Le Conte du tonneau/Tome 1/06

Henri Scheurleer (Tome premierp. 161-177).

SECTION VI.

Continuation du Conte du Tonneau.


NOus avons laiſſé Mylord Pierre dans une rupture ouverte avec ſes Freres, chaſſez tous deux de ſa maiſon, & envoïez chercher fortune dans ce vaſte Univers, ſans avoir ſur quoi la fonder. Triſtes circonſtances, qui les rendent les ſujèts naturels de la plume charitable d’un Auteur de bien, pour qui d’ordinaire les Scenes les plus déplorables préparent une moiſſon de grandes & belles avantures.

C’eſt ici qu’on doit remarquer la difference, qu’il y a entre un Ecrivain généreux, & un Ami ordinaire. Le dernier s’attache inviolablement à la proſperité ; mais, il décampe au plus vite, à la moindre révolution. L’Auteur généreux, au contraire, ſe plait à trouver ſon Heros ſur le fumier, à l’en tirer, & à l’élever, par dégrez, juſque ſur le Trône. Il ſe retire enſuite, ſans attendre ſeulement qu’on le remercie de ſes bontez.

Pour imiter un ſi bel exemple, j’ai placé Mylord Pierre dans une bonne maiſon, je lui ai donné un titre & de l’argent pour ſes menus plaiſirs. C’eſt-là que je le laiſſerai pour un tems, pour aller charitablement au ſecours de ſes pauvres Freres, que la fortune a mis au plus bas de ſa rouë. Ma charité ne ſera pas aſſez aveugle pourtant, pour me détourner du devoir d’un fidelle Hiſtorien ; & je ſuis reſolu de ſuivre l’exacte verité, de quelque coté qu’elle puiſſe diriger mes pas.

Nos deux exilez, ſi étroitement unis par le ſang & par les intérêts, prirent le parti de ſe loger dans une même chambre, où ils eurent tout le loiſir de ſonger aux malheurs de leur vie paſſée. Ils eurent de la peine à comprendre à quelle irrégularité dans leur conduite ils devoient les imputer, juſqu’à ce qu’ils euſſent porté leurs réflexions ſur la Copie du Teſtament de leur Pere, qu’ils avoient ſi heureuſement atrapée. L’aiant examinée avec la plus grande attention, ils ſe déterminérent d’abord à rectifier tout ce qu’il y avoit eu juſques-là de défectueux dans leurs actions, & à prendre pour l’avenir toutes les meſures néceſſaires pour ſe conformer exactement aux ordres que ledit Teſtament leur preſcrivoit.

Le Lecteur n’aura pas oublié, j’eſpere, qu’il rouloit preſque tout entier ſur leurs habits, & ſur la maniere d’en faire uſage. Quand les deux Freres ſe mirent à confronter, Article par Article, la doctrine avec la pratique, jamais on ne vit une difference plus grande entre deux choſes : il n’y avoit pas un ſeul point à l’égard duquel la conduite, & les préceptes, ne fuſſent diamétralement opoſez. Cette facheuſe découverte les fit travailler ſans delai, à corriger toutes leurs fautes paſſées, & à conformer leurs habits exactement au modelle, que leur Pere leur en avoit tracez.

Il eſt bon d’arrêter ici un moment le Lecteur précipité, toûjours impatient pour voir la fin d’une avanture, avant que nous autres Auteurs l’y puiſſent duëment préparer.

Il faut qu’il ſache, qu’environ ce tems, nos deux Chevaliers malencontreux commencérent à être diſtinguez par certains noms : l’un ſe fit appeller Martin, & l’autre prit le nom de Jean.

Ils avoient vécu enſemble dans une grande harmonie ſous la Tyrannie de Pierre ; comme il eſt aſſez ordinaire aux Compagnons de ſoufrance. Les hommes, qui ſont dans l’infortune, reſſemblent à ceux qui ſont environnez de ténébres, & à qui toutes les couleurs paroiſſent abſolument les mêmes. Mais, à peine ces deux Freres furent-ils ſortis de ce goufre de miſeres, qu’ils ſe dévelopérent, non ſeulement aux yeux l’un de l’autre, mais encore aux yeux du public. Leurs humeurs parurent extrémement différentes, & la ſituation de leurs affaires leur en fit donner bientôt les plus fortes preuves.

Je crains bien, dans cet endroit, les juſtes réprimandes d’un Lecteur ſevere, qui me taxera ſans doute d’un défaut de memoire, auquel dans le fond il n’eſt gueres poſſible qu’un Ecrivain moderne ne ſoit un peu ſujet. J’en dirai la raiſon en paſſant. Comme la memoire eſt une Faculté qui s’exerce ſur les choſes paſſées, elle doit de neceſſité ſe rouiller dans l’inaction, parmi les Savans de notre âge, qui, ne ſe mêlant que de l’invention, font ſortir toutes leurs productions d’eux-mêmes, ou du moins du frottement de leur propre eſprit, contre celui de leurs contemporains. C’eſt conformément à cette verité d’experience, que nous croïons très-juſte d’alleguer notre peu de Memoire, comme une preuve inconteſtable de notre Génie, & de nos Lumieres naturelles.

Quoi qu’il en ſoit, je confeſſe que, ſelon les regles ordinaires de la Methode, j’aurois dû inſtruire mes Lecteurs une cinquantaine de pages plus haut d’une Fantaiſie de Mylord Pierre, qu’il eut l’adreſſe de communiquer à ſes Cadèts. Il les avoit portez à charger leurs habits de tous les ornemens, qu’il avoit plu à la mode de mettre en vogue, & à les entaſſer les uns ſur les autres, ſans que les premiers fiſſent jamais place aux ſuivans ; ce qui fit, avec le tems, la figure la plus groteſque qu’on puiſſe s’imaginer. Dans le tems de leur rupture, il n’y avoit pas moïen d’entrevoir ſeulement le fond de leurs habits[1] : ce n’étoit qu’un cahos de galons, de rubans, de franges, & d’éguilletes ferrées d’argent ; car, les autres étoient tombées peu à peu.

Voilà cette particularité importante, dont j’avois oublié de parler dans ſon veritable lieu. Mais, le malheur n’eſt pas grand : elle vient ici comme de cire ; puiſque je vais parler de la Reforme, que nos deux Avanturiers tachérent de donner à leurs habillemens, après avoir ſecoué le joug de Mylord Pierre.

Ils s’appliquerent unanimement à cet Ouvrage, en jettant les yeux, tantôt ſur leurs Habits, & tantôt ſur le Teſtament. Martin y mit la main le premier. D’un ſeul coup, il abatit toute une poignée d’éguillettes[2], & d’un autre il arracha plus de douze aunes de frange ; mais, après cette éxécution vigoureuſe, il s’arrêta pendant quelques momens. Ce n’eſt pas qu’il ne fut très-perſuadé, qu’il lui reſtoit encore beaucoup à faire ; mais, ſa grande chaleur s’étant évaporée, il reſolut d’y aller plus modérément. Il n’avoit pas tort, puiſqu’il avoit failli dechirer une grande partie du drap, en arrachant cette poignée d’éguillettes, qui, étant ferrées d’argent, avoient été attachées d’un double point par le prudent tailleur, afin de les empêcher de tomber. Il les laiſſa donc-là, & ſe mit en devoir de débaraſſer ſon habit d’une quantité prodigieuſe de galon d’or : il commença à les découdre avec beaucoup de précaution, en épluchant les fils détachez à meſure qu’il avançoit ; ce qui étoit un ouvrage de longue haleine.

L’aïant achevé, il tomba ſur la broderie chinoiſe chargée de figures d’hommes, de femmes, & d’enfans ; contre laquelle, comme vous avez apris ci-deſſus, le Teſtament ſe déclaroit d’une maniere très-claire, & très-vigoureuſe. Il en vint abſolument à bout, à force d’adreſſe & d’application. Pour la broderie d’or, ou d’argent, il y travailla avec moins de ſuccès, quoiqu’avec la même prudence. Dans certains endroits, elle étoit ſi épaiſſe, qu’il étoit impoſſible de la défaire ſans endommager l’habit même : dans d’autres, elle ſervoit à fortifier l’étoffe, & en cachoit certaines parties foibles, uſées à force de paſſer par les mains des Ouvriers. Le bon Martin crut que le meilleur parti étoit de n’y pas toucher[3], & qu’il faloit


Tom. I pag. 168.
Tom. I pag. 168.



plûtôt laiſſer la Réforme imparfaite, que de gâter ſon habit de fond en comble. C’étoit-là, à ſon avis, la meilleure méthode, pour ſe conformer à l’intention & au véritable ſens des ordres de ſon Pere. Voilà la relation la plus exacte, que mes laborieuſes recherches m’ont mis en état de vous donner du procédé de Martin, dans une conjoncture ſi delicate.

Pour ſon Frere Jean, dont les Avantures extraordinaires abſorberont une grande partie de ce qui me reſte a écrire, il travailla à la déconfiture[4] de ſes ajuſtemens ſuperflus dans des diſpoſitions fort differentes, & dans tout un autre eſprit. Il y donna tête baiſſée. Le ſouvenir des injuſtices de Mylord Pierre le porta à un tel dégré d’indignation & de haine, qu’il influa beaucoup plus ſur ſes actions, que les ordres du Pere, qui ne ſervirent chez lui, que d’un motif ſubalterne, propre à ſeconder & à pallier les autres. A ce mélange de motifs il menagea un nom fort prevenant, en l’honorant du titre de Zêle, le terme le plus ſignificatif, qu’aucune langue puiſſe jamais produire. C’eſt ce que j’ai prouvé invinciblement dans mon excellent Traité Analytique, où je donne un détail Hiſtori-Theo-Phyſico-Logical du Zèle : faiſant voir, de quelle maniere, de Notion, il étoit devenu Mot ; & comment, parvenu enſuite à ſa pleine maturité, pendant une Automne exceſſivement chaude il s’étoit changé en ſubſtance palpable. Cet Ouvrage fait trois grands volumes in folio, & en peu de jours je prétends le rendre public, par la voïe moderne de la ſouſcription ; convaincu que la Nobleſſe, & les gens riches du Païs, mis en goût par ce qu’ils ont déja lu de ma façon, ne négligeront rien, pour encourager mon Génie à de nouveaux efforts.

Frere Jean, plein comme un œuf de cette merveilleuſe compoſition nommée Zêle, ſongeant avec fureur à la tyrannie de Pierre, & pouſſé à bout par le Flegme de Martin, s’animoit lui-même à faire le Diable à quatre. Comment ! diſoit-il : un Maraut qui nous a laiſſez mourir de ſoif, qui a chaſſé nos Femmes à grands coups de pied dans le ventre, qui nous a voulu faire paſſer ſes maudites croutes de pain noir pour du mouton ! Un fourbe, qui nous a fraudé de notre héritage ! Un coquin, d’ailleurs, dont tout le monde connoit la Scelerateſſe ! Et je ſerois aſſez lache, pour ſuivre encore ſes abominables modes ! J’aimerois mieux qu’il fut pendu, le double chien.

Aïant de cette maniere enflammé ſa bile au plus haut degré, & par conſequent ſe trouvant dans une charmante humeur pour commencer une Réformation, il mit la main à l’œuvre ; &, en trois minutes, il depêcha plus d’ouvrage, que Martin n’avoit fait dans un jour entier. Le Lecteur benevole ſaura, s’il lui plait, qu’on ne peut jamais rendre un plus grand ſervice au Zêle, que quand on l’emploïe à déchirer ; &, par-là, il comprendra ſans peine, que Jean, qui regardoit le zêle comme ſa meilleure qualité, étoit dans ſon veritable élément, en ſe livrant tout entier à cette noble & divertiſſante occupation. En effet, il s’y abandonna tellement, qu’en voulant arracher un morceau de Galon, il déchira ſon habit depuis le haut juſqu’au bas ; &, comme il n’étoit pas fort habile à rentaire le drap, il ſe contenta d’en raccrocher les Lambeaux, avec de la groſſe corde & une éguille à emballer. C’étoit bien pis encor, & je ne ſaurois m’en reſſouvenir ſans larmes ; c’étoit bien pis encore, dis-je, quand il tomba ſur la broderie. Le pauvre garçon, qui étoit naturellement auſſi mal adroit qu’impatient, voïant à ſes yeux un million de points à défaire, ce qui demandoit beaucoup de flegme & une main très-délicate ; & perſuadé, qu’il n’en ſortiroit pas à ſon honneur ; ſe mit dans une telle rage, qu’il arracha toute la piéce, tant drap que broderie, & qu’il la jetta dans la rue. Ah ! mon cher Frere, dit-il en s’applaudiſſant de cette belle expedition, faites comme moi, tirez, arrachez, dechirez, afin que rien ne paroiſſe ſur nous, qui nous donne la moindre reſſemblance avec ce double maraut de Pierre. Je ſerois au deſeſpoir de porter la moindre choſe qui pût faire ſoupçonner dans le voiſinage, que je fuſſe des Parens de ce Diable incarné.

Martin, qui par bonheur étoit alors dans une humeur fort moderée, pria ſon Frere d’avoir ſoin d’épargner ſon habit, puiſqu’il lui étoit impoſſible d’en trouver un autre de cette bonté-là. Il le ſupplia de conſiderer, qu’ils ne devoient pas regler leurs actions ſur leurs juſtes reſſentimens contre Pierre, mais ſur les maximes établies dans le Teſtament. Souvenez-vous, continua-t-il, que Pierre eſt toujours notre propre Frere, malgré ſes Injuſtices & ſa Tyrannie ; évitez autant qu’il vous eſt poſſible, de vous croire innocent ou coupable, à meſure que vous ferez vos efforts, pour le contrarier.

Il eſt certain, ajouta-t-il, que les ordres de notre Pere ſont formels, pour ce qui regarde la maniere de nous ſervir de nos habits ; mais, ils ne le ſont pas moins, par raport à l’affection fraternelle, qui doit regner parmi nous : &, s’il y a quelque précepte dans le Teſtament, dont la transgreſſion puiſſe étre pardonnable, ce ſera plûtôt, ſi elle tend à ſerrer les liens de notre amitié mutuelle, que ſi elle a pour but de nous deſunir pour jamais.

Martin alloit continuer avec la même gravité, & il nous auroit laiſſé ſans doute un admirable diſcours, propre à procurer à mes Lecteurs le repos du corps & de l’ame, le veritable but de la bonne Morale ; mais, Jean avoit perdu patience : il n’étoit plus en état de l’écouter, bien éloigné de pouvoir profiter de ſes leçons, On remarque que dans les diſputes de l’Ecole, rien n’échauffe davantage la bile de celui qui argumente, qu’un certain calme pedanteſque dans le Répondant. Il en eſt comme de deux balances chargées d’un poids inégal : la peſanteur de l’une augmente la legereté de l’autre ; &, plus la prémiere deſcend, plus l’autre vole en haut avec rapidité. C’eſt juſtement le cas dont il s’agit ici : la gravité des raiſonnemens de Martin augmentoit la vivacité de Jean, & le faiſoit regimber contre la moderation de ſon Frere. En un mot, le flegme de l’un jettoit l’autre dans les derniers emportemens. Il enrageoit ſur-tout, en voiant l’habit de Martin ſi bien remis dans l’état de ſimplicité & d’innocence primitive ; au lieu que le ſien étoit tout en lambeaux, & qu’il continuoit toûjours à porter la livrée de Pierre, dans les endroits qui avoient échappé à ſes cruelles griffes.

Dans cet équipage, il avoit tout l’air d’un petit Maître ivre, qui ſort d’entre les mains de quelques Breteurs ; ou d’un nouvel Habitant de Newgate, qui a manqué de païer la bienvenue à ſes Compagnons[5] ; ou d’une Maquerelle en vieille jupe de velours, livrée au bras ſeculier de la Canaille ; ou d’un Voleur de boutique pris ſur le fait, & abandonné à la merci des marchands de la foire. Le pauvre Jean reſſembloit à chacun de ces malheureux, & même à tous enſemble, couvert de ce noble aſſortiment de guenilles, de déchirures, de vieux galons, & de franges à moitié arrachées. Il auroit été ravi de voir ſon habit ſemblable à celui de ſon Frere ; mais, il auroit été infiniment plus charmé de voir celui de ſon Frere dans l’état où il venoit de réduire le ſien. Mais, remarquant qu’il n’y avoit point de remede, il fit de ſon mieux pour donner un air de vertu à ce qui étoit un effet néceſſaire de ſon imprudente précipitation. Il emploïa toute ſa Rhétorique, pour porter Martin à l’imiter. Jamais le Renard de la Fable n’aporta plus d’argumens ſubtils, pour porter toute ſon eſpéce à ſe faire couper la queuë, que Jean en décocha contre ſon Frere, pour le mettre à la raiſon ; c’eſt-à-dire, pour le reduire aux mêmes Lambeaux, dont il ſe voïoit couvert lui-même. Mais, helas ! il ne fit que tirer ſa poudre aux moineaux ; ce qui le mit dans une telle fureur, qu’etouffant de dépit & d’indignation, il accabla Martin de mille invectives canailleuſes. Pour faire court, voilà une bréche irréparable dans l’amitié des deux Freres. Jean fut ſe loger dans une chambre à part ; &, quelques jours après, un bruit ſe répandit, qu’il étoit devenu fou à lier. Il eut bientôt ſoin de confirmer ce bruit, en courant les ruës, & en tombant dans les fantaiſies les plus burleſques, qui aïent jamais été produites par un cerveau malade.

Bientôt les Poliſſons des ruës l’honorérent de pluſieurs Sobriquets. Tantôt ils l’appelloient, Jean le Pelé, tantôt Jean le Flamand, quelquefois Jean le Lanternier, d’autrefois Jean le Gueux, & ſouvent le furieux Jean du Nord[6] : & ce fut ſous une de ces denominations, ou bien ſous toutes enſemble, tout comme il plaira au ſavant Lecteur de le déterminer, qu’il donna l’origine à la très-illuſtre & très-épidemique Secte des Æoliſtes[7], qui honorent encore, avec reconnoiſſance, le fameux Jean comme leur Fondateur.

Je ne fais ici que gliſſer ſur cette matiere, parce que je me prépare à gratifier le public au premier jour d’une ample Diſſertation ſur l’Origine, les Principes, & les Dogmes de cette Secte,

Mellæo contingens cuncta lepore.

  1. Du tems de la Reformation, les nouvelles Inſtitutions des Papes s’étoient ſi fort augmentées, qu’on avoit de la peine à entrevoir ſeulement la Religion de J. Chriſt à travers tout ce Fatras.
  2. Par ces Eguillettes ferrées d’argent, que Tailleur avoit attachez à l’habit d’un double point, & dont Martin arrache une poignée au grand détriment de ſon pauvre Juſtaucorps, je ne doute point qu’il ne faille entendre les grandes Charges de l’Egliſe Romaine, qui ſont ſi lucratives, & qui donnent tant d’attachement & de tendreſſe pour cette Egliſe à ceux, qui poſſedent ces Charges, & qui croyent être en droit d’y prétendre. Luther, après avoir aboli le trafic des Indulgences avec beaucoup de ſuccès, bannit auſſi de la Religion le Pontificat ſuprême, & le Cardinalat ; mais, ſa premiere chaleur étant paſſée, & voiant que toucher aux autres Dignitez Eccleſiaſtiques c’étoit riſquer de tout perdre, il aima mieux laiſſer les choſes à cet égard-là dans leur état, que de ruiner de fond en comble ſon projet de Reformation. La Reine Eliſabet a imité cette prudence avec beaucoup de ſuccès : & il eſt fort aparent, que ſi Calvin ſe fut ſervi de cette Politique, qui, dans le fond, ne fait aucun mal eſſentiel à la pureté de notre Culte, nous verrions à préſent toute l’Europe dégagée du Joug de ſa Sainteté.
  3. Par la Broderie il faut entendre, comme j’ai déja remarqué, la Pompe du Culte religieux. Martin trouva à propos d’en diminuer ſeulement l’excès, & l’abus, pour ne pas choquer les yeux du Peuple trop acoutumez à cet éclat, pour y renoncer ſans regrèt. L’Egliſe Anglicane en a uſé de même : & c’eſt pour cette raiſon, que l’Auteur en attribuë plûtôt la fondation à Martin, qu’à Jean ; quoique, par raport aux Articles de Foi, Jean en ſoit plûtôt le Fondateur, que Martin.
  4. Il doit paroitre d’abord ſurprenant, qu’on atribue ici tant de Chaleur à Jean, & tant de Flegme à Martin. Il eſt certain, que ce dernier pouſſoit la conſtance juſqu’à l’obſtination, & la force d’eſprit juſqu’a la ferocité. Atrox animus Catonis. Calvin, au contraire, paroiſſoit d’un temperament plus doux ; &, d’ailleurs, c’étoit un Genie tout autrement tranſcendant que Luther. Mais, il étoit plus bigot ; & peut-être l’envie de n’etre pas un ſimple Imitateur & de ſe faire Chef de Secte l’a pu porter à faire des Innovations, Evangeliques dans le fond, mais imprudentes, & dangereuſes. Enfin, quel que fût ſon naturel, pluſieurs de ſes actions avoient le même caractere, que ſi elles étoient l’effet d’un zèle inconſideré.
  5. Fameuſe Priſon à Londres, où les nouveaux venus ſont obligez de donner pour boire à leurs Compagnons, s’ils ne veulent pas être maltraitez d’une maniere afreuſe.
  6. Dans une autre Setion cette matiere est traitée d’une maniere fort étenduë.
  7. L’Auteur a ici en vuë les differentes ſortes des Nonconformiſtes.