Le Crépuscule des Nymphes, suivi de Lectures antiques/Le Crépuscule des Nymphes/14

Slatkine reprints (p. 175-192).


LES FEMMES ASSEMBLÉES


LES MASQUES DE LA PIÈCE


Praxagora
Quelques femmes
Chœur des femmes
Blepyros
Un Homme
Chremès
Le Communiste
L’Anticommuniste
Un Héraut
Quelques vieilles
Une Jeune Fille
Un Jeune Homme
Une Servante
Son Maître.



LES FEMMES ASSEMBLÉES


(SCÈNE PREMIÈRE)


praxagora
Œil éclatant de ma lampe de terre cuite, suspendu comme il convient pour qu’on te voie, ô toi dont je dirai la naissance et le destin, toi qui naquis sur la roue rapide du potier, toi qui as dans ton nez la splendeur du soleil, donne en secouant la flamme le signal convenu.

À toi seule nous nous confions, et cela justement. Quand nous essayons dans nos chambres les postures d’Aphrodite, tu es là, tout près de nous, et nul ne veut cacher ton œil qui regarde les corps en mouvement. Seule, entre nos cuisses, dans nos parties secrètes tu brilles et tu brûles nos poils touffus. Si nous ouvrons en secret un fruitier plein ou une cave pleine, tu es là, tu nous aides et tu n’en parles pas avec les voisins.

C’est pourquoi tu prendras part à la délibération d’aujourd’hui, que décidèrent aux fêtes des Skires les femmes mes amies.

Il n’y en a aucune de celles qu’il faudrait. Pourtant l’aurore est proche. L’assemblée va se constituer et il faut prendre nos sièges. Sphyromakhos disait, si vous vous en souvenez : « Il faut qu’elles se cachent pour s’asseoir.

Mais qu’est-ce qu’il y a ! N’ont-elles pas pu avoir les barbes qu’on avait décidé de porter ? Ou leur a-t-il été difficile, de voler les vêtements de leurs maris ?

Je vois une lumière qui s’approche. Je vais m’écarter un peu. Si c’était un homme…

première femme
Il est temps de marcher. Comme nous sortions, le héraut cocoriquait pour la seconde fois.
praxagora
Moi, j’ai veillé toute la nuit en vous attendant. Mais voyons, appelons cette voisine en grattant à sa porte (doucement), car il faut se cacher du mari.
deuxième femme
J’ai entendu ton doigt gratter comme je laçais mes chaussures ; car je ne dormais pas. Ah ! ma chère, mon mari, le salaminien que j’ai épousé, pendant toute la nuit m’a secouée sous les couvertures. Je n’ai pu prendre son vêtement qu’à l’instant.
première femme
Je vois venir Cleinarete et Sôstrate et leur voisine Philainetê.
praxagora
Vous dépêcherez-vous ? Glykê a juré que la dernière arrivée paierait trois conges de vin et un khénix de pois.
première femme
Ne vois-tu pas Melistikhê, la femme de Smikhythion, qui se dépêche avec ses gros souliers ? Je crois bien que c’est la seule qui n’a pas eu de peine à quitter son mari.
deuxième femme
Ne vois-tu pas Geusistrate, la femme du cabaretier ? Elle tient une lampe dans sa main droite. Voici la femme de Philodorêtos et celle de Khairêtadès.
praxagora
Je vois venir beaucoup d’autres femmes, tout ce qu’il y a de mieux dans la ville.
troisième femme
Ah ! que j’ai été malheureuse avant de pouvoir m’échapper, chérie. Mon mari a tousse toute la nuit, il avait mangé des sardines hier soir.
praxacora
Asseyez-vous maintenant, puisque je vous vois toutes réunies. Ce qu’on avait décidé aux Skires, l’avez-vous fait ?
quatrième femme
Moi oui. D’abord j’ai les aisselles plus touffues que des broussailles, comme il était convenu. Ensuite, quand mon mari allait à l’agora, j’huilais mon corps tout entier, et pendant la journée je me rôtissais ainsi toute nue au soleil.
cinquième femme
Moi aussi. D’abord j’ai jeté mon rasoir pour devenir toute poilue et n’avoir plus rien de semblable à une femme.
praxagora
Avez-vous les barbes que nous devions toutes porter dans l’assemblée ?
quatrième femme
Oui, par Hékaté ! en voilà une belle.
cinquième femme
Et moi ! elle est beaucoup plus belle que celle d’Epikratos.
praxagora
Et vous ? que dites-vous ?
quatrième femme
Elles en ont, elles font signe que oui.
praxagora
Je vois aussi que vous avez tout le reste, les chaussures Iaconiques et les bâtons et les vêtements virils, comme nous avions dit.
sixième femme
Moi, j’ai le bâton de Lamias. Je le lui ai pris pendant qu’il dormait.
praxagora
Un de ces bâtons qui font p…
sixième femme
Par Dzeus sauveur, s’il avait la peau de bête du Panoptês, un autre que lui ne garderait pas le troupeau (du peuple).
praxagora
Mais voyons ce que nous ferons, pendant qu’il y a encore des étoiles. Car notre assemblée s’ouvrira dès l’aube.
première femme
Oui, par Dzeus ! il faut que tu t’asseyes sous la pierre (de la tribune) en face des prytanes.
sixième femme
Ceci, par Dzeus, je l’ai apporté, pour carder pendant l’assemblée.
praxagora
Pendant l’assemblée, malheureuse ?
sixième femme
Oui, par Artémis. Pourquoi est-ce que j’entendrais moins bien en cardant ? Mes enfants vont tout nus.
praxagora
Regardez celle-là qui veut carder ! quand il ne faut rien laisser voir de notre corps aux assistants ! Ce serait joli si l’une de nous montait (à la tribune) devant tout le monde et, se retroussant, montrait son « phormisios » !

Si, au contraire, nous nous asseyons les premières, enveloppées dans nos manteaux on ne nous reconnaîtra pas. Mettons nos barbes, attachons-les autour de notre visage. En nous voyant, qui ne nous prendrait pour des hommes ? Agyrrhios avec la barbe de Pronomos s’est caché à tous ; et pourtant il était femme ; maintenant, tu le vois, il a le premier rang dans la ville. Aussi, par le jour qui se lève, osons jusqu’à une telle audace. Si nous pouvons prendre en main les affaires, que de bien nous ferons à la ville ! Car en ce moment nous ne marcherons ni à la voile ni à la rame.

septième femme
Mais comment, faibles femmes, pourrons-nous parler dans une assemblée ?
praxagora
Cela ira très bien. On dit toujours cela des jeunes gens : ceux qui font le plus l’amour parlent le mieux. Ça nous donne des chances.
septième femme
Je ne sais pas. C’est terrible, le manque d’expérience.
praxagora
C’est pourquoi nous nous assemblons ici pour nous exercer d’avance et savoir ce qu’il faut dire. Ne te dépêcheras-tu pas de mettre ta barbe, toi et les autres qui savez parler ?
huitième femme
Ô sotte ! qui de nous ne sait parler ?
praxagora
Eh bien alors, mets ta barbe, vite, et deviens homme. Voici les couronnes ! Moi je vais mettre ma barbe aussi, au cas où je croirais devoir parler.
deuxième femme
Regarde, ô très douce Praxagora, comme la chose paraît risible.
praxagora
Comment risible ?
deuxième femme
Nos barbes autour de nos joues ressemblent à des seiches cuites.
praxagora
Purificateur, porte la chatte à la ronde ; marche en avant. Ariphradès, tais-toi, va t’asseoir. Qui veut parler ?
huitième femme
Moi.
praxagora
Mets donc cette couronne et que tout aille bien !
huitième femme
Voilà.
praxagora
Parle !
huitième femme
Comment cela ? parler avant de boire ?
praxagora
La voilà (qui veut) boire !
huitième femme
Alors pourquoi, imbécile, me serais-je couronnée ?
praxagora
Va-t’en, tu nous ferais de ces tours-là devant le peuple.
huitième femme
Pourquoi pas ? Est-ce qu’ils ne boivent pas, à l’assemblée ?
praxagora
Elle dit qu’ils boivent, maintenant !
huitième femme
Oui, par Artémis, et même du vin pur. Aussi tous les décrets qu’ils élaborent sont des œuvres d’hommes saouls. Par Dzeus, ils font des libations ; et pourquoi seraient-ils si pieux si le vin n’était pas là ? D’ailleurs ils s’injurient comme des ivrognes et les archers emmènent ceux qui ont trop bu.
praxagora
Va t’asseoir ! Tu es nulle !
septième femme
Par Dzeus, je serais mieux sans ma barbe. J’ai si soif que je me dessèche, je crois.
praxagora
Y en a-t-il une autre qui veuille parler ?
neuvième femme
Moi.
praxagora
Vite, couronne-toi, il faut travailler. Tâche que ta parole soit virile et belle, et prends contenance en t’appuyant sur ton bâton.
troisième femme
J’aurais voulu qu’un autre parlât, un de ceux qui en ont l’habitude, et que je pusse rester assis. Mais je ne puis permettre, franchement, que dans les tavernes on remplisse d’eau les fosses à vin. Non, par les deux déesses…
praxagora
Par les deux déesses ? Malheureuse, où as-tu la tête ?
neuvième femme
Qu’est-ce qu’il y a ? Je ne t’ai pas demandé à boire !
praxagora
Par Dzeus ! tu es homme et tu jures par les deux déesses ? Mais ce que tu disais était très bien.


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LE CHANT DE LA VIEILLE
ET DE LA JEUNE FILLE


la vieille
Pourquoi les hommes ne viennent-ils pas ? Il serait bien l’heure ! Fardée de céruse et vêtue d’une robe couleur de crocos je suis là pour rien, chantant à moi-même et sautillant pour exciter vers moi quelque passant. Muses, descendez sur ma bouche et trouvez-moi une chansonnette de la voluptueuse Ionie.
la jeune fille
Ah ! tu es à la fenêtre, tu me devances, ô pourriture ! tu espérais, moi absente, vendanger dans ma rue et attirer quelqu’un par tes chants ? Si tu fais cela, je chanterai aussi. Si c’est fastidieux pour les spectateurs, pourtant cela a quelque chose de joyeux et de comique.
la vieille
Parle donc à celui-ci, et va-t’en avec lui. Mais toi, ô cher petit joueur de flûte, prends tes flûtes et joue un air digne de moi et de toi.


Si quelqu’un veut goûter du bon,
Il faut qu’il couche avec moi.
Les jeunes filles ne sont pas savantes,
Mais bien les femmes mûres.
Aucune ne saurait satisfaire
Comme moi, le bien-aimé
Avec lequel je ferais l’amour ;
Une autre s’envolerait près d’un autre.

la jeune fille, (gravement)

Ne dis pas de mal des jeunes filles
Car tout ce qui est charmant réside
Entre leurs cuisses délicates,
Et fleurit sur leurs seins.
Toi, vieillarde, tu viens de t’épiler et de te peindre,
Ô délice de la mort !

la vieille

Puisse ton trou être perdu !
Puisses-tu égarer ta chaise longue
Quand tu voudras être houssée.
Et dans ton lit trouver un serpent
Que tu attireras sur toi
Quand tu voudras être embrassée !

la jeune fille, (sans l’écouter)

Hélas ! qui se laissera emmener ?
Il ne vient pas, m’ami.
Toute seule ici je suis laissée.
Ma mère est allée ailleurs,
Et il ne faut pas que je parle des autres.
Ô nounou ! je t’en supplie
Appelle Orthagoras, et
Il jouira de toi aussi, mais je t’en prie !

la vieille.

Déjà comme une Ionienne,
Malheureuse, tu as le prurit.

Je crois que tu connais même le lambda des Lesbiennes

Mais tu ne prendras jamais
Ni mon plaisir ni mon temps.
Tu ne les détruiras ni ne les voleras.

la jeune fille

Chante comme tu veux et avance la tête comme une fouine ; mais personne n’entrera chez toi avant (d’être entré) chez moi.


(L’Assemblée des Femmes, v. 877-925.)


LE CHANT DU JEUNE HOMME


Ici, donc ! Ici, donc !
Descends, je suis là.
Ouvre-moi ta porte.
Ou sinon, je tomberai mort.
Chère, dans ton
Giron, je veux
Tapotter tes fesses.
Kypris, pourquoi me rends-tu fou d’elle ?
Laisse-moi, je t’en supplie, Erôs.
Et fais que dans mon lit
Elle puisse venir
Mais à peine dans l’état où je suis
Cela est ridicule. Toi, adorée, je t’implore.
Ouvre, et embrasse-moi.
À cause de toi j’ai de la peine.

Ô mon bijou enjolivé d’or ! petite pousse de Kypris !
Abeille de la Muse ! Nourrie des Kharites ! Visage de la Langueur !
   Ouvre et embrasse-moi !
   À cause de toi j’ai de la peine.


(Assemblée des Femmes, v. 960-976.)