Lachès (trad. Cousin)/Argument philosophique

Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome cinquième
◄   Charmide Index Phèdre   ►


ARGUMENT PHILOSOPHIQUE

LE Lachès est en quelque manière le pendant du Charmide. L'objet, la forme, tout est semblable ; et on dirait que ces deux dialogues sont les deux parties d'un même tout.

Le but du Lachès est purement négatif, comme celui du Charmide. Socrate s'y propose de montrer que l'éducation est une chose grave ; qu'on ne peut apprendre aux autres que ce qu'on sait soi-même ; que, pour donner des leçons de vertu, il faut bien connaître en quoi la vertu consiste ; et que, par exemple, sans parler de la vertu en général, et pour ne traiter que d'une de ses parties, la force ou le courage, il n'est pas facile de se faire une idée claire et complète de sa nature. Ici se présentent différentes définitions du courage, que Socrate réfute successivement.

Lachès, homme de guerre, commence par dire que le courage consiste à tenir ferme à son poste et à ne pas fuir devant l'ennemi. Mais ce n'est là que le courage militaire, et encore, comme définition du courage militaire, celle de Lachès n'est-elle pas complète ; car souvent l'homme courageux fuit à dessein devant l'ennemi, pour l'attirer dans le piège et l'accabler. — Lachès essaie donc une définition plus étendue. Le courage est, dit-il, la constance. Mais cette définition est encore incomplète ; car la constance toute seule, sans lumières et sans raison, peut n'être qu'un entêtement dangereux.

Alors, comme dans le Charmide, un autre antagoniste, Nicias, vient soutenir la discussion. Il met en avant cette troisième définition, que le courage est la science de ce qui est à craindre ; et, en effet, connaître le péril qu'on brave est une des conditions du courage. On peut affronter les plus grands dangers, si on les ignore, soit folie, passion ou faiblesse d'intelligence, on n'est réellement pas courageux : l'animal et l'enfant n'ont pas de courage. Mais, répond Socrate, si le courage est la science de ce qui est à craindre, le médecin, qui sait ce qui est à craindre dans les maladies, a donc du courage ; et, à ce compte, on peut regarder le devin comme l'être courageux par excellence. Et puis, si le courage est la science de ce qui est à craindre, le courage est donc une science. Or, une science, comme telle, doit être absolue. Elle ne peut se rapporter à l'avenir exclusivement, elle doit embrasser également et l'avenir et le passé et le présent. Mais une pareille science est alors la science de tous les maux et de tous les biens possibles ; c'est la science du bien et du mal. Or, la science du bien et du mal est la science de la vertu en général, tandis qu'on ne voulait définir qu'une des parties de la vertu, savoir, le courage. D'où il suit que si les deux premières définitions restent en deçà du défini et ne l'embrassent pas dans sa totalité, cette dernière le dépasse, d'où il suit encore qu'il n'est pas aisé de savoir au juste ce que c'est que le courage, ni par conséquent d'en donner des leçons ; qu'un bon maître est une chose très rare, et que l'éducation d'un homme est une entreprise périlleuse.

On ne peut méconnaître dans la marche et les détails de ce dialogue le même artifice et le même genre de subtilités dialectiques dont le Charmide est parsemé, et l'on est forcé de regretter aussi que l'importance des idées n'y soutienne pas toujours les grâces et la délicatesse de la forme.