La vie d’Évariste Galois/Texte entier

Gauthier-Villars (p. 197-266).

LA VIE D’ÉVARISTE GALOIS,

Par M. P. DUPUY,
professeur agrégé d’histoire, surveillant général de l’école normale.


Les premiers éléments de cette étude ont été réunis depuis longtemps au cours de recherches relatives à l’histoire de l’École Normale. Je m’étais proposé l’année dernière de les utiliser en rédigeant une courte biographie comme annexe à l’étude purement scientifique que M. Sophus Lie a écrite sur Galois, dans le Livre du centenaire de l’École Normale. Le temps m’a fait défaut, moins pour écrire que pour compléter les recherches qui me semblaient indispensables. Peut-être ne les aurais-je pas reprises de si tôt, si la Société Mathématique n’avait pas annoncé une édition des œuvres de Galois jusqu’ici dispersées dans les divers recueils scientifiques où elles ont paru, ou réunies dans les Annales de Liouville, que les mathématiciens n’ont pas toujours facilement à leur disposition. L’occasion m’a paru bonne pour achever mon enquête que j’ai poussée dans toutes les directions, en cherchant à pénétrer la personne de Galois le plus intimement possible, et à l’éclairer aussi du dehors par une connaissance exacte du temps et des circonstances particulières où il a vécu.

J’avais d’abord à ma disposition un certain nombre de notes, très intéressantes assurément, mais fort incomplètes aussi, publiées sur Galois dans différents recueils, et qui ont fourni jusqu’à présent les éléments des articles parus dans les dictionnaires biographiques ou encyclopédiques. La plus ancienne et la principale est celle que son camarade d’école et ami, Auguste Chevalier, inséra en novembre 1832 dans la Revue encyclopédique d’Hyppolyte Carnet et Pierre Leroux. La Note est précédée d’un avant-propos où je crois bien reconnaître la main de Pierre Leroux. Quatorze ans plus tard, Liouville, en publiant les Mémoires inédits de Galois, rédigea aussi une Notice qui n’ajouta rien à celle de la Revue encyclopédique. En 1848, le Magasin pittoresque publia à son tour une courte biographie non signée, mais que M. Ludovic Lalanne[1] m’a dit être de Flaugergues[2], et un portrait fait de mémoire par Alfred Galois, frère d’Évariste Galois. En 1849, les Nouvelles Annales de Mathématiques donnèrent à la suite d’une notice sur M. Richard, le professeur de spéciales de Galois, une courte Note sur Galois lui-même. Enfin, dans ces dernières années, l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux a signalé dans les Mémoires d’Alexandre Dumas père un passage intéressant sur le duel où Galois fut mortellement blessé.

Tel était l’ensemble des documents, accessibles à tout le monde, que je pouvais utiliser tout d’abord. Pour les contrôler, les critiquer et les compléter, il m’a fallu entreprendre des recherches dans différents dépôts d’archives. J’ai trouvé à glaner aux archives de l’École Normale, à celles du Ministère de l’Instruction publique et de l’Académie de Paris, aux Archives nationales, à celles du Bourg-la-Reine, de la préfecture de la Seine, de l’hôpital Cochin, des prisons de la Conciergerie et de Sainte-Pélagie. Malheureusement celles de la Préfecture de police, de la cour et du tribunal de Paris, où devaient se trouver des notes intéressantes et toute la procédure de ses affaires judiciaires, ont été brûlées en 1871. Les collections de journaux du temps, conservées soit à la Bibliothèque nationale, soit à celle de l’Arsenal, ne permettent de suppléer que très incomplètement à l’absence de ces documents. Pourtant la Gazette des Tribunaux a donné un compte rendu de tous les procès de Galois. D’autres journaux, comme la Tribune, m’ont fourni un certain nombre de détails intéressants. Un autre, la Gazette des Écoles, complète les documents conservés aux Archives nationales et aux archives de l’École Normale sur l’affaire qui amena l’expulsion de Galois de l’École Normale.

Les livres sur le temps où a vécu Galois ne manquent pas, mais ne fournissent en général sur lui, sauf les Mémoires du préfet de police Gisquet et les Lettres sur les prisons de Paris de Raspail, que des indications très brèves, impropres à ajouter à sa biographie. À vrai dire, il n’existe rien encore qui nous permette de nous rendre un compte précis de l’histoire du parti républicain dans cette période héroïque de son existence ; et j’espère que, lorsque les papiers, mémoires ou correspondances des principaux chefs du parti seront livrés au public, on y rencontrera sur Galois, et en particulier sur les circonstances dans lesquelles il a trouvé la mort, des renseignements nouveaux, propres à en éclaircir le mystère. Il m’a été impossible de le faire.

Je me suis enfin adressé à la famille de Galois, qu’une heureuse chance m’a fait retrouver très rapidement. L’unique survivant parmi les normaliens qui ont connu Galois à l’École, M. Bénard, a précisément épousé une cousine germaine de son camarade ; par elle et par les autres parents survivants dont elle m’a fait faire la connaissance, j’ai pu recueillir tantôt des souvenirs directs, tantôt des traditions conservées dans la famille depuis soixante-quatre ans que Galois a disparu. De ce côté mon acquisition principale a été celle du portrait de Galois fait d’après nature, lorsqu’il avait quinze ou seize ans. Je le dois à l’extrême obligeance de sa nièce, Mme  Guinard, fille de la sœur aînée de Galois, Mme  Chantelot. Qu’il me soit permis de lui adresser ici tous mes remercîments, pour le zèle avec lequel elle m’a secondé. Je n’en dois pas moins à M. et à Mme  Bénard, au colonel Guinard, qui m’a communiqué un des autographes que je publie, à M. Gabriel Demante, ancien professeur à la Faculté de droit de Paris, et à son frère, M. l’abbé Demante, auxquels je suis redevable d’un grand nombre de détails curieux et précis sur l’enfance de Galois.

Il va sans le dire que je me suis efforcé de contrôler les uns par les autres tous les documents que j’ai eus entre les mains. Je me suis efforcé de le faire sans parti pris, bien qu’avec une sympathie sans cesse croissante pour le génial et infortuné jeune homme qui paya de tant de souffrances l’incroyable puissance de ses facultés ; j’ai tenu surtout à l’expliquer, ou du moins à expliquer ce qu’il y avait d’explicable dans son caractère et dans ses aventures. Je l’ai toujours vu au milieu des choses, des gens, des événements, des institutions de son époque ; un intérêt d’histoire s’ajoutait ainsi pour moi à un intérêt de biographie. Mon souhait essentiel est de substituer un portrait exact de cet illustre mathématicien aux vagues croquis que l’on en possédait ; mais j’avoue que ce serait aussi pour moi une vive satisfaction, si l’on jugeait qu’en racontant la vie de Galois j’ai pu éclairer d’un jour curieux quelques coins de la Révolution de 1830, et des années si troublées et si vivantes entre lesquelles elle s’insère.




I.

Évariste Galois est né le 25 octobre 1811, au Bourg-la-Reine, dans une maison qui porte aujourd’hui le no 20 de la Grand’Rue. Avant d’être peinte en vert et en saumon et de s’appeler pour le Parisien Villa de Bourg-la-Reine, cette maison était naguère encore une institution de jeunes gens, dont l’origine remontait au delà de la Révolution. Elle avait eu alors pour propriétaire le grand-père d’Évariste. Loin de souffrir de la Révolution, le grand-père Galois lui avait dû au contraire la prospérité de son pensionnat : le Bourg-la-Reine, devenu le Bourg-l’Égalité, jouissait d’un calme relatif à petite distance de Paris ; la plupart des collèges ou des autres pensionnats, tenus presque tous par des prêtres, avaient disparu ou étaient devenus suspects : c’étaient autant de circonstances favorables dont l’institution Galois avait profité ; elle avait dû aussi une part de son succès aux sentiments ardents avec lesquels la famille Galois s’était ralliée d’abord à la Révolution, puis à l’ordre de choses qui en était issu. Pendant que son fils aîné, officier dans la garde impériale, se battait un peu partout en Europe, M. Galois avait cédé sa pension à son cadet Nicolas-Gabriel, et celui-ci, lorsque naquit Évariste, était devenu depuis un an un véritable fonctionnaire, le chef d’une institution de l’Université impériale.

Nicolas-Gabriel Galois avait alors trente-six ans : c’était bien un homme du dix-huitième siècle, aimable et spirituel, habile à rimer des couplets ou à tourner des comédies de salon ; il était en même temps profondément pénétré de philosophie. Il avait vu avec joie la chute de la royauté et, même au déclin de l’empire, il aurait encore préféré tout au retour de l’ancien régime. La première restauration fit de lui le chef du parti libéral au Bourg-la-Reine. Pendant les Cent jours, le vote de l’assemblée primaire lui confia la mairie du village. Après Waterloo, il aurait dû rendre la place à son prédécesseur ; mais celui-ci, dans l’intervalle, avait été disqualifié par de mauvaises affaires et venait de quitter le pays : M. Galois profita de l’embarras du préfet pour lui demander d’être confirmé ou remplacé, et, faute d’autre candidat, il fallut le renommer officiellement à la fonction qu’il n’avait pas cessé d’exercer[3]. Il devait la conserver jusqu’à sa mort, scrupuleux observateur, sans aucun doute, du serment de fidélité qu’il avait prêté au roi, mais assez fort de l’appui de ses administrés pour résister très fermement à l’omnipotence du curé.

Il avait épousé sous l’empire une jeune fille, Adélaïde-Marie Demante, dont la famille, bien connue à la Faculté de droit de Paris, habitait le Bourg-la-Reine, presque en face de la maison Galois. Là aussi, dans une aisance modeste, se conservaient depuis longtemps des traditions de culture intellectuelle dont Évariste Galois devait recueillir l’héritage dès son enfance. Son grand-père maternel, Thomas-François Demante, était docteur abrégé à la Faculté de droit de l’ancienne université de Paris ; l’empire en avait fait un magistrat et, lorsque naquit Évariste, il présidait le tribunal de Louviers. C’était un latiniste passionné d’ancien régime : lui-même, il avait rompu tous ses enfants, filles et garçon, aux exercices de la vieille éducation classique ; il leur avait en même temps donné une solide instruction religieuse ; mais sur sa fille Adélaïde-Marie l’empreinte de l’antiquité avait été la plus forte. À travers la monotonie apparente des traductions quotidiennes du Conciones, les leçons sans cesse renouvelées du stoïcisme romain avaient pénétré jusqu’au fond l’âme de la jeune fille et lui avaient donné une trempe virile ; non qu’elle eût cessé d’être chrétienne ; elle fit au contraire toute sa vie profession de l’être, mais sans aucune nuance de dévotion féminine, rapprochant des textes sacrés ceux de Cicéron et de Sénèque et réduisant presque la religion au rôle d’enveloppe des principes de la morale. Avec cela une imagination ardente qui exaltait encore chez elle la force du caractère et donnait à ses vertus, que ce fût le sentiment de l’honneur ou le pardon des injures, quelque chose de passionné[4].

Telle était la mère d’Évariste Galois. Il faut la connaître pour le bien comprendre lui-même, et il faut savoir aussi que, jusqu’à l’âge de douze ans, il n’eut pas d’autre maître. Sur cette première partie de sa vie, ce qu’on sait de sa mère est à peu près tout ce qu’on sait de lui. Comme elle n’est morte qu’en 1872, âgée de 84 ans, il m’a été assez facile de rencontrer des personnes qui l’ont bien et longtemps connue : elles ont gardé très précis le souvenir de son intelligence restée vivace jusqu’au bout, de sa générosité poussée, paraît-il, jusqu’à l’imprévoyance ; il m’est arrivé même de l’entendre taxer d’originalité et de bizarrerie, et j’ai cru devoir le noter, parce que cela aussi aide à expliquer des jugements analogues portés sur son fils, qui tenait assurément d’elle les principaux traits de sa personne morale. Quant à lui, mort si jeune et depuis soixante-quatre ans, les parents ou les amis qui l’ont connu, lorsqu’il était encore l’élève de sa mère, sont devenus très rares, et les souvenirs qu’ils ont gardés de ce temps bien lointains et bien vagues. Cependant sa cousine germaine, Mme  Bénard, née Demante, fille et sœur des jurisconsultes bien connus qui professèrent à la Faculté de droit, se rappelle encore un garçon sérieux et aimable, grave et affectueux, qui tenait une grande place dans le petit monde d’enfants groupés autour de la grand’mère Demante. C’était Évariste qui, dans les fêtes de famille, en digne fils de son père, composait les dialogues ou rimait les couplets à l’ancienne mode dont sa sœur, ses cousins et ses cousines régalaient la vieille dame. Je ne suis même pas bien sûr que quelques refrains de la façon de Galois ne rôdent pas encore dans la mémoire de Mme  Bénard ; je n’ai pas osé insister pour obtenir de sa complaisance ces vers, qui n’ont sans doute aucun autre intérêt que celui de souvenirs intimes. Mais ce que Mme  Bénard m’a dit très volontiers, c’est, en contraste avec la gaîté juvénile des années passées au Bourg-la-Reine, le vide laissé par le départ de Galois, lorsqu’il entra à Louis-le-Grand, et, bientôt après, le changement de caractère qui coïncida avec la première éclosion de son génie mathématique et préluda aux dernières années de sa vie, si pleines, si agitées, si étranges.

C’est en 1823 que Galois quitta sa famille pour le collège. Déjà, deux ans auparavant, une demi-bourse lui avait été accordée au collège de Reims[5] ; mais sa mère avait préféré le garder encore près d’elle et il ne la quitta que pour entrer en Quatrième à Louis-le-Grand comme interne.

Sensible comme il l’était, l’enfant dut éprouver une impression singulière, en passant du village natal et de la maison paternelle, où la vie était grave et riante à la fois, dans cette sombre demeure du vieux Louis-le-Grand, toute hérissée de grilles et remuée de passions sous son aspect de geôle : passion du travail, et des triomphes académiques, passion des idées libérales, passion des souvenirs de la Révolution et de l’Empire, haine et mépris de la réaction légitimiste. Depuis 1815 les révoltes n’y avaient pas cessé ; deux proviseurs s’y étaient déjà usés en huit ans : le premier, M. Taillefer, parce que sa présence seule était une cause de mutinerie ; le second, M. Malleval, au contraire, parce que, pour obtenir la paix, il avait laissé carte blanche au libéralisme. Au moment où Galois entra à Louis-le-Grand, un nouveau proviseur, M. Berthot, venait d’en prendre la direction et s’apprêtait à gouverner à la manière forte. Aussitôt les internes jugèrent qu’il n’avait été mis là que pour préparer le retour des Jésuites et manifestèrent contre lui en s’abstenant de chanter à la chapelle ; la répression ne se fit pas attendre : elle eut pour résultat de donner à la sédition une forme moins négative et de la faire passer dans les salles d’études ; on jeta alors les principaux mutins dans la rue, sans même avertir leurs familles, et telle fut l’exaspération des élèves qu’à la Saint-Charlemagne de 1824 ils résolurent de garder le silence lorsque le proviseur porterait le toast accoutumé au roi. Non seulement ils se turent, mais quelques professeurs ayant répondu sans ensemble, leurs voix qui faisaient long feu furent couvertes par des rires. Scandale abominable ! Attéré et furibond, M. Berthot n’hésita pas à mettre à la porte tous les élèves présents au banquet ; il décapita ainsi son collège[6].

Galois ne comptait pas encore parmi les tout premiers de sa classe à la fin de janvier 1824, puisqu’il ne fut pas expulsé. Peut-être même le prix et les trois accessits qu’il obtint à la distribution furent-ils dus en partie à ce bouleversement ; ils suffirent en tout cas pour attester que l’enfant avait fait honneur aux leçons de sa mère, et n’avait pas perdu les habitudes de travail régulier qu’elle lui avait données. Cependant, lorsqu’on sait la suite, il faut bien penser que ce qu’il vit à Louis-le-Grand pendant cette première année d’internat eut une influence décisive sur son caractère ; ce fut, sans doute, la première crise de sa vie d’enfant. Jusqu’alors il n’avait connu que dans les livres et les entretiens maternels les luttes et les sacrifices pour la liberté, les conjurations contre la tyrannie ; et voici qu’il venait de les trouver tout de suite réalisés dans ce monde, nouveau pour lui, du collège, d’où la crainte ne réussissait pas à écarter les souffles de la liberté, où l’étroitesse même des murs et les sévérités du règlement leur donnaient plus de force sur de jeunes âmes enivrées par les délices des premiers enthousiasmes. La sienne avait été trop bien préparée pour n’être pas aussitôt prise à ce qu’il y avait de généreux dans l’esprit de désordre qui régnait alors dans la plupart des collèges de Paris. C’est alors, j’en suis convaincu, que s’enracinèrent dans son cœur les sentiments qui firent la foi de sa vie : il est resté jusqu’à son dernier jour un Louis-le-Grand de 1824.

Cette crise morale ne ralentit pas d’ailleurs son travail : il releva encore son rang dans sa classe, et obtint, à la fin de la Troisième, le premier prix de vers latins et trois accessits ; un accessit de version grecque au Concours général le classa parmi les élèves sur lesquels le collège devait compter pour l’avenir. C’est en Seconde seulement que parurent les premières marques de lassitude et de dégoût pour le travail scolaire ; il n’eut que quatre accessits au lycée. Il avait probablement aussi été mal portant pendant l’année ; pour ménager sa santé et raffermir ses succès, le proviseur proposa de lui faire redoubler la Seconde. D’après une lettre qu’il écrivit au père de Galois, il pensait surtout que l’enfant n’avait pas encore le jugement assez mûr, et n’estimait pas à leur juste valeur les prix et le Concours général : une nouvelle seconde lui ouvrirait les yeux sur ses véritables intérêts[7]. Je me permets de croire que le proviseur ne voyait pas le mal de Galois tel qu’il était, et n’en avait pas découvert le remède. C’était un très brave homme que le successeur de M. Berthot, M. Laborie ; mais il était assez borné. La Congrégation l’avait mis là surtout comme ancien chouan ; il avait tout juste un petit bout de grade pris avant la Révolution dans l’université de Perpignan ; il ne fallait pas lui demander autre chose que d’exécuter sa consigne rondement et sans faiblesse, en bon capitaine de gendarmerie ; quant à démêler ce qui se passait dans une tête comme celle d’Évariste, il en était tout à fait incapable ; en dehors de l’émulation, il ne voyait pas bien ce qui aurait pu déterminer un élève à travailler plutôt qu’à ne rien faire. Il ne s’apercevait pas qu’une sourde transformation s’opérait dans l’intelligence de Galois, que l’enfant était las des exercices scolaires où l’on prétendait enfermer l’activité de son esprit, et, au moment même où cette lassitude se manifestait à des signes certains, il prétendait lui faire piétiner une seconde fois la route où s’était endormi son ennui.

Le père résista tout d’abord, et, à la rentrée de 1826, Évariste entra en Rhétorique. Son travail y fut jugé médiocre, sa conduite dissipée, son esprit trop jeune pour profiter de la classe ; il fallut, en janvier, céder aux instances du proviseur : Évariste retourna en Seconde, dans la division de M. Saint-Marc-Girardin, et il y retrouva le succès, mais sans se donner aucune peine. Ses allures parurent des plus bizarres à son maître d’étude : si le sujet d’un devoir lui déplaisait, il le bâclait ou s’en dispensait ; pour les leçons, point de milieu : ou très bien sues ou pas du tout ; en réalité, il ne consacra que les quinze derniers jours de l’année aux facultés de sa classe. C’était sans doute assez pour son amour-propre puisque, outre un second prix de version grecque, il obtint des accessits dans les quatre autres facultés, et un accessit de version grecque au Concours. C’était beaucoup si l’on songe que cette seconde redoublée avait été pour lui l’année de crise intellectuelle, comme la quatrième avait été celle de crise morale.

Les classes de Mathématiques n’avaient pas alors, comme aujourd’hui, une existence indépendante ; elles ne prenaient qu’une partie du temps de leurs élèves et les recrutaient dans les diverses classes supérieures de Lettres, selon la force, les convenances et les vues d’avenir de chacun. Ainsi Galois avait profité de son retour en Seconde pour entrer en même temps en Mathématiques préparatoires, première année. C’est là qu’il eut, sans plus tarder, la révélation de ses extraordinaires facultés. À peine eut-il entre les mains la Géométrie de Legendre, qu’il la lut d’un bout à l’autre, comme un autre eût fait d’un roman, m’a dit son ancien condisciple, M. Ludovic Lalanne ; et, lorsqu’il eut fini, toute la longue série des théorèmes demeura fixée dans son esprit, aussi complète et aussi claire qu’au bout de deux années d’étude appliquée pour n’importe quel autre élève. Dans cet ordre de spéculations, son intelligence ignora toujours l’effort : d’un coup d’aile, du premier, elle quitta les plaines pour s’élever tout de suite aux sommets. Une Note du Magasin pittoresque de 1848, qui est probablement de son camarade Flaugergues[8], nous apprend que les livres élémentaires d’Algèbre ne satisfirent jamais Galois, parce qu’il n’y trouvait pas la marque des inventeurs : dès sa première année de Mathématiques, il recourut à Lagrange ; il fit son éducation algébrique dans les Ouvrages classiques de ce grand homme : la Résolution des équations numériques, la Théorie des Fonctions analytiques, les Leçons sur le calcul des Fonctions. Déjà, sans doute, il supportait malaisément la direction de son professeur, M. Vernier, bien que celui-ci dût constater son zèle : il n’eut que le deuxième accessit de sa classe, mais enleva le prix au Concours général. Il avait enfin mis le pied sur cette terre nouvelle dont le désir obscur le travaillait depuis un an déjà, et l’avait détaché des études littéraires : il y entrait en conquérant, à la stupeur de ses camarades et de ses maîtres ; lui-même en ressentit un immense orgueil, en même temps qu’il était entraîné avec une rapidité vertigineuse par un désir fou de marcher en avant, où s’absorbèrent bientôt toutes ses facultés. C’est vers ce temps que le changement de son humeur fut remarqué par toute sa famille : il devint concentré. Au collège, ses manières devinrent de plus en plus étranges : au commencement de l’année, son maître d’étude le trouvait encore « très doux, rempli d’innocence et de bonnes qualités », mais ne pouvait s’empêcher de noter en lui quelque chose de singulier ; à la fin du second trimestre, il le juge original et bizarre, pas méchant, mais frondeur, singulier, aimant à contrarier et à taquiner ses camarades ; les dernières notes l’accusent enfin d’avoir quelque chose de caché dans le caractère, lui reprochent une ambition et une originalité affectées, une bizarrerie qui le sépare entièrement de ses camarades. Il semble, en lisant ces notes, que l’on assiste à la transformation opérée dans l’enfant par la découverte des Mathématiques ; il s’enfonce de jour en jour davantage dans ses méditations solitaires, et n’en sort que par de brusques détentes, où maîtres et camarades doivent pâtir de son humeur et surtout de l’opinion très haute et très juste qu’il s’est formée de lui-même.

Ce fut bien autre chose l’année suivante. Il entra dans la division de Rhétorique de MM. Pierrot et Desforges, en même temps que dans la seconde année de Mathématiques préparatoires de M. Vernier. Les notes des deux premiers ne sont qu’une suite de lamentations : « Sa facilité ne paraît plus qu’une légende à laquelle on cessera bientôt de croire ; — il n’y a trace dans les devoirs, quand il daigne en faire, que de bizarrerie et de négligence ; — il est toujours occupé de ce qu’il ne faut pas faire, il l’affecte même ; — il prend à tâche de fatiguer ses maîtres par une dissipation incessante ; — il baisse tous les jours. » Il est clair que la lassitude est devenue du dégoût, et que désormais les Mathématiques l’absorbent tout entier. Les notes du maître d’étude sont à cet égard plus expressives encore que celles des professeurs de Rhétorique : ce maître a la plus haute opinion des facultés de Galois, qui lui paraissent hors ligne aussi bien pour les Lettres que pour les Mathématiques ; aussi a-t-il essayé tout d’abord de lui faire accepter une distribution de temps qui sauvegarde la Rhétorique ; malgré les promesses de Galois, le plan n’a pas tenu : désormais le maître juge la conduite de l’élève fort mauvaise et son caractère peu ouvert, avec un amour-propre et une affectation d’originalité insupportables. « Mais, dit-il textuellement, la fureur des Mathématiques le domine. Je pense qu’il vaudrait mieux pour lui que ses parents consentent à ce qu’il ne s’occupe que de cette étude : il perd son temps ici et n’y fait que tourmenter ses maîtres et se faire accabler de punitions. »

C’est à cette année que se rapporte l’un des renseignements les plus intéressants donnés, en 1832, par Auguste Chevalier, dans la Revue encyclopédique. « À seize ans, dit-il, Galois commit la même erreur qu’Abel sur la résolution des équations générales du cinquième degré. » En présence d’un pareil élève, M. Vernier était tout désorienté ; en vain il essayait de le retenir, l’autre lui échappait, et l’excellent homme lui reprochait de plus en plus de compromettre son succès en travaillant sans méthode ; il ne lui donna à la fin de l’année que le septième accessit. Mais il s’agissait bien de cela pour Galois : simple élève de préparatoires, tout seul, il s’était préparé aux examens de l’École Polytechnique, qu’il n’aurait dû aborder qu’après une année d’élémentaires et une de spéciales, et il osa s’y présenter : il échoua. Cet échec lui fut amer et lui parut le premier des dénis de justice qui, réels ou imaginaires, finirent par empoisonner sa vie[9]. Une des formes de sa fureur pour les Mathématiques était, en effet, l’ardente volonté d’entrer à l’École Polytechnique, où il sentait d’avance que trouveraient leur emploi toutes les énergies de son cerveau et de son cœur. N’était-elle pas, en même temps que la première école de Mathématiques, une fille de la Révolution restée fidèle à ses origines, malgré tous les efforts des princes et des rois pour l’attacher à leur dynastie ? N’était-ce pas sur son exemple que se réglaient les pensées de toute la jeunesse libérale ? Et, du fond de leurs sordides études, quand les collégiens d’alors organisaient l’émeute, ne prenaient-ils pas pour modèles les frères aînés du collège de Navarre, ces grands et généreux enfants qui, rien qu’en chantant, faisaient trembler la Cour et l’Église ? Tout attirait Galois à l’École Polytechnique : il s’y sentait prédestiné ; elle était faite pour lui comme il était fait pour elle.

Il voulut donc se représenter et, sautant la classe de Mathématiques élémentaires, à la rentrée de 1828 il entra tout droit dans celle de spéciales.

Cette classe avait alors pour professeur à Louis-le-Grand un homme dont le nom est resté en vénération à tous ceux qui l’ont approché : M. Richard était justement un esprit capable d’apprécier à sa valeur exacte le talent de Galois. Il savait, dit la Notice que M. O. Terquem publia sur lui en 1849, dans les Nouvelles Annales de Mathématiques, il savait s’élever au-dessus des programmes officiels : toujours au courant des progrès de la Science, auditeur assidu de M. Chasles à la Faculté, les questions qu’il posait tendaient à élargir l’esprit non à le rétrécir : il devina dans Galois un génie destiné à sonder toutes les profondeurs et à étendre le domaine de la Science. « Les solutions originales que ce brillant élève donnait aux questions posées dans la classe, dit de son côté la Note de Flaugergues dans le Magasin pittoresque, étaient expliquées à ses condisciples avec de justes éloges pour l’inventeur, et M. Richard proclamait hautement qu’il devait être admis hors ligne à l’École Polytechnique. » Il lui donna le premier prix. Au Concours général, Galois obtint le quatrième accessit avec une composition qui, m’a-t-on assuré, ne se distinguait de celle de Bravais, classée la première, que par une tendance à généraliser qui n’était déjà plus d’un élève. Aussi bien, les notes trimestrielles de M. Richard sur Galois sont conservées dans les archives de Louis-le-Grand : elles sont parfaitement simples : « Cet élève a une supériorité marquée sur tous ses condisciples ; — il ne travaille qu’aux parties supérieures des Mathématiques. »

Pendant cette année, en effet, Galois publia son premier Mémoire, Démonstration d’un théorème sur les fractions continues périodiques, dans le cahier du 1er mars 1829 des Annales de Gergonne. Il fit aussi sa première Communication à l’Académie des Sciences. « Cette même année, dit Auguste Chevalier[10], à dix-sept ans, Galois fit des découvertes de la plus haute importance sur la théorie des équations. Cauchy se chargea de présenter à l’Académie des Sciences un extrait de la théorie conçue par le jeune collégien ; il l’oublia ; l’extrait fut perdu pour son auteur qui le réclama inutilement au secrétariat de l’Académie ; il avait été égaré. Le peu d’attention donné par l’Institut au premier travail soumis à son jugement par Galois commença pour lui des douleurs qui, jusqu’à sa mort, devaient se succéder de plus en plus vives. »

Si du moins il avait pu se consacrer tout entier à ses recherches mathématiques. Mais non : d’autres obligations de travail et de discipline venaient à la traverse ; il n’avait plus de classes de Lettres, mais une classe de Physique à suivre et c’était un autre sujet de discorde entre l’administration du collège et lui. Celle-ci ne pouvait prendre son parti de la note « travail nul » que le professeur, M. Thillaye, inscrivait régulièrement à la fin de chaque trimestre devant le nom de Galois : elle persistait à juger que c’était là une bizarrerie voulue, affectée ; peut-être même ne se trompait-elle pas tout à fait, et en tout cas ce jugement rendait de plus en plus tendus ses rapports avec lui. C’étaient de brusques et perpétuels soubresauts entre les périodes d’application où il s’absorbait à fond dans son travail, et du même coup devenait raisonnable, et les périodes de détente où les reproches exaspéraient son esprit frondeur, où la discipline retombait de tout son poids sur ses épaules prêtes à la révolte. Deux désastres achevèrent de tout gâter et de lui briser les nerfs.

Sa seconde candidature à l’École Polytechnique ne fut pas plus heureuse que la première. Il fut refusé à la suite d’un examen demeuré légendaire. Vingt ans après, on retrouve un écho de la colère que cet échec excita chez tous ceux qui connaissaient Galois, dans une Note des Nouvelles Annales de Mathématiques : « Un candidat d’une intelligence supérieure est perdu chez un examinateur d’une intelligence inférieure. Barbarus hic ego sum quia non intelligor illis ! » Qui n’avait pas compris Galois ? était-ce M. Binet ou M. Lefébure de Fourcy ? Je ne sais, mais la tradition veut qu’après une discussion où l’un d’eux avait eu tort, le candidat, exaspéré, ait jeté à la figure de l’examinateur le torchon à effacer la craie. Un pareil mouvement de colère était probablement aussi un mouvement de désespoir : Galois voyait la vie qu’il avait rêvée lui échapper pour toujours ; il sentait que la force qu’il portait en lui l’avait mortellement frappé. Sur ces entrefaites, il perdit son père dans des circonstances tragiques.

La lutte entre les libéraux et le clergé avait pris partout une intensité extrême à la suite des élections de 1827 ; partout l’hostilité du roi contre le ministère Martignac, en excitant l’audace du parti réactionnaire, faussait les ressorts de la vie publique. Un jeune prêtre, récemment nommé à la cure du Bourg-la-Reine, y prit position contre le maire qui depuis quinze ans avait su conserver son indépendance. Il lia partie avec un adjoint pour supplanter M. Galois : une cabale fut montée, des couplets à la fois bêtes et licencieux coururent et furent attribués au maire, calomnie d’autant plus perfide qu’un membre même de sa famille y était tourné en ridicule. Tant de méchanceté atteignit trop bien son but : la nature bienveillante de Galois ne put résister à cette attaque : il fut pris du délire de la persécution, et, le 2 juillet 1829, profitant d’une absence de sa femme, il s’asphyxia dans l’appartement qu’il avait à Paris, rue Jean-de-Beauvais, à deux pas du collège de Louis-le-Grand. Évariste conduisit le deuil de son père. De Saint-Étienne-du-Mont où les prêtres avaient consenti à recevoir le corps du suicidé, il suivit le cercueil jusqu’au cimetière du Bourg-la-Reine où le conseil municipal avait offert une tombe ; la population du village vint au-devant de son maire jusqu’au pavé de Bagneux ; on l’enleva du corbillard et on le porta à bras d’hommes pendant une demi-lieue ; devant l’église où le clergé attendait le cortège, il y eut une petite émeute : le curé fut insulté et blessé d’une pierre au front. M. Galois fut descendu dans sa fosse devant son fils, au milieu du tumulte des passions politiques déchaînées[11].

Dans l’âme d’Évariste une pareille catastrophe, suivie d’un pareil spectacle, devait laisser une impression profonde. Il haïssait l’injustice d’autant plus énergiquement qu’il s’en croyait déjà la victime ; la mort et l’enterrement de son père exaspérèrent encore cette haine pour tout ce qui était injuste et bas, et en même temps sa tendance à voir partout injustice et bassesse. Ce fut en persécuté et en désespéré, comme son père, que, à défaut de l’École Polytechnique, il se retourna vers l’École préparatoire. Il y fut nommé le 25 octobre 1829, le second d’une liste de cinq élèves destinés à la section des Sciences ; il se prépara à y entrer comme un polytechnicien en exil.

Pour juger toute la différence qu’il y avait alors entre l’École Polytechnique et l’École préparatoire, il faut se rappeler que celle-ci n’existait que depuis trois ans : humble et pâle copie de l’ancienne École Normale supprimée en 1822, elle n’avait pas même d’existence propre en dehors du collège de Louis-le-Grand, dans lequel elle était logée, et dont elle avait le proviseur pour directeur. Depuis le ministère de M. de Vatimesnil elle avait, il est vrai, reçu un directeur des études, M. Guigniault, et d’une étude et d’un dortoir du collège elle avait été transférée dans ceux des bâtiments annexes du Plessis que n’occupaient pas des logements de professeurs ; mais la même elle n’était encore qu’un prolongement du collège où, sous une surveillance sévère, les aspirants au professorat devaient s’y préparer loin des bruits du dehors et à l’abri des passions qui agitaient le monde. Fort heureusement la réalité n’était pas tout à fait conforme à la lettre du règlement. Il est bien difficile qu’une réunion de jeunes gens volontairement appliqués à l’étude, si réduite et si bridée qu’elle soit, ne devienne pas un foyer de libéralisme ; mais en outre il est rare que les régimes condamnés par le sort omettent aucune des maladresses propres à gâter leurs affaires : l’École préparatoire n’était donc pas telle que l’avait rêvée son fondateur, Mgr Frayssinous. Par un choix d’une perspicacité douteuse ou d’une charmante et involontaire fantaisie, l’un des premiers bergers préposés à la garde du troupeau sans tache avait été Armand Marrast, un carbonaro, et il lui fallut un an pour devenir suspect. On me persuadera malaisément que cet élégant révolutionnaire se soit borné à distraire les élèves en leur chantant sur la guitare des airs pyrénéens ; sans doute il n’y a pas lieu de penser qu’une Vente de la Charbonnerie ait été fondée à l’École préparatoire comme à l’École Polytechnique, mais enfin il serait bien surprenant que, quatre ans avant 1830, le futur rédacteur en chef de la fougueuse Tribune n’ait pas semé sur son passage des germes qui fructifièrent après lui. On le vit bien d’ailleurs lorsque Guizot, Villemain, Cousin reparurent dans leurs chaires de la Faculté des Lettres, dont les élèves de l’École préparatoire suivaient nécessairement les cours. Ils n’eurent pas d’auditeurs plus fervents que ces jeunes gens recrutés par les inspecteurs généraux avec tant de soins méticuleux, tant de garanties de leurs principes, tant de preuves de leur attachement à la religion et au roi. Rien ne prouve mieux d’ailleurs combien ces garanties étaient illusoires que l’admission de Galois : il venait de passer cinq années dans un collège sur lequel la Congrégation avait la haute main, il avait été cinq ans sous l’œil de M. Laborie, sans qu’on soupçonnât les passions politiques qui grondaient déjà dans son cœur, sans qu’on eût deviné que sa foi était morte, sans que jamais les notes sur son attitude à la chapelle eussent relevé autre chose que des dissipations sans conséquence. D’un autre côté, cet aveuglement des maîtres ne saurait s’expliquer sans une certaine contrainte extérieure des élèves ; le régime du collège était un régime d’hypocrisie, racheté de temps à autre par des révoltes. Ce régime se prolongeait à bien des égards dans l’École préparatoire, et Galois, en y entrant, ne quittait pas le milieu qu’il avait pris en horreur.

Il le quittait d’autant moins qu’il n’était pas encore bachelier, et que, jusqu’à ce qu’il le fût, le règlement de l’École l’obligeait à suivre le cours de Philosophie du collège ; il ne pouvait d’ailleurs être admis définitivement qu’après avoir pris le grade de bachelier ès lettres et ès sciences. Le premier lui donna quelque peine ; refusé une première fois le 2 décembre, il fut reçu le 14, avec des épreuves littéraires mauvaises, mais deux très bien en Mathématiques et en Physique. Quinze jours après, MM. Francœur, Hachette et Lefébure de Fourcy le reçurent bachelier ès sciences, avec deux boules blanches et une rouge[12].

Les baccalauréats n’étaient pas la seule condition de son admission définitive. La première liste de nominations était alors établie d’après le résultat de compositions écrites qui n’étaient pas les mêmes pour toutes les Académies ; un examen oral de vérification, passé à l’École même, permettait aux maîtres de conférences d’écarter les jeunes gens qui ne leur paraissaient pas suffisamment instruits. Cette dernière épreuve, que Galois subit au mois de décembre 1829, faillit encore mal tourner pour lui. M. Leroy, il est vrai, lui donna 8 sur 10 pour les Mathématiques, avec cette observation : « Cet élève laisse quelquefois de l’obscurité dans l’expression de ses idées, mais il a de l’intelligence et montre un esprit de recherche très remarquable. Il m’a communiqué des remarques neuves sur l’Analyse appliquée. » Mais M. Péclet, qui l’examina sur la Physique, se fâcha tout à fait : « C’est le seul élève, déclara-t-il, qui m’ait mal répondu ; il ne sait absolument rien. » Jusqu’ici rien d’étonnant, puisque Galois n’avait rien fait dans la classe de M. Thillaye ; mais, où l’on ne peut s’empêcher de sourire, c’est quand on voit M. Péclet ajouter : « On m’a dit que cet élève avait de la capacité en Mathématiques ; cela m’étonne beaucoup ; car d’après son examen je lui crois peu d’intelligence, ou du moins il l’a tellement cachée qu’il m’a été impossible de la découvrir ; si cet élève est réellement ce qu’il m’a paru être, je doute fort qu’on en fasse jamais un bon professeur[13]. »

Il ne faudrait pas, je crois, abuser de la franchise de cette note contre la mémoire de M. Péclet : Galois avait l’habitude de travailler presque uniquement de tête, et, même en Mathématiques, il se trouvait embarrassé dès qu’il fallait répondre au tableau. Mais, en même temps que cette gêne, il y avait chez lui un dédain trop peu déguisé pour quiconque ne s’inclinait pas spontanément et immédiatement devant sa supériorité, une rébellion contre un jugement que, dans son for intérieur, il récusait par avance, et comme un plaisir maladif à égarer davantage encore ce jugement et à le retourner tout à fait contre soi. C’est, en effet, un trait fréquent chez les personnes qui croient avoir le plus à se plaindre de la persécution qu’elles s’en passeraient difficilement et qu’au besoin elles la provoquent ; c’est aussi une façon de se moquer des gens, et non la moins savoureuse, que de se faire passer à leurs yeux pour un sot. Il y avait de tout cela chez Galois ; on en retrouve la marque dans ses procès politiques ; et je ne serais pas autrement surpris qu’il eût tendu à M. Péclet un piège, où d’ailleurs il risquait de trébucher lui-même. Cette fois il s’en tira, fut définitivement admis et signa, le 20 février 1830, l’engagement décennal qui le liait à l’Université[14].

À l’École préparatoire Galois ne changea rien aux procédés de travail qui avaient tant indisposé contre lui l’administration du collège de Louis-le-Grand ; il ne cachait pas son dédain pour ses maîtres, suivait à peine leurs conférences, travaillait non pour eux, mais pour lui. Ses examens de licence le préoccupaient fort peu, et, dans le désordre qui suivit la Révolution de Juillet, il les passa sans difficulté, se donnant même le luxe de mieux réussir à l’examen de Physique qu’à celui de Mathématiques[15]. Tout cela n’était rien ; son activité intellectuelle ne s’était partagée qu’entre les événements politiques qui, depuis la constitution du ministère Polignac, faisaient prévoir une crise définitive, et ses recherches mathématiques qu’il poursuivit ardemment. Le Bulletin de Férussac donna trois Mémoires de lui pendant la première moitié de 1830 ; en avril, l’Analyse d’un Mémoire sur la résolution algébrique des équations ; en juin, une Note sur la Résolution des équations numériques et un Mémoire sur la Théorie des nombres. Une Note publiée avec celui-ci annonçait qu’il faisait partie des recherches de Galois sur la Théorie des permutations et des équations algébriques. L’ensemble de ces recherches avait été présenté à l’Académie des Sciences au mois de janvier pour le concours du grand prix de Mathématiques. Galois, dit Liouville, y avait travaillé dès les bancs du collège, et, d’après la Note du Magasin pittoresque, avant même d’entrer dans la classe de M. Richard. Le manuscrit fut remis au secrétaire perpétuel, M. Fourrier, qui l’emporta chez lui et mourut avant de l’avoir examiné ; on ne le retrouva pas dans ses papiers. Après l’oubli de M. Cauchy l’année précédente, c’était là un coup du sort qui aurait jeté dans le désespoir et la colère un jeune homme moins persuadé de sa valeur que ne l’était Galois. Dans ces mésaventures répétées il vit l’effet non du hasard, mais d’une organisation sociale mauvaise qui condamnait le génie à un éternel déni de justice au profit de la médiocrité ; il en rendit responsable le régime d’oppression politique contre lequel s’accumulait l’orage. Il ne le haïssait pas seulement de la haine qui brûlait au cœur de toute la jeunesse libérale, il le haïssait aussi de ses rancunes personnelles et de tout ce qu’il avait souffert depuis son premier échec à l’École Polytechnique jusqu’à la perte de son second Mémoire à l’Académie des Sciences. Quelle joie il dut ressentir lorsque, au lendemain du jour d’anxiété et de colère qui suivit la publication des Ordonnances, le Globe apporta à l’École préparatoire le manifeste des journalistes, et que, par delà les hautes murailles du Plessis, il entendit les premiers coups de feu !

S’il n’avait tenu qu’à lui, il serait aussitôt descendu dans la rue. Il en fit assurément la proposition à ses camarades ; mais, bien qu’aucun d’eux n’approuvât les Ordonnances, l’accord était loin de régner entre eux sur la conduite qu’il convenait de tenir dans ces circonstances critiques. Bien peu osaient reporter d’un bond leur pensée aux souvenirs de la grande Révolution ; hormis lui, et peut-être deux ou trois autres, il n’y avait pas de républicains à l’École préparatoire ; l’opposition doctrinaire était presque l’unique maîtresse de ces jeunes esprits, et elle n’avait pas prévu la violence. Depuis les élections le Globe s’évertuait à deviner les péripéties probables de la bataille parlementaire, sans avoir risqué aucune hypothèse extra-constitutionnelle ; une fois les Ordonnances rendues, ceux que pouvaient arrêter des scrupules de légalité devaient reconnaître qu’au moins la dissolution de la Chambre des députés n’était pas contraire à la Charte ; c’était la thèse que Casimir-Périer soutenait de toutes ses forces, et si son avis avait prévalu, la Révolution aurait avorté. Il n’était donc pas surprenant que des pensées analogues se fussent insinuées dans l’esprit de beaucoup d’élèves de l’École préparatoire ; elles étaient favorisées, d’autre part, par l’état moral de l’École. La suppression de l’École Normale avait rompu toute tradition ; aucune n’avait eu le temps de s’établir depuis 1826 ; les élèves étaient trop peu nombreux pour se sentir bien hardis, et Galois apparaissait à la plupart d’entre eux comme un cerveau brûlé ; déjà fonctionnaire à demi par son engagement décennal, chacun sentait son avenir à la merci de ses chefs, et l’intérêt individuel s’opposait sans cesse à la naissance de l’esprit de corps ; de temps à autre il y avait quelques poussées de fraternité où l’on s’essayait à l’opposition, mais sans la franchise d’allure des révoltes de collégiens ; une fois l’expansion passée, beaucoup songeaient à se faire pardonner dans le particulier la turbulence des démarches communes[16], et, en tout cas, de l’aveu même de M. Guigniault, le directeur des études, quelques-uns des élèves étaient les confidents de ses plus secrètes pensées. Rien de pareil à l’École Polytechnique ; les élèves ne s’y occupaient ni du Gouvernement, ni de leurs chefs, mais de la tradition de l’École, loi sacrée à laquelle tous se croyaient tenus d’obéir[17] ; elle venait, dès le premier jour, de les jeter aux barricades. Personne, à l’École préparatoire, n’eût osé sortir sans l’assentiment de M. Guigniault.

Lui-même, M. Guigniault, n’était pas homme à se jeter du premier coup dans une mêlée dont il ne pouvait pas encore prévoir l’issue. Non qu’il manquât de courage : il avait eu celui de ne pas démissionner en 1829, après la formation du ministère du 8 août ; il était resté à son poste pour sauver le plus longtemps possible l’École préparatoire des entreprises de la Congrégation ; mais les révolutions violentes n’étaient pas du tout son fait ; eût-il même été libre vis-à-vis du gouvernement, il est bien probable qu’un bonnet à poil de grenadier sur les tours Notre-Dame aurait suffi pour le tenir en respect. Certes, son sentiment intime était contre les Ordonnances et, dès le 26, il l’avait dit en confidence à quelques élèves. Il leur avait annoncé qu’une lutte longue et terrible allait s’engager entre le pays et le Gouvernement, et dit que, quel que fut le sort de l’École, leur place devait être marquée du côté des idées libérales[18]. Il s’apprêtait donc à une énergique opposition de principes, et il en envisageait les conséquences sans trembler pour lui-même ; mais il était d’un tempérament trop pacifique pour se douter un seul instant que la crise pût se dénouer en trois jours par une insurrection armée. Qu’on juge de sa surprise et de son trouble lorsqu’il vit tout d’un coup l’École enveloppée par le torrent révolutionnaire, qui roulait à grand fracas du haut en bas de la montagne Sainte-Geneviève et de la rue Saint-Jacques. Il sut que le 27 juillet plusieurs élèves avaient proposé à leurs camarades de sortir : le 28, il fut dans les études dès 5h30m du matin. Son langage indigna Galois : il voulait que chaque élève s’engageât sur l’honneur à ne pas quitter l’École ; Galois refusa et, avec lui, son futur cousin Bénard[19]. Alors, au lieu de le leur interdire formellement, il exigea d’eux la promesse qu’ils ne mettraient pas leur projet à exécution avant le lendemain, et qu’ils ne partiraient pas sans l’avoir averti. Il ajouta que, en sa qualité de chef de la maison, il pourrait requérir l’intervention de la force armée, mais que tous devaient savoir combien une pareille mesure était loin d’entrer dans ses vues. Il eut enfin la maladresse de faire une allusion à la situation embarrassante où se trouvaient les militaires, obligés de sacrifier leur serment ou la liberté. Ces propos parurent odieux à Galois : les renvoyer au lendemain lui sembla une lâcheté ; les menacer de la force armée, une ridicule sottise ; il était trop décidé lui-même pour que l’apitoiement sur les soldats ne lui fît pas l’effet d’une hypocrisie. La nuit, il essaya, sans y réussir, de franchir le mur qui séparait la cour du Plessis de la rue du Cimetière Saint-Benoît[20]. Le 29, le passage qui faisait communiquer le Plessis avec Louis-le-Grand resta obstinément fermé, bien que ce fût jeudi[21] ; le soir seulement on apprit à l’École préparatoire la retraite des troupes royales sur Saint-Cloud et la formation du Gouvernement provisoire ; les élèves surent en même temps quelle part l’École Polytechnique et les étudiants avaient prise à la Révolution, et que, pendant qu’on les tenait sous clef, un de leurs anciens de l’École Normale, Farcy, avait été tué la veille sur le Carrousel à l’attaque des Tuileries. Eux seuls n’avaient été pour rien dans ces trois journées, déjà baptisées les trois glorieuses, et la liberté ne leur était rendue qu’au moment où ils n’en pouvaient plus rien faire. Jamais Galois ne sentit avec plus d’amertume que ses échecs à l’École Polytechnique avaient gâté sa vie : il prit en horreur et l’École préparatoire et M. Guigniault. Son esprit rigoureux et passionné interpréta avec malveillance toutes les démarches officielles par lesquelles son directeur accepta les faits accomplis ; après la prudence des trois jours, l’ostentation avec laquelle tous les journaux du 30 annoncèrent que M. Guigniault mettait ses élèves à la disposition du Gouvernement provisoire le fit souffrir comme une odieuse réclame ; il vit avec rage la mort de Farcy exploitée par des gens qui n’étaient pas descendus dans la rue à l’heure du danger. Si l’on ajoute à tout cela que l’avènement de Louis-Philippe lui parut un coup de surprise et sa politique une trahison, on se fera une idée de la violence de ses sentiments au moment où se termina sa première année d’École, et où commencèrent les vacances de 1830.

Que fit Galois pendant ces vacances de 1830 ? Je n’ai pu obtenir aucun renseignement précis sur ce moment de sa vie, ou je devine pourtant le tournant décisif. Sa cousine, Mme  Bénard, se rappelle encore avec quelle sombre passion il proclamait et défendait les droits des masses devant sa famille consternée. Je ne puis rapporter ces paroles à une autre époque, car le moment n’était pas éloigné où, absorbé entièrement par ses amis politiques, il allait se faire de plus en plus rare pour les siens. Probablement il fut sollicité[22] du côté du saint-simonisme, par son meilleur ami d’école, Auguste Chevalier, qui venait de terminer ses deux années d’études, et renonçait au professorat pour entrer dans la nouvelle église à la suite de son frère Michel. Mais si les saint-simoniens avaient pour les masses populaires une sympathie propre à toucher Galois, ce n’était cependant pas la sympathie fraternelle que réclamait son cœur. Leur peu d’estime pour le libéralisme révolutionnaire, leur hiérarchie trop rigoureuse de la société d’après les mérites, achevaient d’écarter l’âme républicaine de Galois de la doctrine à laquelle Chevalier voulait le conquérir. Les sociétés révolutionnaires, qui s’organisaient pour défendre les résultats de la Révolution de 1830, étaient bien mieux faites pour le séduire, pour satisfaire sa rancune et flatter ses aspirations généreuses. Je n’en ai pas la preuve, mais j’ai la conviction qu’avant la fin des vacances de 1830, il était déjà enrôlé dans la Société des Amis du peuple, et qu’il y entra au moment où, supprimée par arrêté, elle se reforma secrètement. Je pense que cette affiliation fut pour beaucoup dans l’attitude qu’il prit après la rentrée vis-à-vis de M. Guigniault et qui motiva son renvoi de l’École.


II.

Pour bien comprendre les incidents qui, au mois de décembre 1830, amenèrent l’expulsion de Galois de l’École Normale (l’École préparatoire avait repris ce nom dès le 6 août), il faut encore une fois se rendre compte des circonstances environnantes et de l’état d’esprit où elles devaient mettre Galois. Pendant les derniers mois de 1830, la fermentation de Paris était aussi violente qu’aux époques les plus fiévreuses de la grande Révolution : le maintien de la Chambre élue avant les journées de juillet, les tiraillements entre les ministres qui voulaient une politique de progrès démocratique et ceux qui désiraient une politique de résistance, les manœuvres du roi pour se soustraire aux engagements tacites de l’Hôtel-de-Ville et, en louvoyant entre les deux partis, aboutir à son juste milieu, ce qu’il y avait d’absurde dans une quasi-légitimité comme ce qu’il y avait de généreux dans les combinaisons tentées pour sauver la tête de M. de Polignac, tout ce qui se faisait ou se préparait dans le gouvernement de Louis-Philippe irritait profondément les classes populaires et avec elles, plus qu’elles-mêmes, quiconque cherchait les antécédents de Juillet, non pas dans la Révolution anglaise de 1688, mais dans la Révolution française de 1789. Galois jugeait la situation générale avec les mêmes colères que le parti républicain tout entier ; à cela s’ajoutaient les motifs de mécontentement plus immédiats et plus personnels qu’il trouvait dans l’Université et à l’École Normale.

Nulle part la curée des places n’avait été plus âpre que dans le monde universitaire : là, dès le lendemain de la Révolution, plus vivement et plus haut encore que partout ailleurs, les doctrinaires avaient dit : « La maison est à nous ! » M. Cousin, qui n’avait pas paru pendant les trois journées et qui allait se faire donner la décoration de Juillet, M. Cousin, qui n’avait cessé, sous le règne précédent, de réclamer la suppression du Conseil royal de l’Instruction publique, venait de s’y installer et de se faire attribuer à la fois la direction de l’enseignement de la Philosophie dans les collèges et la haute surveillance de l’École Normale. M. Dubois qui, à la tête du Globe, avait conduit le chœur des doctrinaires contre le gouvernement de Charles X, venait d’abandonner son journal pour se caser dans une inspection générale des études, d’où il jugeait que choses et gens étaient désormais à leur place. De moindres seigneurs s’installaient à leur exemple dans ces fiefs universitaires dont Renan devait voir la ruine dix-huit ans plus tard avec tant d’intime satisfaction. Pour connaître les sentiments avec lesquels un jeune homme de dix-neuf ans, cœur ardent et esprit rigoureux comme Galois, assistait à cette conquête de l’Université, il faut moins tenir compte des invectives d’un Barbier ou d’un Méry que du jugement d’hommes parfaitement modérés, et qui se déclaraient eux-mêmes démoralisés par un pareil spectacle. Ainsi Eugène Burnouf, alors maître de conférences à l’École Normale, et dont l’écœurement remplit ses lettres intimes de cette époque : le 16 octobre 1830, il écrivait à Mohl : « Nous avons les doctrinaires au pouvoir, dissertant en long et en large sur l’ordre légal, sur les utopies dangereuses, sur les agitateurs, etc., puis se plaçant très lestement aux gros emplois que les ultras ont laissés vacants, reconstruisant à petit bruit la boutique de Charles X […] Le peuple est beaucoup plus furieux que lorsqu’il chassait les Suisses […] Je voudrais bien vous dire que je suis heureux, ou satisfait au moins ; je suis profondément affecté des affaires publiques ; je n’aurais jamais cru que je pusse y prendre un intérêt si vif, mais le commencement était si beau que je m’y suis attaché malgré moi, et maintenant je souffre ; desinit in piscem… Je ne fais rien du tout, je ne vois absolument personne. Toutes mes connaissances sont devenues sous-préfets, ou même conseillers d’État. Le plus petit nombre se fait prendre mesure d’habits noirs pour solliciter encore. Mais, au milieu de tout cela, ne vous désolez pas sur le sort de notre ami Cousin. Il a empoigné le Conseil royal, qui eût dû sauter avec Charles X […] Et Sphynx ? Ô Mégas ! Sphynx est radieux et en même temps sombre, comme un mythe qui se dégage des profondeurs de l’intuition pour se réaliser dans l’épopée active. Il faut le voir, sabrant les agitateurs, écrasant les folliculaires, faisant guerre à mort aux utopies dangereuses. Il est, en vérité, tout à fait amusant ! » Qui est-ce, Sphynx ? L’éditeur des lettres de Burnouf s’est bien gardé de nous le dire. Mais, d’après l’allusion aux études religieuses, il semble bien que ce soit M. Guigniault lui-même. Il avait, en effet, fort à faire avec les folliculaires, représentés par un petit journal universitaire très hardi et très méchant, la Gazette des Écoles, dont le rédacteur en chef était M. Guillard, agrégé pour les Mathématiques au collège de Louis-le-Grand. M. Guillard avait, avant Juillet, fait courageusement campagne contre l’ancien Conseil royal de l’Instruction publique, qui n’avait pu le faire taire en le frappant de suspension ; depuis la Révolution, il avait retourné son opposition contre le nouveau Conseil et la faction doctrinaire : il n’y avait personne qu’il prît plus souvent et plus fortement à partie que le directeur de l’École Normale, et ses polémiques donnèrent précisément naissance aux incidents qui, au mois de décembre 1830, mirent aux prises Galois et M. Guigniault.

Ces incidents avaient d’ailleurs été préparés par d’autres dans la vie intérieure de l’École : depuis la rentrée, les préventions que le directeur et l’élève nourrissaient l’un contre l’autre n’avaient cessé de croître. Plus que jamais la gloire et la popularité acquises par les polytechniciens enfonçaient dans l’esprit de Galois la conviction qu’il avait manqué sa destinée. Il fut de ceux qui eurent l’enfantillage de demander un uniforme pour les élèves de l’École Normale : évidemment à l’imitation de l’École Polytechnique ; M. Guigniault refusa. Une autre fois plusieurs de ses camarades et lui sollicitèrent des armes pour s’exercer aux manœuvres militaires : toujours comme à l’École Polytechnique ; M. Guigniault refusa encore. Il trouva même la demande ridicule, et le dit ; il parla à cette occasion de l’esprit pitoyable qui animait les collèges et menaçait de ruine l’Université, et même l’École Polytechnique[23]. C’était là aux yeux de Galois un blasphème impardonnable. Cependant un nouveau règlement d’études concerté entre MM. Cousin et Guigniault venait d’être promulgué par le Conseil royal. Il avait pour Galois le premier tort de fixer à trois ans la durée des études de l’École Normale, et de reculer ainsi l’époque de l’affranchissement ; outre cela, les prescriptions qui concernaient la section des Sciences, assez mal combinées d’ailleurs, puisqu’il fallut les réformer après un an, le menaçaient dans la liberté qu’il avait pu garder pour son travail personnel, tant que l’École Normale n’avait été que l’École préparatoire, et que les menaces mêmes dont son existence était entourée en avaient retardé l’organisation précise : le système des examens de passage en particulier était gros de menaces pour Galois. On sentait trop qu’une main vigoureuse venait de se poser sur l’École et ne la lâcherait plus : Galois en fit personnellement l’expérience, et, vers la fin de novembre, se vit infliger par M. Guigniault une consigne indéfinie[24]. À ce moment même, les élèves de l’École Polytechnique s’assemblaient pour délibérer et voter sur leur règlement, en présence de leur directeur Arago, et, à force de chanter la Marseillaise aux oreilles de leur directeur d’études, le très dévot M. Binet, ils le forçaient à se retirer[25]. Le contraste entre les deux maisons était décidément trop violent, le lieu d’exil trop étroit pour le malheureux jeune homme, conscient de son génie, et pénétré jusqu’aux moelles de ce même esprit qui faisait la popularité et la liberté des polytechniciens. Sa haine contre l’École Normale et contre M. Guigniault éclata. Intervenant dans une polémique que son directeur soutenait alors contre la Gazette des Écoles, et où celle-ci n’avait pas le beau rôle, il adressa à ce journal la lettre que voici :


3 décembre 1830.
Monsieur,

La lettre que M. Guigniault a insérée hier dans le Lycée, à l’occasion d’un des articles de votre journal, m’a paru fort inconvenante. J’ai pensé que vous accueilleriez avec empressement tout moyen de dévoiler cet homme.

Voici des faits qui peuvent être attestés par 46 élèves.

Le 28 juillet au matin, plusieurs élèves de l’École Normale désirant aller au feu, M. Guigniault leur dit à deux reprises qu’il pourrait appeler la gendarmerie pour rétablir l’ordre dans l’École. La gendarmerie, le 28 juillet !

Le même jour, M. Guigniault nous dit avec son pédantisme ordinaire : Voilà bien de braves gens tués de part et d’autre. Si j’étais militaire, je ne saurais à quoi me décider. Que sacrifier, ou de la liberté ou de la légitimité ?

Voilà l’homme qui, le lendemain, ombragea son chapeau d’une cocarde tricolore. Voilà nos libéraux doctrinaires !

Sachez aussi, monsieur, que les élèves de l’École Normale, mus par un noble patriotisme, se sont présentés tout dernièrement chez M. Guigniault pour lui manifester l’intention où ils étaient d’adresser une pétition au ministre de l’Instruction publique pour avoir des armes, s’exercer aux manœuvres militaires, afin de pouvoir défendre le territoire, en cas de besoin. Voici la réponse de M. Guigniault. Elle est aussi libérale que sa réponse du 28 juillet : « La demande qui m’est adressée nous couvrirait de ridicule ; c’est une imitation de ce qui s’est fait dans les collèges : cela est venu d’en bas. Je ferai observer que lorsque pareille demande fut adressée par les collèges au ministre, deux membres seulement du Conseil royal votèrent pour, et ce furent précisément ceux du Conseil qui ne sont pas libéraux. Et le ministre a accordé : c’est qu’il a craint l’esprit turbulent des élèves, esprit pitoyable qui paraît menacer d’une ruine complète l’Université, et même l’École Polytechnique. »

Au surplus, je crois que, sous un certain rapport, M. Guigniault se défend avec raison du reproche de partialité pour la nouvelle École Normale[26]. Pour lui rien n’est beau que l’ancienne École Normale, tout est dans l’ancienne École Normale. Dernièrement nous lui avons demandé un uniforme ; il nous l’a refusé : à l’ancienne École, il n’y en avait pas. On faisait trois années d’études à l’ancienne École ; on avait reconnu lors de l’institution de l’École préparatoire l’inutilité d’une troisième année ; M. Guigniault a obtenu qu’elle fût rétablie.

Bientôt, à l’instar de l’ancienne École Normale, nous ne sortirons qu’une fois par mois, et nous rentrerons à cinq heures. Il est si beau d’appartenir au régime de l’École qui a produit MM. Cousin et Guigniault.

Tout en lui annonce les idées les plus étroites et la routine la plus complète.

J’espère que ces détails ne vous déplairont pas, et que vous voudrez bien en tirer, dans votre estimable feuille, tout le parti possible.

Un élève de l’École Normale[27].

Quelques circonstances atténuantes que l’on puisse plaider en faveur de Galois, et bien qu’il n’y eût rien de faux dans sa lettre[28], elle n’en était pas moins inadmissible. Sa publication jeta le trouble le plus profond parmi les élèves qu’elle mettait directement en cause en invoquant leur témoignage. Qu’il en fût l’auteur, personne n’en doutait : lui-même, avant d’écrire, avait annoncé son intention à plusieurs de ses camarades. Ceux-ci n’en furent pas moins stupéfaits de voir qu’il eût mis son projet à exécution. Que faire ? Se solidariser avec lui par le silence paraissait impossible ; mais d’autre part protester contre sa lettre ne semblerait-il pas une dénonciation indirecte ? Pas plus qu’aux journées de Juillet l’accord complet ne put s’établir.

Je ne voudrais pas abuser du témoignage de la Gazette des Écoles, qui dans l’occasion peut paraître suspect, surtout si, comme cela est probable, elle tenait ses renseignements de Galois lui-même ; mais, sachant combien l’agitation persista dans l’École après son départ, combien les démêlés entre M. Guigniault et ses élèves furent vifs et nombreux en 1831, sachant aussi ce que fut le gouvernement de M. Cousin dont M. Guigniault n’était que l’humble serviteur, je pense qu’il y a beaucoup de vrai dans ce tableau des dissentiments entre normaliens, que la Gazette des Écoles publia en janvier 1831, après que le Conseil royal eut ratifié le renvoi de Galois : « Les élèves des Sciences sont moins accessibles à l’esprit de coterie que les élèves des Lettres, et, parmi ces derniers, il faut distinguer les élèves des Lettres proprement dits des élèves de Philosophie. Ceux-ci, cousinistes enragés, ne jurent que par le maître : ils le suivent déjà dans ses dédains pour tout ce qui n’est pas à la hauteur de la Science. C’est à l’École qu’ils font provision de mépris : ils en ont pour les élèves des Sciences eux-mêmes ; ils en ont pour ceux de leurs camarades qui ne pourront jamais s’élever à une classe de Rhétorique ou de Philosophie […] ; ils en ont pour leur directeur lui-même, dont tout le mérite, disent-ils, se réduit à savoir le grec et à avoir fait des notes. » Quelques jours après, une lettre, venue évidemment de l’École, priait la Gazette des Écoles d’ajouter à ces distinctions celle des élèves de première année et des élèves de deuxième année : ceux-là nommés après la Révolution et beaucoup moins dociles que leurs camarades. L’entente ne pouvait se faire aisément dans ce petit monde ainsi, divisé. Un texte de lettre à la Gazette des Écoles fut proposé, mais ne réunit pas l’unanimité ; beaucoup sans doute refusaient d’agir avant M. Guigniault ; quatre élèves seulement persistèrent à envoyer cette protestation au directeur du journal, qui refusa de l’insérer. « Il faut, disait-il, de deux choses l’une, ou que la lettre porte toutes les signatures, ou que les quatre signataires actuels se contentent de ne parler qu’en leur propre et privé nom. » Ceci le 9 décembre ; le même jour M. Guigniault mettait Galois à la porte. Ce fut seulement le lendemain qu’une nouvelle lettre fut écrite et envoyée à la Gazette des Écoles ; et il résulte de son texte que l’accord n’avait pu s’établir entièrement entre les élèves de deuxième année Lettres et ceux de deuxième année Sciences. Les premiers avaient signé ce qui suit :


Paris, le 10 décembre 1830.
Monsieur,

Ce n’est pas à nous, élèves résidant encore à l’École Normale, qu’il appartient de repousser les attaques parties du dehors contre notre directeur. Nous ne voulons donc pas engager ici une longue polémique avec la Gazette des Écoles, ni chercher à réfuter ses injures. Mais nous avons été vivement indignés que l’un de nous prétendît se constituer le représentant de toute l’École, et affirmer en notre nom des faits que nous attestons être faux ou dénaturés par la manière odieuse dont ils sont présentés. Nous désavouons entièrement l’esprit aussi bien que la forme de la lettre écrite dans le numéro de la Gazette des Écoles du 5 décembre. Loin de partager les sentiments qu’elle exprime, nous saisissons avec empressement cette occasion de témoigner à M. Guigniault notre reconnaissance pour la manière aussi noble que ferme dont il a défendu nos intérêts pendant tout le cours de son administration, et dans les moments les plus critiques pour l’École. Nous déclarons que nous lui sommes redevables d’avoir joui d’une liberté de penser que l’on cherchait alors à étouffer partout, et que, pendant les derniers jours de Juillet, dans ses rapports avec nous, sa conduite n’a pas démenti ce qu’il avait tenu jusqu’alors. Nous espérons, monsieur, qu’après avoir accueilli avec tant d’empressement l’accusation de l’un d’entre nous, vous recevrez de même la réclamation de tous les autres, et que vous insérerez notre lettre dans le plus prochain numéro de votre Journal, sans nous forcer de recourir aux voies légales.

Les élèves de seconde année résidant encore
à l’École, témoins des faits.

Après ce long et chaleureux satisfecit donné à M. Guigniault par les littéraires, venait un post-scriptum plus sec signé par les scientifiques :


Les élèves de seconde année, non témoins des faits, déclarent toutefois qu’ils refusent à l’auteur de la lettre insérée dans le numéro de la Gazette des Écoles du 5 décembre le témoignage qu’il réclame d’eux.

Ainsi, tandis que les littéraires couvraient de fleurs leur directeur et traitaient Galois de menteur, les scientifiques, ses camarades immédiats, sous le prétexte inadmissible qu’ils n’avaient pas été témoins des faits, se bornaient, sans un mot pour M. Guigniault, à relever l’incorrection qu’avait commise Galois en invoquant publiquement leur témoignage, sans y avoir été autorisé. Le désaccord entre les deux sections est donc flagrant.

M. Guigniault voulut absolument faire croire que le coupable lui avait été dénoncé par ses camarades. Il le dit expressément dans un rapport au ministre[29], daté du jour même de l’expulsion. « Cet élève, écrivait-il, m’a été déclaré coupable, tant par la déclaration de plusieurs de ses camarades, que par un aveu plein d’impudence fait après de vains essais de dénégation. » Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que, quelques lignes plus loin, il écrivait : « Galois, m’étant désigné par tous les indices comme l’auteur de la lettre, j’ai pensé qu’il ne convenait pas de laisser plus longtemps l’École entière sous le poids de sa faute. » Indices paraît bien faible pour une dénonciation des camarades et un aveu du coupable. Il est également étrange que, dès le 9, M. Guigniault, dans un autre passage de son rapport, ait assuré au ministre que les élèves de l’École avaient dès le premier moment pris l’initiative d’un désaveu unanime, quand on sait, par les faits les mieux établis, que l’unanimité n’avait pas été obtenue avant le 9 décembre, et que, pour le désaveu du 10, les Lettres et les Sciences n’avaient pu adopter une formule commune. Le 18, M. Guigniault insista encore sur l’initiative des élèves dans une lettre adressée au Constitutionnel. Il n’avait pas eu besoin, disait-il, de faire d’information parce que les camarades mêmes de Galois s’en étaient chargés et qu’ils avaient pris l’initiative pour l’honneur de l’École. Or le rôle de M. Guigniault avait été beaucoup plus actif qu’il ne voulait bien le dire ; j’en ai trouvé la preuve dans une lettre intime écrite le 11 par un élève d’autant moins suspect qu’il a pris énergiquement la défense du directeur[30]. « M. Guigniault, dit-il, nous rassembla plusieurs fois chez lui, et nous témoigna toute sa douleur, et en même temps la satisfaction qu’il avait éprouvée en apprenant nos démarches pour le justifier complètement aux yeux du public. » Comme la seule démarche valable était du 10, M. Guigniault n’avait pu en remercier les élèves chaque fois qu’il les avait réunis, et, sous la formule rapide de la lettre, il est facile de deviner toute une série de négociations qui auraient été inutiles si, dès le premier moment, tous les élèves de l’École s’étaient unanimement accordés pour désavouer Galois et défendre M. Guigniault.

Il y a enfin, et nous ne pouvons la négliger, la version de Galois lui-même sur les conditions dans lesquelles il fut exclu de l’École. Elle ne s’accorde pas du tout avec celle de M. Guigniault, et elle concorde au contraire dans son ensemble avec les faits essentiels qui résultent de l’examen des autres textes. D’après la Gazette des Écoles du 12 décembre, M. Guigniault avait rassemblé tous les élèves, puis, s’adressant à chacun d’eux en particulier, leur avait dit : « Êtes-vous l’auteur de la lettre écrite dans la Gazette des Écoles ? » Les quatre premiers avaient répondu négativement ; le cinquième, interrogé de la même manière, dit : « Monsieur le Directeur, je ne crois pas pouvoir répondre à cette question, parce que ce serait contribuer à dénoncer un de mes camarades. » À cette réponse pleine de noblesse et de fermeté, M. Guigniault laissa voir du dépit. S’adressant alors à un élève plus éloigné dans les rangs, il l’accusa d’avoir écrit la lettre en question et, sans plus de formalités, lui interdit l’entrée de l’École.

Ainsi, d’après cette note du journal, inspirée évidemment par Galois, le désaccord des élèves se serait manifesté en présence même de M. Guigniault, et le renvoi aurait été décidé, non pas à la suite d’une enquête faite par les élèves eux-mêmes, mais d’après la dénonciation de quelques-uns ou les soupçons du directeur, et à la suite d’une sorte d’enquête publique interrompue dès le début.

Enfin, le 30 décembre, le même journal publia la lettre suivante adressée à ses camarades par Galois.


Mes camarades,

Une lettre sans nom, signée simplement un élève de l’École Normale a paru dans la Gazette des Écoles sur M. Guigniault notre directeur. Vous avez cru devoir protester contre les interprétations données par l’auteur de cette lettre aux faits qu’elle rapporte.

Votre protestation n’a été signée qu’après que M. Guigniault, sur un simple soupçon, et comme il en convient lui-même, sur des préventions de longue main, m’eût exclu de l’École comme auteur de la lettre.

Il n’appartient ni à vous ni à moi de prononcer définitivement sur le droit que s’est arrogé M. Guigniault. Mais ce que vous ne devez pas souffrir, c’est qu’il vous charge de toute la responsabilité de mon exclusion ; c’est qu’après les témoignages de confraternité que j’ai reçus de vous à mon départ, il ose déclarer que vous avez pris l’initiative pour amener mon expulsion.

Il est bien vrai qu’avant mon départ, nécessité par un refus matériel de subsistance, on vous avait suppliés de consommer cet acte de justice, et quoique rien n’eût troublé notre union, on vous conseillait par l’organe de M. Haiber, maître-surveillant, de vous opposer à mon plus long séjour à l’École ; mais vous avez repoussé ces honteuses insinuations. Faites plus, mes camarades ; je ne vous demande rien pour moi ! mais parlez pour votre honneur et suivant votre conscience. Vous avez décliné la responsabilité que semblait vous imposer l’auteur de la lettre. Démentez maintenant une assertion d’autant plus fâcheuse que votre silence soutiendrait la raison du plus fort. Je suis jusqu’à la décision du ministre votre condisciple et, pour la vie, votre dévoué camarade.

É. Galois.

Bien entendu cette lettre resta sans réponse ; mais elle est extrêmement précise et écrite sur un ton de vérité dont on ne peut pas ne pas être frappé. Elle est d’ailleurs confirmée, pour ce qui concerne les adieux, par la lettre du camarade dont j’ai déjà parlé. C’était un littéraire et un philosophe ; il ignorait totalement la valeur de Galois et n’y faisait pas la plus petite allusion : il le présentait à son correspondant comme un mauvais sujet s’il en fut, du caractère le plus profondément pervers et sournois ; il l’accusait de perfidie, d’invectives atroces, d’imputations bassement mensongères ; M. Guigniault lui paraissait au contraire l’homme le plus franchement libéral qu’il eût jamais connu ; mais, ajoutait-il, « que j’ai été affligé, quand ce pauvre insensé, sortant ignominieusement de l’École, est venu nous dire adieu ! ». Galois n’a donc pas quitté l’École comme il eût été obligé de le faire, si l’unanimité de ses camarades se fût dès le premier moment prononcée contre lui et pour son exclusion.

En tout cas, pour apprécier équitablement ce pénible épisode de l’histoire de l’École Normale, il ne faut pas perdre de vue le déchaînement de passions au milieu duquel il s’est produit. Il est nécessaire aussi, j’ose le dire, de ne pas oublier qui était Galois, et combien il avait déjà souffert dans son légitime orgueil. Certes M. Guigniault n’avait pas tort lorsque, dans son rapport au ministre, il assurait qu’il avait eu contre Galois, depuis son entrée à l’École, des sujets de plainte continuels. Il se rendait justice à lui-même en ajoutant : « Trop préoccupé de l’idée de son incontestable talent pour les Sciences mathématiques, et me défiant de mes propres impressions, parce que j’avais déjà eu des sujets de mécontentement personnel contre lui, j’ai toléré l’irrégularité de sa conduite, sa paresse, son caractère intraitable, dans l’espoir, non pas de changer son moral, mais de le conduire à la fin de ses deux années, sans ravir à l’Université ce qu’elle avait droit d’attendre de lui. » Mais comme il se trompait déjà en taxant de paresse l’indiscipline intellectuelle de Galois, et comme il se trompait davantage encore, en assurant, pour terminer, qu’il n’y avait plus de sentiment moral chez le jeune homme, et peut-être depuis longtemps. Ce n’est pas assez dire que, pour un génie comme celui de Galois et pour une époque comme celle où il vécut, les appréciations à la mesure des temps paisibles et des hommes ordinaires risquent aisément de tomber dans l’injustice. La vérité, c’est que l’erreur de conduite qui priva l’École Normale de Galois doit être attribuée avant tout à des sentiments de droiture intransigeante, exaltés chez lui par la conscience d’un génie supérieur auquel avait été refusée la seule récompense qu’il ambitionnât vraiment : l’admission à l’École Polytechnique.

Galois avait quitté l’École Normale le 9 décembre ; son expulsion ne fut prononcée définitivement par le Conseil royal que le 3 janvier 1831. D’après Auguste Chevalier[31], le Conseil aurait aussi décidé que Galois ne perdrait ni le titre, ni les avantages des élèves de l’École. C’est une erreur. Il n’y a rien de pareil ni dans le brouillon d’arrêté griffonné par M. Cousin en marge du rapport de M. Guigniault, ni dans le texte des registres[32] ; la vérité, c’est que, dans le Conseil, M. Villemain, l’intime ennemi de son ami Cousin, insinua qu’il n’y aurait peut-être pas eu en tout cela de quoi fouetter un chat, si les journaux n’avaient grossi l’affaire par le bruit qu’ils avaient fait autour d’elle ; c’est encore que M. Poisson s’intéressa au talent de Galois, lui conseilla de récrire le manuscrit perdu chez Fourier, et se chargea de le présenter à l’Académie des Sciences dès le 17 janvier ; c’est enfin que le ministre, M. Barthe, mis au courant de tout, fit venir Galois et l’assura qu’il ne serait pas inquiété pour la rupture de son engagement décennal.

Du reste, Galois n’avait encore que dix-neuf ans et ne devait tirer au sort qu’en 1832 ; d’autre part il ne renonçait pas du tout à l’enseignement, puisque, dès le jeudi 13 janvier, il ouvrit chez Caillot, libraire, rue de Sorbonne no 5, un cours public d’Algèbre supérieure. « Ce cours, annonçait la Gazette des Écoles, aura lieu tous les jeudis à une heure et quart ; il est destiné aux jeunes gens qui, sentant combien est incomplète l’étude de l’Algèbre dans les collèges, désirent approfondir cette Science. Le cours se composera de théories dont quelques-unes sont neuves, et dont aucune n’a jamais été exposée dans les cours publics. Nous nous contenterons de citer une théorie nouvelle des imaginaires, la théorie des équations qui sont solubles par radicaux, la théorie des nombres et les fonctions elliptiques traitées par l’Algèbre pure. »

Passé sans plus tarder au rang des maîtres, comment Galois aurait-il regretté son expulsion de l’École ? Avant même qu’elle fût définitive, il avait usé de sa liberté recouvrée pour se lancer en pleine mêlée politique. La bataille était alors plus ardente que jamais ; elle se livrait autour de la Chambre des pairs qui jugeait les ministres de Charles X, et les étudiants y tenaient les premiers rangs. C’étaient là des tentations irrésistibles pour Galois. Des débats de son dernier procès politique il résulte que, à peine sorti de l’École Normale, il entra malgré sa jeunesse dans l’artillerie de la garde nationale. Celle-ci en effet ayant été dissoute le 31 décembre 1831 par ordonnance royale, comment Galois, qui ne fut pas compris dans la réorganisation, aurait-il eu un uniforme le 14 juillet 1831 et se serait-il cru le droit de le porter, s’il n’avait pas été enrôlé régulièrement entre le 9 et le 31 décembre ? Le ministère public ne contesta pas du reste qu’il eût appartenu à la garde nationale. Or, sur les quatre bataillons de l’artillerie, il y en avait deux qui étaient presque entièrement composés d’Amis du peuple, dont les officiers étaient tous les principaux chefs de cette Société républicaine[33], et c’est ce qui m’a fait supposer que Galois avait fait partie des Amis du peuple dès les vacances de 1830. En tout cas, c’est à côté d’eux qu’il se rangea aussitôt qu’il fut libre, et il appartint désormais à la fraction la plus agissante du parti républicain. Il était sans doute avec son bataillon dans la cour du Louvre, le jour où fut rendu le jugement des ministres, et où Cavaignac, Trélat, Guinard furent accusés d’avoir voulu livrer leurs canons au peuple ; il fut ensuite, lui-même s’en vanta en juin 1831[34], de toutes les émeutes qui secouèrent quotidiennement Paris pendant les six mois qui suivirent le procès des ministres.

Je ne pense pas que, dans ces conditions, le cours d’Algèbre supérieure, qu’il avait ouvert devant une quarantaine d’auditeurs, ait été bien régulier ni bien long. D’un autre côté, l’Académie des Sciences lui ménagea une déception nouvelle : M. Poisson rapporta au bout de quatre mois le Mémoire que Galois lui avait remis sur une question de la résolution générale des équations et le déclara incompréhensible[35]. Dès lors Galois se donna tout entier à la politique : suivant sa propre expression, son cœur se révolta contre sa tête. Avec la fougue de sa jeunesse et l’intransigeance habituelle de son caractère, il atteignit bien vite les extrêmes limites de l’exaltation. « S’il fallait un cadavre pour ameuter le peuple, disait-il, je donnerais le mien[36]. » Tel était son état d’esprit, lorsque, le 9 mai 1831, il assista au fameux banquet des Vendanges de Bourgogne et s’attira par un toast régicide sa première poursuite politique.

Après la dissolution de l’artillerie de la garde nationale, les officiers suspects d’avoir voulu livrer leurs canons au peuple avaient été poursuivis par le Gouvernement. Ce procès, connu sous le nom de procès des Dix-neuf, aboutit en cour d’assises à un acquittement. Un banquet fut donné pour le fêter dans un restaurant de Belleville, les Vendanges de Bourgogne, le 9 mai 1831 ; deux cents républicains environ y assistaient ; beaucoup avaient, pour protester contre la dissolution et la réorganisation de l’artillerie, revêtu le costume d’artilleur de la garde nationale auquel ils n’avaient plus droit. À la fin du repas, des toasts furent portés à la Révolution de 93, à la Montagne, à Robespierre, et acclamés ; d’autres à la Révolution de 89 et à celle de 1830, hués. Un artilleur s’écria : « Au soleil de juillet 1831 ! puisse-t-il être aussi chaud que celui de 1830, et ne pas nous éblouir ! » Plus tôt ! plus tôt ! répondit-on de tous les côtés. Les esprits étaient donc très montés lorsque Galois, placé à l’une des extrémités de la table, se leva et, tenant de la même main son verre et un couteau ouvert, dit simplement : « À Louis-Philippe ! » L’assemblée se méprit d’abord sur le sens du toast et y répondit par une bordée de sifflets ; mais Galois s’expliqua, on vit le couteau et, tandis que l’un des convives, Gustave Drouineau, se retirait en protestant contre une pareille horreur[37], qu’Alexandre Dumas et quelques autres passaient par la fenêtre dans le jardin pour ne pas se compromettre[38], la plupart des assistants acclamèrent Galois : on l’imita, en levant les bras avec des gestes de menace et en répétant : « À Louis-Philippe ! à Louis-Philippe ! » Après quoi les plus jeunes, s’étant formés en bande, descendirent sur le boulevard, le parcoururent en poussant des cris et finirent leur soirée en allant danser autour de la colonne Vendôme[39].

C’était la première fois que paraissait publiquement la pensée d’un attentat contre le roi. Galois fut arrêté chez sa mère et mis à Sainte-Pélagie en prison préventive. Il y eut d’abord chez lui un premier mouvement de surprise et comme un étourdissement assez naturel chez un jeune homme de cet âge : il écrivit à son ami Auguste Chevalier : « Je suis sous les verrous ! […] tu as entendu parler des Vendanges de Bourgogne. C’est moi qui ai fait le geste […] Mais ne m’adresse pas de morale, car les fumées du vin m’avaient ôté la raison […][40] » Il cherchait encore à s’excuser ; vers la fin de l’instruction, il se laissa persuader par son avocat et par ses amis de dire qu’il avait ajouté à son toast : « s’il trahit », que cette restriction s’était perdue dans le tumulte des sifflets, mais que ses voisins de table l’avaient bien entendue ; ceux-ci témoignèrent dans le même sens. Mais ce mensonge pesait à Galois et, le 15 juin, à l’audience de la cour d’assises, il finit par se rétracter publiquement, malgré le témoignage de ses amis et ses propres déclarations dans l’interrogatoire. La prévention adoptée contre lui était le délit de provocation, par des discours proférés dans un lieu et dans une réunion publics, à un attentat contre la vie et la personne du roi des Français, sans que ladite provocation ait été suivie d’effet. L’attitude de Galois pendant les débats du procès fut agressive et ironique. Dans ses réponses au président, il reconnut l’exactitude des faits qui lui étaient reprochés ; il vanta la commodité du couteau, dont il s’était servi avant son toast pour découper du poulet et du dindon ; il déclara que son toast était bien une provocation pour le cas où Louis-Philippe trahirait et sortirait de la légalité. « Tout, dit-il, nous engage à porter nos prévisions jusque-là. La marche actuelle du gouvernement peut faire supposer que Louis-Philippe est capable de trahir la nation, parce qu’il ne nous a pas donné assez de garanties de sa bonne foi pour ne pas nous faire craindre ce résultat. Tout ce que nous voyons nous rend sa loyauté suspecte ; son avènement au trône préparé depuis longtemps… » Il allait sans doute parler du serment de fidélité prêté par le duc d’Orléans à Charles X dans la cérémonie du sacre, lorsque son avocat l’interrompit et pria ironiquement le président de ne pas maintenir l’interrogatoire sur un terrain dangereux pour le roi.

L’audition des témoins n’aurait pas offert grand intérêt si Drouineau, celui-là même qui avait hautement protesté contre le toast, n’avait refusé de prêter serment et ne s’était fait infliger une amende. Il fut bien établi que Galois n’était pas, comme il l’avait écrit à Chevalier, privé de raison par les fumées du vin ; il n’y avait eu qu’une seule bouteille de vin devant chaque convive, et la plupart n’avaient pas été vidées ; de liqueur Galois n’en avait pas bu, par la bonne raison qu’on n’en avait pas servi. Quant au « s’il trahit », tous ses voisins de table déclarèrent qu’ils l’avaient entendu.

Le réquisitoire de l’avocat général porta surtout sur deux points : il voulut prouver que les Vendanges de Bourgogne étaient bien un lieu public ; il contesta que Galois eût mis aucune restriction à sa menace, en faisant remarquer que, pendant la première partie de l’instruction, l’accusé n’en avait pas parlé.

Avant de laisser parler son défenseur, Galois tint à présenter lui-même ces observations sur le réquisitoire. « Je vais, dit-il, répondre à quelques erreurs de l’accusateur public. Il m’a d’abord objecté mes réponses dans l’instruction et l’omission du correctif « s’il trahit ! ». Je dois dire que j’ai mieux aimé céder au vœu du juge d’instruction que de m’exposer à rester trois ou quatre mois en prison. J’avoue d’ailleurs qu’il y a eu peut-être un peu de malice dans mon fait : vous ne vous figurez pas la joie du commissaire de police, quand il a cru avoir découvert en moi un conspirateur. Peu s’en est fallu qu’il n’ait cru sa fortune faite ; il doit être un peu détrompé. Je ne puis laisser passer sans réponse ce que vous a dit l’accusateur public qu’il était impossible que le roi trahît ; personne n’a aujourd’hui la niaiserie de croire qu’un roi soit impeccable, surtout depuis que les juges qui, sous Charles X, nous poursuivaient pour avoir dit qu’un roi pouvait faillir, ont prêté serment à un autre roi placé sur le trône par suite de la sottise du roi déchu. » Il se mit alors, dit la Gazette des Tribunaux, à lire un discours extraordinairement exalté : il dit qu’il était de ceux qui, depuis plusieurs mois, avaient parcouru plusieurs fois les rues en armes, et qu’il aurait voulu se trouver à l’audience du samedi précédent, où, dans une affaire de complot, ses amis avaient insulté les témoins, les juges et les jurés, envahi le prétoire et accueilli par des sifflets et des huées les ordres du président. Le président, très paternel, dut l’interrompre avec douceur et lui faire observer qu’il nuisait lui-même à sa défense.

Celle-ci fut présentée par un des défenseurs attitrés des accusés républicains, Me  Dupont. Laissant de côté la question du correctif, puisque l’accusé s’était enlevé à lui-même cette circonstance atténuante, il fit surtout une réfutation juridique du réquisitoire et soutint que le restaurant ne pouvait être considéré comme un lieu public. Après un échange de répliques animées entre le défenseur et l’avocat général, le président résuma les débats et finit, comme celui du procès des Dix-neuf, en faisant appel aux sentiments des jurés comme pères de famille. Comme le juge d’instruction, il était touché par la jeunesse de l’accusé. C’était sans doute aussi le sentiment des jurés, car il leur suffit de dix minutes de délibération pour apporter un verdict négatif. Galois se leva tranquillement, descendit dans le prétoire, prit son couteau sur la table des pièces à conviction, le ferma, le mit dans sa poche, et sortit sans mot dire[41].

Il ne resta pas libre un mois. Pour le 14 juillet 1831 le parti républicain avait préparé une manifestation : plusieurs arbres de la liberté devaient être plantés, un entre autres sur la place de Grève. On comptait que le Gouvernement n’oserait pas interdire cette commémoration ; mais le préfet de police déclara la veille qu’il la considérerait comme séditieuse et s’y opposerait. Parmi les mesures de précaution qui furent prises figurait l’arrestation de Galois ; on n’avait rien à lui reprocher, on tenait seulement à s’assurer de lui comme du plus farouche ennemi du roi. À six heures du matin, le commissaire de police du quartier Saint-Victor vint pour l’arrêter dans la maison de la rue des Bernardins où il habitait seul depuis son acquittement ; Galois avait déjà décampé. Vers midi et demi, une troupe de jeunes gens descendant la rue de Thionville (rue Dauphine) déboucha sur le Pont-Neuf, pour aller à la Grève par le Châtelet ; deux tout jeunes gens la précédaient, habillés en artilleurs de la garde nationale et armés de carabines : l’un d’eux était Galois, l’autre un de ses amis, Duchâtelet, étudiant en droit. Le Pont-Neuf était un des passages les plus surveillés : la police laissa les deux chefs s’engager sur le pont, et, les prenant par derrière, leur mit aussitôt la main au collet en les séparant de leur bande, qui fut dispersée. On trouva sur Galois, outre sa carabine chargée, des pistolets et un poignard.

L’arrestation du républicain Galois fut annoncée à toute la France par les journaux philippistes comme une prise de premier ordre. On le tenait et, cette fois, on se promettait de ne pas le lâcher de sitôt. L’imprudence de Duchâtelet fournit un premier prétexte pour allonger démesurément la détention. Tous deux avaient été conduits d’abord du poste de la Place Dauphine au dépôt de la préfecture de police, et là, Duchâtelet avait eu la fâcheuse idée de crayonner sur les murs de sa chambre la tête du roi à côté d’une guillotine et, au-dessous, cette inscription : Philippe portera sa tête sur ton autel, ô Liberté ! On en profita pour le poursuivre de ce chef en correctionnelle avant d’engager l’autre affaire : mesure inique en ce qui concerne Galois puisque, au moment de son arrestation, il n’avait en réalité commis encore aucun délit et qu’il n’avait fait aucune résistance. Le 26 août, Duchâtelet fut acquitté pour ses dessins ; le ministère public en appela et la cour ne fut saisie de l’affaire qu’un mois plus tard ; le 23 septembre, elle confirma la sentence des premiers juges. Plus de deux mois s’étaient écoulés depuis que Galois avait été transféré à Sainte-Pélagie : on consentit enfin à s’occuper de lui. Mais de quoi l’accuserait-on ? On avait pensé d’abord à un complot contre la sûreté de l’État : on y renonça, moins à cause du ridicule d’une pareille accusation que parce qu’elle entraînait un procès en cour d’assises, où l’acquittement était probable ; trois mois de prévention ne paraissaient pas suffisants pour réparer l’acquittement du 16 juin ; il fallait une bonne condamnation, et l’on n’avait chance de l’obtenir que des juges correctionnels. Malheureusement pour lui, Galois n’en avait pas assez fait : le 23 octobre, il comparut en police correctionnelle avec Duchâtelet, sous l’inculpation de port illégal d’un costume militaire.

Les deux prévenus répondirent pour leur défense qu’ayant appartenu avant le 1er janvier à l’ancienne artillerie de la garde nationale, ils s’étaient cru le droit d’en porter encore l’uniforme, comme l’avaient fait d’ailleurs beaucoup de leurs amis sans être inquiétés. On leur fit voir qu’ils s’étaient trompés, mais inégalement, paraît-il, puisque Duchâtelet en fut quitte pour trois mois de prison, tandis que Galois en eut le double[42].

Si l’on en croit un passage du journal de sa sœur, Mme  Chantelot[43], cette condamnation surprit profondément Galois. Il ne pouvait se figurer que sa longue détention préventive ne serait pas jugée suffisante pour punir un aussi mince délit : il eut la naïveté d’en appeler et de faire ainsi le jeu de ses ennemis. En vain son défenseur prouva-t-il qu’il avait bien appartenu à l’artillerie en décembre 1830 ; la cour ne voulut pas admettre la bonne foi et décida que, du moment qu’il n’avait pas été compris dans la réorganisation, il avait bien commis le délit prévu par l’article 259 du code pénal, délit aggravé par le port de carabine et de pistolets chargés. Le poignard caché sous les vêtements de Galois, en réveillant le souvenir des Vendanges, justifiait pour lui une peine double de celle qu’on infligeait à son ami.

Ce jugement définitif fut rendu le 3 décembre. Galois retourna à Sainte-Pélagie et y fut écroué comme condamné le 17. Sa peine ne devait expirer que le 29 avril 1832. « Passer encore cinq mois sans prendre l’air ! c’est une fort triste perspective, écrivait sa sœur, et je crains bien que sa santé n’en souffre beaucoup. Il est déjà si fatigué. Ne se livrant à aucune pensée qui puisse le distraire, il a pris un caractère sombre qui le fait vieillir avant le temps. Ses yeux sont creux comme s’il avait cinquante ans. »

Sauf huit jours de transfert à la Force[44], dont j’ignore le motif, Galois fit toute sa prévention et toute sa peine à Sainte-Pélagie jusqu’au 19 mars 1832, jour où il fut envoyé dans une maison de santé.

À Sainte-Pélagie, le régime des prisonniers politiques était relativement doux. La nuit, ils étaient enfermés par groupes dans des chambrées situées aux étages supérieurs de la triste façade qui se dresse comme une noire falaise au-dessus de la rue du Puits-de-l’Ermite ; elle était alors toute neuve et éblouissante de blancheur. Le jour, ils pouvaient rester dans la chambrée, aller à la cantine, ou se promener dans la cour qui leur était réservée.

L’enfant qui ignorait tout de la vie trouva là, à côté de quelques compagnons dignes de le comprendre comme F.-V. Raspail[45], la foule assez mêlée des prisonniers pris dans les innombrables émeutes qui bouleversaient Paris depuis juillet 1830 ; gens du peuple de mœurs grossières, vieux grognards de l’empire, que sa jeunesse, sa petitesse, ses allures sauvages et méditatives surprirent, et qui, tout en l’aimant beaucoup, le firent horriblement souffrir. Il s’était remis au travail, travail de tête suivant son habitude, et marchait souvent plusieurs heures de suite dans la cour en méditant. Cependant la plupart des autres détenus passaient leur temps à boire, dans une cantine spéciale tolérée par le directeur, l’eau-de-vie que la femme d’un prisonnier apportait tous les jours, cachée dans une paire de bottes. Ils voulurent que Galois bût avec eux. Raspail s’en indignait. « Cette cantine-là, écrit-il dans ses Lettres sur les Prisons de Paris, fait mon désespoir : nos soiffeurs finissent par y entraîner tout ce que nous possédons de plus généreux parmi nos jeunes camarades. Quoi ! vous êtes buveur d’eau, jeune homme ! ô Zanetto, laissez là le parti des républicains, retournez à vos Mathématiques ! Tenez, voilà au contraire un franc luron qui vous rend raison d’un toast avec la même élégance qu’il vous assomme un sergent de ville ! […] Allons, allons, mon pauvre Zanetto ! il faut vous faire parmi nous ! acceptez pour essai ce petit verre ; on n’est pas homme sans les femmes et le bon vin ! […] Refuser ce défi, c’est un acte de couardise ; et notre pauvre Zanetto a dans son grêle corps tant de bravoure qu’il donnerait sa vie pour la centième partie de la plus petite bonne action ; il saisit le petit verre avec le même courage que Socrate prenait la ciguë, il l’avale d’un trait, non sans cligner de l’œil et se tordre les lèvres ; un second petit verre n’est pas plus difficile à vider que le premier. Au troisième, le débutant perd l’équilibre ; triomphe ! victoire ! honneur au Bacchus de la geôle ! on a soûlé une âme candide qui a horreur du vin ! […] Grâce pour cet enfant si chétif et si brave, sur le front duquel l’étude a déjà gravé, en rides profondes, et dans l’espace de trois années, soixante ans des plus savantes méditations ; au nom de la science et de la vertu, laissez-le vivre ! dans trois ans, il sera le savant Évariste Galois ! »

Une autre fois, toujours d’après le même témoin, Zanetto-Galois travaillait en arpentant la cour, pensif et rêveur, sobre comme un homme qui ne tient à la terre que par le corps, et qui ne vit que par la pensée. Les bravaches d’estaminet lui crièrent de la fenêtre : « Eh ! notre vieillard de vingt ans, vous n’avez pas seulement la force de boire, vous avez peur de la boisson. » Il monta pour marcher droit vers le danger, vida d’un trait une bouteille, puis la jeta à la tête de l’impertinent provocateur. C’était une bouteille d’eau-de-vie ! Il redescendit d’abord droit et ferme sur ses jambes, mais bientôt Raspail dut venir à son aide. Galois, au désespoir, s’accrocha à son bras, lui disant : « Que je vous aime ! et en ce moment plus que jamais : vous ne vous soûlez pas, vous ; vous être sobre et ami de la pauvreté ! Mais, que se passe-t-il dans mon être ? Je porte deux hommes en moi ! et malheureusement je devine celui qui l’emportera sur l’autre ; je suis trop impatient d’arriver au but ; les passions de mon âge s’imprègnent toutes d’impatience ; la vertu même a ce vice chez moi. Voyez plutôt ! je n’aime pas le vin ; et sur un mot je le bois en me bouchant le nez et je me soûle ! […] Savez-vous bien, mon ami, ce qui me manque ? Je ne le confie qu’à vous : c’est quelqu’un que je puisse aimer, et aimer de cœur seulement. J’ai perdu mon père, et personne ne l’a plus remplacé là, vous m’entendez ! Oh ! quel bien vous m’avez fait de n’avoir pas ri de moi ! dans quel cloaque sommes-nous ? et qui nous en tirera par quelque chose de digne ? » Après cela ce fut l’ivresse violente. Il fallut remonter Galois dans la chambrée et l’étendre sur un lit ; des mouvements tétaniques le secouaient : il se relevait, retombait sans connaissance, se relevait encore avec une nouvelle exaltation et « prophétisait des choses sublimes, qu’une réticence rendait souvent ridicules ». Il se serait tué, si l’on ne s’était pas jeté sur lui. Enfin il s’endormit.

Rien n’est plus navrant que ce récit de Raspail, bien qu’il semble avoir été un peu arrangé après coup, en vue de la publication. J’en ai supprimé bien des détails écœurants. Heureusement pour Galois la prison n’était pas perpétuellement un cloaque, et, sans parler de son travail, il s’y passait tous les jours une scène bien propre à plaire à l’exaltation de son âme. Chaque soir, avant de remonter dans les chambrées pour y être bouclés, tous les prisonniers politiques s’assemblaient autour d’un drapeau tricolore : ils chantaient en chœur des chansons patriotiques et terminaient par la Marseillaise. Au couplet « Amour sacré de la patrie ! » tout le monde s’agenouillait ; puis, du haut des fenêtres grillées, les jeunes détenus, ceux qu’on appelait les mômes, gamins abandonnés ou vagabonds qui partageaient le quartier des politiques, suspendus en grappes aux barreaux, entonnaient à leur tour la strophe des enfants : elle paraissait tomber du ciel.


Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus ;
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus.
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre !

Quand les voix claires des enfants s’étaient tues, les hommes défilaient devant le drapeau et le baisaient avant de remonter. Les geôliers pouvaient alors fermer les chambrées, chacun avait emporté dans son cœur une émotion qui l’élevait au-dessus de lui-même, et effaçait ou faisait oublier jusqu’au lendemain les misères et les hontes de la prison. Ce devait être pour Galois un énergique stimulant moral, en harmonie avec l’enthousiasme naturel de son âme, avec ce penchant au sacrifice de soi-même qui n’est jamais plus fort que vers la vingtième année, et qui l’était chez lui à un si haut degré.

Un soir, la scène grandiose eut une fin terrible pour lui. Il était à peine arrivé depuis une semaine à Sainte-Pélagie, lorsqu’on y célébra par une messe solennelle l’anniversaire des journées de Juillet. Les prisonniers, s’emparant du catafalque qui avait été dressé dans la chapelle, le transportèrent dans leur cour, et le 27, le 28 et le 29, firent devant lui la cérémonie du drapeau. Le 29, ils étaient depuis quelques instants rentrés dans leurs chambrées, lorsqu’un coup de feu, parti d’une mansarde de la rue du Puits-de-l’Ermite, en face de la prison, blessa de quelques grains de plomb un prisonnier dans la chambrée de Galois. Aux cris de ses camarades les guichetiers accoururent, et redescendirent avec le blessé et deux ou trois de ses compagnons qui voulaient témoigner devant le directeur de la prison. Galois en était. Avec le flegme méprisant qu’il affectait souvent lorsqu’il était ému ou quand il parlait à des gens entre les mains desquels il se sentait, il accusa du coup de feu un porte-clefs de la prison, qui demeurait en effet en face. Peut-être ajouta-t-il quelque froide insulte à l’adresse du directeur, comme il en avait eu à l’adresse de ses juges dans son premier procès ; toujours est-il qu’il fut immédiatement mis au cachot. Lorsque les prisonniers l’apprirent le lendemain matin, ils se révoltèrent, et avec l’aide des mômes se rendirent maîtres de la prison jusqu’au soir : il fallut bloquer Sainte-Pélagie avec de la troupe et, pour ramener l’ordre sans effusion de sang, promettre que Galois serait retiré de son cachot. La seule punition fut le départ des enfants.

Au moment où se passa cette scène, Galois n’était pas encore connu du personnel de la prison : c’était avant tout l’homme qui voulait tuer Louis-Philippe. On s’aperçut sans doute à la longue de ce qu’il était réellement et de ce qu’il valait, car, au moment où le choléra de 1832

Lettre de Galois écrite de Sainte-Pélagie à sa tante, Madame Guinard,
en janvier
1832 (communiquée par le colonel Guinard).


sévit avec le plus d’intensité, il fut l’objet d’une mesure de bienveillance motivée par le mauvais état de sa santé. On le fit sortir de la prison le 16 mars, et on l’envoya dans une maison de santé de la rue de Lourcine. Mais il était marqué par le sort et cette bienveillance même fut cause de sa perte. Chez M. Faultrier il fut prisonnier sur parole, et noua l’intrigue d’amour au bout de laquelle il rencontra la mort. Si j’en crois une allusion de Raspail, Galois aurait livré son cœur vierge à quelque coquette de bas étage. La police n’était point derrière elle, comme l’ont cru les parents de Galois, sans quoi le soupçonneux écrivain n’eût pas manqué d’y faire allusion. L’enfant, qui déclarait à Sainte-Pélagie qu’il n’aimerait qu’une Tarpéia ou une Gracque, se donna tout entier à sa première passion avec sa violence ordinaire de sentiments, et finit par y trouver la même amertume dont il avait été déjà abreuvé tant de fois. Il eut à ce sujet une correspondance avec son ami Chevalier qui s’était retiré à Ménilmontant, où il partageait avec l’éloquent Barrault le service du cirage des bottes[46]. Chevalier essayait sans doute d’attirer Galois dans la retraite où lui-même goûtait la paix du cœur ; il en recevait des réponses comme cette lettre navrante datée du 25 mai :

Mon bon ami, il y a du plaisir être triste pour être consolé ; on est vraiment heureux de souffrir quand on a des amis. Ta lettre, pleine d’onction apostolique, m’a apporté un peu de calme. Mais comment détruire la trace d’émotions aussi violentes que celles où j’ai passé ?

Comment se consoler d’avoir épuisé en un mois la plus belle source de bonheur qui soit dans l’homme, de l’avoir épuisée sans bonheur, sans espoir, sûr qu’on est de l’avoir mise à sec pour la vie ?

Oh ! venez après cela prêcher la paix ! Venez demander aux hommes qui souffrent d’avoir pitié de ce qui est ! Pitié, jamais ! Haine, voilà tout. Qui ne la ressent pas profondément, cette haine du présent, n’a pas vraiment l’amour de l’avenir.

Quand la violence ne serait pas une nécessité dans ma conviction, elle le serait dans mon cœur. Je ne veux pas avoir souffert sans me venger.

À part cela, je serais des vôtres.

Mais laissons cela ; il y a des êtres destinés peut-être à faire le bien, mais à l’éprouver, jamais. Je crois être du nombre.

Tu me dis que ceux qui m’aiment doivent m’aider à aplanir les difficultés que m’offre le monde. Ceux qui m’aiment sont, comme tu le sais, bien rares. Cela veut dire, de ta part, que tu te crois, quant à toi, obligé à faire de ton mieux pour me convertir. Mais il est de mon devoir de te prévenir, comme je l’ai fait cent fois, de la vanité de tes efforts.

J’aime à douter de ta cruelle prophétie quand tu me dis que je ne travaillerai plus. Mais j’avoue qu’elle n’est pas sans vraisemblance. Il me manque, pour être un savant, de n’être que cela. Le cœur chez moi s’est révolté contre la tête ; je n’ajoute pas comme toi : « C’est bien dommage. »

Pardon, pauvre Auguste, si j’ai blessé ta susceptibilité filiale en te parlant lestement de l’homme à qui tu t’es dévoué[47]. Mes traits contre lui ne sont pas bien acérés, et mon rire n’a rien d’amer. C’est beaucoup de ma part, dans l’état d’irritation où je suis.

J’irai te voir le 1er juin. J’espère que nous nous verrons souvent pendant la première quinzaine de juin. Je partirai vers le 15 pour le Dauphiné.

Tout à toi.

É. Galois.

En relisant ta lettre, je remarque une phrase où tu m’accuses d’être enivré par la fange putréfiée d’un monde pourri qui me souille le cœur, la tête et les mains.

Il n’y a pas de reproches plus énergiques dans le répertoire des hommes de violence.

De l’ivresse ! Je suis désenchanté de tout, même de l’amour de la gloire. Comment un monde que je déteste pourrait-il me souiller ? Réfléchis bien[48].


Ainsi, quatre jours avant le duel où il fut blessé mortellement, il était las de son amour, et plus désespéré, plus violent que jamais ; mais il était libre, puisqu’il se proposait d’aller à Ménilmontant le 1er juin et de partir pour le Dauphiné le 15. Quel est l’incident qui détermina ce duel ? On ne sait. Son cousin, M. Gabriel Demante, m’a écrit qu’à un dernier rendez-vous, Galois se serait trouvé en présence d’un prétendu oncle et d’un prétendu fiancé, et que chacun d’eux l’aurait provoqué en duel. Mais cette version n’est pas du tout conciliable avec celle que Raspail indique par quelques mots rapides : « Je n’aime pas les femmes, et il me semble que je ne pourrais aimer qu’une Tarpéia ou une Gracque, et, vous l’entendrez dire, je mourrai en duel, à l’occasion de quelque coquette de bas étage ; pourquoi pas ? puisqu’elle m’invitera à venger son honneur qu’un autre aura compromis. » Raspail devait, comme tous les patriotes, savoir exactement ce qui s’était passé, et il n’aurait pas mis cette prophétie dans la bouche de son Zanetto si l’histoire de l’oncle et du fiancé avait été vraie. La tradition de la famille a, je crois, été créée presque de toutes pièces par Alfred Galois, le frère d’Évariste, qui n’avait que dix-huit ans en 1832[49], et qui, par amour et par admiration pour son frère, crut toute sa vie qu’il avait été victime de la police personnelle du roi. D’après Alfred Galois le duel n’aurait pas été vraiment loyal : Évariste, chétif et myope, aurait eu affaire à de véritables spadassins soudoyés pour le tuer ; il aurait d’abord tiré en l’air, puis il aurait été blessé mortellement par la première balle de son premier adversaire. On sent aisément dans tout cela l’invention romanesque : les choses se sont passées bien plus simplement. Rien n’était plus fréquent alors que les duels chez les républicains, les patriotes : ils se piquaient de gentilhommerie en tout, aussi bien dans leur conduite privée que dans leur conduite politique, et l’une des conséquences de cet oubli complet de soi-même, qui fait leur noblesse devant l’histoire, était la facilité avec laquelle, souvent pour de très légers motifs, ils se rendaient sur le terrain. Or, d’après Galois lui-même, c’est à deux patriotes qu’il eut affaire et, toujours d’après lui, ceux-ci étaient les dupes d’une infâme coquette : ils étaient de bonne foi. Alexandre Dumas, dans ses Mémoires, dit expressément que l’un d’eux était Pécheux d’Herbinville, l’un des acquittés du procès des Dix-neuf, et que c’est lui qui blessa Galois. Or Pécheux n’était certainement pas un faux frère : tous les hommes de la police qui s’étaient glissés dans les sociétés secrètes sous le règne de Louis-Philippe, furent démasqués en 1848, lorsque Caussidière prit la préfecture de police, témoin Lucien de La Hodde. Si Pécheux avait été suspect, il n’aurait pas alors été nommé conservateur du château de Fontainebleau. Il faut donc absolument écarter l’idée de l’intervention de la police et du duel déloyal, de l’assassinat. On a dit encore que Galois avait été abandonné sur le terrain, même par ses témoins : cela non plus n’est pas vraisemblable, s’il est exact, comme me l’a écrit M. Demante lui-même, que l’un de ces témoins soit venu, le lendemain même du duel, faire une visite à la mère de Galois. Peut-être les témoins étaient-ils partis à la recherche d’une voiture ou d’un médecin lorsque Galois fut trouvé par un paysan qui passait avec sa charrette auprès de l’étang de la Glacière, sur le territoire de Gentilly, et amené par cet homme à l’hôpital Cochin.


Portrait de Galois fait par son frère et publié par le Magasin pittoresque en 1848[50].

C’est d’ailleurs au témoignage de Galois lui-même qu’il convient de s’en rapporter pour juger la physionomie de l’affaire. Comment révoquer en doute ce témoignage donné dans la triste journée du 29 mai, la veille du duel, alors que, sûr de la mort inévitable dont la pensée le hantait depuis longtemps, Galois mit fiévreusement par écrit les résultats de ses recherches auxquels il tenait le plus, griffonnant sans cesse en marge : « Je n’ai pas le temps, je n’ai pas le temps », et, après avoir ainsi rédigé son testament scientifique, écrivit aux patriotes républicains et à deux de ses amis les belles lettres que voici[51] :


29 mai 1832.
Lettre à tous les républicains.

Je prie les patriotes mes amis de ne pas me reprocher de mourir autrement que pour le pays.

Je meurs victime d’une infâme coquette. C’est dans un misérable cancan que s’éteint ma vie.

Oh ! pourquoi mourir pour si peu de chose, mourir pour quelque chose d’aussi méprisable !

Je prends le ciel à témoin que c’est contraint et forcé que j’ai cédé à une provocation que j’ai conjurée par tous les moyens.

Je me repens d’avoir dit une vérité funeste à des hommes si peu en état de l’entendre de sang-froid. Mais enfin j’ai dit la vérité. J’emporte au tombeau une conscience nette de mensonge, nette de sang patriote.

Adieu ! j’avais bien de la vie pour le bien public.

Pardon pour ceux qui m’ont tué, ils sont de bonne foi.

É. Galois.

Lettre à N. L… et à V. D…[52].

Paris, 29 mai 1832.
Mes bons amis,

J’ai été provoqué par deux patriotes […] il m’a été impossible de refuser.

Je vous demande pardon de n’avoir averti ni l’un ni l’autre de vous.

Mais mes adversaires m’avaient sommé sur l’honneur de ne prévenir aucun patriote.

Votre tâche est bien simple : prouver que je me suis battu malgré moi, c’est-à-dire après avoir épuisé tout moyen d’accommodement, et dire si je suis capable de mentir, de mentir même pour un si petit objet que celui dont il s’agissait.

Gardez mon souvenir puisque le sort ne m’a pas donné assez de vie pour que la patrie sache mon nom.

Je meurs votre ami

É. Galois.

Et au bas de cette dernière lettre, résumant sa propre destinée, telle qu’il la voyait alors clairement, ces mots : Nitens lux, horrenda procella, tenebris æternis involuta[53].

Le duel eut lieu le 30 au matin, de très bonne heure, près de l’étang de la Glacière, sur le territoire de Gentilly. La balle qui atteignit Galois avait, d’après l’autopsie, été tirée à vingt-cinq pas : elle entra dans le ventre par le côté droit, et traversa à plusieurs reprises l’intestin, pour venir se loger sous la fesse gauche. Le paysan qui releva le blessé l’amena à neuf heures et demie du matin a l’hôpital Cochin[54].

Galois s’était trop peu fait d’illusions la veille pour en conserver après sa blessure. Il vit la mort en face. Son jeune frère, seul de la famille, avait été prévenu : il accourut auprès de lui tout en larmes. Évariste essaya de l’apaiser par son stoïcisme. « Ne pleure pas, lui dit-il, j’ai besoin de tout mon courage pour mourir à vingt ans[55]. » En pleine connaissance, il refusa l’assistance d’un prêtre[56]. Vers le soir, la péritonite inévitable se déclara et l’emporta en douze heures : il rendit le dernier soupir le 31 mai à dix heures du matin[57].

La Tribune annonça son enterrement en ces termes : « Les obsèques de M. Évariste Galois, artilleur de la garde nationale parisienne, et membre de la Société des Amis du peuple, auront lieu aujourd’hui samedi 2 courant. Le convoi partira de l’hospice Cochin à 11 heures et demie du matin. » Deux ou trois mille républicains s’y donnèrent rendez-vous : il y eut des députations de l’École de Droit, de l’École de Médecine, de l’artillerie de la garde nationale, sans parler, bien entendu, d’une nuée d’agents de police. Le préfet de police, M. Gisquet, se méfiait en effet. La veille, il avait interdit une réunion de la Société des Amis du peuple, dans une maison de la rue Saint-André-des-Arts, et fait faire plusieurs arrestations, sous prétexte qu’on voulait préparer des troubles à l’enterrement de Galois. Lui-même l’a dit dans ses Mémoires ; il a prétendu aussi que, si le général Lamarque, à l’agonie depuis plusieurs jours, n’était pas mort précisément le matin du 2 juin, l’émeute qui ensanglanta Paris cinq jours plus tard aurait éclaté ce jour-là même au cimetière Montparnasse. Peut-être eût-ce été là les funérailles qu’avait rêvées Galois. Mais tout fut calme. Les patriotes se contentèrent d’enlever le cercueil, dès que le corbillard fut arrivé à la barrière ; comme autrefois le corps de son père sur la route de Bagneux au Bourg-la-Reine, celui d’Évariste fut porté par les bras de ses amis jusqu’au bord de la fosse. Plusieurs discours furent prononcés. Parmi les orateurs figurèrent deux des principaux chefs de la Société des Amis du peuple, Plagniol, et Charles Pinel[58].

Comme il fut mis dans la fosse commune[59], il ne reste plus trace aujourd’hui de la sépulture de Galois.

Telle a été cette vie si courte et si extraordinaire. Il n’est pas rare d’entendre les mathématiciens en déplorer la brièveté : que n’eût pas donné un tel génie si la mort ne l’avait pris à vingt ans ! Mais non, Galois, semble-t-il, a rempli toute sa destinée. Si, comme il l’avait ardemment souhaité, il était entré à l’École Polytechnique, il aurait été tué avec Vaneau sur une des barricades de Juillet. Et comme il avait raison, deux ans plus tard, en regrettant de mourir « pour quelque chose d’aussi méprisable » ; car s’il n’avait pas péri dans son duel, c’eût été certainement aux journées de juin 1832, et il aurait pu croire alors qu’il mourait pour son pays. Mais la mort avait marqué sa jeunesse, et il le savait bien lui-même, lui qui écrivait au milieu de ses calculs :


L’éternel cyprès m’environne :
Plus pâle que la pâle automne,
Je m’incline vers le tombeau[60].


Du moins le tombeau ne l’a-t-il pas pris tout entier ; les quelques pages qu’il a laissées ont suffi pour que la patrie sache son nom : sa vraie patrie, la plus belle et la plus large de toutes, celle où fraternisent nécessairement, dans les conceptions rigoureuses et profondes des Mathématiques, tant de nobles intelligences dispersées sur tous les points du monde. Si, comme il le disait, l’immortalité n’est que la trace laissée dans la mémoire des hommes[61], il est assuré de l’immortalité tant qu’il y aura des hommes : ignoré de la foule, son nom est défendu contre l’oubli par l’admiration d’une élite ; c’est pour elle que j’ai écrit cette étude, en souhaitant d’ajouter à l’admiration du génie quelque sympathie pour l’âme ardente, pour le cœur tourmenté et misérable, et de dresser enfin, à côté de ce nom qui ne représentait que des idées, la figure vivante d’un homme.


PIÈCES JUSTIFICATIVES.



I.

Acte de naissance d’Évariste Galois.

(Archives du Bourg-la-Reine.)

L’an mil huit cent onze, le vingt-six octobre, une heure après midi, par devant nous, maire du Bourg-la-Reine, faisant fonction d’officier public de l’état civil, est comparu M. Nicolas-Gabriel Galois, directeur d’un pensionnat de l’Université impériale, âgé de trente-six ans, demeurant dans cette commune, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le jour d’hier à une heure du matin, de lui déclarant et d’Adélaïde-Marie Demante, sa femme, et auquel il a déclaré vouloir donner le nom d’Évariste, lesdites déclaration et présentation faites en présence de M. Thomas-François Demante, président du Tribunal civil séant à Louviers, département de l’Eure, âgé de cinquante-neuf ans, grand-père maternel de l’enfant, et de M. Pierre-Ambroise Gandu, maître d’écriture, âgé de cinquante-trois ans, demeurant en cette commune, et ont les père et témoins signés avec nous, maire, le présent acte de naissance après lecture faite.

Gandu, G. Galois, Demante, Lavisé.

II.

Lettre de M. Laborie, proviseur du collège Louis-le-Grand, au père de Galois.

(Archives du lycée Louis-le-Grand, Registre de correspondance, I, no 856.)

21 août 1826.
Monsieur,

L’intelligence, l’esprit peuvent suppléer au travail, mais ne peuvent remplacer le jugement qui ne mûrit qu’avec l’âge. Telle est, n’en doutez pas, l’unique cause de la défaite qu’a éprouvée M. votre fils cette année. M. Roger, avec lequel je me suis longtemps entretenu sur son compte, m’a témoigné le désir de le voir redoubler. Quoique je vous en ai fait plusieurs fois en vain la proposition, je me détermine néanmoins avec plaisir à cette nouvelle démarche, car toute espèce d’amour-propre cesse chez moi du moment qu’il s’agit du bien-être d’un élève. Or dussé-je éprouver un nouveau refus, je ne craindrai pas de dire que cette mesure est l’unique moyen de ramener le succès du jeune homme et de ménager sa santé : qu’il se garde du reste de croire que ses nouveaux rivaux lui laisseront une victoire facile. Il aura affaire à une des meilleures classes du collège, et je ne doute pas que son travail ne doive être soutenu s’il veut se maintenir au premier rang. J’espère que, privé de nominations au Concours général et au lycée, il ouvrira les yeux sur ses véritables intérêts.

Laborie.

III.

Notes trimestrielles de Galois, au collège Louis-le-Grand, de 1826 à 1829.

(Archives du lycée Louis-le-Grand.)

1826-1827. RHÉTORIQUE, puis SECONDE ET MATHÉMATIQUES PRÉPARATOIRES.

1er trimestre.

Notes d’étude. — 
Devoirs religieux
Bien.
Conduite
Bonne.
Dispositions
Heureuses.
Travail
Soutenu.
Progrès
Sensibles.
Caractère
Bon, mais singulier.

Cet élève, quoiqu’un peu bizarre dans ses manières, est très doux, et paraît rempli d’innocence et de bonnes qualités. J’ai eu l’occasion de m’apercevoir que l’ambition d’obtenir de bonnes places le guidait beaucoup plus que le désir de faire un bon devoir pour plaire à ses maîtres.


Rhétorique.

Notes de M. Camus. — 
Conduite
Dissipée.
Travail
Médiocre.

Notes de M. Desforges. — 
Conduite
Bien.
Travail
A du zèle.

C’est un esprit bien jeune pour profiter beaucoup en rhétorique.


2e trimestre.

Notes d’étude. — 
Devoirs religieux
Bien.
Conduite
Assez bien.
Travail
Satisfaisant.
Dispositions
Heureuses.
Progrès
Assez sensibles.
Caractère
Original et bizarre.

Cet élève, qui travaille bien la généralité de ses devoirs, et quelques-uns avec ardeur et goût, se rebute facilement quand la matière ne lui plaît pas, et alors il néglige le devoir. Il en est de même pour les leçons qu’il sait généralement bien, mais quelquefois qu’il n’apprend pas du tout. Jamais il ne sait mal une leçon : ou il ne l’a pas apprise du tout ou il la sait bien. Quant à ses qualités personnelles, elles sont bien difficiles à définir. Il n’est pas méchant, mais frondeur, singulier, bavard, aime à contrarier et à taquiner ses camarades.


Seconde.

Note de M. Saint-Marc-Girardin. — Son travail n’est pas assez régulier ; sa conduite est passable.


Mathématiques préparatoires.

Note de M. Vernier. — Zèle et succès.


3e trimestre.

Notes d’étude. — 
Devoirs religieux
Bien.
Conduite
Passable.
Travail
Inconstant.
Dispositions
Heureuses.
Progrès
Peu satisfaisants.
Caractère
Caché et original.

Cet élève, sauf depuis quinze jours à peu près qu’il travaille un peu, n’a cultivé les facultés de sa classe que par la crainte de pensum, et par suite à coups de punitions ; tantôt, et c’était le plus souvent, il ne faisait pas la dernière partie de ses devoirs, et tantôt il les brochait, et pour quelques narrations latines, il ne faisait que transcrire la matière. Son ambition, son originalité souvent affectée, et la bizarrerie de son caractère le séparent de ses camarades.

Pour le troisième trimestre, les autres notes manquent.




1827-1828. RHÉTORIQUE ET MATHÉMATIQUES PRÉPARATOIRES.

1er trimestre.

Note d’étude. — Conduite assez bonne. Quelques étourderies. Caractère dont je ne me flatte pas de saisir tous les traits ; mais j’y vois dominer un grand amour-propre. Je ne lui crois pas d’inclination vicieuse. Ses moyens me paraissent tout à fait hors de ligne, et je ne lui en crois pas moins pour les Lettres que pour les Mathématiques ; mais jusqu’ici il a négligé beaucoup ses devoirs de classe. Voilà pourquoi il n’a pas été bien placé dans ses compositions. Il paraît décidé à donner désormais plus de temps et plus de soins à la Rhétorique ; nous avons fait ensemble là-dessus une distribution de temps. Nous verrons s’il se tient à lui-même sa propre parole. Il ne paraît pas manquer de sentiments religieux. La santé est bonne, mais délicate.

Rhétorique.

Note de M. Pierrot. — Travaille peu pour moi, il cause souvent. Sa facilité à laquelle il faut croire, quoique je n’en aie encore eu aucune preuve, ne le conduira à rien : il n’y a trace, dans ses devoirs, que de bizarrerie et de négligence.

Note de M. Desforges. — Toujours occupé de ce qu’il ne faut pas faire. Baisse chaque jour.


Mathématiques préparatoires.

Note de M. Vernier. — Zèle et progrès très marqués.


2e trimestre.

Note d’étude. — Conduite fort mauvaise, caractère peu ouvert. Il vise à l’originalité. Ses moyens sont distingués, mais il ne veut pas les employer à la Rhétorique. Il ne fait absolument rien pour la classe. C’est la fureur des Mathématiques qui le domine ; aussi je pense qu’il vaudrait mieux pour lui que ses parents consentent à ce qu’il ne s’occupe que de cette étude ; il perd son temps ici et n’y fait que tourmenter ses maîtres et se faire accabler de punitions. Il ne se montre pas dépourvu de sentiments religieux, sa santé paraît faible.


Rhétorique.

Note de M. Pierrot. — Travaille quelques devoirs. Du reste, causeur comme à l’ordinaire.

Note de M. Desforges. — Dissipé, causeur. A, je crois, pris à tâche de me fatiguer, et serait d’un fort mauvais exemple s’il avait quelque influence sur ses camarades.


Mathématiques préparatoires.

Note de M. Vernier. — Intelligence, progrès marqués. Pas assez de méthode.


3e trimestre.

Note d’étude. — Conduite mauvaise, caractère difficile à définir. Il vise à l’originalité. Ses moyens sont très distingués : il aurait pu très bien faire en Rhétorique s’il avait voulu travailler, mais, dominé par sa passion des Mathématiques, il a totalement négligé tout le reste. Aussi n’a-t-il fait aucun progrès. Je ne crois pas qu’il soit dépourvu de sentiments religieux. Sa tenue à la chapelle n’est pas toujours exempte de reproches. Sa santé est bonne.


Réthorique.

Note de M. Pierrot. — S’est assez bien conduit, mais a peu travaillé : va mieux depuis quelques jours.

Note de M. Desforges. — Paraît affecter de faire autre chose que ce qu’il faudrait faire. C’est dans cette intention sans doute qu’il bavarde si souvent. Il proteste contre le silence.


Mathématiques préparatoires.

Note de M. Vernier. — Des dispositions. Succès qui serait plus grand si cet élève travaillait avec plus de méthode.




1828-1829. MATHÉMATIQUES SPÉCIALES.

1er trimestre.

Note d’étude. — Conduite inégale et méritant souvent des reproches ; il a travaillé avec ardeur, ses moyens sont surprenants, ses progrès rapides. Son caractère est très inégal : tantôt doux et raisonnable, il est quelquefois fort désagréable. Il se tient passablement pendant les exercices religieux. Depuis quelque temps il a mal aux oreilles.


Mathématiques.

Note de M. Richard. — Cet élève a une supériorité marquée sur tous ses condisciples.


Chimie.

Note de M. Thillaye. — Distrait, travail faible.


Physique.

Note de M. Thillaye. — Distraction ; travail : néant.


2e trimestre.

Note d’étude. — Se conduit généralement bien ; cependant parfois sa conduite est répréhensible ; il travaille beaucoup et est doué de grands moyens et d’une facilité étonnante. Ses progrès répondent à son travail et à sa facilité. Il a de la bizarrerie dans le caractère, il est quelquefois très léger et souvent aussi paraît raisonnable. Il se tient assez bien pendant les exercices religieux. Sa santé est bonne.


Mathématiques.

Note de M. Richard. — Cet élève ne travaille qu’aux parties supérieures des Mathématiques.


Physique.

Note de M. Thillaye. — Conduite passable, travail nul.


Chimie.

Note de M. Thillaye. — Conduite passable, travail nul.


3e trimestre.

Note d’étude. — Se conduit assez bien par intervalles, et de temps à autre se conduit aussi fort mal. Ses dispositions pour les Sciences sont connues. Lorsqu’il est à son travail il s’en occupe exclusivement, et il perd rarement son temps. Ses progrès sont proportionnés à l’étendue de ses moyens et à son goût pour les Sciences. Son caractère est bizarre, et il affecte plus de bizarrerie qu’il n’en a réellement. Sa tenue dans les exercices religieux n’est pas toujours aussi bonne qu’on pourrait le désirer. Sa santé est bonne.


Mathématiques.

Note de M. Richard. — Conduite bonne, travail satisfaisant.


Physique.

Note de M. Thillaye. — Fort distrait, travail nul.


Chimie.

Note de M. Thillaye. — Fort distrait, travail nul.


IV.

Article de la « Gazette des Écoles » du 5 décembre 1830, dans lequel se trouve insérée la lettre de Galois qui motiva son renvoi de l’École Normale.

Réplique à M. Guigniault et au Lycée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Maintenant expliquons-nous nettement sur la mauvaise humeur de M. Guigniault à notre égard.

Décidément M. Guigniault est piqué que nous l’ayons appelé : Directeur musqué de l’École Normale. Monsieur veut avoir le langage, le ton, toutes les manières des doctrinaires, voire même le canapé, et que nous n’en disions mot ; nous nous tenons pour avertis. Ainsi, nous ne nous permettrons plus à son égard cet accompagnement de personnalités grossières dont la pudeur publique a déjà fait maintes fois justice ; nous comprenons parfaitement que les personnalités paraîtront toujours très grossières aux gens qui veulent faire tranquillement leur chemin et sans qu’on les observe ; à l’avenir, si nous voyons quelques personnes donner des coups de coude à droite et à gauche et renverser tout ce qui les gêne sur leur passage, nous ferons comme si nous n’avions rien vu et nous prendrons notre lorgnon pour prouver que nous avons la vue basse ; au lieu de dire grossièrement à M. Guigniault qu’il a su habilement profiter de la maladie de M. Gibbon, directeur des études à l’École préparatoire, pour se glisser à sa place, nous nous exprimerons d’une manière vague sur le compte des ambitieux, des intrigants ; au lieu de dire que M. Guigniault n’a pas été plutôt directeur des études qu’il a sollicité et obtenu le titre de directeur même de l’École, puis celui d’inspecteur général des études ; au lieu de dire, encore par conjecture, qu’il s’accomoderait volontiers du titre de conseiller-chef de l’École Normale, s’il était assez heureux pour obtenir qu’on rétablît la chose sur l’ancien pied, nous préférerons blâmer d’une manière générale les avancements trop rapides, cela n’afflige personne, et on ne se cause pas de chagrin à soi-même ; au lieu de dire que, non content de tout cela, il travaille à se procurer aux dépens des autres toutes les petites commodités de la vie, et qu’ainsi il voudrait faire déloger du collège du Plessis un professeur qui y occupe un logement gratuit, nous garderons le silence, car le silence est plus poli […]

Nous ne pouvons pas mieux compléter notre réplique qu’en la faisant suivre de la lettre ci-après, que nous recevons à l’instant[62].


Note du rédacteur. — En publiant cette lettre, dont nous supprimons la signature, quoiqu’on ne nous en ait pas fait la recommandation, nous devons faire remarquer qu’aussitôt après les trois mémorables journées de Juillet, M. Guigniault fit publier dans tous les journaux que le Directeur de l’École Normale en avait mis tous les élèves à la disposition du gouvernement provisoire !


V.

Lettres de M. Guigniault au Ministre sur l’expulsion de Galois.

(Archives nationales, carton F17, 70355.)

1o.
Monsieur le Ministre,

C’est avec une profonde douleur que je me vois forcé de vous rendre compte à l’instant d’un acte qu’il m’a fallu prendre sur ma responsabilité et dont j’invoque la ratification immédiate.

Je viens de renvoyer de l’École Normale et de faire conduire chez madame sa mère l’élève Galois, pour le fait indiqué dans la lettre que j’eus l’honneur de vous écrire avant-hier. Cet élève m’a été démontré, tant par les déclarations de plusieurs de ses camarades que par un aveu plein d’impudence, fait après de vains essais de dénégation, devant M. Jumel l’un des maîtres surveillants et devant moi, être l’auteur d’une demande qui, dès dimanche dernier, avait soulevé d’indignation toute l’École. Il s’agit d’une lettre insérée dans le numéro du même jour de la Gazette des Écoles, puisqu’il faut l’appeler par son nom, et signé trop réellement Un Élève de l’École Normale. Cette lettre a paru à toutes les personnes qui en ont eu connaissance et qui m’en ont parlé, compromettre trop gravement l’honneur même de l’École pour qu’il me fût possible de n’y pas donner suite. D’ailleurs les élèves avaient, du premier moment, pris l’initiative, par un désaveu unanime, qui pouvait suffire à leurs consciences, mais qui ne suffisait ni à la justice, ni à ma dignité.

L’auteur de la Gazette ayant, dans son numéro d’aujourd’hui, décliné ce désaveu, et, d’une autre part, Galois m’étant désigné par tous les indices comme l’auteur de la lettre, j’ai pensé qu’il ne convenait pas de laisser plus longtemps l’École entière sous le poids de la faute d’un seul et que, le coupable reconnu, lui et moi ne pouvions, dès cet instant, demeurer ensemble dans la maison. Je l’ai donc expulsé à mes risques et périls, et j’ai fait tardivement, en cela, ce que vingt fois j’avais été tenté de faire, dans le cours de l’année dernière, et même depuis le commencement de celle-ci.

Galois, en effet, est le seul élève contre lequel j’aie eu, depuis son entrée à l’École, des sujets de plainte presque continuels, tant de la part des professeurs que de celle des maîtres-surveillants. Mais trop préoccupé de l’idée de son incontestable talent pour les Sciences mathématiques, et me défiant de mes propres impressions, parce que j’avais eu déjà des sujets de mécontentement personnel contre lui, j’ai toléré l’irrégularité de sa conduite, sa paresse, son caractère intraitable, dans l’espoir non pas de changer son moral, mais de le conduire à la fin de ses deux années, sans ravir à l’Université ce qu’elle avait droit d’attendre de lui, sans plonger dans la douleur une mère que je savais avoir besoin de compter sur l’avenir de son fils. Tous mes efforts ont été superflus, et j’ai eu beau mépriser mes injures, même depuis dimanche dernier, j’ai reconnu que le mal était sans remède ; il n’y a plus de sentiment moral chez le jeune homme, et peut-être depuis longtemps.

Ce n’est point à moi, personnellement insulté dans la Gazette des Écoles, qu’il appartient, Monsieur le Ministre, de provoquer des mesures qui mettent enfin un terme au scandale périlleux donné chaque jour par cette feuille, dans le sein même de l’Université. Mais qu’il me soit permis, comme chef du premier établissement universitaire, de déplorer les menées ouvertes qui ne tendent à rien moins qu’à diviser les maîtres d’avec les élèves, les élèves d’avec eux-mêmes, et à semer partout la défiance et le désordre. Non pas que l’École Normale ait rien à craindre de ces misérables instigations : la circonstance présente a fait éclater dans tout son jour l’excellent esprit des jeunes gens qui la composent ; ils se sont conduits avec une fermeté pleine de modération et de délicatesse ; je puis répondre d’eux comme ils répondent de moi. Mais le mal, aussitôt expulsé qu’introduit parmi nous, se propage dans d’autres établissements où il ne trouve point le contrepoids de l’âge et des lumières. Déjà nous en avons vu les effets déplorables. Je m’arrête, Monsieur le Ministre, les excès dont je parle n’ont pu manquer de fixer votre attention. Bientôt, sans doute, des mesures, telles qu’on est en droit de les attendre du chef suprême de l’Université, donneront la discipline sans laquelle il ne saurait exister d’études, et qui est pour nous la condition du travail, au même titre que l’ordre est sa condition de la liberté […]


(En marge de cette lettre se trouve le brouillon de l’arrêté d’exclusion, de la main de M. Cousin.)


2o.

Le 14 décembre, nouvelle lettre de M. Guigniault au Ministre pour lui adresser la copie d’une lettre « qu’envoie à la Gazette, par l’intermédiaire de ses camarades, l’un de nos meilleurs élèves placés cette année […], jeune homme aussi distingué par le caractère que par le talent, et qui mérita d’être quelquefois le dépositaire de mes plus secrètes pensées, durant les temps difficiles que nous avons parcourus ensemble ».


Lettre de Bach.

[…] Tous mes anciens camarades savent comme moi que l’inébranlable fermeté de M. Guignault a seule soutenu l’École dans des temps bien difficiles ; ils savent tous que si, depuis le 8 août 1829, M. Guigniault n’a pas résigné ses fonctions de Directeur, c’est uniquement dans l’intérêt de l’École ; ils savent que nous aurions tous regardé le départ de M. Guigniault comme le signal de notre dispersion, car avec lui la liberté aurait disparu de l’École […]

Aussitôt que M. Guignault connut les ordonnances subversives de la Constitution, il me fit venir à différentes reprises avec quelques-uns de mes camarades choisis tantôt parmi les anciens, tantôt parmi les nouveaux ; il nous dit qu’une lutte longue et terrible allait s’engager entre le pays et le Gouvernement ; que, quel que fût le sort de l’École, notre place dans cette lutte était marquée, que nous devions nous dévouer au triomphe des opinions libérales, etc. Il ne pouvait point prévoir alors que dans trois jours le peuple aurait puni le parjure et conquis la liberté.

Le 28, ayant appris que plusieurs élèves désiraient aller au feu, et se croyant responsable envers leurs parents de tout ce qui pourrait leur arriver, il se rendit dans les salles à 5h 30m du matin, et là, loin de menacer à deux reprises d’appeler la gendarmerie pour rétablir l’ordre qui n’était pas troublé, il se contenta de faire promettre sur l’honneur à ceux qui voulaient partir qu’ils ne mettraient pas leur projet à exécution avant le lendemain et qu’alors même ils ne partiraient pas sans l’en avoir prévenu ; il ajouta, il est vrai, qu’en sa qualité de chef de maison il pourrait requérir l’intervention de la force armée (de la gendarmerie si l’on veut), mais que nous devions tous savoir combien une pareille mesure était loin d’entrer dans ses vues.

Quant à la seconde phrase qu’on lui impute, elle est en partie vraie, en partie fausse ; il a dit que nombre de braves gens avaient été tués de part et d’autre, mais il n’a pas ajouté que, s’il était militaire, il ne saurait à quoi se décider ; seulement il reconnaissait avec tout le monde que la position des militaires était fort embarrassante, parce qu’ils se voyaient placés dans l’alternative ou de sacrifier la liberté, ou de manquer au serment qui les retenait sous les drapeaux […] Quant à la légitimité, il est complètement faux que M. Guigniault en ait parlé dans cette circonstance ; je ne crois même pas lui avoir entendu prononcer ce mot pendant tout le temps que j’ai passé à l’École.

Autant de phrases, autant de mensonges ; car il est encore faux qu’une fois la victoire décidée, M. Guigniault se soit empressé d’ombrager son chapeau d’une immense cocarde tricolore : cinq élèves avaient été désignés par leurs camarades pour porter en terre le corps du jeune Farcy, tué dans les Journées. J’étais du nombre de ces élèves. Nous nous rendîmes chez le Directeur, qui devait assister avec nous au convoi ; nous avions tous pris les couleurs nationales ; seul, il n’avait point de cocarde : « Messieurs, nous dit-il, vous m’avez devancé, mais il y a longtemps que nous la portions dans notre cœur ; on peut la porter là aussi. » Nous savions tous qu’il disait vrai […]


VI.

Extrait d’une Lettre d’un camarade de Galois relative à son expulsion.

(Communiquée par le fils de cet élève, M. L., normalien lui-même.)

École Normale, 11 décembre 1830.
Mon cher Prosper,

Des événements d’un caractère très grave se sont passés à l’École depuis que je ne t’ai vu ; et je vais t’en parler, quoiqu’ils ne m’aient pas atteint ; tu pourrais croire en lisant certains journaux que je suis impliqué dans l’affaire.

Un de mes condisciples, mauvais sujet s’il en fut, du caractère le plus profondément pervers et sournois, avait à se plaindre de notre directeur, qui l’avait consigné indéfiniment. Notre mauvais garnement nourrissait une haine secrète, et méditait un projet dont il avait même parlé à plusieurs d’entre nous ; mais nous n’avions jamais voulu y ajouter foi tant il nous paraissait absurde. Enfin, il y a quinze jours environ, notre directeur écrivit dans le Lycée, journal de l’Université, une lettre contre le rédacteur de la Gazette des Écoles, nommé Guyard. L’élève mécontent saisit cette occasion d’envoyer au sieur Guyard une lettre contre M. Guigniault, notre directeur : cette lettre est dégoûtante, pleine d’invectives atroces, et d’imputations bassement mensongères. Tu penses quel effet a produit cette lettre et sur l’esprit du directeur, et sur les esprits des élèves. Il y eut grande rumeur, on lança des soupçons, on se réunit et l’on convint de le démentir publiquement par la voie du même journal qui avait eu l’impudeur d’accueillir ses pitoyables calomnies. Nous envoyâmes donc à M. Guyard une lettre justificative signée de tous les élèves alors présents à l’École. Le sieur Guyard ne voulut pas insérer la lettre sous prétexte que certains élèves avaient mis des restrictions à certains articles de notre lettre. Enfin, nous en avons fait une signée de tous les élèves, excepté un, le coupable ; et cette fois, s’il ne l’insère pas, on aura recours à l’huissier. M. Guigniault nous rassembla plusieurs fois chez lui et nous témoigna toute sa douleur, et en même temps la satisfaction qu’il avait éprouvée en apprenant nos démarches pour le justifier complètement auprès du public. Il nous rassembla jeudi dernier, et nous déclara l’intention de sévir contre le traître comme il le méritait ; et en effet, le jeudi soir, il n’était plus à l’École. Sais-tu que ce misérable n’a que sa mère presque réduite à la mendicité, et voilà tout son avenir compromis. Pour moi, je n’ai pris, comme tu le penses bien, aucune part dans l’affaire. J’ai été indigné de voir un perfide vouloir faire prendre pour un jésuite l’homme le plus franchement libéral que je connaisse ; mais aussi, que j’ai été affligé quand ce pauvre insensé, sortant ignominieusement de l’École, est venu nous dire adieu […]


VII.

Arrêté d’expulsion de Galois, relevé sur les registres du Conseil royal de l’Instruction publique, 4 janvier 1831.

(Archives du Ministère de l’Instruction publique.)

Sur le rapport de M. le conseiller Cousin,

Vu le rapport de M. Guigniault, directeur de l’École Normale, relatif au renvoi provisoire de Galois et les motifs à l’appui,


Arrêté :

Galois quittera immédiatement l’École Normale.

Il sera statué ultérieurement sur sa destination.


VIII.

Dernier écrou de Galois à Sainte-Pélagie.

No 15438 Gallois (sic) Évariste
Écroué le 17 décembre 1831
Condamné le 3 décembre 1831
par la Cour royale,
pour port d’armes prohibées etc.,
à la peine de six mois ;
a déclaré être âgé de 20 ans.
Profession de répétiteur.
Né au Bourg-la-Reine, dép. de S. et O. (sic) ; demeurant lors de son arrestation à Paris, rue des Bernardins no 16.
Amené de la Conciergerie.


Signalement :

Taille de
1,67 centimètres.
Cheveux
châtains.
Sourcils
id.
Front
carré.
Yeux
bruns.
Nez
gros.
Bouche
petite.
Menton
rond.
Visage
oval.

L’an mil huit cent trente-deux, le 22 janvier, le dénommé en l’écrou ci-contre a été transféré à la Force, par ordre de M. le Préfet de police.

Réintégré le 31 janvier 1832.

Transféré à la maison de santé du sieur Faultrier, rue de l’Oursine no 86, le 16 mars 1832.

Signé : Affroy.
Sur l’appel interjeté par le nommé Gallois Évariste, âgé de 20 ans, né à Bourg-la-Reine, répétiteur, demeurant rue des Bernardins no 16, d’un jugement rendu par le tribunal de police correctionnelle de Paris le 29 décembre 1831, qui en le déclarant coupable d’avoir porté un costume qui ne lui appartenait pas et des armes prohibées, et faisant application des articles 259 et 314 du Code pénal, l’a condamné à 6 mois de prison et aux frais. La Cour royale de Paris, chambre des appels de police correctionnelle, par arrêt en date du 3 décembre 1831, a confirmé purement et simplement le jugement ci-dessus daté et énoncé.

Pour extrait conforme délivré à M. le Procureur général ce requérant


Le greffier en chef

Lot.

IX.

Acte de décès de Galois.

(Archives de la Préfecture de la Seine. — Reconstitution des actes de l’État-civil.)

Reconstitution des actes de l’état-civil de Paris.

Expédition délivrée sur papier libre, en exécution de la loi du 12 février 1872, par Me Bournet de Verron, notaire à Paris, soussigné, le 30 décembre mil huit cent soixante-douze, d’une copie authentique d’acte de décès, annexé à la minute, étant en sa possession, d’un acte de notoriété reçu le 31 mars 1848 par Me Bournet-Verron.

Extrait du registre des actes de décès de la 12e mairie du 1er juin 1832, à midi. Acte de décès d’Évariste Galois, décédé hier, à dix heures du matin, à Paris, à l’hôpital Cochin, âgé de 21 ans, mathématicien, né à Bourg-la-Reine (Seine), célibataire, fils de feu Nicolas-Gabriel Galois et d’Adélaïde-Marie Demante. Sur la déclaration de Paul Sylvestre, âgé de 38 ans, et de Charles Chapais, âgé de 26 ans, employés audit hôpital, y demeurant, lesquels ont signé par devant nous, maire du 12e arrondt de Paris, lecture faite dudit acte. — Signé : Sylvestre, Chapais et Augte Salleron, maire.


Pour copie conforme. Paris, le 29 mars 1848.
Le maire du 12e arrondt,

Signé : Goriset,

Expédié et collationné :

Bournet de Verron.

X.

Procès-verbal  de  l’autopsie  de  Galois.

(Gazette des Hôpitaux du 7 juin 1832.)

Hôpital Cochin.

Le jeune Galois Évariste, âgé de 21 ans, bon mathématicien, connu surtout par son imagination ardente, vient de succomber en 12 heures à une péritonite suraiguë, déterminée par une balle tirée à 25 pas.

À la nécropsie faite après 24 heures, on a trouvé sur les parties latérales gauches de la tête une large ecchymose dans l’épaisseur du cuir chevelu.

Dépouillé de son enveloppe, le crâne présente les deux portions formant le coronal chez les jeunes enfants réunies en un angle obtus. Cet os a tout au plus deux lignes et demie d’épaisseur. Le bord du coronal, s’articulant avec les pariétaux, offre une dépression assez profonde, aplatie, circulaire, suivant la réunion des os entre eux ; les bosses pariétales sont très développées, écartées l’une de l’autre ; le développement de cette portion est remarquable comparé à celui de l’occipital qui l’est très peu. L’épaisseur de l’occipital est de plus de trois lignes.

Enlevée circulairement, la voûte du crâne présente en avant les parois opposées des sinus frontaux très rapprochées ; l’espace laissé libre n’a pas deux lignes d’épaisseur ; au milieu de la voûte deux enfoncements correspondent aux bases décrites plus haut. À la base du crâne, les fosses antérieures avancent beaucoup aux dépens de l’atrophie des sinus frontaux. Les fosses latérales moyennes sont profondes, et le rocher aminci peu volumineux ; les fosses occipitales sont petites.

Le cerveau est lourd, ses circonvolutions larges, ses anfractuosités profondes surtout sur les parties latérales ; des éminences correspondent aux cavités du crâne ; une en avant de chaque lobe antérieur, deux au sommet de la face supérieure ; la substance cérébrale est molle généralement ; les cavités ventriculaires sont petites, vides de sérosité ; la glande pinéale volumineuse contient quelques granulations grises ; le cervelet est petit ; le poids du cerveau et du cervelet réunis est de trois livres, deux onces, moins un gros.

Galois, placé de profil, a reçu la balle à un pouce en dedans de l’épine antérieure et supérieure de l’os des îles du côté droit ; elle a traversé les viscères abdominaux, percé les muscles psoas, iliaque et l’os des îles lui-même, et est venue faire saillie sous la peau entre les muscles moyen et grand fessier.

Dans son trajet à travers la peau, elle a blessé des branches ascendantes de l’artère iliaque antérieure, fait un pont à travers le cœcum, un autre dans la partie moyenne des intestins, rasé le colon descendant qu’elle a déchiré et a passé, comme dans une filière, à travers l’os des îles du côté gauche qu’elle a brisé en éclats en dehors. On voit, sur les angles formés par les éclats, des débris de plomb, et sur la balle les rainures que ces angles ont produites.

Six onces de sang étaient épanchées dans le petit bassin, des adhérences unissaient déjà les intestins au péritoine qui était pointillé de rouge.

  1. M. L. Lalanne a connu Galois à Louis-le-Grand ; il en a surtout entendu parler par son frère Léon, qui était en Mathématiques spéciales avec Galois.
  2. Flaugergues, camarade de Galois à Louis-le-Grand, le retrouva pendant les derniers mois de 1830 à l’École Normale, dont il fut mis à la porte comme lui.
  3. Archives de la Seine.
  4. La plupart de ces renseignements sur le père et la mère de Galois m’ont été fournis par sa famille, notamment par M. Gabriel Demante.
  5. Archives du Ministère de l’Instruction publique.
  6. Quicherat, Histoire de Sainte-Barbe.
  7. Archives du Lycée Louis-le-Grand. (Voir Pièces justificatives p. 253.)
  8. D’après M. Ludovic Lalanne. Le frère de M. Ludovic Lalanne, Léon Lalanne, avait été en Mathématiques spéciales avec Galois.
  9. Magasin pittoresque.
  10. Revue Encyclopédique
  11. D’après les renseignements fournis par différents membres de la famille.
  12. Archives de la Faculté des Lettres et de la Faculté des Sciences.
  13. Archives de l’École Normale.
  14. Archives de l’École Normale.
  15. Archives de la Faculté des Sciences.
  16. Gazette des Écoles.
  17. Gazette des Écoles.
  18. J’ai pris soin de n’employer, pour tout ce qui suit, que le récit donné par la lettre de l’élève Bach, que celui-ci publia au mois de décembre pour justifier M. Guigniault contre les attaques de Galois. Cette lettre a été insérée par M. Guigniault dans son rapport au ministre sur le renvoi de Galois. (Voir Pièces justificatives, p. 259.)
  19. Détail fourni par M. Bénard.
  20. Ibid.
  21. La porte particulière du Plessis sur la rue Saint-Jacques était alors condamnée.
  22. Voir la lettre de Galois à Chevalier, p. 246.
  23. Voir la lettre de Galois à la Gazette des Écoles, p. 258.
  24. Lettre de L., camarade de Galois. (Voir Pièces justificatives, p. 262.)
  25. G. Pinet, Histoire de l’École Polytechnique.
  26. C’était là le sujet de la polémique entre MM. Guigniault et Guillard.
  27. Galois avait signé de son nom ; ce fut le directeur du journal qui mit la signature anonyme. (Voir Pièces justificatives, p. 259.)
  28. Cela résulte de la comparaison de sa lettre avec celle de Bach, qui fut écrite en réponse. (Voir Pièces justificatives, p. 261.)
  29. Archives nationales, Carton F17.70355. (Voir Pièces justificatives, p. 259.)
  30. Cette lettre m’a été communiquée par le fils de cet élève, normalien lui-même.
  31. Revue encyclopédique.
  32. Archives du Ministère de l’instruction publique.
  33. De la Hodde, Histoire des Sociétés secrètes.
  34. Procès du 15 juin (Gazette des Tribunaux).
  35. Revue encyclopédique. C’est le Mémoire publié en 1846 par Liouville.
  36. Communiqué par sa famille.
  37. Gazette des Écoles.
  38. Alexandre Dumas, Mémoires.
  39. C’est le lendemain que le maréchal Lobau fit jouer les pompes au même endroit, sans beaucoup de succès d’ailleurs, l’eau ayant manqué.
  40. Revue encyclopédique.
  41. Alexandre Dumas, Mémoires.
  42. Gazette des Tribunaux.
  43. Communiqué par Mme  Guinard, sa fille.
  44. Registre d’écrou de Sainte-Pélagie.
  45. La plupart des détails donnés sur le séjour de Galois à Sainte-Pélagie sont tirés des Lettres sur les Prisons de Paris de F.-V. Raspail.
  46. Journal de Paris.
  47. Sans doute le père Enfantin.
  48. Revue encyclopédique.
  49. Né le 17 décembre 1814. (Archives du Bourg-la-Reine.)
  50. « Ce portrait, dit en note le Magasin pittoresque, reproduit aussi exactement que possible l’expression de la figure d’Évariste Galois. Le dessin est dû à M. Alfred Galois qui depuis seize ans a voué un véritable culte à la mémoire de son malheureux frère. » Ce portrait a donc été fait de mémoire seize ans après la mort de Galois ; il ne ressemble guère au portrait d’après nature dont la reproduction est publiée avec cette étude. Outre la maladresse de l’artiste, qui est évidente, il faut reconnaître que, pour arriver à l’expression, il a cherché surtout à rendre le trait de la physionomie qui était devenu le plus frappant à la fin de la vie de Galois, cet enfoncement des yeux que nous avons trouvé signalé dans le journal de sa sœur Mme Chantelot. À ce titre, il est intéressant ; mais la description sommaire du crâne faite après l’autopsie, et qu’on trouvera aux Pièces justificatives, p. 265, est en complet accord avec le portrait que je dois à l’obligeance de Mme Guinard. (Voir aussi l’écrou de Sainte-Pélagie aux Pièces justificatives, p. 263.)
  51. Publiées par Chevalier, dans la Revue encyclopédique.
  52. Peut-être Duchâtelet.
  53. Note de Flaugergues, dans le Magasin pittoresque.
  54. La Tribune. Registre d’entrées de l’hôpital Cochin. — La Note de Flaugergues, dans le Magasin pittoresque, dit qu’il fut relevé par un ancien officier. La version que je reproduis est celle que m’a communiquée M. G. Demante.
  55. Communiqué par M. G. Demante.
  56. Communiqué par M. l’abbé Demante.
  57. Registre de décès de l’hôpital Cochin.
  58. National et Tribune du 3 juin. La mort et les obsèques du général Lamarque, en absorbant l’attention de toute la presse, ont empêché les journaux de donner aucun renseignement détaillé sur la mort et les obsèques de Galois.
  59. Registre d’inhumations du Cimetière du sud.
  60. Revue encyclopédique.
  61. Communiqué par M. G. Demante.
  62. Voir le texte de la lettre de Galois, page 225.