Le Coureur des bois (Gabriel Ferry)/II/XII

Librairie Hachette et Cie (2p. 155-166).

CHAPITRE XII

OÙ ENFIN BARAJA N’A PLUS RIEN À ENVIER À OROCHE.


On connaît maintenant la cause du long silence qui règne sur la chaîne de rochers et les embûches qu’il recèle, silence terrible, en ce qu’il permet à ceux que d’impitoyables ennemis vont attaquer de tout supposer et de tout craindre.

Cependant le soleil commençait à décliner vers l’occident ; un vent lourd et brûlant soufflait par bouffées inégales et dispersait sur l’azur du ciel de gros nuages blancs entassés à l’horizon. Ces traînées de vapeur se noircissaient en s’étendant, et, signes précurseurs d’un orage, les rameaux des sapins frémissaient quand le vent se taisait, et les vautours noirs, errants dans le désert, cherchaient l’abri des rochers.

« Vous faites-vous à peu près l’idée du nombre de ces Indiens, d’après les deux salves de hurlements qu’ils viennent de pousser ? demanda Bois-Rosé au chasseur espagnol.

– Non, et je me demande en outre avec inquiétude quel stratagème infernal ont pu leur souffler l’astuce de Sang-Mêlé et la férocité de Main-Rouge ; vous avez entendu leurs voix comme moi. Ils ont trouvé quelque chose, c’est certain ; ces hurlements de triomphe en sont la preuve.

– Nous avons pris toutes les précautions que des hommes braves et prudents peuvent imaginer, dit Fabian ; quand on a fait ce qu’on doit, il faut se résigner à tout.

– Résignons-nous donc, reprit Pepe ; mais, en attendant la soif me dévore. Vous qui êtes le plus près de la chute d’eau, don Fabian, voyez donc si, avec ma gourde mise au bout de ma baguette de fusil, vous pouvez, sans danger pour vous, y faire tomber quelques gouttes d’eau.

– Donnez, répliqua Fabian, c’est facile, et je serai bien aise d’étancher aussi la soif qui me consume. »

Fabian s’approcha de la chute d’eau en rampant, et allongeant le bras il remplit la gourde, qui fit le tour entre eux trois, après quoi, un instant soulagés, les chasseurs reprirent le plus commodément possible leur position horizontale, l’œil toujours appliqué aux embrasures de leurs remparts.

Mais, la soif satisfaite, la faim se fit de nouveau sentir ; car il était près de quatre heures, et il y en avait douze environ que les assiégés avaient pris leur frugal et insuffisant repas de farine de maïs. Outre que la nécessité faisait aux assiégés une loi impérieuse de ménager leurs vivres, il fallait attendre la nuit pour pouvoir se livrer, en sûreté et à l’abri des balles, aux préparatifs, tout simples qu’ils étaient, de ce que Pepe voulait bien appeler un souper.

Leur retranchement ne les mettait parfaitement en sûreté que tant qu’ils étaient couchés derrière, et le moindre écart de la ligne horizontale les exposait aux coups de l’ennemi.

Il y eut un moment, après une longue et nouvelle attente, où les yeux des chasseurs virent un mouvement s’opérer au sommet des rochers qui leur faisaient face, mais à un niveau, comme on sait, inférieur de quelques pieds à celui de leur plate-forme. Les buissons qui en couronnaient le faîte s’agitèrent rapidement, et bientôt un manteau de peau de bison se déploya au-dessus des branchages sur lesquels il resta étendu.

« Ah ! voilà le commencement d’exécution d’un plan quelconque, dit Bois-Rosé ; c’est pour détourner peut-être notre attention du véritable côté où sera le danger.

– Il viendra de là, soyez-en sûr, reprit Pepe ; que cinq ou six peaux de buffles soient ajoutées à celle-là, et deux hommes peuvent se mettre à genoux derrière un rempart impénétrable aux balles de nos carabines, quelque courte que soit la distance qui nous sépare. »

Comme Pepe achevait sa remarque, un second manteau, jeté par-dessus le premier par une main invisible, vint confirmer son assertion.

« Quoi qu’il en puisse être, ajouta le Canadien, je surveille attentivement toute la ligne des buissons, et pas un œil ne se montrera dans l’interstice des feuilles sans que je le voie aussitôt. »

Une troisième peau de bison ne tarda pas à être ajoutée aux deux premières ; puis, empilées les unes sur les autres, le poil tantôt en dedans tantôt en dehors, les chasseurs purent compter encore cinq autres peaux supperposées. Désormais ces manteaux formaient avec leur longue fourrure un rempart aussi impénétrable qu’un mur de six pieds d’épaisseur.

« C’est l’œuvre de ce coquin de métis, sans doute, murmura Pepe ; nous n’aurons pas trop de tous nos yeux pour ne rien perdre de ce qui peut se passer derrière cet amas de peaux. Tenez, un homme pourrait presque s’y tenir debout à présent, et un homme debout nous dominerait à peu près.

– Ah ! dit le Canadien, j’aperçois là-bas, à main gauche, les buissons qui remuent, quoique si imperceptiblement, que l’Indien qui les agite doit penser que nous prenons la main d’un homme pour le vent. »

L’endroit que désignait Bois-Rosé était à l’extrémité des rochers opposée à celle où s’élevait le rempart de peaux de buffles. Une saillie de roc protégeait une ouverture par laquelle un homme pouvait s’avancer et jeter un regard au-dessous de lui, presque sans danger.

« Bah ! dit Pepe, laissez ce drôle, et défiez-vous plutôt du métis et de son abominable père.

– Non, vous dis-je ; c’est le ciel qui nous livre l’instigateur de cet infernal guet-apens, reprit Bois-Rosé avec un accent de fureur concentrée. Le voyez-vous ? »

À l’abri derrière la saillie du roc, presque invisible à travers une franche épaisse de verdure, un homme, dont l’œil perçant du Canadien devinait plutôt qu’il ne voyait la position, était accroupi sur le rocher, immobile et n’osant encore écarter tout à fait le rideau de feuillage.

« Obliquez le canon de votre carabine, Pepe, s’écria le Canadien. Là !… bien ! qu’il ne dépasse pas la pierre qui vous couvre… et maintenant… »

Une explosion de la carabine du chasseur espagnol interrompit le Canadien, qui, moins bien placé que Pepe, avait cédé à celui-ci le soin de la vengeance commune.

Baraja, frappé à la tête, déroula son corps comme un serpent blessé, et l’appui lui manquant, il glissa sur le flanc des rochers, entraînant avec lui un pan de la draperie de verdure qui les tapissait, et tomba dans le val d’Or. Là, dans les dernières convulsions, ses mains crispées tracèrent un long sillon au milieu de cet or qu’il payait de son sang et qu’il mordit en expirant.

Par un hasard presque providentiel, le pan de verdure qu’il avait entraîné avec lui voila de nouveau le trésor à l’œil de tout homme qui en ignorait l’existence. À l’exception de Diaz et des trois chasseurs, ce fatal secret avait coûté la vie à tous ses possesseurs.

Quant à Baraja, son expiation avait été complète. La peine du talion l’avait atteint avec son inexorable rigueur. Les tortures morales qu’il avait endurées au fatal poteau vengeaient celles d’Oroche, et comme le gambusino, emportant son or avec lui dans l’abîme, Baraja venait de rendre le dernier soupir sur le trésor qu’il avait si ardemment convoité.

« Le coquin est dans l’or jusqu’au cou, dit philosophiquement Pepe.

– Dieu est juste, » ajouta le Canadien.

Et les trois justiciers du désert échangèrent un regard de vengeance satisfaite.

« Cherche maintenant où est le trésor qu’on t’avait promis, métis du diable, dit l’Espagnol ; décidément j’ai bien fait de voiler la surface du vallon. »

Le ciel s’était couvert petit à petit pendant cette nouvelle exécution, et l’écho répéta les premiers et sourds grondements du tonnerre lointain ; puis un profond et majestueux silence succéda à la voix de l’orage qui allait bientôt éclater.

« Une terrible nuit se prépare, dit Bois-Rosé, pendant laquelle nous aurons à lutter contre les hommes et contre les éléments déchaînés. Fabian, glissez-vous en rampant jusqu’au bord opposé de la plate-forme, et voyez si notre poudre est bien à l’abri, vu le cas où l’orage viendrait à éclater avant la nuit. En même temps, jetez un coup d’œil sur la plaine au-dessous de vous, et assurez-vous si les quatre coquins qui sont là-bas n’ont pas quitté leur tanière. »

Pendant que le jeune homme s’éloignait silencieusement pour obéir aux ordres du Canadien, celui-ci poussa un soupir et dit à l’Espagnol :

« Mon âme est sombre comme ces nuages qui portent la pluie et le tonnerre. Je sens mon cœur faible comme celui d’une femme ; de noirs pressentiments, dont je ne voudrais pas trahir la pensée à cet enfant qui est à mes côtés, ont abattu ce courage dont j’avais été si fier jusqu’à ce jour. Pepe, n’avez-vous rien à dire pour consoler votre vieux compagnon de périls ?

– Rien, mon pauvre Bois-Rosé, répondit le carabinier, sinon que si, ce dont Dieu me préserve, une balle de ces démons venait à vous…

– Je ne parle pas de moi, interrompit le coureur des bois ; si je fais cas de la vie maintenant, c’est un peu pour vous et surtout pour Fabian. Ne vous offensez pas de ma franchise ; car j’ajoute qu’entre vous deux il me semble que j’arriverais au déclin de mes jours comme sur l’un de ces beaux et larges fleuves aux rives sauvages et fleuries, dont nous avons si souvent suivi le cours ensemble dans notre canot d’écorce, allumant ici le feu de notre bivouac de nuit à l’ombre des sumacs et des magnoliers, nous arrêtant plus loin pour trapper les castors ou pour chasser les daims qui venaient à l’abreuvoir. J’ai peur d’autre chose que de perdre la vie.

– Je vous comprends, dit Pepe ; vous craignez d’être séparé, mais sans mourir, comme vous le fûtes déjà.

– C’est cela, Pepe ; vous avez touché du doigt la corde de douleur qui vibre au dedans de moi. Si donc je venais à tomber entre les mains de ces Indiens, ne vous exposez pas à suivre ma trace pendant des semaines entières, comme vous l’avez déjà fait pour moi ; abandonnez à son sort un vieillard inutile, et reconduisez Fabian en Espagne, aidez-le à reconquérir ce qu’il a perdu : seulement ne lui laissez pas oublier (car la jeunesse est oublieuse, Pepe), ne lui laissez pas oublier qu’il y avait dans le monde un homme pour qui sa vue était comme l’ombre du mezquité sur le sable brûlant du désert, comme la colonne de fumée qui guide le chasseur égaré, ou l’étoile du Nord qui surgit du brouillard et lui montre sa route. »

Le vieillard se tut et renferma ses sombres idées au fond de son cœur. Fabian venait reprendre sa place.

« Nos munitions sont à l’abri, dit-il ; mais je n’ai rien vu dans la plaine.

– Les coquins sont restés dans leur trou pour n’en sortir, comme les orfraies, qu’à la nuit, fit Pepe ; alors nous les verrons se glisser jusqu’au pied de cette colline : car sans doute ils n’attendent plus maintenant que l’obscurité des ténèbres pour nous attaquer.

– Je n’en crois rien, reprit le Canadien ; mais, si le jour tombe sans qu’ils aient mis à exécution le plan qu’ils ont combiné, je sais bien qui, à la faveur de l’orage, leur épargnera la moitié du chemin. Nous ferons une sortie à nous deux, Pepe, comme cette nuit où, sur les bords de l’Arkansas, nous fûmes éventrer ces Indiens qui croyaient si sûres les loges de castors où ils s’étaient cachés.

– Oui, répondit Pepe ; si jamais on nous attache au poteau du supplice et qu’on nous prie poliment de chanter notre chant de mort, nous aurions une longue kyrielle de massacres de peaux rouges à leur débiter. »

Cependant, malgré l’assertion du Canadien, l’attaque semblait devoir se différer encore. Depuis quelque temps, un nuage de fumée avait commencé à s’élever en spirales épaisses derrière la chaîne de rochers.

Les chasseurs eurent d’abord quelque peine à s’expliquer pour quel motif les assiégeants allumaient du feu ; mais, affamés comme ils l’étaient, ils le devinèrent bientôt. La brise apportait jusqu’à eux un parfum auquel leur odorat ne put se méprendre.

« Voyez-vous, les chiens ! dit Pepe ; ils auront apporté avec eux quelque quartier de venaison, et les voilà occupés à le faire rôtir, tandis que des chrétiens comme nous en sont réduits à se contenter du fumet du rôt pour tout repas. Ceci veut dire qu’ils sont résolus à nous bloquer ici, et à faire par la famine ce qu’ils n’espèrent pouvoir faire par la force. Ah ! caramba ! j’avais meilleure opinion du métis et de la brute qu’il appelle son père, et qui, tout brigands qu’ils sont, ne manquent pas de courage, tant s’en faut. »

Peu à peu la fumée cessa de monter au-dessus des rochers, et des hurlements si sauvages, qu’il fallait avoir des nerfs vigoureusement trempés pour n’en pas frissonner, s’élevèrent tout à coup et se mêlèrent aux éclats de la foudre qui se rapprochait insensiblement. On eût dit des actions de grâces d’un chœur de démons après un repas de sabbat.

Les trois chasseurs supportèrent cependant sans frémir cette affreuse harmonie. Ils redoutaient moins encore une attaque qu’un blocus.

« Répondrons-nous ? demanda Pepe.

– Non, dit le Canadien, nos carabines répondront cette fois pour nous. Mais scrutez d’un œil attentif chaque tige de buisson, chaque brin d’herbe, comme si nous avions devant nous toute une couvée de serpents à sonnettes. Ces reptiles veulent en finir avec nous avant que la nuit tombe et que l’orage éclate.

– Plaise à Dieu que vous ne vous trompiez pas ! car le jour de demain, sans compter l’obscurité, n’amènerait que de nouveaux périls. Ce coquin que nous venons d’étendre sur son lit d’or a conduit vers nous ces deux bêtes féroces, Main-Rouge et Sang-Mêlé, ainsi que ses alliés, dans le but seul de s’emparer du trésor, et sans savoir qu’il était gardé par les trois guerriers de l’îlot de Rio-Gila. Il est probable que l’Oiseau-Noir suit, à l’heure qu’il est, la trace de ceux qui lui ont tué tant de soldats ; demain sans doute ils se joindront tous ici contre nous.

– Le rempart de peaux de buffles vient de remuer, dit Fabian en interrompant Pepe dans ses suppositions vraisemblables, puisque nous savons que l’Antilope était chargé par l’Oiseau-Noir de retrouver la trace des trois chasseurs. J’ai vu, ajouta-t-il, s’agiter aussi derrière cet amas de manteaux les rubans rouges qui ornent la tête de Sang-Mêlé. »

Depuis le côté du rocher qui s’appuyait sur le flanc des Montagnes-Brumeuses, où, à l’abri de leur bouclier de manteaux, Main-Rouge et Sang-Mêlé s’étaient agenouillés, jusqu’à l’endroit où leur déclivité touchait la plaine, l’oeil des assiégés ne laissait pas un pouce inexploré. Mais, pour atteindre un ennemi dans cette dernière partie des rochers, la carabine des chasseurs devait forcément se diriger en ligne oblique, et le tireur en allonger le canon au delà de la surface extérieure des meurtrières, quoique sans se découvrir lui-même.

« Vive Dieu ! s’écria tout à coup Pepe à voix basse, voilà un Indien qui est las de vivre, ou qui veut aussi pousser une reconnaissance au milieu du val d’Or. »

Il montrait en même temps de la tête la main d’un Indien écartant avec précaution des buissons qui bordaient la chaîne de rochers à l’extrémité vers laquelle ils se joignaient à la plaine.

« Reculez-vous un peu vers la droite, dit précipitamment le Canadien à Fabian ; Pepe est trop en face de lui pour l’atteindre facilement sans se découvrir. »

Fabian se recula vivement presque jusqu’au bord de la plate-forme, du côté de la chute d’eau, pour laisser à Bois-Rosé la liberté de ses mouvements.

« Cet homme, ajouta le Canadien, est frappé de démence ; voyez, il semble vouloir provoquer un coup de carabine en signalant sa présence. »

En effet, l’ennemi, dont on ne voyait que la main, agitait les buissons avec une persévérance ou bien malhabile ou bien perfide, car il était impossible de ne pas apercevoir la manœuvre.

« C’est peut-être quelque ruse de guerre pour attirer notre attention de ce côté, dit Pepe ; mais soyez tranquille, j’ai l’œil partout.

– Ruse ou non, reprit le Canadien, je l’ai là au bout de mon canon, et je pourrais d’ici lui briser le bras entre le pouce et le poignet. Reculez-vous encore, si c’est possible, Fabian, j’ai besoin d’obliquer un peu plus à gauche : car, si la main est là, son corps est plus loin. Bon, à présent je suis en position convenable.

Comme le Canadien achevait ces mots, le cri aigu d’un oiseau de proie sembla tomber du haut des airs jusqu’à l’oreille des chasseurs, et tout à coup l’Indien lâcha les buissons, et sa main disparut.

Il fut impossible à Pepe et à Bois-Rosé de se rendre compte exactement du cri qu’il venait d’entendre et de deviner si c’était un signal ou la voix d’un des milans qu’ils voyaient planer au-dessus de leurs têtes. Un coup de tonnerre, dont les Montagnes-Brumeuses répercutèrent l’explosion, mit en fuite toute la bande d’oiseaux.

Devant le terrible orage qui allait bientôt éclater, tous les êtres animés, saisis de crainte, cherchaient un abri. La terre elle-même semblait voiler sa face devant la voix qui sortait des nuages. Les hommes seuls restaient silencieux en attendant le moment de s’entr’égorger.

« Le diable rouge ne va pas tarder à revenir, dit le Canadien, car personne ne bouge en face de nous ; et, au fait, ce n’est que par la plaine, et non du haut de ces rochers, qu’ils peuvent monter jusqu’ici. »

Prêt à faire, feu sur le premier qui se hasarderait à franchir l’espace entre la chaîne de rochers et le pied de la pyramide, le rifle de Bois-Rosé restait immobile, la bouche dirigée vers le buisson que la brise n’agitait même plus.

« Ah ! dit le Canadien, le coquin revient à la charge, encouragé par l’impunité. Mais, de par tous les diables ! je n’ai jamais vu un Indien se comporter de la sorte. C’est quelque désespéré des Prairies qui aura fait vœu de se faire briser le crâne à la première occasion. »

La conduite de l’Indien semblait, en effet, justifier la supposition qu’il était un de ceux qui, parmi les hommes de sa race, accomplissent encore aujourd’hui des vœux extravagants, semblables à ceux que faisaient jadis nos ancêtres gaulois, aussi sauvages que les Indiens d’Amérique.

D’un bond, le guerrier rouge s’était élancé des rochers jusqu’à l’enceinte de cotonniers et de saules du val d’Or, et là, quoique caché derrière cet abri impénétrable de branches et de verdure, sa tête le dépassait tout entière, et ses yeux brillaient d’un feu que la certitude de la mort ne pouvait éteindre. Il fixait la carabine de Bois-Rosé, qui sortait lentement de la fente des pierres, comme s’il eût voulu fasciner le tireur.

« Il l’aura voulu, » dit Bois-Rosé, obligé par la position de l’Indien de faire feu de haut en bas, et d’allonger le canon de son rifle qui dépassa le rocher d’un demi-pied.

Trois explosions et deux cris de douleur résonnèrent presque en même temps. La première détonation était celle de l’arme du coureur des bois ; le premier cri, l’agonie de l’Indien qui poussait par bravade son hurlement de mort.

Les deux autres détonations presque instantanées annoncèrent les coups de Main-Rouge et de Sang-Mêlé. Le second cri de douleur était poussé par le Canadien. Deux balles avaient frappé à la fois le canon de son rifle, qui, violemment arraché de ses mains, roula près de l’Indien expirant.

Cœur-de-Roc eut encore la force de s’en saisir, et sa main défaillante le lança au pied des rochers, puis il ne bougea plus. Des hurlements de joie féroce accueillirent ce dernier exploit, tandis que le vieux chasseur, désarmé, jetait sur Pepe et sur Fabian un regard de mortelle angoisse.

Pendant ce temps, le ciel s’assombrissait toujours.