Le Circuit
Personnages
modifierComédie en trois actes et quatre tableaux
Représentée pour la première fois sur la scène
du Théâtre des Variétés, le 29 octobre 1909
écrite en collaboration
avec Francis de Croisset
Personnages
Etienne Chapelain : MM. Brasseur
Le Brison : Guy
Amaury De Chatel-Tarraut : Max Dearly
Rudebeuf : Prince
Jourdain : Moricey
Le Prince : Carpentier
Le Chauffeur : Avelot
Le Garde Champêtre : Rocher
Le Caporal : Dupuis
Le Lieutenant : X…
Un Monsieur : X…
Un Spectateur : X…
Un Vendeur de Journaux : X…
Premier Gigolo : X…
Deuxième Gigolo : X…
Herlaut : X…
Un Commissaire : X…
L’Aubergiste : X…
L’Adjoint : X…
Mme Grosbois : Mme Marie Magnier
Phèdre : Lantelme
Gabrielle : Dieterle
Un Titi : Harnold
La Mère : Marius
Première Cocotte : Delyane
Deuxième Cocotte : X…
Un Gamin : X…
Soldats, Spectateurs, Spectatrices.
Acte I
modifierLe bureau-magasin de vente du garage Grosbois. A droite, premier plan, grande vitrine donnant sur la rue où sont exposés différents accessoires pour automobiles. Au deuxième plan, porte vitrée donnant également sur la rue. Au fond, occupant plus de la moitié du panneau et jusqu’à mi-hauteur du mur, grand meuble-placard surmonté de rayons garnis de nombreux articles relevant de ce commerce. Devant ce meuble-placard, grand comptoir encombré d’accessoires. A gauche du comptoir, un bureau-caisse avec sa chaise. A gauche, premier plan, occupant tout le panneau, un meuble-placard avec rayons semblables au premier. Au fond, à gauche et face au public, une porte vitrée donnant sur le garage. A chaque extrémité du comptoir, une chaise. Aux murs, différentes affiches de publicité commerciale.
Scène Première
modifierMadame Grosbois, Rudebeuf, Jourdain, Herlaut.
Jourdain, entrant essoufflé. — C’est pas à la magnéto, monsieur, la magnéto fonctionne. Ni au différentiel. Rien à la boîte de vitesse. Bons changements ; tout ça neuf, d’ailleurs. Tout neuf !
Rudebeuf, à droite de la scène, premier plan, avec Herlaut. — La panne est survenue à votre porte. Impossible d’avancer.
Madame Grosbois. — Je suis désolée que vous ayez eu une panne, monsieur. Pourtant, dans notre métier, nous sommes un peu comme les médecins. Plus il y a de malades, mieux les docteurs se portent. Plus il y a d’accidents d’auto, mieux les ateliers fonctionnent. (Présentant une carte à Rudebeuf.) Garage Grosbois, téléphone 202-24. Si vous avez des amis !…
Rudebeuf. — Je vous remercie.
Madame Grosbois. — Nous louons des voitures au mois, à la journée et à l’heure. (Présentant une carte à Herlaut.) Monsieur s’occupe aussi d’automobile ?
Herlaut. — Oh ! moi, en amateur ! Tandis que M. Geoffroy Ru… (Coup de pied de Rudebeuf.) Quoi ?
Rudebeuf. — Nous faisons tous deux de l’auto en amateurs. (Bas à Herlaut.) Ne dis pas mon nom.
Madame Grosbois. — Ces messieurs sont des gens de cercle. Ca ce voit tout de suite. L’air chic et pas décorés. (Regardant la voiture.) C’est une Rudebeuf. Vous avez là une bonne marque.
Herlaut. — Vous ne savez pas combien vous lui faites plaisir.
Rudebeuf. — Mon ami veut dire : on est toujours flatté d’entendre louer sa voiture. (Bas.) Ferme donc ça ! (A Mme Grosbois.) Dites-moi, madame,… madame ?
Madame Grosbois. — Valentine Grosbois. Autrefois, je m’appelais Irène de Lysieux. Vous êtes trop jeune. Vous n’avez pas connu ce temps-là.
Rudebeuf. — Vous étiez au théâtre ?
Madame Grosbois. — Oui, monsieur.
Rudebeuf. — Le drame ? La comédie ?
Madame Grosbois. — Non ! Le cirque. J’étais écuyère et je traversais des petits cerceaux.
Rudebeuf. — Ah ! elle est bonne ! Je vous demande pardon.
Madame Grosbois. — Ca ne fait rien.
Rudebeuf. — Eh ! bien, madame Grosbois, ce n’est pas la première fois que je viens à votre garage. J’étais déjà venu avant-hier pour acheter des lunettes. J’en ai acheté d’ailleurs. Seulement, j’en voudrais…
Madame Grosbois. — Vous n’êtes pas content de celles qu’on vous a vendues ?
Rudebeuf. — Enchanté !… Elles sont élégantes. Et l’automobile n’exclut pas l’élégance, au contraire !
Herlaut. — Oh ! là ! là !
Rudebeuf. — Quoi ? "Oh ! là, là !…" Il n’y a qu’à me regarder. Mais aujourd’hui, c’est… c’est monsieur qui veut des lunettes !…
Herlaut. — Moi ?
Rudebeuf, vivement. — Oui, tu veux des lunettes. (Changeant de ton.) C’est toujours la petite dame brune qui vend des lunettes, n’est-ce pas ?
Madame Grosbois. — Certainement ! Des lunettes, des manteaux de tussor, des petites casquettes pour la route. Nous vendons de tout ça. Et c’est coquet, je vous assure. Je vais vous chercher des lunettes.
Rudebeuf. — Non, non, rien ne presse. Tout à l’heure, quand la petite dame brune !… Car elle va venir, n’est-ce pas, la petite dame brune ?
Madame Grosbois. — Ma nièce ?
Rudebeuf. — Ah ! c’est votre nièce ! Je vous félicite. C’est une jeune fille ?
Madame Grosbois. — C’est une jeune fille… en ce sens qu’elle n’est pas mariée. Elle est avec Etienne, mon chef mécanicien.
Rudebeuf. — Vous lui avez laissé faire ça ?
Madame Grosbois. — C’est une liaison qui ne durera pas. Elle n’est fondée que sur l’amour. (A Jourdain.) Ca va, là-bas ?
Jourdain. — Je n’y comprends rien, rien. Les cylindres donnent. Le différentiel est en état. Je n’y comprends rien, rien.
Herlaut, à Rudebeuf. — Dis-donc, nous avons rendez-vous avec Le Brison et tu m’as l’air d’avoir une panne sérieuse.
Rudebeuf. — D’autant plus sérieuse qu’il n’y a pas de panne.
Herlaut. — Comment ?
Rudebeuf. — Madame Grosbois, à quelle heure arrive votre nièce ?
Madame Grosbois. — Dans une demi-heure. Si ces messieurs veulent attendre ?
Rudebeuf. — Je vais fumer une cigarette devant la porte. (A Herlaut.) Va chez le Brison et excuse-moi. Qu’il vienne me prendre pour déjeuner. Je ne démarre pas de ce garage. Tu comprends, comme il n’y a pas de panne, ils ont le temps de chercher.
Jourdain. — Hé ! monsieur ! monsieur !… elle marche !… elle marche maintenant !…
Rudebeuf. — Ne croyez pas ça !… Elle marche comme ça dans le garage. Mais sur la route, au bout de dix minutes, elle s’arrête. A tout à l’heure, madame Grosbois.
Madame Grosbois. — A tout à l’heure, messieurs, et très heureuse !…
Scène II
modifierMadame Grosbois, Gabrielle, Etienne.
Gabrielle, entrant, suivie d’Etienne. — On n’est pas trop en retard, ma tante ?
Madame Grosbois. — Beaucoup trop ! On a déjà demandé après toi. On était même vexé de ne pas te voir.
Gabrielle. — Un monsieur ou une dame ?
Etienne. — Puisqu’on était vexé de ne pas te voir, c’est un monsieur. N’est-ce pas, patronne, c’est un monsieur ?
Madame Grosbois. — Vous, vous feriez mieux de vous excuser. Il est neuf heures.
Etienne. — Nous sommes en retard. Mais on vous expliquera plus tard pourquoi ; n’est-ce pas, la gosse ?
Gabrielle. — Oui, le gosse.
Madame Grosbois. — Depuis, deux mois que vous êtes ensemble, vous arrivez à des heures !… C’en est dégoûtant. Enfin, ça ne durera pas !
Etienne. — Tiens ! une Rudebeuf. C’est pour le garage ou pour la réparation ?
Madame Grosbois. — Pour la réparation. Un nouveau client. (Bas, à Gabrielle.) Un monsieur très bien. Mets ton petit tablier bleu. C’est peut-être la fortune, chère enfant… Pourquoi souris-tu ?
Gabrielle. — Tu ne peux pas savoir combien tu es rigolote.
Elle sort, au fond, à droite.
Scène III
modifierLes Mêmes, moins Gabrielle.
Jourdain. — Il y a une demi-heure que je suis là-dessous, moi ! L’allumage se fait bien, l’essence arrive. Ca se met en marche. Et il paraît que c’est une panne. J’ comprends rien à cette panne, moi ! (A Mme Grosbois.) Faudra que vous le disiez au client.
Madame Grosbois. — C’est très ennuyeux ! Un nouveau client ! Ca va le décourager.
Etienne. — Tu es une gourde, mon petit Jourdain. Et vous, patronne, vous seriez louffe d’aller lui dire ça. Votre garage marche déjà assez mal. Pas la peine de rater une occasion.
Jourdain. — Mais puisqu’on te dit que j’trouve pas la panne. J’sais y faire, peut-être.
Etienne. — Un bon mécanicien doit toujours donner la raison d’une panne, surtout lorsqu’il ne la sait pas.
Jourdain. — Mais…
Etienne. — Ta clef anglaise !… Patronne, quand le client arrivera, vous lui direz avec le sourire : Monsieur, nous avons trouvé. C’est le cône d’embrayage.
Madame Grosbois. — Qu’est-ce qu’il a, le cône d’embrayage ?
Jourdain. — Il n’a rien !
Etienne. — Il n’a rien. Raison de plus. Vous lui direz donc : c’est le cône d’embrayage qui patine. Dans quarante-huit heures, vous aurez votre voiture. Et vous ajouterez ce détail technique : c’est une réparation de 250 francs.
Madame Grosbois. — Ah !
Etienne. — D’ici demain soir, Jourdain aura le temps de trouver ce qu’il y a.
Madame Grosbois. — Etienne, vous êtes un garçon d’avenir.
Etienne. — Je connais la partie, voilà tout.
Madame Grosbois. — Si ça réussit, vous aurez dix pour cent.
Gabrielle, au fond. — Ma tante, on te demande dans la remise. C’est pour la Charron.
Madame Grosbois. — J’y vais.
Elle sort.
Etienne. — Dix pour cent : 25 francs. J’offrirai une montre en argent à la gosse.
Jourdain. — Tiens ! c’est les gens comme toi qui font dire : les mécaniciens sont des arrangeurs.
Etienne. — Parle pas de notre partie. Tu n’y connais rien.
Jourdain. — Je n’y connais riens ?… J’suis aussi bon mécanicien que toi !
Etienne. — Meilleur ! Mais tu n’y connais rien. Toute ta vie, tu la passeras à découvrir des moteurs qui tapent, ou à retaper des chignolles loupées. Le mieux qui puisse t’arriver, c’est d’être un jour contremaître dans une usine ou bien chef de fabrication. Cinq cents francs par mois.
Jourdain. — Je m’en contenterais.
Etienne, avec mépris. — Mécano, va !
Jourdain. — Mais, nom d’une brique, c’est notre métier, à nous.
Etienne. — Ton métier à toi, pas le mien.
Jourdain. — Qu’est-ce que tu es de plus ?
Etienne. — Rien encore. Mais attends que je sois dans une boîte qui marche, et tu verras ça !
Jourdain. — A quoi ça te mènera ? T’es pas ingénieur !
Etienne. — Ingénieur ? Tu connais un ingénieur qui ait fait fortune dans l’auto, toi ?
Jourdain. — Oui !…
Etienne. — Dis voir.
Jourdain. — En tout cas, c’est pas facile.
Etienne. — Crois donc pas ça. Faudrait faire une invention et il n’y a plus d’invention à faire. Il n’y a que des perfectionnements. Pour ça, pas la peine d’avoir ses diplômes. Tiens ! sais-tu pourquoi je me suis mis dans l’auto, moi qui ai horreur de démonter un châssis ?
Jourdain. — Tu n’aimes pas ça ?
Etienne. — J’ai ça en horreur. C’est compliqué et ça pue la graisse. Je me suis mis là-dedans parce que je me suis dit : "Mon petit, tu es intelligent, tu n’as pas le sou et tu veux faire fortune." (A Gabrielle qui est entrée.) Tu n’es pas de trop, la gosse. "Eh ! bien, il y a un métier d’autant plus épatant que, quand on est un peu verni, et qu’on sait y faire, il a tous les avantages d’une carrière libérale, c’est l’auto."
Jourdain. — Une carrière libérale ?
Gabrielle. — Une carrière libérale et un sport.
Etienne. — Mais, mon vieux, l’auto, c’est pas un métier comme un autre, c’est encore trop neuf. En tous cas, ça n’est un métier manuel que pour les poires comme toi. Pour les autres, c’est une vocation, comme qui dirait une ambassade. A preuve, tous les petits blancs-becs de famille qui font de l’intermédiaire, qui sont, dans les grandes baraques, troisième secrétaire de la direction, qui sont sous-chef du service commercial, c’est-à-dire chef des boniments, qui font leur persil au Bois sur des châssis afin d’épater leurs amis et connaissances. Mais c’est pour les empiler au profit des usines. Et comme l’auto, c’est aussi un sport, ça ne dégrade pas les vicomtes et ça ennoblit les bourgeois. C’est aussi chic que de faire du champagne. Un monsieur qui a réussi dans l’auto, c’est pas un parvenu.
Jourdain. — Qu’est-ce que c’est ?
Gabrielle. — C’est un sportsman.
Etienne. — Ce qui faut pour la partie, c’est ce qui te manque et que j’ai, moi : le culot, la fantaisie, le brio. Quand y vient une dame acheter un clou, je ne lui parle pas comme toi, l’autre jour, de cylindres, changement de vitesses, différentiel. Elle s’en fiche de tout ça. Elle n’y connaît rien. Mais je lui fais valoir la carrosserie. Je lui dis : "Tâtez ces cousins. Asseyez-vous, madame. Voyez ce petit nécessaire pour la beauté. Il y a tout sous la main. Et la couleur du drap. Le rêve pour le teint. Madame sera ravissante dans cette voiture-là. Voilà qui fera enrager les amies."
Gabrielle. — C’est comme ça que, à la dame allemande, la semaine dernière, il a collé la Renault. Elle en était enchantée. Elle va rentrer avec ça à Berlin.
Jourdain. — Un châssis de 1903, complètement usé ! Le piston crie comme un enfant.
Gabrielle. — Vous ne voudriez pourtant pas que pour quatre mille francs, on lui ait donné une voiture qui marche. Quoi !… C’est ce qu’on appelle une occasion.
Jourdain. — A Berlin ? Elle n’arrivera pas à la frontière.
Etienne. — La plains pas ! Ils nous ont pris l’Alsace-Lorraine. Moi, là-dessus, j’ai palpé quatre cents francs. Deux cents pour la gosse. Tiens ! Pige-moi sa bague !
Gabrielle. — Et c’est joli, deux rubis faux.
Jourdain. — Avec tes idées, qu’est-ce que t’attends ? Achète un complet chez un tailleur de la haute - à la Belle Jardinière - et fais de l’intermédiaire, comme les vieilles France qui sont purées.
Etienne. — Non. Faudrait des relations. Et puis, j’espère mieux.
Jourdain. — Quoi ?
Etienne. — Mieux.
Jourdain. — Dis-y voir.
Etienne. — Je veux courir.
Jourdain. — Qu’est-ce qu’il a dit ? Y veut courir ?
Gabrielle. — Oui.
Jourdain. — Non, mais qu’est-ce que t’as dit ? Tu veux courir ?
Etienne. — Oui ! Quoi, oui !
Jourdain. — Courir, toi ? Ah ! laisse-moi transpirer. Et qui t’établirait une voiture ? Courir ! Toi qui es ignoré et qui turbines dans un hangar, quand il y a des centaines de costauds qu’ont fait leurs preuves, que le patron connaît, et qui se disputent ça dans les usines ! Courir ? Alors, sur un tacot, pour la marque "Je crève et Cie".
Etienne. — Je ne sais pas sur quoi je courrai, mais ce jour-là !…
Jourdain. — Ce jour-là, tu te casseras la gueule !
Etienne. — Ah ! ne dis pas ça devant la gosse. Elle est impressionnable.
Jourdain. — Je le dis comme je le dis. Il y a le gros Henry qu’était comme toi. Y voulait courir. On lui a permis de représenter une marque d’essai. Personne n’osait cavaler dessus. Y s’est risqué. Au milieu du circuit y faisait du cent ; le châssis a fondu. Y s’est assis sur son derrière. On a ramassé de la bouillie.
Gabrielle. — Etienne ! Je ne veux plus que tu coures.
Etienne. — Andouille ! Je te l’avais dit : elle est impressionnable. Aie pas peur. Henry avait la cerise moi, j’ai le pot de vernis.
Jourdain. — T’as la berlue, oui ! Qu’on coure sur une Rudebeuf ou sur une Le Brison, à la bonne heure, on a encore des chances. T’espères pas qu’on va t’offrir ça dans le creux de la main ? Courir !
Etienne. — Oui, courir ! tu verras, je serai premier, on me portera en triomphe !
Gabrielle. — Oui, mon gosse. Et tu seras célèbre.
Etienne. — Et je toucherai deux cent mille balles !…
Madame Grosbois, du fond. — Etienne, j’ai besoin de vous à l’atelier.
Etienne. — J’y vais.
Jourdain. — Deux cent mille balles ! Et avec ça ?
Etienne. — Ça me suffit pour commencer.
Il sort.
Jourdain, haussant les épaules. — Courir !… Ils sont tous comme ça, l’espoir d’arriver d’un coup sans en fiche une secousse. S’il a jamais la bosse du travail, celui-là !
Gabrielle. — En attendant, il gagne plus que vous !
Jourdain. — En attendant, y finira mal.
Rudebeuf, entrant. — Tiens ! Elle était entrée de l’autre côté. Bonjour, mademoiselle.
Gabrielle. — Ah !
Jourdain.- C’est le client de la panne. (A Rudebeuf.)
Vous venez pour votre voiture ? Je vais appeler Madame Grosbois.
Rudebeuf. — Merci !
Jourdain (à Gabrielle). — Dites donc, y vous fait de l’œil !
Gabrielle. — Et comment !
Jourdain sort.
Scène IV
modifierRudebeuf, Gabrielle
Rudebeuf. — Vous ne me reconnaissez pas, mademoiselle ?
Gabrielle. — Si. N’est-ce pas vous qui êtes venu hier et qui m’avez acheté des lunettes ?
Rudebeuf. — Mon Dieu ! Il me semble…
Gabrielle. — Vous en êtes content ?
Rudebeuf. — Je suis furieux.
Gabrielle. — Voulez-vous une autre paire ?
Rudebeuf. — Ne vous payez pas ma tête. Je me moque des lunettes. Vous savez très bien pourquoi je suis furieux.
Gabrielle. — Non.
Rudebeuf. — J’ai voulu vous glisser un billet, vous avez eu l’air de ne rien voir.
Gabrielle. — Non, et puis, quoi ! Vous débarquez. Je vous vois hier pour la première fois !…
Rudebeuf. — Il y a huit jours que je passe devant votre magasin, et qu’à travers la vitrine, je vous regarde.
Gabrielle. — Ça vous amuse ?
Rudebeuf. — C’est vous que ça amuse. Oh ! Je sais bien. Je dois avoir une dégaine, comme ça, en panne, à vous contempler derrière votre étalage de phares et de châssis. Et vous vous fichez de moi, hein ?… Dieu ! que vous êtes jolie !
Gabrielle. — Ne m’approchez pas tant que ça !
Rudebeuf. — Un Greuze ! Avec ce petit tablier et ce ruban, vous avez l’air d’un Greuze.
Entre Jourdain.
Gabrielle. — Prenez garde ! Faites semblant de m’acheter quelque chose.
Rudebeuf. — Des lunettes ?
Gabrielle. — Non, un manteau de tussor.
Jourdain. — Mme Grosbois est occupée dans l’atelier. Elle vous demande quelques minutes.
Rudebeuf. — Merci !… (A Gabrielle.) Je voudrais avoir un manteau de tussor, mademoiselle.
Gabrielle. — Je vais vous prendre mesure, monsieur. C’est quatre-vingt francs.
Sort Jourdain.
Rudebeuf. — Vous êtes exquise et ça n’est pas cher.
Gabrielle. — Quatre-vingt-quinze francs ! Levez le bras ! (Elle prend mesure. Rudebeuf l’enlace avec le bras resté libre.) Ne me touchez pas la taille.
Rudebeuf. — Il y a huit jours que je veux entrer chez vous et que je me retiens.
Même jeu.
Gabrielle. — Levez les deux bras !… De quoi disiez-vous que j’avais l’air ?
Rudebeuf. — D’un Greuze. Je me disais : si j’entre…
Gabrielle. — Greuze ! Qui est-ce ?
Rudebeuf. — Greuze, peintre français, né en 1725.
Gabrielle. — Eh ! ben, vrai !
Rudebeuf. — Si j’entre…
Gabrielle. — Très long le manteau, et des boutons de nacre ?
Rudebeuf. -… Oui ! Si je lui parle, si elle me sourit, je vais pincer un béguin fou pour cette petite.
Gabrielle. — Des boutons de nacre et très long, c’est vingt francs de plus.
Rudebeuf. — Et je l’ai pris, le béguin. Ça y est ? Vous êtes adorable.
Gabrielle. — Laissez les deux bras levés.
Rudebeuf. — J’en ai eu des femmes à Paris ! les plus célèbres, celles qui sont consacrées, dont la beauté est inattaquable, et que nos pères admiraient déjà. Eh bien ! il n’y en a pas une qui vous arrive à la cheville !
Gabrielle. — Vous pouvez laisser tomber les bras, c’est fait. Où faudra-t-il vous envoyer le manteau ?
Rudebeuf. — Aussi, je n’irai pas par quatre chemins…
Gabrielle. — Où faut-il vous envoyer le manteau ?
Rudebeuf. — Où vous voudrez. Ça m’est égal. Je n’irai pas par quatre chemins…
Gabrielle. — Vous payez d’avance. C’est l’habitude de la maison.
Rudebeuf. — Je suis très riche, et je vous aime. Combien vous dois-je ?
Gabrielle. — C’est cent soixante-quinze francs.
Rudebeuf. — Je vous aime, voilà deux cents francs. Et vous n’avez qu’un mot à dire, qu’un signe à faire…
Gabrielle. — Et voici vingt-cinq francs que je vous dois. (Avec une légère révérence.) C’est pour avoir l’honneur de vous remercier. (Madame Grosbois entre.)
Rudebeuf interloqué. — Hein ?…
Gabrielle. — Voici ma tante.
Madame Grosbois. — Je vous demande pardon, mais les clients affluent ; c’est le mot, ils affluent. Mademoiselle Gabrielle, trois casquettes d’auto pour la princesse de Romorantin et un cache-poussière pour M. Pikins, le richissime Américain.
Gabrielle. — C’est vrai ?
Madame Grosbois. — Ah ! là, là !
Gabrielle. — Trois casquettes et un cache-poussière. Bien.
Elle sort.
Scène V
modifierRudebeuf, Madame Grosbois.
Madame Grosbois. — Vous m’avez excusée, monsieur. Mais quand on a un garage qui marche… (Rudebeuf se promène.) Vous avez l’air contrarié ?
Rudebeuf. — Non, non.
Madame Grosbois. — C’est au sujet de votre voiture ?
Rudebeuf. — Oui.
Madame Grosbois. — Ah ! Evidemment, quand on veut se servir de sa voiture et qu’il vous arrive une panne ! Justement, aujourd’hui, qu’il fait si beau !… Vous avez là une sacré panne, vous savez.
Rudebeuf. — Ah !
Madame Grosbois. — Vous avez une rude veine d’être tombé sur une maison comme la mienne. Tout autre garage vous aurait gardé votre voiture huit jours, et ça vous aurait coûté cinq cents francs !…
Rudebeuf. — Tandis que vous ?
Madame Grosbois. — En quarante-huit heures, on vous réparera votre voiture et ça ne vous coûtera que trois cent cinquante francs.
Rudebeuf. — Et quelle est la réparation ?
Madame Grosbois. — Le cône d’embrayage.
Rudebeuf. — Madame Grosbois, vous vous payez ma tête.
Madame Grosbois. — Comment ?
Rudebeuf. — C’est dans la famille, d’ailleurs.
Madame Grosbois. — Vous trouvez que trois cent cinquante francs ?…
Rudebeuf. — Je vous les donnerai. La question n’est pas là. Vous pourrez même, bien que ça me gêne un peu, garder la voiture quarante-huit heures.
Madame Grosbois. — Il faut au moins ça !
Rudebeuf. — A la condition qu’on n’y touche pas.
Madame Grosbois. — Hein ! pourquoi ?
Rudebeuf. — Parce qu’elle n’a rien du tout.
Madame Grosbois. — Eh bien ! Et votre panne ?
Rudebeuf. — Je n’ai jamais eu de panne.
Madame Grosbois. — Quoi ?
Rudebeuf. — C’était un prétexte, comme hier les lunettes, et comme d’ailleurs un manteau de tussor que je viens de payer cent soixante-quinze francs.
Madame Grosbois. — C’est le prix.
Rudebeuf. — Non ! Mais ça ne fait rien. Et tenez, ce n’est plus à madame Grosbois que je m’adresse, c’est à Irène de Priedieu.
Madame Grosbois. — Lysieux.
Rudebeuf. — Lysieux, soit ! Eh ! bien, Irène, si je suis ici, c’est que vous avez une nièce d’autant plus exquise qu’elle a une façon de se moquer du monde.
Madame Grosbois. — Pas un mot de plus.
Rudebeuf. — Comment ?
Madame Grosbois. — Asseyez-vous, j’ai compris.
Rudebeuf. — Je vois que ça ira tout seul.
Madame Grosbois. — Oh ! ne croyez pas ça ! ça n’ira pas tout seul. J’adore cette enfant-là, moi. Elle n’a plus son père. D’ailleurs, elle n’a jamais su qui c’était. Sa mère jeune encore et…
Rudebeuf. — C’est vous…
Madame Grosbois. — Euh !… Oui. Quant à son père, n’en parlons pas. Elle est fille de père inconnu.
Rudebeuf. — Ah ! elle ne sait pas que…
Madame Grosbois. — C’était un chef de gare.
Rudebeuf. — Vous dites qu’il était inconnu !
Madame Grosbois. — J’appelle "père inconnu" un père qui n’a pas reconnu sa fille. Cette enfant n’a donc plus que moi. Elle a dix-neuf ans et elle a déjà fait une bêtise. Ce mécanicien dont je vous parlais…
Rudebeuf. — Oui, oui.
Madame Grosbois. — Mon Dieu ! c’est une bêtise qui a une excuse : l’amour. Si ma nièce faisait une bêtise avec vous, elle serait inexcusable !
Rudebeuf s’inclinant. — Je vous remercie.
Madame Grosbois. — Dame ! je suis franche et je connais la vie !… J’ai eu trente-neuf ans il y a deux ans. Il faudra même qu’un jour je me décide à en avoir quarante.
Rudebeuf. — Rien ne presse.
Madame Grosbois. — C’est mon avis. Vous pensez bien qu’une femme comme moi n’est pas arrivée à mon âge sans avoir acquis de l’expérience !… Je n’ai cessé de répéter à ma nièce ceci : "Il y a deux choses dans la vie, d’abord l’amour qu’on éprouve, et c’est ce qu’il y a de plus agréable, mais c’est un luxe. Puis l’amour qu’éprouvent les autres, et celui-là donne le luxe. Commence par avoir le luxe, ensuite tu verras." Après tout, c’est raisonnable, n’est-ce pas ?
Rudebeuf. — C’est même raisonnable avant tout.
Madame Grosbois. — Ah ! si on m’avait donné ces conseils-là, à moi. Je n’en aurais pas été réduite, il y a un an, à accepter ce garage… que me laissait par testament M. Hector Malaunais.
Rudebeuf. — Tiens ! ce pauvre Malaunais, je l’ai très bien connu.
Madame Grosbois. — Moi aussi !… Et pourquoi tout ça, monsieur ? Parce que je suis mal partie. J’ai tout de suite fait des dettes… On m’y a forcée. Tenez, je vais vous raconter une histoire.
Rudebeuf.- Vous croyez que c’est nécessaire ?
Madame Grosbois. — C’est indispensable ! Un jour, une jeune lingère allait porter des chemises chez un Russe qui habitait le Grand Hôtel. Le Russe l’embrassa, lui offrit une voiture au mois, un appartement meublé et s’engagea à rester avec elle cinq ans.
Rudebeuf. — Oui. Eh bien ?
Madame Grosbois. — Eh bien ! Au bout d’un mois, la jeune lingère était plaquée avec deux louis dans sa poche, et la voiture au mois.
Rudebeuf. — La voiture était payée ?
Madame Grosbois. — Non. Heureusement, car le propriétaire de la voiture, un gros marchand de chevaux, qui, le lendemain, était venu lui réclamer le montant de la location, se mettait avec elle le soir même. Il la quitta comme un mufle, mais comme il lui avait appris à faire de la haute école, et qu’un jour, le Comte Amaury de Chatel-Tarraut…
Rudebeuf. — Madame Grosbois, vos histoires me passionnent, mais aujourd’hui…
Madame Grosbois. — Je me résume… Je veux que ma nièce soit heureuse. Je me suis juré que son premier amant la mettrait à l’abri du besoin. En somme, son premier amant, c’est le mécanicien. Mais comme ce n’est que de l’amour, ça ne compte pas. Donc…
Rudebeuf. — Madame Grosbois n’insistez pas. Mes usines font chaque année pour dix millions d’affaires ; et, personnellement, je gagne cinq cent mille francs par an.
Madame Grosbois. — Vous ?
Rudebeuf. — Oui. Je n’en ai pas l’air, n’est-ce pas ?… J’ai l’air d’un homme du monde.
Madame Grosbois.- Oh, oui.
Rudebeuf. — Je suis surtout un homme du monde. Et même pour ces affaires, j’ai un associé.
Madame Grosbois. — Vous avez raison.
Rudebeuf. — Un petit associé, un secrétaire.
Madame Grosbois. — L’important, c’est les cinq cent mille francs par an.
Rudebeuf. — Il n’y que ça qui compte. Eh ! bien, si votre nièce consent à quitter votre garage, je lui achète un hôtel.
Madame Grosbois. — A son nom ?
Rudebeuf. — Ça va de soi. Je lui offre dix mille francs…
Madame Grosbois. — Par semaine ?
Rudebeuf. — Ah ! non… par mois. Et le jour où je la quitterai, la somme rondelette de deux cent cinquante mille francs.
Madame Grosbois. — J’habiterai avec elle ?
Rudebeuf. — Si vous voulez, mais je n’insiste pas.
Madame Grosbois. — C’est à prendre ou à laisser.
Rudebeuf.- En ce cas, avec plaisir. Bien entendu, plus de jeune mécanicien.
Madame Grosbois. — Hum ! Ça sera dur.
Rudebeuf. — Vous ne voulez pourtant pas qu’il vienne, lui aussi, habiter avec nous ?
Madame Grosbois. — Je le voudrais que ça serait le même prix.
Rudebeuf.- Pas pour moi. Voyons, ça ne doit pas être bien difficile.
Madame Grosbois. — Attendez, il y aurait un moyen.
Rudebeuf. — Lequel ?
Madame Grosbois. — Vous devez avoir beaucoup de relations, et dans tous les mondes ?
Rudebeuf. — Dans presque tous les mondes, sans me vanter.
Madame Grosbois. — Dans le monde de l’auto aussi.
Rudebeuf. — Ça, je vous en réponds.
Madame Grosbois. — Le rêve de ce garçon-là est de courir. Si, dans le prochain circuit…
Rudebeuf. — Vous croyez que ça lui ferait quitter la petite ?
Madame Grosbois. — Moi, je le crois.
Rudebeuf. — Alors, c’est fait.
Madame Grosbois. — Vous auriez assez d’influence ?
Rudebeuf. — Ce n’est pas pour vous épater, mais voici ma carte.
Madame Grosbois. — "Geoffroy Rudebeuf" !… Comment, c’est vous, Geoffroy Rudebeuf ?
Rudebeuf. — En personne. Et vous pouvez dire de ma part à M. Etienne que s’il veut qu’on lui établisse une Rudebeuf pour courir dans un mois le circuit de Bretagne, il ne tient qu’à lui.
Madame Grosbois. — Geoffroy, je ne vous connais pas depuis longtemps, mais vous m’êtes extrêmement sympathique.
Rudebeuf. — Votre nièce, décidez-la !… Je reviens dans une heure.
Il sort.
Gabrielle entre.
Scène VI
modifierMadame Grosbois, Gabrielle, puis Etienne.
Gabrielle. — La facture !… On était déjà venu trois fois. J’ai payé !
Madame Grosbois. — Ah ! mon enfant ! Embrasse-moi.
Gabrielle. — Qu’est-ce que tu as ?
Madame Grosbois. — J’ai à te parler. (Entre Etienne, à gauche.) A vous aussi, j’ai à vous parler. Ah ! mes enfants !
Etienne. — Qu’est-ce que vous avez ?
Madame Grosbois. — Savez-vous qui sort d’ici ?
Gabrielle. — Oui ! C’est une poire !
Madame Grosbois. — Une poire ? C’est vrai, d’ailleurs. Mais c’est Geoffroy Rudebeuf !
Etienne. — Rudebeuf ?
Gabrielle. — C’est Rudebeuf, ce monsieur-là ?
Madame Grosbois. — Oui. Et savez-vous ce qu’il est venu faire ici ? La panne était un prétexte.
Gabrielle. — Prends garde ! Tu sais comme il est jaloux.
Madame Grosbois. — Laisse faire ta tante. Il est venu me déclarer ceci : "Dites à M. Etienne que s’il veut qu’on lui établisse une Rudebeuf pour courir…
Etienne. — Quoi ?
Madame Grosbois. -… pour courir dans un mois le circuit de Bretagne, il ne tient qu’à lui !…"
Etienne. — Nom de Dieu ! Ça n’est pas vrai ?
Madame Grosbois. — Ce sont ses propres paroles.
Etienne. — Ah ! Nom de Dieu ! Jourdain ! Jourdain !
Madame Grosbois. — Qu’est-ce que vous faites ?
Etienne. — J’appelle Jourdain, lui qui se payait ma tête ! Jourdain !
Madame Grosbois. — Attendez ! Ce n’est pas tout !
Etienne. — Pas tout ! Mais c’est donc le bon Dieu que cet homme-là ?
Madame Grosbois. — Ce qu’il vous offre n’est rien, à côté de ce qu’il offre à Gabrielle !…
Etienne. — A toi !… Il te connaît donc aussi ?
Gabrielle. — Le bon Dieu, tu sais, connaît tout le monde. (Bas, à Mme Grosbois.) Tu fais une gaffe !
Etienne. — Et qu’est-ce qu’il offre à Gabrielle ? Tu t’en doutes, toi ?
Gabrielle. — Non
Madame Grosbois. — Je vais vous le dire.
Gabrielle. — Pas la peine, je refuse.
Madame Grosbois. — Tu es folle, mon enfant !
Gabrielle. — Non. Je m’en bats l’œil. Maintenant, si tu tiens absolument à user ta salive.
Madame Grosbois. — Ah ! Mais non ! Je t’ai élevée et je suis ta tante ! Regarde Etienne comme il est raisonnable.
Gabrielle. — Naturellement. Il ne se doute de rien.
Etienne. — Non, mais je commence. Si c’est ce que je crois, je me trouve honoré.
Madame Grosbois. — Ah ! taisez-vous tous les deux. Je n’ai en vue que votre bonheur. Je vous défends d’en douter. Je vous aime, vous le savez, n’est-ce pas ?
Gabrielle. — Tu nous aimes à ta façon. Nous avons la nôtre.
Madame Grosbois. — Je ne vous ai jamais donné que de bons conseils. La preuve c’est que, lorsqu’il y a six mois, vous êtes venus me trouver en me disant : "Tante Grosbois, on se plaît, on veut se mettre ensemble", moi, je vous ai approuvés. Pourquoi ? Parce que si je vous avais désapprouvés, vous vous seriez mis ensemble tout de même. Mais je vous ai prévenus. Je m’entends encore : "Mes petits, vous êtes ambitieux, roublards, et vous n’osez le dire ni l’un ni l’autre ; si vous restez ensemble, vous êtes fichus. Au contraire, chacun de votre côté ; vous pourriez arriver très loin, vous Etienne, parce que vous êtes dans l’automobile et que vous êtes une ficelle…"
Gabrielle. — Ça, c’est vrai !
Madame Grosbois. — "Toi, petite, parce que tu es jolie. Et que, lorsqu’une femme qui est jolie ne tient pas à se marier, elle a le droit de tout attendre de l’existence". Et j’ai ajouté…
Etienne. — Ah ! ah !
Gabrielle, s’asseyant sur les genoux d’Etienne. — Donne tes genoux, le gosse. Ne te fâche pas. Elle va dire des bêtises.
Madame Grosbois. — Maintenant, pour ce que j’ai à vous dire, il vaudrait mieux que vous ne fussiez pas assis sur la même chaise.
Gabrielle. — Au contraire. Tu n’y connais rien !
Elle embrasse Etienne.
Madame Grosbois. — Gabrielle, lève-toi ! (Gabrielle se lève.) Prends une chaise et ne bouge plus.
Mme Grosbois s’assied entre Gabrielle et Etienne.
Etienne. — Et vous avez ajouté ?
Madame Grosbois. — "Donc, rien d’irréparable entre vous, mais ne faites pas d’enfants. Ne faites pas de sentiment. A part ça, faites tout ce que vous voudrez. Le jour viendra où vous serez heureux d’avoir écouté la tante Grosbois et de reprendre votre liberté." Eh bien ! ce jour est arrivé. Vous vous êtes aimés pendant six mois, et vous n’en aviez pas les moyens. C’est énorme ! C’est énorme ! Mais c’est fini. Voilà, mes chers petits ! (Elle leur prend les mains.) Je vous aime bien.
Etienne. — Patronne, vous n’êtes pas claire ? Qu’est-ce que tout cela veut dire ?
Gabrielle. — Ça veut dire, mon gosse, que M. Rudebeuf… si tu veux bien… te propose de courir…
Madame Grosbois. — Tais-toi. Tu vas le dire très mal. Etienne, vous courrez dans un mois sur une Rudebeuf, c’est entendu. C’est irrévocable, c’est fait.
Etienne. — Mais…
Madame Grosbois. — Il n’y a pas de "mais"… C’est entendu ! Mais à Gabrielle… il offre dix mille francs par mois.
Gabrielle. — Comment ?
Madame Grosbois. — Oui, ma petite. Cent vingt mille francs par an, plus un hôtel.
Etienne. — Elle est pommée !
Madame Grosbois. — Un hôtel qu’il m’a supplié d’habiter avec toi. J’ai fini par accepter.
Etienne. — Alors, quoi ! Tu le connaissais ? Il t’a fait la cour ?
Gabrielle. — Je ne le connais que depuis avant-hier.
Etienne. — Et on a pensé que je mangerais de ce pain-là ?
Madame Grosbois. — Ah ! Etienne, refusez de courir, si vous voulez, mais n’influencez pas Gabrielle.
Etienne. — Madame Grosbois, regardez-moi. La prochaine fois que vous répéterez des propositions comme ça à Gabrielle, bien que vous soyez sa tante et que vous soyez une femme, parole d’honneur, je vous fous sur le caisson.
Madame Grosbois. — Qu’est-ce que vous dites ?
Etienne. — Ce n’est pas que j’ai perdu la confiance en la môme. Mais dans tout ménage, il y a des discussions, des propositions comme ça ; un jour d’orage, la petite peut perdre la tête.
Gabrielle. — Oh ! ce gosse !
Etienne. — Sufficit, j’ai dit.
Madame Grosbois. — Ah ! Taisez-vous à la fin. Pour qui nous prenez-vous ? Gabrielle est ma nièce, elle n’est pas votre femme. Vous n’êtes rien l’un pour l’autre, vous vous aimez, voilà tout.
Etienne. — Eh bien ! c’est ce qui vous trompe ; c’est ma femme !
Madame Grosbois. — Quoi ?
Gabrielle. — Etienne !
Etienne. — Ah ! tant pis !… il faut lui dire. Ça recommencerait tous les jours, cette histoire-là !
Madame Grosbois. — Qu’est-ce… qu’est-ce que vous avez dit ?
Gabrielle. — Ma tante, on ne voulait pas te l’avouer pour ne pas te faire de la peine ; mais on s’aimait, alors…
Etienne. — Il y a deux mois qu’on est mariés, Valentine. (Il se met à genoux.) Je suis votre neveu, donnez-moi votre bénédiction.
Madame Grosbois. — Ah ! les cochons !…
Etienne. — Amen !… Je vous remercie.
Il se relève.
Madame Grosbois. — C’est moi qui les ai collés ensemble - et ils se marient. Ah ! les cochons !…
Elle s’effondre sur une chaise.
Gabrielle. — Ma tante !…
Madame Grosbois. — Je ne te connais plus.
Etienne. — Laisse-la, les grandes douleurs sont muettes.
Madame Grosbois. — Mariés ! C’est irréparable. Même avec le divorce, ça nous recule de cinq ans.
Gabrielle. — Ne te mets pas dans ces états-là. On t’aime bien et…
Etienne. — Ce n’est pas ce qu’il faut lui dire. Ecoutez, mère Grosbois, vous êtes née en 1860…
Madame Grosbois. — C’est une infamie !
Etienne. — Ça ne sortira pas d’entre nous. Vous aviez dix ans au siège de Paris…
Madame Grosbois. — Monsieur !…
Etienne. — Ce n’est pas pour vous être désagréable. Vous en êtes donc restée à des choses de l’Empire : aux viveurs qui se ruinaient pour des cocottes, aux attelages à la Daumont ; vous êtes du siècle du cheval.
Madame Grosbois. — Et je m’en vante !… on avait une autre allure qu’aujourd’hui.
Etienne. — On avait aussi d’autres idées. Si une fille de votre temps voulait réussir, elle n’avait qu’une chose à faire : se mettre grue.
Madame Grosbois. -… ou écuyère, monsieur.
Etienne. — Ou danseuse, c’est entendu. Entre se déclasser avec un miché de la haute ou être honnête avec un purotin de son rang, fallait qu’elle choisisse, aucun avenir avec des types comme nous. Un ouvrier, alors, mourait dans la peau d’un ouvrier.
Madame Grosbois. — Eh ! bien… et aujourd’hui ?
Etienne. — Non ! c’est changé ! Il y a le mécanicien, aujourd’hui… et le mécanicien, c’est comme qui dirait le soldat de fortune. Ne vous mettez pas en peine pour votre nièce, un jour elle vous fera des rentes.
Madame Grosbois. — Quoi ?
Etienne. — Avec mon argent, car ça s’est vu qu’un jeune mécanicien, aux mains pleines de graisse, dix ans plus tard, recevait des ministres à sa table servi par des queues de morue.
Madame Grosbois. — Vous êtes à enfermer !
Gabrielle. — Tu as raison.
Madame Grosbois. — Tu es à enfermer aussi.
Etienne. — Blaguez ! Quand je lis l’"Auto" ou "Paris-Sport" et que j’y dégote les exploits d’anciens coureurs à bicyclette qui triomphaient dans des Paris-Berlin, rien ne me semble impossible. Ils sont arrivés par l’énergie, par le sang-froid. C’est comme les hommes du Premier Empire ! Il y en a qui ont fondé des usines, qui font aujourd’hui gagner leur vie à des milliers d’ouvriers ; quelques-uns sont décorés. Et où étaient-ils en partant ?… dans la crotte, comme moi.
Madame Grosbois. — Vous avez l’intention d’être décoré ?
Etienne. — J’ai toutes les intentions. Je m’autorise tous les rêves. Car je suis pratique, j’ai de la vaillance… et je suis un homme libre. Et c’est chic, ces choses-là ; on a l’impression d’être un Américain.
Madame Grosbois. — Vous ferez dix mille francs par mois à ma nièce, n’est-ce pas ? Vous nous achèterez un hôtel, peut-être ?… Non, mais dites-le !… que je meure de rire. Allez, vous êtes mariés et vous avez raté votre vie.
Etienne. — Enfin, on a une compagne qui est économe, espérante et gaie. Il peut vous tomber le tonnerre, on n’a jamais raté sa vie.
Gabrielle. — Bravo ! le gosse.
Etienne. — Avec ça, qu’on ait de l’aventure, de la jeunesse et un peu de veine,… alors on grimpe l’existence en quatrième vitesse, on reste honnête et on se fout de tout.
Madame Grosbois. — C’est bien. En attendant, je vous diminue de vingt francs par mois.
Scène VII
Les mêmes, plus un Valet de pied, puis Amaury de Chatel-Tarraut.
Le Valet. — Garage Grosbois, s’il vous plaît ?…
Madame Grosbois. — Oui, c’est ici.
Le Valet. — Mon maître voudrait parler à M. Grosbois.
Madame Grosbois. — M. Grosbois c’est moi !
Le Valet, interloqué. — Ah !… bon. Je vais prévenir mon maître.
Il sort.
Gabrielle. — Tu vois, un équipage. La chance revient. C’est peut-être pour acheter la limousine.
Madame Grosbois. — Va-t-en ! On nous offrait un hôtel… et tu as brisé ma dernière jeunesse. Qu’est-ce que je vais dire à M. Rudebeuf ?
Etienne. — Rudebeuf, je m’en charge.
Madame Grosbois. — Ah ! vous…
Etienne. — Je m’en charge !… Viens, ma femme !
Ils sortent.
Le Valet. — Il n’y a que Mme Grosbois, monsieur le Comte.
Amaury. — Ça va bien. Ah ! mon monocle !… Sacrée bique de bois de biche, je l’ai perdu.
Le Valet. — Monsieur le Comte a dû le laisser dans la voiture.
Amaury. — Cherche et reviens… (Rappelant le valet.) Psst ! C’est cette dame-là ?…
Le Valet. — Oui, monsieur le Comte.
Madame Grosbois. — Attention ! il y a un bidon.
Amaury. — Merci. Je suis une taupe quand j’ai perdu mon monocle. Je devrais me décider à porter un pince-nez. Qu’est-ce que vous voulez ? Ça, et un parapluie… Je ne peux pas !… Je ne me trompe point, c’est bien une chaise ?
Madame Grosbois. — Excusez-moi. J’aurais dû vous l’offrir.
Amaury. — Non, c’est pour installer cette jeune carnivore.
Madame Grosbois. — Oh ! un chien chinois. J’ai tout le pareil.
Amaury. — Oui, Rip. Je sais.
Madame Grosbois. — Vous savez que j’ai un chien qui s’appelle Rip ?
Amaury. — Je ne suis même venu que pour ça.
Madame Grosbois. — Comment pour ça ? Vous ne venez pas pour m’acheter une voiture ?
Amaury. — Du tout. J’ai horreur de ces engins-là. Cela jette des vents et sue la malemort.
Madame Grosbois. — Ah ! pardon !… Une belle limousine…
Amaury. — Madame, n’insistez pas. L’automobile est, avec le ministère actuel, le seul sujet qui excite mon indignation.
Madame Grosbois. — Eh bien ! c’est ma veine !
Le Valet. — Voici le monocle, monsieur le Comte !
Amaury. — Merci (Il l’ajuste.) Ah ! madame, mes compliments. Je n’y voyais pas tout à l’heure. Je ne savais pas ce que je perdais.
Madame Grosbois, minaudant. — Oh ! monsieur.
Amaury. — Il me semble même que je vous ai vue quelque part. Vous ne m’avez jamais rencontré ?
Madame Grosbois. — Je ne pense pas.
Amaury. — N’en parlons plus !… J’en viens à l’objet de ma visite. Cette jeune chienne, qui a trois ans, est arrivée à l’âge de reproduire. Rip, si je suis bien renseigné…
Madame Grosbois. — Je suis désolée, monsieur, mais j’aime autant vous le dire tout de suite, mon chien n’est pas à vendre.
Amaury. — J’y mettrai n’importe quel prix ! Je ferais une folie !
Madame Grosbois. — Non. Il a tous ses papiers. Je sais qu’il vaut très cher. Mais Rip est un souvenir et, plutôt que de m’en séparer, je laverais ma dernière breloque.
Amaury. — Alors, madame, prêtez-le moi.
Madame Grosbois. — Comment ?
Amaury. — Une demi-heure : le temps que ces enfants se connaissent, comme dit la Bible… et je vous rapporte moi-même votre cavalier.
Madame Grosbois. — Mais…
Amaury. — Je vous en supplie…
Madame Grosbois. — Soit !
Amaury. — Ah ! Madame, je ne l’oublierai jamais ! (Il lui baise la main.) Sapristi !
Madame Grosbois. — Comment ?
Amaury. — Là, sous ce sein gauche…
Madame Grosbois. — Eh bien ?
Amaury. — Vous n’avez pas sous le sein gauche un grain de beauté ?
Madame Grosbois. — Hum ! Comment le savez-vous ?
Amaury. — Parbleu !… C’est là que je vous ai rencontrée !
Madame Grosbois. — Quoi ?
Amaury. — Je me rappelle tout !… Vous en avez un autre à la jambe droite.
Madame Grosbois. — Mais c’est très désagréable !…
Amaury. — Et vous n’êtes pas Madame Grosbois, vous êtes Irène de Lysieux.
Madame Grosbois. — Ah !
Amaury. — La belle Irène !… celle qui m’a aimé pendant six mois !… qui m’appelait son petit Hercule !…
Madame Grosbois. — Je vous ai appelé Hercule !… vous ?
Amaury. — En mil huit cent soixante-dix-sept, il y a vingt ans !
Madame Grosbois. — Vingt ans ?… c’était ma mère !
Amaury. — Rappelez-vous, le rez-de-chaussée de la rue de Miromesnil ! Amaury…
Madame Grosbois. — Hein ?
Amaury. — Amaury de Chatel-Tarraut.
Madame Grosbois. — Qu’est-ce que vous dites ?
Amaury. — Le beau capitaine de Saumur.
Madame Grosbois. — Pas possible !
Amaury. — Oui.
Madame Grosbois. — C’est vous le capitaine si fringant, si… si !… c’est vous ?
Amaury. — Oui, Irène, c’est moi !
Madame Grosbois. — Ah ! Mon pauvre Hercule, tu as bien changé.
Amaury. — Et toi donc !…
Madame Grosbois. — Ah ! pardon !
Amaury. — C’est égal, si je m’attendais !… Toi, madame Grosbois… Et dans un garage !… Ça t’amuse donc de vendre des autos ?
Madame Grosbois. — Ça m’amuserait, si j’en vendais.
Amaury. — Tu sais, si je peux te rendre un service ?
Madame Grosbois. — Tais-toi !
Amaury. — Ah ! bien !
Entre Gabrielle qui prend un phare, salue légèrement le comte et sort.
Madame Grosbois. — C’est ma nièce… Vingt-ans !
Amaury. — Charmante ! Dire que tu étais comme ça, toi !
Madame Grosbois. — Non, j’étais mieux. Je vais te chercher ton chien.
Amaury. — Je te remercie.
Scène VIII
modifierAmaury, puis Le Brison, puis Madame Grosbois.
Amaury, seul. — Pauvre femme !… C’est effrayant tout de même. Elle a perdu la mémoire. Elle ne m’a pas reconnu.
Le Brison, entrant. — Vous, dans un garage ! C’est la plus belle victoire de l’automobile.
Amaury. — Ne triomphez pas, monsieur Le Brison. Je suis ici pour un chien.
Le Brison. — Pour un chien ?… l’honneur est sauf !… mais, dites-moi… vous avez vu jouer Phèdre, n’est-ce pas ?
Amaury. — Phèdre ?… souvent. A quel propos ?
Le Brison. — Elle doit venir me prendre ici pour déjeuner… Vous ne l’avez pas vue ?
Amaury. — Je crains que nous ne parlions pas de la même.
Le Brison. — Allons donc !… La petite Phèdre, des Bouffes. Vous ne connaissez qu’elle. Nous déjeunons à Armenonville… Etes-vous des nôtres ? Il y aura Rudebeuf.
Amaury. — Croyez que si j’étais libre…
Le Brison. — Tant pis ! Rudebeuf vous aurait intéressé.
Il réalise un type, le type du crétin qui a compris son époque… Et l’animal a une veine ! L’an dernier, il a failli remporter le circuit à ma barbe. Je ne sais pas où il dégote ses mécaniciens. Sans compter qu’il ne connaît rien à l’automobile. Ah ! nous vivons à une époque bien amusante.
Amaury. — Il suffit d’être de bonne humeur.
Le Brison. — Oui, et vous ne paraissez pas de bonne humeur, vous !
Amaury. — Monsieur, si, comme moi, vous étiez en butte aux taquineries mesquines du gouvernement…
Le Brison. — Vous êtes en butte ?
Amaury. — Oui, monsieur !… Je suis maire de Ker-Ker-zoec. Je déteste l’automobile… Eh bien ! c’est devant ma porte que le circuit.
Le Brison. — C’est vous le maire de Ker-Kerzoec ? Mais alors, c’est à vous que j’ai écrit ce matin.
Amaury. — A quel sujet ?
Le Brison. — Au sujet du circuit, parbleu ! Je veux m’installer pour un mois à Ker-Kerzoec afin d’étudier le parcours. Alors, je désirais savoir si l’hôtel est bon ou s’il vaut mieux louer une villa.
Amaury. — Il n’y a pas d’hôtel et il n’y a pas de villas.
Le Brison. — Mais dans les environs ?
Amaury. — Seulement, il y a le château !
Le Brison. — Ah ! Il y a un château ?
Amaury. — Le mien, monsieur.
Le Brison. — Oh ! mais, je ne peux pas…
Amaury. — Cela ne me gêne pas. J’habite un rendez-vous de chasse que j’ai fait aménager, Le château me rappelait un incident par trop pénible…
Le Brison. — Ah !
Amaury. — C’est là que j’ai perdu Mme de Chatel-Tarraut.
Le Brison. — Ah ! je ne savais pas… Je ne savais pas que Mme de Chatel-Tarraut fût morte.
Amaury. — Elle n’est pas morte, monsieur. Elle est morte pour moi.
Le Brison. — Je vous demande pardon.
Amaury. — Dans l’antique manoir de mes aïeux, la comtesse de Chatel-Tarraut s’était mise au lit avec un simple sous-préfet… Alors !… Mais ne pensons plus à tout ça !
Le Brison. — Je suis vraiment touché ! Votre château !… Mais dans quelles conditions…
Amaury. — Oh ! rien du tout. Il y a quelques petites réparations à faire que vous prendrez à votre charge…
Le Brison. — Elles ne sont pas trop considérables ?
Amaury. — Nous reparlerons de ça.
Le Brison. — Je vous remercie.
Amaury. — Il n’y a pas de quoi.
Le Brison, regarde l’heure. — Drôle de garage ! Il n’y a personne.
Amaury. — On est parti chercher mon chien.
Le Brison. — C’est juste, vous venez ici pour un chien…
Moi, je viens ici pour voir Rudebeuf, Rudebeuf vient ici pour la fille de la patronne… Je me demande qui jamais est venu dans ce garage pour acheter un châssis. Ah ! mon cher comte, vous ignorez l’automobile ! C’est une source de joies philosophiques !
Amaury. — La fille de la patronne ?… C’est sa nièce.
Le Brison. — C’est sa fille… Je n’en sais rien, mais j’en suis sûr. Et ça doit être un joli numéro, allez, que la mère Grosbois,… je la vois d’ici,… une antique roulure que la police inquiète, dont le garage est un prétexte, et qui, dans les moments noirs, se rappelle aux souvenirs de jeunesse de quelque vieille poire tapée.
Madame Grosbois, entrant. — Tiens, Amaury, voilà ton chien.
Le Brison. — Hein ?
Amaury. — Madame Grosbois, une amie… Le Baron de Brison, un psychologue.
Le Brison. — Mon cher comte !…
Amaury, à madame Grosbois. — Je vous rapporterai votre chien dans une demi-heure, et vous me direz ce que je peux faire pour vous rendre service. (En sortant et à Le Brison.) Je ne croirai pas pour cela être une vieille poire tapée…
Il sort.
Madame Grosbois, sortant pour accompagner le comte et à Gabrielle, qui entre. — Mademoiselle Gabrielle, à votre comptoir. Il y a un client.
Phèdre est entrée sur ces derniers mots. Amaury est sorti, accompagné par madame Grosbois.
Scène IX
modifierLe Brison, Phèdre, Gabrielle, puis Etienne, puis Madame Grosbois.
Phèdre. — Ça va bien ?
Le Brison. — Tu es en retard !… D’où viens-tu ?
Phèdre. — La barbe !… Je t’ai déjà défendu de me demander ça. Ça va bien ?
Le Brison. — En ce cas, ça va bien… Et j’ai loué la maison.
Phèdre. — De Ker-Kerzoec.
Le Brison. — C’est même un château.
Phèdre. — A qui as-tu loué ça ?
Le Brison. — A ce monsieur.
Phèdre. — Combien ?
Le Brison. — Rien du tout !… Quelques réparations à faire… Un château historique.
Phèdre. — Tu t’es encore fait voler.
Gabrielle. — Vous désirez, monsieur ?
Le Brison. — Oh ! rien, mademoiselle… J’attends un ami… (A Phèdre.) Charmante, tu as vu ? C’est la petite pour qui vient Rudebeuf.
Phèdre. — Oui Herlaut m’a mise au courant, mais je n’y coupe pas.
Le Brison. — A quoi ?
Phèdre. — A ça ! L’an dernier, Rudebeuf furetait dans tous les garages. Un beau jour, il t’a soufflé un mécanicien. Songe au circuit. Ouvre l’œil.
Etienne, qui vient d’entrer, à Gabrielle. — Dis-donc, ce type-là, c’est-y Rudebeuf ?
Gabrielle. — Non. Et quand il viendra, tu ne feras pas de chichis.
Etienne. — Attends qu’y vienne.
Phèdre, à Le Brison. — Qui est ce garçon-là ?
Le Brison. — Je ne sais pas. Pourquoi ?
Phèdre. — Pour rien… Il est bien.
Madame Grosbois, rentrant, à droite. — Excusez-moi, monsieur le Baron, je suis débordée, je n’ose espérer que vous veniez ici pour une limousine.
Le Brison. — Non, j’attends un ami, M. Rudebeuf.
Etienne. — Ah ! Monsieur est un ami de M. Rudebeuf ?
Le Brison. — Comment ?
Madame Grosbois. — Etienne, rentrez à l’atelier.
Etienne. — Je demande poliment à Monsieur s’il est un ami de M. Rudebeuf.
Le Brison. — Oui. Pourquoi ?
Etienne. — Parce que vous pourrez lui dire de ma part, de la part du mécanicien Etienne, que c’est pas une raison parce qu’on est millionnaire, pour s’imaginer qu’on peut acheter les consciences.
Scène X
Les Mêmes, Rudebeuf.
Rudebeuf. — Mademoiselle Phèdre, mes hommages… Mon vieux… Madame, ces quelques fleurs… Ces quelques fleurs en attendant mieux.
Etienne. — Tenez, les v’là vos fleurs !
(Il prend le bouquet et le lance derrière le comptoir.)
Rudebeuf. — Hein ?
Madame Grosbois. — Etienne !… sortez !
Etienne. — Car, c’est pas une raison, monsieur, parce qu’on est millionnaire pour s’imaginer qu’on peut acheter les consciences.
Rudebeuf. — Il est fou !… C’est un fou !…
Etienne. — J’aimerais mieux être collignon… que c’est pourtant le dernier des métiers, plutôt que de conduire un de vos tacots sur le circuit.
Phèdre, bas à Le Brison. — Le circuit !… tu vois, j’en étais sûre !
Etienne. — Car, regardez-moi, monsieur Rudebeuf, je suis le mécanicien Etienne… et je ne mange pas le pain complaisant de la débauche…
Rudebeuf. — Madame Grosbois, je vous remercie, c’est charmant !… (A Le Brison.) Venez-vous à Armenonville, cher ami ?
Madame Grosbois. — Je vous supplie de rester, monsieur. Vous êtes chez moi. Etienne, sortez, ou je vous chasse.
Etienne. — Si monsieur Rudebeuf a la frousse, qu’il s’en aille. C’est pas moi qui suis allé le chercher. T’as la frousse, dis, ma fille ?
Phèdre. — Fais-le rester. C’est très rigolo !
Le Brison. — Oui. (A Rudebeuf.) Ne te fâche pas. Assieds-toi, et souris.
Rudebeuf. — Tu crois ?
Le Brison. — Evidemment !
Rudebeuf. — Bon.
Il s’assied et sourit.
Etienne. — Alors, comme ça, monsieur Rudebeuf, la môme vous allait ? Vous vous disiez : "J’ai beau avoir une sale bobine !… J’ai beau avoir l’air d’un crétin !… j’ai de la galette, je vais me payer ça ! "
Le Brison, bas, à Rudebeuf. — Souris plus naturellement.
Rudebeuf. — C’est pas commode.
Etienne. — Un mécano !… qué ça peut fiche ?… Contre un circuit, il sera trop heureux, le pauvre bougre, de me vendre sa môme. Ça aurait pu vous coûter cher, ce raisonnement-là. Moi, je ne vous en veux pas. C’est pas votre faute si vous ne connaissez pas l’ouvrier. L’auto Rudebeuf !… C’est bien votre nom, vous n’y êtes pour rien ; et tout le monde se fout de vous dans votre usine…
Le Brison, à Phèdre. — Je bois du lait !
Phèdre. — Tais-toi ! T’as passé l’âge. (A Etienne.) C’est très bien, continuez.
Etienne. — Ayez pas peur.
Rudebeuf, furieux. — C’est très amusant ! C’est vraiment très amusant !
Etienne. — Vous dites : c’est très amusant. Mais vous faites une grimace. Vous êtes encore plus laid.
Rudebeuf. — Ha ! ha !
Etienne. — Et ça se comprend. Vous êtes pigé. Vous pensiez : l’ouvrier, c’est des larbins, c’est à vendre. Faut en rabattre. Exemple nous deux. Car non seulement on s’aime, nous deux, mais c’est ce qui va vous en boucher un coin, on s’est épousé !
Madame Grosbois. — Oui, c’est du propre !
Etienne. — Assez ! la belle-mère. Et c’est une chance, voyez-vous, car on ne sais pas… J’aurais pu accepter de courir sur vot’ voiture. Eh bien ! j’étais déshonoré, je perdais la course.
Rudebeuf. — Qu’est-ce que vous dites ?
Le Brison. — Souris !
Rudebeuf. — Ah ! tu m’embêtes !
Etienne. — Car, y ne valent pas lourd, vos châssis, je m’y connais. Ils ne tiennent pas la route. A preuve, l’an dernier, vot’ circuit. Vous aviez le meilleur mécano. Eh bien ! c’est une machine Le Brison qui vous a gratté !… Et comment !
Le Brison. — Bravo !
Phèdre. — Tu l’engageras !
Le Brison. — Il est remarquable. (A Rudebeuf.) Souris !
Rudebeuf. — En voilà assez !
Phèdre, à Etienne. — Continuez.
Etienne. — D’ailleurs, regardez-la, votre chignolle. Elle est en deux, elle ne fait pas corps. Un virage en vitesse, on capoterait. Je ne tiens pas à me casser la figure. Je ne suis pas aussi moche que vous.
Rudebeuf. — J’aime mieux me retirer. (A Le Brison.) Toi, je t’enverrai mes témoins.
Le Brison. — Dépêche-toi. Je pars pour la Bretagne.
Rudebeuf. — Quant à vous ; je ne suis pas méchant, mais renoncez à jamais à courir un circuit. Vous vous êtes mis à dos Geoffroy Rudebeuf. Vous verrez de quel bois je me chauffe.
Etienne. — Pardon, ma fille, tu oublies tes fleurs. (Rudebeuf fait un geste pour les lui lancer à la figure.) De quoi ?
Rudebeuf. — J’aime mieux me retirer.
Il sort.
Scène XI
modifierLes Mêmes, moins Rudebeuf.
Etienne. — J’y ai plutôt rivé son boulon.
Phèdre, à Le Brison. — Il n’y a pas à hésiter. Invite la petite.
Le Brison. — Ah !
Phèdre. — Il ne viendra pas sans ça. Rudebeuf en fera une maladie.
Le Brison. — Tu as raison.
Phèdre. — Le Brison !… Je t’aime.
Madame Grosbois, à Etienne. — Il ne vous manquait plus que de faire de beaux gestes. Vous êtes cuit, mon garçon.
Gabrielle. — Et tout ça, à cause de moi.
Etienne. — Je suis ravi !
Madame Grosbois. — Vous ne vous voyez pas.
Etienne. — C’est la réaction !
Phèdre, à Le Brison. — Et parle-lui simplement. Ne fais pas ton Louis XIV.
Le Brison. — Oui. (A Etienne.) Mon ami, vous vouliez courir le circuit de Bretagne cet été ?
Etienne. — Comment ?
Le Brison. — Que direz-vous si soudain Le Brison vous établissait une voiture ?
Etienne. — Le Brison ?… Je ne connais personne dans leur usine.
Le Brison. — L’usine, c’est moi !…
Phèdre. — En plein, ça y est, Louis XIV !
Le Brison. — Ne te vante pas. Tu ne l’as pas connu.
Etienne. — Oh ! monsieur !… C’est vrai ?
Le Brison. — Nous partons pour Ker-Kerzoec dans huit jours… Venez le plus tôt possible. Je vous ferai faire de l’entraînement. Pour les conditions, comptez sur moi.
Phèdre. — Nous vous donnerons une belle chambre à tous les deux, monsieur Etienne, à tous les deux !…
Gabrielle. — Tous les deux ?
Phèdre. — Vous passerez le mois d’août avec nous.
Gabrielle. — Oh ! le gosse ! qu’est-ce que tu dis de ça ?
Etienne. — Je dis. Eh bien ! je dis que nous grimpons l’existence en quatrième et que ça commence.
Madame Grosbois. — Alors quoi, je suis un chien écrasé ?
Phèdre. — Comment ?
Madame Grosbois. — Ils vont à la mer. C’est la vie de château. Et on me laisse en plan !
Phèdre. — Mais pas du tout ! Voilà une idée ! Vous venez avec nous.
Le Brison. — Ah ! ça, jamais !
Phèdre. — C’est si évident que nous ne vous avions pas invitée.
Le Brison. — Jamais !… Pas la tante ! ça non !
Phèdre. — Je te donne trois secondes pour l’inviter.
Le Brison. — Mais…
Phèdre. — Pas une de plus.
Le Brison. — Ça va bien ! Madame, nous comptons absolument sur vous.
Madame Grosbois. — Je n’aime pas me faire prier. J’accepte.
Scène XII
modifierLes Mêmes, Amaury.
Amaury, entrant avec le chien en laisse. — Mon monocle ?… Je l’ai encore une fois perdu. (Au valet.) Où est-elle ?
Le Valet. — Là, tout droit !… Monsieur le comte veut-il que je l’y mène ?
Amaury. — Non, le chien me suffit.
Phèdre. — Tiens un aveugle !
Amaury. — Vous êtes là, ma bonne amie ?
Madame Grosbois. — Ah !… oui !…
Amaury. — Je vous rapporte Rip, lui et moi, nous sommes désespérés… Quelle humiliation !
Madame Grosbois. — Comment ?
Amaury. — Elle n’a rien voulu savoir.
Rideau
Acte II
modifierUne grande salle du château.
Grande baie au fond gauche, donnant sur une terrasse dominant la mer. Au fond, à droite, en pan coupé, grand pan de mur peint en fresque. Portes à droite et à gauche.
Au lever du rideau, un valet de pied chargé de manteaux, de paquets, attend au seuil de la baie.
Scène I
modifierLe Valet de pied, puis Le Brison, madame Grosbois, puis Gabrielle, puis Etienne, puis Jourdain.
Le Brison, arrivant, en tenue d’automobiliste. — Eh ! bien, quoi donc ! personne n’est là ?… Vous n’avez pas vu ces dames ?
Le Valet. — Pas encore, monsieur.
Le Brison, à madame Grosbois, qui arrive de droite. — Eh ! bien, voyons, madame Grosbois, nous partons !
Madame Grosbois. — Voilà ! je suis prête… Ah ! mon cache-poussière.
Elle rebrousse chemin
Le Brison. — Mais où allez-vous ?
Madame Grosbois. — Je vais chercher mon cache-poussière.
Le Brison. — Ah ! les femmes ! C’est toujours au moment où elles sont prêtes… Eh ! bien, et madame Chapelain ?…
Le Valet. — Voici madame Chapelain.
Le Brison. — Voyons, ma belle amie, mais nous partons ! L’automobile est avancée.
Gabrielle. — Oh ! je suis désolée, je vous ai fait attendre.
Le Brison. — Il n’y a que demi-mal. Une jolie femme a toujours le droit de se faire attendre.
Gabrielle. — Allons, bon !… J’ai oublié mes échantillons de laine, mes laines à réassortir.
Le Brison. — Quoi ?
Gabrielle. — Je reviens !… Un instant ! Un instant
Elle se sauve en courant.
Le Brison. — Toutes ! toutes !… Il faut qu’elles oublient toutes quelque chose… Ah ! sapristi, mes lettres, mes lettres à mettre à la poste !… (Au valet.) Tenez, courez donc !… Non ! Vous ne trouveriez pas, j’aurai plus vite fait moi-même.
Il va pour sortir. Entre Etienne, tenue de chauffeur, suivi de Jourdain.
Etienne. — Patron, on vient de bouffer le parcours en vingt-quatre minutes.
Jourdain. — Quatre de moins que ce matin.
Le Brison. — Admirable ! Vous me raconterez ça tout à l’heure ; je vais chercher des lettres que j’ai oubliées… Ah ! dites donc, je vous enlève votre femme. Vous n’êtes pas jaloux ?
Etienne. — Ah ! ben, ça serait pas à faire.
Le Brison. — D’ailleurs madame Grosbois vient avec nous.
Etienne. — Oh ! la tante comme recommandation, c’est pas ça qui me tranquilliserait. Non ! J’ai confiance en Gabrielle. Voilà !
Le Brison. — Faut-il que vous soyez sûr de vous !
Etienne. — Je suis sûr de nous trois.
Le Brison. — Et vous avez raison !… (Au valet.) Mettez toujours toutes ces affaires dans l’auto, ça sera autant de fait. (Le valet sort.) Je reviens !…
Etienne, à Jourdain. — Hein ! mon vieux ! Vingt-quatre minutes !…
Jourdain. — Oui, c’est chouette !
Etienne. — J’te le dis, demain c’est couru. On sera premiers !… Trois cent mille balles !… Et si mes pneus ne crèvent pas en route, comme c’est un perfectionnement à moi, je peux dégotter Michelin et devenir millionnaire !… (Il entre dans le salon.) Hein ! Ces idées ne te font plus rigoler maintenant ! Eh ! bien, entre ! Qu’est-ce que tu attends ?
Jourdain. — C’est le salon ! Pige ma tenue !
Etienne. — C’est le travail, ça ! Je suis pareil ! Entre.
Jourdain. — Toi, t’es le conducteur ! Tu représentes la marque. Moi, je ne suis pas le mécanicien.
Etienne. — Demain, tu risques ta peau comme moi, et t’es mon ami ! Allons ! viens ! Et assieds-toi… (Jourdain s’assied. Prenant une cigarette sur la table dans une boîte.) T’en veux ?
Jourdain. — Oh ! penses-tu ! On va infecter le salon !
Etienne. — C’est avec leur tabac ! (Il sonne.) Et puis, comme tu dis, je représente la marque, c’est bien le moins que j’enfume leur salon !
Entre le valet.
Jourdain se lève.
Etienne. — T’es pas fou ! C’est une queue de morue ! Reste assis. (Jourdain se rassied.) Vous apporterez deux whisky-soda au garage.
Le Valet. — Bien, monsieur.
Il sort.
Jourdain. — C’est épatant ! T’es dans un château et tu commandes aux larbins !… Ah ! t’es né sous une belle étoile !
Etienne. — Je sais y faire.
Jourdain. — T’en imposes aux hommes ! T’as le sourire avec le sexe. Moi, ce qui me manque, c’est l’entrejambe.
Etienne, corrigeant. -… gent.
Jourdain. — Quoi "Jean" ?
Etienne. — Entregent ! On dit entregent.
Jourdain. — Ah ?… Mais alors, ça ne veut plus rien dire.
Scène II
Les mêmes, Gabrielle.
Gabrielle. — Eh ! bien, on n’est pas parti ?
Etienne. — Ah ! c’est toi, la gosse !
Gabrielle. — Bonjour, Jourdain… Oh ! comme tu as chaud ?… Si c’est raisonnable de se mettre dans des états pareils !
Etienne. — C’est le travail. Et je vais recommencer ! Pendant ce temps-là, madame Chapelain va faire de l’automobile avec le patron !
Gabrielle. — Voilà, mon cher !… La vie de château !… Mais tu sais, si tu veux que je reste ?
Etienne. — Tu es bête !… Il ne te fait pas trop la cour, le patron ?
Gabrielle. — Juste assez pour être poli.
Jourdain. — Le genre de madame Phèdre avec votre mari, quoi !
Etienne. — Dis donc, toi !
Gabrielle. — Oh ! il a raison !… Quand elle te regarde elle te mange tout cru !…
Etienne. — En voilà des idées !…
Gabrielle. — Ne te défends pas, je suis la première à en rire. D’ailleurs, quand un mari commence à mal tourner, une femme un peu fine tique immédiatement. Moi, je suis très satisfaite. Tu n’as pas de commissions pour la gare ?
Etienne. — Non. Vous allez à la gare ?
Gabrielle. — Oui. Phèdre est chez le curé. Elle s’occupe de décorer l’autel de la Vierge pour la fête de l’Assomption. Crois-tu ! hein ?… Alors, nous, nous lui cherchons des colis à la gare.
Etienne. — Encore une robe et encore un chapeau.
Gabrielle. — Comme par hasard. Et pour qui fait-elle tant de toilette ici ? je te le demande ! Après tout, c’est peut-être pour toi.
Etienne. — Eh ! hé !…
Gabrielle. — Canaille !…
Scène III
modifierLes mêmes, puis Le Brison, puis madame Grosbois, puis un Valet, puis Chatel-Tarraut.
Le Brison. — Eh ! bien, est-ce qu’on part ?
Gabrielle. — Voilà !…
Le Brison, à Etienne. — Et vous !… Vous allez au garage ?
Etienne. — Oui, patron ! Quelque chose à revoir au moteur et après, on reboulotte la piste ! Je veux arriver à la brûler en vingt minutes. Vous verrez ça demain.
Le Brison. — Bravo !
Gabrielle. — Eh ! bien, non tu es fou ! C’est beaucoup trop vite.
Etienne. — Hein ?
Gabrielle. — Dites-lui, monsieur Le Brison, qu’il n’a pas besoin d’aller aussi vite. Il peut bien arriver premier plus lentement.
Le Brison. — Ma chère petite… pour arriver premier…
Etienne, à Jourdain. — T’entends ça ?…
Gabrielle. — Je n’en dors plus !… Tous ces virages !… La fourche de Kergor surtout !… On devrait interdire des virages comme ça !
Etienne. — Si c’est pas malheureux !… Mais c’est là-dessus qu’on table !
Jourdain. — On prend la fourche les yeux fermés.
Etienne. — Une trombe dans un angle aigu.
Jourdain. — Comme ça !… V’la le bolide qui vient à droite. Z Z Z…
Etienne. — V’la le bolide qui repart à gauche… Z Z Z…
Gabrielle. — Et patapoum !… poum !… pang !… vous flanquez tout en l’air !…
Etienne. — Ah ! ne dis pas ça !… Ça fiche la cerise !…
Le Brison. — Mais oui, voyons, ça ira très bien.
Gabrielle. — Enfin, je me suis occupée de toi… (Elle cherche dans son porte-monnaie.) Une croix de Saint-André que je t’ai fait bénir par le curé. (La lui remettant.) Tu l’attacheras demain autour du cou.
Etienne. — Jamais !… Pas de ces blagues-là !
Gabrielle. — Oh ! le gosse !
Etienne. — Autour du cou !… Comme un séminariste !…
Gabrielle. — Je suis sûre que ça te portera bonheur. N’est-ce pas, monsieur Le Brison ?
Le Brison. — Si ça ne peut pas faire de bien, ça ne peut pas faire de mal.
Etienne. — Oui, enfin… c’est bien pour toi.
Gabrielle. — Merci. (A Jourdain.) Oui… ça vous fait rire !
Jourdain. — Ah !… oui, alors !… Je suis franc-maçon.
Etienne. — T’es franc-maçon ?
Jourdain. — Depuis dix ans. Tout de même, si des fois d’ici demain, puisque vous dites que ça porte bonheur… vous pouviez m’en faire bénir une pareille par le curé… eh ben !… mon Dieu, je ne serais pas opposé, histoire de voir.
Gabrielle. — Eh bien ! pour un franc-maçon !…
Jourdain. — Je suis franc-maçon, mais je me réserve le droit d’être libre-penseur. Allons, frangin, viens turbiner !
Gabrielle. — Ah ! non !… pas comme ça, change de chemise avant, celle-ci est en eau.
Etienne. — Quel petit tyran !
Jourdain. — A bientôt, patron.
Ils sortent.
Le Brison. — Oui. Quant à nous !… Eh ! bien, et votre tante ?… Il lui en faut un temps pour passer un cache-poussière !… C’est admirable ! c’est votre tante qui nous fait attendre.
Gabrielle, qui est allée à la porte par où est sortie madame Grosbois. — Ma tante !
Madame Grosbois, qui descend justement. — Eh ! bien, est-ce qu’on part ?
Le Brison. — Comment, "est-ce qu’on part ! " Mais nous n’attendons que vous !
Madame Grosbois. — Ah ! je vous demande pardon ! J’ai pensé que pour être par devant, j’aurais peut-être beaucoup d’air, alors j’ai profité de ce que j’étais là-haut pour mettre une petite robe plus chaude.
Le Brison. — Enfin, vous y êtes maintenant ?
Madame Grosbois. — J’y suis.
Le Valet de pied. — Monsieur de Chatel-Tarraut.
Chatel-Tarraut, entrant et allant à Mme Grosbois. — Monsieur Le Brison, je suis exaspéré.
Madame Grosbois. — Non, c’est pas là !… En face, monsieur Le Brison.
Chatel-Tarraut. — Oh ! pardon ! (A Le Brison et lui serrant la main.) Je suis exaspéré !
Le Brison. — Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Chatel-Tarraut. — Je ne peux plus circuler !… Depuis que vos sacrées automobiles ont envahi mes parages, depuis votre circuit du diable, je ne peux plus sortir mes chevaux !… Mes chevaux sont comme moi. Ils protestent, ils se cabrent, alors ils s’emballent. J’ai dû venir ici en voiture à âne.
Le Brison. — En voiture à âne ?
Madame Grosbois. — Cent sous que j’aurais donnés pour voir ça !
On rit.
Chatel-Tarraut. — Nous vivons à une sacrée époque. Et ce n’est pas tout !… Figurez-vous qu’on veut m’installer dans ma remise et c’est pour ça que je suis venu vous voir…
Le Brison. — Ah ! dites-donc, pendant que j’y pense, c’est au propriétaire que je m’adresse, cette salle où nous nous tenons toujours est très agréable, mais, là, quand on est près de ce mur, il vient une humidité !…
Chatel-Tarraut. — Ah !
Le Brison. — Il doit y avoir une fuite dans votre citerne.
Chatel-Tarraut. — Ma citerne ! quelle citerne ?
Le Brison. — Toute cette construction, là, derrière ce mur, ce bloc de bâtisse, sans fenêtre ni ouverture ; ce n’est pas une citerne ?
Chatel-Tarraut. — Ah ! elle est bonne ! Ah ! mon Dieu, qu’elle est bonne !
Le Brison. — Qu’est-ce que vous avez ?
Chatel-Tarraut. — Une citerne ! Mais il n’y a jamais eu de citerne ! Je ne vois pas une orgie dans une citerne !…
Tous. — Une orgie ?
Chatel-Tarraut. — Oui !… ça, c’est ce que mes ancêtres avaient surnommé la "Chambre Ardente". Ah ! elle en a vu !…
Madame Grosbois. — Des messes noires ?
Chatel-Tarraut. — Noires et de toutes les couleurs.
Tous. — Oh !
Chatel-Tarraut. — On y pénétrait, mesdames et messieurs, par une porte secrète dissimulée dans la muraille. Il suffit de presser sur une des perles de la boiserie. Ah ! que je vous signale un point capital et suggestif… Au fait non, vous n’avez qu’à consulter les archives du château, elles sont dans la bibliothèque. Maintenant, à moi ! voici donc ce qui m’amène !…
Le Brison. — Ça va être long ?
Chatel-Tarraut. — Une seconde. Sous prétexte que j’occupe une situation officielle, que je suis maire, on veut de nouveau me caser une automobile dans ma remise. Comme vous êtes un charmant homme, bien que vous soyez automobiliste…
Le Brison. — Oui, vous voulez caser l’auto chez moi.
Chatel-Tarraut. — C’est cela même. Ces puanteurs chez moi, ça non !
Le Brison. — Vous êtes bien aimable. Le propriétaire de l’auto s’appelle ?
Chatel-Tarraut. — Il m’est recommandé par le ministre… (Avec mépris.) Un ministre !… Qu’est-ce que j’ai fait de sa carte ?
Le Brison. — Ça n’a pas d’importance. Je préviendrai le valet de pied. Il avertira Phèdre. Ainsi, quand votre monsieur arrivera…
Madame Grosbois, qui attendait sur la terrasse avec Gabrielle. — Eh ! bien, vous qui me reprochiez de vous faire attendre !…
Le Brison. — Vous avez raison. (A Chatel-Tarraut.) Qu’est-ce que vous faites, maintenant ?
Chatel-Tarraut. — Je rentre.
Le Brison. — A âne ?
Chatel-Tarraut. — Qu’est-ce que vous voulez, à âne ! Trois kilomètres. Je risque une insolation.
Le Brison. — Nous avons l’auto, nous allons vous jeter.
Chatel-Tarraut. — Ah ! non, par exemple !
Le Brison. — Mais si, voyons. Vous verrez que vous aimerez ça !
Madame Grosbois. — C’est ça, oui !… en auto !… en auto !…
Chatel-Tarraut. — Mais non !… main non !…
Le Brison. — Allez ! allez ! ne dites pas non !
Chatel-Tarraut. — Voulez-vous me laisser !… Voulez-vous me laisser !
Le Brison. — Mais, sacristi ! De quoi avez-vous peur ?
Chatel-Tarraut. — Non, non ! Ces machines avec lesquelles on se casse la figure !
Le Brison. — Mais où ça ?… Quoi !… Voilà dix ans que j’en fais, et il ne m’est jamais rien arrivé.
Chatel-Tarraut. — Non, je ne veux pas.
Tous. — Mais pourquoi ?
Chatel-Tarraut. — Parce que ça me dégoûte ! Parce que je n’aime pas ça !
Le Brison. — Mais, sacristi ! en avez-vous goûté ?
Chatel-Tarraut. — Jamais !
Le Brison. — Eh ! bien alors, vous n’avez pas le droit de dire que vous n’aimez pas ça ! C’est comme ces gens qui déclarent détester les grenouilles, parce qu’ils n’en ont jamais mangé !… Eh ! bien, mangez-en d’abord, vous les détesterez après.
Chatel-Tarraut. — Non, non et non !
Le Brison. — Allons, allons, il ne sera pas dit que je vous aurai là, et que je n’aurai pas essayé de vous convertir. Avant ce soir, vous serez un chauffeur enragé.
Chatel-Tarraut. — Non, non… laissez-moi !
Le Brison. — Allez, mesdames, à mon aide !
Chatel-Tarraut. — Non, non, voyons !… D’abord, vous n’avez pas de place.
Madame Grosbois. — Ça ne fait rien. On se serrera.
Chatel-Tarraut. — Votre auto est pour quatre. Avec le mécanicien, vous êtes au complet.
Le Brison. — Ne vous inquiétez pas. Madame restera.
Madame Grosbois. — Hein ?
Le Brison. — Vous êtes déjà sortie ce matin ! Vous pouvez céder votre place.
Madame Grosbois. — C’est dégoûtant !
Le Brison. — Vous voyez, Madame Grosbois se sacrifie avec joie. Allez ! venez ! venez !
Gabrielle. — Venez, monsieur de Chatel-Tarraut !
Chatel-Tarraut, entraîné. — Je vous en prie, non !
Le Brison. — Vous adorerez ça ! Et c’est vous, maintenant, qui allez épouvanter les chevaux. Vous verrez comme le point de vue change !
Chatel-Tarraut. — Non ! non !
On l’entraîne.
Madame Grosbois. — Voilà ! on me plaque. On me laisse là comme un chien écrasé ! Et Gabrielle n’a même pas eu un mot ! C’est bien fait. Que suis-je ici ? La tante d’un conducteur. Et dire que si la petite m’avait écoutée, nous aurions sans doute un hôtel à nous, des automobiles à nous et je passerais aujourd’hui pour sa mère ! (Voyant Phèdre qui entre de droite.) En voilà une qui a bien mené sa barque !
Scène IV
modifierMadame Grosbois, Phèdre, puis Etienne.
Phèdre, entrant. — Ah ! c’est vous, madame Grosbois. Où sont les autres ?
Madame Grosbois. — Ils enlèvent Chatel-Tarraut en automobile.
Phèdre. — Non !
Madame Grosbois. — Si. Voulez-vous voir le départ ?
Phèdre. — Pas pour un empire que je raterai ça ! (Elle va vers la terrasse. Etienne entre de gauche.) Eh ! bien, non… vous me le raconterez.
Madame Grosbois. — C’est ça !… je vous le raconterai.
Elle sort.
Phèdre. — Ah ! c’est vous, monsieur Etienne !… D’où venez-vous donc ?
Etienne. — Oh !… c’est sans intérêt.
Phèdre. — Mais tout a de l’intérêt… à la veille de ce grand jour.
Etienne. — J’étais allé changer de chemise, parce que j’étais en transpiration.
Phèdre. — Oh ! mon pauvre ami.
Etienne. — Bah ! C’est sec à présent.
Phèdre. — Ah ! bon.
Etienne. — Oui.
Phèdre, à part. — Il n’y a pas à dire, il est beau !…
Etienne. — Comment, patronne ?
(Bruit d’une automobile qui démarre.)
Phèdre. — Rien. Vous voyez, on nous laisse seuls. (Avec tendresse.) On nous laisse seuls. C’est l’auto qui s’en va.
Etienne. — Oui, la 24 chevaux. Elle tape du moteur.
Phèdre. — Le Brison vous enlève Gabrielle et on nous laisse en tête à tête !… C’est amusant vous ne trouvez pas ?… Qu’est-ce que nous allons faire ?
Etienne, très naturellement. — Moi, je vais au garage.
Phèdre. — Ah !
Etienne. — Oui… Une réparation à surveiller.
Phèdre. — Vous ferez ça un peu plus tard.
Etienne. — C’est que… Jourdain m’attend.
Phèdre. — Ah ! bien… Allez, alors, allez !
Etienne remonte.
Phèdre, brusquement. — Ah !
Etienne, accourant. — Qu’est-ce qu’il y a ?
Phèdre. — Mon pied !… Oh ! là ! là !… Je me suis foulé le pied !
Elle s’appuie contre Etienne.
Etienne. — Comment ça ?
Phèdre. — Je ne sais pas… Je me suis tourné la cheville… Oh !
Etienne. — Appuyez-vous !… Appuyez-vous sur moi.
Phèdre. — Non, le fauteuil !… soutenez-moi jusqu’au fauteuil.
Etienne. — Oui, sur un pied… en sautant.
Phèdre. — Oh ! non, non, pas de secousse !… portez-moi jusque-là !
Etienne. — Hein ! oui.
Il la prend dans ses bras.
Phèdre. — Attendez, pas comme ça, je suis très mal.
Etienne. — N’ayez pas peur.
Il fait mine d’aller au fauteuil.
Phèdre. — Mais attendez !… Vous avez l’air de chahuter un paquet !
Etienne. — Oh ! patronne !…
Phèdre. — Ne bougez pas. (Elle passe son bras derrière le cou d’Etienne et appuie sa joue contre la sienne.) Là ! Nous sommes mieux ainsi.
Etienne. — Je peux vous déposer maintenant sur le fauteuil ?
Phèdre. — Vous savez que vous n’êtes pas poli !…
Etienne. — Comment, patronne ?
Phèdre. — Vous n’êtes donc pas bien ? Moi, je resterais comme ça des heures entières.
Etienne. — Ah !…
Phèdre. — L’éternité !… vous pas ?
Etienne. — L’éternité !… ça serait peut-être un peu long.
Scène V
modifierLes Mêmes, Madame Grosbois.
Madame Grosbois. — Voilà !… ils sont par… (Les apercevant.) Oh ! pardon… oh ! pardon.
Phèdre, vivement. — Mais non ! c’est moi qui me suis foulé le pied.
Etienne. — C’est… c’est la patronne qui m’a demandé… Tout en parlant, il la dépose dans le fauteuil.
Madame Grosbois. — Ne vous occupez pas de moi, je reviens. Ne vous occupez pas de moi !…
Etienne. — Mais non, madame Grosbois.
Elle sort.
Phèdre, voulant la retenir. — Madame Grosbois !
Scène VI
modifierEtienne, Phèdre.
Etienne. — Eh bien !… c’est très embêtant !…
Phèdre. — Quoi !… Il est tout naturel…
Etienne. — Evidemment, c’est tout naturel !… Mais je la connais, quand elle peut jeter la zizanie dans mon ménage, celle-là ! Poison !
Phèdre. — Oh !
Etienne. — Enfin, ça n’est pas de votre faute si vous vous êtes foulé le pied.
Phèdre. — Mais, dame !…
Etienne. — C’est vrai, ça !… Enfin, je vais au garage !… Comme ça, quand elle reviendra…
Phèdre. — Ah ! vous partez !
Etienne. — Dites-lui comment c’est arrivé, n’est-ce pas ?… parce que je ne veux pas, n’est-ce pas ?… Enfin, patronne, portez-vous bien.
Il remonte.
Phèdre. — Etienne !
Etienne. — Patronne ?
Phèdre. — Non !… allez !
Etienne. — Oui, patronne.
Il sort.
Scène VII
modifierPhèdre, seule, puis Madame Grosbois.
Phèdre, seule. — Quelle brute !… Il ne comprend rien du tout !… Et dire que j’ai tout sous la main : la cachette rêvée, l’homme qui me plaît !…
Elle soupire, puis brusquement se lève, regarde à droite et à gauche, s’il ne vient personne, puis va jusqu’à la muraille du fond. Elle appuie sur la perle de la moulure. Un pan de mur s’abaisse, formant pont-levis et donnant accès dans la pièce secrète.
— c’est épatant !… Tout le monde ici, croit que c’est une citerne, je ne retrouverai jamais ça !… Enfin.
On entend la voix de Mme Grosbois.
Madame Grosbois, à la cantonade, chantant. — "Je suis lâche avec toi !…", etc…
Phèdre. — Oh ! la tante !… (Elle represse sur le bouton. Le pan de mur se relève.) Quel tact elle a ! Elle chante pour me prévenir… (On frappe à la porte.) Hein !… Alors là, elle exagère !… Entrez !
Madame Grosbois. — Je ne suis pas indiscrète ?
Phèdre. — Mais vous n’avez que faire de frapper. C’est le salon, la pièce commune.
Madame Grosbois. — C’est que, tout à l’heure…
Phèdre. — Quoi, tout à l’heure ? je me suis tourné le pied, ça peut arriver à tout le monde !… Etienne, qui était là, me transportait.
Madame Grosbois. — Quelle chance qu’il ait été là !
Phèdre, elle descend en boitillant. — Mais oui, évidemment !
Madame Grosbois. — Oh ! ma pauvre petite, c’est vrai que vous boitez. Vous avez très mal ?
Phèdre, qui s’est assise. — Non, un peu, je suis surtout énervée !
Madame Grosbois. — Ah !…
Phèdre. — Je trouve que la vie est idiote.
Madame Grosbois. — Vous êtes difficile ! quatre mille cinq par mois, deux rangs de perles. On vous loue un château et, à votre âge, vous recevez déjà le curé !
Phèdre. — Oh ! le curé !
Madame Grosbois. — Quoi ! c’est comme si à l’âge d’un caporal, on passait déjà capitaine. Qu’est-ce qui vous manque ?
Phèdre. — Je ne sais pas. L’amour, un beau gars ! Je n’ai rien du tout.
Madame Grosbois. — Vous avez M. Le Brison.
Phèdre. — Oui, Je n’ai rien du tout. Est-ce drôle, la vie ? Je n’aime au monde que la jeunesse et la beauté, et j’ai toujours été collée avec des vieux !
Madame Grosbois. — Faites fortune. A mon âge, vous vous collerez avec un jeune.
Phèdre. — Il y a des femmes qui n’ont pas de chance. J’en ai connu des hommes, n’est-ce pas ? Eh bien ! je n’ai pas encore été aimée par l’homme qu’il m’aurait fallu.
Madame Grosbois. — L’homme qu’il faut à une femme, elle ne le rencontre jamais ; c’est même à ça qu’elle peut le reconnaître.
Phèdre. — Oui, c’est peut-être vrai.
Madame Grosbois. — Oh ! ne vous frappez pas. On ne sait jamais. Ainsi, tout à l’heure, quand je suis entrée, vous faisiez un beau couple avec Etienne. Tous les deux, vous étiez bien assortis.
Phèdre, avec une moue. — Oh ! vous savez !
Madame Grosbois. — Si, si !… C’est égal, il est heureux que ce soit moi qui sois entrée au lieu de.
Phèdre. — Au lieu de… qui ?
Madame Grosbois. — Dame ! au lieu de Gabrielle. Si elle vous avait surprise dans les bras de son mari !…
Phèdre. — Mais puisque je m’étais foulé le pied !
Madame Grosbois. — C’est vrai !… que je suis bête !… j’oublie toujours ça. (Entre un valet.)
Scène VIII
modifierLes Mêmes, Le Valet de Pied.
Phèdre, au valet. — Qu’est-ce que c’est, Julien ?
Le Valet. — C’est le monsieur qui vient pour le garage. Monsieur a dit, en partant, que Madame Grosbois le recevrait, qu’elle était au courant.
Phèdre. — Un raseur ! je me sauve !
Elle gagne la gauche.
Madame Grosbois. — Ah ! tiens !… vous ne boitez plus !…
Phèdre, se remettant à boiter. — Hein ?… si !… si !
Madame Grosbois. — Oh ! ne vous fatiguez pas pour moi !
Phèdre. — Vous êtes insupportable !
Elle sort.
Scène IX
modifierMadame Grosbois, puis Rudebeuf.
Julien a tendu la carte à Mme Grosbois.
Madame Grosbois, lisant la carte. — Ça, par exemple !… C’est la carte de ce monsieur ?
Julien. — Oui, madame. Faut-il faire entrer ?
Madame Grosbois. — Tu parles !… Euh !… plus que jamais !…
Julien sort.
Madame Grosbois. — Ça, par exemple ! c’est la fatalité !…
Rudebeuf, entrant. — Madame, excusez… (Reconnaissant madame Grosbois.) Hein !
Madame Grosbois. — Ah ! mon ami, comme vous arrivez bien.
Rudebeuf. — Ah, ça !… Comment, vous êtes ici ?
Madame Grosbois. — Oui. A l’instant, je pensais à vous.
Rudebeuf. — Comment, vous êtes installée chez Chatel-Tarraut ?
Madame Grosbois. — Non, chez Le Brison. C’est lui qui a loué le château.
Rudebeuf. — Le Brison ! Mais alors, je suis chez Le Brison ?
Madame Grosbois. — Oui. Et vous survenez au moment précis où je me disais…
Rudebeuf. — Mais alors, votre nièce couche ici ?
Madame Grosbois. — Mais naturellement.
Rudebeuf. — Tiens ! Ça m’embête, ça !… Alors, ils sont ensemble ?
Madame Grosbois. — Qui ?
Rudebeuf. — Le Brison et votre nièce ?
Madame Grosbois. — En voilà une idée ! Vous êtes fou ! Pourquoi ?
Rudebeuf. — Dame !… puisqu’elle couche ici.
Madame Grosbois. — Etienne court pour Le Brison ! Nous logeons chez lui, c’est tout naturel ; un conducteur n’est pas un domestique.
Rudebeuf. — A qui le dites-vous ?… Le mien est un prince hongrois qui a eu un roi dans sa famille ! Comme il court à l’œil, il en profite pour me taper.
Madame Grosbois. — Vous regrettez Etienne ?
Rudebeuf. — Ah ! non ! Votre neveu est trop mal embouché ! Si Le Brison l’a pris, c’est parce qu’il a cru que j’y tenais. Mais moi, je ne le faisais courir que parce que je courais après la petite. Et elle va bien, la petite ?
Madame Grosbois. — Elle est très en beauté, la chère enfant.
Rudebeuf. — La petite rosse !… Elle s’est bien payé ma tête !
Madame Grosbois. — Ah ! l’autre jour, n’est-ce pas ! Ah ! je me suis fait une bile ! Et je m’en fais encore, allez ! Que demain Etienne perde le circuit…
Rudebeuf. — J’y compte bien.
Madame Grosbois. — Nous pas !… Eh bien ! ce sera de nouveau la purée. Et s’il lui fait un enfant. Ça peut arriver, monsieur ; ce garçon-là n’a aucune éducation. Alors, quoi !… où allons-nous ?… Et dire que si elle m’avait écoutée…
Rudebeuf. — C’est une petite bécasse. Elle est toujours éprise de son malotru de mari ?
Madame Grosbois. — Ça n’a pas d’importance. Vous arrivez au bon moment.
Rudebeuf. — Ah ! non ! vous me l’avez déjà faite, celle-là.
Madame Grosbois. — Cette fois, je ne me trompe pas. Phèdre a un béguin pour Etienne.
Rudebeuf. — Non ?
Madame Grosbois. — Elle en est folle !
Rudebeuf. — Bravo ! Seulement, voilà !… ils ne seront pas assez naïfs pour se faire pincer !
Madame Grosbois. — Pardon, mon ami ! j’aime ma nièce, et je suis là !
Scène X
Les Mêmes, Etienne, Jourdain.
Etienne, arrivant par la terrasse. — Trois minutes de moins que tout à l’heure… On le tient, mon colon !… on le tient !… Et si demain, mes pneus…
Rudebeuf. — Bonjour, monsieur Chapelain.
Etienne. — Hein !… (A Jourdain.) Va rouler deux cents mètres avec la voiture.
Jourdain. — Pas de bêtises, hein !
Etienne. — J’sais pas… ça dépend !
Jourdain sort.
Rudebeuf. — Vous m’en voulez encore ?
Etienne. — Ça dépend !… C’est-y pour ma femme que vous êtes ici ?
Rudebeuf. — Quelle plaisanterie ! C’est de l’histoire ancienne.
Etienne. — C’est que la première fois, on a causé, mais la seconde fois, je vous rentre dans le chou.
Rudebeuf. — Quoi ?
Madame Grosbois. — Ah ! Etienne, quand on parle à un homme du monde…
Etienne. — Ah ! la tante ! la ferme ! (A Rudebeuf.) Enfin, si ça n’est pas pour ma femme que vous êtes ici.
Rudebeuf. — Voyons, c’est fini !… Si je suis ici, c’est de passage, pour le circuit de demain où je suis commissaire.
Etienne. — Ah ! alors !
Rudebeuf. — D’ailleurs, je ne vous comprends pas ! Y avait-il de quoi se fâcher ?
Etienne. — Vous en avez une santé !
Rudebeuf. — Mais… c’était un hommage que je rendais à la beauté de Madame Chapelain.
Etienne. — Pour les hommages à Madame Chapelain, il y a Bibi.
Rudebeuf. — Décidément, vous êtes rancunier.
Etienne. — Enfin, puisque vous me faites des excuses.
Rudebeuf. — Hein ?… Oh ! pardon.
Madame Grosbois, à Rudebeuf. — Mais si ! mais si ! Qu’est-ce que ça vous fait ?… (haut.) Allons, serrez-vous la main !
Ils se serrent la main.
Scène XI
modifierLes Mêmes, Phèdre
Phèdre. — Rudebeuf. ici !… Et la main dans celle d’Etienne !… Bravo !
Etienne. — Il m’a fait des excuses.
Rudebeuf. — Oui, enfin, nous nous sommes expliqués.
Phèdre. — Je suis ravie de vous revoir. C’est votre auto qui est devant la porte ?
Rudebeuf. — Oui ! Vous permettez que pour l’après-midi, on la remise chez vous ? Je rentre ce soir à Kergor.
Phèdre. — Kergor ?… mais c’est à deux pas.
Rudebeuf. — Sept kilomètres… J’ai loué, pour la circonstance, une bicoque, là, en face de la fourche… Alors, vous permettez ?
Phèdre. — Oui, mais vous nous resterez à dîner. N’est-ce pas, monsieur Etienne ?
Etienne. — Mais, patronne, vous êtes chez vous.
Rudebeuf. — Oh ! si ça contrarie M. Etienne !…
Etienne. — Oh ! non. Moi, une fois qu’on m’a fait des excuses !…
Rudebeuf, rongeant son frein. — Encore !
Phèdre. — Là !… vous l’entendez ?
Rudebeuf, rageur. — Oui,… oui, oui, je l’entends ! (A madame Grosbois.) Oh ! mais il m’agace avec ses excuses !
Phèdre. — Alors, convenu ?
Rudebeuf. — Convenu.
Il va prendre son chapeau.
Phèdre. — Vous vous sauvez déjà ?
Rudebeuf. — J’ai affaire dans le village.
Phèdre. — Madame Grosbois, soyez assez aimable pour indiquer le garage à M. Rudebeuf.
Etienne. — Le petit garage, pas celui où il y a ma voiture de course.
Rudebeuf. — Vous craignez donc que je n’enfonce des clous dans vos pneumatiques ?
Etienne. — Non ! j’ai confiance en vous.
Rudebeuf. — C’est heureux !
Etienne. — Mais, comme on dit, deux précautions valent mieux qu’une.
Rudebeuf, sortant avec madame Grosbois. — Ma pauvre amie, vous ne savez pas ce que je donnerais pour le faire cocu ! Vraiment, vous ne savez pas !
Madame Grosbois. — Chut ! C’est une question que nous débattrons plus tard.
Scène XII
modifierPhèdre, Etienne, puis Gabrielle.
Phèdre. — Dites, ça ne vous chiffonne pas que j’aie retenu Rudebeuf à dîner ?
Etienne. — Pensez-vous, patronne ! D’ailleurs, ce serait… que je ne me permettrais pas. Je ne suis pas chez moi.
Phèdre. — Oh ! c’est la seconde fois que vous me le dites !… Ce n’est pas gentil.
Etienne, étonné. — Ah !
Phèdre. — Voyons, vous ne vous sentez pas ici comme chez vous ?
Etienne. — Ah, ça !… je dois dire que vous êtes tous bien complaisants.
Phèdre. — Nous n’y avons aucun mérite. Quant à moi, je vous trouve… je vous trouve… très gentil.
Etienne, gêné. — Patronne, je…
Phèdre. — Je sais bien que c’est des choses qu’une femme ne dit pas à un homme, mais qu’est-ce que vous voulez, je suis franche.
Etienne. — Oui.
Phèdre. — Et vous êtes très joli garçon.
Etienne, avec assurance. — Oui.
Phèdre. — Ah ?… eh bien ! au moins, je ne vous apprends rien.
Etienne. — Hein ? Oh ! patronne, non !… ce n’est pas ce que… non, je…
Phèdre, souriant. — Mais oui ! mais oui ! ça va bien !
Etienne. — Mais pas mal, merci ! et vous aussi, patronne ?
Phèdre. — Quoi ?
Etienne. — Le pied.
Phèdre. — Quel pied ?
Etienne. — Le pied ! ça va mieux, le pied ?
Phèdre, s’asseyant sur le canapé. — Hein ?… ah ! le… oh ! comme ça ! c’est moins aigu, mais quand on y touche !… tenez, c’est là !…
Etienne. — Ah ! oui ?
Phèdre. — Vous pouvez tâter, vous savez.
Etienne. — Ah !
Phèdre, lui prenant le doigt et l’appuyant sur la cheville. — Oui, là !… (Poussant un petit cri.) ah !… sentez-vous ?
Etienne. — Non, pas moi.
Phèdre. -Mais si, voyons !… tenez la cheville, là, entre le pouce l’index.
Etienne. — Entre le p…
Phèdre, lui faisant prendre sa cheville. — Oui, comme ça. Sentez-vous l’enflure ?
Etienne. — Heu ! heu !
Phèdre. — Non ? mais naturellement, vous êtes debout. Comment voulez-vous que debout on sente !… Asseyez-vous.
Etienne. — C’est que…
Phèdre. — Quoi ? Vous avez bien une minute. Vous n’avez rien à faire !
Etienne. — Evidemment, mais…
Phèdre. — Mais quoi ?
Etienne. — On a beau n’avoir rien à faire, il y a des moments où il vaudrait mieux s’en aller.
Phèdre. — Oui ? Eh bien ! tout à l’heure !… tenez, asseyez-vous devant moi, sur ce tabouret. (Il obéit.) Là !… et en comparant les deux chevilles, vous pourrez vous rendre compte…
Elle met son autre jambe sur l’autre genou d’Etienne.
Etienne, très troublé. — Mais, patronne…
Phèdre. — Touchez ! touchez ! n’ayez pas peur… Sentez-vous la différence ?
Etienne. — C’est bien peu sensible.
Phèdre, reprenant sa première position. — Parce que vous ne frottez pas ! mais frottez, frottez doucement ! vous sentirez sous la main le vallonnement… Eh bien ?
Etienne, sans conviction. — Oui, un peu.
Phèdre, qui a posé sa main sur la sienne. — Vous avez la main chaude.
Etienne, voulant la retirer. — Ah ! pardon !
Phèdre, le retenant. — Oh mais laissez ! Je ne dis pas ça pour que vous la retiriez. Au contraire ! vous frottez si bien !…
Etienne. — C’est que, patronne, si on entrait…
Phèdre. — Eh ! bien, quoi ! le massage n’est pas interdit.
Etienne, tout en massant. — Oh ! je sais bien qu’on ne fait pas de mal. Mais pour les gens mal intentionnés, on fait le bien, ils y voient du mal.
Phèdre. — Ne vous occupez pas du monde, vous avez votre conscience. Ah ! c’est ça !… c’est ça !… un peu plus haut, voulez-vous ?… Ah ! c’est bien.
Etienne. — Oui ?
Phèdre. — Ah ! votre femme a de la chance d’avoir un mari comme vous.
Etienne. — Mon Dieu, patronne, si c’est pour le massage que vous dites ça !
Phèdre. — Pour le massage… comme pour le reste ! Ah ! vous êtes un beau gaillard.
Etienne. — Oui ?… Oh !…
Phèdre. — Un gaillard comme on n’en voit pas assez. Vous êtes bâti ! c’est épatant !… C’est à vous, tout ça ?
Etienne. — C’est à moi, oui !
Phèdre. — Vous êtes musclé, hein !
Etienne. — Je tiens ça de mon père. Il mesurait près de deux mètres et il était forgeron. On l’appelait le père Pont-Neuf. Un jour qu’il revenait d’Asnières…
Phèdre. — Il a longtemps que vous êtes avec Gabrielle ?
Etienne. — Deux mois qu’on est mariés et sept qu’on est ensemble. Donc un jour, le père Pont-Neuf…
Phèdre. — Et avant, vous avez connu beaucoup de femmes ?
Etienne. — Oh ! des pas grand chose !… Celles qui voulaient.
Phèdre. — Dites donc, beaucoup voudraient bien.
Etienne. — Pardon, patronne, mais si vous avancez comme ça tout le temps sur moi !… J’ai déjà votre pied dans le dos, et dame !… si je dois le masser !…
Phèdre, se renfonçant dans le canapé. — Oui, vous avez raison, mettez-vous sur le canapé à côté de moi.
Etienne. — Vous croyez ?
Phèdre. — Mais oui, vous serez mieux.
Elle le fait asseoir sur le canapé.
Etienne. — Bon !
Phèdre, par le fait qu’Etienne s’est mis à sa gauche, étendant sa jambe gauche sur ses genoux. — Là, tenez !…
Etienne, massant. — Tout de même, patronne, c’est pas raisonnable !… Si le patron des fois, arrivait…
Phèdre. — Eh bien ?
Etienne. — Il dirait sûrement que c’est pas pour ça qu’il m’a engagé.
Phèdre. — Laissez-moi donc tranquille avec Le Brison… Ah ! c’est bon ! je sens du mieux.
Etienne. — Mais, patronne, c’est plus la même jambe.
Phèdre, Les yeux à moitié clos. — Qu’est-ce que ça vous fait ? Ne vous occupez donc pas de ça !
Etienne. — Ah ?
Phèdre. — L’autre n’est pas à votre portée, je vous donne celle-là.
Etienne. — Oui.
Phèdre. — Ah ! ça fait du bien. Vous ne trouvez pas ?
Etienne. — Ben, je ne sais pas, vous êtes plus à même que moi…
Phèdre, entre chair et cuir. — Imbécile !
Etienne. — Comment ?
Phèdre. — Pourquoi fais-tu la bête ?
Etienne. — Moi ?
Phèdre. — Alors, quoi, je ne te plais pas ?
Etienne. — Patronne, mais…
Phèdre. — Alors, tu ne vois rien ! tu ne comprends rien !…
Etienne. — Patronne, patronne, si M. Le Brison…
Phèdre. — Ah ! Le Brison ! Quand je te considère à côté de lui et que j’établis un parallèle !…
Etienne. — Patronne !
Phèdre. — Ah ! si tu savais ! Certains soirs que je te laisse avec Gabrielle pour rentrer avec Le Brison dans ma chambre !… Ah ! ces soirs-là, si tu savais… ah ! là ! là !…
Etienne. — Patronne, c’est des choses à ne pas dire.
Phèdre. — Ah ! les dire, ça ne serait encore rien, mais c’est que je les pense et je pense : ah ! si au lieu de ce gros-là qui ronfle, c’était Etienne qui dormait…
Etienne. — Oh ! patronne !
Il veut se lever, mais en est empêché par la jambe de Phèdre sur la sienne.
Phèdre. — Si au lieu des baisers de Le Brison, c’était les baisers d’Etienne… !
Etienne. — Non ! il ne faut pas. C’est pas équitable ! M. Le Brison n’est pas si toc.
Phèdre. — Ah ! mon pauvre ami, en chemise de nuit, il a l’air d’une blague.
Etienne. — Oh !
Phèdre. — Et puis, enfin ! Est-ce qu’il est… toi ?… Est-ce qu’il a ton physique, tes yeux, ta bouche, tes dents, tes joues, tes bonnes grosses joues ?
Etienne, voulant se dégager. — Patronne, votre jambe !
Phèdre. — Est-ce qu’il a tes cheveux, tes cheveux si drus, si brillants ?… (Elle lui passe la main dans les cheveux.)
Etienne. — Patronne, les cheveux du patron…
Phèdre. — Ah ! non, mon vieux, il est chauve ! Et tes bras, est-ce qu’il a tes bras musclés, le patron ?
Etienne, essayant de se dégager. — Patronne, votre j…
Phèdre. — Est-ce qu’il a tes moustaches ?
Etienne. — Votre…
Phèdre. — Tes jolies moustaches ?…
Etienne. -…Jambe.
Phèdre. — Tes moustaches que j’ai envie d’embrasser !
Etienne. — Patronne ! patronne !
Phèdre. — Quoi ?
Etienne, énergique. — Non, enlevez votre jambe ! vous êtes sur mes genoux.
Phèdre. — Eh ! bien, après ?
Etienne. — Eh bien ! je pense à monsieur Le Brison. Si monsieur Le Brison…
Phèdre. — Ah ! et puis crotte à la fin avec Le Brison ! Crotte, comme disait Cambronne quand il était petit.
Etienne. — Oh !
Phèdre. — C’est vrai, ça ! voilà une heure que je vous fais une déclaration, que je me jette à votre cou et vous restez là, comme une motte de beurre.
Etienne. — Ah ! vous trouvez, vous !… Eh bien ! non, et c’est justement pour ça que c’est des jeux à ne pas jouer ! Ah ! bien ! Je voudrais bien vous y voir, à ma place. Motte de beurre ! Ah ! ben !… mais vous êtes là, vous êtes jeune, vous êtes jolie, vous êtes asticotante, et, avec ça, vous êtes la patronne !… moi, je ne peux pas ! je ne peux plus ! la volonté humaine, c’est limitrophe !
Phèdre, le faisant asseoir. — Eh ! bien, alors, grosse bête, puisque la volonté humaine, c’est limitrophe, fais comme moi, laisse-toi aller !…
Etienne. — Non !
Phèdre. — Ah ! mollusque !
Etienne. — Mais vous ne comprenez donc pas qu’en moi, il y a une lutte…, une lutte qui…
Phèdre. — Tais-toi, je comprends ! je sais ce que tu penses.
Etienne. — Oui, j’aime mieux tout vous dire.
Phèdre. — Tu le dirais très mal. Tu penses, j’aime ma femme ! c’est malheureux, mais je ne peux pas aimer deux femmes à la fois.
Etienne. — Eh ! oui, voilà !
Phèdre. — Tu penses : je ne peux pas tromper Gabrielle qui est si bonne et qui m’aime tant.
Etienne. — Mais oui ! mais voilà !
Phèdre. — Ça lui ferait trop de peine !… ça ne serait pas chic.
Etienne. — Eh ! oui, voilà ! voilà !
Phèdre. — Mais certainement, voyons ! (Il va pour se lever. Phèdre, à ce moment lui enfonce sa main dans son col.)
Etienne, essayant de se défendre. — Ah ! non patronne, faites pas ça ! Vous me chatouillez.
Phèdre. — Ah ! je te chatouille. Ah ! je te chatouille. Eh bien ! attends un peu !
Elle enfonce davantage.
Etienne, se tordant nerveusement. — Oh ! oh !… oh !… non !… non !…
Phèdre. — Oh ! ma bague !
Etienne. — Ah ! qu’est-ce qui me dégouline dans le dos ?
Phèdre. — Ma bague, avec un diamant.
A ce moment, on entend la corne de l’auto.
A partir de ce moment, une seconde scène simultanée se joue à l’extérieur… A la corne de l’auto, on a vu le valet de pied traverser en courant la terrasse pour aller au devant du maître. L’auto s’est arrêtée et on entend le bruit confus des voix. Cela, peu à peu, se rapproche et on entend le dialogue suivant :
A la cantonade
Chatel-Tarraut. — Oh ! là ! là ! doucement ! Prenez garde !
Le Brison. — Tenez, Julien, venez aider !
Gabrielle. — Prenez-le sous le bras, plutôt !
Chatel-Tarraut. — Oh ! mes reins !…
Le Brison. — Il faudrait de l’alcool camphré et de l’arnica !
Gabrielle. — Je vais en demander !
Etienne. — Sapristi !… v’là l’auto ! Retirez votre main !
Phèdre. — Tournez-vous, je ne peux pas…
Etienne. — Votre main, que je vous dis !
Phèdre. — Mais je ne peux pas, mon bracelet est pris !
Gabrielle, paraissant sur la terrasse appelant, la tête en l’air, dans la direction des étages supérieurs. — Madame Phèdre ! Madame Phèdre !
Etienne, à la voix de sa femme. — Gabrielle !… (A Phèdre.) Retirez votre main, nom de Dieu !…
Il a un brusque mouvement du cou qui dégage la main de Phèdre.
Phèdre, à qui le mouvement a fait mal. — Oh !
Gabrielle, entrant en scène. — Ah ! Madame Phèdre, je…
Etienne, bêtement, à Gabrielle. — Voilà !… on… on causait, on causait…
Gabrielle. — Quoi ?
Phèdre, à part. — Le maladroit !
Gabrielle, à part. — Ah !
Etienne. — Non, je veux dire…
Gabrielle. — Mais, mon ami, ça suffit, je ne demande rien.
Phèdre. — Mais oui, en effet, vous feriez supposer…
Gabrielle, à part. — Ah, çà ! mais…
Phèdre. — Vous me cherchez ? Qu’est-ce qu’il y a ! Qu’est-ce qui se passe ?
Gabrielle, sans quitter des yeux Etienne. — Rien ! un petit accident. M. Chatel-Tarraut…
Tous deux. — Un accident ?
Etienne. — Tu n’es pas blessée, au moins ?
Gabrielle. — Non ! non ! on m’envoie vous demander de l’alcool camphré et de l’arnica.
Phèdre. — Oh ! mon Dieu !
Scène XIII
modifierLes mêmes, Le Brison, puis Madame Grosbois, puis Amaury de Chatel-Tarraut.
Le Brison. — Eh bien ! l’alcool camphré ?
Phèdre. — Voilà ! Voilà ! (A Gabrielle.) Ma bonne Gabrielle, voulez-vous, dans mon cabinet de toilette…
Gabrielle. — Oui.
Elle sort.
Etienne, à part. — Oh ! nom d’un chien, la bague !… elle glisse !
Il se croise les deux bras dans le dos.
Madame Grosbois, accourant de droite. — Un accident ! Il y a eu un accident ?
Le Brison. — Oh ! pas grand’chose.
Phèdre. — Personne n’a de mal ?
Le Brison. — Chatel-Tarraut est un peu démoli ! la voiture aussi, ce qui est plus embêtant.
Madame Grosbois. — Ah ! ce pauvre Amaury !
Le Brison. — Allez donc le voir, il crie comme un putois.
Madame Grosbois, s’en allant. — Ah, bien ! ce qu’il doit fulminer !
Phèdre. — Et ma robe ? Mon chapeau ?
Le Brison. — Pas avec nous. L’accident est survenu en allant à la gare.
Phèdre. — Ah ! c’est heureux que cela se soit passé comme ça !
Le Brison. — Ah, oui !
Phèdre. — Mon chapeau aurait été bien arrangé.
Le Brison. — Je te remercie.
Etienne. — Enfin, comment est-ce arrivé ?
Le Brison. — Ah ! parbleu, c’est la faute de cet imbécile !… On ne devrait jamais emmener des gens qui n’ont pas l’habitude. On ne veut pas me croire, je l’ai assez dit. Enfin, voilà : nous marchions très bien, nous faisions du quatre-vingt. Chatel-Tarraut commençait à revenir sur son opinion, à trouver ça très agréable, quand, tout à coup, une poule, une vache de poule se met à traverser devant nous.
Etienne. — Alors ?
Le Brison. — Alors ! voilà-t-il pas cet imbécile qui se lève et qui se met à secouer le bras du chauffeur en criant : "Gare à la poule ! gare à la poule ! " Il y avait un mur à gauche…
Etienne. — Oui, il y a toujours un mur dans ces occasions-là !
Le Brison. — V’lan ! l’auto entre dedans. Et Chatel-Tarraut exécute un magistral panache qui l’envoie de l’autre côté du mur ! Ah ! on m’y reprendra encore à vouloir l’emmener en automobile ! Cinq cents francs de réparation !
Chatel-Tarraut entre, soutenu d’un côté par madame Grosbois, de l’autre par Jourdain.
Madame Grosbois. — Tu ne peux pas te faire une opinion là-dessus. C’est accidentel.
Chatel-Tarraut. — Ah ! là ! ah ! là !… ah ! Cochonne d’automobile ! Cochonne d’automobile !
Phèdre. — Eh bien ! Ca ne va pas, monsieur de Chatel-Tarraut ?
Chatel-Tarraut - Mais naturellement !… ah ! là… j’en étais sûr !… parbleu ! on a absolument voulu que j’y aille !… je ne voulais pas ! je savais bien ! Cochonne d’automobile ! oh ! mes reins.
On le fait asseoir sur un fauteuil.
Le Brison. — Je vous engage à parler. Si vous n’aviez pas saisi le bras du chauffeur !…
Chatel-Tarraut. — Il y avait une poule, monsieur, une poule qui allait être écrasée.
Le Brison. — Eh ! bien, v’la tout ! on la laisse ! les poules sont faites pour ça.
Jourdain. — Elles sont habituées.
Le Brison. — Vous pouviez nous faire casser la tête !…
Chatel-Tarraut. — Et à moi aussi.
Le Brison. — Vous, encore, c’est votre faute ! vous le méritiez ! Mais nous qui n’avions rien fait pour ça.
Chatel-Tarraut. — Mais c’est vous qui avez voulu y aller, tandis que moi, je ne voulais pas !
Le Brison. — Mais nous ne pensions pas que vous auriez l’idée de secouer le bras du chauffeur !…
Chatel-Tarraut. — Mais, moi, je ne pouvais pas prévoir qu’il y aurait une poule !…
Le Brison. — Ah ! laissez-moi donc tranquille !
Phèdre. — Une autre fois vous ne toucherez plus au bras du chauffeur.
Madame Grosbois. — Voilà !
Chatel-Tarraut. — Une autre fois !… ah, çà ! est-ce que vous croyez que j’ai l’intention de recommencer ?
Le Brison. — Naturellement ! sans quoi vous ne serez jamais un automobiliste.
Chatel-Tarraut. — Mais non ! Je ne serai jamais ! je le sais bien que je ne serai jamais !… ah ! cochonne d’automobile ! cochonne d’automobile !
Gabrielle. — Voici l’alcool et l’arnica.
Phèdre - Merci, ma petite. (A Chatel-Tarraut.) Tenez, passons par là, on va vous frictionner.
Le Brison, à Chatel-Tarraut. — La première fois, c’est souvent comme ça, vous verrez la fois prochaine.
Chatel-Tarraut. — Ah ! Monsieur, ne plaisantez pas.
Le Brison - Pendant que vous le bouchonnez, je prends l’auto rouge ; j’ai le temps de passer à la gare avant dîner, et je rapporte tes colis.
Phèdre. — C’est ça, va !
Chatel-Tarraut. — Ah ! cochonne d’automobile ! Cochonne d’automobile !
Tout le monde remonte. Etienne en dernier, les bras toujours croisés dans le dos.
Scène XIV
modifierGabrielle, Etienne.
Gabrielle, qui, seule, n’a pas bougé. — Etienne !
Etienne. — Ma bonne amie !
Gabrielle. — Reste !
Gabrielle remonte un peu pour ne redescendre que quand tout le monde aura quitté la scène.
Etienne, à part. — J’aurais pourtant bien voulu aller retirer la bague.
Gabrielle. — Qu’est-ce que vous faisiez là, tous les deux, tout à l’heure ?
Etienne. — Qui ?
Gabrielle. — Qui ?… Toi et Phèdre, naturellement, pas Fallières.
Etienne. — Quand ?… Ah ! là, tout à l’heure, on causait.
Gabrielle. — Ah !
Etienne. — Oui, au sujet de la course de demain ; ainsi, tu vois !… Elle s’informait, elle me demandait si le purgeur de la pompe à engrenages expulsait avec facilité sans l’aide du tamis…
Gabrielle. — Le purgeur de la pompe ?…
Etienne. — Oui, le purgeur de la pompe, et si, pour éviter tout échauffement, la bande de cuir qui recouvre le cône…
Gabrielle. — C’est pas vrai !
Etienne. — Quoi ?
Gabrielle. — Le purgeur !… le cône ! elle ne sait même pas ce que c’est. Tu mens !
Etienne. — Moi ?
Gabrielle. — Oui, toi ! quand tu me regarderas, les bras croisés… dans le dos !…
Etienne, écartant les bras. — Moi, j’ai les… oh !
Il remet vivement les bras derrière son dos.
Gabrielle - Qu’est-ce qu’il y a ?
Etienne. — Rien (à part) Sacrée bague, va !
Gabrielle. — Si tu crois que je n’ai pas vu à ta tête, immédiatement !… Tu étais tout rouge.
Etienne. — J’étais rouge, moi ?
Gabrielle. — Oui, tu étais rouge.
Etienne. — Si j’avais été pâle, ça t’aurait embêtée aussi.
Gabrielle. — Je te connais, tu sais ! Si tu crois que je ne lis pas sur ton visage, tout de suite. Et tu avais un air bête !
Etienne. — Oh !
Gabrielle. — Au moins, Phèdre, elle est plus maligne ! c’est une femme ! elle n’a eu l’air de rien. Mais toi, personne ne te demandait l’heure qu’il était, et tu t’es cru obligé de me dire : "Voilà ! on causait !… on causait ! " Ah ! oui, on causait !… Et de quoi ? Voilà ce que je voudrais savoir.
Etienne. — Oh ! ben, je t’ai dit, de choses…
Gabrielle. — Des cochonneries, oui !
Etienne. — Oh !
Gabrielle. — Eh bien ! prends garde, mon petit ! tant que j’ai pu croire qu’il n’y avait pas de danger, Phèdre pouvait te reluquer avec des yeux de merlan frit et essayer de te faire du plat, je ne disais rien ; mais du moment que tu rends et que tu marches au boniment, ah ! non ! halte-là ! fini de rire.
Etienne. — Allons, voyons, tu es folle. (A part.) Oh ! la bague.
Gabrielle. — Je suis folle, mais j’y vois clair.
Etienne, à part. — Nom d’un chien, elle glisse !
Gabrielle. — C’est si dégoûtant, les hommes ! Il suffit qu’une femme cherche à leur plaire, elle a beau avoir, comme Phèdre, une poitrine de poulet, des bras d’araignée, un teint qui s’enlève avec une serviette !… du moment qu’elle a des bijoux, des cheveux teints, des toilettes !…
Etienne, à part. — Nom d’un chien ! je l’ai dans les reins !
Pour empêcher la bague d’aller plus loin, il cambre les reins et fait sortir la torse.
Gabrielle. — Qu’est-ce que tu as ?… tu es malade ?
Etienne. — Mais non, pourquoi ?
Gabrielle. — Pourquoi est-ce que tu te contorsionnes comme ça ?…
Etienne. — Moi ? mais non… (A part.) Oh !… elle glisse !…
Gabrielle. — Mais tu es ridicule, voyons ! rentre ça !…
Etienne. — Hein !… oui, non, attends, je reviens, je reviens !…
Gabrielle. — Où vas-tu ?
Etienne. — Quelque chose que j’ai oublié de dire à Jourdain !
Gabrielle. — Veux-tu rester là ! tu iras parler à Jourdain quand j’aurai fini.
Etienne, à part. — Oh ! si je pouvais la pincer.
Gabrielle. — Oui, des toilettes, voilà avec quoi on vous prend ! eh bien ! moi aussi, je pouvais en avoir, si j’avais voulu, des toilettes !
Etienne, tout à sa préoccupation. — Mais oui !
Gabrielle. — C’est pas malin ! on me l’offrait, tout ce luxe ! Je n’avais qu’à dire un mot. Et, sans me vanter, tu sais, entre Phèdre et moi, à toilettes égales, on aurait vu laquelle aurait bouffé l’autre.
Etienne. — Tiens, parbleu !… (A part.) Oh ! garce de bague !
Gabrielle. — Si j’ai refusé tout ce luxe, c’est parce que je t’aime ; alors, si tu devais me tromper à cause de ça, ah ! vois-tu, à cause de ça !… ce serait abominable !
Etienne. — Je ne te tromperai jamais à cause de ça.
Gabrielle. — Oh ! tu sais, à cause de ça ou à cause d’autre chose !
Etienne. — Mais non, voyons, à cause de rien, à cause de rien !
Gabrielle. — Ah, çà ! quoi, tu es souffrant ?
Etienne. — Mais non !
Gabrielle. — Eh ! bien, alors, cesse de te tortiller.
Etienne. — Ah !
Gabrielle. — Quoi ?
Etienne, repliant vivement la jambe gauche, à part. — Ca y est, je l’ai dans le jarret.
Gabrielle. — Mais qu’est-ce que tu as encore ?
Etienne. — Rien, une crampe, le coup de fouet !
Gabrielle. — Eh ! bien, étends la jambe au lieu de la replier, étends la jambe.
Etienne. — Non, non ! ça va bien comme ça.
Gabrielle. — Mais non, voyons ! quand tu resteras là, sur une patte, comme une grue ! Etends la jambe, je te dis.
Elle tire Etienne par un bras ; ce qui lui fait perdre l’équilibre, la bague tombe de la jambe de son pantalon.
Gabrielle. — Ah ! (Elle ramasse la bague.)
Etienne. — Zut ! ça devait arriver.
Gabrielle. — Qu’est-ce que c’est que ça ?
Etienne, voulant reprendre la bague. — Ce n’est rien !
Gabrielle. — Comment, rien !… c’est une bague !
Etienne. — Eh ! bien, oui, là, c’est une bague ! Après ? Je n’aurais pas la conscience tranquille quand je nierais… Eh ! bien, moi, je te dis : "C’est une bague ! "
Gabrielle. — Oui, je le vois !… une bague à Phèdre, naturellement.
Etienne. — Une bague à Phèdre ! Qu’est-ce que ça veut dire encore, ça ? Une bague à Phèdre !… Comment aurais-je eu une bague à Phèdre dans mon pantalon.
Gabrielle. — Ah ! c’est ce que je me demande ! Je me demande même par où elle est entrée !
Etienne. — C’est ça ! alors, il n’y a que des bagues à Phèdre dans le monde. L’univers regorge de bijoutiers, mais ils ne vendent que des bagues à Phèdre !… Tu n’admets pas que je puisse avoir une bague dans mon pantalon qui ait filé par un trou qu’il peut y avoir dans ma poche !… Non, c’est une bague à Phèdre !
Gabrielle. — Alors, à qui est-ce, si ce n’est pas à Phèdre !
Etienne, répétant machinalement. — A qui est-ce, si ce n’est pas à Phèdre ?
Gabrielle. — Tu n’as pas fini de faire l’idiot ?
Etienne. — Eh ! bien, tant pis ! je ne voulais pas te le dire, mais tant pis !
Gabrielle. — Vas-tu parler ?
Etienne. — Voilà. Quand tu es entrée tout à l’heure, tu as remarqué que, Phèdre et moi, nous nous sommes écartés, n’est-ce pas ?
Gabrielle. — Comment, vous vous êtes écartés ! mais je n’avais pas vu !
Etienne. — Ah ! Tu n’avais pas vu ? Eh ! bien, tu vois, je te dis même des choses que tu n’avais pas vues. Voilà comme je suis.
Gabrielle. — Oui ! et alors ?
Etienne. — Alors, si nous nous sommes écartés, si j’avais l’air bête !… ah ! ingrate ! j’avais l’air bête ! Quand je m’occupais de toi… avec Phèdre ! Oui, pour cette bague !… et tu es arrivée là, juste au moment ; ah ! j’ai eu l’air bête !
Gabrielle. — Qu’est-ce qui te prend ?
Etienne. — Il me prend !… Il me prend que lorsqu’on veut faire une surprise à sa femme, à sa femme qu’on aime, quand on veut lui donner une bague, une belle bague…
Gabrielle. — Comment ! c’était pour moi ?…
Etienne. — Non, si, enfin, c’était une surprise. Et tout à l’heure, je demandais à Phèdre si j’avais bien choisi !…
Voilà mon air bête,… tu vois !
Gabrielle. — Oh ! mon chéri, c’est vrai ?
Etienne. — Et je me disais… : je la lui donnerai demain en souvenir de ma victoire ! Demain, la belle bague, pas ce soir ! rends la moi.
Gabrielle. — Oh ! mon chéri, quel enfantillage !
Elle la met à son doigt.
Etienne. — Oui, maintenant que tu l’as vue, tu la gardes, tu m’as enlevé un plaisir que je me promettais !… Il n’y a plus le plaisir de la surprise !… Il n’y a plus aucun plaisir !…
Gabrielle. — Voyons, au contraire !… je suis ravie !… c’est superbe ! donne-moi l’écrin !
Etienne. — Comment ?
Gabrielle. — L’écrin.
Etienne. — Ah ! l’écrin ?… Certainement ! quand… quand… je l’aurai… On l’a commandé… avec le chiffre.
Gabrielle. — Ah ! mon gosse ! Et comment est-il l’écrin ? En velours, en peau ? Qu’est-ce que tu as choisi ?
Etienne. — La peau
Gabrielle. — Oui, c’est plus distingué. Quelle merveille ! Tiens ! il faut que je t’embrasse.
Elle l’embrasse.
Etienne. — Eh bien ! la gueule de Phèdre quand elle saura ça !
Scène XV
modifierLes mêmes, Phèdre
Phèdre, sortant de chez Chatel-Tarraut. — Il va mieux !
Etienne. — Ah ! Ah !… Ah ! tant mieux !…
Gabrielle. — Oh ! madame, vous avez vu ?
Phèdre. — Non, quoi donc ?
Etienne, à part. — Ca y est !
Gabrielle. — La belle bague !
Phèdre. — Ah ! comment, dans vos mains ?
Gabrielle. — Mais oui ! et savez-vous à qui elle est ?
Phèdre. — Dame, plutôt !
Gabrielle. — Elle est à moi.
Phèdre. — Hein !
Etienne. — Oui, oui, je la lui ai donnée !
Phèdre, abrutie. — Ah !
Gabrielle. — Oui, ça, je lui ai gâté son plaisir ; ça ne devait être que pour demain… Mais ça lui est tombé de son pantalon.
Phèdre, à part. — Ah ! bien ! elle est raide, par exemple !
Gabrielle. — Il a fait des folies !… c’est admirable !… un diamant faux !
Phèdre. — Comment, un diamant faux ?
Gabrielle. — Vous avez cru qu’il était vrai ? Ah ! que c’est amusant ! chéri ! tu entends ; elle a cru qu’il était vrai !
Etienne. — Oh ! que c’est drôle ! mon Dieu, que c’est drôle !
Phèdre, un peu vexée, à Etienne. — Ah ! oui, c’est drôle ! c’est très drôle !
Gabrielle, sautant au cou d’Etienne. — Tiens ! tu es un amour ! (A Phèdre.) Une bague pareille, ça vaut bien un baiser, n’est-ce pas, madame ?
Phèdre, entre ses dents. — Elle m’a coûté plus cher que ça !
Gabrielle. — Il faut que je me recoiffe pour le dîner. Cette promenade d’auto avec culbute m’a toute échevelée, je me sauve ! Et tu vois, je te laisse seul avec elle.
Etienne. — Si elle croit me faire plaisir.
Gabrielle. — A tantôt, mon chéri… Ah ! encore merci !… je t’adore !
Scène XVI
modifierPhèdre, Etienne
Phèdre. — Eh bien ! vous en avez un culot, vous !
Etienne. — Patronne, je suis désolé, mais il y a dans la vie des circonstances qui créent des devoirs à un galant homme.
Il tire son canif et retourne la poche de son pantalon.
Phèdre. — Si vous croyez que c’est pour ça que je vous ai confié ma bague !
Etienne. — Si vous me l’aviez confiée autrement que dans le cou.
Phèdre. — Eh ! bien, qu’est-ce que vous faites ?
Etienne. — C’est par précaution ! Je fais un trou dans la poche de mon pantalon.
Phèdre. — Donner mes bijoux à votre femme !
Etienne. — Je n’avais pas le choix !… Mais j’entends bien ne pas rester là-dedans. Votre bague représente une valeur, il suffit ! Combien vous dois-je ?
Phèdre. — Quoi ?
Etienne. — Dites le prix !
Phèdre. — Eh ! qu’est-ce que tu me chantes avec ton prix ! Est-ce que je te demande de l’argent, à toi ? Tu es même de ceux à qui j’en donnerais.
Etienne. — Ah ! pardon !…
Phèdre. — Comme si tu avais les moyens de me la rembourser, d’abord !
Etienne. — Vous ne me connaissez pas. Ca me coûtera ce que ça me coûtera.
Phèdre. — Une bague de douze mille francs !
Etienne. — Oh ! nom de Dieu !…
Phèdre. — Tu vois bien !
Etienne. — Tant pis, je vous rembourserai… par mensualités.
Phèdre. — Tu es bête !… Mais reste donc ce que tu es : jeune ! beau ! sans le sou ! c’est ce qui fait ton charme, voyons.
Etienne. — Oh ! pardon !… je ne peux pas accepter.
Phèdre. — Mais qui te parle de ça ! Est-ce que je te dis : "je t’offre la bague ? " Non ! je le sais bien que tu ne peux pas accepter.
Etienne. — Eh ! bien, alors…
Phèdre. — Eh ! bien, alors… On ne peut arranger ça que par un échange… On fait comme les nègres. Donne-moi d’quoi que t’as, je te donnerai d’quoi qu’jai.
Etienne. — Ah !
Phèdre. — Mais oui, quand un blanc fait une affaire avec un nègre, il lui demande de l’or, de l’ivoire, du café… Et qu’est-ce qu’il lui offre en échange ? De la verroterie, des boîtes à musique.
Etienne. — Oui. Il le f… dedans.
Phèdre. — Oui, s’il peut.
Etienne. — Oui… Eh ! bien, écoutez, patronne, une pierre en vaut une autre, n’est-ce pas. J’ai une vieille topaze qui me vient de ma mère…
Phèdre. — Oui, tu peux la garder.
Etienne. — Mais quoi, alors quoi ? Je ne vois pas, moi.
Phèdre. — Tu ne vois pas ?… tu ne vois pas ce que je veux, c’est une compensation.
Etienne. — Mais, oui, voilà !… c’est pour ça que ma topaze…
Phèdre. — Eh ! ta topaze…
Etienne. — Elle est belle, vous savez.
Phèdre, haussant les épaules. — Ben, oui.
Etienne. — Toute jaune et grosse !
Phèdre. — Mais quand elle serait grosse comme ta tête…
Etienne. — Non. Elle n’est pas aussi grosse.
Phèdre. -… Ca me serait égal. C’est ta tête que je veux, comme dans Salomé.
Etienne. — Ah !…
Phèdre. — Ce que je veux, c’est un peu de l’amour de l’homme que j’aime… C’est toi, c’est ton physique, c’est ta moustache, c’est tes bras musclés. Voilà ma compensation !
Etienne. — Il est évident que si vous trouvez que c’est une compensation !
Phèdre. — Et regarde alors comme ça s’arrange : tu n’as plus de scrupules à avoir, tu n’es plus un homme qui accepte un cadeau d’une femme !
Etienne. — Non ?
Phèdre. — Mais non, entre deux amants, tout est commun, on n’est plus… à deux qu’un seul être.
Etienne. — Ce qui me plaît là-dedans, c’est que ça n’est plus une situation louche.
Phèdre. — La situation est devenue tout à fait nette.
Etienne. — Oui, seulement, voilà ! Il y a ma femme !
Phèdre. — Ah ! laisse-nous tranquilles avec ta femme ! elle a ma bague.
Etienne. — Oui, ça c’est vrai. Mais elle a l’œil. Si elle apprend, si elle nous pince !…
Phèdre, faisant jouer le truc de la porte. — Si elle nous pince ? Eh ! bien qu’elle vienne donc nous pincer là-dedans.
Etienne. — Ah ! qu’est-ce que c’est que ça ?
Phèdre. — Entre ! Tu verras bien !
Etienne. — Oh ! que c’est noir !
Phèdre, prenant une lampe sur le piano. — N’aie pas peur, va, je suis là.
Etienne. — Patronne, on peut venir, c’est dangereux.
Phèdre. — Assez ! allume une allumette.
Etienne, cherchant une boîte. — Oui, mais patronne, ça serait terrible !
Phèdre. — Quoi donc ?… Dépêche-toi !
Etienne, allumant. — Ca serait terrible !
Phèdre. — Quoi ?
Etienne. — Ca serait terrible, si c’était une oubliette.
Phèdre. — Oh !
Ils entrent. La porte se referme après eux.
Scène XVII
modifierChatel-Tarraut, Madame Grosbois, Gabrielle
Madame Grosbois, soutenant Chatel-Tarraut. — Appuie-toi sur moi.
Chatel-Tarraut, poussant un petit cri. — Oh !… tiens !… c’est surtout quand je fais ça… que… oh !
Madame Grosbois. — Eh ! bien, ne le fais pas.
Chatel-Tarraut. — Ne le fais pas ! ne le fais pas ! tu es bonne, toi !
Madame Grosbois. — Tiens, assois-toi là.
Gabrielle, arrivant de droite. — A la bonne heure ! Vous voilà d’aplomb.
Chatel-Tarraut. — Oh ! d’aplomb ça dépend ; si je fais seulement ça !… oh !
Madame Grosbois. — Mais, nom d’une pipe ! puisque tu sais que ça te fait mal, ne le fais pas !
Chatel-Tarraut. — Mais, nom d’une pipe aussi ! tu ne comprends pas que quand on a mal quelque part, on éprouve le besoin de constater tout le temps.
Madame Grosbois. — Ah ! mais si c’est par plaisir !… vas-y mon ami, vas-y !
Chatel-Tarraut, haussant les épaules. — Par plaisir, oh !
Gabrielle. — Où est Etienne ? Tu n’as pas vu mon Etienne ?
Madame Grosbois. — Ton Etienne, non, à son garage, sans doute.
Gabrielle. — Ah ! peut-être, oui.
Madame Grosbois, à Chatel-Tarraut. — Qu’est-ce que tu as ?
Chatel-Tarraut. — Il fait froid, j’ai la fièvre.
Madame Grosbois. — Tu n’as rien du tout. Si tu as froid, c’est à cause de la citerne.
Chatel-Tarraut. — La citerne !… Je t’ai déjà expliqué que c’était une chambre ardente. Une chambre ardente, ça ne peut pas vous donner froid. (Frissonnant.) Ah ! j’ai la fièvre.
Madame Grosbois. — Qu’est-ce qui se passait là-dedans ?
Chatel-Tarraut. — C’est une invention de mon aïeul, Hugues, le philosophe. Comme il était trop vieux pour profiter de son droit de jambage, il dispensa de ce devoir ses vassales, à condition… (Il rit.) Ouf ! que j’ai mal quand je ris
Madame Grosbois. — Eh ! bien, ne ris pas !
Chatel-Tarraut. — A condition qu’elles vinssent consommer dans cette chambre leur nuit de noces. Il inventa, à cet effet, un système de glaces… Ah ! qu’elle est bonne !… Ouh ! que j’ai mal !
Madame Grosbois. — Un système de glaces !… Dans quel but ?
Chatel-Tarraut. — Dans le but de tout voir sans être vu.
Gabrielle. — Oh ! c’est dégoûtant !
Madame Grosbois. — J’ai déjà entendu parler de ça !
Chatel-Tarraut. — Oui, l’invention est tombée dans le domaine public. Et si tu savais ce qu’il faisait quand il n’avait pas de vassales !
Madame Grosbois. — Qu’est-ce qu’il faisait ?
Chatel-Tarraut. — Il invitait dans la chambre nuptiale un ami dont la femme lui plaisait.
Gabrielle. — Oh !
Chatel-Tarraut. — Ca doit marcher encore. Il suffisait d’appuyer sur la corne de cette licorne.
Madame Grosbois, indiquant une des deux licornes. — Celle-ci ?
Chatel-Tarraut. — Oui. Aussitôt - tandis qu’ici, automatiquement, tous les orifices se bouchaient, que la nuit se faisait - cette fresque-là, qui n’a l’air de rien, devenait transparente. Alors, ce qu’on pouvait voir !… non ! mais ce qu’on pouvait voir !
Madame Grosbois. — Vrai ? Je peux voir ça.
Chatel-Tarraut. — Il n’y a plus rien, maintenant. Que verrait-on ici ? Les volets se fermer, l’obscurité se répandre, et après ? Là, tout est éteint ; éteinte la chambre, éteints les ancêtres. Ce n’est plus qu’un mur derrière lequel il s’est passé quelque chose.
Madame Grosbois. — Eh bien ! tous les monuments historiques en sont là et pourtant on les visite. Tu n’as jamais eu la curiosité ?
Chatel-Tarraut. — Si, c’est même pour avoir, il y a vingt ans, eu cette curiosité que j’ai dû me séparer de Madame de Chatel-Tarraut.
Madame Grosbois. — Ah ! comment ça ?
Chatel-Tarraut. — Elle s’était mise au lit avec son notaire.
Gabrielle. — Ah ! elle est bonne, cette fois, elle est bonne !
Chatel-Tarraut. — Merci, ma chère enfant.
Madame Grosbois. — Le notaire ! Tu m’avais dit le sous-préfet.
Chatel-Tarraut. — Non. Le sous-Préfet, c’était la première fois.
Cependant, Mme Grosbois va presser sur la corne de la licorne. Immédiatement, les volets de la terrasse se ferment, la chambre devient noire, puis aussitôt, dans l’épaisseur de la muraille, une partie pleine s’enfonce et l’on aperçoit la chambre ardente éclairée et sur un lit de face, Phèdre et Etienne amoureusement enlacés.
Madame Grosbois. — Ah !
Chatel-Tarraut, sur son fauteuil. — Qu’est-ce qu’il y a ?
Gabrielle. — Oh ! oh ! Soleilland !
Madame Grosbois. — Parbleu ! ça devait arriver !
Chatel-Tarraut, essayant de se lever. — Ah ! mon Dieu !… oh ! oh !… oh ! ma douleur ! Ne regardez pas ! Je sais, par expérience…
Gabrielle. — Oh ! le misérable, le traître ! où est la porte ?
Chatel-Tarraut. — Fermée, au verrou !… ne regardez pas !… appuyez sur l’autre licorne !
Gabrielle. — Arrêtez-le !… arrêtez-le !
Madame Grosbois. — Hein ! tu le vois ! tu le vois !
Chatel-Tarraut. — Je vous en prie, ne regardez pas !
Elle a grimpé sur le canapé qui est contre la fresque et se trouve ainsi à la hauteur du tableau, elle frappe à coups de poings sur la glace.
Gabrielle, frappant sur la glace. — Veux-tu finir, Etienne, veux-tu finir !
Chatel-Tarraut. — Si vous croyez qu’ils vous entendent.
Gabrielle, frappant plus fort. — Veux-tu finir !
Madame Grosbois, frappant avec elle. — Voulez-vous finir !
A ce moment, les coups de Gabrielle ont dû être perçus de l’autre côté, car on voit le groupe anxieux prêter l’oreille. Tout ce qui suit de la part de Phèdre et d’Etienne doit être exprimé par les jeux de physionomie et le mouvement des lèvres, car le public ne peut les entendre.
Etienne. — On a frappé par là.
Phèdre. — Où ça ?
Etienne, indiquant la place où est Gabrielle. — Là !
Ils restent immobiles à écouter.
Gabrielle. — Oui, c’est moi, moi ! misérable ! Je te vois, infâme voyou !
Chatel-Tarraut. — Allons, voyons ! oh ! oh ! oh ! mes reins !
Phèdre. — Mais non, il n’y a rien.
Etienne. — Tu crois ?
Gabrielle. — Si !… si !… il y a moi !… je suis là !
Phèdre, l’attirant à elle. — Ah ! mon chéri !
Gabrielle. — Encore ! (Frappant de plus belle.) ah ! non, assez ! assez !
Chatel-Tarraut. — Madame Chapelain, je vous en prie ! Ca n’est pas un spectacle… oh ! mes reins !
Etienne, se redressant. — Tiens ! tiens ! on frappe encore !
Il saute hors du lit.
Phèdre. — Mais où ? où ?
Etienne, qui est arrivé contre le mur, nez à nez avec sa femme qu’il ne voit pas. — Mais là, tiens ! c’est ici.
Phèdre, qui est allée le rejoindre. — Mais tu es fou ! comment veux-tu ?
Ils écoutent.
Gabrielle, frappant. — Oui, c’est moi ! c’est moi ! Je vais t’arracher les yeux !
Madame Grosbois, frappant. — Hein ! ton Etienne ! Tu le vois, ton Etienne ?
Chatel-Tarraut. — Madame Chapelain, je vous en supplie… ah ! mon Dieu, j’avais bien besoin…
Gabrielle, frappant. — Etienne ! Etienne !
Etienne. — Là, tu entends !
Phèdre. — Mais non, regarde ! Il n’y a rien, personne ne peut nous voir… Allons, viens !
Elle l’entraîne vers le lit.
Gabrielle. — Ah ! non, non, je ne veux pas ! Arrêtez-les, arrêtez-les, monsieur Chatel-Tarraut.
Chatel-Tarraut, qui est arrivé à se lever. — Oh ! oh !… ah ! nom d’un chien ! en voilà assez !…
Gabrielle et Madame Grosbois, frappant. — Etienne ! Etienne !
Chatel-Tarraut, qui est allé péniblement jusqu’à l’autre licorne. — Allons ! allons ! assez comme ça ! fini !
Il presse sur la corne de l’autre licorne, la transparence disparaît. Après quoi, les volets se rouvrent et le jour revient.
Madame Grosbois et Gabrielle. — Oh !
Gabrielle. — Non ! non ! ne fermez pas ! Je veux les voir, je ne veux pas les laisser comme ça !
Chatel-Tarraut. — Non ! ça suffit.
Gabrielle. — Ah ! les misérables ! les misérables !
Madame Grosbois. — Hein ! ta tante ! hein ! ta tante ! Est-ce qu’elle y voyait clair quand elle te disait Rudebeuf, pas Etienne !
Gabrielle. — Oh ! mais il me le paiera ! il me le paiera !
Chatel-Tarraut. — Allons, calmez-vous ! vous vous exagérez peut-être les choses. Ainsi moi, quand le sous-préfet…
Gabrielle. — Ah ! vous ! fichez-nous la paix !
Chatel-Tarraut, interloqué. — Hein !… Comment ?
Scène XVIII
modifierLes mêmes, Le Brison
Le Brison, une caisse à robe et un carton à chapeau à la main. — Voilà ! je n’ai pas été long ; je rapporte les colis.
Gabrielle. — Oui ! Ah, bien ! vous êtes gentil dans ce rôle.
Le Brison. — Quoi ?
Chatel-Tarraut. — Mon ami, ne l’écoutez pas…
Gabrielle. — Vous allez cherchez des robes pour Phèdre, vous !
Le Brison. — Oui, eh bien ?
Gabrielle. — Eh bien ! pendant ce temps-là, elle se fait déshabiller par mon mari.
Le Brison. — Qu’est-ce que vous dites ?
Gabrielle. — Oui, là, tenez, dans la chambre ardente.
Madame Grosbois. — Comme sous Louis XV.
Le Brison, furieux. — Ah ! mille millions de tonnerres !
D’un geste brusque, il accroche sa casquette à la licorne, ce qui met immédiatement en mouvement tout le mécanisme.
Chatel-Tarraut. — Ah ! nom d’un chien !
Le Brison. — Hein ! qu’est-ce qu’il y a ?
Chatel-Tarraut. — Ne regardez pas ! Fiez-vous à mon expérience, ne regardez pas !
La fresque redevient transparente. On revoit comme précédemment, le couple enlacé.
Le Brison. — Oh !
Gabrielle. — Eh ! bien, hein ! les voyez-vous ? Les voyez-vous ?
Le Brison. — Ah ! misérables ! Courtisane ! Traîtresse !
Gabrielle. — Ah ! canaille ! débauché ! As-tu fini ?
Chatel-Tarraut. — Allons, ça ne va pas recommencer ? en voilà assez ! en voilà assez !
Il appuie sur l’autre licorne ; manœuvre en sens inverse.
Le Brison. — Oh ! jamais, jamais elle ne m’a embrassé comme ça !
Gabrielle. — Et dire que vous alliez lui chercher des robes !
Le Brison. — Oui.
Gabrielle. — Avec lesquelles elle affole ce garçon.
Le Brison. — Oui, suis-je assez bête !
Gabrielle. — Ah ! oui, vous êtes bête ! Ah ! oui, vous êtes bête ! Cocu !
Le Brison. — En cartes, chère amie.
Chatel-Tarraut. — Quel drame ! ça me rajeunit de vingt ans.
Madame Grosbois. — Et quand je pense que cette petite n’a pas de toilettes, de chapeaux. Comment peut-elle lutter, monsieur ?
Gabrielle. — Oh ! mais maintenant, c’est fini. J’en aurai des toilettes ! j’en aurai des chapeaux ! et plus énormes que ceux de Phèdre.
Madame Grosbois. — A la bonne heure !
Le Brison. — Oui, vous en aurez. Cette robe, d’abord, et ce chapeau. Plus souvent que ce sera pour elle !
Madame Grosbois. — Tu entends ce que dit M. le Brison, il te les donne !
Gabrielle. — Eh ! bien, c’est bien ! je les accepte ! (Tirant la robe du carton.) Ah ! tu fais fi de moi parce que je ne suis pas aussi bien nippée que ta donzelle !
Le Brison, corrigeant. — "Ma" donzelle. Le misérable !
Gabrielle, se déshabillant. — Eh bien ! tu verras !
Madame Grosbois. — A la bonne heure !
Chatel-Tarraut. — Hein ! Elle se déshabille !
Gabrielle. — Tu verras mon luxe ! Tu verras mes bijoux !… ça ne sera pas du toc comme ça !… voilà ce qu’il me donne, à moi.
Le Brison. — Hein ! mais c’est ma bague ! la bague de Phèdre !
Gabrielle. — La bague de Phèdre ! c’était un diamant vrai ? Le saligaud ! Eh, bien ! elle est à moi !
Le Brison. — Oui, je vous la donne.
Gabrielle. — Merci, c’est déjà fait.
Le Brisson. — Et je vous en donnerai beaucoup d’autres comme ça.
Gabrielle. — Certainement ! je serai une cocotte chic, puisque c’est ça que veulent les hommes !
Madame Grosbois. — Voilà la vraie vie !
Gabrielle. — Oui ! Passe-moi la jupe. Et je serai une grue, puisque c’est ça qu’ils veulent ! La dernière des grues, je ferai comme toi !
Madame Grosbois. — Ah ! pardon !
Le Brison. — Et ce luxe, vous l’aurez par moi. Ce sera l’amour !
Gabrielle. — Oui, ce sera l’amour ! Je vous aimerai !
Le Brison. — Ah ! elle vous a pris votre mari, eh, bien ! vous lui prenez son amant.
Gabrielle. — C’est ça ! c’est ça !
Le Brison. — Nous verrons laquelle sera la mieux partagée.
Gabrielle. — Oh ! c’est elle !
Le Brison. — Ca dépend du point de vue auquel on se place.
Gabrielle. — Oh ! le point de vue, c’est ça qui m’est égal ! ce n’est pas le moment de choisir, c’est le moment de se venger.
Chatel-Tarraut. — Ecoutez, mes amis.
Gabrielle. — Vous, fichez-nous la paix !
Chatel-Tarraut. — Bon !
Le Brison. — Et pour commencer, ils ne nous trouveront plus ici.
Gabrielle. — C’est ça !
Le Brison. — J’ai l’automobile en bas. Nous allons partir séance tenante
Gabrielle. — C’est ça !
Le Brison. — Tous les deux.
Madame Grosbois. — Tous les trois !
Le Brison. — Si vous voulez
Chatel-Tarraut. — Réfléchissez !… le sage tourne sept fois sa langue…
Le Brison. — Eh bien ! tournez-la, ça vous occupera. (A Gabrielle.) Je vais chercher ma valise. Préparez la vôtre.
Gabrielle. — Elle était déjà prête en vue de demain. Ma tante, veux-tu ?
Madame Grosbois. — Certainement que je veux ! certainement que je… Enfin ! j’ai l’impression d’avoir une fille.
Elle sort de droite.
Le Brison. — Un instant ! Je ne vous demande qu’un instant.
Il sort de gauche.
Gabrielle. — Ah ! la vengeance ! la vengeance ! la vengeance !
Chatel-Tarraut. — Voyons, madame Chapelain, ça n’est pas sérieux !
Gabrielle. — Pas sérieux ! ah ! bien !
Chatel-Tarraut. — Vous n’allez pas sur une première impression…
Gabrielle. — Ah ! vous croyez que j’en ai besoin de plusieurs comme ça ? Ah, ben ! tenez, agrafez-moi !
Chatel-Tarraut. — Moi ?
Gabrielle. — Oui.
Chatel-Tarraut. — Oui… oh ! mes reins… vous, une petite femme sérieuse, adorant son mari…
Gabrielle. — Moi ! ah ! ah ! mon mari, ah ! ah !… Qu’est-ce qu’il fait maintenant, mon mari ?
Chatel-Tarraut. — Rien, rien, ne vous occupez pas de ça !… Le quitter pour aller avec Le Brison, ce Le Brison qui est vieux et laid !…
Gabrielle. — Ah ! évidemment, si on m’avait laissé le choix, j’en aurais pris un autre, mais après tout, je m’en fiche ; ce que je veux, c’est la vengeance, et pour ça, n’importe qui, le dernier des dégoûtants !… vous, si vous aviez voulu.
Chatel-Tarraut. — Eh ! madame, vous saurez qu’il n’y a même pas vingt-cinq ans !…
Gabrielle. — Oui ! mon chapeau.
Chatel-Tarraut. — Hein !… le chapeau ! voilà, voilà !…
Gabrielle. — Canaille de Phèdre ! Ah ! ce que je vais m’en payer des chapeaux !…
Scène XIX
modifierLes mêmes, Le Valet de pied, Rudebeuf, puis Madame Grosbois.
Le Valet. — Monsieur Rudebeuf !
Gabrielle. — Rudebeuf !
Rudebeuf. — J’arrive en avance.
Gabrielle, à elle-même. — Rudebeuf !… mais, au fait, pourquoi pas ?
Rudebeuf. — Ah ! madame Chapelain, quelle charmante…
Gabrielle. — Oui, bonjour. Au moins, il est jeune lui, il est laid aussi, mais il est jeune.
Rudebeuf. — Plaîtil ?
Gabrielle. — Je dis : vous êtes laid aussi, mais vous êtes jeune.
Rudebeuf, interloqué. — Hein !…
Gabrielle. — En somme, il était candidat avant l’autre.
Rudebeuf, à Chatel-Tarraut. — Je suis jeune, mais pourquoi a-t-elle dit que j’étais laid ?
Chatel-Tarraut fait un geste de la main pour indiquer qu’elle est un peu folle.
Gabrielle. — Rudebeuf !
Rudebeuf. — Madame !
Gabrielle. — Votre auto est en bas ? M’aimez-vous toujours ?
Rudebeuf. — Hein !… euh !… oui !
Gabrielle. — Quoi, oui ?… vous m’aimez ou vous aimez votre auto ?
Rudebeuf. — Les deux.
Gabrielle. — C’est bien, je suis à vous ! Enlevez-moi !
Chatel-Tarraut. — Hein !
Rudebeuf. — Qu’est-ce que vous dites ? Un pareil bonheur…
Gabrielle. — C’est bon, vous balbutierez plus tard.
Chatel-Tarraut. — Vous n’allez pas faire ça ! Oh ! mes reins ! Vous avez un mari.
Gabrielle. — Ah ! ah ! un mari ! Tenez, Rudebeuf, voulez-vous le voir, mon mari ?
Elle fait mine d’aller à la licorne.
Chatel-Tarraut. — Ah ! non, non, plus ça !
Gabrielle. — Eh ! bien, alors, mêlez-vous de ce qui vous regarde !
Scène XX
modifierLes mêmes, Madame Grosbois.
Madame Grosbois, une valise à la main. — J’ai fait descendre la malle. Le Brison est prêt.
Gabrielle. — Il n’y a plus de Le Brison. Je pars avec Rudebeuf.
Madame Grosbois. — Hein !
Gabrielle. — Allez ! allez ! dépêche-toi !
Rudebeuf. — Ah ! Madame Grosbois en est ?
Madame Grosbois. — Mais évidemment !…
Rudebeuf. — Ah !…oh ! Joie !…
Gabrielle. — Alors, grouille-toi !… (A Rudebeuf.) Venez, Rudebeuf, venez, mon amant !
Chatel-Tarraut. — Oh !
Rudebeuf. — Ah ! pour ce mot-là, je ne sais pas ce que je donnerais !
Madame Grosbois. — Ayez du tact !… Nous discuterons ça ce soir.
Ils sortent.
Scène XXI
modifierChatel-Tarraut, puis Le Brison.
Chatel-Tarraut. — Hein !… partis !… mais je ne puis pas laisser… (Remontant.) Madame Chapelain ! Madame Chapelain !… Oh !… mes reins !… cochonne d’automobile ! (On entend le bruit de l’automobile qui s’en va.) Allons, bon ! ils décampent !… Le Brison ! Le Brison !
Le Brison, une valise à la main. — Voilà ! voilà !… je suis prêt !… Eh bien ! où sont-elles ?
Chatel-Tarraut. — Enlevées par Rudebeuf !
Le Brison. — Qu’est-ce que vous dites ?
Chatel-Tarraut. — Vous arrivez comme le carabinier.
Le Brison. — Ah ! nom de nom ! (Il jette sa valise.) Et les autres, hein ! et les autres ? Est-ce qu’ils sont encore là ?
Chatel-Tarraut. — Ah ! non, non ! vous n’allez pas recommencer !
Le Brison, le repoussant. — Mais laissez-moi donc !
Chatel-Tarraut. — Oh ! vous êtes brutal !
Le Brison, pressant sur la licorne. — Je veux voir s’ils ont fini, s’ils sont rhabillés.
Manœuvre du mécanisme. On aperçoit Etienne attendant assis sur le lit ; la couverture sur les genoux. Phèdre est en train de se redéshabiller.
Chatel-Tarraut. — Eh ! bien, ils sont rhabillés ?
Le Brison. — Ah ! nom de Dieu !… ils recommencent !
Rideau
Acte III
modifierPremier tableau
modifierLa scène représente un carrefour dans un village de Bretagne. La rue, qui traverse parallèlement à la rampe, est bordée de paliss ades. A droite, premier plan, l’amorce d’une maison dont on voit les fenêtres. La porte d’entrée donnant sur la rue du fond.
A gauche, une auberge.
Au lever du rideau, c’est le petit jour.
La scène est vide, on entend au loin un coq chanter. Soudain, la fenêtre du rez-de-chaussée s’ouvre brusquement Gabrielle paraît en négligé.
Scène I
Gabrielle, Rudebeuf, puis l’Aubergiste, puis Madame Grosbois.
Gabrielle, se débattant contre Rudebeuf. — Voulez-vous me laisser ! Voulez-vous me laisser !
Rudebeuf. — Ah ! Non ! par exemple ! Ah, non ! par exemple !
Gabrielle. — Voulez-vous me laisser !
Rudebeuf. — Je veux bien être ridicule, mais à ce point-là, non !
Gabrielle. — Au secours ! Au secours !
Rudebeuf. — Mais taisez-vous donc ! Vous allez ameuter le village !
Gabrielle. — Un pas de plus, et je me jette par la fenêtre.
Rudebeuf. — Allons ! voyons ! C’est de la folie ! Voulez-vous rentrer.
Gabrielle, lui envoyant une poussée. — Ah ! C’est vous qui l’aurez voulu !
Elle saute par la fenêtre.
Rudebeuf, sautant à sa suite. — Gabrielle ! Gabrielle ! Mais c’est de l’aberration.
Gabrielle. — Au secours ! Au secours ! au satyre !
Rudebeuf. — Elle est folle ! Elle est complètement folle !
Madame Grosbois, paraissant à la fenêtre du premier. — Ah ça ! mais qu’est-ce qu’il y a ? Qui est-ce qui crie comme ça ?
Gabrielle. — Ma tante, viens à mon secours !
Madame Grosbois. — Gabrielle ! Mais veux-tu bien rentrer, tu vas attraper froid.
Gabrielle. — Je me suis jetée par la fenêtre !
Madame Grosbois. — Ah ! Malheureuse enfant ! Tu n’es pas blessée ?
Rudebeuf. — Oh ! d’un rez-de-chaussée.
Gabrielle. — C’est monsieur Rudebeuf qui veut me violenter.
Madame Grosbois. — Hein, lui ! Vous, et en pleine place publique. Mais c’est monstrueux ! C’est un attentat à la pudeur !
Rudebeuf. — Mais il n’y a pas d’attentat ! C’est Madame qui s’amuse à faire tout ce scandale !
Madame Grosbois. — Attendez un peu que je descende. Je passe un jupon et j’arrive. Vous n’avez pas honte, monsieur ! Rentre, ma chérie !
Elle referme sa fenêtre.
Rudebeuf. — Je vous en prie, Gabrielle, écoutez votre sage femme de tante ! Rentrez !
Gabrielle. — Je rentrerai si vous ne me suivez pas.
Rudebeuf. — Mais, nom d’une pipe ! Vous ne pouvez pourtant pas exiger que je passe ma journée dehors dans cet accoutrement !
Gabrielle. — Je ne veux pas d’un satyre avec moi.
Rudebeuf. — C’est insensé ! Mais enfin, qu’est-ce que je vous ai fait ? Parce que j’ai voulu être aimable ?
Gabrielle. — Vous appelez ça "être aimable" ?
Rudebeuf. — Vous ne pouvez pas dire que je n’y ai pas mis du mien ! Hier au soir, vous avez voulu que nous fassions chambre à part ! C’était ridicule, mais enfin je me suis incliné, je me suis dit : "C’est une femme qui n’est pas pour les transitions brusques ! remettons à demain ! " J’ai passé une nuit blanche à penser : "Elle est là à côté de moi ! elle m’appartient et je ne l’ai pas ! " Et ce matin, fou d’amour, estimant ne venir réclamer que ce qui était tacitement convenu entre nous, j’entre dans votre chambre… et voilà ce que vous faites !
Gabrielle. — Je vous ai promis quelque chose, moi ?
Rudebeuf. — Pourquoi m’avez-vous dit : "Enlevez-moi ? "
Gabrielle. — C’était pour moi ! Ce n’était pas pour vous !
Rudebeuf. — Mais, tonnerre de nom d’un chien ! On ne se paye pas la tête des gens comme ça ! Il y a des usages. Quand on dit à un monsieur : "Enlevez-moi", ça veut dire que… que… enfin, ça veut dire ça ! J’en appelle à tous les hommes !
Gabrielle. — Ah ! bien ! c’est ça qui m’est égal !
Rudebeuf. — Oui, mais pas à moi ! Je suis volé, moi ! Je suis volé !
Madame Grosbois. — Alors, monsieur, quoi ? Vous chercher à compromettre ma nièce ? Tiens, prends ça. (Elle tend à Gabrielle un châle.)
Rudebeuf. — Ah ! celle-là, par exemple !
Gabrielle. — Dites donc le contraire ! Vous vous êtes permis, sans même frapper à la porte, de faire irruption dans ma chambre et vous avez osé me demander.
Rudebeuf. — Dame !
Madame Grosbois. — Quelle horreur !
Rudebeuf. — Mais, nom d’un petit bonhomme, je ne comprends plus, moi !… alors, je suis devenu idiot !…
Gabrielle. — Ca, c’est votre affaire.
Rudebeuf. — Pourquoi m’avez-vous dit de vous enlever, alors ?
Madame Grosbois. — Eh bien ! après ?
Rudebeuf. — Enfin, il me semble que…
Madame Grosbois. — Alors quoi ! "Enlevez-moi" ça veut dire : "Allez-y. Prenez-moi ! On marche ?…"
Rudebeuf. — Ben !…
Gabrielle. — Oh !
Madame Grosbois. — Mais quelles sont ces mœurs, Dieu bon ! Ah ! J’ai connu beaucoup de ces messieurs dans ma vie… Tous, plus ou moins, ont souhaité, certes !… mais ils y mettaient des formes !… ils ne dragonnaient pas !… Avant, on jetait des bases ! on causait ! on savait sur quel pied on marchait !
Rudebeuf. — Hein !
Madame Grosbois. — Vous trouvez ça peut-être élégant d’exploiter, au profit de vos petites satisfactions personnelles, le coup de tête… irréfléchi de cette enfant ? Mais avez-vous songé à la responsabilité que vous avez assumée en y prêtant les mains ?
Rudebeuf. — Moi !
Madame Grosbois. — Car, enfin, ma nièce a un mari !… Avez-vous réfléchi à tout ce qui va résulter de cette folle équipée, le scandale, le divorce. C’est la femme déchue ! déclassée (Elle l’embrasse.) Avez-vous songé à tout ça, monsieur ?…
Rudebeuf. — Ecoutez, madame, ce n’est ni le lieu, ni la tenue pour discuter une chose pareille ! La matinée est fraîche…
Madame Grosbois. — Ma nièce a son petit châle.
Rudebeuf. — Oui, mais moi je n’en ai pas.
Madame Grosbois. — Et vous voudriez comme ça, sans base, sans assise, sans même une conversation cordiale avec moi, que cette enfant aille de but en blanc… Ah, ça ! Monsieur, nous prenez-vous pour des cocottes ?
Rudebeuf. — Mais jamais je n’ai dit…
Madame Grosbois. — Ma nièce ne rentrera avec vous dans cette chambre que lorsque nous connaîtrons vos intentions.
Gabrielle. — Mais, ma tante, la question n’est pas là.
Madame Grosbois. — Toute la question est là, au contraire ! Il n’y en a pas d’autre ! Es-tu la femme déchue ? Oui ! Eh bien ! tais-toi, on te doit une réparation.
Gabrielle. — Oh ! ce n’est pas une situation que je cherche.
Rudebeuf. — Mais alors, quoi ?…
Gabrielle. — Je veux me venger de mon mari.
Rudebeuf. — Mais, sapristi ! C’est ce que je vous propose !
Gabrielle. — Ah ! oui, mais pas comme ça.
Madame Grosbois. — Absolument ! Venge-toi, je le comprends, mais, du moins, pas pour des prunes.
Rudebeuf. — Eh ! bien, oui ! bien, oui ! Nous causerons de tout cela : mais pas ici, je vous en supplie.
On entend, lointaine encore, une sonnerie de clairon.
Rudebeuf. — Tenez ! Voilà le clairon ! Les soldats vont venir, on les aligne pour le circuit !
Gabrielle. — Ah ! c’est ça qui m’est égal !
Rudebeuf. — Et puis, je suis gelé.
Madame Grosbois. — Quand on est vraiment amoureux, on a chaud.
Rudebeuf. — Ah !
Scène II
Les mêmes, le Prince.
Le Prince, arrivant en habit, la figure éreintée. Ah !
Rudebeuf. — Sapristi ! le prince !
Le Prince. — Qu’est-ce que vous faites là ?
Rudebeuf. — Hein ?… Euh ! rien… Nous… nous causions…
Madame Grosbois. — Et à cause de la chaleur…
Le Prince. — Ah ! pas ce matin !…
Madame Grosbois. — Non !… non !… Mais hier !… alors, dans les appartements, n’est-ce pas ?
Gabrielle. — C’est imprégné.
Le Prince. — Oui, oui, oui.
Rudebeuf, après un temps, présentant. — Madame Chapelain… Son Altesse, le prince Zohar.
Le Prince. — Madame !…
Rudebeuf. — Madame Grosbois ! la… mère.
Madame Grosbois. — Pardon, la tante !
Le Prince. — J’ai eu l’honneur, déjà.
Madame Grosbois. — La mère !… je n’ai pas l’âge. (Au prince.) Excusez-moi, monseigneur, de vous recevoir dans cette tenue, je n’attendais pas de visite. Excusez-nous.
Le Prince. — Je comprends ça…, à pareille heure, mais, moi-même, madame, j’habite en face, je rentrais chez moi pour m’étendre un peu.
Elles sortent.
Rudebeuf. — Comment ! Vous rentrez ?
Le Prince. — Oui. Figurez-vous, j’ai passé ma nuit à jouer au poker. Je suis flappi !
Rudebeuf, bondissant. — Qu’est-ce que vous dites ?
Le Prince. — J’ai eu une déveine !…
Rudebeuf. — Mais alors, vous ne vous êtes pas couché ?
Le Prince. — Si ce n’était que ça ! Mais j’ai perdu tout le temps.
Rudebeuf, criant. — Eh ! je m’en fiche que vous ayez perdu. Il ne s’est pas couché ! Vous ne vous êtes pas couché, et vous courez dans une heure.
Le Prince. — Ne m’en parlez pas. Si on pouvait remettre ça à demain…
Rudebeuf. — Mais il est fou ! Il est complètement fou !
Le Prince. — J’ai eu une déveine !… Figurez-vous un coup ! J’avais un carré de rois en main…
Rudebeuf. — Ah ! Foutez-moi la paix avec votre carré de rois !… Non ! non ! on n’a pas idée de ça ! Qui ? Qui avez-vous vu jouer toute la nuit au poker, la veille d’une course ?
Le Prince. — Mais ceux qui ont joué avec moi ! Charlet, Durandy…
Rudebeuf. — Mais ce sont des propriétaires, eux ! Ils ne courent pas eux ! Vous courez, vous, nom d’un chien ! vous représentez ma marque !
Le Prince. — Ah ! je suis flappi. Je suis capable de roupiller dans ma voiture !
Rudebeuf. — Qu’est-ce que vous dites ? Ah ! non ! non ! Vous n’allez pas faire ça ! roupiller dans la voiture !… le jour du circuit !… Je vais vous faire faire du café ! Vous allez en boire un litre !… Ah ! bien, merci ! (A l’aubergiste qui range les tables, devant son estaminet.) Aubergiste ! Quinze cafés pour son Altesse !
L’Aubergiste. — Quinze cafés ?
Rudebeuf. — Eh ! bien, oui, quoi ! Quinze cafés ! ça n’a rien d’extraordinaire !… Allez ! Monseigneur, montez vous mettre en tenue !… On vous portera ça !… Oh ! dormir dans ma voiture, saligaud !… Passez, Monseigneur.
Ils sortent.
Scène III
Un caporal, Les soldats, Cocottes et Gigolos puis, Le Lieutenant, L’Aubergiste, Chatel-Tarraut.
Le Caporal, entrant avec des hommes en tenue de campagne. — Halte, front !… Sur le numéro quatre, à trois pas, ouvrez !… repos !
Première Cocotte. — C’est idiot de nous faire lever à l’heure où l’on se couche.
Deuxième Cocotte. — Et dire qu’on ne verra même pas le départ.
Premier Gigolo. — Ce qui est intéressant, c’est le virage ! Le départ, ça ne compte pas !
Deuxième Gigolo. — Tandis qu’ici, ça va barder.
L’Aubergiste. — Si ces messieurs et dames veulent des chaises ?…
Deuxième Cocotte. — Et dire qu’on verra bien mieux le circuit, ce soir, au cinématographe du Jardin de Paris.
Première Cocotte. — En attendant, si on se faisait servir du café au lait. Ca serait autant de pris ; pas, soldat ?
Le Caporal. — Ah ! vous avez de la chance. Nous, avec ce sacré turbin, on ne sait pas quand on croûtera.
Première Cocotte. — Vous n’avez pas croûté ?
Deuxième Cocotte. — Vous n’avez pas croûté ?…
Deuxième Cocotte. — Ils n’ont pas croûté.
Premier Gigolo. — Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ?
Première Cocotte. — Aubergiste ! A boire et à manger pour tous ces hommes.
Deuxième Cocotte. — C’est monsieur qui paie.
Premier Gigolo. — Charmant !
L’Aubergiste. — Bien, madame.
Le Caporal. — Camarades, un ban pour ces messieurs et dames.
Les Soldats. — Pan, pan, pan, pan, pan, (ter). Hip, hip, hip, hurrah !
Chatel-Tarraut, arrivant suivi de l’adjoint et du garde champêtre. — Ah ! soldats, vraiment !… (Au garde champêtre et à l’adjoint.) Saluez, messieurs, on vous acclame ! (Aux soldats) Croyez que le Conseil Municipal de Ker-Kerzoec, dont nous sommes l’émanation la plus haute…
Le Caporal. — Qu’est-ce qu’il a, celui-là ?
Chatel-Tarraut. — Une pareille ovation !…
Premier Gigolo. — Non, monsieur. C’est pour ces dames !
Chatel-Tarraut. — Ah ! pardon ! (A part.) Ca m’étonnait aussi. (A ses deux suivants.) Recoiffez-vous, messieurs ! Ca n’est pas pour nous !
Le Garde Champêtre. — Alors, on s’en retourne ?
Chatel-Tarraut. — Non, garde champêtre ! Nous représentons la commune de Ker-Kerzoec dans cette fête républicaine ; quelque répugnance qu’y puisse trouver notre âme légitimiste. C’est encore servir notre Roi que le faire avec dignité et condescendance.
Le Garde Champêtre. — C’est qu’il y a ma vache qui est en train de vêler.
Chatel-Tarraut. — Eh bien ! elle vêlera sans vous ! Vous n’êtes pas sage-femme ! la nature a fait les choses de telle sorte qu’une vache, pour vêler, peut se passer de garde champêtre ! Notre devoir est ici.
Le garde Champêtre. — Oui, monsieur le Maire !
Chatel-Tarraut. — Voyez, j’ai ceint l’écharpe tricolore. Croyez qu’il m’en coûte.
Il montre son écharpe qui est complètement passée de couleur.
Le Garde Champêtre. — Tricolore ? Elle est plutôt blanche !
Chatel-Tarraut. — Tais-toi ! Je l’ai tellement fait déteindre… qu’aujourd’hui, elle me donne des illusions !… (A l’adjoint.) Venez, l’adjoint ! (L’adjoint le regarde.) Ah ! c’est juste !
Il lui fait des signes en alphabet muet. L’adjoint répond en signes.
Chatel-Tarraut. — Voilà ! (Au garde champêtre.) Pourquoi faut-il que la plus belle intelligence du pays soit précisément sourde et muette ?… Je suis obligé de lui parler muet, et en patois breton ! on ne s’imagine pas ce que c’est difficile à parler le muet breton. (L’adjoint lui dit quelques mots par gestes.) Oui, mon vieux ! (Regardant les soldats.) Regardez-les nos petits soldats de France. Toujours les mêmes, esprits légers et cœurs contents. (Allant à eux.) Soldats ! C’est au nom de la commune de Ker-Kerzoec que je vous souhaite la bienvenue ! Si vous êtes les soldats de la République, vous êtes aussi des soldats de la France ! Et c’est par là que vous nous êtes chers !
Le Caporal. — Qu’est-ce qu’il a ce pékin-là ?
Chatel-Tarraut. — Nous saluons en vous notre espoir de demain ! La force vive de la Patrie, nos héros de toujours ! Vous que nous avons vus à Rocroy, à Fribourg, à Nordlingen…
Premier Soldat. — Moi ?
Chatel-Tarraut. -… voler de victoires en victoires.
Le Caporal. — Dites donc, là, n’avez pas fini de faire le loustic ?
Chatel-Tarraut. — Je ne vous parle pas, monsieur !… Je parle à ces hommes
Le Caporal. — Oui. Eh bien ! moi, c’est moi que je vous parle ; allez, rompez !
Chatel-Tarraut. — Vous dites ? Je suis le maire de Ker-Kerzoec.
Le Caporal. — M’en fous. Je vous ai dit de "romper". Rompez !
Chatel-Tarraut. — Vous avez dit "je m’en fous" ?
Le Caporal. — Silence !
Chatel-Tarraut. — Je me tais, mais parce que j’ai fini.
Le Garde Champêtre. — Ah ! Un officier, là-bas.
Chatel-Tarraut. — Eh bien ! il arrive bien… Nous allons un peu voir. Quel grade ? Quel grade ?
Le Garde Champêtre. — C’est… c’est officier.
Chatel-Tarraut, fixant son monocle. — Officier !… Officier ! C’est pas un grade. Allons bon !… mon verre, j’ai perdu mon verre.
Le Garde Champêtre. — Votre verre !
Chatel-Tarraut. — Le verre de mon monocle ! Cré nom d’un chien ! je l’avais à l’instant ! il ne doit pas être loin, cherchez, cherchez !
Il tire sa jumelle de son étui, et, après l’avoir mise à sa vue, il explore le terrain autour de lui avec sa lorgnette. Le garde champêtre cherche aussi et l’adjoint, ahuri, les regarde. Un lieutenant entre.
Le Lieutenant. — Caporal ! faites resserrer vos hommes ! nous sommes ici au virage le plus corsé ! Il y aura affluence de monde ! Ne laissez traverser personne, l’accès de cette porte est interdit à tous, sauf aux titulaires de cartes spéciales. Je vous rappelle que chacun est responsable des accidents ! (Au caporal.) C’est compris ?
Le Caporal. — Oui, mon lieutenant.
Chatel-Tarraut. — C’est commode d’avoir perdu ses yeux pour essayer de les retrouver (Au garde champêtre.) Vous ne voyez rien ?
Le Garde Champêtre. — Ah ! le voici.
Chatel-Tarraut. — Où ça ? où ça ?
Le Garde Champêtre. — Là, sous le talon de l’adjoint.
Chatel-Tarraut. — Ah ! bougre d’idiot, va !… (Il pousse l’adjoint qui le regarde étonné.) Vous ne voyez pas ce que vous avez fait ! Mon monocle, là !… en miettes !… On dirait du sucre en poudre. Ah ! c’est du propre !… ça me force à rentrer pour chercher mon autre monocle. Allez, venez ! Espèce d’adjoint, va !
Il se cogne dans le caporal.
Le Caporal. — Faites donc attention, vous !
Chatel-Tarraut. — Oh ! pardon. Les lorgnettes, c’est trompeur sur les distances ; je ne vous croyais pas si près.
Le Caporal. — Où allez-vous ?
Chatel-Tarraut. — Je veux traverser. J’habite en face.
Le Caporal. — On ne passe pas.
Chatel-Tarraut. — Comment ?
Le Caporal. — Défense de traverser pendant le circuit.
Chatel-Tarraut. — Mais, puisqu’il n’est pas commencé.
Le Caporal. — M’en fous !
Chatel-Tarraut. — Mais, je suis le maire !… "M’en fous", il ne sait dire que ça. Ne restons pas ici, Messieurs. Allons voir plus loin, nous trouverons sûrement des gens plus courtois ! Passez, l’adjoint !
Scène IV
Etienne, Phèdre, Le Brison.
Pendant cette fin de scène, par petits groupes, peu à peu, du monde est arrivé derrière les soldats ; on s’est rangé de façon à avoir de bonnes places quand se courra le circuit.
Entre Etienne, arrivant de gauche, l’air sombre, le chapeau sur le nez. Il est suivi de Phèdre, également de mauvaise humeur. Etienne va jusqu’à l’auberge, regarde à droite, à gauche, aux fenêtres.
Phèdre. — Enfin, voyons, où vas-tu ? Où allons-nous comme ça ?
Etienne, bourru. — Quoi ? nulle part… je marche.
Phèdre. — Non, mais t’es pas loufoque ?
Etienne. — Oh ! Je vous en prie, hein ? Vous êtes ma maîtresse, eh bien ! que ça te suffise !
Il pivote sur ses talons, gagne la gauche et va donner contre Le Brison qui, n’ayant pu prendre le train, arrive seulement.
Le Brison. — Enfin, monsieur, est-ce que ça va durer longtemps cette plaisanterie ? Qu’est-ce que c’est que cette promenade que vous nous faites faire ?
Etienne. — Oh ! permettez, monsieur, vous m’avez engagé pour courir le circuit, n’est-ce pas ?… jusque-là, je suis maître de mes actes ; je n’en dois compte qu’à Dieu !
Le Brison. — Eh ! Dieu ! Dieu ! qu’est-ce que vous voulez que ça lui fasse, à Dieu ? il n’a pas sa marque engagée, Dieu !… mais moi ! moi ! Enfin, le départ est dans un quart d’heure, tous les coureurs sont à leurs machines depuis l’aube.
Etienne. — Jourdain est à la nôtre, c’est comme si j’y étais.
Le Brison. — Et voilà ce que vous faites ! vous vous balladez et il faut que je vous suive, vous et madame votre maîtresse.
Phèdre. — Ah ! assez, toi, hein !
Le Brison. — Je suis absolument ridicule.
Phèdre. — Ca ne vous change pas.
Le Brison. — Ah ! mais, madame, permettez, vous n’avez plus le droit de me parler ainsi ! je ne suis pas avec vous.
Phèdre. — Dieu merci, non ! Au moins, maintenant, j’ai un jeune, un beau, un vigoureux…
Le Brison. — Oh ! Assez ! assez !
Phèdre. — J’ai Etienne, n’est-ce pas, mon chéri ?
Le Brison. — Assez, vous dis-je !
Etienne. — Ah ! oui, assez ! Je suis votre amant, c’est entendu ! Vous êtes ma maîtresse. Désormais, on est ensemble, eh bien ! c’est bon, on le sait ! n’en parlons plus.
Le Brison. — Il a raison, n’en parlons plus.
Phèdre, à Etienne. — Ah ! qu’est-ce que tu as, toi ?
Etienne. — Moi ? J’ai que c’est tout ça qui est cause du pétrin où je suis tombé. J’ai que je me dis que j’avais une femme, une femme à moi ! qu’on s’aimait ensemble, qu’on filait le parfait amour, que vous êtes entrée dans notre vie et que, désormais, tout ça c’est fini, disparu, envolé ! Voilà ce que je me dis.
Le Brison. — C’est avant, monsieur, qu’il fallait réfléchir à tout ça !
Phèdre. — Non, mais tu sais, si tu la regrettes, ta femme !
Etienne. — Moi ? Oh non ! oh non ! je peux regretter mon bonheur passé, mais ma femme !… aha ! après ce qu’elle a fait ! Quand on pense qu’elle ne s’est même pas demandé s’il n’y avait pas une raison à ma conduite, une raison de dignité d’homme, de probité commerciale, mettons même que j’aie eu une défaillance !… mais n’est-ce pas dans les moments de défaillance que le devoir d’une épouse est, plus que jamais, de ne pas abandonner son mari. Mais non, elle est partie sans un regret, sans un regard en arrière, avec cette moule de Rudebeuf, sous l’œil complaisant de sa rosse de tante ! Voilà ce qu’elle a fait ! C’est dégoûtant ! C’est dégoûtant !
Le Brison. — Eh bien ! qu’est-ce que je dirais, moi ?
Etienne. — Eh ! vous, vous, ça nous est égal, mais moi, moi !
Phèdre. — Eh bien ! et moi, et moi ? Est-ce que je ne t’ai pas sacrifié ma situation ? Car enfin, j’étais avec Le Brison.
Le Brison. — Oui.
Phèdre. — Une liaison de tout repos !
Le Brison. — Ah ! mais, dites donc !
Etienne. — Oh ! comme je voudrais qu’elle soit là pour constater que madame est avec moi !
Phèdre. — Puisqu’elle t’est indifférente, tu n’as pas besoin de te donner tant de mal !
Etienne. — Non, mais je veux qu’elle sache. Et je voudrais… je voudrais aussi avoir la veine de gagner le circuit !
Le Brison. — Ca, bravo !
Etienne. — Pour qu’elle ait des regrets, beaucoup de regrets ! Vous n’avez pas idée comme je voudrais qu’elle ait beaucoup de regrets.
Phèdre. — Ah ! tu es cruel quand tu n’aimes plus les gens, toi !
Etienne. — Je suis comme ça.
Le Brison. — Il est comme ça.
Etienne, à Le Brison. — Et penser que tout ça, tout ça, c’est votre faute !
Le Brison. — A moi ?
Etienne. — Mais oui ! Si vous n’étiez pas venu me chercher dans mon garage ; je ne pensais pas à vous, moi, là-bas ! Si vous ne m’aviez pas emmené dans ce château maudit !
Le Brison. — Ah bien ! celle-là, par exemple !
Phèdre. — Absolument ! Il a raison. Avec cette chambre secrète dont on ne pouvait soupçonner l’indiscrétion.
Etienne. — Sans elle, on n’aurait rien su, personne n’aurait rien vu.
Phèdre. — Et rien de tout ça ne serait arrivé.
Le Brison. — C’est trop fort, ça ! C’est ma faute alors, si vous m’avez trompé, si vous êtes allés roucouler dans cette chambre ardente ?
Phèdre. — Mais absolument ! Car si vous m’aviez rendu le collage plus agréable, si vous aviez pu avoir un peu plus de séduction !…
Le Brison. — Oh !
Etienne. — Et puis, si vous n’étiez pas allés tous presser la corne du bouc pour savoir ce que nous faisions.
Le Brison. — Oh ! c’est renversant ! Mais vous, si vous n’étiez pas allés vous fourrer dans la chambre ardente.
Phèdre. — Oh ! laissez-nous donc tranquilles !
Etienne et Phèdre remontent, chacun de son côté.
Le Brison, ahuri. — Non, mais vous verrez que ça finira par être moi qui me suis fait cocu.
Phèdre. — Quoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ?
Etienne. — Ah ! non ! Ce qu’il faut entendre !
Le Brison. — Oh ! C’est trop fort ! c’est renversant !
Phèdre. — Vous vous répétez, mon ami.
Scène V
Phèdre, Chatel-Tarraut, Le Brison, Etienne
Chatel-Tarraut. — Ah ! Saligaud de circuit, ah ! saligaud de circuit !
Le Brison : — Non, non, on n’a pas idée de ça !
Chatel-Tarraut. — Ah ! c’est bien mon avis. Tiens, Le Brison ! ça va bien ?
Le Brison. — Oui, bonjour, bonjour.
Etienne. — Ah ! je m’en souviendrai de la soirée d’hier !
Phèdre. — Et moi donc !
Le Brison. — Pas plus que moi !
Chatel-Tarraut. — Eh ! mais c’est Chapelain et madame Phèdre, et avec Le Brison. Oh ! par Saint-Jacques de Compostelle !… Vous savez, moi…
Phèdre, lui coupant la parole. — Oui, merci… merci !
Etienne. — Trop aimable ! Trop aimable !
Chatel-Tarraut. — Ah, ça ! du fond du cœur !
Scène VI
Les mêmes, Gabrielle, Madame Grosbois, puis Rudebeuf.
Madame Grosbois. — Là, tu viens, Gabrielle ?
Gabrielle. — Voilà, ma tante !
Etienne, à part. — Elle !
Gabrielle, apercevant Etienne, à part. — Lui !
Madame Grosbois, à part. — Etienne ! allons bon !
Gabrielle, à part. — Et sa Phèdre avec lui !
Etienne. — Ahahahaha !
Le Brison. — Je vous en prie, pas d’histoire !
Etienne. — Laissez-moi.
Madame Grosbois. — Sois digne. N’aie pas l’air de le voir.
Chatel-Tarraut, ajustant son monocle. — Mais c’est Irène, ma parole ! (Apercevant Gabrielle.) avec la jeune enfant… Funérailles ! que va-t-il se passer ?…
Etienne. — Il y a des femmes qui sont capables d’oublier leur devoir !
Chatel-Tarraut. — Comment ?
Etienne. — C’est pas à vous que je parle ! Il y a heureusement des hommes qui savent s’en consoler.
Gabrielle. — Ma tante ! oh ! tu entends ?
Madame Grosbois. — Tais-toi ! N’aie pas l’air ! fais la sourde !
Etienne. — Et aïe donc ! Je ne suis pas fâché.
Le Brison. — Oh ! c’est malin !
Etienne. — Viens, Phèdre ! Viens mon amie aimée. Embrasse ton amant pour lui donner du cœur !
Gabrielle. — Oh ! tu entends !
Etienne, bas. — Embrasse-moi, je te dis.
Le Brison. — Monsieur, vous oubliez que je suis là.
Phèdre. — C’est de mauvais goût, ce que tu fais là !
Etienne. — C’est de mauvais goût, mais ça soulage.
Rudebeuf entre.
Rudebeuf. — Voilà, je suis à vous !…
Gabrielle. — Vous arrivez bien !… Votre bras, vous !
Rudebeuf. — Qu’est-ce qu’il y a ?
Etienne et Le Brison. — Rudebeuf !
Rudebeuf. — Chapelain ! sapristi !
Gabrielle. — Votre bras, je vous dis.
Rudebeuf. — Certainement, comment donc !
Etienne. — Je vais lui casser les reins.
Le Brison. — Oh ! non, non ! vous n’allez pas vous colleter ! Jusqu’à la course, vous m’appartenez ! nous avons un contrat.
Etienne. — Fichez-moi la paix ! C’est trop fort ! (A Chatel-Tarraut.) C’est bien vous qui êtes le maire ?
Chatel-Tarraut. — Oui, pourquoi ?
Etienne. — Vous voyez ce monsieur !… Vous allez lui dire que si dans trois minutes, il n’a pas lâché le bras de madame !…
Chatel-Tarraut. — Comment ?
Etienne. — Dans trois minutes ! Je lui rentre dedans, allez !
Chatel-Tarraut. — Ah ! çà ! Vous perdez la tête ! Est-ce que vous croyez que je suis là pour…
Etienne. — Préférez-vous que j’y aille moi-même ?
Chatel-Tarraut. — Non ! Non !
Etienne. — Allez, allez.
Chatel-Tarraut. — Bon. (A part.) En voilà des commissions.
Le Brison. — Oh !
Phèdre. — Allons, voyons, Etienne !
Etienne. — Laisse-moi.
Le Brison. — Monsieur, ce n’est pas au moment où l’on va courir…
Etienne. — Foutez-moi la paix !
Chatel-Tarraut, s’adressant aux dames. — Eh bien ! voilà… Mais d’abord, ça va bien, oui ?
Gabrielle. — Très bien ! Qu’est-ce qu’il y a ?
Chatel-Tarraut, à Rudebeuf. — Eh bien ! voilà… Vous tenez beaucoup à vous donner le bras ?
Rudebeuf. — Oh ? mon Dieu !
Gabrielle, à Rudebeuf. — Assez !
Chatel-Tarraut, à Gabrielle. — Parce qu’il y a votre mari qui m’a chargé… ça le contrarie… Alors, si ça ne vous contrariait pas !
Gabrielle. — Que, quoi ? Que, quoi ?
Etienne. — Eh bien ! le maire ! Voilà déjà une minute !
Chatel-Tarraut, à Etienne. — Oui, oui, voilà !… Il y a déjà une minute. (A Gabrielle.) Ecoutez ! qu’est-ce que ça vous fait ! Lâchez-vous le bras, allez ! Ca nous fera plaisir à tous.
Rudebeuf. — Mais comment donc !… si ça peut vous être agréable !
Gabrielle. — Qu’est-ce que vous dites ?… Je vous défends de bouger. (A Chatel-Tarraut.) Répondez à ce monsieur que je n’ai pas d’ordre à recevoir de lui, et que je suis là avec mon amant.
Madame Grosbois. — Parfaitement, nous sommes là avec notre amant. Allez.
Rudebeuf. — Non, mais dites que vous voulez me faire battre avec votre mari.
Etienne, haut. — Encore deux minutes, et je lui rentre dans le chou !…
Chatel-Tarraut. — Encore deux minutes, voyons et il vous rentre dans le chou.
Rudebeuf. — Vous entendez ?… à l’épée, ça me serait égal ! Mais me faire casser la figure !
Etienne. — Eh ! le maire !
Gabrielle. — Voulez-vous laisser votre bras !
Chatel-Tarraut, à Etienne. — Rien à faire. Eh bien ! voilà ! J’ai fait la commission. Il paraît qu’il est l’amant de madame Grosbois. Alors… Il me semble sans inconvénient !
Etienne. — Ah ! c’est comme ça ! Eh-bien ! mon petit, tu vas voir un peu de quel bois je me chauffe !…
Gabrielle, à Rudebeuf. — Allez ! Allez !
Phèdre, retenant Etienne. — Etienne ! Etienne !
La cloche sonne.
Le Brison. — Le départ ! le départ ! Arrêtez ! C’est le départ ! A votre voiture, nom de nom ! C’est une désertion !
Jourdain. — A ta voiture ! C’est ton drapeau ! Tu vas te déshonorer !
Etienne. — Soit ! mais si je gagne la course, je vous casse une patte.
Le Brison. — C’est ça ! c’est ça !
Tous. — Allez ! Allez !
Etienne. — Et si je la perds, je vous casse la gueule.
Tous. — Allez ! Allez !
RIDEAU
Deuxième tableau
modifierMême point de vue. Les premiers plans sont toujours les mêmes, mais la toile de fond a fait place à un décor à plusieurs plans.
Le circuit bat son plein. La foule est massée derrière les soldats, contre la palissade. A gauche, une échelle double, sur laquelle est monté Le Brison. A droite, une autre échelle sur laquelle sont grimpées Gabrielle et madame Grosbois.
Scène I
Madame Grosbois, Gabrielle, Phèdre, Le Brison, Chatel-Tarraut, Rudebeuf, un Vendeur de journaux, un Spectateur.
La Foule. — La Renault ! La Renault ! (passe l’auto) Bravo ! Bravo, la Renault !
Madame Grosbois. — Ah ! non, ce virage !
Gabrielle. — Ca vous donne la chair de poule.
Madame Grosbois. — Comment il ne s’en est pas encore démoli plusieurs depuis deux heures que ça dure ? J’en ai mal aux entr ailles.
Un Vendeur. — Demandez "La Vie au Grand Air".
Le Brison, de son échelle. — Qu’est-ce qui mène ? La Renault ?
Rudebeuf, au pied de l’échelle. — Je ne sais pas ! Je crois que c’est Choudart.
Un Vendeur. — "L’Auto" ! Qui veut "l’Auto" ?
Le Brison, descendant de l’échelle. — Oh ! "l’Auto" ! Ce doit être dedans ! Eh ! petit ! (Tous en courant après le vendeur, parlant à Rudebeuf.) Si vous n’avez pas de chaise, montez sur mon échelle.
Rudebeuf. — Non ! Je suis avec ces dames.
Il va rejoindre Mme Grosbois.
Le Brison. — Eh ! petit ! "l’Auto" !
Phèdre entre ; au bras de Chatel-Tarraut.
La Foule. — L’Itala ! c’est l’Itala !
Passe une auto.
Phèdre, donnant le bras à Chatel-Tarraut. — Oh ! oui, j’aime mieux ici. Aux tribunes, c’est pas rigolo !
Chatel-Tarraut, sa chienne sous le bras. — Rigolo, ça ne l’est nulle part ! Très heureux d’avoir pu vous servir de cavalier.
Phèdre. — Et moi de caniche.
Chatel-Tarraut. — Oh ! Oh ! Pouvez-vous dire. J’avais Tchaï-Nou.
La Foule. — La Panhard ! C’est la Panhard ! (Passe l’auto, cri instinctif de la foule.) Ah !
Une Voix. — Non, il n’a rien.
La Foule. — Il n’a rien ! Il n’a rien !
Madame Grosbois. — Ah ! Jésus-Marie ! un doigt de plus et ça y était !
Gabrielle. — Ah ! que j’ai eu peur !
Rudebeuf. — Ah ! c’est que ce virage, s’il est mal pris !
La Foule. — La Brasier ! La Brasier ! (Passe l’auto.) Bravo !
Phèdre. — Oh ! mais, on ne voit rien. Il sont tous là, perchés. (A un spectateur.) Dites donc, elle est libre, votre échelle ?
Un Spectateur. — Non, elle est louée.
Phèdre. — Par qui ?
Un Spectateur. — Je ne sais pas son nom ! un gros monsieur âgé.
Phèdre. — Ah ! ça va bien, c’est mon père.
Un Spectateur. — C’est votre père ?
Phèdre, grimpant sur l’échelle. — Qu’est-ce que je risque ! Vous ne voulez pas un échelon, monsieur Chatel-Tarraut ?
Chatel-Tarraut. — Oh ! non, non, merci ! c’est l’heure des petits besoins de Tchaï-Nou, il faut que je la promène.
Il la pose à terre.
Phèdre. — Oh ! Je serais désolée de la retenir.
Chatel-Tarraut. — Elle aussi !
Gabrielle. — Ma tante ! Encore cette chipie, là-bas, sur l’échelle.
Madame Grosbois. — Eh ! bien, ne regarde pas, ne regarde pas.
Gabrielle. — Ah ! celle-là ! si jamais…
La Foule. — La Mercédès ! La Mercédès !
Passe l’auto.
Chatel-Tarraut, s’en allant. — Va, Tchaï-Nou, ne t’intimide pas ! Tous ces gens sont sans importance !… Fais comme chez moi, Tchaï-Nou, fais comme chez moi !
Il sort.
Madame Grosbois, la jumelle devant les yeux. — C’est très curieux, cet aigle qui passe et repasse.
Rudebeuf. — Comment, un aigle ?
Madame Grosbois. — Enfin, je ne sais pas, ou un vautour !… A l’œil nu, je ne le vois pas, et avec ma jumelle.
Rudebeuf. — Qu’est-ce que vous chantez, madame Grosbois ?
Madame Grosbois. — Mais tenez, regardez ! (Elle passe sa jumelle.) dans cette direction là !…
Rudebeuf. — Ah ! par exemple, c’est curieux, ça !… mais…, mais…, mais c’est dans la jumelle ! Il y a une mouche dans votre jumelle !
Madame Grosbois. — Une mouche dans ma jumelle ! Il y a une mouche dans ma jumelle ?
Rudebeuf. — Si c’est ça que vous appelez un aigle !
Madame Grosbois. — Ah, bien ! elle n’est pas ordinaire, celle-là ! Elle est un peu toquée, cette mouche-là !
La Foule. — La Gobron ! La Gobron ! Arrive Le Brison.
Scène II
Les mêmes, Le Brison
Le Brison, arrivant de droite et allant à Rudebeuf, radieux. — Ca va ! ça va ! J’arrive du poste voisin ! On a téléphoné. Nous sommes bons ! Nous sommes bons ! Trois minutes et demie à la croix de Kergorec ! Nous sommes bons !
Rudebeuf. — Qui, moi ?
Le Brison. — Non, moi.
Rudebeuf. — Ah ! ça me fait bien plaisir.
Le Brison. — A ce train-là, nous ne devons pas tarder à repasser.
Chatel-Tarraut, traînant la laisse veuve de chien. — Ne t’intimide pas Tchaï-Nou, fais tes petites affaires, mon chien-chien ! fais !
Le Brison, en passant près de Chatel-Tarraut. — Nous sommes bons ! Ca va ! ça va !
Chatel-Tarraut. — Pas trop mal ! La chérie est un peu constipée !
Le Brison, qui n’a pas écouté la réponse de Chatel-Tarraut, est déjà grimpé sur l’échelle. — Nous sommes bons ! Nous sommes bons !
Phèdre. — Quoi ?
Le Brison. — Hein ! Vous ! Pardon !
Il fait mine de redescendre.
Phèdre. — Oh ! vous pouvez rester, vous ne me gênez pas.
Le Brison. — Vous êtes bien bonne !
Chatel-Tarraut, sentant une résistance dans sa laisse sur le bout de laquelle quelqu’un a mis le pied. — Allons, ne te fais pas tirer. Tchaï-Nou, ne te fais pas tirer.
Le Monsieur, qui a levé le talon, ce qui rend la laisse libre. — Qu’est-ce qu’il a à traîner cette laisse derrière lui, ce bonhomme-là ?
Chatel-Tarraut. — Viens, Tchaï-Nou, viens !
Il sort.
Le Monsieur. — Il s’est échappé de sa niche.
La Foule. — La de Dion ! Bravo, la de Dion !
Phèdre, froidement. — Vous avez le programme ?
Le Brison, froid. — Voilà !
Phèdre. — Merci !
Un Gamin. — On peut grimper sur un échelon, la bourgeoise ?
Phèdre. — Grimpe, petit, grimpe !
Le Brison, brusquement. — Pourquoi m’as-tu fais ça hier au soir ?
Phèdre. — Quoi ?
Le Brison. — Tu m’a fait beaucoup de chagrin !
Phèdre. — Oh ! mais aussi, vous faites attention à des choses !…
Le Brison. — Merci ! Ta conduite avec Chapelain
Phèdre. — Eh ! bien, quoi, c’est un béguin, est-ce que ça compte ?
La Foule. — La Fiat ! La Fiat !
Le Brison, se bouchant les oreilles. — Oh ! qu’ils font du bruit tous ces gens-là, avec leur circuit !…
Phèdre. — Ah ! bien ! mais si tous les amants devaient aller fourrer leur nez dans ces détails, il n’y aurait pas un collage qui tienne.
Le Brison. — Oui, oui, évidemment, mais…
Phèdre. — Oh ! tu as été bête ! Et d’un manque de tact !
Le Brison. — Ah ! Ah ! vraiment, tu crois ?…
Phèdre. — Mais un béguin, un béguin, c’est passager ! ça dure, quoi…
Le Brison. — L’espace d’un matin.
Phèdre. — Ou d’une nuit ! Mais au fond, le seul, celui qui compte, c’est l’amant sérieux, c’est toi, il n’y a que toi ! c’est toi qui paies, c’est toi le vrai !
Le Brison. — Ah ! Phèdre, que tu me fais du bien !
Phèdre. — Ingrat ! Je suis trop bonne de te pardonner !
La Foule. — En voilà deux, en voilà deux !
Madame Grosbois. — Deux voitures qui viennent en même temps.
La Foule. — C’est une Fiat et une Le Brison !
Le Brison. — Le Brison ! Le Brison ! C’est nous !
Phèdre. — Etienne ! C’est Etienne !
Madame Grosbois, à Gabrielle. — Ton mari ! Il va gratter l’autre dans le virage.
Gabrielle. — Ah ! J’aime mieux ne pas regarder.
Bruit des deux autos.
Cris d’angoisse dans la foule. — Ah !
Gabrielle. — Qu’est-ce qu’il y a ?
Phèdre. — Ah ! que j’ai peur !
La Foule. — Bravo ! Bravo Chapelain ! Bravo Chapelain !
Madame Grosbois. — Bravo mon neveu ! C’est mon neveu Etienne Chapelain.
Une Personne. — Quoi, Chapelain, c’est votre neveu ?
Madame Grosbois. — Le mari de ma nièce ! Voilà ma nièce ! Je suis sa tante ! Bravo !
Murmures dans la foule. — C’est la famille de Chapelain ! La petite, là c’est sa femme !
Phèdre, continuant d’applaudir. — Ah ! c’est admirable ! Bravo, Chapelain ! Bravo Etienne !
Le Brison. — Oui, c’est bon ! c’est bon ! pas tant d’exubérance !
Phèdre. — Ah ! non, toi ! Tu ne vas pas recommencer, hein ?
Le Brison. — Enfin, quoi, criez tout de suite à la foule que Chapelain est votre amant.
Phèdre. — Ah ! la barbe ! Eh bien, oui, c’est mon amant !
Le Brison. — Phèdre, voyons, Phèdre !
Phèdre. — Oui, Chapelain est mon amant.
Un Titi. — Qui, Chapelain ? C’est votre amant ?
Phèdre. — Oui, c’est mon amant. Ca embête monsieur, mais c’est mon amant !
Le Brison. — Ah ! je vous en prie, hein ! ou alors, descendez de mon échelle !
Le Titi. — Ah ! bien, celle-là, par exemple !
La Foule. — La Panhard ! La Panhard !
Le Titi, qui est allé vers le groupe Grosbois. — Dites donc, voulez-vous voir la maîtresse de Chapelain, vous autres ?
Gabrielle et Madame Grosbois. — Quoi ?
Le Titi. — C’est la dame, là-bas, perchée sur l’échelle.
Gabrielle. — Qu’est-ce qu’il a dit ?
Madame Grosbois. — Dis donc ! dis donc ! le voyou breton ! tu ne sais pas à qui tu parles ! Madame est Madame Chapelain ! Et c’est ma nièce ! Elle est ma nièce !
Gabrielle. — C’est cette femme, hein ! C’est cette femme qui vous a dit ?
Le Titi. — Mais oui.
Gabrielle, descendant de l’échelle. — Eh bien ! attends un peu !
Madame Grosbois, descendant également. — Gabrielle, où vas-tu ?
Gabrielle. — Tu vas le voir !
Rudebeuf. — Voyons ! Voyons ! Madame Chapelain !
Gabrielle. — Laissez-moi tranquille. (A Phèdre.) Dites donc, vous, là-haut, est-ce que ça va durer longtemps ce petit manège ?
Phèdre. — Quoi ?
Gabrielle, secouant l’échelle. — Oui, Eh bien ! en voilà assez !
Phèdre - Voulez-vous me laisser, vous allez me faire tomber.
Le Brison. — Voyons, madame Chapelain, voyons !
Gabrielle. — Je ne vous parle pas, à vous.
Madame Grosbois. — Gabrielle !
Gabrielle. — Ni à toi. (A Phèdre.) Je vous défends d’afficher plus longtemps mon mari.
Phèdre. — Mais ne secouez donc pas !
Gabrielle. — Vous oubliez que je suis sa femme.
Phèdre. — Ah ! là ! là ! sa femme !…
L’Entourage de Gabrielle. — Elle a raison ! Elle a raison !
Le Brison. — Du calme, mon enfant, du calme.
Gabrielle. — Je ne suis pas complaisante comme votre banquier.
Le Brison. — Charmant ! c’est charmant !
L’Entourage. — Elle a raison ! Elle a raison !
Madame Grosbois. — Viens, va, ne te commets pas ! ne te commets pas !
Gabrielle. — C’est que je lui ferai voir qui je suis, toute petite que je paraisse.
Rudebeuf. — Vous me mettez dans une situation !
Le Brison, maugréant. — Banquier complaisant ! Banquier complaisant !
Phèdre, à Le Brison. — Voilà ce que vous m’attirez, vous !
Le Brison. — Moi !
Phèdre. — D’ailleurs, il est à remarquer que, quand on est avec vous, on a toujours des ennuis.
Le Brison. — Eh bien ! elle est raide, celle-là !
Phèdre. — Ah ! taisez-vous donc ! Comme si vous n’auriez pas dû déjà donner votre carte à M. Rudebeuf.
Le Brison. — Elle est forte !
Madame Grosbois, à Gabrielle, toutes deux sur l’échelle. — Mais dédaigne, voyons ! dédaigne ! Plane !… Sois au-dessus de çà !
La Foule. — La Brasier ! La Brasier !
Arrive Chatel-Tarraut, traînant une bouteille vide au bout de sa laisse et suivi par des gamins qui le montrent du doigt.
Chatel-Tarraut. — Ils me rendront fou avec ce circuit, à m’empêcher de rentrer chez moi.
Un Gamin. — A la fraîche ! A la fraîche ! Qui veut boire.
Chatel-Tarraut. — Merci ! Jamais entre mes repas.
Les gamins rient.
Le Titi. — Ah ! le type avec sa bouteille, pigez-moi ça !
Tous. — Ah ! la bouteille ! la bouteille !
Chatel-Tarraut. — On n’a pas idée de faire des circuits en rond !
Madame Grosbois. — Amaury ! Amaury ! ta bouteille !
Chatel-Tarraut. — Comment ?
Madame Grosbois. — Pourquoi te promènes-tu avec une bouteille ?
Chatel-Tarraut. — Une bouteille !… Mais je n’ai pas de bouteille !
Madame Grosbois. — Mais au bout de ta laisse.
Chatel-Tarraut. — Au bout de ma… (Poussant un cri.) Ah ! mon Dieu ! Tchaï-Nou ! J’ai perdu Tchaï-Nou !
Madame Grosbois. — T’as perdu Tchaï-Nou ?
Rudebeuf. — Aussi, est-ce qu’on se promène avec des chiens dans un circuit ?
Chatel-Tarraut. — Mon Dieu ! Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé ! (A Rudebeuf.) Ecoutez, vous avez là un téléphone ! Vous ne pourriez pas téléphoner ?
Rudebeuf. — Téléphoner quoi ?
Chatel-Tarraut. — Pour savoir si on n’a pas retrouvé mon chien, un chien rose, un chien chinois, Tchaï-Nou.
Sonnerie au téléphone.
Rudebeuf. — Attendez !
Chatel-Tarraut. — Ah ! merci.
Rudebeuf, au téléphone. — Oui ! Eh bien ?
Chatel-Tarraut. — Expliquez bien : un chien rose, un chien chinois.
Rudebeuf. — Il a passé au Calvaire ?
Chatel-Tarraut. — Ca ne m’étonne pas ! C’est sur le chemin.
Le Brison, accourant. — Qui a passé au Calvaire ? Le 8 ou le 4 ?
Chatel-Tarraut. — Mon chien ! Un chien rose, un chien chinois.
Rudebeuf. — Mais taisez-vous donc !
Chatel-Tarraut, à Le Brison. — Mais taisez-vous donc !
Rudebeuf. — Eh ! quoi ? je n’entends pas.
Le Brison. — Mais qui des deux a passé au Calvaire, qui ?
Chatel-Tarraut. — Mon chien ! un chien rose, un chien chinois.
Rudebeuf. — Mais foutez-nous donc la paix avec votre chien chinois, on n’entend rien. Quoi ? Ce n’est pas possible ! C’est le 4. Eh bien ! et ma voiture, la Rudebeuf ? Elle passe seulement maintenant. Charmant !
Chatel-Tarraut. — Mais alors, mon chien, ils ne vous ont pas dit ?…
Rudebeuf. — Ah ! Zut, avec votre chien !
Le Brison. — Vous n’avez pas fini de nous raser avec votre chien ?
Chatel-Tarraut. — Ils n’ont pas autre chose en tête que leurs automobiles. (Téléphonant.) Pardon, monsieur, on ne vous a pas signalé… quoi ?… Le 14 a passé le petit pont !… oui, ça n’a pas d’importance… Vous n’auriez pas aperçu un chien rose, un chien chinois ?
La Foule. — Oh ! un chien ! un chien dans le circuit !
Chatel-Tarraut, raccrochant vivement le récepteur. — Qu’est-ce qu’ils disent ? un chien dans le circuit !
Madame Grosbois. — Mais c’est ta chienne, Amaury !
Chatel-Tarraut. — Tchaï-Nou ! Mais elle va se faire écraser !
Rudebeuf. — Mais appelez-le donc ! il va causer un accident !
Chatel-Tarraut. — Tchaï-Nou ! Tchaï-Nou ! (Au commissaire.) Au nom du ciel ! Suspendez le circuit ! Agitez vos drapeaux ! (Appelant.) Tchaï-Nou !
La Foule. — Tchaï-Nou ! Tchaï-Nou !
Chatel-Tarraut. — Vierge Marie ! Ca devait arriver ! c’est maintenant qu’elle fait pipi.
Grondement d’une voiture qui apparaît.
La Foule. — Une voiture ! Une voiture !
Rudebeuf. — Tonnerre de tonnerre ! C’est ma voiture !
Tous. — La Rudebeuf ! Le prince Turc !
Chatel-Tarraut. — Une voiture ! Une voiture ! Arrêtez ! (Il se précipite sur les fanions du commissaire spécial et les agite avec frénésie.) Arrêtez !
Le Commissaire. — Monsieur ! Monsieur ! Vous êtes fou !
Bruit formidable de voiture brisée, sensation prolongée dans la foule.
La Foule. — Ah !
Premier Gigolo. — Ca devait arriver !
Rudebeuf. — Nom de Dieu de nom de Dieu !
Chatel-Tarraut. — Ma chienne ! Ils vont écraser ma chienne !
Le Brison. — Faites arrêter les autres voitures ! des hommes ! des hommes !
Le Commissaire. — Hissez la voiture ! Posez-la contre la route.
Chatel-Tarraut. — Tchaï-Nou ! Tchaï-Nou est morte ! qu’on ne la laisse pas sur la route ! Faites-la hisser aussi ! des hommes ! des hommes !
Le Brison. — C’est honteux, monsieur, de que vous avez fait là. Vous pouviez être la cause de la mort d’un homme !
La Foule. — C’est honteux !
Chatel-Tarraut. — Ma chienne n’est plus, monsieur ! Ils ont tué ma chienne !
Le Brison. — Grand bien lui fasse !
La Foule. — C’est honteux !
Chatel-Tarraut. — Oh ! Cochonne d’automobile ! cochonne d’automobile !
Rudebeuf, au prince qui apparaît, les vêtements en lambeaux, et tenant à la main son volant brisé en deux morceaux. — Vous n’avez rien ?
Le Prince. — Rien ! mais votre voiture ! Voilà tout ce qui reste de votre voiture !
Rudebeuf. — Nom de Dieu !
Le Prince. — Au moins, on ne pourra pas dire que j’ai lâché ma direction.
Rudebeuf. — C’est la faute de cette triple brute !
Sonnerie au téléphone.
Gabrielle. — On téléphone !
Phèdre. — On téléphone !
Le Brison. — Qu’est-ce qu’il y a ?… (Il se précipite et prend le récepteur.) Oui ! Quoi ? quoi ? un tamponnement entre deux voitures !
Phèdre. — Un tamponnement entre deux voitures !
La Foule. — Un tamponnement !
Le Brison. — Quelles voitures ? (Répétant ce qu’il entend.) Comment ! On ne sait pas ? Allo ! on croit que c’est le 14… Comment ? Le 14 et le 8 ?
Phèdre. — Et le 8 !
Le Brison. — Mais c’est ma voiture !
Phèdre. — Mais c’est Etienne ! Mon Dieu ! C’est Etienne !
Le Brison. — Mais tais-toi donc ! Allo ! On ne peut rien dire encore ! Ce n’est peut-être rien ! j’attends, oui, j’attends !
Phèdre. — Oh ! C’est épouvantable ! Etienne ! C’est Etienne !
Gabrielle, qui a entendu ces derniers mots, fendant la foule suivie de Mme Grosbois. — Quoi, Etienne ? Qu’est-ce qu’il y a, Etienne !
Phèdre. — Oh ! madame, c’est horrible ! Mon amant, Etienne Chapelain !
Gabrielle. — Il est arrivé quelque chose à Etienne ?
Phèdre. — Ah ! c’est vrai, madame ! Vous êtes aussi sa femme !
Gabrielle. — Mais quoi ? quoi ?
Phèdre. — Je ne sais pas ! Ah ! mon Dieu, madame, pourvu qu’il n’y ait rien de grave !
Gabrielle. — Pourvu qu’il ne soit pas blessé, madame, qu’il n’ait rien !
Phèdre. — Oh ! oui, madame !
Le Brison. — Ma voiture, mon Dieu !
Madame Grosbois, surgissant entre elles deux. — Mes enfants ! Mes enfants ! Du sang-froid, ne perdons pas la tête !
Le Brison. — Allo, j’attends ! Oui, j’attends !
Gabrielle. — Quand je pense qu’il y a tant de voitures, il faut que ce soit juste la nôtre.
Madame Grosbois. — C’est épouvantable !
Le Brison. — Allo ! Allo ! Le tamponnement ! Oui ! Eh bien ?… Sait-on quelles sont les deux voitures ? Quoi ?
Phèdre et Gabrielle. — Quoi ?
Madame Grosbois. — Quoi ? Chut, la foule !
Le Brison. — Oh ! ce téléphone ! quelle invention !
Les Trois Femmes, bouillant sur place. — Oh !
Le Brison. — Mais quoi ? Quelles voitures ? Hein ! Mais taisez-vous donc !
Les Trois Femmes, à la foule. — Mais taisez-vous donc !
Le Brison. — Le 14… et le… et le 18 ?
Phèdre, Gabrielle, Madame Grosbois. — Le 18 !
Le Brison.- Mais alors, ce n’est pas le 8 ?
Phèdre, Gabrielle, Madame Grosbois. — Ce n’est pas le 8 ?
Le Brison. — Non, non ! Nous sommes sauvés.
Phèdre. — Ah ! Madame, que je suis heureuse.
Le Brison. — Allo ! Comment ! Le 8 a passé depuis longtemps ? Pas possible ! Depuis cinq minutes !
Les Trois Femmes. — Cinq minutes.
Le Brison. — Admirable ! Admirable ! Allo ! Cinq minutes et demie ! Merci ! Merci ! (Il raccroche le récepteur, puis aux trois femmes.) Mais alors ! mais alors !
Phèdre et Gabrielle. — Quoi !
Le Brison. — S’il a passé depuis cinq minutes et demie, ça prouve, ça prouve !…
Les Trois Femmes. — Ca prouve ?
Le Journaliste. — La Le Brison ! C’est la Le Brison !
Tous. — Quoi ? La Le Brison !
Le Journaliste. — C’est la Le Brison ! C’est Chapelain qui gagne !
Le Brison, Gabrielle, Phèdre, Madame Grosbois. — Gagné ! C’est Chapelain… Il arrive !
Gabrielle. — Ah ! ma tante ! ma tante !
Madame Grosbois. — Mais j’en étais sûre !
Phèdre, à Le Brison. — Hein ! Ai-je eu du nez de l’attirer chez nous.
Le Brison. — Oh ! oui !…
Gabrielle. — Etienne gagne ! (A Phèdre.) Oh ! madame ! Oh ! madame !
Phèdre. — Ah ! oui, madame ! Oh ! nous pouvons être fières.
On entend dans la coulisse de gauche : "Hurrah ! Vive Chapelain ! Bravo Chapelain ! Vive Chapelain ! "
La Foule. — Voilà le vainqueur ! V’là le vainqueur qui arrive ! Vive Jourdain ! Vive Chapelain ! V’là le vainqueur qui arrive ! Bravo Chapelain ! Par ici, Chapelain !
La foule se précipite à gauche, tandis que les cris, dans la coulisse, continuent. Mais un remous se produit dans la foule. C’est Etienne qui arrive, suivi de Jourdain, environné de gens qui lèvent leurs chapeaux, de femmes qui agitent leurs mouchoirs. Etienne est soulevé, poussé vers Le Brisson. Arrivé devant Le Brison, tous les deux ont une seconde d’hésitation.
Le Brison, montrant Gabrielle. — Demandez-lui pardon.
Gabrielle. — Ah ! mon chéri !…
Etienne. — La maîtresse de Rudebeuf ! Jamais !
Gabrielle. — Quoi ?… Moi ; la maîtresse de Rudebeuf !… tu as pu croire ?… Imbécile !…
Elle le gifle.
Etienne, se tenant la joue. — Hein ! Eh bien ! ça ! Eh bien ! ça ! ça ! me fait un rude plaisir !
Gabrielle. — Hein !
Etienne. — La gosse !… Je t’aime… Et je te demande pardon !
Ils s’embrassent.
Le Brison. — Je vais gagner une fortune.
Phèdre. — Tu n’oublieras pas mon petit cadeau.
Chatel-Tarraut, entrant. — Irène ! Irène ! Un grand bonheur ! Ce n’est pas mon chien qui a été écrasé !
Madame Grosbois. — Hein ?
Chatel-Tarraut. — C’est le tien !
Madame Grosbois. — Ah ! Rip !… Ah !…
Chatel-Tarraut. — Rip n’est plus, mais je te reste.
Etienne. — Je suis bien heureux.
Rudebeuf. — C’est crevant ! Tout à l’heure, vous vous mangiez le nez, et maintenant, ils s’embrassent.
Etienne. — Que voulez-vous, Monsieur Rudebeuf, c’est le succès !
RIDEAU