La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe/33

La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe (Life and sport on the north shore of the lower St. Lawrence and gulf, 1909)
Traduction par Nazaire LeVasseur (1848-1927).
Garneau (p. 278-280).

Moyens faciles de se procurer du gibier à plumes



EN LISANT le récit de l’excursion de Hubbard au Labrador, The Lure of the Labrador, par son compagnon, Dillon Wallace, j’ai remarqué qu’en toute apparence, il employait ses loisirs à faire la pêche pour se nourrir. Il semble s’être peu occupé de tendre au collet ou au piège pour se procurer du gibier.

Tendre au collet est chose très facile et très rapide, et l’on se procure ainsi du gibier comme du lièvre et de la perdrix qu’autrement il ne serait aucunement possible même d’entrevoir. Les pièges en acier aident aussi à prendre comme vivres du gibier qu’autrement on ne pourrait pas atteindre ; une couple de pièges légers du genre connu sous le nom de piège sauteur à double ressort, compensent de beaucoup le trouble que l’on prend de les emporter. Pour toutes fins, la trappe No 2 ou trappe à vison est la meilleure. Deux de ces pièges avec leurs chaînes pèsent environ une livre et quart. Nombre de gros oiseaux comme le hibou et l’épervier se prennent dans cette trappe, quand on l’accroche au bout d’une perche sur un terrain élevé. Malgré qu’il n’y ait pas un seul oiseau visible durant la journée, il est extraordinaire de constater ce qu’un piège bien tendu peut en attrapper. Je connais un chasseur qui, en un seul hiver, prit plus d’une centaine de hibous blancs, cendrés et à longues aigrettes, à part les gerfauts, et les faucons pèlerins, les geais (vulg. pies). Le poids total de ce gibier pris dans ses quatre ou cinq pièges devait s’élever à près de mille livres. Comme la plupart de ces oiseaux sont extrêmement farouches, je suis absolument sûr qu’une douzaine de bons fusils n’auraient pas réussi à faire tomber la moitié de cette quantité. M’est bien avis que pareilles trappes peuvent être de grand service aux partis d’explorateurs dans les régions du nord.

On doit choisir des pointes de terre assez avancées le long d’une ligne de côte ou sur les lacs pour y tendre des trappes. Là où il n’y a pas d’arbres, on utilise un pieu ou une perche de pas plus de trois ou quatre pieds de hauteur. Dans les cas de nécessité, on peut facilement prendre des oiseaux aquatiques, tels que des oies et des canards noirs, en installant des trappes aux endroits où ils viennent chercher leur pâture ou encore sur les grèves où ils se rassemblent pour se chauffer au soleil. On peut aussi attrapper des goélands au moyen d’un appât auprès duquel on tend le piège, ou en l’attachant au plat. Les pêcheurs et les Indiens prennent souvent ces oiseaux-là en appâtant leurs hameçons d’un morceau de gras qui flottera. On emploie aussi généralement du foie de morue, mais tout autre corps gras, suffit, sur les bancs de sable, le frétin ou des moules, ou de fait tout autre aliment fait l’affaire.

La plupart des oiseaux de cette dernière espèce ne sont pas regardés comme comestibles ; on leur trouve un fort goût d’huile et de poisson, cependant, pareilles considérations n’importent pas devant un estomac affamé. Aux personnes qui n’en sont pas à ce point d’urgence, mais désirent varier leur menu avec un peu de gibier, je recommanderais ceci : bien nettoyer les oiseaux et les vider aussitôt que possible après les avoir tués ; les accrocher par les pattes en un endroit frais, si la température est au chaud, pendant quelques heures et même jusqu’à deux ou trois jours, mais pas plus longtemps, à moins qu’on ne puisse les faire geler. Quand la cuisine en réclame, enlever la peau et les parties grasses, et faire cuire à l’étuvée. Il y a une autre manière de les faire cuire ; je la crois préférable, mais bien moins économique. Après l’écorchement tel qu’indiqué, on prend un couteau, on enlève les deux parties charnues de la poitrine seulement, disséquant le long des os, sans en ôter, jusqu’aux ailes ; ce qui fera deux bons morceaux de viande. On les fait frire dans la poêle comme le steak, avec un tout petit morceau de beurre, du poivre et du sel. On sera surpris de constater combien c’est agréable au goût, et bien peu de gens, à moins d’en avoir été prévenus sont en état de dire s’ils mangent des oiseaux d’eau douce ou de mer.

On ne devrait jamais faire rôtir le canard macreuse à la poêle ou au four, car ce procédé en fait ressortir le goût d’huile. Les mouettes lomvia troile qui émigrent en myriades le long du Saint-Laurent, à certaines années, et parfois se rendent à l’ouest jusqu’aux grands lacs, sont abattues par milliers au cours de leurs migrations, mais on ne les utilise pas, parce qu’on les regarde comme non comestibles. En les faisant rôtir, tel que je viens de le décrire, on en rejetterait bien peu après y avoir une fois goûté.

De temps à autre on m’a demandé pourquoi le geai du Canada (la pie) Perisorens Canadensis, s’appelle-t-il whisky-jack. Ce nom est une corruption de celui que les Indiens donnent à cet oiseau, Ouiske-Stian, ce qui dans le dialecte montagnais signifie « mangeur de gras » ou « celui qui cache le gras, » désignation rigoureusement exacte, car la première chose qu’il fait en trouvant du gras, est de le cacher. Si l’on suspend quelque part dans le bois la carcasse d’un animal, et qu’il se trouve des geais aux environs, tout le gras de l’animal disparaît promptement.