Le Collage/Le Collage/VIII

Édouard Dentu (p. 33-34).
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VIII


2 septembre.

Encore quatre mois d’écoulés. La vie d’enfer continue.

Nos deux existences cheminent côte à côte, avec des heurts imprévus, des froissements éternels. Entre les crises, reviennent des périodes d’accalmie, dues à une double fatigue réciproque. Nous ressemblons alors à deux malades, qui, au milieu de souffrances plus sourdes, gardent l’angoisse des tortures prochaines. Jamais d’éclaircie définitive. Rarement un de ces rayons de soleil fugitifs, comme celui qui s’était insinué chez nous à la suite de Momiche. Chaque fois, d’ailleurs, ces moments de répit sont payés cher ; Célina se montre ensuite plus tyrannique et plus irritable, comme si elle avait à rattraper le temps perdu.

Je reconnais que j’ai mes torts. Souvent, malgré moi, parfois sciemment, pour ne pas me contraindre ou pour me livrer sur elle à quelque expérience, je la consterne et je la blesse. Elle me le rend bien. Il faut être juste : malgré les tortures qu’elle m’inflige à son tour, Célina n’est point un monstre. Il faut même lui reconnaître des mérites. D’abord, elle ne ment jamais. Malgré son passé déplorable, j’ai la certitude qu’elle m’est absolument fidèle. Dans l’atmosphère plus saine et plus intelligente où je la fais vivre, elle gagne tous les jours. Oui ! c’est une femme comme les autres ! Son manque d’éducation première ne peut lui être imputé. Elle a sans doute le caractère ombrageux : chez elle, qui a poussé aux champs parmi les dindons et les vaches, le cœur se présente d’abord enveloppé dans une première écorce rugueuse ; mais, sous l’écorce, rien n’est mauvais. En ses moments de santé et de lucidité, elle découvre un fond d’honnêteté native. Je ne me crois pas un être bien méchant, pourtant, elle vaut mieux que moi.

Elle m’aime à sa manière.