Le Chant de Hildebrand/Gérard Gley

Le Chant de Hildebrand
Traduction par Gérard Gley.
L. G. Michaud (p. 165-169).

J’ai ouï dire, d’après les traditions de nos pères, que Hiltibraht et Hatubrant, le père et son fils unique, se rencontrèrent un jour, sans se connaître et se provoquèrent au combat. Alors on vit ces terribles guerriers mettre en ordre leur armure ; ils se couvrirent de leurs cottes d’armes, ils attachèrent leurs épées à une boucle ronde ; comme ils s’avançaient l’un contre l’autre sur leurs coursiers, Hiltibraht fils de Héribrant, ce guerrier d’un cœur si noble, si prudent, dit à Hathubraht : « Qui est ton père ? À quelle race appartient-il, parmi les familles nobles de cette contrée ? Si tu me le dis, je te récompenserai avec magnificence ; héros fameux dans le royaume des Huns, je te donnerai une armure à triple fil. J’ai parcouru toute la terre, et je connais toutes les races nobles parmi les hommes. » — Hathubrant, fils de Hiltibrand, répondit : « J’ai appris des anciens qui déjà sont descendus dans la tombe, que mon père s’appelait Hiltibraht ; mon nom est Hathubraht ; il s’en alla autrefois dans les contrées de l’Orient, avec Théodoric et plusieurs autres chevaliers, fuyant la haine d’Otokar ; il abandonna sa jeune épouse, son fils encore enfant, et ses armes sans maître pour les porter. Il a parcouru tout l’Orient. Les malheurs de Théodoric mon cousin, ce prince abandonné de tout le monde, n’ayant fait qu’augmenter tous les jours, mon père était toujours à la tête des braves ; son bonheur était de combattre ; cependant, quelque redoutables que fussent ses armes, il ne voulait point attaquer Otokar ; je ne crois pas qu’il soit encore en vie. » — « Dieu tout-puissant, qui habites les cieux ! s’écria Hiltibraht, permettras-tu donc que ces deux guerriers, unis si étroitement par les liens du sang, en viennent aux mains l’un contre l’autre et qu’ils cherchent à s’ôter la vie ! » En disant ces mots, il détache de son bras des bracelets de grand prix, qu’il en avait reçus en présent du roi des Huns : « Tenez, dit-il, recevez-les ; portez-les pour vous rappeler le souvenir d’un guerrier qui vous estime. » — Hathubraht répondit : « C’est la lance à la main, pointe contre pointe, que l’on reçoit de pareils dons : vieux Hun ! tu ne mérites point de prendre place parmi les guerriers ; tu n’es qu’un lâche espion, qui cherches à me tromper par l’apparence de tes discours ; tiens, ma lance va t’atteindre dans le moment ; n’as tu pas honte, dans un âge si avancé, d’employer d’aussi noirs artifices ? Sache que des hommes qui faisaient voile à l’ouest sur la mer des Wendes, m’ont apporté la nouvelle d’un combat sanglant, dans lequel mon père Hiltibraht, fils de Héribrant, était resté parmi les morts, et j’ai bien raison de croire qu’il n’existe plus. » — Hiltibraht, fils de Héribrant, répondit : « Je ne vois déjà que trop bien à ton armure, que tu n’appartiens point à un maître de noble extraction, et que, dans ces contrées, tu n’as encore signalé ton nom par aucun exploit. Ô Dieux qui régissez l’univers ! quel malheur ! quelle destinée fatale m’attend ! Voilà soixante étés, voilà soixante hivers que j’erre dans des contrées éloignées de ma patrie, toujours dans les combats ; partout on me voyait à la tête des premiers guerriers ; jamais aucun homme de guerre n’a eu l’honneur de m’entraîner dans son fort, et de m’y jeter dans les fers ; et aujourd’hui mon propre fils, mon fils chéri, doit lever son épée contre moi ! il doit m’étendre par terre avec sa hache, ou je dois devenir son meurtrier ! Jeune homme, si tu combats avec valeur, il peut arriver aisément, que tu enlèves l’armure d’un homme d’honneur, et qu’après toi tu traînes inhumainement son corps dans la poussière ; fais-le donc si tu en as le droit. Cependant je serais le plus lâche de tous les hommes de l’Orient, si je cherchais à te détourner d’un combat que tu désires avec tant d’impatience. Braves compagnons d’armes, qui nous écoutez, vous jugerez dans votre courage, qui de nous deux peut se vanter aujourd’hui d’avoir su le mieux diriger ses traits, et qui doit porter en triomphe l’armure de son adversaire ! » Sur cela, leurs javelots pointus partent de leurs mains avec tant de force, qu’ils restent suspendus aux boucliers ; ils s’élancent eux-mêmes l’un contre l’autre ; leurs haches retentissent aux coups terribles dont ils frappent leurs boucliers ; leur armure paraît ébranlée, mais ils restent tous les deux fermes et inébranlables sur les pieds.

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    archevêque de Mayence, que la rime avait été employée par les auteurs profanes qui avaient écrit avant lui dans sa langue ; mais son Histoire de l’Évangile en vers franciques est le premier morceau de poésie rimée, qui, dans les langues anciennes et modernes, soit parvenu jusqu’à nous. L’allittération est l’uniformité des lettres initiales dans les substantifs et verbes, auxquels s’attache la pensée dominante dans le même vers. Nous devons cette nouvelle forme aux anciens peuples septentrionaux, qui l’employaient déjà dans le sixième et septième siècles ; mais ils n’ont point su la faire passer, ainsi que la rime, dans les langues aujourd’hui en usage en Europe. En donnant le texte du fragment poétique, dont il est ici question, j’aurai occasion de faire connaître les caractères de l’allittération.