Le Chariot de terre cuite (trad. Regnaud)/Acte X

Traduction par Paul Regnaud.
(tome 4p. 45-98).


ACTE X


LA CONCLUSION


(La scène est occupée par Chârudatta qu’accompagnent deux chândâlas.)

Les deux Chândâlas. — « Allons ! attention au supplice qui se prépare, vous qui êtes amateurs des cortèges qui conduisent un homme à la mort ou en prison (1) ! Nous voici deux exécuteurs habiles à trancher la tête ou à empaler en peu de temps. »

Place ! place ! Messieurs. Ce condamné est Chârudatta ; « Il porte une guirlande de karavîra (2) ; il est en nos mains, aux mains des deux bourreaux ; il s’avance tout doucement vers sa fin comme une lampe qui va manquer d’huile. »

Chârudatta, avec abattement. — Ma figure est arrosée de mes larmes, mes membres sont couverts d’une poussière aride, mon corps est chargé de fleurs cueillies dans les cimetières (3) ; il est pareil à une offrande et les corbeaux (4) attendent (5) en poussant des croassements discordants (6) qu’il soit oint d’une couche de sang pour s’en repaître.

Les deux Chândâlas. — Place, Messieurs, place !

« Que voulez-vous voir ? Un honnête homme, — l’arbre où trouvaient un asile ces oiseaux qu’on appelle les gens de bien, — que vont frapper ceux qui portent la hache du dieu de la mort. »

Venez, Chârudatta, venez !

Chârudatta. — Faut-il, pour que je me voie tombé dans une pareille situation, que les vicissitudes auxquelles le destin soumet les hommes soient impossibles à prévoir !

« Tous mes membres sont couverts de marques de sandal rouge laissées par les mains (7) ; je suis saupoudré de bouillie et de farine (8) ; d’homme que j’étais, j’ai pris l’aspect d’un animal qu’on mène au sacrifice (9). »

(Il regarde devant lui.)

Ah ! Que de spectateurs de toutes conditions (10) !

« En me voyant dans cette terrible situation (11), la pitié s’éveille dans les cœurs et l’on déplore les misères de l’humanité (12) impuissants à me secourir, les citadins me souhaitent d’obtenir le ciel. »

Les deux Chândâlas. — Place, Messieurs ! place !

« Que voulez-vous voir ? Il y a quatre choses qu’on ne doit pas regarder : c’est Indra quand il fait vibrer son arc (13), une vache quand elle fait son veau, une planète quand elle change de mansion et un honnête homme quand il est sur le point de perdre la vie. »

Un des Chândâlas. — Regarde, Ahîntâ (14), regarde !

« Au moment où nous allons mettre à mort, sur l’ordre du destin, un homme qui est le premier de la ville, ne dirait-on pas que le ciel pleure ou que la foudre tombe sans qu’on voie de nuages ? »

Le deuxième Chândâla. — Non, Gohâ (15). « Le ciel ne pleure pas et la foudre n’a pas éclaté dans un ciel sans nuages ; le nuage (16) c’est cette foule de femmes et la pluie sont les larmes qui tombent de leurs yeux. »

« Tout le monde pleure en voyant emmener le condamné, et les larmes qu’on répand arrosent la route (17) et empêchent que la poussière ne se soulève. »

Chârudatta, dépeignant avec attendrissement le spectacle dont il est témoin.

« Ces femmes qui passent à demi la tête par les fenêtres (18) de leurs maisons pour me voir passer, répandent des ruisseaux de larmes en disant : « Hélas ! pauvre Chârudatta ! »

Les deux Chândâlas. — Venez, Chârudatta, venez ! voici la place où se font les publications. Il faut battre le tambour et annoncer la sentence.

Écoutez tous, écoutez ! — Cet homme est le seigneur Chârudatta, petit-fils du syndic Vinayadatta, fils de Sâgaradatta. Il a commis un grand crime en étouffant dans ses bras, afin de lui enlever ses bijoux, la courtisane Vasantasenâ qui était entrée dans le vieux jardin Pushpakarandaka, désert en ce moment. Il a été pris avec le produit de son vol (19), et convaincu sur ses propres dires. Nous avons en conséquence reçu du roi Pâlaka l’ordre de le supplicier. Quiconque se rendra coupable à l’avenir d’un crime pareil, réprouvé dans ce monde-ci et dans l’autre, sera puni également par le roi Pâlaka.

Chârudatta, à part, avec désespoir.

« Le nom de ma famille, purifié par des centaines d’oblations, était célébré autrefois dans l’enceinte solennelle des sacrifices (20) à l’aide des prières tirées des Védas et répétées maintes fois autour du feu sacré (21) ; mais maintenant, au moment où je vais mourir, ce nom est couvert indignement d’infamie dans une proclamation publique par des hommes appartenant à une caste abjecte (22). »

(Il lève les yeux au ciel en se bouchant les oreilles.) Ah ! Vasantasenâ !

« Toi, dont les dents ont l’éclat des purs rayons de la lune et dont les lèvres sont pareilles au corail brillant, faut-il qu’après avoir goûté l’ambroisie de ta bouche, je sois contraint de boire le poison du déshonneur ! »

Les deux Chândâlas. — Place, Messieurs, place !

« Le trésor où se trouvaient les perles de la vertu, le pont dont les gens de bien se servaient pour traverser l’infortune, le joyau de la ville, bien qu’il ne soit pas de métal précieux, lui (23) est enlevé aujourd’hui. »

Certes,

« Tout le monde ici-bas est bien disposé pour ceux qui sont dans la prospérité, mais on rencontre rarement quelqu’un pour prêter la main aux malheureux tombés dans l’infortune. »

Chârudatta, regardant tout autour de lui.

« J’aperçois des amis qui s’éloignent de moi en cachant leur visage dans le pan de leur manteau. Un ennemi même devient l’ami de l’homme qui se trouve dans une situation avantageuse, mais, quand on est en butte à l’adversité, on n’a plus d’amis. »

Les deux Chândâlas. — Il n’y a plus d’encombrement, et la grande route est libre ; il faut faire avancer le malheureux qui porte les insignes d’un condamné à mort.

Chârudatta, répète la stance qui commence par ces mots : Ah ! Maitreya ! quel coup me frappe, etc.

Voix dans la coulisse.. — Ah ! mon père ! Ah ! mon ami !

Chârudatta, d’une voix attendrie, après avoir prêté l’oreille. — O toi qui es le chef de ceux de ta caste (24), je te prie de m’accorder une faveur.

Les deux Chândâlas. — Accepterez-vous une faveur de la main d’hommes comme nous ?

Chârudatta. — Quelle honte ! Un pauvre chândâla se conduit avec plus de circonspection que le cruel Pâlaka. — Mon désir serait de voir le visage de mon fils pour passer dans l’autre monde.

Les deux Chândâlas. — Votre volonté sera faite.

Une voix dans la coulisse. — Ah ! mon père, mon père !

Chârudatta, avec attendrissement, après avoir prêté l’oreille. — Oh ! toi qui es le chef de ceux de ta caste, je te prie de m’accorder cette faveur.

Le premier Chândâla. — Qu’il vienne !

Le deuxième Chândâla. — Qu’il vienne !

Tous les deux. — Vous tous (25), faites place un instant pour que le seigneur Chârudatta puisse voir son fils. (En se tournant du côté de la coulisse.) Seigneur, par ici, par ici. Viens, enfant ! viens !

(Maitreya arrive sur la scène en amenant avec lui Rohasena.)

Maitreya. — Vite, vite (26) ! mon cher petit ; on emmène ton père au supplice.

Rohasena. — Ah ! mon père, mon pauvre père !

Maitreya. — Hélas ! mon ami, où pourrai-je vous revoir désormais ?

Chârudatta, apercevant son fils et son ami. — Mon fils ! Maitreya ! (Avec attendrissement.) Hélas !

« J’aurai soif longtemps dans l’autre monde ; bien faibles seront les offrandes d’eau et de nourriture qu’un enfant si jeune pourra faire à mes mânes (27). »

Que donnerai-je à mon fils ?

(Il jette les yeux sur lui et aperçoit son cordon brâhmanique.) Ceci est encore à moi.

« La parure des brâhmanes n’est pas faite avec des perles ni avec de l’or, mais grâce à elle (28) ils peuvent rendre aux dieux et aux mânes ce qui leur est dû. »

(Il donne à Rohasena son cordon brâhmanique.)

Un des Chândâlas. — Il faut avancer, Chârudatta, il faut avancer !

Le deuxième Chândâla. — Quoi ! Tu oses t’adresser au Seigneur Chârudatta sans faire précéder son nom d’un terme d’honneur (29) ?

Ah ! N’oublie pas que,

« En montant ou en descendant, de nuit comme de jour, le destin, pareil à une pouliche indomptée, poursuit sa voie sans encombre vers le but qu’il a en vue (30). »

D’ailleurs,

« Vaines sont les calomnies qui ont pour objet le seigneur Chârudatta (31), et l’on n’en doit pas moins courber la tête devant lui. Est-ce que la lune n’a pas droit au respect des hommes, même quand Râhu semble sur le point de la dévorer ? »

Rohasena. — Ah ! Chândâlas, où conduisez-vous mon père ?

Chârudatta. — Mon enfant,

« Je vais en ce moment au lieu du supplice (32) avec une guirlande de karavîra sur une épaule, le billot sur l’autre et le chagrin dans le cœur, comme un bouc amené à l’autel pour être offert en holocauste (33). »

Un des Chândâlas. — « Bien qu’issus d’une famille de chândâlas, nous ne sommes pas des chândâlas ; les chândâlas véritables, les méchants, sont ceux qui oppriment l’homme de bien. »

Rohasena. — Pourquoi allez-vous faire mourir mon père ?

Le Chândâla. — C’est l’ordre du roi ; la faute en retombe sur lui et non pas sur nous.

Rohasena. — Faites-moi mourir et rendez-lui la liberté.

Le Chândâla. — Un enfant qui parle ainsi mérite de vivre longtemps (34).

Chârudatta, qui embrasse son fils en pleurant.

« Voici (35) un trésor de tendresse, commun au pauvre et au riche, un collyre pour le cœur qui n’est fait ni de sandal ni d’ucira (36).

« Je vais en ce moment au lieu du supplice, etc. » (Comme plus haut.) (Regardant autour de lui ; — à part.)

« J’aperçois des amis qui s’éloignent de moi, etc. » (Comme plus haut.)

Maitreya. — Holà ! Braves gens, laissez partir tir mon ami et faites-moi mourir à sa place.

Chârudatta. — Qu’as-tu dit là ! (Regardant autour de lui, — à part.) Je croyais pourtant qu’on n’avait plus d’ami quand on était en butte à l’adversité. (Haut.)

« Ces femmes qui passent à demi la tête, etc. » (Comme plus haut.)

Le Chândâla. — Place, messieurs, place ! Que voulez-vous voir ?

« Un homme de bien qui, se trouvant livré au déshonneur, a perdu l’espoir de vivre ? C’est une cruche d’or s’engloutissant dans un puits quand on a coupé la corde à laquelle elle était suspendue. »

Chârudatta, avec attendrissement. — Ah ! Vasentasenâ !

« Toi dont les dents ont l’éclat, etc. » (Comme plus haut.)

Le deuxième Chândâla. — Il faut réitérer la publication de la sentence. (Le premier chândâla obéit et la répète dans les mêmes termes que plus haut.)

Chârudatta. — « L’infortune m’a plongé dans une situation ignominieuse dont le fruit est la mort que je vais subir. Mais ce qui blesse cruellement mon cœur dans cette publication, c’est d’entendre dire que je l’ai tuée (37). »

Sthâvaraka, apparaissant chargé de fers dans une tour du palais de Samsthânaka. (Après avoir écouté la proclamation avec étonnement.) — Quoi ! L’innocent Chârudatta va périr tandis que je suis couvert des chaînes dont mon maître m’a chargé ! Je n’ai qu’un moyen de le sauver, c’est d’attirer l’attention de la foule par mes cris. Holà ! Messieurs, écoutez, écoutez ! Par ma faute (38), Vasantasenâ s’est trompée de litière et a été conduite dans le vieux jardin Pushpakarandaka ; ensuite, mon maître, après lui avoir dit : « Tu ne veux pas m’aimer ? » l’a étouffée dans ses bras ; mais, croyez-moi, ce n’est pas le seigneur Chârudatta. Hélas ! Je suis trop éloigné et personne ne m’entend. Comment faire ? (Il réfléchit.) Il faut sauter à terre ; de cette manière, j’empêcherai que Chârudatta ne soit mis à mort. C’est cela ; je vais me précipiter de cette tour du palais (39) par le vieil œil-de-bœuf ; il vaut mieux qu’il m’arrive malheur qu’au seigneur Chârudatta, cet arbre qui sert de refuge à des oiseaux qui sont des fils de bonne famille. Si je meurs ainsi, j’irai tout droit au ciel. (Il saute.) Ah ! je ne me suis point fait mal et mes liens se sont brisés ! Maintenant, il me faut chercher le lieu où le chândâla fait sa proclamation. (Il regarde et se met en marche.) Holà ! chândâlas, place, place !

Les deux Chândâlas. — Eh bien ! Qui est-ce qui dit de faire place ?

Sthâvaraka. — Écoutez ! (Il recommence le récit qu’il vient de faire.)

Chârudatta. — « Ah ! Quel est cet homme qui, au moment où ma tête est passée dans la corde du dieu de la mort, arrive pareil à un nuage versant la pluie à flots sur les moissons que dévore la sécheresse ? »

Vous l’avez entendu !

« Comme ce n’est pas la mort qui m’effraie, mais seulement la souillure qu’avait reçue ma réputation, maintenant que le déshonneur est effacé, le trépas est semblable pour moi à la naissance d’un fils. »

D’ailleurs,

« J’ai été frappé d’un trait trempé dans le poison de la calomnie par un être vil, à l’intelligence étroite, qui me hait sans que je lui en aie donné le motif (40). »

Les deux Chândâlas. — Dis-tu la vérité, Sthâvaraka ?

Sthâvaraka. — Sans doute ; et c’était pour que je ne parle de cela à personne que mon maître m’a fait charger de chaînes et jeter dans la tour de son palais.

Samsthânaka, arrivant sur la scène d’un air joyeux. — « Je viens de manger dans mon palais du riz (41) avec de la viande, des condiments, de la sauce, du poisson et du riz au sucre (42). »

(Prêtant l’oreille.) Mais j’entends la voix des chândâlas, grinçante comme le son des cymbales fêlées (43), ainsi que le roulement funèbre des tambours (44) annonçant les condamnations à mort ; j’en conclus qu’on conduit Chârudatta, l’indigent, au lieu du supplice. Voyons cela ! Le spectacle de la mort (45) d’un ennemi donne au cœur un grand contentement. J’ai entendu dire que si l’on est témoin de la mort de son ennemi, on n’a pas mal aux yeux dans une autre naissance. C’est bien moi, d’ailleurs, qui cause la mort de Chârudatta, l’indigent ; je suis comme un ver qui ayant pénétré dans ses entrailles y exercerait les effets du poison. Je ferais bien, par conséquent, de monter sur l’esplanade de mon palais pour avoir le spectacle du résultat de ma prouesse. (Il fait ce qu’il vient de dire.) Oh (46) ! comme on se presse (47) pour voir conduire au supplice Chârudatta, l’indigent. Quelle foule y aurait-il donc s’il s’agissait de mèner à la mort (48) un personnage distingué et de haut rang comme moi ? (Examinant avec attention.) Il est paré comme un jeune taureau et on lui fait prendre le chemin du sud. Mais pourquoi la proclamation qui était faite au pied de la tour de mon palais a-t-elle cessé ? Pourquoi a-t-elle été interrompue ? (Il regarde autour de lui.) Tiens ! Sthâvaraka n’est plus là. Pourvu qu’il n’aille pas trahir mon secret maintenant qu’il est parti ! Il faut courir à sa recherche.

(Il descend et s’avance sur la scène.)

Sthâvaraka, regardant. — Voici mon maître qui vient.

Les deux Chândâlas. — « Écartez-vous ! laissez le chemin libre ! fermez la porte ! soyez silencieux ! L’homme qui s’avance est pareil à un taureau furieux auquel l’arrogance tient lieu de cornes pointues. »

Samsthânaka. — Holà ! Place, place ! (S’approchant.) Sthâvaraka, mon enfant, mon petit esclave, il faut venir avec moi.

Sthâvaraka. — Malheureux ! Vous n’êtes donc pas satisfait d’avoir tué Vasantasenâ, que vous avez pris maintenant la résolution de faire périr le seigneur Chârudatta, cet arbre kalpa (49) des amants ?

Samsthânaka. — Moi qui suis pareil à une cruche de bijoux, j’aurais tué cette femme (50) ?

Tous. — Oui, c’est vous qui l’avez tuée, et non pas Chârudatta.

Samsthânaka. — Qui ose dire cela ?

Tous, montrant Sthâvaraka. — Cet honnête homme.

Samsthânaka, à part, avec crainte.Ciel ! Pourquoi ne pas avoir mieux enchaîné cet esclave qui a été témoin du crime ? (Il réfléchit.) Oui, voilà ce qu’il faut faire. (Haut.) C’est une imposture, Messieurs ; j’ai surpris cet esclave à voler de l’or (51) ; je l’ai battu, roué de coups et chargé de chaînes (52) : de là son ressentiment. Comment pourrait-on croire à la vérité de tout ce qu’il dit ? (Il offre en cachette un bracelet à Sthâvaraka et lui dit brusquement (53).) Tiens ! Sthâvaraka, mon enfant, prends ceci et démens ce que tu as dit.

Sthâvaraka, qui a pris le bracelet. — Voyez, Messieurs, il cherche à me corrompre en m’offrant de l’or.

Samsthânaka, lui arrachant le bracelet. — C’est précisément le bijou pour le vol duquel je l’ai fait enchaîner. (Avec colère.). Braves chândâlas ! Je lui avais confié la garde de la chambre où se trouvent mes objets précieux et il m’a volé de l’or. Je l’ai battu et roué de coups ; si vous en doutez, regardez son dos.

Les deux Chândâlas, après avoir regardé.Ces stigmates parlent éloquemment ; quand on corrige un esclave, on allume en lui le feu de la colère (54).

Sthâvaraka. — Hélas ! quoique je dise la vérité, je dois à ma condition d’esclave de n’inspirer de confiance à personne (55). (Avec attendrissement.) Seigneur Chârudatta, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous. (Il se jette à ses pieds.)

Chârudatta. — « Relève-toi, généreux esclave, qui compatis aux malheurs d’un homme de bien et qui remplis à mon égard les devoirs d’un parent, sans que j’aie rien fait pour le mériter ; tous tes efforts pour me sauver sont vains, car le destin ne les approuve pas (56). Et, cependant, que n’as-tu pas fait aujourd’hui pour moi ? »

Les deux Chândâlas. — Seigneur, puisque cet esclave a été châtié, renvoyez-le.

Samsthânaka. — Allons, va-t’en (57) ! (Il s’en va.) Quant à vous, chândâlas, pourquoi tardez-vous à procéder à l’exécution ?

Les deux Chândâlas. — Si vous êtes pressé, remplissez vous-même l’office de bourreau.

Rohasena. — Chândâlas, faites-moi mourir et laissez partir mon père.

Samsthânaka. — Faites-le mourir avec l’enfant.

Chârudatta. — Tout est possible avec ce fou. Va-t’en, mon enfant ; retourne auprès de ta mère.

Rohasena. — Que faudra-t-il faire après que je serai parti ?

Chârudatta. — « Tu te retireras aujourd’hui même, ô mon fils, avec ta mère dans un hermitage (58), afin de ne pas porter dans le monde le poids du crime imputé à ton père » (59).

Ami, emmène-le.

Maitreya. — Hélas ! mon ami ; vous croyez donc que je pourrai vivre sans vous ?

Chârudatta. — Mon ami, tu es libre de vivre et tu agirais mal (60) en t’ôtant l’existence.

Maitreya, à part. — J’agirais mal, et cependant je ne pourrai pas supporter la vie quand je n’aurai plus mon ami. Je vais donc remettre cet enfant à sa mère, puis j’irai retrouver Chârudatta en mettant fin à mes jours.

(Haut.) Mon ami, je reconduis promptement Rohasena. (Il passe ses bras autour du cou de Chârudatta et se jette à ses pieds avec Rohasena en larmes.)

Samsthânaka. — Hé bien ! N’ai-je pas dit qu’il fallait mettre à mort le père et le fils en même temps ?

(Chârudatta manifeste de l’effroi.)

Un des Chândâlas. — L’ordre du roi ne porte pas que nous fassions mourir son fils avec lui. Va-t’en, enfant, va-t’en !

(Ils font partir Rohasena et Maitreya.) Voici l’endroit où doit avoir lieu la troisième proclamation ; battez le tambour !

(Ils réitèrent la proclamation.)

Samsthânaka, à part. — C’est étonnant. Les habitants de la ville (61) ont l’air de ne pas y croire. (Haut.) Eh bien ! Chârudatta, le beau parleur (62), les citadins ne croient pas à ton crime ; dis-leur donc de ta propre bouche : « C’est moi qui ai tué Vasantasenâ. » (Chârudatta reste silencieux.) Vous voyez, chândâlas (63), cet homme ne veut rien dire (64). Faites-le parler en le frappant à coups redoublés avec le morceau de bambou fendu qui vous sert à battre le tambour (65).

Un des Chândâlas, se préparant à le frapper. — Allons, Chârudatta, parlerez-vous ?

Chârutta, d’une voix gémissante. — « Dans ma chute au milieu de cet océan de misères, mon âme n’éprouve ni frayeur, ni découragement. Mais il est un feu qui me dévore, c’est de penser au blâme dont je serai l’objet et qu’on puisse dire que j’ai tué celle qui m’est si chère. »

(Samsthânaka le presse de nouveau de faire des aveux.)

« Oh ! mes concitoyens, je suis un homme cruel qui ne tient compte ni de ce monde-ci ni de l’autre, et c’est par moi qu’une femme, la Volupté en personne… Cet homme dira le reste. »

Samsthânaka — … a été tuée.

Chârudatta. — Soit.

Un des Chândâlas. — C’est à ton tour d’exécuter le condamné (66).

Le deuxième Chândâla. — Non pas, c’est au tien.

Le premier Chândâla. — Hé bien ! Comptons. (Il fait un calcul.) Si c’est à mon tour d’être l’exécuteur (67), Chârudatta aura un instant de répit (68).

Le deuxième Chândâla. — Pourquoi ?

Le premier Chândâla. — Mon père en partant pour le ciel m’a dit : « Vîraka, mon enfant, quand ce sera à ton tour de mettre à mort un condamné (69), n’y apporte pas de précipitation. »

Le deuxième Chândâla.. — Et pourquoi ?

Le premier Chândâla. — Parce qu’il peut arriver qu’un brave homme donne de l’argent pour délivrer le condamné ; ou bien qu’il naisse un fils au roi et qu’à cette occasion (70) il fasse grâce à tous les condamnés à mort ; ou bien qu’un éléphant brise ses liens et que dans la confusion qui s’ensuit le condamné puisse s’échapper ; ou bien, enfin, qu’il y ait changement de roi et qu’il en résulte une amnistie générale.

Samsthânaka. — Qu’est-ce, qu’est-ce ? un changement de roi (71) !

Un des Chândâlas. — Nous calculons (72) à qui est le tour de frapper le condamné.

Samsthânaka. — Voyons ! qu’on se dépêche de mettre à mort Chârudatta. (Il se retire à l’écart avec Sthâvaraka dont il s’est saisi.)

Un des Chândâlas. — Seigneur Chârudatta, c’est l’ordre du roi qu’on peut incriminer et non pas nous, pauvres chândâlas que nous sommes. Réfléchissez à ce dont vous pouvez avoir à vous rappeler.

Chârudatta. — « Si la vertu l’emporte en ce monde (73), j’espère que la souillure dont les calomnies d’un méchant et la complicité du sort (74) m’ont couvert aujourd’hui sera lavée un jour, grâce à l’initiative spontanée de Vasantasenâ, soit qu’elle habite le séjour du maître des dieux ou quelque part ici-bas (75). »

Hé bien ! Où dois-je aller maintenant ?

Un des Chândâlas. — (Lui indiquant une place qui se trouve devant eux.) Voilà l’endroit ; c’est le cimetière du sud. Les condamnés à mort qui l’aperçoivent n’ont plus longtemps à vivre. Voyez, voyez.

« Ce supplicié dont le cadavre est à moitié déchiré par les grands chacals, tandis que l’autre moitié reste fixée au pal, où l’on dirait qu’elle grimace un rire (76). »

Chârudatta. — Hélas ! malheureux que je suis, je vais mourir ! (Il s’assied consterné.)

Samsthânaka. — Je ne m’en irai pas avant d’avoir vu mourir Chârudatta. (Il s’avance et regarde.) Quoi ! il est assis ?

Un des Chândâlas. — Est-ce que vous avez peur, Chârudatta ?

Chârudatta, se relevant vivement. — Fou !

« Ce n’est pas la mort qui m’effraie, etc. » (Comme plus haut.)

Un des Chândâlas. — Seigneur Chârudatta, le soleil et la lune éprouvent des adversités dans la plaine du ciel qu’ils parcourent et, à plus forte raison, les peuples et les hommes qui ont à trembler en ce monde devant la mort. Tel qui existait s’anéantit et tel qui était anéanti revient à la vie. Il y a comme changement de vêtement dans l’existence et l’anéantissement successifs du corps (77). En pénétrant votre cœur de ces pensées, vous vous fortifierez. (À son compagnon.) C’est ici que doit avoir lieu la quatrième proclamation ; il faut la faire. (Publication est faite de la proclamation.)

Chârudatta. — Ah ! Vasantasenâ,

« Toi dont les dents ont l’éclat, etc. » (Comme plus haut.) (Le religieux mendiant et Vasantasenâ arrivent précipitamment sur la scène.)

Le religieux mendiant. — Ah ! c’est une faveur pour moi de pouvoir accomplir mes pieuses excursions en servant de conducteur à Vasantasenâ après qu’elle s’est remise de ses fatigues et de ses émotions. Servante de Buddha, où dois-je vous mener ?

Vasantasenâ. — Dans la demeure du seigneur Chârudatta. Réjouissez-moi de sa vue, qui est pour moi ce que la lune est au lotus.

Le religieux mendiant, à part. — Lequel prendre de ces deux chemins ? (Il réfléchit.) Suivons la grande route. Venez, servante de Buddha, venez ! voici la grande route (78). (Prêtant l’oreille.) Qu’est-ce donc qui donne lieu à cette grande rumeur que l’on entend sur la route royale ?

Vasantasenâ, examinant ce qui se passe devant elle. — Ah ! voilà un grand rassemblement devant nous ! Voyez donc, Seigneur, ce que cela peut être. Ujjayinî penche d’un côté comme la terre quand elle est chargée d’un poids inégal.

Un des Chândâlas. — Voici le dernier endroit où doit avoir lieu la proclamation ; battez donc le tambour et faites connaître les termes de la sentence. (La proclamation a lieu.) Prenez patience (79), Chârudatta, et n’ayez pas peur ; votre supplice ne durera pas longtemps.

Chârudatta. — Dieux adorables, je vous implore !

Le religieux mendiant, après avoir écouté d’une voix troublée par l’émotion. — Servante de Buddha, on dit que vous avez été assassinée par Chârudatta, et on le conduit au supplice.

Vasantasenâ, terrifiée. — Ciel ! Quelle horrible chose m’annoncez-vous là ? Malheureuse que je suis, le seigneur Chârudatta va subir la mort à cause de moi ! Vite, vite ! Montrez-moi le chemin.

Le religieux mendiant. — Courez, courez ! servante de Buddha, ranimer le seigneur Chârudatta, pendant qu’il vit encore. Messieurs, faites place, faites place !

Vasantasenâ. — Place, place !

Un des Chândâlas. — Seigneur Chârudatta, la responsabilité de ceci retombe sur le roi ; ce sont ses ordres que nous allons exécuter. Réfléchissez à ce dont vous pouvez avoir à vous rappeler.

Chârudatta. — À quoi bon de longs discours ?

« Si la vertu l’emporte en ce monde, etc. » (Comme plus haut.)

Un des Chândâlas, tirant son épée. — Seigneur Chârudatta, tenez-vous bien raide, ne bougez pas et d’un seul coup nous mettrons fin à vos jours et nous vous enverrons au ciel. (Chârudatta suit les prescriptions qui lui sont données.)

Un des Chândâlas, auquel le glaive tombe des mains quand il est sur le point de frapper. — Comment cela se fait-il (80) ?

« J’avais tiré mon glaive avec vigueur, je le tenais aux deux mains et pourtant cette arme terrible est tombée à terre comme la foudre. »

C’est un signe, j’imagine, que le seigneur Chârudatta ne doit pas périr. Déesse qui habites sur le mont Sayha (81), sois clémente, je t’en supplie. Si Chârudatta était sauvé, tous les chândâlas se considéreraient comme favorisés par toi.

Le deuxième Chândâla. — Il faut exécuter l’ordre que nous avons reçu.

Le premier Chândâla. — Soit ; mettons-nous à l’œuvre. (Ils prennent tous deux Chârudatta pour le poser sur le billot.)

Chârudatta. — « Si la vertu l’emporte en ce monde, etc. » (Comme plus haut.)

Le religieux mendiant et Vasantasenâ, qui viennent d’apercevoir Chârudatta. — Seigneurs, arrêtez, arrêtez ! Me voici ! voici la malheureuse à cause de laquelle vous allez mettre à mort cet innocent.

Un des Chândâlas, s’arrêtant pour regarder. — « Quelle est cette femme, dont la chevelure tombe sur les épaules, qui accourt ici en hâte et nous crie en levant les bras au ciel : « Arrêtez, arrêtez ! »

Vasantasenâ. — Seigneur Chârudatta, que se passe-t-il donc ? (Elle tombe sur son sein.)

Le religieux mendiant. — Seigneur Chârudatta, qu’y a-t-il donc ? (Il se jette à ses pieds.)

Un des Chândâlas, avec stupéfaction. — Quoi ! voilà Vasantasenâ ! Nous ne ferons certes pas périr cet homme de bien.

Le religieux mendiant, se relevant. — Vive Chârudatta !

Le Chândâla. — Puisse-t-il vivre cent ans !

Vasantasenâ, avec joie. — Je reviens à la vie (82).

Le Chândâla. — Il faut faire connaître cet événement (83) au roi qui se trouve en ce moment sur la place des sacrifices. (Les chândâlas s’en vont.)

Samsthânaka, apercevant avec effroi Vasantasenâ. — Ciel ! Comment cette fille d’esclaves a-t-elle pu revenir à la vie ? Je me sens défaillir ; il faut me sauver. (Il s’enfuit.)

Un des Chândâlas (84). — Est-ce que l’ordre du roi ne porte pas que nous devons mettre à mort l’assassin de cette courtisane (85) ? Il faut nous mettre à la poursuite du beau-frère du roi. (Ils s’en vont.)

Chârudatta, avec surprise. — « Quelle est cette femme, survenue comme une pluie abondante tombant sur les moissons qui périssent par l’effet de la sécheresse, au moment où l’épée était levée sur ma tête et où je me trouvais déjà dans les mâchoires de la mort ? »

(Regardant à côté de lui.)

« Quoi ! une autre Vasantasenâ arrivant du ciel ? Mon esprit, jouet d’une illusion, s’imagine-t-il seulement la voir, ou bien ne serait-elle pas morte ?

« Est-elle descendue du ciel pour me sauver la vie (86) ? Ou bien est-ce quelque autre femme ayant revêtu une forme semblable à la sienne ? »

Vasantasenâ, se relevant en larmes, puis tombant à ses pieds. — Seigneur Chârudatta, c’est bien moi la coupable Vasantasenâ, moi la cause de la situation imméritée dans laquelle vous vous trouvez.

Une voix derrière la scène. — Miracle, miracle ! Vasantasenâ est encore vivante. (Toute la foule répète cette exclamation.)

Chârudatta se relève vivement après ce qu’il vient d’entendre et la touche avec transport en fermant les yeux. — Chère Vasantasenâ, c’est bien vous !

Vasantasenâ. — Oui, c’est bien la malheureuse Vasantasenâ.

Chârudatta, la regardant délicieusement. — Est-ce possible ? (Avec transport.)

« D’où êtes-vous venue, vous dont les seins sont baignés d’une rosée de larmes, pour me ressusciter comme un merveilleux élixir (87) au moment où je tombais au pouvoir de la mort ? »

Chère Vasantasenâ !

« Ce corps, prêt à périr à cause de vous, vient d’être sauvé par vous. Ah ! puissance de l’union des amants ! Elle rendrait un mort à la vie (88). »

Vois ! ma bien-aimée,

« Ce vêtement rouge et cette guirlande ; insignes du condamné à mort. Ne dirait-on pas maintenant les parures d’un fiancé à l’arrivée de sa fiancée ? Et ces roulements du tambour funèbre ne peuvent-ils pas passer pour les bans joyeux égayant la cérémonie de notre mariage (89) ? »

Vasantasenâ. — Dites-moi donc (90). Seigneur, ce que vous avez fait dans votre excès de bonté (91) ?

Chârudatta. — Je vous avais assassinée, chère amie, disait

« Un puissant ennemi (92) qui me hait de longue date et qui m’a presque (93) précipité en enfer. »

Vasantasenâ, se bouchant les oreilles. — Horreur ! C’est lui, ce misérable., qui a voulu me tuer.

Chârudatta, montrant le religieux mendiant. — Quel est cet homme ?

Vasantasenâ. — L’indigne Samsthânaka m’avait ôté la vie, ce digne homme me l’a rendue.

Chârudatta. — Qui êtes-vous donc, vous qui agissez comme un ami sans qu’on vous en ait donné le sujet ?

Le religieux mendiant. — Vous ne me reconnaissez pas, Seigneur ? Sous le nom de Samvâhaka (94), j’ai exercé auprès de vous le métier de masseur. Tombé entre les mains de joueurs envers lesquels je ne pouvais m’acquitter, j’ai été racheté au moyen d’un bijou (95) par cette servante de Buddha, parce que j’avais été à votre service. Dégoûté du jeu, je me suis fait religieux buddhiste. Quant à Vasantasenâ, étant venue au vieux jardin Pushpakarandaka, dans une litière qu’elle avait prise pour une autre, elle a été étranglée par les mains de ce misérable Samsthânaka, parce que, disait-il, elle avait fait trop peu de cas de lui.

Une voix derrière la scène, qu’accompagne un grand bruit. — « Victoire à Vrishabaketu (Çiva) le destructeur du sacrifice de Daksha (96) ! Victoire ensuite au dieu vainqueur aux six visages, l’ennemi de Krauncha (97) ! Victoire aussi à Aryaka qui a détruit ses ennemis et qui a soumis toute la terre — la planète qui a le Kailasa étincelant pour pavillon ! »

Çarvilaka, arrivant précipitamment sur la scène. — « J’ai tué Pâlaka, le mauvais prince, et je me suis hâté de faire sacrer Aryaka, à sa place ; il me reste (98) à accomplir l’ordre dont il m’a confié l’exécution. Je vais délivrer Chârudatta des malheurs dans lesquels il est tombé.

« Aryaka s’étant défait d’un adversaire abandonné par son armée et par ses amis (99), et ayant, grâce à sa puissance, rassuré ses concitoyens (100), a obtenu l’empire du monde entier ; il s’est emparé du royaume de son ennemi comme du séjour où règne Indra (101) »

(Regardant devant soi.) Voyons ! Chârudatta (102) doit se trouver là-bas où j’aperçois ce rassemblement. Puissent les premiers exploits (103) du roi Aryaka avoir pour résultat de sauver Chârudatta ! (Il s’avance en hâte.) Arrière les flâneurs (104) ! (Regardant d’un air joyeux.) Ah ! Chârudatta est encore en vie ; il est accompagné de Vasantasenâ ! Les vœux de notre maître (105) sont accomplis.

« Bonheur ! Il a atteint l’autre bord de l’océan de calamités dans lequel il était tombé ; je l’aperçois de loin sauvé par sa bien-aimée, comme par un navire (106) gréé avec la vertu et ayant pour provisions les meilleures qualités. Il jette de nouveau un radieux éclat, comme la lune après une éclipse. »

Mais comment l’aborder, moi qui suis un si grand coupable ? Allons, pourtant ; la franchise (107) est toujours bien venue. (Il s’approche en joignant les mains.) Seigneur Chârudatta !

Chârudatta. — Qui êtes-vous ?

Çarvilaka. — « Celui qui a fait une brèche dans votre maison et enlevé le dépôt qui vous avait été confié. J’ai commis une faute capitale (108) et je viens implorer votre pardon. »

Chârudatta. — Ne dites pas cela, mon ami ! Vous m’avez montré par là de la bienveillance. (Il lui jette les bras autour du cou.)

Çarvilaka. — Alors (109), écoutez !

« Le noble Aryaka, vengeant sa famille et son honneur par un noble exploit, a immolé le pervers Pâlaka, comme une victime, au pied de l’autel du sacrifice. »

Chârudatta. — Que dites-vous ?

Çarvilaka. — « L’homme (110) qui a pris place autrefois dans votre litière et qui s’était placé sous votre protection, vient d’immoler Pâlaka, comme un animal destiné aux dieux, pendant qu’il accomplissait un sacrifice. »

Chârudatta. — Çarvilaka, n’est-ce pas Aryaka que Pâlaka avait fait arrêter dans son étable et jeter sans motif dans une prison dont vous l’avez délivré ?

Çarvilaka. — C’est comme vous le dites, Seigneur.

Chârudatta. — J’en éprouve un grand plaisir.

Çarvilaka. — Votre ami Aryaka a eu pour premier souci de vous déléguer (111) la souveraineté sur la ville de Kuçavatî (112) dépendant d’Ujjayinî, sur les bords de la Venâ (113). Vous accueillerez avec plaisir, j’espère, ce premier témoignage d’attachement qu’il vous donne. (Se détournant.) Holà ! Qu’on amène ici le beau-frère du roi, ce libertin criminel.

Une voix derrière la scène. — L’ordre de Çarvilaka va recevoir son exécution.

Çarvilaka. — Seigneur, le roi Aryaka a recommandé qu’on vous dise ceci : « Jouissez de ce royaume que je dois à vos services (114). »

Chârudatta. — C’est à ses propres mérites qu’il le doit.

Une voix derrière la scène. — Voici Samsthânaka. Viens, viens ! recevoir le prix de ta perversité.

(Samsthânaka apparaît sur la scène maintenu par quelques hommes ; il a les mains liées derrière le dos.)

Samsthânaka. — Hélas ! « Je m’étais enfui au loin, comme un âne qui a brisé ses liens, et voilà que je suis ramené chargé de chaînes, comme un chien malfaisant. »

(Regardant autour de lui.) Ces gens dont je suis le prisonnier m’entourent de tous côtés. Où trouver un refuge dans ma détresse ? (Il réfléchit.) Soit ; je vais implorer la protection (115) de cet homme qui ne la refuse jamais à ceux qui la sollicitent. (S’avancant vers Chârudatta.) Seigneur Chârudatta, protégez-moi ! protégez-moi ! (Il tombe à ses pieds.)

Voix derrière la scène. — Seigneur Chârudatta, livrez-le-nous ; nous voulons le tuer.

Samsthânaka. — Protégez-moi, vous le refuge de ceux qui n’ont pas de refuge !

Chârudatta, avec commisération. — Sécurité, sécurité ! pour qui se place sous ma protection.

Çarvilaka, avec emportement. — Qu’on l’enlève d’auprès de Chârudatta. (À Chârudatta.) Eh bien ! Dites ce qu’il faut faire de ce criminel (116).

« Je suis d’avis qu’après l’avoir garrotté solidement on le fasse dévorer par les chiens, ou qu’on l’empale, ou qu’on le coupe en morceaux avec la scie. »

Chârudatta. — Fera-t-on ce que je dirai ?

Çarvilaka. — Sans doute.

Samsthânaka. — Seigneur Chârudatta, je me suis placé sous votre protection, sauvez-moi, sauvez-moi ! Prenez une résolution conforme à votre caractère ; je ne recommencerai plus (117).

Voix de citadins derrière la scène. — Il faut le tuer. Pourquoi laisser vivre un criminel comme lui ?

(Vasantasenâ prend la couronne de condamné à mort que Chârudatta porte au cou et la jette sur Samsthânaka.)

Samsthânaka. — Apaise-toi, fille d’esclave, je n’essayerai plus de te faire mourir ; protège-moi !

Çarvilaka. — Allons ! emmenez-le ! Seigneur Chârudatta, dites ce qu’il faut faire de ce misérable.

Chârudatta. — Fera-t-on ce que je dirai ?

Çarvilaka. — Bien certainement !

Chârudatta. — C’est sûr ?

Çarvilaka. — Absolument sûr.

Chârudatta. — S’il en est ainsi, qu’on se hâte…

Çarvilaka. — De le tuer ?

Chârudatta. — Non pas, non pas — de le mettre en liberté.

Çarvilaka. — Hé ! pourquoi ?

Chârudatta. — « On (118) ne doit pas frapper du glaive l’ennemi dont on a à se plaindre, quand il s’est jeté à vos pieds et qu’il a imploré votre protection.

Çarvilaka. — Eh bien ! qu’on le fasse dévorer par les chiens.

Chârudatta. — Non pas, non pas ! Le seul châtiment à lui infliger est un bienfait. ».

Çarvilaka. — Seigneur, je vous admire… Dites ce qu’il faut faire.

Chârudatta. — Le mettre en liberté.

(On laisse Samsthânaka en liberté.)

Samsthânaka. — Ciel ! Je suis rendu à la vie !

(Il sort avec les hommes qui l’avaient amené.)


On (119) entend un grand bruit dans la coulisse, puis une voix qui s’écrie :

Hélas ! l’épouse de Chârudatta, après s’être lavé les pieds et avoir repoussé son fils qui s’attachait à ses vêtements, va monter, les joues couvertes des larmes abondantes qui tombent de ses yeux, sur le bûcher qu’elle a fait allumer.

Çarvilaka, prêtant l’oreille et regardant du côté de la coulisse. — Quoi ? Chandanaka ! Qu’ya-t-il, Chandanaka ?

Chandanaka, se présentant sur la scène. — Vous ne voyez pas, Seigneur, cette foule considérable qui se trouve rassemblée au sud du palais du roi ? J’ai bien dit à l’épouse de Chârudatta : « Madame, ne précipitez rien, votre mari est sauvé. » Mais quand on est en proie (120) au chagrin, on n’écoute, on ne croit personne.

Chârudatta, vivement ému. — Ah ! chère épouse, comment peut-elle prendre une pareille résolution du moment où j’ai la vie sauve ?

(Il lève les yeux au ciel et pousse un long soupir.) Hélas ! aimable épouse,

« Si tu ne veux plus rester sur cette terre et continuer d’y pratiquer tes vertus, tu ne saurais pourtant goûter le bonheur de l’autre monde, tout en restant fidèle à tes devoirs envers moi, en m’abandonnant ici-bas (121). » (Il s’évanouit.)

Çarvilaka. — Ah ! quelle conjoncture difficile !

« Là-bas les événements se précipitent (?) (122), ici Chârudatta est évanoui. De tous côtés, hélas ! nos efforts menacent de rester inféconds. »

Vasantasenâ. — Revenez à vous. Seigneur, et courez auprès de votre épouse pour lui sauver la vie. Autrement, un grand malheur peut être le résultat de votre faiblesse.

Chârudatta, reprenant connaissance et se relevant précipitamment . — Chère amie, où es-tu ! Réponds-moi, je t’en prie.

Chandanaka. — Par ici, par ici, Seigneur. (Ils s’en vont tous.)

(On voit apparaître alors, dans l’attitude qui a été décrite, l’épouse de Chârudatta avec Rohasena qui tire le bord de sa tunique, suivi de Maitreya et de Radanikâ.)

La femme de Chârudatta, pleurant. — Laisse-moi, mon enfant, ne mets pas d’obstacles à l’exécution de mon dessein ; je crains d’avoir à entendre les reproches de mon seigneur. (Elle dégage sa tunique de son étreinte et s’avance vers le bûcher.)

Rohasena. — Ah ! ma mère, pensez à moi. Sans vous il m’est impossible de supporter la vie. (Il se précipite vers elle et reprend le bord de sa tunique.)

Maitreya. — Madame, arrêtez (122) ! Les rishis considèrent comme un péché que l’épouse d’un brahmane monte (123) seule sur un bûcher (124).

La femme de Chârudatta. — J’aime mieux commettre un péché que d’avoir à entendre les reproches de mon seigneur.

Çarvilaka, regardant devant lui. — Hâtons nous ; votre épouse est arrivée au pied du bûcher.

(Chârudatta accourt à toutes jambes.)

La femme de Chârudatta. — Radanikâ, prends l’enfant pendant que je monterai sur le bûcher.

Radanikâ. — Je l’encouragerai, au contraire, à ne pas vous quitter (125).

La femme de Chârudatta, regardant Maitreya. — Seigneur, prenez-le, vous.

Maitreya, avec trouble. — Il est de règle qu’un brahmane monte le premier sur le bûcher pour le consacrer. Aussi, Madame, vais-je vous montrer le chemin.

La femme de Chârudatta. — Quoi ! deux personnes pour me contredire ? Mon enfant, conserve-toi pour apporter à tes parents l’huile et l’eau… Tu n’as plus de père pour t’élever.

Chârudatta, prêtant l’oreille ; puis s’avançant en hâte. — Si, je l’élèverai. (Il prend l’enfant dans ses bras et le presse contre sa poitrine.)

La femme de Chârudatta, regardant. — Ciel ! la voix de mon seigneur ! C’est bien lui ! Que je suis heureuse ! que je suis heureuse !

Rohasena, le considérant avec joie. — Quoi ! mon père qui m’embrasse ? (Exprimant de nouveau la joie par ses regards.) Ma mère, soyez heureuse ; il sera là pour m’élever.(Il lui rend ses caresses.)

Chârudatta, à son épouse. — « Ah ! quelle cruelle résolution avez-vous prise pendant que votre cher (126) époux vit encore ? Le lotus ferme-t-il ses yeux (127) avant que le soleil ne soit couché ? »

La femme de Chârudatta. — Seigneur, c’est pour cela que, tout insensible qu’il est, le lotus reçoit les caresses.

Maitreya, jetant des regards joyeux sur Chârudatta. — Quoi ! c’est mon ami que mes yeux aperçoivent ? Puissance d’une épouse fidèle ! Sa résolution de monter sur un bûcher nous a ramené notre ami. (Se tournant vers Charudatta.) Vive ! vive mon ami Chârudatta !

Chârudatta. — Viens, Maitreya. (Il l’embrasse.)

Radanikâ. — Ah ! heureuse réunion (128) ! Seigneur, je vous salue. (Elle tombe aux pieds de Chârudatta.)

Chârudatta, lui mettant la main sur l’épaule. — Radanikâ, relève-toi. (Il la fait relever.)

La femme de Chârudatta, apercevant Vasantasenâ. — Soyez la bienvenue, ma sœur !

Vasantasenâ. — Je suis bien heureuse maintenant. (Elles s’embrassent.)

Carvilaka. — Grâce au destin, vous voilà, entouré de tous vos amis (129).

Charudatta.Non, c’est grâce à vous (130).


Carvilaka. — Noble Vasantasenâ, le roi (131), dans sa joie, Vous accorde le titre d’épouse.

Vasantasenâ. — Seigneur, je suis au comble de mes vœux.

Çarvilaka, jetant un voile (132) sur la tête de Vasantasenâ, et s’adressant à Chârudatta. — Seigneur, que faut-il faire de ce religieux, mendiant ?

Chârudatta, au religieux mendiant.Religieux mendiant, quel est l’objet suprême de vos désirs ?

Le religieux mendiant. — Après avoir eu sous les yeux un tel exemple de l’instabilité des choses humaines (133), la profession de religieux mendiant m’est devenue doublement chère.

Chârudatta. — Ami, sa résolution est inébranlable. Il faut le nommer supérieur (134) de tous les couvents buddhistes (135) de la terre.

Çarvilaka. — comme vous le dites, Seigneur.

Le religieux mendiant. — Cela me causera le plus grand plaisir.

Vasantasenâ. — Maintenant j’ai retrouvé complètement la vie (136).

Çarvilaka. — Que faut-il faire pour Sthâvaraka ?

Chârudatta. — Que cet honnête homme soit affranchi. Quant à ces chândâlas, ils seront les chefs de toutes les tribus de chândâlas. Chandanaka sera directeur suprême de la police (137) et il jouira dans ce poste de tout ce qui était auparavant à la disposition de Samsthânaka (138).

Çarvilaka. — On fera comme vous dites, Seigneur, mais quant à ce dernier, livrez-le pour que je le fasse mettre à mort.

Chârudatta.Non ; sécurité pour lui, car il s’est placé sous ma protection !

« On ne doit pas frapper du glaive, etc., » (comme plus haut.)

Çarvilaka. — Que puis-je encore (139) faire d’agréable pour vous ? Parlez !

Chârudatta. — Ce qui m’est plus agréable que tout cela, c’est que (140)

« Mon (141) innocence est reconnue (142). J’ai accordé la vie à mon ennemi tombé à mes genoux ; le roi Aryaka, mon ami, gouverne (143) la terre après avoir déraciné ses adversaires ; j’ai retrouvé la bien-aimée de mon cœur (144) ainsi que mon fidèle ami (145). Que pourrais-je vous demander qui diffère de tels dons ou qui les surpasse (146) ?

« Le destin (147) dépouille les uns pour combler les autres ; il élève ceux-ci et précipite ceux-là, auxquels il rend plus tard ses faveurs ; il nous montre, de la façon dont il se joue de nous, que ce monde, tel qu’il est constitué, est une succession réciproque d’adversités et de succès (148), et il agit à notre égard comme avec une série de seaux dépendant de la manivelle d’un puits (149). »

Je souhaiterai (150) pourtant

« Que les vaches ne cessent de donner leur lait (151) et la terre toutes ses moissons abondantes ; que la pluie tombe en temps opportun (152) ; que le souffle des vents réjouisse le cœur de tous les hommes (153) ; que les créatures (154) soient constamment dans la joie ; que les brahmanes respectés soient gens de bien, et que les princes gouvernent glorieusement la terre en soumettant leurs ennemis et en observant fidèlement leurs devoirs. »


NOTES SUR LE DIXIÈME ACTE

(1) La traduction de ce premier hémistiche est très-hypothétique. Cf. la note de Wilson sur ce passage.

(2) Nerium odorum. Ait.

(3) Comm. pitrvanasya çmaçânasya.

(4) Comm. vâyasâh kâkâh.

(5) Comm. virasam ruksham yathâ syât tathâ ratantah.

(6) Comm. tarkayanti utprekshante. — D’après l’analogie de la stance qui suit (p. 157, lig. 18, édit. Stenz.,) gandha est peut-être synonyme de candana, sandal, et rakta, au lieu de signifier sang, serait un simple adjectif. Dans ce cas, il faudrait traduire « oint de sandal rouge. »

(7) Comm. hastâh iva hastakâh hastacihnâni ; ivârthe kan.

(8) Comm. pishtacûrnâbhyâm avakîrnah vyâptah : pishtam tandulânâm cûrnam tilânâm.

(9) Comm. apaçuh san paçur yathâ sampadyate tathâ krtah paçûkrtah ; paçuh devîbalidânâya châgâdih.

(10) Comm. târatamyam bhedah.

(11) Comm. mayâ upetam prâptam tat niraparâdhavadhâdiduhkham drsht — Cette glose suppose la variante madupetam etat indiquée par Stenz. et à laquelle il a préféré pour son édition mama deham etam.

(12) Comm. martyam maranadharmânâm.

(13) Voir la note de Wilson sur ce passage.

(14) Comm. âhîntâ iti divtîyasya cândâlasya nâma

(15) Comm. gohâ iti prathamacândâlanâma.

(16) Comm. meghât. Stenz. meghe.

(17) Comm. rathyâtah. Stenz. rathyâyâ.

(18) Comm. vâṭâyanam gavâkshah syât.

(19) Comm. sagotrah. Stenz. saloptrah.

(20) Comm. sadasi yajnasya mahati mandape.

(21) Comm. nividâni ghanâni caityâni âyatanâni tatra brahmanâm vedânâm goshaih. — Il y a un jeu de mot difficile à rendre entre goshaih du premier hémistiche et ghoshanâyâm du second.

(22) Comm. pâpaih asadrçaih ananurûpair ayogyaih ; ndâlâdibhir manusyaih.

(23) Comm. nagaritah. Stenz. nagaryâh.

(24) Comm. svajâtimahattareti cândâlasambodhanam.

(25) Comm. pracurâh he janâh ity arthah.

(26) Comm. uparamatu. Stenz. traratâm.

(27) Les fils étaient tenus à faire des offrandes aux mânes de leur père. Voir les Lois de Manu.

(28) Comm. yena yajaopavîtena.

(29) Comm. Tel que le mot ârya. etc. : nirupapadena âryetyâdiviçeshanaçûnyenety arthah.

(30) Comm. parikshitum. Stenz. pratîshtam. — L’idée sans doute est que les malheurs de Charudatta dépendent de sa destinée ; que, par conséquent, il peut avoir été condamné sans être coupable et a droit au même respect qu’auparavant.

(31) Comm. vyapadeçâh kalanh vasantasenâmâritety evamrûpâh apavâdavyavahârâh çushkâh vrthaivety arthah. — Le deuxième pada de cet hémistiche est difficile, mais le sens ne semble pas pouvoir être autre que celui qu’indique ma traduction.

(32) Comm. âghâtam adhikaraniyam vadasthânam.

(33) Comm. adhvare yajne ; ajah châgah yajnapaçuh âlabdhum âlambhanam abhimantranapûrvakam hananam tatprâptum ; çâmitram yajnîyam paçuhanasthânam… çamitâyajne iti sûtram niner vaidikyâm prakriyâyâm çamitari bhavam çâmitram yajne paçughâta sthânam ity arthah.

(34) Comm. he dirghâyur evam bharan ciram me jîva. Stenz. evam bhanan, etc.

(35) Comm. idam putrarûpam vastu tat çrutismrtipurâneshu prasiddham ity arthah.

(36) Racine de l’andropogon muricatus.

(37) Comm. asau vasantasenâ ; trayâ cârudattena.

(38) Comm. asti. Stenz. atra.

(39) Comm. pratolikâtah. Stenz. pratolikâyâ.

(40) Comm. tena çakârena na krtam vairam yena saha mâyâ ity arthah.

(41) Comm. bhaktam odanah.

(42) Comm. kûlena odanena gudaudanena. Stenz. sâdrçyakârena gudodanena.

(43) Comm. bhinnakâmsyavat khankhanâyâh katuvikrtasvarâyâh.

(44) Comm. patahânâm. Stenz. ntahânâm.

(45) Comm. vâvâdayamânam ity vaktavye vârâdayantam vyâpâdayantam âtmânam mârayantam ity arthikeyam uktir arthasya tathâ bhâvitayâ çakâravadham dyotayatîti dhyeyam.

(46) Comm. hi vitarke.

(47) Comm. esha vrddhah. (Stenz. etâvân) mahân vrddhim prâptah ity arthah.

(48) Comm. vadhyam vadhyasthânam.

(49) Arbre fabuleux qui produit tout ce qu’on peut désirer.

(50) L’idée est, sans doute, qu’il possède assez de bijoux sans avoir eu besoin de tuer Vasantasenâ pour en acquérir davantage.

(51) Comm. suvarnacorikâhetor ity arthah.

(52) Comm. baddhah qui manque chez Stenz.

(53) Comm. svairam que Stenz. joint à l’indication scénique sous la forme svairakam.

(54) Comm. danâdinâ vitaptah cetah kim na pratapati samtâpena kim kim svâmiviruddham nâcarati na vadati yena svâmivinâçah syâd ; sarvam evâcarati vada titi nirgalitârthah. — Il y a jeu de mot du texte sur vitaptah et pratapati.

(55) Comm. na pratyâyate (Stenz. pratyâyati) pratyayo bodhah na bodhavishayo bhavatity arthah. praçastam satyam satyakam (Stenz. satyam kam api) praçamsâyâm kan.

(56) Comm. na samvadati samvâdah prâmânyam iti tântrikâh ; daivam na pramânatâm prayâtity arthah.

(57) Comm. nismara. Stenz. nishkrâma.

(58) Comm. nagarîm imâm ujjayinîm parityajya kasyâpi muner âçramam gantavyam grhitvâ mâtaram tatrâpi adyaiva gantavyam na tu çvah.

(59) Comm. vasantasenâmâranâpavâdarûpâparâdhenety arthah.

(60) Comm. Parce que le suicide est un péché capital : na pûjyate (Stenz. yujyate) ityâdi evam evâtmaghâtasya mahâpâtakatvâd iti bhâvah.

(61) Comm. ete. Stenz. asya.

(62) Comm. catuvaka. Stenz. vatuka.

(63) Comm. ndâla goha. Stenz. are cândâlâ.

(64) Comm. cârudattavrddhavakah budubakah itîyam bhâshâ vadabaka iti pralapanti ca lokâh.

(65) Comm. anena jarjaravamçakhandena samkhalena. Stenz. kvanatâ jarjaravamçakhandena çrnkhalena. — Comm. samkhalena vadhyapatahadindimavâdanadandenety arthah.

(66) Comm. vadhyapâlikâ. Stenz. vadhyaparyâyah.

(67) Comm. yadi mama kelikâ madiyâ vadhyapâlikâ. (Stenz. paryâyah).

(68) Comm. tishthatu… cârudattah iti çeshah.

(69) Comm. yadi tava vadhyapâlî. Stenz. yadi tara vadhyaparypâyah.

(70) Comm. tena vaddhâvena vattâveneti (manque dans l’édition Stenz.) deçi kevalam bhâshâ vrddhimahotsavenety arthah ; mahotsavavrddhyâ iti yâvat.

(71) Comm. râjnah parivartah parivartanam ; anyo râjety arthah.

(72) Comm. lekham kiyatyah pâlikâs tava mama ca kiyatyah âsann âvâbhyam upabhuktâh vâ kâh h ity evam gananarûpam likhitadarçanarûpam ca vyavahâram ity arthah ; pûrvam iha ca bodhyam.

(73) Comm. Sur les juges, etc. prabhavatîti pravalânâm nyâyâdhîçânâm adhikaranikâdinâm purushânâm.

(74) Comm. Qui a fait que les bijoux sont tombés de la ceinture de Maitreya ; bhâgyadoshât vidhûshakakakshât suvarnâlamkâranipâtarûpât dûshitatvety anvayah.

(75) Comm. svargasthâ bhûmisthitâ vâ saiva vasantasenaiva.

(76) Comm. veçam ivetyâder hasyâspadam ity arthah.

(77) Comm. ko’pi patito’ pi utthishthate uthitah patanam ca vasasanapâtikâ çavasya punar asti (Stenz. ko’ pi utthitah patati ko’ pi patito’ py uttishthate uttishthatpatato vasanaparyâyah çavasya punar asti). vasanapâtikâ vastrapatanam vastram prasâritam ; yathâ nipatati punar utpatati ca tathâ çavo’ pi jivati kadâcit, kim punar jivamanushyah patitah punar uttishthate iti vâcyam iti bhâvah.

(78) Comm. ehi imam râjamârgam. Stenz. ehi ayam râjamârgah.

(79) Comm. pratipâlaya kshamasvety arthah.

(80) Comm. hî vismaye.

(81) Comm. C’est la déesse Durgâ. sahyah parvatah tatra vartamânâm durgâm devim prârthayate.

(82) Comm. gatajîvitâ punar âgatajivitâsmîty arthah ; atra jîvasthânîyah cârudattah.

(83) Comm. etam vrttântam. Stenz. yathâsamvrttam.

(84) Comm. upasrtyeti (cette indication scénique n’est pas donnée par Stenz.) dvitîyacândâlasya samipam gatvety arthah.

(85) Comm. . Stenz. ganikâ.

(86) Comm. jivâtur jivanaushadham ity amarah.

(87) Comm. vidyâtra mrtasamjivani bodhyâ.

(88) Comm. punar dhriyeta punar jivety arthah.

(89) Comm. Chârudatta sous-entend : « Mais ce mariage serait vain si ma pauvreté t’empêchait de m’aimer. » C’est-à-dire : « Nous voilà mariés, en quelque sorte ; ne me repousse plus jamais. » vyangyârthas tu tâvad etâvatim imâm âpadam upabhujyâpi yadi tavâham daridratayâ na dayitas tadânarthah iti vivâhah iveti ; kim vâcyam tava ca mama câyam vivâhah evâsîd itah param kadâpi mâ mâm atyâkshir iti câvaseyah.

(90) Comm. kim nedam iti ânupurvi vitarke.

(91) Comm. dakshinatâ udâratâ samarthatâ vâ.

(92) Comm. çatrunâ çakârena prabhavishnunâ râjaçyâlatayâ prabhunety arthah.

(93) Comm. yato mukto to manâg iti.

(94) Comm. cintayâ. Stenz. cintakah. — Le commentaire n’a pas le mot nâma qui suit samvâhako chez Stenz.

(95) Comm. alamkârapananishkrîto’ smi. Stenz. alamkârena nishkrito’ smi.

(96) Nom d’un Aditya.

(97) Comm. hantâ bhettâ krauncaçatrur iti prabhûtaprabhâvâbhiprâyam.

(98) Comm. çeshabhûtâm caramâm ity anena sarvam karttavyam ; anyat krtam iti bodhyam.

(99) Comm. balam sainyam mantraç ca (Stenz. mitra) âbhyâm hinam.

(100) Comm. prakarshât svakiyapratâpâdeh prabhâvât ; garasthân (sic) kuto’ pi yûyam mâ bhaishteti viçvâsam utyâdyety arthah.

(101) Comm. vasudhâyâh âdhirâjvam svâmyam yasminn îdrçam sampûrnam çatrurâjyam çatroh pâlakasya râjnah râjyam akhandâjnâvishayo hi râjyam iti lakshanalakshitam râjyam ity arthah prâptam kim iva çatrurâjyam balâreh (Stenz. surâreh) indrasya râjyam iva endram padam ivety arthah ; ayam upamânavâkyârthah upameye ripurâjye viçeshanam iti jneyam ajvaih.

(102) Comm. tena cârudattenety arthah. bhavatv iti antarasamvâde ity uktam.

(103) Comm. ayam ârambhah râjnah pâlakasya hananarûpah udyogah api nâma saphalah syâd iti sambhâvanâ.

(104) Comm. jâlmo samîkshyakâri syât ; avicâryakârinah jalmâh.

(105) Comm. Aryaka : asmatsvâminah âryakasya nûtanamarhârâjasyety arthah.

(106) Comm. kenopâyena uttîrnam tatrâha nâveva priyatamayeti vasantasenayety arthah.

(107) Comm. ârjavam rjutvam saralatâ sâceyam savinayâ svacchetyâdi nânârûpâ bodhyâ.

(108) Comm. Voler de l’or est un péché capital d’après les livres sacrés : svarnasteyasya çâstroktamahâpâtakatvâd âha krtamahâpâpa iti.

(109) Comm. bhutapûrvavrttântam uktvâ sâmpratavrttântam âha anyac cetyâdinâ. — yajnavâtah yajnasthânam idam câparicchinnajanasammardena pramâdasthânam tatra ca çastrâghâtahananâdeh sambhâvanâpinety (?) âçayenâha yajnavâtasthah iti. — Il y a jeu de mots dans le rapprochement intentionnel d’âryakena et d’âryavrttena.

(110) Comm. Chârudatta n’est pas suffisamment éclairé et Çarvilaka continue de lui expliquer ce qui s’est passé : çarvilakena evam ukte’ pi na samyagbuddham cârudatteneti punah spashtayati tvadyânam iti. — yah âryakah.

(111) Comm. râjyam atisrshtam dattam.

(112) Ville ainsi nommée de Kuça, fils de Râma.

(113) Rivière qui la traversait, ainsi qu’Ujjayinî. C’est un affluent du Gange.

(114) Comm. yusmadgunopârjitam yusmâkam pûjyânâm çishtatayâ siddhânâm iva cârudattaçarvilakâdinâm gunâh upakârâh pravahanâvataranarakshanabandhanabhedanasiddhâdeçanâdayah taih uparjitam râjyam yatah tat tat upayajyatâm upayogavishayîkriyatâm cârudattacandanaçarvilakâdibhih sarvair ; upayogah sârthakatâ râjyasya yathâ bhavati tathâ anushthîyatâm ity arthah.

(115) Le comm. n’a pas çaranam qui suit rakshanam dans l’édition Stenz.

(116) Comm. kim asyetyâdi vâkyena prshtam vikalpayali.

(117) Comm. punar na îdrçam karishyâmi. Stenz. punar na dûshâyishyâmi.

(118) Comm. çatrur ity âryâ chandah ; upakâretyâdih caturthah caranah. Stenz. n’a pas donné à ce passage la forme métrique.

(119) Le passage qui commence ici est une interpolation dont l’auteur est un certain Nîlakantha qui voyait, à ce qu’il semble, une omission regrettable dans l’absence au dénoûment de certains personnages tels que la femme et le fils de Chârudatta. Notre commentateur a trouvé ce passage dans un manuscrit ayant deux cents ans de date, c’est-à-dire remontant aux premières années du xviie siècle. Voici, du reste, ce qu’il en dit : yat pustakam drshtvâsmâbhir iyam krtâ vyâkhyâ tatra dviçatavarshajîrne pustake drçyate itah param nilakanthenâpûri iti pratijnâya nepathye kalakalah punar nepathye esâ ajja câludattassa vahuâ ajjâ dhûdâity ârabhya agre. çarvi. dishthyâ jivitasuhrdvargah âryah. — câr. yushmatprasâdena ity antam samâvya :

yat sûryodayabhayatah kavin citapâtramelanam na krtam ;
sundarayuktibhir araraca yadâ candanakoktinîlakanthas tat.

iti nijanirmitisûcikâm âryâm viracya samâpito’ yam adhiko granthah. pustakântare tu na darîdrçyate’ smâbhis tu mûlakrtkavitânanurûpâm apîmâm kavitâm âlocyâpi grantho’ yam prakrtagranthasamlagnah ivety vyâkhyâyate ity avadheyam. eshâ âryacârudattasya vadhûr âryâ dhûtâ pade vasanâncale viligantam dârakam âkshipantî vâshpabharitanayanaih janaih nivâryamânâ prajvalite pâvake praviçati, etc. — Cf. édit. Stenz. p. 325 et seqq. et la note de Wilson sur ce passage.

(120) Comm. vyâshtatatayâ. Stenz. vyâprtatayâ.

(121) Comm. he cârucarite yad api yady api bhavatyâh caritâni pâtivratya (sic) suçîlatâdilakshanâni mahîtalasthitisahâni na santi bhûtale sthâtum na çaknuvantity arthah ; padârtham atyagram na dhartum samarthâ bhûr iti bhâvah, tathâpi svargam sukham mayâ vinâ na tvayâ bhoktum yuktam pativratâtvâd iti sarvârthah.

(122) Comm. bhavatî mâ tâvat. Stenz. bhavatyâs tâvat.

(123) Comm. adhirohanam. Stenz. rohanam.

(124) Comm. Sans l’assistance des kshatriyas, etc. : kshatriyâdînâm bhinnatvenâpi citârohanâdhikârasmaranâd uktam brâhmanh iti.

(125) Le texte donne en outre : atikrântam kim manorathaih, qui semble intraduisible.

(126) Comm. preyâsiti prathamam sambodhanam dvitîyam saptamyantam.

(127) Comm. locanamudranam iti mukulîbhâram lakshayati.

(128) Comm. aho samvidhânam samîcînam vidhânam ghatanam anayor dampatyor ity aho âçcaryam ity arthah anyathânayor dvayor api nâçasamavadhânasya sambhavâd iti bhâvah.

(129) Comm. dishtyâ daivena jîvitasuhrdâm âryakavasantasenâdhûtâdînâm mitrânâm vargah samûhah yasya tâdrçah âryah dishtyâ daivena na tv anyena kenâpi kâranena ity arthah.

(130) Comm. nâham daivena jivitasuhrdvargah kim tu yushmat prasâdenety uttaram dadau cârudattah. — etâvatparyantam evâyam adhiko granthah pustakântare tu çakâ. hîmâdike paccujjîvidehmi iti purushaih saha nishkrântah ity anantaram çarvilak. ârye, etc. — ity eva drçyate granthah evamvidhapûrvoparibhâvam âvahan na tv anyo’ yam adhikah krtrima itîdam ihâvadheyam. Ici se termine l’interpolation.

(131) Comm. râjâ âryakah.

(132) Comm. vasantasenâm avagunthyeti prâvârakena vasantasenâm acchâdyety arthah. — nirmokam iva reçyâtvam vyavacchidya varnântareneva vadhûpadâbhidheyatvena vasantasenâm bhujangim alamcakâreti bhâvah.

(133) Comm. îdrçam anityatvam kva râjâ pâlakah çakârah tatkrto vasantasenâcârudattâddinâm vadhah kva câyam âryakah âbhirah kshanâd eva bhûmidevah çrimahârâjaç caivamvidham ity arthah.

(134) Comm. kulapatih adhyakshah sarvasrâmîty arthah.

(135) Comm. samgatadevâlayeshu vihâro nastikâlaye iti koçah.

(136) Comm. mpratam jîvanasâphalyam prâpitâsmity arthah. daçabhih suvarnair mocitena nishkrîteneva samvâhakena nirvedâ : bhikshûbhûtena vasantasenâ salilasecanâdinâ jîvadavasthâm prâpiteti mahânupakârah âsid. idânîm sakalavihârakulapatitvâdhikâravitaranena pratyupakârapratikârah âsid iti sampadam jîvârid asmity asyâçayah.

(137) Comm. prthivîdandapâlatâ prthivyâm prthivyâh vâ yo dandah çâsanam tam pâlayatiti prthivîdandapâlah tasya bhâvah sarvaprthivyâm koshthapâlâdhikâro bhavatv ity arthah. dandapâlah eva grâmakûtakah iti nâgarika iti câbhidhîyate ; sphutam cedam daçakumârâdau.

(138) Comm tasya râjaçyâlasya çakârasya pûrvam tadbhaginîpateh pâlakasya râjno râjye ity arthah. yathaiva vartamânâ kriyâ tathaivâstv ity anvayah ; kriyâ dânâdânasammânasnânavasanabhojanânganâdyaiçvaryopabhogalakshanah sarvavyâparah ity arthah. sajjanaçiromaninâ cârudattenâtiçaundiryâd evam abhihite’ pi çarvilakena pûrvam yathaiva vartamânâ kriyetyâder mâranarûpâ kriyâ buddheti tathaivâçayena paramotsâhena çarvilakah prâha paçyenam iti.

(139) Comm. te cârudattasya ekavâram tv idam anekadhâ priyam krtam bhûyah punah kim karomi.

(140) Comm. paçya (Stenz. param) tvam iti kathanena na samunniyate paramotsâhah çatruh krtâparâdhah çaranam upetya pâdayoh patitah çastrena na hantavyah upakârahatas tu kartavyah ity âryâ smartavyânupadam evoktâ âçir âçiçamsanalakshanâm granthasamâptim granthakâras tâvad avatârayati.

(141) Comm. virarasasthâyibhâvasya paramotsâhasya paramâvirbhâvah pratiti patham avataratîti sâkshinah sahrdayâh svîyabhâgyah priyavayasya pratâpaprabhâvasampâditâm priyaparamparâm cârudattah prâha labdheti.

(142) Comm. vasantasenâmâranâpavâdâdirûpasya câritryasya çuddhir ity arthah.

(143) Comm. râjâ… çâsti dushtanigrahasahitah çishtânugrahah.

(144) Comm. iyam priyâ vasantasenâ bhûyah punah prâptâ samgatety arthah.

(145) Comm. bhavân çarvilakah me mama vayasyah samgatah militah.

(146) Comm. apûrvalâbhavad iti bhâvah.

(147) Comm. sakalagranthârtham nigamayann aprastutapraçamsâlamkârena prâha kâmçcid iti.

(148) Comm. anyonyam pratipakshânâm bâdhyabâdhakânâm viddhânâm ity arthah dhanitvanirdhanatvarâjatvarankatvâdinâm samhatih samûho yasyâm îdrçîm samhatirûpâm iti vâ lokasthitim lokavyavahâram utpattisthitipralayâh iti kramât.

(149) Comm. kûpe yantram ghatîyantram tatra gha tikâh svalpâh ghatâh tâsâm nyâye prasaktah ghatîyantre calati ghatikâç ca mâlâyâm kramâd uccanîcabhâve jalam ânayanti tyajanti ; yathâ tathâvidhir api svakramâyâtam adhanatvasadhanatvâdikam anubhâvayatîty arthah.

(150) Comm. âçîrâtmakam bharatavâkyam kshîrinyah iti.

(151) Comm. gavâm samkîrtanam çakunarûpam iti jneyam ; tatrâpi havyakavyakriyâmidânakshîravatvena tv adhikam bodhyam.

(152) Comm. svasamayavarshî.

(153) Comm. anilâh komalâh vântu gacchantu na tu ghanghâvatâh (sic).

(154) Comm. janminah.


FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER