Le Chevalier de Saint-Georges/Notice

H.-L. Delloye (1p. --vii).

NOTICE.


Roger de Beauvoir (Eugène) est né à Paris le 8 novembre 1809. Son père occupait aux finances, sous M. de Barbé-Marbois, la place de premier commis qui répond à la place actuelle de secrétaire général. Un commencement de disgrâce le relégua au poste de receveur général à Laon. Il acheva de perdre, à l’époque de la guerre d’Espagne, la faveur de Napoléon, et fut enfermé dans une prison d’État, où il resta jusqu’à la Restauration. La reine Hortense ne fut pas, dit-on, étrangère à cette mesure. Roger de Beauvoir, alors âgé de onze ans, fut d’abord placé chez les oratoriens, à Juilly ; de là il passa chez les jésuites, à Saint-Acheul. Il finit ses classes au collége de Henri IV. Éducation toute de contrastes comme l’esprit de l’élève, qui, au milieu de ses mouvemens fantasques, montrait déjà un goût dominant pour la poésie. Il préluda dès lors par des proverbes et des comédies, dont ses camarades ont gardé le souvenir, à un avenir littéraire qu’il ne prévoyait pas alors lui-même.

Ses parens le destinaient à la diplomatie. Sa mère (Mlle de Bully) avait depuis longtemps acquis l’estime du prince Jules de Polignac, dont son mari avait partagé la captivité. Quand son fils fut sorti du collége, elle le plaça sous la protection et le patronage du prince, alors ambassadeur en Angleterre. La révolution de 1830 dérangea les projets formés. Roger de Beauvoir renonça de lui-même à toute carrière politique et s’adonna à la littérature. Son premier ouvrage, l’Écolier de Cluny, parut en 1832. L’auteur voyageait alors en Italie : il ne put jouir du succès de son livre, dont plusieurs éditions furent enlevées en son absence. Il y a dans ce roman une belle empreinte de l’époque, un style chaud, coloré, des recherches très-profondes et plus sérieuses qu’on ne devait les attendre d’un homme aussi jeune. Mais ce qui le distingue surtout à travers une érudition quelque peu cléricale et indigeste, c’est la finesse des moyens et l’élégance de la forme. Cet ouvrage précéda de deux mois l’apparition de la Tour de Nesle et contribua peut-être à faire naître ce drame. Il est à remarquer, du reste, que presque tous les sujets traités par M. de Beauvoir dans les livres ou les revues ont éveillé l’attention et stimulé la convoitise de certains monopoleurs dramatiques.

Après le succès de son premier livre, l’Écolier de Cluny, Roger de Beauvoir se vit recherché bien vite par les publicateurs ; il travailla à plusieurs recueils périodiques, principalement à la Revue de Paris, où ses articles, ses nouvelles et particulièrement la chronique qu’il rédigeait alors furent véritablement remarqués. Il en fut de même de tous les journaux quotidiens auxquels il attacha son nom.

Son voyage en Hollande, voyage entrepris aux frais de la Revue de Paris et dans lequel il eut pour compagnon son ami Alphonse Royer, lui fournit le thème d’une foule d’observations piquantes qu’il recueillit en volume et qui servent d’introduction au livre de Ruysch. Ruysch est le sujet d’une nouvelle charmante, d’un ravissant tableau hollandais, qui consolida la réputation de l’auteur, déjà établie par les Soirs au Lido, le Pulcinella, le Café Procope, etc. Plus tard, l’Auberge des trois Pins[1], les Histoires Cavalières, et enfin le beau roman du Chevalier de Saint-Georges, traité par Roger de Beauvoir en livre et en comédie, le placèrent au rang de nos littérateurs les plus distingués. Il ne faut pas oublier la Cape et l’Épée recueil de poésies pleines de charme et de vivacité, broderie française et espagnole à la fois, qui n’a qu’un défaut, celui de n’avoir pas donné suite à quelque nouvelle composition de ce genre.

Roger de Beauvoir est essentiellement artiste : il comprend l’art dans toutes ses formes et dans toute sa portée. Son style est surtout cavalier et singulièrement piquant, il porte l’épée au côté et le plumet sur l’oreille. Il a fait une étude approfondie de deux siècles, du siècle de Henri IV et de celui de Louis XV : on ne peut mieux peindre le premier que dans René le Tueur, le second que dans le Café Procope et le Chevalier de Saint-Georges. Les habitudes, les meubles, les conversations oisives et pimpantes du dix-huitième siècle, Roger de Beauvoir les possède et les incruste dans une nouvelle avec un merveilleux tour d’habileté.

Roger de Beauvoir est certainement un des hommes du monde qui a le plus d’esprit ; sa conversation est un vrai feu d’artifice. Il n’y a point de circonstance un peu connue qui n’amène de sa part des mots étincelans de malice et d’à-propos. Il a composé des complaintes et des épigrammes qui feraient le divertissement de Paris si elles étaient connues ; mais l’auteur est de trop bonne compagnie pour livrer au public une galerie de portraits destinés à l’intimité. C’est dommage, ils pourraient servir à l’histoire contemporaine, tant ils sont ressemblans.

Parmi les gens de goût, on cite avec de grands éloges l’appartement de M. Roger de Beauvoir : il y a réuni les styles opposés de la renaissance et du dix-huitième siècle, dans ce qu’ils ont de plus recherché et de plus séduisant. Des tableaux de prix composent sa collection, où se lisent non-seulement les noms des peintres actuels, mais encore ceux des anciennes écoles. M. Roger de Beauvoir passe généralement pour un des lions de la littérature. Il a trop d’esprit pour accepter ce titre dans toute son étendue ; aussi n’y prête-t-il que juste assez pour être fort élégant, sans arriver au ridicule.

Voici la liste des principales feuilles où M. Roger de Beauvoir a disséminé des articles pleins de fantaisie et de verve :

La Revue de Paris, — la Mode, — l’Europe littéraire, — le Siècle, — l’Europe monarchique, — le Monde, — la Revue du XIXe siècle, — France et Europe, — le Journal des jeunes personnes, — le Messager, — l’Artiste, — la France littéraire, — le Figaro, — la Caricature, — le Vert-Vert, etc., etc.

Parmi les recueils périodiques où il a écrit, il faut compter de plus :

Le Salmigondis, — l’Italie pittoresque, — les Français peints par eux-mêmes, — le Diamant à dix facettes, etc., etc.

Les débuts de M. Roger de Beauvoir viennent d’être trop heureux au théâtre pour qu’il ne poursuive point cette voie où l’attend sans doute le succès.

Félicien MALLEFILLE.
  1. En société avec M. Alphonse Royer.