Le Bréviaire des Bretons de P. Lebaud faussement attribué au copiste Mauhugeon

LE BRÉVIAIRE DES BRETONS
DE P. LEBAUD
FAUSSEMENT ATTRIBUÉ AU COPISTE MAUHUGEON.




Le catalogue des manuscrits de Colbert, publié par Montfaucon[1], signale, sous le no  4819, une Histoire en vers de la Bretagne et l’attribue à un certain Maubugeon. Cette indication est passée dans la Bibliothèque historique du Père Lelong[2], mais avec des modifications qui semblent indiquer qu’elle a été l’objet d’une vérification. L’ouvrage y est devenu, en effet, une Histoire des seigneurs de la petite Bretagne, en vers françois, et le nom de son auteur prétendu est orthographié Mauhugeon au lieu de Maubugeon.

C’est sous cette dernière forme qu’il est entré dans la Biographie bretonne de Levot[3]. L’article très court qui lui a été consacré et que nous pouvons par suite reproduire, sans trop allonger la présente note, a été rédigé par M. Frédéric Saulnier :

« Jean de Mauhugeon nous est totalement inconnu. Est-il Breton ? Ce nom, à notre connaissance, n’existe plus en Bretagne. M. de Kerdanet (p. 62 de ses Notices chronologiques) nous apprend seulement qu’en 1488 Jean de Mauhugeon composa, en vers français, une Histoire des seigneurs de la petite Bretagne (in-folio) qui se conserve à la Bibliothèque impériale, département des manuscrits. »

MM. de Kerdanet et Frédéric Saulnier se seraient évité des recherches inutiles, s’ils avaient eu l’idée d’examiner le manuscrit qu’ils signalent. Ils auraient vu, en effet, que cette Histoire des seigneurs de la petite Bretagne n’est autre que l’ouvrage imprimé sous le titre de Bréviaire des Bretons et que son auteur est, non pas ce « Mauhugeon totalement inconnu, » auquel ils ont fait l’honneur d’un article, mais bien un historien breton d’une certaine notoriété, Pierre Lebaud. Ils auraient pu ajouter que cet ouvrage avait été publié, dès 1638, par les soins de Pierre d’Hozier, d’après un manuscrit appartenant alors au marquis de Molac[4].

D’où vient donc l’erreur commise par les rédacteurs des notices publiées par Montfaucon et par le Père Lelong ?

La cause en est très vulgaire. Ils ont pris le nom d’un copiste pour celui de l’auteur. Le ms. français 6012 de la Bibliothèque nationale (ancien 4819 de la bibliothèque de Colbert) se termine, en effet, par l’explicit suivant : « Finis. Votre très humble et très obéissant subgect et serviteur. Mauhugeon. » Cette signature a été considérée comme celle de celui qui avait composé le poème, alors qu’elle n’était que celle de celui qui l’avait transcrit. Le nom de Mauhugeon est donc à rayer, sous le bénéfice toutefois de l’hypothèse que nous exposons plus loin, de la liste des historiens bretons. Nous ignorons pourquoi M. de Kerdanet et M. Saulnier lui ont attribué le prénom de Jean. Peut-être ont-ils cru pouvoir l’identifier avec un Jean Mauhugeon qui était, en 1477, maître de l’artillerie de Bretagne[5].

Le manuscrit français 6012 présente une autre particularité qu’il convient de signaler. Le poème ne s’y arrête pas, comme dans le manuscrit du marquis de Molac, à la mort (15 septembre 1469) de Marguerite, première femme du duc François II. Il y est accompagné de deux strophes inédites, dans lesquelles sont rapportées les dates de mort, non seulement du susdit duc François (9 septembre 1488), mais de sa fille puinée Isabelle (24 août 1490). L’ouvrage se termine, par suite, sur la constatation que Anne, la fille survivante, resta « seule héritière du duché. »

C’est, sans doute, parce qu’il a été trompé par ce détail qu’un ancien possesseur de ce manuscrit a cru y reconnaître une « Généalogie de madame Anne de Breteigne, royne de France, » et a écrit ce titre sur un feuillet de garde. Ballesdens, auquel il a appartenu[6] avant d’appartenir à Colbert, s’est contenté d’y mettre son nom.

Mais ces deux strophes sont-elles de P. Lebaud, de Mauhugeon ou de tout autre ? La réponse, comme on va en juger, ne saurait être catégorique. Voici, d’abord, non seulement ces deux strophes, mais celle qui les précède immédiatement dans le manuscrit 6012 et se trouve être la dernière dans l’édition de P. d’Hozier :

      Et eut la fille aisnée du duc Françoys à femme,
Qui trespassa à Nantes, Jesus-Crist en ait l’ame.
Il règne à présent, Dieu luy doint prosperer,
Et sa postérité à tousjour mais durer.

      Puis, en secondes nopces, iceluy duc Françoys
Espousa, à Cliczon, Marguerite de Foix,
De laquelle eut deux filles, Anne et Ysabeau,
Dont la puisnée fut mise à Rennes en tombeau.

     Et mys en sepulture près sa première femme,
Il fut de cueur piteux, Dieu en veil avoir l’ame.
Ainsi demeura Anne seulle fille héritière
Du duché de Bretaigne, qui lors n’estoit entière.

Finis.

Il suffit de lire ces strophes pour voir que les deux dernières sont le résultat d’une addition et ne faisaient certainement pas partie de l’œuvre primitive. On ne comprendrait pas, sans cela, que l’auteur, après avoir dit, en parlant du duc François II :

Il règne à présent, Dieu luy doint prospérer ;

n’eut pas modifié ce vers, alors qu’il ajoutait un peu plus loin que le même duc avait été « mis en sépulture » près de sa première femme.

Il ne semble donc pas qu’on puisse attribuer ces deux strophes à P. Lebaud. Tout porte à croire, sans qu’il soit possible de l’affirmer, qu’elles ont Mauhugeon pour auteur et que c’est pour être agréable à celui ou à celle, dont il se dit le « très humble et très obéissant subgect et serviteur, » qu’il les a composées. Cette formule, d’ailleurs, n’amène-t-elle pas à supposer que la présente copie comportait, dans son plus ancien état, une dédicace qui manque aujourd’hui ?


C. Couderc.



  1. Bibliotheca bibliothecarum, t. II, p. 1010 a.
  2. Bibliothèque historique de la France, t. III, no  35374.
  3. Biographie bretonne, t. II (1857), p. 418.
  4. Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et de Laval, par Pierre Lebaud…, le tout nouvellement mis en lumière, tiré de la bibliothèque de monseigneur le marquis de Molac…, par le sieur d’Hozier. Paris, 1638, in-fol., 2e partie, p. 89-135.
  5. Lobineau, Histoire de Bretagne, I, 712, et II, 1634.
  6. Nous ne l’avons pas retrouvé, toutefois, dans l’inventaire de ses livres rares et manuscrits, publié par M. L. Brièle : la Bibliothèque d’un académicien au XVIIe siècle. Inventaire et prisée des livres rares et des manuscrits de J. Ballesdens suivis de son testament. Paris, 1885, in-fol. Extrait des Documents pour servir à l’histoire des hôpitaux de Paris, t. IV.