point l’aimable liberté ;
Leur prophète ne peut apaiser leurs souffrances !
Ah ! l’abus mensonger de viles jouissances
Vaut-il le vrai bonheur que vous donne la foi,
Ô vous qui de Jésus suivez la douce loi ?

Mais, je l’espère, un jour, pour un plaisir infâme,
Le Turc ne voudra plus rendre esclave la femme,
Quand il saura le prix d’un cœur en liberté,
Quand, pour le rendre heureux, la Foi, la Charité

Et leur fidèle sœur, l’Espérance céleste,
Lui feront adorer une loi qu’il déteste.

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Il est en orient un homme généreux,
Littérateur instruit, honnête, ingénieux :
C’est Kémal-Effendi. L’aimable poésie
Épanche autour de lui ses parfums d’ambroisie ;
Les échos du Bosphore ont entendu sa voix ;
Il a chanté les prés, les ruisseaux et les bois
Sur un rythme sonore où la grâce respire.
Il voudrait réformer l’oriental empire ;
D’un peuple qui gémit il a sondé le mal,
Et, prudent novateur, le bienfaisant Kémal
Cherche pour le guérir un remède énergique.
Naguère il parcourait ma paisible Belgique,
Étudiant ses mœurs, consultant ses progrès,
Et son enseignement si fécond en bienfaits ;
De nos jeunes enfants visitant les écoles,
Recueillant avec soin leurs candides paroles ;
Il a pu contempler les merveilles des arts,
En nos vieilles cités s’offrant de toutes parts ;
Partout il admira la puissante industrie,
Qui rehausse ta gloire, ô ma belle patrie !
Et, non pas sans surprise, il vit la Liberté,
Compagne de mon Roi, s’asseoir à son côté ;
Car loin de nos climats la noire tyrannie,
Par le Belge irrité, honteuse fut bannie ;
Il ne porte qu’un joug, c’est celui de ses lois ;
Sourd aux cris de l’émeute, il écoute leur voix.

Ah ! va peindre au Sultan ces moissons abondantes,
Comblant du laboureur les craintives attentes,
Kémal, et ces vergers dont les fruits succulents,
D’Albion font fléchir les vaisseaux tous les ans :
Il essaîra peut-être, au soleil de l’aurore,
D’en enrichir Stamboul, de les y faire éclore.
Il croît en Occident un arbre aux rameaux verts,
Un arbre cultivé dans tout notre univers ;

Aucun n’a plus de sève, aucun n’est plus fertile ;
C’est l’arbre vigoureux, l’arbre de l’Évangile :
Que ton maître permette au zèle du Croyant
De le planter partout sur le sol Ottoman,
Sur le flanc des rochers, au sommet des montagnes
Au milieu des cités, au milieu des campagnes ;
Tu le verras porter des fruits délicieux,
Des fruits qu’ont savourés les habitants des cieux ;
Sous ton brûlant climat son immense ramure
Rafraîchira le sol de ses flots de verdure ;
Cet arbre, asile sûr pour l’Arabe en danger,
Dans les plus mauvais jours pourra le protéger.
Ni le simoun ardent, ni la noire tempête,
Jamais sous cet abri ne frapperont sa tête ;
Ému de gratitude, à son divin aspect,
Il courbera son front avec un saint respect.

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Contemplez ce ballon qui lentement déploie
Les immenses contours de sa robe de soie ;
Dans les champs de l’espace il a pris son essor ;
Il monte vers la nue, il monte, il monte encor,
Puis, sur l’aile d’un vent impétueux, rapide,
Il emporte bien loin son pilote intrépide ;
Tel notre char d’abord s’élève doucement ;
Puis, soudain, dans les airs volant légèrement,
Il s’élance d’un bond vers les champs d’Idumée,
Et poursuit le chemin que notre sainte armée
Sur les pas de Bouillon avait pris autrefois,
Lorsque de Pierre-Ermite elle entendit la voix.

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Des crimes des humains victime volontaire,
Depuis plus de mille ans, sur le sanglant Calvaire
Un Dieu, pour nous ravir à d’éternels malheurs,
Était mort accablé d’opprobre et de douleurs ;
Il avait replongé Satan dans son abîme.
Du saint Libérateur la morale sublime
Fit d’un bonheur nouveau tressaillir l’univers ;


Dans la cité pompeuse, au milieu des déserts,
Partout on la connut : car, pour la bien comprendre,
Notre esprit ne doit pas vers l’infini s’étendre ;
Pour en saisir le sens, il suffit, ici-bas,
D’avoir été souffrant… Eh ! qui ne souffre pas !  !  !…

Cependant en ces lieux témoins de ta naissance,
Ô Jésus, en ces lieux où brilla ta puissance,
Ton pieux souvenir déjà ne vivait plus
Que dans le sein tremblant de tes rares élus.

Un jour le prêtre offrait le divin sacrifice ;
Tout à coup, de ses mains arrachant le calice,
L’Arabe, blasphémant le nom de l’Éternel,
Pousse des cris affreux, s’élance vers l’autel,
Ose porter la main sur l’hostie adorée,
Et foule sous ses pieds la victime sacrée.
Un pèlerin le voit !… Indigné, plein d’horreur,
À l’Europe alarmée il demande un vengeur ;
Il montre les chrétiens, sur ce triste rivage,
Fléchissant sous le poids du plus dur esclavage.

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Tout s’arme pour le Christ, et ma Belgique aussi
Se lève en écoutant ce douloureux récit.
Du somptueux castel, de la pauvre chaumière,
De tous côtés surgit une foule guerrière,
Et la femme elle-même, en quittant ses fuseaux,
Se livre avec ardeur aux plus rudes travaux.
Mais quel habile chef, mais quel héros sublime,
Digne de ces chrétiens qu’un saint transport anime,
Saura guider leurs pas sur le sol étranger,
Et trouver la victoire au milieu du danger ?

Il est dans le Brabant un vieux champ de bataille
Qu’ont souvent déchiré le boulet, la mitraille ;
C’est là que sont tombés, dans de sanglants sillons,
D’illustres généraux, de vaillants bataillons.
Non loin, en poursuivant les détours de la Dyle.

Naguères, au milieu d’une plaine fertile,
Le touriste attentif pouvait encore voir
Les restes oubliés d’un antique manoir ;
C’est en ces lieux qu’est né le guerrier magnanime
Qu’élurent les croisés d’une voix unanime.
C’était toi, ce héros, ô pieux Godefroid,
Que l’Aralbe n’osait regarder sans effroi,
Toi dont le bras terrible a dompté sa furie
Toi qui fis honorer le nom de ma patrie !

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Franchissons maintenant le désert sablonneux ;
Suivons les pas vainqueurs de nos vaillants aïeux ;
Hâtons-nous d’aborder à la rive sacrée
Où la tombe du Christ fut par eux délivrée.

Sous le limpide azur du beau ciel d’orient,
Tout-à-coup m’apparaît un spectacle riant :
Ce sont des bois touffus et de verts paysages,
Où le troupeau s’égare en de gras pâturages ;
Vers le sud resplendit un sommet radieux ;
C’est l’Olympe, où la fable avait placé ses dieux.
Plus loin, l’Ascanius caresse de ses ondes
Une place de guerre aux murailles profondes ;
C’est l’antique Nicée ; au milieu des combats,
Elle a vu s’illustrer nos valeureux soldats ;
C’est là qu’a retenti leur trompette d’alarmes,
C’est là que Godefroid a fait briller nos armes.

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Le vent a soulevé le sable du désert ;
La plaine devant moi s’étend comme une mer,
Une mer sans vaisseaux, sans îles, sans rivage,
Et de l’immensité me présentant l’image.
C’est en ces sombres lieux que les preux de la Croix,
Décimés par la faim, périrent autrefois.
Vers la terre enflammée inclinant son calice,
La plante se fanait sous les feux du solstice,
Des rares oasis les ruisseaux languissants

 
Déjà ne filtraient plus dans les sables brûlants ;
Dans le sein amaigri de la plaintive mère,
Du lait se tarissait la source nourricière ;
Les coursiers haletants sur la terre tombaient,
Et les pauvres croisés par milliers succombaient.

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Mais déjà du zéphyr je sens la douce haleine ;
Antioche à mes yeux déroule au loin sa plaine.
Nos guerriers, en ces lieux, après de longs malheurs,
Purent enfin calmer leurs mortelles douleurs.
Coteaux de ma Belgique, ô campagnes fleuries,
Délicieux vallons, verdoyantes prairies,
En contemplant l’Asie et ses ombrages frais,
Ses joyeuses brebis broutant l’herbe des prés,
Les héros brabançons, en ce lointain rivage,
Croyaient revoir alors votre riante image.

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C’est dans cette forêt au ténébreux détour,
Où jamais du soleil ne pénètre le jour,
Que Bouillon, se livrant au plaisir de la chasse,
Du gibier poursuivait l’insidieuse trace,
Quand soudain apparaît un ours énorme, affreux ;
La colère, du monstre illumine les yeux ;
Il déchire un croisé sous sa griffe sanglante ;
Il voit Bouillon, il ouvre une gueule effrayante ;
Ce guerrier, à l’aspect du terrible animal,
Sur lui pousse au galop son rapide cheval ;
D’un bond impétueux le monstre le devance,
Et sur notre croisé, comme un trait il s’élance ;
Le coursier du héros recule épouvanté,
Et son maître sous lui tombe précipité ;
Mais ranimant l’ardeur de son bouillant courage,
Et de son agresseur en méprisant la rage,
Soudain Bouillon saisit son adversaire affreux ;
Il le presse, il l’étouffe entre ses bras nerveux ;
Indomptable lutteur, il l’ébranle, il l’atterre,
Et dans sa profondeur la forêt solitaire,
Du monstre a répété les longs rugissements.

Que deviendra Bouillon ? ô terribles moments !
Sur l’humide gazon il glisse, il tombe, il roule ;
Le sang de sa blessure à flots épais s’écoule ;
Mais du Ciel qu’il implore il reçoit le secours,
Et plonge un dard vainqueur dans la gueule de l’ours,

D’Antioche voilà les larges meurtrières,
Et ses hauts bastions flanqués de tours altières.
Ah ! du chantre d’Hector si j’avais le pinceau,
De combats glorieux je ferais le tableau ;
Je vous transporterais au bas de ces murailles ;
Frères, vous entendriez, au milieu des batailles,
Les clameurs des soldats, le râle des mourants ;
Vous verriez Godefroid animant tous les rangs ;
Devant vous, des vaincus les armures brisées,
Sous son glaive géant tomberaient écrasées ;
Dans un étroit chemin, ce guerrier, sous vos yeux,
Presque seul, dompterait un escadron nombreux 3 !

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Perçant le blanc réseau d’une vapeur légère,
Le soleil du printemps épanche sa lumière ;
Sur les bords du Farfar 4 on voit s’épanouir
Mille fleurs qu’en passant caresse le zéphyr ;
Les abondants figuiers étalent leur verdure ;
La terre a revêtu sa nouvelle parure ;
Déjà du caroubier les rameaux renaissants
Offrent leur frais asile aux oiseaux caressants ;
Les térébinthes verts réjouissent la vue ;
Les cèdres du Liban s’élèvent vers la nue :
Mais toi, Jérusalem, hélas ! sur ton coteau,
La nature est plus morne et le printemps moins beau !
Près de Gethsémani, la bocagère hysope,
De son calice à peine a brisé l’enveloppe ;
La violette y croît sans parfum, sans couleur,
Et semble de ces lieux partager la douleur ;
Car autour de Sion, le regret, la tristesse,
Depuis la mort du Christ, hélas ! règnent sans cesse !

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Traversant le désert avec rapidité,
Nous en avons bientôt franchi l’immensité.
Mais voici le Liban ; au-dessus de la nue,
Le Sannin, près de nous, lève sa tête nue ;
On dirait un géant assis au bord des mers,
Dont le regard perçant contemple l’univers.
Voici le front altier de ces cèdres antiques
D’où, s’élançant vers Tyr, les aigles prophétiques,
En foule s’abattaient sur ses riches palais.
Ô reine du désert, Balbeck, tu m’apparais ;
Sur des blocs de granit subsiste encor l’emblème
Qui jadis de tes rois marquait le rang suprême.
Par un vent d’occident notre char emporté
Plane majestueux sur la sainte cité.
Le Nébo, le Thabor, les hautes Pyramides,
Le Nil fertilisant des campagnes arides,
À mes yeux enchantés se sont montrés soudain ;
Vers le sud j’aperçois le paisible Jourdain,
Le Jourdain qui versa le trésor de son onde
Sur le front adoré du Rédempteur du monde ;
Ici de la Mer Morte en paix dorment les eaux,
Que n’éveilla jamais le cri des matelots ;
C’est en ces lieux maudits que tombèrent ces villes
Où l’homme, esclave impur de ses passions viles,
Et consumant sa vie en insultant les Cieux,
Jour et nuit se livrait à des plaisirs honteux :
Tandis que dans le feu leurs palais s’engloutirent,
Dans un gouffre béant leurs habitants périrent.
Mais voici Chanaan : ses prés toujours en fleurs,
Aux rayons du soleil étalent leurs couleurs ;
Le jasmin, l’aloës, la rose parfumée,
L’oranger succulent, le blanc lys d’Idumée
Y naissent sans culture, et d’abondants guérets
Prodiguent le trésor de leurs épis dorés,
Et la vigne qui naît au penchant des collines,
Fléchit sous le fardeau des grappes purpurines.
Voilà les verts coteaux de l’antique Ephraïm,
Que Jésus franchissait pour se rendre à Naïm.

D’une mère affligée, en ce pauvre village,
D’amers et larges pleurs sillonnaient le visage ;
En son premier printemps son enfant était mort.
Pour calmer la rigueur de son funeste sort,
Ses parents assemblés se pressent autour d’elle ;
Rien ne peut soulager sa douleur maternelle.
Elle appelle son fils ; il dort du grand sommeil !
Elle appelle… mais rien n’excite son réveil.
Le Christ sait les chagrins de cette pauvre femme ;
Il est bon, il rendra le repos à son âme ;
Il entre avec la foule en la demeure en deuil,
Et du front de l’enfant écartant le linceul :
« Lève-toi, lui dit-il. » Les roses du jeune âge
Renaissent, à ces mots, sur son pâle visage ;
Il vit, avec tendresse embrasse le Sauveur,
Et ses ris à sa mère ont rendu le bonheur.

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C’est ici que, suivi des apôtres fidèles,
Qui, ravis, écoutaient ses leçons immortelles,
Jésus calmait les maux, pardonnait aux méchants ;
Sur le bord des sentiers s’asseyait dans les champs,
Du pauvre laboureur pour bénir la semence ;
À tout ce qui souffrait il rendait l’espérance,
Et les infortunes, en l’entendant parler,
Sentaient loin de leur cœur le chagrin s’envoler.
Auprès du Siloé, dont la source est tarie,
Voici l’étroit sentier que poursuivit Marie
Quand, fuyant le poignard d’un tyran inhumain,
De la lointaine Égypte elle prit le chemin.
Voilà Gethsémani, muet témoin des larmes
Que versa le Sauveur en cette nuit d’alarmes
Où son ingrat disciple, où le traître Judas
Livra son divin maître à d’indignes soldats.
À l’orient s’étend une colline antique
Où vibra de David la harpe prophétique ;
Le soir, elle éveillait, par ses graves accords,
Dans son cœur attendri, la crainte et le remords ;
Vers le septentrion s’élève le Calvaire,

Où le Christ, outragé sous les yeux de sa mère,
Connut de nos douleurs l’amertume autrefois,
Lorsque pour nous sauver il mourut sur la croix ;
C’est sur ce Golgotha qu’en sa bonté profonde,
Il étendit les bras pour embrasser le monde.

C’est au pied de ces murs que campaient nos aïeux ;
C’est ici qu’ils livraient des combats glorieux.
Voilà le bastion que leur illustre armée
Franchissait à travers la flamme et la fumée.
Ô prince des croisés ! ô glorieux vainqueur !
Ces lieux furent témoins de ta sainte valeur !…
De tes exploits fameux je me souviens encore :
À peine à l’horizon blanchit l’humide aurore,
Arrachant au sommeil les soldats de la Croix,
Du sonore clairon déjà vibre la voix ;
Elle répand au loin de subites alarmes.
Le camp a retenti du cri terrible : « Aux armes ! »
Et la terre a tremblé sous le pas des coursiers.
Le signal est donné ; nos vaillants chevaliers,
Pleins d’audace et d’ardeur vers la ville s’élancent ;
Dans leurs robustes mains les frondes se balancent ;
Les pierres vont frapper le front des Musulmans,
Et l’on entend les coups des mangonneaux pesants.
Le bélier formidable entame la muraille ;
Les vieillards, les enfants, en ce jour de bataille,
Aux périls des croisés ont voulu prendre part ;
Ils courent se ranger sous le saint étendard.
Bouillon fait avancer sa vaste tour roulante ;
Elle brave le feu, les traits, l’huile bouillante ;
Au sommet, d’où son bras prodigue les exploits.
Étincelle l’or pur d’une sublime croix,
Où l’on voit de Jésus la figure immortelle ;
L’Arabe furieux lance ses traits vers elle.
Notre héros lui-même, en butte à tous les coups,
D’un ennemi nombreux méprise le courroux ;
Sa main sûre brandit ses javelots rapides,
Qui répandent la mort chez les Turcs intrépides.
Ô Ciel ! à ses côtés tombe son écuyer ;

Entouré de mourants, notre vaillant guerrier,
Sous d’innombrables traits va succomber lui-même…
Ah ! comment se soustraire à ce péril extrême ?…
Mais le Seigneur, sur lui, veille du haut des cieux ;
Il mande en cet instant un ange radieux,
Cet ange qu’ici-bas il chargea de défendre
Les jours de Godefroid dès l’âge le plus tendre :
« Pars, vole, lui dit-il, protége ce croisé,
» Près des murs de Sion, sous les coups écrasé. »
S’élançant aussitôt de l’éternelle sphère,
L’envoyé du Très-Haut prend son vol vers la terre ;
Esprit pur, invisible aux regards des humains,
Il tient un bouclier dans ses puissantes mains.
Du camp des assiégés part la flèche perfide
Qui va frapper Bouillon ; mais de sa sainte égide,
Le ministre divin le couvre tout entier,
Et le trait, amorti, tombe aux pieds du guerrier.
Telle, dans les rochers de l’aride Libye,
La lionne, en voyant étendus et sans vie,
Les jeunes lionceaux que chérissait son cœur,
Et que vient de frapper la balle du chasseur,
En son sein maternel sent gémir la nature ;
Puis, à l’aspect du sang coulant de leur blessure,
Elle bondit de rage et s’élance soudain
Vers le chasseur tremblant qui veut la fuir en vain :
Tel, le sensible chef, sous les murs de Solymes,
Quand il voit expirer ses compagnons sublimes,
Sent redoubler alors sa généreuse ardeur ;
Parmi les ennemis il répand la terreur…
Qu’aperçois-je ?… Dans l’air le feu grégeois scintille,
Sur la tour de Bouillon en s’élançant il brille ;
Il s’allume, il s’attache à ses lianes entr’ouverts ;
Le vent impétueux qui soulève les mers,
Souffle, siffle soudain, attise l’incendie,
Qui s’élève, étincelle et gronde avec furie ;
De flamme et de fumée un épais tourbillon,
D’un cercle redoutable enveloppe Bouillon.
Tout à coup, du sommet de sa tour qui s’affaisse,
Sur le mur qui s’écroule un large pont s’abaisse ;

Précédé de Ludolf, d’Engelbert, nos aïeux,
Il franchit le rempart, d’un bond impétueux ;
Ô glorieux instant ! ô moment plein de joie !
L’étendard du Brabant dans les airs se déploie !…
Belgique, ô mon pays, contemple tes enfants,
Sur les murs de Sion les voilà triomphants !…
Au sommet de ses tours leur bannière arborée
Remplace le Croissant sur la ville sacrée !


Les voilà triomphants !… Mais, hélas ! aujourd’hui,
Le sombre mausolée où repose celui
Qui du fier Musulman sut dompter la colère,
Profané par la haine et couvert de poussière,
N’offre plus aux regards qu’un marbre sans honneur,
Qu’à peine reconnaît le triste voyageur.
Toi qui sais cet affront, toi, ma chère Belgique,
Qui vis naître autrefois dans ton sein héroïque
Ce valeureux guerrier, patrie, oublîras-tu
Celui qui pour ta gloire a jadis combattu ?
Ton cœur à tant d’affronts serait-il insensible ?
Non, non, ô mon pays ! non, non, c’est impossible !!

Sur un rocher battu par la vague des mers,
Napoléon, miné par des regrets amers,
Victime de l’Anglais, dont il subit l’outrage,
Succombe sous le poids des fers de l’esclavage ;
À l’ombre d’un vieux saule au feuillage penché,
Il gît sous un granit par la mousse caché ;
Point d’aigle, point de nom sur cette pierre nue
Qui recouvre son corps dans une île inconnue !…
Mais !… La France se lève, elle arme ses vaisseaux ;
De l’Océan Joinville affronte au loin les flots,
Et ramène en triomphe, à Paris, sous un dôme,
Près de ses vétérans, la cendre du grand homme
Qui remplit l’univers du bruit de ses exploits,
Et sur leurs trônes d’or fit trembler tous les rois !

Ce que la France a fait pour relever la gloire
D’un héros qui broya sous son char de victoire

Les membres palpitants des vaincus, des vainqueurs,
Qui des mères, vingt ans, a désolé les cœurs,
Ne le feras-tu pas, toi, ma noble patrie,
Pour rendre son éclat à la tombe flétrie
De ce héros fameux dont le bras indompté
Planta notre étendard sur la sainte cité ;
Au chemin de l’honneur qui guida notre armée,
Et sut rendre le calme à l’Église alarmée ?

Sur les parois du temple où ce grand guerrier dort,
Frères, allons inscrire en caractères d’or
Ses exploits et son nom, et que sa grande épée,
Qui dans le sang des Turcs fut si souvent trempée,
Et qui subit encore aujourd’hui tant d’affronts,
Brille d’un vif éclat près de ses éperons !

Lorsqu’on verra régner la paix la plus profonde ;
Quand un réseau de fer sillonnera le monde
Des bords de la Tamise aux rives du Jourdain ;
Quand dans tout l’univers l’Évangile divin,
Sur le peuple épanchant sa limpide lumière,
À longs flots versera le bonheur sur la terre,
Avec le remorqueur, aussi prompt que le vent,
Le Belge franchira les déserts du levant ;
Il ira visiter cette tombe sacrée,
Où jadis reposa la victime adorée,
Ce Jésus, qui, rendant à l’homme tous ses droits,
Sous un facile joug mit le faible et les rois ;
Alors, en contemplant, non pas sans quelques charmes,
Le marbre de celui qui fit briller nos armes :
« C’est ici, dira-t-il en parlant au Sauveur,
» Qu’attend le grand réveil cet illustre vainqueur
» Qui pour ta sainte gloire en dépensant sa vie,
» Rendit à tes enfants la liberté ravie ;
» Mais parmi tes élus, dans les palais du ciel,
» Il jouit maintenant du bonheur éternel.
» Ah ! Seigneur, si jamais ma patrie opprimée,
» Gémissant dans les fers, de douleur abîmée,
» Voulait en appeler au hasard des combats,

» Tu laisserais vers nous, pour guider nos soldats,
» Du valeureux Bouillon descendre la grande ombre ;
» Et de nos ennemis sans regarder le nombre,
» Comme aux champs de l’Asie, il verrait aujourd’hui
» Leurs bataillons vaincus fuir soudain devant lui. »

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Salut, sainte contrée en miracles féconde !
Salut, terre où naquit le Rédempteur du monde,
Terre où subsiste encor le sentier ignoré
Que jadis il foula sous son pied adoré !
Je t’ai donc contemplée !!! ah ! dès ma tendre enfance,
Mon âme se berçait de la douce espérance
De visiter un jour les plaines d’orient.
Ange consolateur, au regard souriant,
Qui dirigeas mon vol au-dessus des nuages,
Qui de mon front craintif éloignant les orages,
Dans les champs de l’éther m’emportas avec toi,
Jamais je tes doux bienfaits pour moi !
Un jour, à tes côtés, dans le séjour des anges,
Si je puis célébrer les divines louanges,
Tu sentiras l’ardeur d’un cœur reconnaissant !

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Me détournant alors du tableau ravissant
Que venait de m’offrir la vénérable terre
Où le Christ accomplit son douloureux mystère,
Je reportai les yeux vers mon pays soudain,
Puis j’adressai ces mots à mon guide divin :
« Ô bel ange, apprends-moi si ma Belgique aimée,
» Par le feu de la foudre est aussi consumée ;
» Si la Religion, qui faisait son bonheur,
» De nos tristes climats s’enfuit avec horreur ?
» — Vois, me répondit-il, apparaître dans l’ombre.
« Là-bas, à l’occident, des lumières sans nombre. »

L’astre aux rayons d’argent, se balançant dans l’air,
De ses pâles reflets blanchissait le désert ;
À mes yeux se déroule un spectacle sublime :

De l’antique Thabor a resplendi la cime ;
La Méditerranée étend au loin ses eaux ;
De tous les feux du ciel s’illuminent ses flots.
Mais quels lointains concerts ! ô surprise ! ô merveille !
Quels suaves accords ont frappé mon oreille !
D’un chœur de bienheureux ce sont les pures voix ;
Dans la nue, à mes yeux, apparaît une croix
Que la Religion, désolée, abattue,
Comme une vierge en deuil, d’un long voile vêtue,
En fuyant l’occident, ce séjour des douleurs,
Embrasse tendrement en la baignant de pleurs.
Des Chérubins ailés emportent les calices
Où nos prêtres buvaient le sang des sacrifices,
Quand l’Europe chrétienne immolait sur l’autel
La victime sans tache, en un jour solennel ;
Ils tiennent dans leurs mains des images sacrées,
De velours et de soie élégamment parées ;
J’y vois tous ces martyrs qui jadis, ici-bas,
Soutinrent sans pâlir tant de rudes combats
Pour mériter du Christ l’immortelle couronne,
Plus loin, le Saint des Saints dans l’ostensoir rayonne.

J’abaisse vers la terre un timide regard,
Et le crime honteux s’enfuit de toute part.
Des prêtres revêtus de chasubles dorées,
Parcourent du levant les désertes contrées ;
Une blanche auréole, en descendant des cieux,
Vient entourer leur front d’un cercle radieux,
Et soudain l’on entend une voix inconnue,
Laissant tomber ces mots qui traversent la nue :
« Allez, prêtres du Christ ; allez, marchez en paix ;
» De la religion répandez les bienfaits. »
Une étoile allumée à la céleste voûte,
Des lévites sacrés éclaire au loin la route ;
Ils s’avancent, la foi ranime les déserts ;
Bientôt, de ces climats les habitants divers
Abjurent leurs erreurs au pied de la Croix sainte ;
De l’antique Sion ils inondent l’enceinte ;
Et, pressant le Chrétien dans ses bras fraternels,

L’Arabe converti vient, au pied des autels,
Entonner avec lui des hymnes catholiques,
Et rendre leur éclat aux vieilles basiliques.
L’esclave gémissant sous des maîtres hautains,
Qui flétrissent sa vie en ces pays lointains,
A senti dans son cœur renaître l’allégresse ;
La divine Espérance a calmé sa tristesse ;
Tu viens le soulager, touchante Charité !
Et toi, besoin de l’âme, aimable Liberté,
Qui depuis si longtemps avais fui ce rivage,
Tu dérives les fers de son dur esclavage !
D’un peuple infortuné les malheurs vont finir

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Des vallons paternels l’aimable souvenir
Vient se représenter à ma triste pensée ;
Pour dissiper l’effroi de mon âme oppressée,
En ces mots j’invoquai le messager divin :
« Toi qui fus vers Sion mon guide aérien,
» Ah ! bel ange, dis-moi, dis-moi si ma Belgique,
» De l’occident en feu subit le sort tragique !
» Sur sa ruine aussi dois-je verser des pleurs ?
» Ah ! faut-il déplorer ces terribles malheurs ? »

À peine j’achevais, à mes regards tout change :
Les sables du désert, et la nue, et l’archange,
Et le rapide char qui, sur l’aile du vent,
Avec nous traversa le beau ciel du levant,
Le Thabor, Sinaï, les coteaux d’Idumée,
Josaphat, Chanaan et sa plaine embaumée,
Tout, comme une vapeur se dissipant soudain,
S’efface ainsi qu’un songe au lever du matin.

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Mais !!!… voici les beaux lieux qui jadis m’ont vu naître
Ah ! combien il m’est doux de les voir reparaître !
Un rideau d’arbres verts, là-bas, à l’horizon,
De mon bien-aimé père ombrage la maison ;
Les vents de mon pays, soufflant dans nos feuillages,

M’apportent les parfums de nos riants bocages.
De ma douce vallée aimables habitants,
Ô vous que j’ai quittés pendant quelques instants
Pour voler en esprit vers les champs de l’aurore,
Je reviens parmi vous couler mes jours encore.

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De l’Europe partout le sol est ravagé ;
De ses vils ennemis le Seigneur s’est vengé ;
Les rois les plus puissants sur leurs trônes chancellent
Des peuples révoltés les flots de sang ruissellent !
Tandis qu’on entendait hurler autour de vous
Et l’émeute en haillons et le crime en courroux ;
Tandis que l’occident était rempli d’alarmes,
D’une tranquille paix vous savouriez les charmes :
Frères, qu’avez-vous fait pour fléchir le Seigneur ?
Pendant que mugissait la tempête en fureur,
De nos pieux Croyants la prière, sans doute,
Aura fait dévier la foudre de sa route.

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Mais elle gronde encor sous tes sombres climats,
Ô France ! tes enfants te livrent des combats !
Tu les avais nourris, ô malheureuse mère,
D’un lait d’impiété ; cette boisson amère
Les rendit furieux : sous leurs poignards sanglants,
Sans pitié, sans remords, ils déchirent tes flancs ;
Se vautrant sans pudeur dans la fange du crime,
Ils méprisent du Christ la morale sublime.

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Cet immense océan qui vient battre nos bords,
Qui pour les envahir a tenté mille efforts,
Il ne saurait, Seigneur, surmonter les limites
Qu’à ses flots irrités ta sagesse a prescrites :
Si tel est ton pouvoir, maître de l’univers,
Calme aussi la fureur de ces hommes pervers ;
Relève leurs regards vers la plaine éthérée ;
Éclaire leurs esprits, Providence adorée ;

Aux lois qu’ils détestaient, qu’ils se montrent soumis,
Et fais du monde entier un grand peuple d’amis !
Que le Belge oublieux, que la discorde entraîne,
De son cœur enflamme sache écarter la haine :
La discorde souvent nuit à la liberté ;
Un peuple uni triomphe, il n’est jamais dompté !
Frères, rappelez-vous cette troupe immortelle
Qui s’unit pour lutter sur les rochers de Prêle 5 !
Souvenez-vous aussi de vos nobles aïeux !
Pourquoi n’auriez-vous pas leur élan glorieux ?
Du Croyant qui combat, la foi bannit la crainte ;
Qu’a-t-il à redouter sous sa tutelle sainte ?
C’est elle qui guidait les soldats de Clovis ;
Elle embrasait le cœur du vaillant Saint-Louis.

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Autre milice, ô vous, studieuse jeunesse,
C’est à vous, maintenant, que ma muse s’adresse :
Si le méchant s’unit pour propager le mal,
S’il veut réduire l’homme au rang de l’animal,
Ah ! liguons-nous aussi, mais pour sauver les âmes
De la contagion des doctrines infâmes !
Demandons au Seigneur qu’il daigne, en sa bonté,
Aider et consoler la triste humanité ;
Qu’il éclaire les grands et la faible indigence,
Par la foi, ce soleil de notre intelligence !

Si, pour nous entraîner à de nobles penchants,
Vous savez sur la lyre accompagner vos chants ;
Si l’on vous exerça, sur les bancs de l’école,
À faire triompher le bien par la parole,
Ou si vous connaissez les remèdes nouveaux
Qui du triste malade allégeront les maux ;
Si vous avez appris à vaincre la nature,
À connaître des cieux l’admirable structure,
Frères, si la patrie avait besoin de vous,
Vous sauriez bien aussi la défendre avec nous !
Un jour, si des brigands avides de pillages,
Nous surprenant encor, désolaient nos rivages 6.

Nous nous rappellerions une antique valeur ;
Contre nos ennemis nous marcherions sans peur ;
D’un prince dévoué nous suivrions la bannière,
Et nous irions mourir ensemble à la frontière !


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De la vérité nue intelligents soldats,
Dans l’arène de paix livrez d’autres combats.
Ah ! quand l’impiété, quand l’émeute hardie
Répandent en tous lieux le crime et l’incendie ;
Quand, dans tout l’occident, grondent les passions ;
Quand, le jour et la nuit, hurlent les factions,
Pourriez-vous conserver un cœur froid, impassible ?
Frères, je vous connais : non, non, c’est impossible !
Non, vous résisterez à ces fougueux tyrans !
S’ils se sont abaissés, vous deviendrez plus grands,
Plus grands par votre foi, par votre ardent courage,
Et vous saurez abattre une horde sauvage !
Zélés imitateurs du Dieu de vérité,
Vous leur ferez aimer la tendre charité.


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Hélas ! Dans notre ciel, qui d’une ombre se voile,
Chaque nuit voit pâlir ou s’éteindre une étoile !
Ah ! si, pour éclairer nos sentiers ténébreux,
Il ne nous restait pas un astre radieux,
Bientôt nos ennemis, dont croît toujours le nombre,
Viendraient nous assaillir, nous surprendre dans l’ombre !
Mais toujours devant nous, frères, n’avons-nous pas
Le bel astre du Christ pour diriger nos pas ?
Que votre âme aujourd’hui repousse donc la crainte,
Et luttez vaillamment dans cette guerre sainte !
Tout Croyant doit marcher ; levez-vous et venez !
Par la victoire un jour vous serez couronnés !


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Ô mes jeunes amis, le monde vous contemple !
Au faible, à l’ignorant vous servirez d’exemple.
Vos vertus survivront à l’oubli du trépas ;

Si le juste succombe, elles ne meurent pas ;
Elles ont sur notre âme un si puissant empire
Que le méchant lui-même en secret les admire.
Le sage qui s’éteint, excite nos regrets ;
Son pieux souvenir ne s’efface jamais.
Même parmi ces rois que le peuple abandonne,
Qu’en sa démence aveugle il renverse du trône,
Parfois s’il apparaît un homme généreux,
Un prince qui, l’ami de tous les malheureux,
N’excite le mépris, la haine ni l’envie,
Quand il a dépensé tous les jours de sa vie,
Sa mort est le signal de publiques douleurs ;
Son peuple tout entier verse longtemps des pleurs.

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Compagne de celui qui régit ma patrie,
Toi que nous regrettons, Souveraine chérie,
Quel chaume, quel palais n’a retenti de cris
Quand le bruit de ta mort soudain nous a surpris !
Ah ! c’est qu’en toi le pauvre avait perdu sa mère,
Et la Belgique en deuil, son ange tutélaire.

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Ô muse des tombeaux, ô toi qui, vers le soir,
Vas sous le triste saule en silence t’asseoir ;
Muse de l’élégie, ô vierge désolée,
Toi que l’on voit gémir au pied du mausolée ;
Qui de tes jeunes sœurs fuyant les vains plaisirs,
En ton cœur nourrissant de pieux souvenirs,
À l’ombre des cyprès, pensive, solitaire,
Pour ceux qui ne sont plus, élèves ta prière ;
Sœur des infortunés, vierge aimante, aide-moi
À déplorer la mort de l’épouse du Roi !
Si mon triste récit fait naître quelques larmes,
À les répandre, au moins, on trouvera des charmes !

Tendre mélancolie, au milieu des tourments,
Souvent tu viens calmer le cœur de tes amants ;
Tu sais les consoler dans leur sombre retraite,

En versant sur leurs maux une douceur secrète !
Que j’aime ton sourire et la triste pâleur
Qu’imprime sur ton front la main de la douleur !…
Que j’aime à visiter les demeures chéries
Où tu vas promener tes mornes rêveries !
Les coteaux, les vallons et l’ombrage des bois,
Les rochers, dont l’écho connaît si bien la voix !…
Ton maintien est si doux, ton langage est si tendre ;
Tu sais au malheureux si bien te faire entendre,
Que dans la douleur même il trouve des appas ;
Lorsque chacun le fuit, tu ne le quittes pas !
Si la mort d’un ami contriste sa pensée,
Pour alléger le poids de son âme oppressée,
Tu pleures avec lui ; pour calmer ses regrets,
Tu lui fais espérer qu’il savoure la paix,
Et qu’il goûte à jamais une ineffable joie
Aux lieux où la douleur enfin lâche sa proie.

Ô muse, inspire-moi des sons doux et touchants,
Et que ta voix plaintive accompagne mes chants !

La mort vient, sous sa faulx, d’abattre une couronne,
Et le peuple, et les grands, tout ce qui m’environne
Revêt, en gémissant, le sombre habit du deuil ;
La foule vient prier au bord d’un froid cercueil.
Lyre, pour célébrer la royale victime,
Pour honorer sa tombe, il faut un chant sublime :
Mais comment redirai-je en vers harmonieux
Ses souffrances, sa mort, nos regrets douloureux ?
Esprit inspirateur, viens souffler sur ma lyre !
Viens enflammer mon cœur de ton brûlant délire !
Enlève le bandeau couvrant mon œil mortel !
Qu’il puisse contempler le séjour éternel !
Alors je chanterai l’inaltérable joie
Dans laquelle aujourd’hui notre Reine se noie.

Vers les bords sablonneux de l’océan du nord,
En face d’Albion, est un paisible port
Où le hardi marin apporte à ma Belgique

Les abondants tributs de la riche Amérique ;
Un phare, en épanchant sa lueur sur les flots,
Y montre, dans la nuit, l’écueil aux matelots ;
Lorsque l’astre éclatant qui le jour nous éclaire,
Verse sur les moissons sa féconde lumière,
En ces lieux le malade accourt de tout côté,
Aux bains rafraîchissants demander la santé :
C’est là, sur le galet, que notre auguste Reine,
D’un pas mal assuré lentement se promène ;
Elle est blessée au cœur depuis que le Français,
De son généreux père oubliant les bienfaits,
Du Louvre tout à coup envahit le portique,
Et brisa sans regrets son sceptre pacifique ;
Pendant huit jours d’angoisse, un glaive de douleur
De sa pieuse fille a transpercé le cœur.
Rien souvent elle va, pensive, sur la grève,
D’un bonheur envolé se rappeler le rêve ;
Chemine à ses côtés le chagrin soucieux.
Parfois, en s’arrêtant, elle cherche des yeux,
Vers les brumeux contours d’une lointaine plage,
Les débris dispersés d’un illustre naufrage ;
De son père elle y voit les restes vénérés,
Qu’entourent une reine et ses fils éplorés,
Ses fils, tristes jouets d’une ingrate fortune…
Elle veut repousser cette image importune ;
Mais son œil ne peut fuir ce funèbre tableau,
Et toujours elle voit se dresser un tombeau…

Tant de maux, cependant, ont vaincu la nature ;
Elle va succomber !… Sur sa douce figure
La sombre maladie et la main du malheur,
Hélas ! ont répandu la mortelle pâleur ;
Déjà de sa beauté se sont fanés les charmes ;
La renommée au loin pousse son cri d’alarmes,
Et le Belge éploré court au pied de l’autel
Offrir les vœux ardents qu’il forme à l’Éternel.

Que vois-je ! à l’horizon l’onde s’est enflammée,
Et dans l’air tourbillonne une épaisse fumée.

Est-ce un brûlant volcan qui jaillit de la mer ?
Non, non, c’est un vaisseau qui fend le flot amer ;
Ainsi qu’un alcyon, sur la vague il s’élance ;
De la rive il approche, il entre au port… silence !!…
Une femme en descend ; le peuple, à son aspect,
S’incline et se découvre avec un saint respect.
C’est la veuve d’un roi ; de deuil elle est vêtue ;
Son âme a bien souffert, mais n’est point abattue,
Car rien n’abat un cœur où domine la foi.
Louise, c’est ta mère ; elle vient près de toi
Pour adoucir ta mort par cet adieu suprême,
Ce morne et sombre adieu qu’on fuit à ceux qu’on aime !


Ô lyre, à la douleur emprunte tes accents,
Et que ta voix plaintive accompagne mes chants !


Sur sa tige la fleur se penche languissante ;
L’arbre abandonne aux vents sa feuille jaunissante,
Et l’automne, avançant vers nos tristes climats,
Étend sur nos vallons son manteau de frimas.

Belges infortunés, contemplez votre Reine ;
De ce monde elle va briser la rude chaîne.
Sa mère, son époux, ses enfants affligés,
En cercle douloureux autour d’elle rangés,
Gémissent en silence en lui cachant leurs larmes ;
Mais elle, ce qui cause aujourd’hui ses alarmes,
Ce n’est pas qu’elle touche au suprême moment :
La douleur qu’elle inspire, ah ! voilà son tourment !…
Elle sent que la mort vers le tombeau la presse ;
Embrasse ses enfants ; sourit avec tristesse ;
Sur la tremblante main de son royal époux,
Imprime longuement le baiser le plus doux ;
Aux prières des siens elle joint sa prière,
Et saintement expire en contemplant sa mère…
Ah ! de tant de vertus, d’un objet tant aimé,
Voilà ce qu’il nous reste, un corps inanimé !…
De l’airain qui gémit la voix lente et sacrée
Dit la triste nouvelle à la foule éplorée.

Ô lyre, à la douleur emprunte tes accents,
Et que ta voix plaintive accompagne mes chants !


Doux aliment des cœurs, consolante Espérance,
Source des plaisirs purs, baume de la souffrance,
Tu nous es donc ravie !… Ah ! de nos tristes yeux,
Et le jour et la nuit, coulez, pleurs douloureux !…
Mort, ô funèbre mort, en venant la surprendre,
Sans doute tu voulais encore nous apprendre
Le néant des humains, le néant des grandeurs !…
Nul, si juste qu’il soit, ne fléchit tes rigueurs !…


Artisan malheureux, à la tête penchée,
Dont elle soulagea la misère cachée,
Inconsolable veuve, indigent orphelin,
Vous tous que secourut son invisible main,
Et vous qui la pleurez, habitants des chaumières,
Rendez-lui ses bienfaits en ardentes prières.


Ô ma lyre, au bonheur emprunte tes accents,
Et que ta voix plus douce accompagne mes chants !


En ébranlant les cieux, une voix imposante,
Et, comme le tonnerre, au loin retentissante,
Dans les vallons divins tout à coup s’éleva ;
C’était la grande voix du puissant Jéhova.
De leurs ailes d’argent les anges se voilèrent,
Leurs fronts humiliés à la fois s’abaissèrent,
Et sur les marches d’or du sacré tribunal
Où sa balance pèse et le bien et le mal,
L’Éternel appela notre Reine Louise :
« Sur la terre, dit-il à cette âme soumise,
» De mes grâces, ma fille, autrefois qu’as-tu fait ? »
L’âme, dans la terreur, baisse l’œil et se tait.
D’élus, en cet instant, une sainte phalange
Légèrement voltige, autour d’elle se range ;
Ce sont les purs esprits de tous ces malheureux
Que sa parole amie a guidés vers les cieux ;
Jadis, quand ils pleuraient en cette vie amère,

Elle avait allégé le poids de leur misère ;
Aux pieds de l’Éternel se jetant à genoux :
« Ô Seigneur, dirent-ils, elle eut pitié de nous,
» Nous vous en supplions, ah ! prenez pitié d’elle !
» Daignez donner la paix à cette âme fidèle ! »
Et les échos émus répétèrent ces mots :
« Ô toi qui, sur la terre, au milieu de leurs maux,
» De tous ceux qui souffraient étais la providence,
» Toi qui dans le malheur conservais l’espérance,
» Ô ma fille, je veux récompenser ta foi ;
» Tu souffris, mais mon fils a souffert comme toi ;
» Si tu portas sa croix, aujourd’hui je te donne,
» Ma fille bien-aimée, une blanche couronne
» Qui pare en ces beaux lieux le front de mes élus ;
» Cette couronne, au moins, tu ne la perdras plus ! »

Se livrant aux transports d’une innocente joie,
Pendant qu’au noir chagrin les Belges sont en proie,
Les Saints, en cet instant, chantent l’hymne d’amour,
Et font entrer Louise au céleste séjour.
Le souffle parfumé d’une brise légère
Agite les cheveux de la jeune étrangère,
Et soulève les plis du long voile d’azur
Dont la gaze soyeuse ombrage son œil pur.
On voit dans leur fraîcheur briller sur son visage
Le lys éblouissant, les roses du bel Age.

Ô ma lyre, au bonheur emprunte tes accents,
Et que ta voix plus douce accompagne mes chants !

D’une robe ondoyante élégamment parée,
Elle a déjà franchi la barrière sacrée ;
Jeune épouse d’un roi, son front présente encor
La trace qu’y laissa son diadème d’or.
Les Trônes, les Vertus, les Splendeurs, les Archanges,
Les Dominations et les saintes Louanges,
Soudain, de toutes parts, accourent pour la voir.
Quand la lime se lève à l’horizon, le soir,
Et les planètes d’or et les blanches étoiles,

Qui de la sombre nuit font scintiller les voiles,
Ceignent l’astre d’argent de l’éclat de leurs feux ;
De l’Empyrée ainsi les habitants joyeux,
Enchaînés par la main, en dansant devant elle,
De leur foule empressée entourent l’immortelle ;
Les tendres Séraphins, les martyres, ses sœurs,
Épanchent à ses pieds des corbeilles de fleurs,
De ces splendides fleurs que le plus beau parterre
Jamais ne vit éclore au soleil de la terre.
Et les Anges Gardiens au visage vermeil,
Qui protégent l’enfant pendant son doux sommeil,
Et le beau Chérubin, dans un ardent délire,
De leur ceinture d’or ont détaché la lyre,
Et l’instrument sacré qui frémit sous leurs mains
Module des accords inconnus aux humains ;
Tout célèbre Louise avec des chants de fête.
Un ange approche d’elle et pose sur sa tête
La palme du martyre et le lys gracieux,
Le lys que chérissaient ses illustres aïeux.

Cependant une voix affectueuse et tendre
Dans la sainte demeure alors se fait entendre ;
Elle dit : « Aimons-la, que du terrestre ennui,
» Son âme, parmi nous, se console aujourd’hui ;
» Elle a quitté ses fils, sa fille, autre elle-même ;
» Elle est loin de sa mère et de l’époux qui l’aime ;
» Qu’elle retrouve en nous d’autres amis aux cieux ;
» Aimons-la, cette sœur, comme on aime en ces lieux.
» Jadis elle a goûté de cet amer calice
» Qu’un Croyant doit vider au jour du sacrifice ;
» Elle y puisa souvent et l’absinthe et le fiel ;
« Qu’elle savoure ici le doux nectar du ciel ;
» C’est assez de douleurs ; dans la plus pure joie
« Et dans les saints transports que son âme se noie… »
Alors une autre voix célébra sa candeur,
Sa douce charité, ces trésors de son cœur.

Les élus, déployant l’albâtre de leur aile,
Enlèvent tout à coup la royale immortelle ;

Ils balancent leur vol dans les champs de l’éther,
Et les échos émus répètent leur concert.
Les Vierges la tenaient tendrement embrassée ;
On voyait leur main blanche autour d’elle enlacée.
Tels en nos prés en fleurs, en nos riants vergers,
Quand sourit le printemps, les papillons légers
Se poursuivent dans l’air, puis leur troupe calmée
S’abat légèrement sur la rose embaumée :
Tels, du divin séjour les heureux habitants,
Après avoir ainsi tourbillonné longtemps
Et fourni dans l’espace une course lointaine,
S’arrêtent à la fois au bord d’une fontaine
Dont le cristal limpide arrose un frais jardin
Plus magnifique encor que ne le fut Éden ;
Là, de charmants oiseaux, par un tendre ramage,
Au maître universel adressaient leur hommage ;
L’atmosphère était pure et les vents se taisaient,
Et tous les bienheureux eux-mêmes écoutaient,
Tandis qu’en doux accords la harpe harmonieuse,
D’un chœur accompagnait la voix mélodieuse.

Et les anges chantaient : « Avec nous, dans la nuit,
» Elle ira visiter, en leur sombre réduit,
» Le malade attristé, l’infortuné qui pleure ;
» Parler au prisonnier en sa froide demeure ;
» Descendant mollement sur un nuage d’or,
» Pour voir en son berceau le jeune enfant qui dort,
» Nous nous inclinerons sur sa bouche vermeille,
» Ainsi que sur la fleur va se pencher l’abeille ;
» Nous lui dirons des mots qui le rendront joyeux,
» Et ferons apparaître en ses rêves heureux
» Son agneau bien-aimé jouant dans la prairie,
» Et l’oiseau voltigeant sur la branche fleurie ;
» Nous irons consoler celui qui va mourir,
» Et nous recueillerons son suprême soupir ;
» Puis, quelquefois, aussi, quand l’horrible tempête,
» Du pauvre nautonnier menacera la tête,
» À genoux près de lui, nous le Seigneur
» Afin que de la mer il dompte la fureur,

» Et du front du Croyant, au milieu de la guerre,
» Nos mains détourneront la balle meurtrière ;
» À l’exilé qui dort sous le toit étranger,
» Nous peindrons son pays dans un songe léger ;
» Des vallons paternels la séduisante image
» Réjouira son cœur sur un lointain rivage ;
» Avec nous, bien souvent, elle ira visiter
» Les enfants éplorés qu’elle vient de quitter ;
» Pour alléger le poids de leur douleur profonde,
» Nous dirons le bonheur dont leur mère s’inonde,
» Et nous leur donnerons le consolant espoir
» Qu’en son palais céleste ils pourront la revoir. »
De Louise, à ces mots, l’aile d’or se déploie,
Son aimable figure étincelle de joie.

Dans la sainte demeure avaient cessé les chants ;
Les Anges gracieux, les Séraphins brûlants,
Laissant flotter dans l’air leurs chevelures blondes,
Avaient déjà repris leurs courses vagabondes,
Quand tout à coup un temple apparaît à leurs yeux ;
Le Créateur commande à l’un des bienheureux
D’y conduire aussitôt Louise triomphante.
Un archange, docile à cette voix puissante,
Effleure les sentiers d’un jardin embaumé ;
Louise suit les pas du guide bien-aimé ;
Les fleurs, apercevant la royale immortelle,
Inclinent humblement leur tête devant elle ;
De l’arbuste frémit le feuillage odorant,
Et les oiseaux ravis recommencent leur chant.

Au milieu d’une immense et riante campagne,
Dans le divin séjour, s’élève une montagne
D’où coule, en scintillant, un fleuve aux ondes d’or ;
Les roses, sans culture, éclosent sur son bord ;
Couronnant le sommet de ce mont solitaire,
Un cercle de soleils épanche sa lumière
Sur les murs transparents d’un temple de cristal
Devant lequel pâlit l’éclat oriental ;
Dans les airs est caché son dôme magnifique ;

Des colonnes d’argent soutiennent son portique.
C’est là qu’on voit trôner, sous le satin d’un dais,
Une candide vierge au regard plein d’attraits ;
Un vase précieux, plein de myrrhe enflammée,
Exhale devant elle une exquise fumée.
Dans les vallons du monde, à notre œil enchanté,
Jamais n’est apparue une telle beauté ;
Tout son corps est paré d’une aimable innocence,
Et la grâce embellit encor sa contenance :
C’est la mère du Christ. De Louise, autrefois,
Elle entendit souvent la suppliante voix,
Lorsque, dans les malheurs qui désolent la terre,
Notre Reine pour nous formait cette prière
Qui d’un jour nébuleux faisait un jour serein.
À son aspect, Marie, en lui tendant la main,
S’avance en souriant vers cette âme fidèle :
« Je t’attendais ici, Louise, lui dit-elle. »
À peine elle achevait, déjà les bienheureux
Avaient recommencé leurs concerts et leurs jeux ;
Autour d’elle ils volaient comme un essaim d’abeilles
Qui butine au printemps sur les plantes vermeilles.

Du groupe des esprits se détachant soudain,
Seul, voltige dans l’air un léger chérubin ;
Il a d’un jeune enfant la candide figure ;
En se mirant en lui comme dans l’onde pure,
Louise contemplant l’éclat de ses beaux yeux,
A bientôt, dans les traits de l’ange gracieux,
Reconnu le souris de ce fils plein de charmes
Dont la précoce mort lui coûta tant de larmes.
Royal enfant jadis, chérubin maintenant,
Il a gardé, peut-être, eu son cœur pur, aimant,
Un vague souvenir de sa vie éphémère,
Un souvenir lointain des baisers de sa mère ;
Car, en la contemplant, son front plein de candeur
Tout à coup resplendit d’amour et de bonheur.
Il a pris son essor et vers elle il s’élance ;
Au-dessus de Louise il joue, il se balance ;
Dans ses bras caressants il va se reposer,

Et cueille sur sa joue un tendre et long baiser.
Par le frémissement de leur aile argentée,
La phalange des Saints, de plaisir transportée,
Tressaille d’allégresse à cet aspect touchant,
Et de nouveau le ciel retentit de leur chant.

Harmonieux esprits ! enfants de la lumière,
Loin de moi vous fuyez comme une ombre légère !
Et vous, sacrés parvis, et vous, cieux étoilés,
À mes yeux tout à coup vous vous êtes voilés !…
Me voici sur la terre, où la foule alarmée
Pleure encore aujourd’hui sa Reine bien-aimée…

Modérez vos douleurs, modérez vos regrets ;
Des vallons éternels elle goûte la paix ;
Frères, ne pleurez plus, car pour vous elle implore
Le maître qu’à genoux toute la terre adore.
Espérons, ô Croyants, qu’au céleste séjour,
Nous pourrons la revoir et la chérir un jour.

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Épouse de mon roi, toi qui nous fus ravie,
À faire des heureux qui dépensas ta vie,
Si tu nous as quittés pour t’envoler au ciel,
Tu sentiras pour nous un amour éternel ;
Là-haut, si tu n’as plus de faibles à défendre,
De maux à soulager, tu daigneras entendre
La voix d’un peuple ami dont tu fis le bonheur,
D’un peuple que ta mort plongea dans la douleur ;
Aux pieds du Saint des Saints sois notre protectrice,
Louise ; à ta prière il nous sera propice.
Pour nous demande-lui qu’il protège ce roi
Qui vingt ans s’est assis sur le tronc avec toi.
Plus que jamais tous ceux qui gouvernent le monde
Ont besoin que le Ciel aujourd’hui les seconde.
Ah ! demande pour nous, Louise, au Tout-Puissant,
Qu’il daigne nous garder ce noble et bel enfant
Dont le front doit un jour ceindre le diadème.
En paix il régira la Belgique qui l’aime.

Nos cœurs reconnaissants, s’il exauce ces vœux,
S’élèveront vers Dieu comme un encens pieux.

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Lorsque sur l’océan plane la froide brume,
Dans les champs de l’espace une étoile s’allume,
Et ses rayons amis qui tremblent sur les flots,
Ramènent l’espérance au cœur des matelots ;
Mais, hélas !… tout à coup l’étoile s’est éteinte ;
Le ciel s’est revêtu d’une funèbre teinte ;
En la voyant pâlir, le marin consterné,
Au cruel désespoir se sent abandonné :
Ainsi, quand disparut l’étoile de la Reine,
Qui sur nous épanchait sa lumière sereine,
Le Belge fut en proie au chagrin soucieux ;
Mais l’astre de son fils se levait dans nos cieux ;
Espoir de la patrie, un jour, de nos nuits sombres,
Ses rayons bienfaisants dissiperont les ombres.

Quand ce prince chéri plus tard nous régira,
Par sa piété sainte il nous réjouira,
Et, comme Éliacin élevé dans le temple,
Aux monarques du monde il servira d’exemple.
De son illustre mère ardent imitateur,
De son père il aura la sagesse et le cœur ;
Et si l’Europe, en proie aux passions serviles,
Déplorait le malheur des discordes civiles,
Ainsi que Léopold, frères, autour de vous,
De l’orage il saurait conjurer le courroux !
Les peuples, contemplant la Belgique prospère :
» Ce prince, diront-ils, est digne de son père ;
» Il est de l’indigent le protecteur, l’ami ;
» Par la postérité son nom sera béni. »

Alors ton souvenir, Louise, ô noble femme,
Venant les visiter et recréer leur âme,
Ils se rappelleront, ô Reine, que c’est toi
Qui sus par ton exemple inspirer ce bon roi.
Dès ses plus jeunes ans, mère pieuse et tendre,

Au milieu de ses jeux, tu sus lui faire entendre
Combien la vérité, les vertus ont d’appas,
Que seules elles font le bonheur ici-bas.


Lorsque tu traversais notre vallon de larmes,
Sur les jours de ton fils pour répandre des charmes,
Tu savais évoquer l’ombre de Saint Louis,
Qui venait rayonner à ses regards ravis.
Il se rappellera la forêt de Vincenne,
Et les vastes rameaux de ce célèbre chêne
Où, sous l’ombrage frais, venait siéger ce roi
Qui des tyrans du peuple était jadis l’effroi ;
Là, d’un seigneur hautain confondant la malice,
Aux manants opprimés il rendait la justice.
Ce jeune prince aura sa foi, sa charité ;
Avec lui régnera l’heureuse Liberté,
Non cette Liberté farouche, ensanglantée,
Qui longtemps désola l’Europe épouvantée ;
Cette femme au sein nu, qu’entourent des flatteurs,
Et l’échappé du bagne et de sots novateurs,
Liberté digne au plus de s’appeler Licence :
Mais la vierge au front pur qui défend l’innocence ;
La sœur de la prudence et des doux sentiments,
Qui rend prospère un peuple et calme ses tourments ;
De tous les malheureux c’est l’ange tutélaire ;
C’est la fille du Christ, du Sauveur de la terre ;
La fille de Celui qui, le premier, planta
L’arbre de Liberté, sur le haut Golgotha !
C’est elle, en ma jeunesse, elle que j’ai rêvée ;
Elle par qui mon âme est encor captivée ;
Le Belge la révère, il l’aimera toujours ;
Pour elle il donnerait le dernier de ses jours ;
Le fils de Léopold a grandi sous son aile ;
À ses enseignements il restera fidèle.

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Cependant, quel effroi vient me saisir pour lui,
Lorsque de tous cotes, l’émeutier, aujourd hui,
L’émeutier, monstre affreux, à l’œil oblique et sombre,

Profère, en blasphémant, des menaces dans l’ombre !…
Ah ! pendant dix-huit ans, de ta famille en pleurs,
Louise, ce fut lui qui causa les malheurs !…
Ainsi qu’un meurtrier qui guette sa victime
Pour bien saisir l’instant de perpétrer son crime,
Il attend le moment marqué pour ses desseins :
C’est alors qu’en tous lieux des hordes d’assassins,
Brandissant le poignard et rugissant de rage,
Se livreront sans crainte au massacre, au pillage 6 !

Deux fois Paris a vu ces rapaces tyrans
Verser sur son pavé le sang à longs torrents ;
Comme d’avides loups qu’on traque en leurs repaires,
Pour venger les agneaux arrachés à leurs mères,
Ils furent poursuivis par le glaive des lois,
Qui sur ces forcenés s’appesantit deux fois :
Mais qui pourrait dompter leur altière insolence ?
Naguère ils surprenaient des hommes sans défense ;
Le dirai-je ? ils brûlaient les vierges, les enfants 7,
Et ces lâches forfaits les rendaient triomphants !
Sur la pique sanglante ils élevaient des têtes,
Et conviaient le peuple à leurs horribles fêtes !
Ils tendaient aux soldats une trompeuse main,
Sous un perfide fer pour mieux percer leur sein 8 !
Qui le croirait ? On vit des mégères, leurs femmes,
De ces cruels bandits les complices infâmes,
Entr’ouvrir sans pâlir le flanc des malheureux ;
Exciter leurs douleurs, en repaître leurs yeux ;
Mutiler des enfants, outrager la nature ;
Sans pudeur, sans pitié rire de leur torture ;
Avec des cris affreux, mêlés de joyeux chants,
Promener dans Paris leurs restes palpitants !
Ce n’est pas tout encore, ô noble et triste France !
De te couvrir de deuil ils gardent l’espérance ;
Le mot d’ordre est donné, mot digne de l’enfer ;
Écoutez, le voici : « Du feu ! du plomb ! du fer !  ! 9 »

Si, pour notre malheur, en ce grand jour d’alarmes,
Dans leurs sauvages mains on voit briller des armes,

Vous en aurez aussi, défenseurs de la loi,
Vous en aurez aussi, défenseurs de la foi,
Pour repousser leurs coups en ces moments terribles !
Ne les redoutez pas, vous serez invincibles ;
Car le Croyant pour vous supplîra le Seigneur,
Qui contre eux enverra l’ange exterminateur,
Celui qui d’Israël en protégeant l’armée,
Devant elle guidait la colonne enflammée !

Séparateur


Mais nous venons pour eux t’implorer à genoux ;
Avant de les frapper, hélas, écoute-nous !
Ô toi dont la clémence égale la tendresse,
S’ils semblent se complaire à t’outrager sans cesse,
Daigne leur pardonner, dissipe leurs erreurs,
Épure les pensers de leurs coupables cœurs ;
Pour leur rendre la paix et calmer leur souffrance,
Fais du ciel, ô mon Dieu, descendre l’Espérance !
Sans elle, sur la terre, hélas ! que ferions-nous ?…
Pour des infortunés espérer est si doux !…

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La voix de l’ouragan gronde dans l’étendue ;
L’éclair brille, il serpente, il sillonne la nue ;
Le rapide alcyon, tremblant, épouvanté,
En vain cherche un abri loin du flot irrité.
Que vois-je ! cependant la lame furibonde
En montagne s’élève, et de la mer profonde
Elle creuse le gouffre !… hélas ! sans gouvernail,
Un navire a sombré ; malgré l’ardent travail
De hardis matelots au dévouement sublime,
Il ne sait s’arracher au dévorant abîme…
C’en est fait !… Ô douleur ! sans voiles, sans agrès,
Il va sous l’océan disparaître à jamais !
Ô pauvres mariniers, si tout vous abandonne,
L’Espérance vous reste, et l’aimable Madone
Dont l’image sacrée est suspendue aux mâts,
En ces affreux instants ne vous délaisse pas !
Vous l’invoquez : bientôt la tempête s’apaise ;

Alors, en s’élançant vers la blanche falaise
Où vos mères déjà pleuraient sur votre mort,
L’équipage sauvé rentre joyeux au port,
Et va se prosterner à l’autel de Marie !

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La sœur des exilés, leur compagne chérie,
Celle qui nous soutient au milieu des malheurs,
L’Espérance en tous lieux sait calmer nos douleurs
En versant sur nos maux un bienfaisant dictame ;
Frères, à sa douce voix ouvrez, ouvrez votre âme :
Vous verrez s’embellir vos sentiers ici-bas ;
La rose du bonheur éclôra sous vos pas ;
En Éden enchanteur la terre transformée,
D’ombrages et de fleurs sera partout semée !
Venez vous ranimer au foyer de la foi !
Si de notre Jésus vous connaissiez la loi,
Ah ! si vous compreniez son aimable langage,
Vous sentiriez en vous un céleste courage
Qui de vos passions dompterait la fureur !
Daigne les inspirer, je t’en prie, ô Seigneur !
À leurs yeux dévoilés fais briller ta lumière !
Comme l’encens, vers toi fais monter ma prière !

Si, dans cet âge dur, ce n’était le Croyant,
Qui supplîrait le Ciel ? serait-ce le méchant ?
Le méchant !… il nous dit que ton astre se voile,
Et qu’un autre soleil fait pâlir ton étoile,
Ô Christ ! à ce propos notre cœur ne croit pas ;
Nous voulons t’adorer jusqu’au jour du trépas !
Qu’il blasphème ton nom, raille de tes exemples ;
Pour l’autel du veau d’or qu’il délaisse tes temples ;
À l’abri des remords dont l’accable ta loi,
Céleste Rédempteur, qu’il vive loin de toi :
Pour nous, en déplorant son aveugle démence,
Nous voulons en toi seul mettre notre espérance !

La foi, la charité, la liberté, les mœurs,
Le bonheur et la paix, tout périt si tu meurs ;

Le monde, enveloppé dans ses erreurs funèbres,
Sans toi se plongerait dans l’horreur des ténèbres ;
Mais ton phare élevé qui luit sur l’univers,
Répandra ses clartés jusqu’au fond des déserts !
Les siècles passeront, ta morale immortelle,
Divin consolateur, restera toujours belle !
L’homme, cet être ingrat, loin de son souvenir,
Qu’importune ta loi, voudrait bien te bannir ;
Mais toujours il te voit présent à sa pensée !
Toi seul tu peux guider sa raison insensée !
C’est toi seul qui soutiens la faible humanité !
C’est toi seul qui conduis à l’immortalité !


ÉPILOGUE.


Un jour, si de la foi le splendide navire
Sur l’océan du monde à nos regards chavire,
Aux vôtres, ô Croyants, nous joindrons notre effort,
Afin de ramener ce beau navire au port.
Providence divine, en toi j’ai confiance ;
Il ne périra pas, j’en nourris l’assurance !
Les autans en fureur, contre lui conjurés,
N’oseraient l’assaillir sans tes ordres sacrés !
Pendant longtemps encore on lui fera la guerre ;
Pour briser ses haubans, l’incrédule corsaire
Lancera la grenade et les boulets ramés :
Jamais ses flancs d’airain ne seront entamés !
Un vent doux et propice enflera sa voilure ;
Les anges défendront sa solide mâture ;
Au milieu du combat, leurs invisibles mains
Détourneront les coups des forbans inhumains,
Et de ses ennemis en méprisant la rage,
Le vaisseau de la foi, vers un autre rivage,
À travers les écueils voguant tranquillement,
Dans un paisible port entrera sûrement ;
Ses pieux passagers, sur ces bords pleins de charmes,
Loin de leurs cœurs alors verront fuir les alarmes ;
Car en ce port heureux la douleur n’entre pas.
La rose parfumée y naîtra sous leurs pas ;
De leurs yeux tomberont les mystérieux voiles ;
Devant eux brillera l’auréole d’étoiles

Qui couronne en ces lieux le front de l’Éternel ;
Ils entendront chanter le cantique immortel !
Et vous qu’ils ont aimés autrefois sur la terre,
Puissent-ils vous y voir rayonnants de lumière !


Tous les vents conjurés, l’ouragan en fureur,
Dans l’occident entier ont jeté la terreur ;
Mais, je l’espère, enfin la voix de la tempête
Va cesser de gronder, frères, sur notre tête ;
Quand la foudre s’éloigne, il coule un air plus pur,
Et d’un ciel plus limpide on voit briller l’azur :
Ainsi des passions s’apaisera l’orage ;
Le Christ va dominer, déjà naît un autre âge ;
Nous allons voir finir le règne des méchants ;
De l’univers entier les heureux habitants,
S’aimant et se prêtant une douce assistance,
N’auront qu’un seul amour, qu’une seule croyance ;
Du bonheur des humains l’enfer sera jaloux,
Et le démon vaincu bondira de courroux !
Ne trouvant plus de crime à punir sur la terre,
L’Éternel, dans les cieux, éteindra son tonnerre !


FIN.

TABLE.

(L’Auteur n’ayant pas divisé son poëme par chants, afin d’écarter tout ce qui pourrait le faire soupçonner d’avoir eu la prétention d’écrire une épopée, a pensé que le Lecteur lui saurait gré d’avoir indiqué dans une Table les principaux sujets du Croyant. Cette Table constitue ainsi une sorte de Sommaire.)


 
Pages.
 46


FIN DE LA TABLE.

Notes.


(1) Le P. Louis Hennepin, né à Ath vers 1610. Il était de l’ordre de Saint François. — Il découvrit entre le Nouveau Mexique et l’océan glacial, un pays plus grand que l’Europe, et il en dota la France. Il endura, dans cette difficile entreprise, des souffrances inexprimables. Le P. Buisset, belge d’origine, fut le compagnon de ses nobles travaux. — Le P. Hennepin est auteur de plusieurs ouvrages concernant ses longs et périlleux voyages. — Une de nos locomotives porte son nom glorieux.

(2) Kémal-Effendi, ministre de l’instruction publique en Turquie, se montre un sage réformateur ; il a la confiance du Sultan ; il peut faire beaucoup de bien à son pays en y transportant notre civilisation. Déjà il a fait fonder des écoles où nos méthodes sont suivies. (V. page 43.)

(3) Un jour Godefroid de Bouillon, avec une escorte de 12 chevaliers, revenant d’Édesse, où il avait été visiter son frère Baudouin, fut attaqué par 130 Arabes, qu’il vainquit.

(4) Le Farfar, nom que les indigènes donnent à l’Oronte, fleuve qui arrose les murs d’Antioche.

(5) Ce fut à Prêles que nos aïeux, les valeureux Nerviens, combattirent contre César et préférèrent la mort à la honte de l’esclavage.

(6) Les socialistes nourrissaient l’espoir funeste d’ensanglanter la France en 1832 ; un vaste complot, ourdi par eux, couvrait même toute l’Europe. — Cette partie du poëme était écrite lors du coup-d’état du 2 décembre, par lequel le prince Louis-Napoléon détruisit les sinistres projets de la démagogie et épargna à la Société de terribles malheurs.

(7) On se rappellera que dans une commune de France, des émeutiers brûlèrent vifs un gendarme et sa famille.

(8) Le général Bréa, sur la foi d’une parole donnée, pénétra avec confiance parmi les insurgés, en juin 1848, et ceux-ci l’assassinèrent sans pitié.

(9) L’un des fameux bulletins que lançait clandestinement le socialisme, contenait cette menace terrible.


  1. La copie a été mal interprétée pour un vers de ce passage où on lit Antioche au lieu d’Antiochette. Voici ce vers tel qu’il doit être :

    La blanche Antiochette étale au loin sa plaine.