Le Cercle rouge (Leblanc)/Chapitre XXII


XXII

Où l’amour se précise


Pendant que ces événements se déroulaient loin d’elle, Florence Travis, sous la véranda qui dominait la mer, respirait à longs traits l’air pur du matin, et son corps souple, à travers la soie d’un kimono léger, recevait la caresse du soleil.

Au retour du bal, elle s’était couchée, mais n’avait pu trouver le sommeil. Les incidents de cette nuit mouvementée agitaient encore son esprit.

Outre le vol de son pendentif, bijou auquel elle tenait beaucoup, et l’agression dont la pauvre Mary avait été victime, une autre pensée la troublait jusqu’au plus profond de l’âme.

Elle s’en défendait, mais en vain. Elle pensait à Max Lamar. L’image du docteur se présentait à chaque instant devant ses yeux.

— Je l’aime… et tout me sépare de lui.

Cette idée lui faisait mal. Elle sentait bien que Max se laissait, lui aussi, entraîner sur la pente d’un sentiment très naturel, mais qui se changerait peut-être en mépris le jour où il apprendrait que l’objet de son amour était la fille de Jim Barden, le fou, le criminel marqué de la tare héréditaire.

— Oh ! ce Cercle Rouge, affreux stigmate, pourquoi ne puis-je en abolir le retour !

Et, comme elle se désespérait à ce point que des larmes jaillissaient de ses yeux, voici que l’horrible cercle se mit à transparaître peu à peu sous la peau diaphane de sa main. Il prit une teinte plus rouge que le sang et qu’avivait encore la lumière crue du soleil qui montait au-dessus de l’horizon.

Florence Travis se leva, en proie à une inexprimable agitation. La bonne gouvernante Mary entrait à ce moment précis sous la véranda.

— Qu’avez-vous, Flossie ? demanda-t-elle avec inquiétude.

— Rien, ma bonne Mary. Je désire sortir un peu. Il faut que je sorte.

— Comme cela, en kimono ?

— Bah ! avec mon béret et une ceinture, sur la plage, personne ne remarquera que ma toilette du matin est un peu plus négligée que de coutume. D’ailleurs, je vais à la poste et je reviens.

— À la poste ? interrogea Mary. Est-ce pour porter une lettre ? J’irai.

— Non, Mary, répondit Florence, de plus en plus surexcitée, c’est pour un télégramme que je désire envoyer moi-même.

— Alors, je vous accompagne, dit avec vivacité Mary, qui venait d’apercevoir le Cercle Rouge sur la main de Florence.

— Mais non, mais non… ma chère Mary, tu t’inquiètes à tort… Je sais pourquoi, ajouta-t-elle en montrant sa main. Mais, vois, cette chose affreuse pâlit, s’efface. Dans quelques instants, elle se sera évanouie…

Et, la voix altérée :

— Oh ! si cela pouvait s’évanouir à tout jamais !

— Pauvre petite Flossie que j’aime, dit la fidèle Mary en étreignant tendrement la jeune fille. Qui sait ? qui sait si la science, un jour, ne trouvera pas le moyen de vous soustraire à cette terrible hérédité.

— La science ! Il n’y a qu’un homme de science que je crois capable de réaliser ce prodige. Et c’est le seul auquel je ne m’adresserai jamais !

— Je sais… je comprends… Alors, vous devriez avoir peur de lui et ne le revoir jamais !

— Oh ! cela est encore impossible. Quelque chose est entre nous qui nous lie à son insu. C’est ce mystère même qu’il recherche partout, alors qu’il est si près de lui. Si je cesse de le voir, comment pourrais-je connaître ce qu’il se propose de faire et le détourner à temps de la bonne piste, de ma propre piste ? Pour qu’il ne me soupçonne jamais, il faut que je demeure sa collaboratrice.

Et brusquement :

— D’ailleurs, c’est à lui que je veux envoyer ce télégramme.

— À quel sujet ? Ayez confiance en moi, Flossie !

La jeune fille hésita un instant.

— Eh bien ! soit ! accompagne-moi.

Toutes deux se dirigèrent vers le bureau de poste.

Contrairement à ce que croyait Florence, sa tenue originale attira tous les regards, mais bien plus sous une forme sympathique que par simple curiosité.

Sous son béret blanc, sa jolie figure semblait lumineuse. Lumineuse de l’éclat de ses beaux yeux, dans lesquels il semblait que fût resté encore un peu de l’azur des flots contemplés le matin. Sa taille exquise, enfermée dans une ceinture de peau mince et large, avait la souplesse d’une liane sous la pression du vent. Et ses petits pieds dans les souliers de toile, bondissaient sur le sable, qu’ils semblaient effleurer à peine.

Les jeunes gens la regardaient avec un respectueux désir. On la savait riche, indépendante. C’était à la fois, un parti merveilleux et la certitude d’un bonheur complet. Les femmes, même, n’en semblaient point jalouses, tant elle désarmait l’envie par sa sereine beauté.

Elle rendit négligemment les nombreux saluts qu’on lui adressait de toutes parts et pénétra dans le bureau, suivie de Mary.

Sortant de son sac à main un stylographe, elle écrivit ce télégramme :

« Docteur Lamar, Sreat Street 216.

» Toujours impatiente d’avoir des nouvelles du Cercle Rouge ; je serais heureuse de savoir si vous avez pu retrouver mon pendentif.

 » Florence Travis. »


Elle remit la dépêche à la télégraphiste, paya et sortit.

Mary, qui avait lu par-dessus son épaule, était de plus en plus effarée :

— Passe encore que vous lui parliez de votre pendentif. Mais pourquoi, ma chère Flossie, confiez-vous à la poste des phrases aussi compromettantes que la première ? Pourquoi parler ainsi du Cercle Rouge ?

Florence sourit.

— Cela ne pourrait être compromettant pour moi que vis-à-vis du docteur Lamar. Or, je t’ai déjà dit, ma bonne Mary, que je suis la collaboratrice de ce dernier. N’est-il pas naturel que je m’intéresse à une œuvre qui nous est commune ?

— Pourtant, j’ai peur que tout cela ne finisse mal.

— Écoute Mary, dit Florence avec gravité, as-tu remarqué que chaque fois que je suis sous l’influence du Cercle Rouge j’entreprends toujours une bonne action ? Seuls les moyens sont parfois répréhensibles. Le but, lui, est toujours excellent

Et précisant sa pensée :

— Donc, de deux choses l’une : ou le docteur Lamar découvre le mystère dont je m’enveloppe, et dans ce cas, en toute conscience, que pourra-t-il me reprocher ? Ou bien, il ignorera toujours mon secret, et alors, grâce à cette énergie nouvelle qui est en moi et qui sera dirigée par lui vers le bien, je pourrai lui être utile dans les enquêtes qu’il aura à poursuivre. Et je t’avoue que cette seconde perspective, puisque je ne saurais espérer mieux, m’enchanterait. Je serais si heureuse d’être utile au docteur Lamar.

Mary, toujours sombre, ne répondit rien.

— Va, rentre à la maison, ma bonne amie, et dis à maman que je ne déjeunerai pas. Ce que j’ai pris ce matin me suffit. Je vais vers la mer demander à l’immensité bleue de la joie pour mes yeux et du calme pour mon cœur.

Et Florence, quittant sa gouvernante, s’éloigna vers les rochers en songeant :

— Recevra-t-il mon télégramme ? Où est-il ? Que fait-il maintenant ?

Que faisait pendant ce temps Max Lamar ?

Il cherchait le moyen de rattraper le train de marchandises, qui, si élégamment, avait filé sous son nez, emportant avec lui Sam Smiling, l’objet de sa poursuite.

Reprenant sa course vers la gare, Lamar pénétra dans les bureaux de la petite vitesse, présenta sa carte au sous-chef et demanda l’autorisation de téléphoner d’urgence, Cette autorisation lui fut très aimablement accordée. Il entra tout de suite en communication avec Randolph Allen.

— Allo ! Envoyez-moi d’urgence à la gare des marchandises une quarante chevaux, avec un maître chauffeur et un inspecteur choisi. Sam Smiling vient de m’échapper dans des conditions qu’il serait trop long de vous expliquer ici. Je tiens sa piste et j’espère bien le pincer, à condition de faire vite.

Cinq minutes après, une automobile de course conduite par le meilleur mécanicien de l’administration de la police, arrivait à toute vitesse au rendez-vous indiqué.

Max Lamar sauta dedans.

— Suivez la route de Surfton, dit-il au chauffeur.

Le sous-chef de gare lui avait appris, en effet, que le train de marchandises prenait cette direction et qu’il devait même avoir un assez long arrêt à la station balnéaire, où vient de se dérouler une partie de ce récit.

— Et vivement ! Il faut arriver à Surfton avant le train de marchandises, qui a sur nous dix minutes d’avance.

Et Max Lamar, tandis que le chauffeur partait à toute allure, s’installa à côté de l’inspecteur.

— Tiens, c’est vous, Smithson ?

— Mais oui, monsieur Lamar.

— Tant mieux, mon brave. Et alors, rien de nouveau ?

— Non, monsieur Lamar. Ou plutôt si. Un télégramme que votre valet de chambre est venu apporter au bureau.

C’était la dépêche que Florence Travis avait adressée le matin même.

En la lisant, Max tressaillit de joie.

— Flossie ! Flossie ! murmura-t-il. Vous pensez donc à moi, ma chère Flossie ?…

Il avait, contrairement à tous les usages, distrait le pendentif de la masse des bijoux qui avaient été saisis après l’arrestation de Clara Skinner, et il songeait au plaisir de Florence lorsqu’il lui remettrait le précieux joyau.

L’auto filait un train d’enfer. Bien que la route ne suivît point exactement la ligne de la voie ferrée et qu’elle fût même plus longue que cette dernière, Max avait l’impression que du terrain était gagné de minute en minute.

En effet, à un brusque détour, le train de marchandises apparut. Nettement handicapé, il fut atteint, puis dépassé sans effort.

Mais un incident se produisit, stupide, inéluctable. La route coupait la voie, à un mille environ de la gare de Surfton.

L’auto, sans la virtuosité du chauffeur, se serait infailliblement brisée contre la barrière fermée du passage à niveau.

Max Lamar, furieux, se mit à interpeller la garde-barrière, qui, impassible, se tenait debout son petit drapeau rouge à la main, accomplissant comme un rite sacré les devoirs de sa charge.

Le train était encore à une assez bonne distance du passage à niveau. Si la porte se fût ouverte à ce moment, l’auto avait largement le temps de traverser.

— Ouvrez ! Ouvrez ! cria Max.

Pour un peu, il aurait ajouté : « Au nom de la loi ! »

Mais la garde-barrière ne parut même pas l’entendre. Aucun argument n’avait prise sur elle. Son visage, figé dans une résolution têtue, était empreint de cette inflexibilité que confère le respect de la consigne.

Le train passa majestueusement devant les trois voyageurs impuissants, ralentissant même un peu sa vitesse, comme s’il eût voulu les narguer.

La garde-barrière, une fois le train passé, vient rouvrir avec indifférence les portes, et l’auto repartit frénétiquement.

— Écoutez-moi, Smithson, fit Max à l’inspecteur, voilà le signalement exact du bandit que nous poursuivons. Je vais vous descendre à la gare de Surfton, où vous serez probablement arrivé cinq minutes après le train. Ce dernier ne sera pas encore reparti. Observez bien son départ. Si notre bonhomme n’y remonte pas, c’est qu’il a l’intention de séjourner à Surfton. C’est enfantin, n’est-ce pas ? Dans le premier cas, vous l’arrêtez au moment où il reprend place dans le convoi. Dans le second, vous n’aurez pas de peine à retrouver sa piste. Surfton n’est pas grand. Dieu merci, et je connais votre habileté.

— Vous êtes bien indulgent, monsieur Lamar, dit Smithson, qui passait en effet pour un fin limier.

— Pas du tout, je vous rends justice. Je me connais en hommes. Dès que vous aurez repris Sam Smiling en filature, faites-le moi savoir par n’importe quel moyen.

— Où vous ferai-je tenir le renseignement ?

— Chez Mme Travis. Tout le monde connaît sa villa. C’est entendu ?

— À vos ordres, monsieur Lamar… Seulement…

— Seulement ?

— Puis-je vous poser une question, monsieur Lamar ?

— Certes.

— Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? Le train est en gare. On décharge les marchandises destinées Surfton. Nous avons tout le temps d’opérer, et, à deux, n’est-ce pas, c’est toujours préférable…

Max Lamar eut un geste d’impatience.

— Faites ce que je vous dis de faire. J’ai mon plan, et cela ne regarde que moi. Dépêchez-vous et n’oubliez pas : la villa de Mme Travis, sur la plage.

L’inspecteur descendit et Max Lamar s’en alla de son côté.

Au fond, Max n’avait pas d’autre plan que de revoir Florence le plus tôt possible, au risque de perdre la trace de Sam Smiling. À ce moment, rien ne comptait pour lui que Florence. Il sentait comme une force mystérieuse qui l’attirait invinciblement vers elle.

« Je m’étonne, pensait-il en se dirigeant Vers la villa de Mme Travis, d’une telle attraction. Moi, si fort, si maître de moi ! Il semble que je subis une influence surnaturelle et même un peu morbide. Oui, morbide !… Mon Dieu ! que je suis bête ! Les médecins cherchent toujours aux choses les plus simples les causes les plus troublantes. La conclusion de tout cela, c’est que je suis amoureux et que, ne l’ayant jamais été, je me trouve en présence d’un fait nouveau dont je m’étonne comme un enfant. »

Il arriva devant la grille de la villa. La porte étant entr’ouverte, il pénétra familièrement dans le jardin, contourna la maison et se trouva sur la terrasse qui surplombait la mer.

Mme Travis, dans un rocking chair, brodait, ayant à ses côtés Mary qui lui tenait compagnie et disait justement :

— Déjà six heures, et Flossie qui ne rentre pas !

En apercevant Max Lamar, l’excellente dame tendit sa main avec affection et bonne humeur. Le docteur lui était extrêmement sympathique.

— Je suis très heureuse de vous voir revenu, dit-elle. Vous êtes si occupé qu’on ne peut jamais vous garder même un jour, et c’est bien dommage. Quand vous voudrez vous reposer de vos nombreux travaux, n’oubliez pas, cher docteur, que ma maison est la vôtre.

— Je vous remercie sincèrement, madame, dit Max, très ému, en portant à ses lèvres la main de Mme Travis. Qui sait si, comme vous le dites si bien, je ne viendrai pas un jour demander à la brise bienfaisante de la mer une cure justifiée ?

— Alors, ce jour-là, c’est entendu, docteur ?

— De grand cœur, madame. Mais, ajouta-t-il en plaçant sa main droite en visière au-dessus de ses yeux, n’est-ce point Mlle Florence que j’aperçois là-bas, sautant à travers les rochers ?

— Elle-même ! Ah ! ne m’en parlez pas ! Depuis quelque temps, surtout depuis qu’elle est ici, il m’est impossible de la garder auprès de moi un instant. Tenez, elle n’est pas rentrée pour déjeuner ce matin. Elle préfère courir comme une chèvre échappée. Elle n’écoute aucun conseil. Aucun, affirma Mary. Elle n’en fait qu’à sa tête !

— C’est de son âge, chère madame, et d’ailleurs Mlle Florence est une nature essentiellement indépendante…

— Beaucoup trop, docteur, beaucoup trop ! Ah ! vous devriez bien lui donner quelques avis. Vous êtes médecin et peut-être sauriez-vous découvrir le secret de cette extrême nervosité.

— J’en doute, madame.

— Pourquoi donc ? Elle vous aime beaucoup, docteur. Elle a en vous la plus absolue confiance. Tenez, elle vous a aperçu. Elle vient. Allez donc au-devant d’elle et, en chemin, chapitrez-la un peu !

Flossie, dont la vue était merveilleusement perçante, avait, en effet, de loin, reconnu le docteur Lamar sur la terrasse, et cette apparition avait suffi à faire évanouir en elle la détermination qu’elle avait prise de passer la journée au dehors.

Elle avait même pris sa course et fait plus de la moitié du chemin qui la séparait de Max, lequel avançait plus posément.

— Bonjour, docteur, dit Florence, les yeux brillants de joie. Comme vous êtes bon d’être accouru si vite. Vous avez reçu mon télégramme tout de suite ?

— Mais oui, chère mademoiselle, au moment même où je montais en auto pour venir ici.

— Ce n’est donc pas ma dépêche qui a déterminé votre départ, dit Florence, d’un ton fâché.

— Non, je dois vous l’avouer. Mais, corrigea-t-il, je serais probablement venu sans que vous m’ayez appelé… et venu exprès pour vous !

— Oh ! comme vous êtes gentil, docteur. Voulez-vous m’offrir votre bras. J’ai envie de rentrer, maintenant.

Et s’appuyant affectueusement sur le docteur, elle prit son pas, tout en bavardant.

— J’ai une bonne nouvelle à vous apprendre mademoiselle : j’ai retrouvé votre pendentif.

— Oh ! Quel bonheur ! Et comment ?

— Je vous raconterai tout cela plus tard. J’ai le bijou sur moi et je vais vous le remettre.

— Non, non, docteur, pas tout de suite !

Et capricieuse :

— Vous le placerez vous-même autour de mon cou, tout à l’heure quand nous serons rentrés.

— Très volontiers… avec joie, dit Lamar en la regardant de toute sa tendresse

Florence baissa les yeux, et changeant de ton :

— À propos… le Cercle Rouge… quelles nouvelles ?

— Pas fameuses ! J’ai essuyé tous les échecs possibles.

Le couple arrivait dans la villa.

— Faisons le tour de la terrasse. Je ne veux pas revoir maman. Elle me gronderait encore de mon escapade… Pauvre chère maman… Ce que je la tourmente… Suivez-moi, docteur.

Florence et Max pénétrèrent dans le salon-bibliothèque et tous deux s’assirent sur un canapé.

— Vous disiez que vos recherches avaient été infructueuses, cher docteur ?

— Pas précisément, miss Flossie. Nous avons arrêté et convaincu du vol la femme de cette nuit, une nommée Clara Skinner. Mais devinez un peu quel est le complice de cette aventurière ? Sam Smiling, le cordonnier, votre protégé ! Avouez que vous faites un très mauvais placement de vos bienfaits !

— Sam Smiling, un malfaiteur ? Qui l’aurait cru ? dit Flossie avec stupéfaction.

— Et un malfaiteur des plus redoutables, un chef de bande d’une habileté consommée, dont la capture sera difficile et périlleuse. Il m’a semé, c’est le mot, dans des conditions peu ordinaires. Mais j’ai quelques raisons de le croire ici.

— Ici ?

— Ici-même, à Surfton.

Et Max Lamar conta à Florence toutes les péripéties de la poursuite à laquelle il s’était livré.

— Et vous restez ici pendant ce temps-là ? Mais il faut se hâter, il faut retrouver la piste de cet homme. Je vous accompagne !

Max Lamar interrompit, d’un ton calme :

— Un inspecteur est sur ses traces. Cet inspecteur sait que je suis chez vous et doit me prévenir dès que ce sera utile… D’ailleurs ma présence ici se justifie…

— Par quoi ?

— Par le désir de vous revoir… oui, de vous revoir pour vous remettre le bijou retrouvé…

Et, dépliant le papier dans lequel il avait enfermé le pendentif, il prit le bijou et le tendit à Florence.

Cette dernière eut un regard plein de tendresse et de ravissement.

— Rappelez-vous, dit-elle, ce que je vous ai demandé tout à l’heure.

Et d’un geste adorable, se penchant vers Max, elle lui tendit sa nuque.

Lamar, tremblant un peu, grisé par le charme de Florence, eut quelque hésitation. Il attacha maladroitement la chaîne autour du cou de la jeune fille. Au moment où il scellait le fermoir, il éprouva comme une défaillance, et Florence sentit sous ses boucles légères une haleine tiède qui lui sembla se transformer en un frôlement.

Elle se redressa.

— Merci, docteur. C’est très bien.

Elle se tenait toute droite, rigide, les yeux un peu exorbités, en proie à une sorte d’influence magnétique. Il lui semblait que le Cercle Rouge, ce Cercle Rouge maudit qui rôdait autour d’eux, même pendant cette heure exquise, allait apparaître sur sa main. Une force extérieure et qui venait certainement de Lamar semblait lutter pourtant contre la fatalité héréditaire qui grandissait en elle.

Laquelle serait victorieuse ?

Il est à croire que l’influence de Lamar n’était pas encore assez puissante sur la jeune fille, car elle sentit peu à peu, malgré toutes les résistances, monter à sa main l’horrible stigmate.

Elle fut prise d’une terreur affreuse.

Si Max Lamar allait s’apercevoir…

Elle avait la sensation que le Cercle, sur sa main qu’elle cherchait à cacher, s’agrandissait, rougissait, éclatant, impossible à dissimuler.

La sonnerie du téléphone retentit à ce moment.

Max Lamar, encore sous l’impression du charme souverain qu’il venait de goûter, sursauta, rappelé à la réalité.

— Ne vous dérangez pas. C’est sûrement pour moi, dit-il.

Florence, une fois de plus, était sauvée.

— À tout à l’heure, fit-elle en se retirant…

Max Lamar, ayant décroché le récepteur, écoutait.

— Allo ! C’est vous, Smithson ? Bien ! Qu’y a-t-il ?… Vous avez retrouvé la piste de Sam Smiling ? Parfait ! Où êtes-vous ? Birmingham Bar ? Seul ? Comment ? avec lui ?… À la table voisine… Mais c’est admirable… Est-ce bien sûr ?… Bien sûr ?… Que dites-vous ?… Allo !… Il se lève… Il part ?… Ne le lâchez pas, morbleu !… Je vais dans votre direction. Bon courage… Allo !… À tout à l’heure…

Max Lamar prit son chapeau. Il n’y avait pas un instant à perdre !

Il sortit rapidement de la villa.

Ses idées étant redevenues très claires, il se sentait prêt à l’action. Son plan était simple. Surfton n’avait qu’une grande rue qui conduisait à la plage en venant de la gare. Il y avait peu de chance pour que Sam retournât vers cette dernière. En se postant du côté de la falaise, au contraire, on pouvait espérer pincer le malfaiteur, si toutefois Smithson n’y avait pas encore réussi.

Max fit un léger détour par la droite pour rejoindre le Birmingham Bar, d’où il repartirait vers la direction supposée.

Le jour tombait rapidement.

Les lumières de l’établissement n’éclairaient plus, lorsqu’il y arriva, qu’une salle vide.

— Partis ! Je le savais… Remontons maintenant et soyons prêt à tout événement.

Il avait à peine fait un demi-mille qu’une ombre, que la nuit rendait gigantesque, dévala vers lui avec une vitesse foudroyante.

Il n’eut pas le temps de se garer et faillit être renversé par un homme qui semblait véritablement affolé.

— Monsieur Lamar !

— Smithson ! Vous ! Qu’y a-t-il ? Que signifie ?

— Ah ! monsieur Lamar, c’est bien simple, dit l’inspecteur d’une voix étranglée. Figurez-vous qu’en sortant du bar…

— Au fait, au fait ! dit Max Lamar qui s’impatientait.

— Eh bien ! j’y suis… mon bonhomme, qui m’avait reconnu, se mit tout à coup à détaler comme un zèbre. Je pars derrière lui. Je cours bien, vous savez, monsieur Lamar. En cinq minutes, je suis sur son dos. Je l’empoigne au collet au moment où il se dérobait derrière un rocher. Mais le gaillard est solide. Nous roulons tous les deux à terre. C’est la lutte avec alternatives. Au moment où je vais le maîtriser, le bandit passe la main dans mon dos et sort mon revolver de son étui. Il le braque sur moi. Je me relève d’un bond. Il continue à diriger le canon vers ma figure, en me criant : « Au large, et tout de suite, où je fais feu ! »

— Et alors ?

— Et alors, que voulez-vous… Désarmé, je ne pouvais que risquer une mort inutile. J’ai rebroussé chemin, poursuivi à mon tour par ce maudit Smiling, qui m’a presque reconduit jusqu’ici sous la menace de mon propre revolver…

— Jusqu’ici ? Alors, il n’est pas loin, dit Max Lamar. En avant !

Et il ajouta :

— Il a votre revolver, moi, j’ai le mien. Nous sommes de jeu.

Les deux hommes repartirent dans la direction prise par Sam Smiling.

Ce dernier était beaucoup moins éloigné que Max ne le supposait, car, au bout d’une centaine de pas, des coups de feu retentirent.

Lamar entendit une balle siffler à son oreille.

Un second projectile atteignit à la cuisse Smithson, qui tomba.

C’est alors que Lamar déchargea à son tour les six coups de son revolver dans la direction de Sam Smiling, qui venait de se démasquer et qui fuyait vers la falaise avec l’infatigable vitesse que nous lui connaissons.

Max Lamar n’hésita pas. Laissant le pauvre Smithson, qui n’était pas grièvement blessé, mais qui néanmoins ne pouvait bouger, il s’élança à la poursuite du bandit.

— Tu ne trouveras probablement pas de train de marchandises, cette fois, dit-il entre ses dents. Et je finirai bien par t’atteindre !

Et comme une flèche, il s’enfonça dans la nuit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant ce temps, Florence Travis, revenue vers sa chambre, prenait un déshabillé d’intérieur, s’accoudait à une table, l’air pensif, et rêvait.

Il lui semblait que Max était là tout près d’elle, qu’il savait tout et que, pourtant, il lui disait d’une voix passionnée :

— Je vous aime… quand même !… Rien ne peut nous séparer. Flossie… Je vous aime !…


fin du septième épisode