Le Conseil tenu en une assemblée des dames et bourgeoises de Paris


Le Conseil tenu en une assemblée faite par les Dames et bourgeoises de Paris.

vers 1620



Le Conseil tenu en une assemblée faite par les Dames et bourgeoises de Paris. Ensemble ce qui s’est passé. In-8. S. L. ni D.1.

Soit que ce soit l’ambition, qui souvent donnant à travers l’esprit des femmes, leur fasse croire au rabais de leurs merites, si tant est qu’elles sçachent que les chauds baisers des maistres du logis s’estrangent2 dans les doux embrassemens de quelque gentille saffrette3 de servante ; soit que ce soit qu’au sortir d’une si aggreable escarmouche et d’un cultis si souvent reiteré, l’on ne puisse si prestement fournir à l’appoinctement, et qu’il ne leur reste plus que du son et de la lie, au contentement que elles espèrent entre les bras de leurs chers epoux ;

Quoy que s’en soit, après que nos sus dites servantes eurent faict signifier l’arrest4 qui avoit esté donné à leur proffict (contre leurs maîtresses), dame Avoye, seante en son siége au Pilory, Mesdames les maîtresses, se trouvant survenues en ce jugement, creurent qu’il falloit faire une assemblée, affin qu’agissant par un si sage conseil, on peusse plus seurement fournir de productions et de deffences pour ce dict proccz.

À raison de quoy il fut arresté que ceste tant authentique et magistrale assemblée se feroit au cimmetière des Innocents, à la sortie du marché.

De tous cotez accoururent les femmes, bourgeoises, marchandes, damoiselles, presidentes et plusieurs autres qui avoient intherest en la cause. Les scribes n’eurent pas si tost faict faire silence que très honorée dame madame Calette (preferable à toute autre, tant pour sa singulière prudence que vigilance touchant nos affaires, affublée d’un crespe noir) commença par ces mots :

Harangue de dame Madame Calette.

Chères dames, de quel courage souffrirons nous que nos esclaves, ces petites goujattes d’amour, ces brayettes de suisses, ces quintènes5 de bordel, ces pissepots de nos maris, nous bravent, et qu’à la fin elles nous foullent aux pieds ? Voyez (je vous prie) avec quelle astuce elles ont obtenu deffaut contre nous ! avec combien de charmes, de visages raffinez, elles ont sceu suborner les juges à nostre desavantage ? Il n’y en a aucun à voir qui ne soit pour elles ! C’est faict de nous, si par une sage remonstrance nous ne les supplions et remonstrions que les juges, ayant esté aveuglez, corrompus et gaignez, nous permettent une evocation en quelque autre ressort, où la justice bandant les yeux, et d’une egale balance, pèse les justes droicts de nostre deffence. Donc, mes chères dames, advisez où il sera le plus expedient de revoquer ce procez.

Resolution de Mesdames sur la harangue de
dame Madame Calette
.

La harangue finie, celles qui estoient le plus interessées en ceste cause demandèrent à la compagnie qu’il leur pleust accorder que le lieu où se debvoit resoudre ce differend fust au cimmetière des Innocents, pour là, au retour du marché des halles, se saisir plus aisement de celles qui avoient esté les chefs de ceste rebellion entre les servantes, pour les punir selon leurs demerites.

Assemblée des Dames pour dire leurs plainctes.

Après qu’une quantité de coiffes, de chapperons, de masques6 et d’escoiffions7 se fust rendue au dict consistoire, dame madame Calette, assise sur le cul d’un mannequin (à cause de la lassitude du chemin), fit signe de l’œil à une espicière assez falotte de se lever, et proposer le subject de sa plaincte.

La petite espicière, craignant de se voir desobeyssante au commandement qui lui estoit faict, après avoir coloré son teinct d’une couleur vermeillette, et comme baissant la teste, dict : Ce n’est pas que mon desir glouton ne sçache bien se contenter, et que le garçon de la boutique ne calfeutre aussi bien mon bas que maistre juré qui soit au mestier de cultis ; mais je ne puis souffrir qu’une truande s’engresse à mes despens, et qu’une telle maraude souille l’honneur de mon lict. Je suis contraincte de l’appeller pardevant vous, en vous remontrant combien de fois je les ay surprins dedans le magasin, où, allant pour quelques affaires, je les avisois par le trou de la serrure (car ils avoient verrouillé la porte sur eux) qui touchoient si rudement que c’estoit pitié de les voir. Je ne sçay où ils pretendoient gister ce jour-là, mais ils doubloient fort le pas ; mais entr’autres, une fois, se doubtant que ceste place n’estoit pas de grande resistance, et que les soldats estoient là à decouvert, ils montèrent plus haut au grenier, puis s’enfermèrent dans une tonne vuide, où après quelques coups fourrez, ils s’estocadèrent si rudement que, roulants sur le plancher en ceste tonne, cela fit un grand bruict. Ce qu’entendant, je monte droict en haut, où je vis ceste tonne courir ça et là sur le plancher ; ne sçachant que c’estoit, je voulus conjurer le diable de sortir de là dedans, où, après quelques conjurations, j’apperceu sortir un des pieds de mon mary, passé entre les jambes de ma drôlesse. Ah ! quel crève-cœur ! Depuis trois ans que je suis avec luy, je n’ay eu qu’un enfant ; encor est-il fluet qu’il ne se peut soustenir.

Voire vrayment (dict madame Charlette, femme d’un apothicaire), voilà bien dequoy se plaindre ! Est-ce un ? Il pesche toujours qui en prend un ; il y a huict ans que je suis avec le mien, sans que j’en puisse avoir un ; c’est bien peu ! Je ne sçay ce qu’il met en ses drogues, mais elles sont de bien peu d’operation. Naguères nous allâmes en pelerinage à Liesse, esperant que par l’intercession de ceste saincte Dame je pourrois avoir un heritier du fruict de nos travaux ; mais à peine fumes-nous de retour que l’on me parla de sage-femme : c’etoit la nostre qui étoit accouchée. Hé bien ! voilà comme nos marys peschent en eaue trouble ; ces grands vault riens sçavent bien enfourner au four d’autruy et ne trouvent jamais le nostre assez chaud. Cependant ce ne fut pas tout, car ceste truande, après m’avoir faict la nique, obtint provision de cinquante escus8. Deussay-je en payer cent, et qu’il m’en fit autant !

La G. print alors la parole, et dict à une de ses voisines qui estoit là : Sainement (ma commère, ma mie), je n’eusse jamais pensé, avant que d’entrer en mariage, qu’il s’y fist tant de meschancetez. Ces jours derniers, comme j’estois allé à la messe, je ne fus pas de retour qu’entrant dans la salle avec mon boullanger, pour conter avec luy, je les vis tous deux sur le lict vert, si eschauffés au jeu que l’on eust dict qu’ils en avoient à quelqu’un. Ceste fine beste, se voyant surprise, joue si dextrement son jeu que, se glissant dessous son maistre, se coula derrière le long d’une tapisserie jusqu’à la porte, et ainsi gaigna le haut. Bon Dieu ! que je l’eusse pelottée si elle ne se fust esquivée, et que je luy eusse donné de gourmades ! Encores passe pour un coup, mais je vous laisse à penser si c’est là la première fois !

Une certaine P., portant je ne sçay de colère sur sa face, allongea le col, puis dict : C’est assez patienter. Ce vilain ruffien, non content d’en avoir jusqu’aux bretelles, toutes les nuicts se lève du lict, puis, feignant d’avoir un cours de ventre, va droict à la garde-robbe, où, le rendez-vous estant avec une de mes filles de chambre, l’enfile avec tant de zèle que l’on diroit qu’il enfileroit des perles ; mais, comme il demeuroit trop long-temps en son embarquement, je l’allay trouver, où je le vis tout estendu et se tourmentant comme un malade de sainct9. J’eus souleur. À l’heure j’appellay Guillaume, Janne, Pierre, Jacques, cocher, laquais, et recognu enfin que c’estoit. La pauvrette, de honte qu’elle avoit, se print à plorer, et troussa sa chemise par devant pour s’en cacher la face10. Dieu sçait comme je l’accommoday ! Je fis venir tous les valets d’estable, qui luy donnèrent cent coups d’estrivières et luy arrachèrent poil à poil la barbe du menton renversé. Ce ne fut pas tout : pour obvier à tous inconveniens, et qu’une autre fois elle ne pust servir au dict mestier, je fis venir nostre mareschal, qui l’encloua si bien qu’elle s’en souviendra, ne luy laissant qu’un petit trou d’arrousoir pour luy passer l’urine. Voilà comme je les etrille. Un chacun se print à rire là dessus, et sembla-on approuver ce chastiment par un sousris qui s’esleva en la compagnie.

Mais la B., mal contente de son mary, ne pust rire et ne finit de gronder jusqu’à ce qu’on luy eust dit : Hé bien ! Madame, qui vous tourmente ? Parlez.

J’ay beau remonstrer à ce gousteux de mary comme il se perd, luy et son honneur, et que c’est un très mauvais exemple pour sa famille ; mesmement, après luy en avoir beaucoup battu les oreilles, et n’en pouvant plus chevir, j’allay trouver son confesseur, et le suppliay de luy en toucher quelques mots. Mais on a beau prescher à qui ne veut entendre : ce vilain a le cœur si endurcy et est si esperduement affollé de ceste gallande, que mesme il ne s’en abstient pas les vendredis, ny moins les bons jours de feste. Samedy dernier, comme je revenois du Marché-Neuf, j’entray en la salle avec nostre fermier. Son chien, qui le suivoit, commença à aboyer si furieusement vers la cheminée, qui estoit couverte depuis le haut jusqu’en bas de tapisserie, que je fus contraincte d’aller voir ce que c’estoit. Je lève la tapisserie, où je vis mon mary, qui de furie canonoit le fort de nostre servante là dessous. Il sembloit que, de sa perche et d’un certain ramon pelu, il ramonoit quelque chose de nostre bonne marchande. Il estoit debout, où de cul et de teste il poussoit si brusquement, qu’après avoir bien besogné et fermement ramoné, il revint tout sale, les yeux pleurans, comme je le pus voir, ayant son capuchon hors la teste. Mais je ne m’estonne plus s’il se plaint tant des gouttes, puis que c’est un axiome de medecine que de le faire debout engendre les gouttes.

Une certaine P., avec un sac de plainctes, demanda audience ; mais, comme elle pensa parler, l’horloge sonna, ce qui fit que madame Calette, voulant mettre ordre à ceste confusion, parla ainsi :

Nobles dames, après avoir ouy tant de plaintes, qui vous confirment assez le bruict qui est moindre que le mal, c’est à vous maintenant à adviser un chastiment pour nous venger de l’affront que ces impudentes nous ont fait cy-devant, et un remède pour mettre ordre en avant et rompre chemin à la permission qu’elles ont obtenue de coucher avec leurs maistres11, donnant arrest là-dessus que pas une, dores-enavant, ne soit si effrontée que de commettre un tel forfait, sur peine de punition corporelle.

Aussi-tost il fut ordonné à un scribe du cimmetière de S. Innocent de prendre la plume et escrire ce qui ensuit :

Teneur de l’Arrest donné.

Encores que celles qui nous ont precedé au gouvernement de ceste republique, et nous, à leur imitation, ayons faict plusieurs edicts et ordonnances pour reprimer et corriger le luxe et hautes entreprises de nos servantes, et pour les contenir dans la modestie convenable à leur condition, neantmoins, comme le vice s’accroist de jour en jour, l’outrage et l’audace de telles servantes est montée à tel excès, que l’on recognoist que, non contentes de quelques petits coups fourrez à nostre desceu, leurs desseins sont si pernicieux, qu’ayant obtenu permission, pretendent d’avoir part au logis, pour enfin nous en chasser tout à faict ; et ce qui importe le plus est, outre les incommoditez et troubles que l’on en reçoit, en ce que, mettant la main entre l’escorce et l’arbre, sèment la zizanie, et toute la famille en reçoit un grand prejudice, en ce que les dites servantes, qui sont courreuses et qui ne font pas de grand service en la maison, espuisent de grandes sommes de deniers de la gibecière de leurs maîtres, qu’elles obtiennent par provision, feignant d’estre grosses12, bien que ce soit de quelque coquin à qui elles donnent tous ces deniers, sans en tirer aucun proffict. À quoy desirans pourvoir, après avoir mis ceste affaire en deliberation en nostre conseil, où estoient plusieurs dames, damoiselles, bourgeoises et autres officières de cet estat, sçavoir faisons que nous, pour ces presentes et autres bonnes considerations en ce mouvantes, avons, par ces presentes, faict et faisons très expresses inhibitions et deffences à toutes nos subjectes servantes d’observer de poinct en poinct le dict arrest, sur peine aux contrevenantes des charges cy-devant mentionnées.

Ce qui fut faict et accordé le mesme jour que dessus.

Et affin qu’ils n’en pretendent cause d’ignorance, nous avons fait signer le present arrest de nostre seing ordinaire.

Calette.




1. Cette pièce est la contre-partie de celle qui a pour titre : La permission aux servantes de coucher avec leurs maîtres, etc., reproduite dans notre t. 2, p. 237. Elle est conçue dans la même forme et écrite dans le même style. On voit par plusieurs passages qu’elle a positivement été faite pour servir de réponse à l’autre. Je penserois volontiers que toutes deux sont du même auteur.

2. S’égarent.

3. V., sur ce mot, notre t. 2, p. 242.

4. C’est l’Ordonnance de dame Avoye, enjoignant à toutes servantes, chambrières, filles de chambre, etc., de coucher avec leurs maîtres, qui fait partie de la pièce à laquelle celle-ci répond. V. notre t. 2, p. 240.

5. On sait que dans les lices la quintaine étoit le poteau contre lequel on s’exerçoit à jeter les dards ou à rompre la lance.

6. Sur l’usage des masques, même chez les bourgeoises, V. notre t. 1, p. 307, et notre édition des Caquets de l’Accouchée, p. 105.

7. On appeloit ainsi l’espèce de coiffe que portoient les femmes du commun. On disoit aussi scoffion, comme dans ces vers de Ronsard :

Son chef estoit couvert folastrement
D’un scoffion attifé proprement.

On le trouve encore sous cette forme dans les épithètes de de la Porte. Il ne falloit confondre l’escoffion ni avec la calle, que portoit sans doute Mme Calette, qui vient de parler tout à l’heure, ni avec la cornette. Scarron le donne à entendre quand il fait dire par un de ses personnages :

Estes-vous en cornette ou bien en escoffions ?

Molière s’est servi une fois de ce mot, dans l’Étourdi, act. 5, sc. 14 ; mais il vieillissoit de son temps.

8. Sur les dommages-intérêts auxquels avoient droit les servantes séduites par leurs maîtres, V. notre t. 1, p. 319–320, note.

9. C’est-à-dire atteint d’épilepsie. On donnoit ce nom de mal de saint à certaines maladies, telles que le mal saint Mathelin, qui étoient placées sous l’invocation de tel ou tel patron. V. Ancien théâtre françois, t. 2, p. 415.

10. Dans les Fantaisies de Bruscambille et dans une pièce du même temps, Complexions amoureuses des femmes, etc., se trouve la même plaisanterie sur les filles qui, par pudeur, se couvrent les yeux avec leur chemise.

11. Nouvelle allusion à la pièce dont celle-ci est la contrepartie.

12. V. l’une des notes précédentes.