Le Conte du tonneau/Tome 2/01

Henri Scheurleer (Tome secondp. 1-50).

DISSERTATION
en forme de lettre
SUR
L’OPERATION MECHANIQUE
DE L’ESPRIT.

A Monſieur T. H. Ecuïer,
dans ſon Appartement
à l’Academie des
Beaux-Eſprits,
dans la Nouvelle Hollande.

Monsieur,



J L y a déja long-tems que j’ai la tête chargée d’une Nouveauté fort importante pour le Public, & de laquelle il faut que je me délivre au plus vite, ſi je veux avoir ſoin de ma ſanté. Il ne s’agit plus que de ſavoir dans quelle forme elle paroitra le plus à fon avantage. Pour prendre un parti là-deſſus, j’ai employé trois jours entiers à parcourir la Sale de Weſtmunſter, le Cimetiere de St. Paul, Fleet-ſtreet, & tous les autres Endroits qui fourmillent de Boutiques de Libraires, pour voir quels Titres ſont le plus à la Mode ; & je n’en ai point trouvé qui eut une auſſi grande vogue, que Lettre à un Ami.

Rien n’eſt plus commun à préſent que de voir de longues Epitres adreſſées à certaines Perſonnes, & deſtinées pour certains Endroits, ſans qu’on puiſſe s’imaginer la moindre raiſon qui ait porté leurs Auteurs à les écrire.

Telles ſont une Lettre à mon plus proche Voiſin. Epitre à un Etranger, que je ne connois ni d’Eve ni d’Adam. Lettre à un Homme de Qualité réſident dans les Nuées. Ces Piéces, d’ailleurs, roulent la plupart ſur des Sujets, qui naturellement n’ont rien à démêler avec la Poſte. Ce ſont de longs Syſtémes de Philoſophie ; d’obſcurs & merveilleux Traitez de Politique ; des Diſſertations laborieuſes ſur la Critique & ſur les Antiquitez ; des Avis donnez au Parlement ; & d’autres Ouvrages de cette nature.

Je n’ai pas héſité un moment à imiter de ſi excellens Modeles ; &, puiſque je ſuis perſuadé que vous publierez cette Lettre, dès que vous l’aurez reçûë, quelque choſe que je puiſſe dire pour vous en détourner, j’ai une grace à vous demander, ſans laquelle il ne me ſera pas poſſible de figurer, comme il faut, avec mes Collegues les Auteurs Epiſtolaires de nos jours.

C’eſt, Monſieur, de vouloir bien témoigner en ma faveur, devant le Tribunal du Public, que cette Lettre a été griffonnée à la hâte, que je n’ai commencé à ſonger cette matiere que hier, lorſqu’en diſcourant enſemble de choſes & d’autres nous tombâmes par hazard ſur ce Sujet ; que je ne me portois pas trop bien, quand nous nous ſeparâmes ; & que, pour ne pas manquer la poſte, je n’ai pas eu le loiſir de bien arranger mes Matériaux, & de corriger mon Stile. Enfin, Monſieur, je vous conjure de ne pas négliger la moindre de ces ſortes d’Excuſes modernes, qui puiſſe être de quelque uſage, pour pallier la Négligence d’un Auteur.

Je vous prie, Monſieur, que, lorſque vous écrirez aux Virtuoſi Iroquois, vous les aſſeuriez de mes Reſpects, & de la promtitude avec laquelle je leur enverrai l’Explication des Phenomenes que vous ſavez, dès qu’elle aura été réglée dans notre Collége de Gresham.

Je n’ai pas reçû, les trois derniers ordinaires, un ſeul mot de Lettre des Savans de Topinambou.

En voilà bien aſſez Monſieur pour ce qui regarde les Affaires, & les Formalitez requiſes. Vous ne trouverez pas mauvais, j’eſpere, que j’en vienne au Sujet, en laiſſant-là le Stile Epiſtolaire, juſqu’à la Concluſion de ma Lettre.

SECTION I.

L’Hiſtoire de Mahomet nous raporte, qu’aïant un jour une Viſite à rendre dans le Ciel, il rejeta toutes les Voitures qu’on lui offroit, comme Chariots enflammez, Chevaux ailez, &c ; & qu’il aima mieux y être porté par ſon Ane. Ce Choix de Mahomet, quelque ſingulier qu’il paroiſſe, a été imité par un grand nombre de Chrétiens dévots, avec beaucoup de raiſon, à mon avis ; car, comme cet Arabe a emprunté des Chrétiens une grande moitié de ſon Syſtême de Religion, il eſt juſte qu’on uſe de Répréſailles ſur lui en tems & lieux. Notre bon Peuple Anglois ſur-tout, n’y a pas manqué ; &, quoiqu’il n’y ait point de Nation dans le Monde ſi bien fournie de toutes ſortes de Voitures pour ce Voïage[1], auſſi ſüres que commodes, il y a pourtant beaucoup de Gens parmi nous, qui préférent celle de Mahomet à toutes les autres.

Pour moi, je dois avouer que j’ai une vénération toute particuliere pour l’animal en queſtion, qui, à mon avis, repreſente parfaitement bien la Nature humaine dans toutes ſes qualitez, auſſi bien que dans toutes ſes opérations. Je ne manque jamais de placer dans mon Recueil de Lieux Communs tout ce que je trouve dans ma Lecture ſur ſon Chapitre ; & quand j’ai occaſion de m’étendre ſur la Raiſon humaine, la Politique, l’Eloquence, & l’Erudition, j’en trouve l’Aplication la plus aiſée, & la plus exacte du monde. Cependant, je ne me ſouviens pas d’avoir jamais vu dans les Anciens, ni dans les Modernes, parmi les qualitez qui compoſent le Caractere de l’Ane, aucune mention faite du talent de porter Son Cavalier au Ciel, ſi l’on en excepte les deux exemples que je viens de raporter.

Par conſequent, c’eſt ici une Matiere, qui peut paſſer pour toute neuve, & je ne doute pas que le public ne ſouhaite avec ardeur d’être éclairci ſur tout ce qui regarde ce merveilleux talent, & ſur la maniere dont il doit être mis en œuvre. C’eſt-là ce que j’ai entrepris de faire dans le Diſcours ſuivant. Le ſujet eſt vaſte & demande de profondes Recherches ; puiſque, pour réuſſir dans le voïage dont il s’agit ici, il faut un grand nombre de proprietez très-particulieres, tant dans l’Ane, que dans le Cavalier. Je ferai tous mes efforts, pour en donner le détail, avec toute la clarté qu’il me ſera poſible.

La crainte d’offenſer qui que ce ſoit n’oblige à ne pas continuer la Tractation de cette Matiere auſſi littéralement, que je l’ai commencée, & à l’enveloper plutôt dans une Allegorie. Je m’y prendrai pourtant d’une telle maniere que le Lecteur judicieux ſera toujours en état de paſſer du ſens figuré au ſens propre & naturel, ſans être obligé de donner long-tems la torture à ſon eſprit. A la place du terme d’Ane, j’emploïerai deſormais celui de Docteur illuminé, & je troquerai celui de Cavalier contre celui d’Auditoire fanatique, ou contre quelqu’autre Denomination de la même force.

Après avoir aplani ainſi toutes les difficultez preliminaires, le grand point qui reſte à éclaircir eſt la Methode, par laquelle le Docteur parvient à ſes Dons ſpirituels, ou à ſon Illumination, quelle route il les communique à ſon Auditoire.

Mon grand But a été dans tous mes Ouvrages, non de les approprier à quelques circonſtances particulieres de tems, de lieux, ou de perſonnes ; mais de les deſtiner à l’utilité de tous les ſiécles, & de tous les hommes en général. Pour être perſuadé que la Diſſertation préſente ſera du même genre, on n’a qu’à réflechir ſur la nature du ſujet. Il eſt certain, qu’il n’y a point de diſpoſition du corps, ou de qualité de l’eſprit qui aient été ſi fort le centre de toutes les inclinations humaines, qu’une pointe de Fanatiſme, & une teinture d’Enthouſiaſme. Ce Penchant univerſel, animé & cultivé par de certaines ſocietez d’hommes, a été capable de produire dans l’Univers les Révolutions les plus étonnantes, comme il eſt connu par tous ceux qui ont une legere idée de ce qui s’eſt jamais paſſé de plus remarquable, dans l’Arabie, dans la Perſe, dans les Indes, dans la Chine, dans le Maroc, & dans le Perou.

Cette noble Inclination a eu ſur-tout de grandes influences ſur l’empire du Savoir, où il eſt difficile d’indiquer une ſeule Science particuliere, qui ne ſoit pas relevée par quelque Broderie de Fanatiſme. Du nombre de ces Ornemens ſont la Pierre Philoſophale, le grand Elixir, les Mondes Planetaires, la Quadrature du Cercle, le Souverain Bien, les Republiques Utopiennes, & quelques autres, qui n’ont d’autres uſages dans le Monde, que d’entretenir, & d’amuſer ce Penchant vers le Fanatiſme, dont chaque individu humain eſt ſi heureuſement animé.

Mais ſi cette plante a trouvé un terroir convenable dans les Campagnes de la Politique & des Sciences, elle a ſur-tout jetté de profondes racines en Terre Sainte, où elle a été connuë ſous le nom general d’Enthouſiaſme quoi qu’elle y ait pouſſé pluſieurs branches d’une nature fort differente, qu’on a pourtant pluſieurs fois confondues.

Le terme, dans ſa ſignification la plus generale, peut étre défini, par une Elevation de l’Ame, ou de ſes Facultez, au deſſus de la matiere. Si l’on veut l’apliquer particulierement à la Religion, on verra, que par trois differens moïens l’ame prend l’eſſor, & ſe tranſporte au-deſſus de la Sphere des choſes materielles. Le premier ſe fait par un Acte immediat de la Divinité ; & elle eſt apellée Inſpiration, ou Eſprit Prophétique. Le ſecond provient d’un Acte immédiat du Diable ; & on le nomme Poſſeſion. Le troiſiéme à ſa ſource dans certaines cauſes naturelles, comme force d’imagination, ratte, colere, fraïeur, douleur violente, &c.

Ces trois ſortes d’Enthouſiaſme, traitées à fond par d’autres Auteurs, n’occuperont point ici mes recherches ; mais, il y a une quatriéme methode de donner à l’ame un eſſor religieux, par une operation artificielle, fondée ſur les ſimples regles du Mechaniſme. Ce ſujet a été négligé, ou du moins traité fort maigrement juſqu’ici, quoi que ce ſoit un Art d’une très-grande Antiquité, mais borné pendant long-tems dans un petit nombre de perſonnes. Il n’a acquis que depuis peu ces rafinemens, & cette vogue, qui le rendent à preſent ſi reſpectable, & ſi digne de notre curioſité.

C’eſt cette Operation Mechanique de l’Eſprit, telle qu’elle eſt pratiquée dans nos jours par nos Ouvriers Britanniques, qui ſera le ſujet de la preſente Diſſertation. Je communiquerai à mes Lecteurs pluſieurs Remarques judicieuſes, que j’ai faites ſur cette matiere ; je déveloperai avec toute l’exactitude, qui me ſera poſſible, tous les ſecrets de ce métier ; j’en éclaircirai toutes les particularitez par des exemples paralleles ; & je gratifierai le public de pluſieurs belles découvertes, ſur ce ſujet, qu’un heureux hazard m’a fait rencontrer.

J’ai dit qu’il y a une certaine branche d’Enthouſiaſme Religieux, qui eſt un ſimple effet de la Nature ; au lieu que celle dont je vais parler provient uniquement de l’Art, qui ne laiſſe pas de travailler avec plus de ſuccès ſur certains temperamens, que ſur d’autres. Il eſt vrai qu’il y a pluſieurs operations, qui, purement artificielles dans leur origine, deviennent naturelles par une longue habitude. Hypocrate raporte, par exemple, que, parmi nos Ancêtres les Scythes, il y avoit un Peuple apellé Têtes-longues.

Il commença à mériter cette dénomination, par la coutume, qu’avoient les ſages-femmes & les nourrices, de changer la forme naturelle des têtes des Enfans nouveau-nez, en les preſſant par certains bandages, par lequels les eſprits-animaux, détournez de leur Cours ordinaire, étoient forcez à ſe pouſſer en haut, où ils ne trouvoient aucune reſiſtance, & de donner à ces tètes la figure d’un pain de ſucre.

La Nature aïant été obligée par force de prendre cette route pendant quelques generations, la fût trouver enfin d’elle-même, ſans avoir beſoin du ſecours de l’Art. Voilà l’origine des Scythes à Tête-longue ; & c’eſt ainſi qu’une coutume peut, d’une ſeconde nature, devenir la nature même.

Il eſt arrivé quelque choſe de fort ſemblable parmi les Anglois modernes, veritable poſterité de cette nation renommée & polie, dont je viens de parler. Du tems de nos Peres, une eſpece d’hommes ſe fit diſtinguer dans cette Ile ſous le nom de Têtes-rondes, dont à préſent la race eſt répanduë dans tous les trois Roïaumes[2]. Elle fut produite au commencement par une pure opération de l’Art : une certaine maniere de leur preſſer le viſage, un coup de ciſeau dans les cheveux, & un bonnet noir, en faiſoient l’affaire. Ces têtes ſpheriques s’attiroient dans toutes les Aſſemblées une attention particuliere de la part du beau-Sexe, & il en reçut de ſi fortes impreſſions dans le cerveau, qu’elles influèrent ſur toute la poſterité, & que la Nature entrant dans cette idée de l’Art, apprit à la ſuivre d’elle-même. Depuis ce temps-là, une tête ronde a été auſſi familiaire à nôtre vuë, qu’une tête longue l’étoit autrefois parmi les Scythes.

Conformement à ces exemples, & à d’autres, qu’il me ſeroit aiſé de produire, je prie le Lecteur curieux de diſtinguer d’abord entre un effet ſimplement naturel, & un effet, qui, artificiel dans ſon origine, eſt devenu naturel par l’habitude. En ſecond lieu, entre un effet abſolument produit par la nature, & un effet, qui a une baze naturelle, ſur laquelle l’art a trouvé à propos de bâtir.

Ce ſont les dernieres branches de ces deux diviſions, qui doivent être le ſujet de mes recherches ; c’eſt-là l’état de la queſtion, que j’ai cru devoir poſer, avec toute l’exactitude imaginable, pour éviter toutes les objections, qu’on pourroit faire contre ce que j’avancerai dans la ſuite.

Ceux, qui mettent en pratique cet art admirable, ſe fondent d’ordinaire ſur ce Principe general ; la corruption des Sens eſt la génération de l’Eſprit. La preuve qu’ils en donnent, c’eſt que les ſens ſont autant d’avenues, qui mènent à la raiſon humaine, laquelle doit être empriſonnée de neceſſité, pendant toute l’operation, ſi l’ont veut s’en promettre un heureux ſuccès. Par conſequent, il s’agit ici de faire tous ſes efforts, pour lier, garotter, détourner, ſtupéfier, emouſſer les ſens, ou pour les mettre aux mains les uns avec les autres ; c’eſt préciſement dans le tems qu’on les a envoïez promener, ou qu’ils font enſemble le coup de poing, que l’eſprit entre, & qu’il jouë ſon rôle.

Pour ce qui regarde la methode, dont on ſe ſert, pour mettre les ſens dans la ſituation dont j’ai parlé, je ſerai fort exact à la décrire, autant qu’il m’eſt permis. J’ai eu autrefois l’honneur d’être initié dans ces myſteres, & par conſequent, je dois être excuſable, ſi je n’en raporte pas certaines particularitez, qui doivent reſter cachées aux Profanes.

Mais, avant que d’aller plus loin, il eſt bon, que je réponde à une objection, qui merite bien qu’on s’y arrete. Certains Critiques ſoutiennent à cors & à cris, que l’eſprit ne ſauroit être introduit dans une Aſſemblée de Béats modernes ; puiſque, dans pluſieurs circonſtances eſſentielles, ils ſont ſi éloignez de la ſituation, dans laquelle ſe trouvoient les Saints honorez de l’Inſpiration primitive. Nous ſommes informez, que ces derniers étoient tous d’accord dans un même lieu : ce qui ſignifie qu’il régnoit parmi eux une parfaite harmonie, tant par raport aux opinions, qu’à l’égard du culte & du cérémonial ; au lieu que, parmi les Illuminez modernes, à peine y a-t-il deux têtes remplies des mêmes idées.

En ſecond lieu, les Saints de la primitive Egliſe reçurent le don des langues, que les modernes n’entendent pas ſeulement la proprieté des mots dans leur langue maternelle. Enfin, les derniers ſemblent faire tous leurs efforts pour défendre l’entrée à l’Eſprit, en ſe couvrant la tête avec tout le ſoin poſſible : & ceux, qui font cette objection, prétendent que les langues fenduës ne s’arrêterent jamais ſur des têtes enfoncées dans des chapeaux[3].

Je réponds, que toute la force de l’objection ne conſiſte, que dans les differens ſens, qu’on peut donner au terme Eſprit. Si l’on deſigne par-là un ſecours ſurnaturel, qui vient de dehors, l’objection eſt fondée : mais, elle tombe d’elle-même, quand on entend par-là une Inſpiration, qui vient de dedans ; & c’eſt-là le cas dont il s’agit ici. C’eſt juſtement pour cette raiſon, que nos Ouvriers trouvent abſolument néceſſaire de ne rien négliger, pour ſe bien couvrir la tête, afin d’empêcher par-là la tranſpiration, qui eſt capable de faire emporter toute la force de l’illumination méchanique, comme je le ferai voir dans ſon lieu.

Pour pénétrer plus avant dans la nature de ce Méchaniſme ſpirituel, il faut remarquer que dans cette operation l’Aſſemblée jouë un rôle conſiderable, auſſi bien que le Docteur.

Tout le ſecret par raport aux Auditeurs conſiſte en ceci. Ils tournent de toute leur force leur prunelle en dedans, & ferment à moitié leurs paupieres. Enſuite, ils ſe dandinent perpetuellement ſur leurs chaiſes, faiſant en même tems un long bourdonnement toujours entretenu à peu près à la même hauteur ; ils le finiſſent, & recommencent, à certaines periodes, à meſure que la marée de l’Eſprit eſt haute, ou baſſe, dans le cerveau du Docteur. Cette pratique n’eſt pas ſi ſinguliere & ſi deſtituée de ſens commun, qu’on n’en puiſſe trouver des exemples chez d’autres Nations. Les Yanguis, ou Saints illuminez des Indes, ſe mettent en état d’avoir des viſions, en tournant & en comprimant leurs yeux de la même maniere[4]. D’ailleurs, l’art de ſe procurer des extaſes artificielles, en ſe dandinant ſur une poutre ſuſpendue, ou ſur une corde, eſt encor fort en vogue parmi les Femmes Scythes[5] : & il eſt très — poſſible que les ſecouſſes methodiques, que nos Saints ſe donnent dans la même intention, ſoient dérivées de cette Nation juſqu’à Nous leur Poſterité.

Les Irlandois naturels ont encor rafiné là-deſſus ; auſſi eſt-ce un fait conſtant, que cet illuſtre Peuple a moins dégénéré que tout les autres de la Pureté des anciens Tartares[6]. On y voit ſouvent une troupe d’Hommes & de Femmes arracher leur ame de la matiere, étourdir tous leurs ſens, devenir viſionaires, & Spirituels, par l’influence d’une pipe de Tabac, qui fait le tour de la Compagnie. Chacun garde la fumée dans la bouche, juſqu’à ce que ſon tour revienne, & qu’il en puiſſe prendre de fraiche. En même tems, on entend un concert de bourdonnement interrompu & renouvellé de tems en tems, par un pur inſtinct, & l’on voit continuellement leur corps, tantôt ſe baiſſer, & tantôt ſe lever aſſez haut, pour que la tête & les pieds ſoient paralleles à l’Horiſon. Vous voïez leurs paupieres tournées en haut, avec la même contrainte qu’on remarque aux yeux d’un homme, qui fait tous ſes efforts pour ne pas ſuccomber au ſommeil. Par tous ces Symtomes, il paroit évidemment, que la Faculté de raiſonner eſt alors entierement ſuſpenduë dans leurs ames, & que l’Imagination s’étant rendu Maltreſſe du cerveau y répand par-tout une foule de chiméres.

Je laiſſe-là cette Digreſſion, pour décrire les degrès, par leſquels l’Eſprit approche, peu à peu, vers la region ſuperieure des cerveaux aſſemblez dans un même lieu. Dès que vos yeux ſont dans la diſpoſition requiſe, vous ne voïez rien d’abord ; mais, après un court intervalle, une petite lumiere tremblante commence à paroitre, & ſemble dancer dans l’air devant vous. Enſuite, à force de hauſſer & de baiſſer votre corps, les vapeurs commencent à monter vers le cerveau avec rapidité, à un tel point que vous vous ſentez appeſanti, & étourdi, comme un homme qui a trop bu à jeun. Le Docteur commence ſon operation en même tems, & il débute par un bourdonnement d’un beau-creux, qui vous perce l’ame de part en part. L’Auditoire le lui rend auſſi-tôt, pouſſé à l’imiter par un motif dont il n’eſt pas le Maitre, & qui le force à agir, ſans ſavoir ce qu’il fait. Les intervalles de ce bourdonnement reciproque ſont remplis par le Docteur, afin que par une trop longue pauſe l’Eſprit ne vienne pas à languir, & à ſe diſſiper.

Voilà tout ce qui m’eſt permis de découvrir du progrès de l’eſprit, autant que ce myſtere eſt relatif à l’operation de l’auditoire ; mais, je ſerai plus étendu, & j’entrerai dans un plus grand détail, à l’égard du rôle que jouë le Docteur dans cette affaire.

SECTION II.



S I vous voulez lire avec attention les Livres de ces hommes véritablement éloquens appellez Voyageurs modernes, vous y verrez cette Obſervation remarquable, que la difference eſſentielle de notre Religion, & de celle des Indiens, conſiſte en ce que nous adorons Dieu, & qu’ils adorent le Diable.

Il y a pourtant certains Critiques, qui ne veulent en aucune maniere admettre cette diſtinction, ſoutenant que toutes les Nations, quelles qu’elles puiſſent être, adorent la véritable Divinité, parce qu’elles adreſſent toutes leur culte à quelque puiſſance inviſible, qui a toute la bonté, & tout le pouvoir néceſſaire, pour ſubvenir à leurs beſoins ; Notion, qui renferme en effet les plus glorieux attributs de l’Etre ſuprême. Il y a d’autres Auteurs, qui nous enſeignent, que ces Idolatres adorent deux Principes, l’un comme ſource de tout bien, l’autre comme origine de tout mal. Et, certainement, voilà ce qui me paroit l’idée la plus naturelle, que les hommes puiſſent concevoir des choſes inviſibles, par les ſimples lumieres de la nature. La maniere dont les Indiens & les Habitans de l’Europe ont manié cette idée, & les differentes conſequences qu’ils en ont voulu tirer les uns & les autres à leur avantage, c’eſt à mon avis un point, qui mérite un examen très-ſerieux.

La principale diſtinction, qu’il y a à faire là-deſſus, ſelon mon petit jugement, conſiſte en ce que les prémiers ſont plus ſouvent portez à la devotion par leurs craintes, que les autres, par leurs déſirs ; & que le mauvais Principe arache des Prieres aux Idolatres, & à nous des Imprécations. Mais, ce que j’aprouve extrémement dans les Indiens, c’eſt leur exactitude à renfermer chacune de leurs Divinitez dans les bornes de leurs differentes juriſdictions ; à ne jamais confondre l’amour, qu’ils doivent à l’une, avec les fraïeurs, que l’autre leur inſpire ; & à ne jamais mêler la Liturgie, qui concerne leur Dieu blanc, avec celle, qui regarde leur Dieu noir. Nous ſommes bien éloignez d’une conduite ſi prudente, nous, qui, graces à nos lumieres acquiſes, étendant les domaines d’une de ces puiſſances inviſibles, & reſſerrant celles de l’autre, avons, par une ignorance impardonnable, confondu groſſierement les frontiéres du bien & du mal.

Nous avons élevé le Trône de notre Dieu, juſqu’au Ciel Empyrée : nous avons orné cet Etre de tous les attributs, & de toutes les perfections, que nous conſiderons comme les plus eſtimables. En même tems, nous avons rabaiſſé le Principe du mal juſqu’au centre de l’univers : nous l’avons accablé de chaines, chargé de maledictions ; &, après l’avoir fourni de toutes les abominables qualitez d’un Scelerat de diſtinction, nous lui avons donné une queuë, des cornes, des griffes, & des yeux horribles. Cependant, ce qu’il y a de riſible au ſuprême degré, nous diſputons fort ſérieuſement tous les jours, pour ſavoir ſi certains chemins, & certaines routes, ſont du Territoire de Dieu, ou du Diable ; ſi telles ou telles influences viennent dans notre ame d’en haut, ou d’en bas ; ſi certaines paſſions, & certaines diſpoſitions du cœur, ſont guidées par le bon Principe, ou par le mauvais ?

 
Dum fas atque nefas exiguo fine libidinum
Diſcernunt avidi.


C’eſt ainſi que ces beaux raiſonneurs confondent Chriſt avec Belial, & broüillent enſemble les pieds fendus & les langues fenduës.

Du nombre de ces points diſputez eſt le ſujet que j’ai à-préſent entre les mains : depuis plus de cent ans on s’eſt batu à forces égales ſur les geſtes emportez, & ſur le jargon, de nos Orateurs Enthouſiaſtes, ſans qu’il ſoit decidé juſqu’ici ſi c’eſt poſſeſſion, ou inſpiration ; & les armées de Syllogiſmes, qu’on a miſes en Campagne, pour vuider cette querelle, ſe ſont en vain diſputé la victoire.

On veut abſolument, que ce ſoit l’un ou l’autre, quoique dans la Vie humaine, tout comme dans une Tragedie, ce ſoit un grand défaut de juſteſſe d’eſprit, & d’imagination d’emploier le ſecours de quelque être ſurnaturel, ſans une neceſſité abſolue. Notre vanité mène pourtant-là tout droit. Il n’y a point d’individu humain ſi vil & ſi mepriſable, qui ne s’imagine que tout l’univers s’intereſſe dans le moindre accident, qui lui arrive. S’il a le bonheur de ſauter un ruiſſeau, ſans ſe crotter les bas, il ne faut pas douter, qu’un Ange ne ſoit deſcendu du Ciel exprès, pour avoir ſoin de la propreté de ſes habits. S’il ſe coigne la tête contre un poteau, il eſt certain que l’Enfer a lâché quelque petit Diable poliſſon, pour lui faire piece. En verité, il ne ſe peut rien de plus ſot, qu’une pareille imagination. Comment peut-on ſe mettre dans l’eſprit avec un ſeul grain de bon ſens, que quand un chetif Mortel ſe démène crie, réve, au milieu d’une multitude, le Ciel, ou l’Enfer, doivent ſe donner la peine de ſe mêler de ſes extravagances ? Pour moi, je ne donnerai jamais dans une abſurdité ſi riſible ; & je ne negligerai rien, pour déraciner cette impertinence de l’eſprit des hommes, en faiſant voir clairement, que tout le Miſtere de communiquer à un Auditoire les Dons ſpirituels n’eſt rien qu’un Métier, qu’on apprend, & qu’on exerce, comme tous les autres. On n’en doutera pas un moment, quand j’aurai arrangé par ordre toute la ſuite de cette Operation, ſelon les Methodes differentes qu’on y employe.

 
Ici étoit expoſé tout le Plan
du Mechaniſme ſpirituel,
avec toute la parade nécef-
faire d’une grande lecture &
d’une force ſuperieure de
raiſonnement ; mais, des rai-
fons très-fortes l’ont em-
pêché de voir le jour.
 

Je ne ferai pas mal, je crois, de dire ici quelque choſe de la louable Coutume de nos Saints du prémier ordre, de porter des Calottes matelaſſées[7]. Ce n’eſt pas-là uniquement une mode, comme des gens ſuperficiels pourroient le penſer : c’eſt une invention d’une grande utilité ; & celui qui en eſt l’Auteur merite de grands éloges, par ſa ſagacité & par ſon induſtrie. Ces Calottes, duement humectées par la Sueur, empêchent la tranſpiration, en fermant tout paſſage par en haut à la chaleur de l’eſprit ; &, par là, elles le forcent à ne s’évaporer que par la bouche : tout de même qu’on couvre le deſſus d’un fourneau d’un torchon mouillé, pour faire ſortir toute la chaleur par en bas.

On verra encore plus évidemment les grands uſages, qu’on tire de ces ſortes de Couvre-chefs, ſi l’on veut bien examiner avec attention certain Syſtême formé par quelques virtuoſi du premier calibre. Ils croïent, que le cerveau n’eſt autre choſe, qu’une grande quantité de petits animaux, armez de dents & de griffes extrémement aigues, leſquels par ce moïen s’atachent les uns aux autres, comme s’ils ne faiſoient tous enſemble qu’un ſeul & même corps ; ſemblables, à un eſſai d’abeilles qu’on découvre ſur un arbre, ou bien, à une charogne changée en vermine, qui ne laiſſe pas de conſerver ſa figure primitive. Toute invention, ſelon l’opinion de ces illuſtres, procede de la morſure de quelques-uns de ces Animalcules ſur certains nerfs capillaires, qui répandent deux de leurs petites branches dans la langue, & un troiſiéme dans la main droite[8]. Ces animaux ſont d’une Conſtitution extrémement froide : Leur nourriture eſt l’air, que nous reſpirons. Les flegmes ſont leur excrement ; & ce que nous apellons d’ordinaire Rhûme n’eſt autre choſe, qu’un cours de ventre épidemique, auquel ce petit Peuple eſt extrémement ſujet, à cauſe du Climat, ſous lequel il habite. Il n’y a qu’un degré de chaleur extraordinaire, qui puiſſe décramponer ces petites beſtioles, & leur donner la vigueur néceſſaire pour imprimer dans leſdits nerfs capillaires les marques de leurs petites dents pointues. Selon ces mêmes Naturaliſtes, ſi la morſure eſt hexagonale, elle produit la Poeſie : eſt-elle circulaire, elle cauſe l’Eloquence ; &, quand ſa figure eſt conique, elle excite la perſonne, qui en ſent les impreſſions, à ſe perdre en profondes Spéculations ſur les Affaires d’Etat[9].

Il eſt tems à préſent de décrire en peu de mots l’artifice, par lequel la voix doit être gouvernée, pour la communication & l’augmentation de cet eſpéce d'eſprit, qui eſt le ſujet de tout ce grave diſcours. La choſe eſt de la derniere importance : car, ſans l’art de donner le ton, & la cadance néceſſaire, à chaque Mot, à chaque Syllabe, à chaque Lettre, toute l’Operation eſt incomplette ; elle manque les organes de l’Auditeur, & elle force l’artiſan lui-même à mille contorſions inefficaces, pour y ſuppléer.

Il faut ſavoir, que, dans le langage ſpirituel, un certain chant, & un certain bourdonnement, tiennent la place qu’occupent, dans le langage humain, le bon-ſens, & la raiſon ; & que, dans les harangues ſanctifiantes, la diſpoſition des termes conforme aux regles de la grammaire n’eſt d’aucune utilité. Toute la Rhetorique y conſiſte dans le choix & dans l’harmonie des ſyllabes ; & l’Orateur s’y doit prendre de la même maniere, qu’un profond Muſicien, qui, pour faire un air ſur des paroles, en change tellement l’ordre, qu’il en fait du Galimatias, avant que d’en faire une chanſon. Auſſi y a-t-il d’habiles gens, qui ſoutiennent, que l’art de produire ce chant ſpirituel n’eſt jamais dans toute ſa perfection, que quand il eſt conduit & dirigé par l’ignorance. Ils pretendent même, que Plutarque s’eſt expliqué là-deſſus d’une maniere enigmatique, en diſant, que les meilleurs inſtrumens de Muſique ſe font d’os d’Ane. Le mot dont il ſe ſert déſigne, ſelon ſa ſignification propre & naturelle, une Machoire, quoique d’autres avancent, que dans ce paſſage il s’agit de l’os pubis. Je ne ſuis pas aſſez temeraire, pour décider d’un point de Critique ſi délicat, & ſi épineux ; & je laiſſe au Lecteur pénétrant à ſuivre l’opinion, qu’il trouvera la plus probable.

Le prémier ingredient, qui doit entrer dans la compoſition de ce chant devot, eſt une grande doze de lumiere interieure. C’eſt-à-dire, en ſtile ordinaire, une vaſte Memoire, richement aſſortie de Phraſes Theologiques, & des Textes les plus myſterieux de l’Ecriture Sainte, appliquez, & digerez, par les Opérations Mechaniques, dont j’ai déja fait mention. Les Porteurs de cette lumiere doivent reſſembler parfaitement à ces lanternes faites de feuilles de vieilles Bibles de Geneve, & ſi fort recommandées par le Chevalier Humphry Edwin de Sainte memoire, qui, pendant qu’il étoit Lord Maire, ne négligea rien, pour en introduire l’uſage, ſous prétexte d’accomplir par-là à la Lettre le Texte que voici : Ta Parole eſt une lanterne à mes pieds & une lumiere à mes ſentiers[10].

Quand on eſt bien & duement fourni de cette proviſion, il ne s’agit plus, comme je l’ai déja inſinué, que d’ajuſter le ton de la voix à chaque parole que l’eſprit dicte, afin qu’elle frape les oreilles de l’Auditoire, par la cadence la plus ſignificative. La force & l’énergie de cette ſorte d’Eloquence ne conſiſte pas, comme dans les Harangues des anciens Orateurs, dans le tour concis & laconnique d’une ſentence, ni dans le nombre harmonieux qu’on ménage à des periodes entieres ; mais, ſe conformant aux roulemens rafinez, & ſavans, de la Muſique moderne, elle s’atache à repandre du pathetique ſur des Lettres, & ſur des Syllabes. Vous voïez ſouvent une ſeule voyelle aracher de profonds ſoupirs des entrailles de tous les Auditeurs : ſouvent la muſique touchante d’une ſeule liquide fait ſanglotter tout un Peuple ; & même on obſerve, que des ſons inarticulez ne produiſent pas des effets d’une moindre force. Quelquefois, un Maître Artiſan ſe mouche le nez avec ſes doits, d’une maniere ſi efficace, qu’il perce l’ame de tous ſes Auditeurs portez à recevoir, avec un reſpect également religieux, les excremens & les productions de ſon cerveau : éternuer, cracher, rotter, défauts ſi marquez de l’Eloquence humaine, ſont les ornemens, les figures, & les fleurs de cette Rhetorique ſpirituelle. C’eſt toûjours le même eſprit, qui ſe communique par-là, à la multitude ; & il n’importe, par quel vehicule il y paſſe.

Ce ſeroit une affaire d’une difficulté qui aprocheroit de l’impoſſible, que d’entreprendre de renfermer les principes de cet Art fameux, dans les bornes de quelques regles convenables. Cependant, je pourrois bien un jour favoriſer le Public de mon Eſſay ſur le jargon devot conſideré Phyſiquement Philoſophiquement, & Muſicalement[11].

Parmi tous les ſecours, que l’Eſprit tire de la voix, il n’y en a point, qui puiſſe être comparé à l’Art de faire paſſer les ſons par le nez ; Art merveilleux, qui a eu une reception ſi favorable dans le monde, ſous la dénomination de Naſillonnement. L’origine de cette pieuſe inſtitution eſt fort ténébreuſe ; mais, comme j’ai été initié dans ce Myſtere, & qu’on m’a donné permiſſion d’en inſtruire le public, je vais en donner la Relation la plus exacte, qu’il me ſera poſſible.

Cet Art, comme pluſieurs autres inventions celebres, doit ſa naiſſance, ou du moins ſa perfection, au haſard ; mais, il ne laiſſe pas d’être fondé ſur des raiſons très-ſolides, qui l’ont fait fleurir dans toute notre Ile, depuis qu’il a été connu, juſques à préſent. Tout le monde convient, que l’Epoque de ſa naiſſance eſt la décadence des Muſettes, qui, après avoir ſoufert long-tems ſous la perſecution des Freres Spirituels, chancelérent à la fin, & tombérent entiérement avec la Monarchie[12].

Avant que le Saint Naſillonnement fùt encore en réputation, il arriva un jour, qu’un Béat de la premiere Claſſe, s’étant engagé fort avant, parmi les Tabernacles des Méchans ſentit ſon Homme exterieur ému par des agitations violentes & fortement excité méme par l’Homme interieur : Symtome aſſez ordinaire aux Inſpirez modernes ; car, on prétend que l’Eſprit eſt capable de ſe jetter ſur la Chair, comme des guepes affamées ſur la viande crue. D’autres s’imaginent que l’Eſprit, & la Chair jouent enſemble, ſans diſcontinuer, à porter l’Ane ; & qu’ils font tour à tour tantôt le Cheval, & tantôt le Cavalier[13]. Ils y ajoutent, que quand la Chair monte l’Eſprit, elle eſt armée d’énormes éperons ; & que, lorſque c’eſt ſon tour de porter, elle a la bouche prodigieuſement dure.

Quoi qu’il en ſoit, il arriva, que, par un effet naturel d’une forte Inſpiration, le Béat ſentit ſon Vaiſſeau s’étendre terriblement de tous côtez ; & le tems & le lieu ſe trouvant également peu convenables, pour évaporer l’Eſprit ſuperflu, par en haut, moïennant la lecture, la priere, & la repetition, il fut forcé de lui ouvrir un paſſage d’un autre côté. En un mot, il lutta ſi long-tems contre ſa chair rebelle, qu’il la domta à la fin, & qu’il ſortit victorieux du combat avec des bleſſures glorieuſes. Le Chirurgien vint bientôt à bout de guerir les parties affectées : mais, le mal, chaſſé de ſon poſte, monta dans la tête ; &, ſemblable à un habile Général, qui, battu en raze Campagne, ſe retire avec rapidité vers la Ville capitale, pour y faire tête à l’ennemi, il ſe fortifia tout auprès du cerveau. Voïant qu’on faiſoit des préparatifs pour l’attaquer par le nez, il abatit le pont, boucha le paſſage, & ſe retira dans les conduits les plus reculez du cerveau même.

Or, les Naturaliſtes obſervent, qu’il y a dans les nez humains une eſpece d’Idioſyncraſie, par la vertu de laquelle, plus ils ſont bouchez, & plus la voix ſe delecte à y chercher un paſſage ; tout de même que la muſique ne paſſe par une flute, que lorſque pluſieurs trous en ſont exactement fermez. C’eſt par-là que ce bourdonnement de nez reſſemble parfaitement à celui d’une muſette, & qu’il flatte auſſi agréablement les oreilles Britanniques, que faiſoit jadis le ſon de cet inſtrument diſgracié.

Le Béat en queſtion en fut bientôt convaincu par ſa propre experience ; &, dans l’Operation Mechanique de l’Eſprit, il emploia avec tout le ſuccès imaginable l’heureuſe faculté qu’il venoit d’aquerir. En peu de tems aucune Doctrine ne merita les Epithetes de ſaine, & d’orthodoxe à moins de paſſer par le nez ; bientôt chaque Artiſan ſe mit à copier ce bienheureux original : & ceux, qui ne pouvoient pas atteindre à ce haut degré de Naſillonnement par l’Art ſeul, pouſſez par un noble zèle, eurent recours à la Nature, & imitérent exactement la Sainte Lute du premier Inventeur. C’eſt ainſi, qu’on peut ſoutenir à la Lettre, que les Spiritualiſez ont acquis l’Empire de la Sainteté, par le Naſillonnement d’un animal, comme Darius acquit celui de Perſe, par le Hanniſſement d’un autre[14]. La comparaiſon eſt d’autant plus juſte, que la Bête Perſienne avoit couvert une Cavalle le jour avant l’élection, & que par-là il avoit atrapé la Faculté de hannir à propos.

Je mettrois ici des bornes à cette Diſſertation auſſi curieuſe qu’importante, ſi je n’étois pas convaincu que tout ce que j’ai avancé ſur ce ſujet doit être de neceſſité defendu, contre une Objection des plus fortes. En ſupoſant vrai tout ce que j’ai dit, on peut ſoutenir que l’Enthouſiaſme artificiel ne ſauroit réüſlir, ſans quelques Diſpoſitions naturelles dans la Conſtitution de certains individus, qui ne ſe trouvent pas dans le temperamment de certains autres.

Cette Objection ne paroit pas entierement deſtituée de ſolidité. Obſervez le geſte, l’action, le mouvement, & la contenance, de quelques Artizans du premier ordre, même dans les circonſtances ordinaires de la vie, vous les prendrez pour une race differente du reſte des créatures humaines. Je dis plus : jettez les yeux ſur les prétendans les plus communs de la Lumiere interieure ; voïez comme ils ſont ſombres, ténébreux, & ſales en dehors. Ils ſont comme ces Lanternes, qui, plus elles ſont illuminées en dedans, plus elles répandent de la fumée, & plus le dehors en eſt couvert de ſuie, & d’autres matieres fuligineuſes. Pretez l’oreille à leurs diſcours les plus ordinaires, & examinez la maniere, dont ils les prononcent, vous croirez entendre un ancien Oracle, & vous en deviendrez tout auſſi ſavant.

Par ces raiſons, & par d’autres ſemblables, on prétend prouver d’une maniere invincible, qu’une ſource naturelle de l’Eſprit doit précéder l’Art, & occuper déja la tête des Saints, avant qu’ils commencent l’opération. Il y en même qui ſoutiennent, que ce fond naturel n’eſt autre choſe, que la chaleur du zèle, qui fait ſortir l’Eſprit de la lie de l’ignorance, comme de certaines lies on fait tirer d’autres Eſprits, par la chaleur du feu.

Pour placer ce ſujet dans ſon veritable jour, je deduirai ici d’une maniere conciſe toute l’Hiſtoire du Fanatiſme des tems les plus anciens, juſques à l’âge préſent. Si nous y trouvons quelque point fondamental, ſur lequel tous les Profeſſeurs de cet Art merveilleux s’acordent unanimement, je penſe que nous pouvons nous en ſaiſir ſans ſcrupule, & le prendre hardiment, pour la ſemence, ou pour le principe, de l’Eſprit.

C’eſt parmi les Egyptiens, que les Hiſtoires anciennes nous decouvrent les prémieres traces du Fanatiſme. Ils ont inſtitué ces fetes connues dans la Grece ſous les noms d’Orgyes, Panegyres, & Dionyſies. Si elles ont été introduites par Orphée, ou par Melampus, c’eſt ce que nous n’examinerons pas pour le préſent, & que probablement nous n’examinerons pas non plus dans la ſuite. Elles étoient celebrées à l’honneur d’Oſyris, que les Grecs appelloient Dionyſius, & qui eſt le même que Bacchus, ce fameux Conquerant des Indes. De-là quelques Lecteurs ſuperficiels ont conclu mal-à-propos, qu’il ne s’agiſſoit dans ces ceremonies, que des extravagances d’une troupe de bruïants yvrognes. Mais, c’eſt-là une erreur groſſiere jettée à la tête des hommes, par quelques Auteurs modernes, qui, croïant que l’Antiquité doit être ſaiſie par la queuë, liſent à la maniere des Juifs, en commençant par la fin.

Ces gens, d’un entendement trop litteral, prétendent conquerir tout un Livre, en battant l’eſtrade dans l’Index ; tout comme ſi un Voyageur vouloit nous donner la deſcription d’un Palais dont il n’auroit vu que les privez. Qu’ils ſachent, ces ignorans-là, que lors de l’inſtitution de ces Myſteres, l’uſage qu’on pouvoit tirer du fruit de la vigne n’étoit pas encore connu dans l’Egypte, & que les gens du Païs ne buvoient que de la groſſe bierre, qui a ſervi de boiſſon aux hommes long-tems avant le vin. Cette liqueur, non ſeulement doit ſon origine aux Egyptiens, mais à Oſyris ou Bacchus lui-même, qui, dans ſa ſameuſe expédition, en avoit la recepte dans ſa poche, & la communiquoit genereuſement aux Nations, à meſure qu’il les ſoumettoit à ſon pouvoir.

D’ailleurs, Bacchus ne doit pas avoir été fort ſouvent yvre, parce qu’il étoit l’inventeur de la Mitre, qu’il portoit toûjours auſſi bien que tous ſes compagnons, pour prévenir par-là les vapeurs, & les maux de tête, qui ſuivent d’ordinaire l’uſage exceſif des liqueurs fortes. C’eſt pour cette raiſon, ſelon quelques Auteurs, que la grande Paillarde, quand elle enyvre les Rois de la Terre de ſa Coupe d’Abomination, ne ſe ſoule pas elle-même, quoiqu’elle ne refuſe jamais de vuider le verre à ſon tour. Elle ſe ſoutient, & elle demeure ferme ſur ſes pieds, par la vertu de ſon triple Diademe.

Quoiqu’il en ſoit, ces fêtes appellées Bacchanales ont été inſtituées en memoire de cette fameuſe expedition de Bacchus, & toutes les Ceremonies de ces fetes en étoient autant de Symboles, & d’Images. Il eſt clair par conſequent, que les Rites fanatiques de ces Bacchanales, au lieu d’être mis ſur le compte de la vigne, doivent être attribuez à une ſource plus profonde, & plus difficile à déterrer.

Pour y réuſſir, il eſt bon de prendre garde à quelques circonſtances de ces fameux Myſteres, il faut remarquer d’abord, que, dans ces Proceſſions cérémonielles, il y avoit un mélange confus des deux Sexes, qui affectoient de courir enſemble par les montagnes, & par les deferts. Ils étoient couronnez de Guirlandes faites de Lierre & de Pampre, emblèmes de l’union & de l’atachement, & quelquefois auſſi de branches de ſapin, proche parent du Therebinthe ſi reconnu par ſa chaleur. Ils imitoient les Satyres, ils avoient des Boucs à leur ſuite, & ils montoient des Anes, qui ſont tous des drôles renommez pour leurs talens en matiere de galanterie. Au lieu de drapeaux, ils portoient certaines machines très-curieuſes, dreſſées au haut de quelques perches, & très-ſemblables aux Armes du Dieu des Jardins, avec leurs dépendances. C’étoient autant d’ombres, ou de figures, de tout le Myſtere amoureux, ou bien autant de trophées érigés par le beau Sexe en memoire de ſes triomphes. Une autre circonſtance plus remarquable encore, c’eſt que dans une certaine Ville de l’Attique, toute la Ceremonie ſe dépouilloit de tout ce qu’elle avoit d’emblematique, & de figuré. On les celebroit in puris naturalibus ; & les Pelerins ne s’arrangeoient pas en differentes bandes, mais en differens couples.

On peut tirer la même concluſion de la Mort d’Orphée, un des Fondateurs de ces Rites, qui fut dechiré par les Femmes, parce qu’il refuſoit de leur communiquer ſes Orgyes, oui, comme diſent les autres, parce qu’il s’étoit privé des témoins des plaiſirs qu’il avoit goutez avec ſa Femme, pouſſé à cette inhumanité par la douleur de l’avoir perdue.

Sans m’arrêter plus long-tems aux Fanatiques du Paganiſme, je remarque rai, que les premiers Euthouſiaſtes de diſtinction, qu’on a trouvez parmi les Chrétiens, ont été ces Sectes nombreuſes d’Hérétiques, qui ont paru dans les cinq premiers siécles, depuis Simon le Magicien, juſqu’à Eutichès. J’ai raſſemblé leurs Syſtêmes differens par le travail d’une lecture infinie ; &, en les comparant avec ceux qui ont ſuivi leurs traces dans les tems plus modernes, je trouve que les irregularitez & les extravagances même de l’Eſprit humain ont leurs bornes, & que s’éloignant les uns des autres dans la plûpart de leurs reveries, ils ne laiſſent pas de ſe rencontrer dans un point capital, ſavoir la Communauté des Femmes. Pluſieurs de leurs idées ſe ſont toûjours abouties-là ; & il y a dans tous leurs Syſtêmes quelques articles, qui tendent à établir cette agréable confuſion.

Les derniers Fanatiques de marque furent ceux, qui ſe leverent en Allemagne comme des Champignons, peu de tems après la Réformation de Luther. Tels furent Jean de Leyden, David George, Adam Neuſer, & pluſieurs autres dont les Viſions & les Revelations ſe terminoient toutes à la liberté de mener chacun avec ſoi une demi-douzaine de Femmes-Sœurs, & à faire de cette pratique une partie eſſentielle de leur Syſtême.

La vie humaine eſt une navigation perpetuelle : &, ſi nous voulons que nos Vaiſſeaux paſſent en ſureté, au travers des vagues & des tempêtes de ce monde orageux, orageux, il faut de neceſſité faire une bonne proviſion de ce qu’on appelle, en langage devot, la Chair ; comme les Mariniers, qui ont à faire un Voyage de long cours, ſe fourniſſent d’une ample quantité de Bœuf ſalé.

Je laiſſe-là les Mahometans, & d’autres, qui pourroient donner une nouvelle force à mon Argument, & je paſſe encore ſous ſilence pluſieurs ſubidiviſions de Sectes parmi nous, comme la Famille de l’Amour, les doux Chantres d’Iſrael, & d’autres[15]. Il me ſuffit du court Examen que je viens de faire des principales Sectes de Fanatiques anciennes, & modernes, pour conclure, du point de doctrine fondamental, dans lequel ils ſe ſont tous acordez unanimement, que le principe ou la ſemence des viſions, touchant les matieres inviſibles, a toujours été d’une nature corporelle : auſſi les plus profonds Chymiſtes nous aſſeurent, que les Eſprits les plus forts peuvent être tirez de la chair humaine. D’ailleurs, la moëlle ſpinale n’étant autre choſe que la continuation du cerveau, doit de neceſſité faire une communication fort libre entre les facultez ſuperieures & inferieures de l’homme ; & par-là l’éguillon dans la Chair peut devenir un éperon pour animer l’Eſprit.

Ajoûtons à toutes ces veritez inconteſtables, que tous les Medecins conviennent, que rien n’affecte d’avantage le cerveau, que les Eſprits amoureux détournez de leur Cours ordinaire, & renvoïez vers la tête ; & qu’ils y cauſent ſouvent la Frénéſie, & la Fureur.

Un illuſtre Membre de la Faculté m’aſſeura un jour, que, quand les Quakres commencérent à paroitre dans notre Ile, il lui vint des Patiens Feminins en foule, toutes très-propres à ocuper les petites Maiſons de Cythere. Il n’y a rien-là d’étonnant : en general, il n’y a point de perſonnes d’une complexion plus amoureuſe, que les Dévots viſionnaires de l’un & de l’autre Sexe. Le Zêle emprunte ſa chaleur bien ſouvent de la même cauſe, que l’Amour ; &, de la Tendreſſe fraternelle, à la Galanterie il n’y a que la main. Il eſt certain même, que rien ne reſſemble mieux à la conduite des Spiritualiſés, que le procedé des Amans. Le commencement de la Galanterie confiſte d’ordinaire dans une maniere devote de tourner les yeux ; le ton des amants eſt un eſpece de chant plantif entrecoupé, par intervalles bien compaſſez, de ſoupirs & de gemiſſemens. Leur Stile eſt un Galimatias éloquent, un tas de paroles confuſes, & très-ſujettes à la repetition. Ce ſont-là certainement les manieres les plus propres à gagner les cœurs des Femmes ; & tout le monde conviendra je croi, que les Béats les ſavent emploïer avec plus de dexterité, que les Galans les plus ſtilez à conter fleurettes au beau Sexe.

Si, après tant de demonſtrations d’une force invincible, quelqu’un eſt encore aſſez ſtupide, pour douter de ma Theſe, je lui dirai, que je ſuis informé moi-même par quelques Freres Sanguins de la premiere Sainteté, qu’il leur eſt arrivé frequemment, dans le plus haut degré de leur orgaſme ſpirituel, de……, & de ſentir auſſi-tôt que l’eſprit s’affoibliſſoit avec les nerfs ; ce qui les forçoit à ſe hâter de conclure leurs diſcours.

Cette experience eſt encore confirmée par le penchant merveilleux, & ſurprenant, que tout le beau Sexe en général a pour les Prédicateurs fanatiques, quelque deſagréables qu’ils puiſſent être dans leur figure, & dans leurs airs. On ſuppoſe d’ordinaire, que cette eſpece de tendreſſe n’eſt fondée, que ſur des vuës purement ſpirituelles, ſans aucun mélange de la Chair : mais, mille petits accidens ſont capables de prouver le contraire ; & je ſuis perſuadé quant à moi, que les Femmes jugent des talens des Hommes par certaines marques caracteriſtiques dont nous n’avons pas la moindre idée nous mêmes, nous autres mâles.

Sans aller à la recherche des cauſes de cette habileté dans le beau Sexe, je conclurai de toutes mes preuves précedentes, que les Intrigues ſpirituelles finiſſent généralement comme toutes les autres ; & que la Tendreſſe devote, quoi qu’elle pouſſe quelque branches vers le Ciel, ne laiſſe pas d’avoir ſa racine dans la terre. Une contemplation trop forte n’eſt pas l’affaire de la chair & du ſang : elle a beau s’atacher à l’eſprit ; en peu de tems, elle eſt obligée de lâcher priſe, & de tomber dans la matiere. Ceux qui s’aiment, ſous prétexte d’un Commerce ſpirituel qui n’a que le Ciel en vuë, ne ſont qu’une Secte de Platoniques, qui croient voir le Firmament & les Etoiles dans les yeux des Belles, ſans ſonger ſeulement à des Vuës plus baſſes. Mais, le même puits s’ouvre ſous la ſublimité d’Eſprit des uns & des autres : ils repreſentent parfaitement bien ce Philoſophe, qui, pendant que ſes yeux & ſon eſprit étoient fixez ſur des Conſtellations, fut entrainé dans une foſſe par la peſanteur de ce qu’il avoit de materiel.

Je m’étendrois d’avantage ſur cette partie de mon Sujet ; mais, la Poſte va partir, & je ſuis contraint de mettre des bornes à ma Lettre. Je ſuis, &c.

Je vous prie de brûler cette Lette dès que vous l’aurez lue.

  1. Il eſt aparent que l’Auteur recommande ici la Méthode d’aller au Ciel, établie par l’Egliſe Anglicane.
  2. Ceux, qui ont lu avec quelque attention l’Hiſtoire Angloiſe, ou du moins l’Ouvrage de M. Rapin ſur les Whigs & les Torys, entendront facilement ce Paſſage. Pour les autres, je leur dirai en peu de mots, que, pendant les Troubles, qui arriverent en Angleterre, ſous le regne du malheureux Charles I., ceux qui ſuivoient le Parti du Roi furent appellez Cavaliers, au lieu que les partiſans du prétendu Parlement furent appellez Têtes rondes. Ce nom leur vint ſans doute de ce qu’étant Presbyteriens pour la plûpart, & ennemis du luxe, ils ſe coeffoient fort uniment, & ſe faiſoient couper les cheveux près de l’oreille ; ce qui fait paroitre une tête dans toute ſa rondeur. Les Torys d’à-préſent ſont venus des Cavaliers, comme les Whigs, des Têtes rondes.
  3. L’Auteur badine ici ſur la coûtume des Presbyteriens & d’autres Nonconformiſtes, qui ſont toûjours à l’Egliſe le chapeau ſur la tête ; ce qui ne paroit pas fort reſpectueux aux Anglicans, & à d’autres honnêtes gens.
  4. Bernier, Memoires du Mogol.
  5. Gaguini Hiſt : Sarin.
  6. Tartares & Scythes, c’eſt la même Nation.
  7. Les Presbyteriens, & d’autres Sectes encore plus bigottes, ont en horreur tout ce qui ſert d’ornement au corps,

    Et de péché mortel traitent chaque perruque.

    Cependant, pour défendre une tête chenue contre les injures de l’air, il faut quelque Couvre-chef ; & ils en trouvent un fort bon & fort devot dans une Calotte double.

  8. Une des grandes parties de la Rhétorique devote, c’eſt le ſimple mouvement de la langue, & de la main droite, dirigées l’un & l’autre uniquement par le hazard.
  9. J’avoue, que je n’entends rien dans le ſentiment de ces Naturaliſtes ; & je ne vois dans ces morſures hexagonales, circulaires, & coniques, aucun raport naturel avec la Poeſie, l’Eloquence, & les Spéculations politiques.
  10. Il eſt fort naturel de croire qu’effectivement ce Lord Maire pouſſoit l’Extravagance devote, juſqu’à ſanctifier les lanternes, & qu’il alleguoit le paſſage cité ici, pour y fonder ſa biſarrerie.
  11. Voyez, devant la I. Partie, le Catalogue des livres, que l’Auteur promet au Public.
  12. On a déja vu dans le Conte du Tonneau, que la Muſique eſt la choſe du monde, qui choque le plus les Oreilles devotes des Enthouſiaſtes. L’Auteur dit ici, que les Muſettes tomberent en Angleterre avec la Monarchie. Il veut parler du Regne du Fanatiſme, qui fut preſque deſpotique, dans la Grande-Bretagne, ſous Olivier Cromwel, apres la mort de Charles Premier, qui entraina avec elle celle de l’Egliſe Anglicane.
  13. C’eſt un Jeu fort uſité parmi les jeunes Garçons, qui ſautent les uns ſur les autres, & qui de cette maniere font tour à tour les chevaux, & les Cavaliers.
  14. Herodote & d’autres Hiſtoriens nous apprenent, qu’après la mort des Mages, qui par fourberie avoient placé un d’entreux ſur le Trone de Cyrus, ſous le nom de Smerdis, Frere de Cambyſe, Darius, Fils d’Hyftaſpe, & ſix autres Seigneurs, qui avoient délivré leur Patrie de cette Tyrannie infame, reſolurent de donner la Royauté à celui des ſept, dont le Cheval auroit hanni le premier. Pour abandonner de cette maniere ce choix important au ſort, ils devoient s’aſſembler tous hors de la Ville au lever du Soleil. L’Ecuier de Darius, inſtruit de cette convention, y mena, le ſoir avant l’élection, le Cheval de ſon Maitre, & le fit aprocher d’une Cavalle ; ce qui porta la Bête à faire de grands Hanniſſemens, des que le lendemain il fut arrivé dans le meme endroit.
  15. Ce ſont de petites Sectes ſubdiviſées de Fanatiques dans la Grande-Bretagne.