Le Conte du tonneau/Tome 2/06

Henri Scheurleer (Tome secondp. 158-190).

DISSERTATION
OÙ L’ON PROUVE QUE
L’ABOLISSEMENT
DU
CHRISTIANISME
EN
ANGLETERRE
pouroit, dans les Conjonctures préſentes, engager nos Roïaumes dans quelques Inconveniens, & peut-être ne pas produire tous les Avantages qu’on ſemble en atendre.


Cet Ouvrage a été fait l’an 1708.



J E ſai parfaitement bien, que l’Eſprit humain ne donne jamais des marques plus ſenſibles de ſa ſaibleſſe, & de ſa préſomption, que lorſqu’il veut emploïer le raiſonnement, contre les opinions généralement reçûes, contre les modes, & contre les habitudes, qui ont pris le deſſus. Je me ſouviens, qu’on a conſidéré avec beaucoup de juſtice, comme une choſe extrémement favorable à la Liberté du Peuple, & de la Preſſe, la deſenſe qui a été faite, de parler, d’écrire, ou de faire des gageures, contre l’Union[1], avant qu’elle eut été confirmée par le Parlement. On menaça même les transgreſſeurs d’une punition ſevere, avec beaucoup de raiſon : on ne ſauroit conſiderer ceux qui s’opoſent au torrent des idées communes, que comme des Peturbateurs du Repos public. Sans parler de l’Extravagance, qu’il y a à former toutes ſortes de projets évidemment inutiles, il eſt certain, que ces gens-là commettent un crime de Lèze-Societé, en péchant contre ce principe fondamental, la voix du Peuple eſt la voix de Dieu.

Je crains bien, que, par les mêmes raiſons, il n’y ait de l’imprudence à argumenter contre l’Aboliſſement du Chriſtianiſme, dans une Conjoncture, où l’on remarque, que tous les partis, & toutes les differentes Sectes, y ont le même panchant ; comme il paroit clairement, par leurs Diſcours, leurs Ecrits, & leurs Actions. Malgré cette conſidération ſi forte, ſoit par une ſingularité affectée, ſoit par la perverſité ordinaire de la nature humaine, ſoit par une force ſuperieure de ma deſtinée, il m’eſt impoſſible d’être entierement de cette opinion. J’avouë même, que quand je ſerois ſur, que le Procureur-General me pourſuivroit en juſtice, je ne ſaurois m’empêcher de ſoutenir, que, dans la ſituation préſente de nos affaires, il n’y a pas une neceſſité abſoluë de déraciner entierement le Chriſtianiſme dans notre Patrie.

Cette Propoſition paroitra peut-être ſurprenante, dans un ſiécle ſi ſage, & ſi amateur même des Paradoxes ; &, pour cette raiſon, je manierai ce ſujet avec toute la délicateſſe, & toute la précaution imaginable, en manquant, auſſi peu qu’il me ſera poſſible, au reſpect qui eſt dû à la pluralité des voix.

J’obſerverai ici en paſſant juſqu’à quel point le génie univerſel d’une nation eſt ſujet à changer en moins d’un demi-ſiècle. J’ai entendu dire à des gens d’âge, qu’ils ſe ſouviennent d’un tems où le ſentiment contraire à celui, qui eſt à préſent généralement adopté, avoit abſolument la vogue, & où le projèt d’abolir le Chriſtianiſme auroit paſſé pour auſſi abſurde, que le paroit à préſent la hardieſſe d’écrire contre une pareille entrepriſe.

J’avoue ingenument, que toutes les aparences ſont contre moi. Le Syſtême de l’Evangile, aïant parmi nous la deſtinée de tous les autres Syſtêmes, eſt décrié generalement ; & il eſt trop vieux, pour conſerver encore quelque reſte d’Autorité. Toute la maſſe même du petit Peuple, où le credit du Chriſtianiſme s’eſt ſoutenu le plus long-tems, en a à préſent tout autant de honte, que les perſonnes de naiſſance. Je ne m’en étonne pas ; les opinions, comme les modes, deſcendent par caſcade du noble juſqu’au bourgeois ; de-là, elles tombent au milieu du vulgaire, comme dans un canal ou elles s’écoulent, & diſparoiſſent à la fin entierement.

Avant que d’entrer dans la tractation de ma matiere, je ſuis obligé, pour ôter toute ambiguité, d’emprunter une dinſtinction de certains Auteurs, qui font une difference entre Trinitaires de Nom, & Trinitaires réels. J’eſpere qu’aucun Lecteur ne ſera aſſez injuſte à mon égard, pour ſe mettre dans l’eſprit que mon deſſein eſt de défendre le Chriſtianiſme réel, qui, dans les premiers ſiecles, s’il en faut croire les Auteurs de ces tems-là, influoit ſur les idées & ſur les actions des hommes. Je conviens, que ce ſeroit-là le projet du monde le plus abſurde & le plus pernicieux. Ce ſeroit vouloir détruire d’un ſeul coup toute l’Erudition du Roïaume, tous les Arts, toutes les Sciences, & tous ceux qui les enſeignent. Ce ſeroit vouloir renverſer toute la Conſtitution de notre Patrie, ruiner notre Commerce, & changer en Deſerts la Cour & la Bourſe.

Il y auroit la même abſurdité, que l’on découvre dans le Conſeil, que donne Horace aux Romains, de ſe tirer de leurs vices, & de la corruption de leurs mœurs en abandonnant leur Ville, & en cherchant une nouvelle demeure, dans quelque coin reculé de l’Univers.

Quoique dans le fond cet avertiſſement ne ſoit pas des plus néceſſaires, j’ai trouvé bon de le faire, pour éviter toute chicane. Pour le Lecteur éclairé & benevole, il comprendra facilement, que le but de mon Diſcours ne ſauroit être, que de défendre le Chriſtianiſme de Nom ; puiſqu’il y a déja bien du tems, que le Chriſtianiſme réel a été aboli, par un conſentement unanime, comme abſolument incompatible avec nos Syſtêmes de Richeſſe & de Grandeur. Mais, j’avoue, qu’il m’eſt impoſſible de comprendre, qu’il doive ſuivre de-là néceſſairement, qu’il faut abjurer le nom de Chrétiens. Je vois que tout le monde s’y accorde ; mais, je ne ſaurois convenir de la ſolidité des raiſons qui les y portent. Je ſais bien que les Entrepreneurs de cette affaire prétendent, que la Nation recevra des Avantages conſiderables de la réüſſite de leur projet, & qu’ils font des Objections allez plauſibles contre nos Syſtêmes du Chriſtianiſme ; mais, je crois, qu’il n’eſt pas impoſſible de les réfuter. J’en fais ma tache aujourd’hui : je conſidererai brievement la force de leurs Argumens, & je promets de la mettre dans tout ſon jour. Enſuite, je ferai voir les Inconveniens, que cette innovation pouroit trainer après elle, dans la ſituation preſente de nos affaires. C’eſt-là tout le Plan de ma Diſſertation.

Un des plus grands Avantages, qu’on atache à l’Extirpation du Chriſtianiſme, c’eſt que par-là on élargiroit beaucoup les bornes de la liberté de conſcience, ce grand boulevard de la Nation, & de la Religion Proteſtante, auquel les Fraudes pieuſes font de frequentes breches malgré la bonne intention de nos Legiſlateurs. Nous en avons vu un terrible Exemple depuis peu. Deux jeunes Cavaliers de grande eſperance, d’un eſprit vif, & d’un jugement profond, aïant meurement examiné les Cauſes & les Effets, avoient découvert par la ſeule force de leurs Lumieres naturelles. débaraſſées de toute rouille d’Erudition[2], qu’il n’y a point de Dieu ; & ils avoient généreuſement communiqué aux autres cette Découverte ſi importante, & ſi néceſſaire au bien public. On eut la barbarie de leur en faire un crime, & tirant de la pouſſiere quelque vieille loi, à qui la coutume avoit ôté toute autorité, on pouſſa la ſeverité juſques à les caſſer comme Blaſphemateurs. Voilà ce qu’on ne ſauroit apeller autrement, qu’un commencement de Perſécution, qui s’étend toûjours avec rapidité, dès qu’on lui permet d’entamer ſeulement la Societé humaine.

A cela je repons, en ſoumettant pourtant mon ſentiment à celui d’autres eſprits plus éclairez, que cet exemple même fait voir évidemment la neceſſité d’une Religion de Nom parmi nous. Les grands Genies aiment à traiter cavalierement les objets les plus élevez ; &, ſi en aboliſſant toute Religion, on leur ôte une Divinité, ſur laquelle ils puiſſent exercer la force de leur eſprit, ils ſe jetteront ſur les perſonnes de diſtinction ils parleront mal du gouvernement, & ils diront des ſotiſes du Miniſtere : ce qui ſera aſſeurément d’une conſequence infiniment plus dangereuſe, que les traits qu’ils lancent à preſent contre Dieu. Une Sentence de Tibere eſt formelle là-deſſus : Deorum offenſa Diis curæ.

Pour ce qui regarde le fait particulier, dont je viens de faire mention, on m’accordera facilement, qu’on ne ſauroit fonder une propoſition générale ſur un ſeul exemple. On peut dire à la conſolation de tous ceux, qui craignent une pareille intolerance, qu’il n’eſt pas poſſible d’en alleguer un autre. Ne ſait-on pas, que des diſcours blaſphematoires ſont prononcez tous les jours, avec toutes la liberté imaginable, dans les Cabarets, & dans tous les autres lieux, où les honnêtes-gens ſe voïent.

J’avouë ingenument, que de punir le Blaſpheme en dépouillant de ſon Employ un Officier Anglois né libre, eſt un Acte de Depotiſme aſſez vif, pour en parler dans les termes les plus modeſtes ; & qu’il eſt difficile de juſtifier le General[3], qui s’en eſt rendu coupable. Peut-être craignoit-il, que ces ſortes de diſcours ne fuſſent propres à ſcandaliſer les Alliez, parmi leſquels c’eſt peu-être la mode de croire en Dieu : c’eſt tout ce qu’on peut alleguer de plauſible en ſa faveur. Car, ſe fonder ſur un principe, que d’autres ont admis, ſavoir, qu’un Officier, capable d’inſulter la Divinité, pourroit bien un jour aller aſſez loin, pour exciter une mutinerie contre ſon Chef, c’eſt en verité ſe méprendre groſſierement. Le Général d’une Armée Angloiſe courreroit riſque d’être fort mal obéï, ſi ſes Soldats n’avoient pas plus de reſpect pour lui, que pour la Divinité.

On objecte encore contre cette eſpéce de Chriſtianiſme dont il s’agit ici, qu’elle oblige les hommes à croire des choſes trop difficiles à comprendre, pour des eſprits forts, & pour tous ceux qui ont ſecoué les préjugez, & qui s’atachent à une éducation bourgeoiſe & ordinaire. Mais, il me ſemble, qu’on devroit être trop prudent, pour faire des objections qui paroiſſent tendre à donner de foibles idées de la Sageſſe de la Nation. Quoi ! n’eſt-il pas permis à chacun d’entre nous de croire tout ce qu’il veut & de rendre public ce qu’il croit, quand il le trouve à propos, ſur-tout quand ſes opinions ſervent à affermir le parti, qui a raiſon dans ce tems-là ? Qu’on me diſe de bonne-foi : Un Etranger, qui liroit les fadaiſes, qui ont été écrites depuis peu par Aſgil, Tindale, Toland, & Coward[4], & par cinquante autres, croiroit-il, que l’Evangile eſt une Regle de notre Foi confirmée par un Acte du Parlement ? Où eſt l’homme dans cette Ile, qui ſe fait un devoir de croire à l’Evangile, de dire qu’il y croit ou de ſouhaiter ſeulement qu’on diſe qu’il y croit ? On peut s’en moquer, ſans en être plus mal reçu dans les bonnes Compagnies, & ſans manquer par-là les emplois civils & militaires. Qu’importe, qu’il y ait quelques vieilles Loix, contre ces ſortes de gens ? Elles ſont ſi fort oubliées, qu’il ſeroit ridicule de ſonger ſeulement à vouloir les mettre en exécution.

On allegue encore contre le Chriſtianiſme, que, par une ſupputation fort modeſte, on trouve dans ces Roïaumes plus de dix mille Curez, dont les revenus, joints à ceux de Milords les Evêques, pourroient ſervir à entretenir du moins deux cens jeunes Cavaliers, gens d’eſprit & de plaiſir, & ennemis jurés des Fourberies des Prêtres, de l’auſterité, des jugés, & de la Pédanterie ; en un mot, gens à faire l’ornement de la Cour & de la Ville. D’ailleurs, dit-on, un ſi grand nombre de Théologiens maſſifs, & bien découplez, feroit une recrue impaïable pour nos Flottes, & pour nos Armées.

J’ai trop de bonne foi, pour ne pas convenir que cette difficulté merite notre attention ; mais, on peut y oppoſer d’autres difficultez d’un poids tout auſſi conſiderable. N’eſt-il pas aſſez néceſſaire, par exemple, que dans chacun de ces territoires, qu’on apelle Paroiſſes, il y ait du moins un ſeul homme, qui ſache lire, & écrire ? De plus, il me ſemble, qu’on compte, comme on dit, ſans ſon hôte, quand on s’imagine, que les Revenus des Egliſes de toute notre Ile ſeroient ſuffiſans, pour entretenir, de la maniere dont les honnêtes-gens vivent dans nos jours, je ne dis pas deux cens jolis Cavaliers, mais ſeulement la moitié de ce Nombre. N’eſt-ce pas tomber dans la derniere des abſurditez, que de prétendre, qu’il y auroit-là de quoi les mettre à leur aiſe, ſelon le ſens le plus moderne de ces expreſſions ? Il y a encore dans ce petit projèt-là, quelque aimable qu’il paroiſſe à la prémiere vuë, un inconvenient caché, mais un inconvenient terrible. N’imitons pas, je vous en prie, l’Extravagance de cette Femme, aſſez imprudente pour couper la gorge à la Poule, qui lui pondoit tous les matins un œuf d’or. Etendons un peu nos vuës juſqu’à l’avenir, & ſongeons à ce que deviendroient les races futures. Quelle eſpece de Poſterité pouvons-nous attendre de la mauvaiſe Conſtitution de ces gens d’eſprit & de plaiſir, qui, étant venus à bout de leur vigueur, de leur ſanté, & de leur bien, ſont forcez de reparer leur fortune, par quelque mariage desagreable, & de produire des Enfans héritiers de leurs belles manieres & de leur pouriture ?

Au lieu de ces Meſſieurs-là, nous avons à préſent dix mille hommes, réduits par les ſages Reglemens de Henry VIII. à un petit revenu, qui les force à conſerver leur ſanté par la diéte, & par la continence. On leur feroit le plus grand tort du monde, ſi on ne les reſpectoit pas, comme le fond aſſuré & comme la baſe la plus folide d’une Poſterité vigoureuſe. Il eſt certain que, ſans eux, tout le Roïaume deviendroit, dans deux générations d’ici, un Hôpital univerſel.

On propoſe encore, comme un Avantage très-conſiderable de l’Abolition du Chriſtianiſme, le gain clair d’un jour de la ſemaine, dont la perte rend à préſent tout le païs moins conſiderable d’un ſeptiéme, pour le Commerce, les Affaires, & les Plaiſirs. On y ajoûte que, par la Religion, le public perd tant d’édifices magnifiques qui ſont entre les mains du Clergé, & dont on pourroit faire des Sales pour la Comedie, des Bourſes, des Halles, des Maiſons de Plaiſir, & d’autres Edifices publics.

On me le pardonnera bien, j’eſpere, ſi je prends la liberté de traiter cet argument de chicane dans les formes. Je veux bien avoüer, qu’il y a eu au tems jadis une coutume parmi nos Concitoïens d’aller tous à l’Eglife, les Dimanches ; & je crois que c’eſt, pour en conſerver la memoire, qu’il y a encore des gens, qui, ce jour-là, ferment leurs Boutiques.

Mais, quel obſtacle imaginable trouve-t-on là-dedans pour les affaires, & pour les plaiſirs ? Eſt-ce un ſi grand malheur, pour les gens qui ſavent vivre, de jouer dans leurs maiſons, un ſeul jour de la ſemaine ? Les Caffez, & les Cabarets, ne ſont-ils par ouverts les Dimanches, comme les autres jours ? Y a-t-il un tems plus convenable, pour prendre Médecine ? Les Filles de Joie ſont-elles alors plus chiches de leurs faveurs que de coutume ? N’eſt-ce pas un tems très-utile au Négocians, pour ajuſter les comptes de la ſemaine paſſée ; & aux Gens de Robbe, pour préparer leurs Piéces ?

Par raport aux Egliſes, je ne comprends pas comment on peut prétendre, que ce ſont à préſent des bâtimens, dont le public ne tire pas le moindre uſage. Ce ſont les lieux du monde les plus propres pour les Rendez-vous amoureux. Les bancs, qu’on y a placez vis-à-vis de la chaire, ſont les endroits de l’Univers, où un habit magnifique paroit le plus à ſon avantage ; & il n’y a point d’édifice dans tout le Roïaume, où l’on faſſe de plus grandes affaires, & où l’on dorme mieux.

Un Avantage infiniment plus conſiderable paroit devoir ſuivre de l’Abolition du Chriſtianiſme : c’eſt l’Extinction generale de toutes nos Factions, enflammées ſur-tout, par les Noms odieux & efficaces de Haute & Baſſe Egliſe, de Whigs & de Toris, d’Anglicans & de Presbyteriens. Tous ces Partis ſervent à préſent d’entraves à nos compatriotes : ils bornent toutes leurs actions, à chercher les avantages d’une telle faction, & l’abaiſſement de telle autre, ſans leur permettre de faire la moindre attention au bien public.

Si j’étois ſûr que l’Extirpation du Chriſtianiſme calmât toutes ces animoſitez pernicieuſes, je me rendrois d’abord, & je ne dirois plus un ſeul mot contre le projèt en queſtion ; mais, peut-on dire, que ſi aujourd’hui un Acte du Parlement chaſſoit du langage les mots, paillarder, s’enyvrer, fourber, mentir, voler, nous nous leverions tous demain ſages, temperans, juſtes, integres, amateurs de la verité ? La conſequence eſt-elle bien exacte ? Quoi ! ſi les Medecins nous défendoient de prononcer les termes de Goute, de Gravelle, de Rheumatiſme, &c. cet expédient ſeroit-il un Talisman aſſez efficace, pour détruire toutes ces maladies mêmes ? L’eſprit de parti & de faction fait dans les cours des impreſſions trop fortes, pour être effacées ſi facilement, par la ſuppreſſion de quelques termes empruntez de la Religion. Si ces expreſſions odieuſes perdoient parmi nous le droit de Bourgeoiſie, l’envie, l’orgueil, l’ambition, & l’avarice ſont des Dictionaires aſſez complets, pour nous en fournir d’autres. En cas de beſoin, Heyduks, Mameluks, Mandarins, Bachas, ou quelque autre terme formé à tout haſard pourroient ſervir à diſtinguer ceux, qui ſont dans le Miniſtere, d’avec ceux qui voudroient bien y être, s’ils pouvoient. Qu’y a-t-il de plus aiſé que de changer quelques Phrazes, & au lieu de parler de l’Egliſe, de propoſer comme un Probleme ſi le Monument eſt en danger, ou non ? Si la Religion a été aſſez officieuſe pour offrir la prémiere à nos eſprits factieux quelques termes cauſtiques, s’en ſuit-il que notre imagination n’eſt pas aſſez riche, pour nous dédommager de leurs perte ? Suppoſons que les Toris ſe déclaraſſent pour la Signora Margarita ; les Whigs, pour Mademoiſelle Tofts ; & les Moderez, pour Valentini[5] : Margaritiens, Toftiens, & Valentiniens, ne ſeroient-ce pas d’aſſez beaux Noms de Parti ? La Faction des Praſini & des Veneti, la plus turbulante qui ait jamais troublé l’Italie, a tiré ſon nom, ſi je m’en ſouviens bien, de quelques rubans de differente couleur. Eſt-ce que chez nous le bleu & le vert ne peuvent pas rendre le même ſervice, & partager auſſi bien la Cour, le Parlement, & tout le Roïaume, qu’aucune Dénomination empruntée de l’Egliſe ? Par conſequent, cette Objection contre le Chriſtianiſme, malgré cette apparence plauſible dont elle nous éblouit d’abord, eſt dans le fond peu de choſe ; & l’Avantage, dont elle nous flatte, n’eſt qu’une pure chimere.

Nos Entrepreneurs ſoutiennent encore, que c’eſt une coutume d’une abſurdité très-ridicule, de louër & de païer une troupe de gens, pour brailler, une fois par ſemaine, contre les methodes, dont on ſe ſert le plus communément, pour ſe procurer de la Grandeur, de la Richeſſe, & du Plaiſir. Cette Objection fait pitié : elle eſt indigne, en verité, des Lumiéres d’un ſiecle auſſi éclairé, que le nôtre. J’en apelle au gout rafiné de tout Eſprit fort ; & je lui demande, ſi, en cherchant à ſatisfaire quelque paſſion favorite, il n’a pas toûjours ſenti un merveilleux ſurcroit de plaiſir, en ſongeant que ce qu’il faiſoit étoit défendu ? Ce n’eſt uniquement, que pour cette raiſon, que la Sageſſe de nos Legiſlateurs prend un ſoin ſi particulier de faire porter aux Dames des Etoffes défenduës, & de faire boire à nos gourmets du Vin dont on ne permet pas l’entrée[6]. Il ſeroit à ſouhaiter même qu’on augmentât ces ſortes de défenſes, pour donner de la pointe aux plaiſirs des ſujets ; qui, faute de pareils expediens, commencent à tomber en langueur, & à devenir de plus en plus acceſſibles aux Maladies de la Ratte.

On propoſe encore, comme un Avantage très-conſiderable, que, ſi on bannit une fois l’Evangile de nos Roïaumes, elle envelopera dans ſa ruïne toute Religion en général, avec tous ces préjugez pernicieux de l’éducation, qui, ſous les noms de Vertu, de Conſcience, d’Honneur, & de Juſtice, ne font que troubler le repos de l’homme, & que ce qu’on apelle veritable raiſon & force d’eſprit eſt preſque incapable de déraciner pendant tout le Cours de la Vie.

J’obſerverai d’abord, qu’il eſt plus difficile, qu’on ne penſe, de défaire le langage d’une phraze dont le public s’eſt une fois entêté ; telle eſt cette expreſſion qui eſt ſi fort en vogue, Préjugez de l’Education. Il y a quelques années, que quand on voïoit à quelqu’un un nez de mauvaiſe augure, on attribuoit cette deformité aux Préjugez de l’Education. C’eſt de cette même ſource, qu’on dérive toutes nos idées ridicules de la Juſtice, de la Pieté, de l’Amour de la Patrie, de la Divinité, d’une Vie future, d’un Ciel & d’un Enfer, &c. Il ſe peut bien, qu’autrefois cette prétention n’étoit pas ſans fondement mais, on a depuis peu tellement changé la methode de l’éducation ; on a eu ſi grand ſoin d’éloigner de l’Eſprit de la jeuneſſe ces ſortes de Préventions, que je dois avouer à l’honneur de notre âge, ſi poli & ſi éclairé, que les jeunes Cavaliers, qui ſont à préſent ſur la Scene, ne paroiſſent pas avoir la moindre teinture de ces petiteſſes d’eſprit. Ces racines de credulité, & de ſuperſtition, ne ſe trouvent pas dans leurs cœurs, & par conſequent il n’eſt pas néceſſaire d’abolir le Chriſtianiſme de nom, pour les extirper.

Peut-être même pourroit-on nier, qu’il ſoit utile de bannir de l’eſprit du vulgaire toute idée de Religion. Ce n’eſt pas que je fois du ſentiment de ces Réveurs, qui prétendent, qu’elle n’eſt qu’une Invention des Politiques, pour tenir le petit Peuple en bride, par la crainte de certaines puiſſances inviſibles. Si leur ſentiment eſt fondé, les hommes d’alors doivent avoir été bien differens de nos Contemporains. Je ſuis perſuadé, que toute la maſſe de notre Peuple Anglois peut diſputer aux perſonnes de la prémiere qualité le rang de l’Incredulité, & de l’Irreligion. Ce qui me fait avancer le problème ſuſdit, c’eſt que je conçois, que quelques notions vagues d’un Etre ſupreme peuvent fournir des moïens excellens, pour apaiſer les Enfans qui font les mutins, & des Lieux-communs admirables, pour nous amuſer pendant les ennuieuſes ſoirées de l’Hyver.

Le dernier avantage, qu’on prétend tirer de l’Abolition du Chriſtianiſme, c’eſt qu’elle contribuera beaucoup à reünir toutes les differentes parties du Corps Proteſtant, en faiſant main baſſe ſur tous les Syſtêmes de Théologie, & ſur toutes les Confeſſions de Foi. Par-là, dit-on, on donnera l’entrée à tous les Nonconformiſtes, qu’on éloigne à preſent, pour l’amour d’un petit nombre de Ceremonies, qui paſſent pour indifferentes parmi les gens ſenſez de tous les partis. C’eſt le ſeul moïen de venir à bout de cette Union ſi impratiquable juſqu’à préſent ; & tout le monde pourra entrer ſans peine par la large porte, qui leur ſera ouverte de tous cotez. A préſent, en marchandant & en chicanant avec les Nonconformiſtes, ſur un petit nombre de formalitez, on entr’ouvre ſeulement un petit nombre de guichets, où l’on ne ſauroit entrer, qu’un à un, non ſans faire de violens efforts, & ſans courir riſque d’étouffer.

Je réponds à cette Objection ſpecieuſe, qu’il y a dans le cœur humain une paſſion favorite, qui prétend avoir des liaiſons étroites avec la Religion, quoique celle-ci ne ſoit, ni ſa Mere, ni ſa Maraine, ni ſa bonne Amie : c’eſt l’Eſprit de Contradiction, qui a été au monde long-tems avant le Chriſtianiſme, & qui peut aiſement ſubſiſter ſans lui. Examinons, par exemple, ſurquoi s’exerce l’Eſprit de Contradiction, parmi les Sectaires de notre Ile ; nous verrons que le Chriſtianiſme n’y influe en aucune maniere. L’Evangile nous prêche-t-il un air morne, une démarche roide, un habilement particulier, un langage different de celui des gens raiſonnables ? Non, il prête ſeulement ſon nom à ces ſortes de fadaiſes ; &, s’il n’en étoit pas le prétexte, la ſource, dont elles ſe repandent, ſe jetteroit ſur les loix du Roïaume, & troubleroit la paix publique. Il y a une doze d’Enthouſiaſme aſſignée à chaque Nation, & ſi on ne lui fournit pas des objets convenables, elle eſt capable d’éclater, & de mettre tout en feu. Si l’on peut acheter le repos d’un Etat, en l’amuſant par quelques Cérémonies, & par quelque formalitez dans le culte, il me ſemble, qu’il eſt d’un homme ſage, de ne le pas négliger. Que les Matins ſe divertiſſent, & s’exercent ſur une peau de mouton remplie de foin, pourvû qu’on les détourne de ſe jetter ſur le troupeau.

L’intention des Couvents, qu’on trouve en ſi grand nombre dans d’autres païs, n’eſt pas ſi deſtituée de Sageſſe, comme on pourroit bien le croire. Il y a fort peu de paſſions irregulieres, & de penchans fougueux, qui ne puiſſent trouver le moïen d’avoir leurs coudées franches, & d’éclater librement, dans quelque Ordre Religieux. Tous les Cloîtres font autant d’Aſyles de Réveurs, de Mélancoliques, d’Orgueilleux de Grondeurs de profeſſion, & de gens à complot. Ils ſont les Maitres d’y évaporer les particules, qui ſeroient ſi pernicieuſes dans des membres ordinaires de la Societé ; au lieu que, dans notre Ile, nous ſommes obligez d’aſſigner à chacune de ces humeurs peccantes & dangereuſes une Secte à part, pour les empêcher de ſe jetter ſur l’Etat. Si jamais on abolit le Chriſtianiſme, il faudra de neceſſité, que les Legiſlateurs trouvent quelque autre moïen, pour en détourner le cours. Qu’importe de quelle largeur ſoit une porte que vous ouvrez, ſi vous étes ſûr, qu’il y aura un grand nombre de gens, qui ſe feront un honneur, & un merite, de n’y pas entrer, à quelque prix que ce ſoit.

Aïant de cette maniere conſideré les Objections les plus fortes qu’on peut faire contre le Chriſtianiſme en queſtion, & les principaux avantages, qu’on ſe promet du projet de l’abolir, je vais à préſent, avec la même ſoumiſſion pour des gens plus habiles que moi, expoſer au jugement du public un petit nombre d’Inconveniens, que cette Abolition pourroit bien trainer après elle, & auxquels il ſemble que les Entrepreneurs n’ont pas fait aſſez d’atention.

Je ſuis perſuadé que nos Gens d’Eſprit & de Plaiſir, nos jolis Gens, ſont fort ſujets à murmurer, dès que leur vuë eſt choquée par quelque Eccleſiaſtique crotté. Mais, ils ne conſidérent pas, ces ſages Réformateurs, quel avantage, quelle felicité, c’eſt pour de grands Eſprits d’être toujours ſuffiſamment pourvus d’objets de mépris, & de raillerie. Rien n’eſt plus propre à exercer & à augmenter leurs Talens, & à détourner leur bile de leurs Compagnons & d’eux-mêmes. Tant qu’il y aura des Gens d’Egliſe, ces beaux Génies auront dequoi turlupiner, & dequoi invectiver, &, ce qui n’eſt pas un avantage mépriſable, d’invectiver ſans expoſer leur vie au moindre péril.

Voici encore un argument tiré de la même ſource. Si le Chriſtianiſme étoit un jour aboli, comment les Eſprits forts, les profonds Raiſonneurs, trouveroient-ils un autre ſujet ſi exactement proportionné à leur tour d’eſprit, & ſi capable d’en étaler toute la force, & toute la beauté ? De quelles merveilleuſes productions d’eſprit ne ferions-nous pas privez, ſans pouvoir nous atendre à quelque Ouvrage équivalent de la part de ces Génies, qui, s’étant uniquement exercez ſur la maniére de tourner la Religion en ridicule, ſe ſont mis hors d’état de briller ſur tout autre ſujet ? Nous nous plaignons tous les jours de la décadence du Bel-Eſprit : voudrions-nous en retrancher la branche la plus fleuriſſante, & la plus féconde ? Auroit-on jamais ſoupçonné, que Aſgil fût un beau Génie, & Teland un Philoſophe[7], ſi la Religion, ce ſujet inépuiſable, ne les avoit pourvus abondamment de Syllogiſmes, & de traits d’eſprit ?

Quel autre ſujet renfermé dans les bornes de la Nature, & de l’Art, auroit été capable de procurer à Tyndal le nom d’Auteur profond, & de le faire lire ? Il n’y a que le choix de la matiere, qui fait qu’un Auteur ſe diſtingue, & ſe ſignale dans le Monde ſavant. Si cent plumes de cette force avoient été employées pour la défenſe du Chriſtianiſme, elles auroient été d’abord livrées à un oubli éternel.

Ce qu’il y a de bien plus important encore, c’eſt que je crains bien, que l’Aboliſſement du Chriſtianiſme ne devienne un pernicieux moyen de mettre l’Egliſe en danger. Je voudrois me tromper là-deſſus ; mais, je crois fermement, que mes apprehenſions ne ſont que trop bien fondées. Je ſuis bien ſur que, dans la ſituation preſente de nos affaires, l’Egliſe n’eſt pas en danger ; mais, je prévois, qu’elle le ſera, dès qu’on aura banni le Chriſtianiſme de notre Ile. Et que fait-on ſi ce n’eſt pas-là un deſſein pernicieux, que nos Entrepreneurs cachent ſous les fleurs de leur beau projet ?

Il eſt déja de notorieté publique, que les Athées, les Deïſtes, les Sociniens, les Antitrinitaires, & d’autres Sectes ſubdiviſées d’Eſprits forts, ſont des gens très-peu zelez pour l’Egliſe établie. Ils ſe déclarent ouvertement contre le Teſt[8], ils ſe ſoucient très-peu de nos Cérémonies ; & ils avouent franchement, qu’ils ne croient pas le Droit divin de l’Epiſcopat. Ils peuvent par conſequent être ſoupçonnez, ſans trop d’injuſtice, d’en vouloir à la Conſtitution établie de l’Egliſe Anglicane, & d’être capables de mettre le Presbyterianiſme à ſa place. Je laiſſe à juger à ceux, qui ſont à la tête des affaires, ſi un changement pareil ne pouroit pas influer ſur la forme même de notre Gouvernement.

Voici encore une Conſidération tout auſſi importante. Il n’eſt que trop apparent, qu’en donnant dans le projet dont il s’agit, nous nous jetterons à corps perdu préciſement dans le même inconvenient, qu’on a principalement en vue d’éviter, & que l’extirpation de la Religion Chrétienne nous menera tout droit au Papiſme.

Nous ſavons que c’eſt une Pratique conſtante des Jeſuites, de nous détacher des Emiſſaires, avec ordre de jouer le rôle de Membres de chacune de nos Sectes. Des Peres de cette pieuſe Societé ont paru ſouvent au milieu de nous, comme Presbyteriens, Anabatiſtes, Quakres, & Indépendans, ſelon que chacune de ces Sectes étoit le plus en vogue. Il eſt certain même, que, depuis que la Religion a commencé à être décreditée dans notre Ile, il y a eu un bon nombre de Miſſionnaires Papiſtes, qui s’eſt mêlé parmi nos Eſprits forts. Par exemple, Toland, ce fameux Oracle des Anti-Chrêtiens, eſt un Prêtre Irlandois, Fils d’un Prêtre Irlandois ; & le ſavant Auteur du Livre intitulé les Droits de l’Egliſe Chrétienne, qui eſt du même Caractere que les beaux Ouvrages du grand Toland, s’eſt reconcilié ſous main avec l’Eglife Romaine, & continue toujours à en être le tendre Fils. Je pourrois en ajoûter d’autres ; mais, la choſe eſt hors de conteſte : auſſi le motif de leur conduite eſt parfaitement bien raiſonné. Ils ſont perſuadez, que ſi jamais le Chriſtianiſme eſt aboli parmi nous, le Peuple ne manquera pas de ſe ménager quelque autre Culte ; ce qui ne peut que le jetter dans la Superſtition, & de-là dans le Papiſme.

J’en conclus que ſi, malgré tout ce que je viens d’alleguer, on s’obſtine à propoſer un Bil, touchant l’Aboliſſement du Chriſtianiſme, il ſera bon d’y faire une legere correction, & de mettre le mot de Religion, au lieu de celui de Chriſtianiſme ; ce qui ſatisfera beaucoup mieux aux veritables vues des Entrepreneurs. Tant que nous ſoufrirons dans la nature un Dieu & une Providence, avec toutes les conſequences que pouront tirer de-là certains raiſonneurs curieux, nous ne toucherons point à la racine du mal, quelque meſures que nous prenions contre le Chriſtianiſme, tel qu’il eſt établi parmi nous. A quoi ſert la liberté de la penſée, ſi elle ne produit point la liberté de l’action, qui en eſt l’unique but ? Quoi qu’elle ſemble n’avoir rien à démêler avec les Objections qu’on fait contre la Religion Chrétienne, cette liberté de l’action ne ſauroit jamais être complette, tant qu’il reſtera, parmi les hommes, la moindre idée d’un Legiſlateur Souverain. Auſſi les Eſprits forts en veulent-ils réellement à la Religion en général : ils la conſidérent comme un Edifice, dont toutes les parties ſont ſi fort dépendantes les unes des autres, qu’il ne peut que crouler ſur ſes fondemens, dès qu’on en arrache le moindre clou.

Leur penſée là-deſſus a été très-heureuſement exprimée par un homme qui, entendant énerver un Paſſage ſur lequel on prétendoit fonder la Trinité, conclut par une longue ſuite de Syllogiſmes, que ſi ce Paſſage ne prouvoit rien, il étoit permis de donner dans le crime & dans la débauche, ſans ſe mettre en peine des invectives des Prédicateurs.

Il n’eſt pas néceſſaire d’alleguer pluſieurs autres preuves, pour faire voir évidemment, que l’intention des Eſprits forts n’eſt pas d’ataquer quelque Article de la Foi Chrétienne, qui leur paroit de dure digeſtion ; mais, de renverſer toute la Religion, qui, reſſerant les actions humaines dans certaines bornes peut être conſiderée comme l’ennemie de la liberté de penſer, & d’agir.

Si néanmoins on ſonge à faire paſſer ce Bil ſans y rien changer, & qu’on en attende de ſi grands avantages pour l’Etat & pour l’Egliſe, je ſerois du moins d’avis de le differer juſqu’à la Paix, afin de ne nous point brouiller avec tous nos Alliez, qui par malheur ſont tous Chrétiens, & parmi leſquels ils s’en trouve, que les préjugez de l’éducation rendent aſſez bigots, pour ſe faire une gloire de porter ce nom. Ceux qui pourroient s’imaginer, qu’une alliance avec le Turc ſeroient propre à nous dédommager de la perte de nos confédérez, ſe trompent groſſierement. Non ſeulement cette Nation eſt trop éloignée de nous, & preſque continuellement en Guerre avec le Roi de Perſe ; mais, elle ſeroit encore plus ſcandaliſée de notre Force d’Eſprit, que nos Voiſins & nos Alliez eux-mêmes. Non ſeulement ces Infidelles reconnoiſſent un Culte Religieux ; mais, qui pis eſt, ils croïent en Dieu, ce qui eſt fort au de-là de tout ce qu’on exige de nous même dans le tems que nous portons encore le titre de Chrêtiens.

Je finirai par la Remarque que voici. Quelques avantages, que ce projet magnifique promette à notre Commerce, je ſuis ſur que, ſix mois après que l’Acte poux l’Éxtirpation du Chriſtianiſme ſera paſſé, lez Actions de la Banque, & des Indes Orientales, tomberont du moins d’un pour cent ; &, puiſque la Sageſſe de la Nation n’a jamais été d’humeur à hazarder la cinquantiéme partie d’une pareille perte, pour la Conſervation du Chriſtianiſme, je ne vois pas pourquoi elle voudroit nous expoſer à cette perte entiere, ſimplement pour avoir le plaiſir de le détruire.

  1. La fameuſe Union de l’Ecoſſe & de l’Angleterre.
  2. L’Auteur fait par tout ailleurs un ſi grand cas du Savoir, qu’on voit évidemment, par ce ſeul Paſſage, que ſon deſſein eſt de tourner en ridicule les Libertins, qui décident d’ordinaire effrontement ſur la Religion, ſans avoir ni Logique ni Lecture.
  3. Le Duc de Marlborough.
  4. Auteurs, qui ont écrit auſſi cavalierement que ridiculement, ſur la Religion.
  5. Actrices, & Acteur, de l’Opera de Londres.
  6. En faiſant des Edits contre les Etoffes étrangeres, & contre les Vins de France.
  7. Petits Eſprits, qui ont brillé en écrivant contre la Religion.
  8. C’eſt un Serment établi par Acte de Parlement, par lequel on renonce à la Suprematie du Pape, & au Dogme de la Tranſubſtantiation.