Le Crépuscule des Nymphes, suivi de Lectures antiques/Le Crépuscule des Nymphes/6

Slatkine reprints (p. 99--).





LA SIRÈNE

Fac-similé autographe du 3ème tome des œuvres complètes de Pierre Louÿs p.103




À travers les branches horizontales ornées de grandes feuilles vertes que le vent ne remuait pas, les sept personnages regardaient la mer.

Et comme les montagnes de Corinthe sont fort élevées au-dessus des eaux, l’horizon marin semblait tendre derrière les arbres une draperie bleue et brillante où les îles jaunes comme des fruits au soleil s’accrochaient splendides aux rameaux.

« Que la mer est belle ! s’écria Philina.

— Ah ! voyez là-bas, dit Amaryllis. Certes oui, voici passer Amphitrite et le cortège des dieux dans l’écume.

— Où donc ? » demanda Rhéa.

Et Amaryllis sourit.

« Mélandryon, reprit-elle, dites-nous une histoire de la mer, et comment Poseïdôn mit à mort Ephialtès, ou la métamorphose de Glaukos en triton. »

Mélandryon tourna les yeux vers elle, et la regardant singulièrement :

« Je te parlerai de la Sirène.

Rhéa toujours inquiète : « Quelle sirène ? dit-elle.

« Il n’y a jamais eu qu’une Sirène, comme il n’y a jamais eu qu’une femme, répondit le Corinthien ; et il est à penser que ce fut le même être. Vous êtes les reflets légers de cette immobile apparence, de même que les images de la lune sont innombrables sur la mer, alors qu’elle est seule dans la nuit ; ou de même que toutes les étoiles sont des miroirs de la lumière, toujours éclairées du soleil, quand il est descendu de l’autre côté du monde.

« Ainsi fut la Sirène : semblable à vous, femmes, mais combien plus simple. Et quand j’aurai dit cette histoire, je ne sais pas si je parlerai encore, à moins que je ne trouve un plaisir à redire autrement ce que je vais vous conter. »,

Alors Mélandryon, s’étant recueilli, commença ; et sa voix n’était plus la même.

Dans les profondeurs de la mer où la nuit perpétuellement noire s’augmente de toute la pesanteur de l’eau, c’était là que pour dormir séjournait la grande Sirène.

De mystérieuses mousses et d’invisibles fleurs s’offraient au repos de son corps. À tâtons près de son visage, elle les sentait douces, mais elle ne les voyait pas, tant l’ombre était impénétrable. Une fois elle avait cueilli les plus grandes, de vastes corolles élargies qu’elle imaginait merveilleuses ; mais à mesure qu’elle remonta vers la claire surface de l’eau, le bouquet sembla se mêler dans sa main et elle ne mit au jour qu’une gelée tremblante, incolore et sans forme.

Souvent ainsi elle nageait à travers les forêts sous-marines, vers la grandissante lumière et elle s’attardait à des amusements. Son long corps souple et rapide, bête onduleuse, apparaissait ; et déjà dans le lointain des eaux, d’un coup de queue elle avait fui.

Sur les prodigieuses végétations hantées…

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