Le Christianisme dévoilé/Chapitre XIII

CHAPITRE XIII.

Des pratiques & des devoirs de la religion Chrétienne.

Si les vertus du christianisme n’ont rien de solide et de réel, ou ne produisent aucun effet que la raison puisse approuver, elle ne verra rien de plus estimable dans une foule de pratiques gênantes, inutiles, et souvent dangereuses, dont il fait des devoirs à ses dévots sectateurs, et qu’il leur montre comme des moyens assurés d’appaiser la divinité, d’obtenir ses graces, de mériter ses récompenses ineffables.

Le premier, et le plus essentiel des devoirs du christianisme, est de prier. C’est à la priere continuelle, que le christianisme attache sa félicité ; son dieu, que l’on suppose rempli de bontés, veut être sollicité pour répandre ses graces ; il ne les accorde qu’à l’importunité : sensible à la flatterie, comme les rois de la terre, il exige une étiquette, il n’écoute favorablement que des vœux présentés suivant une certaine forme. Que dirions-nous d’un pere, qui, connoissant les besoins de ses enfans, ne consentiroit point à leur donner la nourriture nécessaire, à moins qu’ils ne l’arrachassent par des supplications ferventes, et souvent inutiles ? Mais, d’un autre côté, n’est-ce pas se défier de la sagesse de Dieu, que de prescrire des régles à sa conduite ? N’est-ce pas révoquer en doute son immutabilité, que de croire que sa créature peut l’obliger à changer ses décrets ? S’il sait tout, qu’a-t-il besoin d’être averti sans cesse des dispositions du cœur et des desirs de ses sujets ? S’il est tout-puissant, comment seroit-il flatté de leurs hommages, de leurs soumissions réitérées, de l’anéantissement où ils se mettent à ses pieds ?

En un mot, la priere suppose un dieu capricieux, qui manque de mémoire, qui est sensible à la louange, qui est flatté de voir ses sujets humiliés devant lui, qui est jaloux de recevoir, à chaque instant, des marques réitérées de leur soumission.

Ces idées, empruntées des princes de la terre, peuvent-elles bien s’appliquer à un être tout-puissant, qui n’a créé l’univers que pour l’homme, et qui ne veut que son bonheur ? Peut-on supposer, qu’un être tout-puissant, sans égal et sans rivaux, soit jaloux de sa gloire ? Est-il une gloire pour un être à qui rien ne peut être comparé ? Les chrétiens ne voyent-ils pas, qu’en voulant exalter et honorer leur Dieu, ils ne font réellement que l’abbaisser et l’avilir ?

Il entre encore dans le système de la religion chrétienne, que les prieres des uns peuvent être applicables à d’autres : son dieu, partial pour ses favoris, ne reçoit que les requêtes de ceux-ci ; il n’écoute son peuple, que lorsque ses vœux lui sont offerts par ses ministres. Ainsi, Dieu devient un sultan, qui n’est accessible que pour ses ministres, ses visirs, ses eunuques, et les femmes de son serrail. De-là, cette foule innombrable de prêtres, de cénobites, de moines et de religieuses, qui n’ont d’autres fonctions, que d’élever leurs mains oisives au ciel, et de prier nuit et jour, pour obtenir ses faveurs pour la société. Les nations payent chérement ces importans services, et de pieux fainéans vivent dans la splendeur, tandis que le mérite réel, le travail et l’industrie, languissent dans la misére[1].

Sous prétexte de vaquer à la priere et aux cérémonies de son culte, le chrétien, surtout dans quelques sectes plus superstitieuses, est obligé de demeurer oisif, et de rester les bras croisés pendant une grande partie de l’année ; on lui persuade qu’il honore son dieu par son inutilité ; des fêtes, multipliées par l’intérêt des prêtres et la crédulité des peuples, suspendent les travaux nécessaires de plusieurs millions de bras ; l’homme du peuple va prier dans un temple, au lieu de cultiver son champ ; là il repaît ses yeux de cérémonies puériles, et ses oreilles de fables et de dogmes auxquels il ne peut rien comprendre. Une religion tyrannique fait un crime à l’artisan, ou au cultivateur, qui, pendant ces journées, consacrées au désœuvrement, oseroit s’occuper du soin de faire subsister une famille nombreuse et indigente, et de concert avec la religion, le gouvernement puniroit ceux qui auroient l’audace de gagner du pain, au lieu de faire des prieres, ou de rester les bras croisés[2].

La raison peut-elle souscrire à cette obligation bizarre de s’abstenir de viandes et de quelques alimens, que certaines sectes chrétiennes imposent ? Le peuple, qui vit de son travail, est, en conséquence de cette loi, forcé de se contenter, pendant des intervalles très-longs, d’une nourriture chère, mal-saine, & peu propre à réparer les forces.

Quelles idées abjectes et ridicules doivent avoir de leur dieu, des insensés qui croyent qu’il s’irrite de la qualité des mêts qui entrent dans l’estomach de ses créatures ? Cependant, à prix d’argent, le ciel devient plus accommodant. Les prêtres des chrétiens ont été sans cesse occupés à gêner leurs crédules sectateurs, afin de les obliger à transgresser ; le tout, pour avoir occasion de leur faire expier chérement leurs prétendues transgressions. Tout dans le christianisme, jusqu’aux péchés, tourne au profit du prêtre[3].

Aucun culte ne mit jamais ses sectateurs dans une dépendance plus entiere, et plus continuelle de leurs prêtres, que le christianisme ; ils ne perdirent jamais de vue leur proie ; ils prirent les mesures les plus justes pour asservir les hommes et les faire contribuer à leur puissance, à leurs richesses, à leur empire. Médiateurs entre le monarque céleste et ses sujets, ces prêtres furent regardés comme des courtisans en crédit, comme des ministres chargés d’exercer la puissance en son nom, comme des favoris auxquels la divinité ne pouvoit rien refuser. Ainsi, les ministres du très-haut devinrent les maîtres absolus du sort des chrétiens ; ils s’emparerent, pour la vie, des esclaves que la crainte et les préjugés leur soumirent ; ils se les attacherent, et se rendirent nécessaires à eux, par une foule de pratiques et de devoirs aussi puériles que bizarres, qu’ils eurent soin de leur faire regarder comme indispensablement nécessaires au salut. Ils leur firent, de l’omission de ces devoirs, des crimes bien plus graves, que de la violation manifeste des régles de la morale et de la raison.

Ne soyons donc point étonnés, si dans les sectes les plus chrétiennes, c’est-à-dire, les plus superstitieuses, nous voyons l’homme perpétuellement infesté par des prêtres. à peine est-il sorti du sein de sa mere, que, sous prétexte de le laver d’une prétendue tache originelle, son prêtre le baptise pour de l’argent, le réconcilie avec un dieu qu’il n’a point encore pu offenser ; à l’aide de paroles et d’enchantemens, il l’arrache au domaine du démon. Dès l’enfance la plus tendre, son éducation est ordinairement confiée à des prêtres, dont le principal objet est de lui inculquer de bonne heure les préjugés nécessaires à leurs vues ; ils lui inspirent des terreurs, qui se multiplieront en lui pendant toute sa vie ; ils l’instruisent dans les fables d’une religion merveilleuse, dans ses dogmes insensés, dans ses mystères incompréhensibles ; en un mot, ils en font un chrétien superstitieux, et jamais ils n’en font un citoyen utile, un homme éclairé[4]. Il n’est qu’une chose qu’on lui montre comme nécessaire, c’est d’être dévotement soumis à sa religion. Sois dévot, lui dit-on, sois aveugle, méprise ta raison, occupe-toi du ciel, et néglige la terre, c’est tout ce que Dieu te demande pour te conduire au bonheur.

Pour entretenir le chrétien dans les idées abjectes et fanatiques, dont sa jeunesse fut imbue, ses prêtres, dans quelques sectes, lui ordonnent de venir souvent déposer dans leur sein ses fautes les plus cachées, ses actions les plus ignorées, ses pensées les plus secretes ; ils le forcent de venir s’humilier à leurs pieds, et rendre hommage à leur pouvoir ; ils effrayent le coupable, & s’ils l’en jugent digne, ils le réconcilient ensuite avec la Divinité, qui, sur l’ordre de son ministre, lui remet les péchés dont il s’étoit souillé. Les sectes chrétiennes, qui admettent cette pratique, nous la vantent comme un frein très-utile aux mœurs, et très-propre à contenir les passions des hommes ; mais l’expérience nous prouve, que les pays, où cet usage est le plus fidélement observé, loin d’avoir des mœurs plus pures que les autres, en ont de plus dissolues. Ces expiations si faciles ne font qu’enhardir au crime. La vie des chrétiens est un cercle de déréglemens & de confessions périodiques ; le sacerdoce profite seul de cet usage, qui le met à portée d’exercer un empire absolu sur les consciences des hommes. Quelle doit être la puissance d’un ordre d’hommes, qui ouvrent et ferment à leur gré les portes du ciel, qui ont les secrets des familles, qui peuvent à volonté allumer le fanatisme dans les esprits !

Sans l’aveu du sacerdoce, le chrétien ne peut participer à ses mystères sacrés, les prêtres ont le droit de l’en exclure. Il pourroit se consoler de cette privation prétendue ; mais les anathêmes, ou excommunications des prêtres, font par-tout un mal réel à l’homme ; les peines spirituelles produisent des effets temporels, et tout citoyen, qui encourt la disgrace de l’église, est en danger d’encourir celle du gouvernement, et devient un objet odieux pour ses concitoyens.

Nous avons déja vu que les ministres de la religion se sont ingérés des affaires du mariage ; sans leur aveu, un chrétien ne peut devenir pere ; il faut qu’il se soumette aux formes capricieuses de la religion ; sans cela, la politique, d’accord avec la religion, excluroit ses enfans du rang des citoyens[5].

Durant tout le cours de sa vie, le chrétien, sous peine de se rendre coupable, est obligé d’assister aux cérémonies de son culte, aux instructions de ses prêtres ; dès qu’il remplit fidélement cet important devoir, il se croit le favori de son dieu, et se persuade qu’il ne doit plus rien à la société. C’est ainsi que des pratiques inutiles prennent la place de la morale, qui par-tout est subordonnée à la religion, à qui elle devroit commander.

Lorsque le terme de sa vie est venu, étendu sur son lit, le chrétien est encore assailli par ses prêtres dans ses derniers instans. Dans quelques sectes chrétiennes, la religion semble s’être étudiée à rendre à l’homme sa mort mille fois plus amère. Un prêtre tranquille vient porter l’allarme auprès du grabat d’un mourant ; sous prétexte de le réconcilier avec son dieu, il vient lui faire savourer le spectacle de sa fin[6]. Si cet usage est destructeur pour les citoyens, il est au moins très-utile au sacerdoce, qui doit une grande partie de ses richesses aux terreurs salutaires qu’il inspire à propos aux chrétiens riches et moribonds. La morale n’en retire pas les mêmes fruits : l’expérience nous montre, que la plûpart des Chrétiens, vivans avec sécurité dans le débordement, ou le crime, remettent à la mort le soin de se réconcilier avec Dieu : à l’aide d’un repentir tardif, et des largesses qu’ils font au sacerdoce, celui-ci expie leurs fautes, et leur permet d’espérer que le ciel met en oubli les rapines, les injustices et les crimes qu’ils ont commis pendant tout le cours d’une vie nuisible à leurs semblables.

La mort même ne termine point l’empire du sacerdoce sur les chrétiens de quelques sectes ; les prêtres mettent à profit son cadavre ; à prix d’argent, on acquiert, pour sa dépouille mortelle, le droit d’être déposé dans un temple, et de répandre dans les villes l’infection et la maladie. Que dis-je ? Le pouvoir sacerdotal s’étend même au-delà des bornes du trépas. On achéte chérement les prieres de l’église, pour délivrer les ames des morts des supplices que l’on prétend destinés dans l’autre monde à les purifier. Heureux les riches, dans une religion, où, à l’aide de l’argent, on peut intéresser les favoris de Dieu à le prier de remettre les peines que sa justice immuable leur avoit fait infliger[7] !

Tels sont les principaux devoirs que le christianisme recommande comme nécessaires, et de l’observation desquels il fait dépendre le salut. Telles sont les pratiques arbitraires, ridicules et nuisibles, qu’il ose souvent substituer aux devoirs de la société. Nous ne combattrons pas les différentes pratiques superstitieuses, admises avec respect par quelques sectes, et rejettées par d’autres, telles que les honneurs rendus à la mémoire de ces pieux fanatiques, de ces héros de l’enthousiasme, de ces contemplateurs obscurs, que le pontife romain met au nombre des saints[8]. Nous ne parlerons pas de ces pélérinages, dont la superstition des peuples fait tant de cas, ni de ces indulgences, à l’aide desquelles les péchés sont remis. Nous nous contenterons de dire, que ces choses sont communément plus respectées du peuple qui les admet, que les régles de la morale, qui souvent sont totalement ignorées. Il en coûte bien moins aux hommes, de se conformer à des rites, à des cérémonies, à des pratiques, que d’être vertueux. Un bon Chrétien est un homme qui se conforme exactement à ce que ses prêtres exigent de lui ; ceux-ci, pour toutes vertus, lui demandent d’être aveugle, libéral et soumis.

  1. Un Empereur (c’étoit Justin, si je ne me trompe) demandoit pardon à Dieu, & se faisoit un scrupule du tems qu’il donnoit à l’administration de l’Etat, & qu’il ôtoit à ses prieres.
  2. Constantin, comme Empereur, ordonna en l’an 321, de cesser le Dimanche toutes les fonctions de la justice, les métiers & les occupations ordinaires des villes. Celle de la campagne & de l’agriculture furent exceptées de cette loi. Ces dispositions étoient au moins plus raisonnables que celles qui subsistent aujourd’hui, surtout chez les Catholiques Romains. C’est maintenant le Pape & les Evêques qui preserivent les fêtes, & qui forcent le peuple à être oisis. Voyez Tillemont, vie de Constantin, art.15.p.180.
  3. Les Grecs & les Chrétiens orientaux observent plusieurs carêmes, & jeûnent avec rigueur. En Espagne, en Portugal, on achete la permission de faire gras les jours défendus : on est forcé de payer la taxe, ou la bulle de la Croisade, même quand on se conformeroit aux commandemens de l’Eglise, sans cela point d’absolution. L’usage de jeûner, & de s’abstenir de certains alimens, est venu des Egyptiens aux Juifs, & de ceux-ci aux Chrétiens & aux Mahométans. Les puissances, que les Catholiques Romains regardent comme hérétiques, sont presque les seules qui profitent de l’abstinence de la viande ; les Anglois leur vendent de la morue, & les Hollandois des harengs. N’est-il pas bien singulier, que les Chrétiens s’abstiennent de viande, abstinence qui n’est pas ordonnée nulle part dans le nouveau testament, tandis qu’ils ne s’abstiennnent point du sang, de boudin, & de la chair des animaux étouffés, qui sont absolument défendus par les Apôtres, & aussi sévérement que la fornification. Voyez les actes des Ap.ch.15.v.8.
  4. Dans presque tout l’univers, l’éducation des hommes est confiée à des prêtres. Il ne faut point être surpris, après cela, si l’ignorance, la superstition & le fanatisme s’éternisent. Chez les Protestans, ainsi que chez les Catholiques, les universités sont des établissemens purement sacerdotaux. Il sembleroit que les Européens ne veulent former que des moines.
  5. Pour peu qu’on lise l’histoire, on trouvera que les prêtres Chrétiens ont voulu se mêler de tout : l’église, en bonne mere, s’est mêlée de la coëffure, de l’habillement, de la chaussure de ses enfans. Dans le quinzieme siécle, elle étoit irritée contre les souliers pointus, que l’on pottoit alors, sous le nom de souliers à la poulaine. S. Paul, déjà de son tems, avoit décrié la frisure.
  6. Rien de plus barbare que les usages de l’Eglise Romaine, relativement aux mourans ; les sacremens font mourir plus de monde que les maladies & les médecins ; la frayeur ne peut que causer des révolutions fâcheuses dans un corps affoibli : cependant, la politique s’accorde avec la religion, pour maintenir ces usages cruels. A Paris, lorsqu’un médecin a rendu trois visites à un malade, l’ordonnance veut qu’il lui fasse administrer les sacremens.
  7. A l’aide du dogme du Purgatoire, & de l’efficacité des prieres de l’Eglise, pour en tirer, l’Eglise Romaine est souvent parvenue à dépouiller les familles des plus riches successions. Souvent les bons Chrétiens deshéritent leurs parens, pour donner à l’Eglise ; cela s’appelle faire son ame héritiere. Au concile de Basle, tenu en 1443, les Franciscains tâcherent de faire passer en dogme cette proposition : Beatus Franciscus, ex divino privilegio, quot annis in Purgatorium defcendit, suosque omnes in cœlum deducit. Mais ce dogme, trop favorable aux Cordeliers, fut rejetté par les Evêques. L’opinion de l’Eglise Catholique est, que les prieres pour les trépassés sont mises en masse commune. Dans ce cas, comme de raison, les plus riches font les frais.
  8. On fait que le Dairy, ou Pape des Japonois, a comme celui des Romains, le droit de canoniser, ou de faire des saints. Ces saint se nomment Camis au Japon.