Juven (p. 189-192).

CHAPITRE XXIX

Où Parmentier se voit contester sa gloire.


Brusquement, Cap se tourne vers un jeune homme à l’air idiot qui près de lui dégustait un soyer au champagne[1].

— Lisez-vous le compte rendu de l’Académie des Sciences ?

— Jamais.

— Prenez-vous parfois connaissance de certaines publications périodiques ?

— Jamais.

— Mais, dans les quotidiens, il vous arrive bien de lire la partie consacrée aux sciences ; par exemple, les chroniques documentaires d’Émile Gautier ?

— Jamais.

— Je gage que vous ne détenez pas au meilleur coin de votre bibliothèque ce chef-d’œuvre de vulgarisation de notre ami Georges Claude : Électricité à la portée de tout le monde.

— Qu’en ferais-je ?

— Allons, je n’insiste pas… Vous êtes un type dans le genre de Brunetière, lequel, non content d’avoir fait déclarer la faillite de la Science, accuse encore la malheureuse de mille méfaits assez saugrenus, celui notamment de gêner les desseins de la Providence.

— Je n’accuse la Science de rien du tout, je me borne à l’ignorer.

— Combien, hélas ! de personnes logées à la même enseigne que vous !

Et qu’il faut donc les plaindre !

Car, que d’inattendues sources de gaieté leur échappent.

Tenez, sans aller plus loin, faites-moi donc le plaisir de déguster le dernier compte rendu de notre Académie des Sciences.

Vous y constaterez, non sans une bien légitime stupeur, que la pomme de terre n’est pas ce qu’un vain peuple pense.

La pomme de terre serait, si j’ose m’exprimer ainsi, le fruit d’une maladie, d’une maladie quasi-honteuse même, puisque produite par un ignoble champignon que M. Noël Bernard, l’auteur de cette découverte n’hésite pas à pavoiser du nom de fusarium.

Semez de la pomme de terre dans un sol privé de fusarium, assure M. Noël Bernard, et vous ne verrez point se produire de tubercules, cependant que les pieds de votre végétal fleuriront et fructifieront au mieux du monde.

Ces pieds de pommes de terre sans pommes de terre représentent donc l’état normal de la plante.

… Je n’ai pas l’honneur de connaître M. Noël Bernard, mais je vois d’ici l’air de révoltante satisfaction avec lequel il avance sa scientifique peut-être, mais à coup sûr, monstrueuse assertion.

Pour un peu, il fonderait la ligue contre le fusarium.

Mais ce n’est rien encore.

La gloire si noble de Parmentier, si pure, ne devait point trouver grâce devant un être tel que ce Bernard.

Parmentier, au dire de notre naturaliste, n’a jamais introduit la pomme de terre en France.

Ce fut, paraît-il, un nommé Clusius qui se chargea bien avant lui de ce soin.

Mais comme ce Clusius, agronome soigneux, prenait cure de ne semer ses pommes de terre qu’en terrains dénués de fusarium, n’apparaissait nul tubercule…

Parmentier, lui, n’y regarda pas de si près.

De là son incontestable notoriété.

Mais M. Noël Bernard veillait.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Trop de zèle attristant Bernard[2] ! Je comprends et j’approuve de toutes mes forces qu’on lutte contre la tuberculose, mais il y a tubercules et tubercules.

La pomme de terre, d’ailleurs, même en robe de chambre, est assez grande fille pour se défendre toute seule contre vos grotesques imputations.

Et n’est-ce point, parlant de la pomme frite, radieusement puissante en sa frêle apparence, que Victor Hugo émit jadis : « Dans tubercule, il y a Hercule ! »


  1. Dans un verre à gobbler rempli de glace pilée, versez une cuillerée de curaçao et une autre de marasquin, remplissez de Saint-Marceaux sec, remuez. Au moment de servir, ajoutez sans remuer, quelles gouttes de bonne crème de vanille.
  2. Je ne l’ai pas fait exprès, celui-là.