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LE BUREAU MÉTÉOROLOGIQUE
DE LONDRES.

(Suite et fin. — Voy. première partie.)

La Société royale de Londres avait concouru à la fondation du bureau météorologique par une remarquable série d’instructions (février 1855), sur les points les plus importants de la science et sur la forme à donner aux observations. Dans la réorganisation qui suivit la mort de l’amiral Fitz Roy, cette société fut invitée par le gouvernement à constituer un comité de surveillance du bureau, et le général sir E. Sabine, alors président, se plaça à sa tête, en s’adjoignant ceux de ses membres dont les travaux se rapprochaient plus particulièrement de la météorologie, ainsi que l’amiral Richards, hydrographe de l’Amirauté. Ce groupe éminent, qui remplit encore aujourd’hui les mêmes fonctions, entièrement gratuites, dispose d’une subvention votée annuellement par le Parlement, auquel il rend compte des dépenses. Il désigna comme directeur du Bureau un savant distingué, M. Robert H. Scott, auquel furent adjoints le capitaine Henry Toynbee pour la section maritime, et le docteur Balfour-Stewart pour celle qui comprend l’observatoire de vérification de Kewet la surveillance générale des instruments météorologiques.

Le service scientifique est divisé en trois grandes branches : 1° La météorologie de l’Océan ; 2° Les avis météorologiques du temps ; 3° La météorologie des îles Britanniques. Nous allons passer en revue leur organisation et leurs principaux travaux.

C’est, au fond, pour la première branche que le Bureau a été créé ; son domaine comprend l’extension de la principale œuvre de Maury, si bien désignée par Humboldt sous le nom de « Géographie physique de la mer. » On continue à y extraire les données actuellement fournies par les journaux de bord, en s’occupant également d’utiliser les documents anciens possédés par le Bureau, tels que ceux par exemple, qui proviennent de l’expédition de sir James Ross en 1840, 1841 et 1842, et qui peuvent servir à constituer la météorologie, si incomplète encore, des régions polaires australes. Parmi ces travaux, exécutés avec un grand soin, nous signalerons la collection de douze cartes relatives à la température de surface dans l’Atlantique sud ; — douze cartes sur lesquelles sont résumées de très-nombreuses observations recueillies dans les parages du cap Horn et des côtes ouest de l’Amérique méridionale ; — un groupe de cartes et un mémoire relatifs à la météorologie de la partie est de l’Atlantique située au nord du parallèle de 30 degrés, pour les onze jours précédant le 8 février 1870, période de tempêtes pendant laquelle disparut le navire the City of Boston ; — un groupe de cartes concernant une région signalée comme offrant un grand intérêt par Humboldt et par Maury, l’espace compris dans le carré n° 3 de la division de l’Atlantique proposée par Marsden et situé au voisinage de l’équateur, à peu près à égale distance de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Ces derniers travaux contiennent des faits importants sur lesquels nous nous sommes appuyé dans notre étude sur l’Origine des cyclones [1]. Une récente publication intitulée : Notes sur la forme des cyclones dans le sud de l’océan Indien, par M. C. Meldrum, directeur de l’Observatoire de l’île Maurice, fournit sur la théorie de ces phénomènes de nouvelles indications, qui ne manqueront pas d’y jeter une vive lumière.

La rédaction des Notices trimestrielles sur le temps a été continuée en employant des observations dont le nombre et la précision s’accroissent incessamment. C’est aussi dans cette section qu’a été publiée une nouvelle édition du Manuel barométrique de l’amiral Fitz Roy, mis en rapport avec les progrès de la science par M. Robert Scott.

Le directeur du Bureau s’occupe spécialement du service des avis télégraphiques du temps, auquel il a donné une organisation nouvelle. Les déductions empiriques qu’on tirait auparavant des données signalées ont fait place à des déductions plus méthodiques, et on ne s’est avancé que pas à pas, après avoir réduit tout d’abord les signaux à l’annonce des tempêtes complètement déclarées. Cette réforme a été appuyée sur les recherches de M. Buys-Ballot, directeur de l’Observatoire d’Utrecht et fondateur du système d’avertissement établi en Hollande, système dérivé du principe qui lie la direction et la force des vents aux différences barométriques des stations entre lesquelles ils soufflent. On a adopté la règle pratique, dite loi de Boys-Ballot, qui indique toujours l’existence du niveau barométrique le plus bas à main gauche, quand on tourne le dos au vent, règle reconnue comme très-utile. L’expérience a montré en outre qu’on peut être assuré qu’il n’y a pas danger de tempête tant que la pente (gradient), ou différence entre les hauteurs barométriques, n’excède pas pour une distance donnée 1mm par 50 milles. Toutefois la difficulté d’éliminer les conditions locales a empêché jusqu’ici d’établir des relations précises entre le vent et la hauteur du baromètre, et il n’a pas été possible de déterminer exactement le temps qui doit s’écouler entre la variation barométrique et la modification du vent.

M. Robert Scott poursuit depuis plusieurs années l’étude des mouvements et quelquefois des influences mutuelles des tourbillons que le courant équatorial amène sur les îles Britanniques, et il en a tiré des observations très-utiles pour les prévisions. Celles qui concernent les cyclones à dépressions centrales, et les anticyclones dans lesquels il y a une hausse du baromètre, par suite une sorte de culmination de l’air au centre, sont surtout intéressantes, comme nous l’avons fait voir dans l’article cité plus haut. Enfin une méthode féconde, fondée sur la similitude des conditions du temps, a été introduite. Elle rend déjà de remarquables services et en rendra davantage à mesure que la collection d’exemples des divers types du temps s’accroîtra.

Le perfectionnement successif du système des avertissements peut se mesurer par la proportion croissante de ceux qui ont réussi. Les comptes rendus annuels du comité constatent que le nombre des prévisions qui se sont vérifiées a été de 63,7 pour 100 en 1871 et de 80,5 pour 100 en 1872. Elles sont envoyées en Angleterre à 129 stations, généralement pourvues d’un mât de signaux où le cylindre et le cône, hissés pendant quarante-huit heures, éveillent l’attention des marins, et par leur position relative donnent l’indication probable du côté où la tempête menace. Ces avertissements sont aussi envoyés à la France, à la Hollande, aux pays Scandinaves et à l’Allemagne. En Angleterre, ils sont publiés par plusieurs journaux de Londres.

Les baromètres publics, dont l’observation est un élément si important pour la connaissance du temps, sont placés dans 120 ports ou villages de pêcheurs. Cinq cents exemplaires des cartes synoptiques journalières construites à l’aide des éléments fournis par les 47 stations météorologiques des îles Britanniques sont distribués soit à des abonnés, soit gratuitement. Les cartes synoptiques figurent sur chaque feuille au nombre de quatre donnant : 1o les courbes isobarométriques ; 2o les indications relatives aux vents et à l’état de la mer ; 4o les indications concernant les météores aqueux : nuages, pluies, brumes, etc. À ces cartes sont jointes des prévisions probables du lendemain pour les quatre districts du royaume : Nord de l’Angleterre jusqu’au comté du Northumberland, — Irlande, — côte Est de Northumberland jusqu’à la Tamise, — Sud de l’Angleterre, de la Tamise jusqu’au pays de Galles. Les observations des stations, auxquelles s’ajoutent celles des cartes journalières et des bulletins envoyés par les centres d’études météorologiques du continent, constituent les données qui servent à rédiger l’intéressante chronique générale du temps publiée par la revue trimestrielle.

Parmi les stations météorologiques de l’Angleterre, il faut en distinguer 40, qui ont des instruments ordinaires et sont desservies par des observateurs volontaires, et 7 observatoires, qui possèdent d’excellents instruments enregistreurs, ont des directeurs appointés pur le gouvernement, et relèvent spécialement de la troisième branche du Bureau, celle de la météorologie statique, c’est-à-dire de la climatologie des îles Britanniques, tandis que la seconde branche, plutôt occupée à suivre la marche des phénomènes par l’interprétation des observations simultanées, se rattache à la météorologie dynamique. Les sept observatoires sont établis à Kew, — Stonyhurst, — Falmouth, — Aberdeen, — Glasgow, — Armagh, — Valencia. Leurs documents graphiques sont reproduits sur des planches de cuivre à l’aide d’un instrument nommé pantographe, et imprimées dans la revue trimestrielle, où ils sont l’objet d’une discussion approfondie. Nous donnons (fig. I) comme exemple, les signes produits par les instruments à l’Observatoire de Valencia pendant une période de cinq jours du mois de septembre de l’année dernière.


On y reconnaît aisément la courbe barométrique. À la même hauteur se trouvent la courbe du thermomètre à bulbe sèche (dry) et celle du thermomètre à bulbe humide (wet). Au-dessous, figure la courbe de la tension de la vapeur d’eau. La pluie (rain) est indiquée le long de la ligne droite, où ce mot est écrit par de petits traits obliques. Les hachures partant d’en haut représentent par leur longueur la vitesse (velocity) du vent, dont la direction se déduit facilement de la courbe qui traverse le compartiment inférieur, la ligne droite médiane correspondant au sud. Les hauteurs du baromètre sont données en pouces et dixièmes, l’échelle thermométrique est celle de Fahrenheit et l’échelle anémométrique a été marquée en milles de 0 à 100. Toutes les fois qu’une période présente un intérêt particulier, la carte synoptique correspondante est reproduite en marge des tableaux. Ainsi la fig. II donne la situation du 25 septembre à 8 heures du matin.

M. Robert Scott a exposé à plusieurs reprises, dans des conférences qui ont eu beaucoup de succès, les principaux résultats des recherches du Bureau météorologique. Il a été envoyé par le gouvernement au Congrès des météorologistes de Leipzig et de Vienne, dans lesquels son expérience et ses vues judicieuses auront certainement été très-appréciées.

Les fonds alloués au personnel et au matériel du Bureau s’élèvent à 250 000 francs, et il est probable qu’en vue de plusieurs développements projetés, ils seront prochainement augmentés. Le service météorologique, très-étendu aux États-Unis, y reçoit une subvention beaucoup plus considérable (1 200 000 fr). Nous sommes comparativement bien en retard aujourd’hui en France pour l’organisation de la météorologie pratique, qui a eu cependant un remarquable début, a enrichi la science de faits importants et d’observations nombreuses. De douloureux événements ont momentanément entravé ce progrès, qui sans doute reprendra bientôt son cours, par l’appui éclairé du gouvernement, et par le zèle des savants qui ont pris à cœur d’établir aussi dans notre pays une institution féconde pour l’avancement de la science et favorable au développement du bien-être commun.
F. Zurcher.


  1. Voir Origine des Cyclones.