La renaissance septentrionale et les premiers maîtres des Flandres/09

CHAPITRE IX


Le Retable de l’Agneau.


C’est une coquetterie — n’est-ce pas plutôt un pédantisme ? — de la critique actuelle de ne plus tenir aucun compte de l’opinion du vénérable Van Mander quand il s’agit des frères Van Eyck. Il faut reconnaître pourtant que le bon chroniqueur du Livre des peintres, gagné comme tous ses contemporains aux doctrines romanisantes, avait un mérite considérable en exprimant pour l’Autel de Gand un enthousiasme sans réserve. Il en parle avec exaltation, comme Vasari de la Joconde : « Les artistes, dit-il, en sont frappés de stupeur… Oui l’œuvre dans son ensemble les décourage[1]. » Son maître Lucas de heere cite le Retable avec non moins d’émotion et s’écrie dans son Ode : « Quelle gloire sera celle de Jean Van Eyck ! (à cette époque Jean passait unanimement pour l’auteur principal du chef-d’œuvre) — quelle gloire sera la sienne de ce que toutes ses couleurs n’ont point pâli ! En près de deux cents ans ! Qu’elles tiennent encore ! C’est ce que l’on voit aujourd’hui dans bien peu d’œuvres[2]. » Il y a près de six cents ans que le polyptyque de l’Agneau est peint. On peut répéter la remarque avec non moins d’opportunité et avec une stupéfaction non moins admirative.

L’Adoration de l’Agneau s’enveloppe de mystère. En vain l’érudition la plus subtile et la plus tenace s’ingénie-t-elle à découvrir la part de collaboration des deux frères dans l’exécution du chef-d’œuvre. Les plus grands obstacles contrarient les recherches : l’absence de documents contemporains, la fragilité des traditions orales recueillies par les chroniqueurs du XVIe siècle, les restaurations subies par le chef-d’œuvre qui rendent incertain tout examen technique, enfin la dispersion à jamais déplorable de


Photo Bruekmann
Jean van Eyck
La Madone à la Fontaine
(Musée Royal d’Anvers)

notre plus pur trésor national. Telles sont les principales raisons qui rendent pour ainsi dire insoluble l’énigme des frères Van Eyck.
Photo Hanfstaengl
Hubert et Jean Van Eyck
La Vierge
Retable de l’Agneau
(Église de Saint-Bavon, Gand)

J’ai cru pourtant qu’il ne fallait point renoncer à commenter le Retable et j’ai pensé qu’en obtenant pour cette analyse le concours de plusieurs savants et archéologues, j’arriverais à mieux marquer les richesses et la grandeur du chef-d’œuvre. Le R. P. Van den Gheyn, conservateur des manuscrits à la Bibliothèque royale de Bruxelles, a relevé en vue de mon travail tous les textes inscrits sur le polyptyque ; M. Van Malderghem, archiviste de Bruxelles, m’a communiqué une note sur les bannières et les couronnes des Chevaliers du Christ ; M. E. de Prelle de la Nieppe, conservateur aux musées royaux d’art décoratif de Bruxelles, a décrit les armures des trois saints qui précèdent ces Chevaliers ; M. Vermeersch, membre de la Commission de surveillance des mêmes musées, m’a signalé les particularités relatives aux bijoux ; M. E. Closson, conservateur-adjoint du musée instrumental de Bruxelles, m’a fourni des indications sur les instruments des Anges Musiciens. Mon intervention, s’est bornée très souvent à la mise en œuvre des matériaux précieux fournis par mes collaborateurs.

Il est nécessaire de donner une description schématique du chef d’œuvre avant d’en aborder l’histoire et le commentaire détaillé. Nous supposons, bien entendu, le polyptyque reconstitué en ses éléments originaux. Le Retable fermé superpose trois séries de figures. Dans le bas quatre panneaux montrent : aux extrémités les donateurs Judocus et Isabelle Vydt, au centre saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Evangéliste, imitant des statues. Plus haut est représenté le Mystère de l’Annonciation qui se déroule en quatre panneaux ; ceux du centre sont sans personnages ; aux extrémités, on voit Marie et l’ange Gabriel. L’ensemble de ces volets est surmonté de trois lunettes cintrées. Celle du milieu, plus haute, se divise en deux parties où l’on aperçoit à droite du spectateur la sibylle de Cumes, à gauche la sibylle d’Erythrée. Les deux autres lunettes montrent le prophète Zacharie au-dessus de l’ange Gabriel et le prophète Michée au-dessus de la Vierge.

Ouvrons le Retable.

L’intérieur se partage en deux zones — et peut-être y en avait-il trois primitivement, car Van Mander et Van Vaernewyck parlent d’une prédelle représentant un jugement Dernier qui avait déjà disparu de leur temps. La zone supérieure se compose de sept panneaux. Au centre Dieu le Père, à sa droite la Vierge, à sa gauche saint Jean-Baptiste ; à droite de la Vierge les Anges chanteurs, à gauche de saint Jean-Baptiste les Anges musiciens ; aux deux extrémités Adam et Ève. Deux petites compositions traitées en grisaille surmontent les figures de nos ancêtres : au-dessus d’Adam, le Sacrifice d’Abel et de Caïn ; au-dessus d’Ève, le Meurtre d’Abel.

Dans la partie inférieure se voient cinq panneaux : au centre une grande composition décrivant l’Adoration proprement dite que nous appellerons l’Agneau Mystique ; sur les côtés, à droite les Chevaliers du Christ et les Juges Intègres, à gauche les Ermites et les Pèlerins. Les figures de Dieu le Père, de la Vierge, de saint Jean-Baptiste, la composition de l’Agneau Mystique constituent la partie fixe du Retable. Les autres parties sont mobiles et composent les volets qui se replient.

On ignore complètement la date de la commande. L’opinion généralement admise veut que Hubert commença le Retable à Gand vers 1420 à la demande de Judocus Vydt le donateur. M. Weale[3] croit que Hubert a dû travailler au polyptyque au moins pendant dix ans et qu’il reçut la commande vers 1415. M. Six[4] fait une supposition hardie et prend pour point de départ les Heures de Turin. Elles sont à ses yeux de la main de Hubert, et furent exécutées par l’aîné des deux frères pour Guillaume IV de Hollande. Ce serait ce prince et non Judocus Vydt qui aurait commandé le polyptyque. Hubert aurait travaillé à la Haye jusqu’en 1417, et c’est de son séjour en Hollande que dateraient les parties les plus anciennes du Retable. L’inscription relevée sur le cadre et dont nous avons donné plus haut le texte, ne dit point en effet que Judocus Vydt commanda le polyptyque ; elle dit seulement que c’est à sa prière que Jean acheva le travail. Mais sur quelles preuves s’appuie-t-on pour faire de Guillaume IV le Mécène de Hubert et pour voir en l’ainé des deux frères l’auteur des Heures de Turin ? En l’absence de documents impératifs, nous adopterons l’opinion traditionnelle. Le Retable fut commandé à Hubert Van Eyck vers 1420 par Judocus Vydt, seigneur de Pamele, l’un des plus riches patriciens de Gand. Hubert mort, Jean acheva le Retable qui fut exposé pour la première fois le 6 mai 1432.

L’église de Saint-Bavon, où fut placé le chef-d’œuvre, s’appelait alors l’église de Saint-Jean. Judocus Vydt y avait acheté une chapelle en 1420 pour y établir la sépulture de sa famille et de la famille de sa femme Isabelle Borluut. La chapelle fut décorée de vitraux, d’armoiries sculptées, et sur l’autel on posa le Retable. Fils d’un receveur des Flandres (son père nous est connu par de nombreuses mentions d’archives), seigneur de plusieurs endroits, notamment de Pamele en Brabant, qu’il ne faut pas confondre avec Pamele près d’Audenaerde, Judocus Vydt possédait plusieurs hôtels à Gand où il épousa Isabelle Borluut, d’illustre famille. Très généreux, très charitable, le Mécène gantois fonda des établissements hospitaliers et de son vivant fit don à l’église de Saint-Jean de plusieurs domaines, des polders notamment qu’il possédait dans le Nord, pour payer les soins que réclamait le polyptyque et les offices qui devaient être célébrés devant le chef-d’œuvre. Par contre son testament, un document d’importance, ne fait aucune mention de l’œuvre des frères Van Eyck. Chose remarquable aussi : ni Judocus, ni sa femme n’ont été ensevelis dans la chapelle achetée à cette intention ; ils furent inhumés dans l’un des hôpitaux qu’ils avaient fondés[5].

L’Adoration de l’Agneau fut rapidement célèbre. Van Mander en témoigne par ces lignes souvent citées : « On n’ouvrait le Retable que pour les grands seigneurs ou contre une bonne rémunération ; » — ce qui est toujours vrai — « la foule ne le voyait qu’aux jours de grandes fêtes ; mais il y avait alors une telle presse qu’on en pouvait difficilement approcher, et la chapelle ne désemplissait pas de la journée. Les peintres jeunes et vieux et les amateurs d’art y affluaient comme par un jour d’été les abeilles et les mouches volent par essaims autour des corbeilles de figues ou de raisins[6]. » Ceci n’est plus vrai. Il y a cinquante ou soixante ans les paysans des environs de Gand allaient le dimanche matin admirer l’œuvre exposée publiquement. Le Retable est toujours visible gratuitement le jour du Seigneur ; mais les paysans ne viennent plus guère. Et combien d’artistes s’estiment quittes envers le chef-d’œuvre quand ils l’ont vu pendant quelques minutes !

En visitant les Pays-Bas les voyageurs d’autrefois ne manquaient point d’aller contempler l’autel de Judocus Vydt. Dès la fin du XVe siècle, en 1494, un savant médecin de Nüremberg, Hieronymus Münzer, relatant son voyage dans les Flandres, décrit le Retable avec ferveur[7] et Albert Dürer, traversant Gand, ne sera pas moins enthousiaste : « Darnach sahe ich des Johannes Taffel, das ist ein überköstlich hoch verständig Gemähl ! » — Dès ce moment Jean passe aux yeux de tous pour le principal auteur du polyptyque.

En 1550, première restauration. Le clergé de Saint-Bavon choisit deux peintres universellement estimés à cette époque : Lancelot Blondeel, le glorieux dessinateur de la cheminée du Franc de Bruges, et Jean Schoreel, chanoine d’Utrecht. Ces maîtres s’acquittèrent religieusement de leur tâche et reçurent des présents précieux. « Celui du maître Jean Schoreel », nous dit Van Vaernewyck, « consistait en un hanap d’argent dans lequel j’ai bu » en visitant sa maison à Utrecht[8]. »

C’est au moment où s’achevait le travail de Schoreel et Blondeel que Philippe II, « trente-sixième comte de Flandre » et dilettante de haut goût, se désolant de ne pouvoir contempler l’original de l’Adoration en Espagne, songea à faire copier le polyptyque par quelque maître flamand en renom. Il s’adressa à Michel Coxcie — le Raphaël flamand — qui exécuta son travail en deux ans et reçut environ quatre mille florins[9]. Rien ne fut négligé pour que la réplique se rapprochât le plus possible de l’original. Comme il était impossible de se procurer du beau bleu dans le pays, le Titien, sur la demande du roi, envoya « une sorte d’azur que l’on tient pour naturel, qui se trouve dans les montagnes de la Hongrie et qu’il était moins difficile d’obtenir avant que le Turc ne se fut emparé de ces contrées.


Photo Hanfstaengl
Hubert et Jean Van Eyck
Saint Jean-Baptiste
Retable de l’Agneau
(Église de Saint-Bavon, Gand)

La faible quantité que l’on employa au manteau de la Vierge coûta trente-deux ducats[10] ». Coxcie introduisit quelques modifications dans sa copie. À l’extérieur il ne reproduisit ni les portraits des donateurs, ni la figure en grisaille de saint Jean–Baptiste ; il les remplaça par trois Évangélistes en conservant saint Jean l’Apôtre ; à l’extérieur il changea légèrement l’attitude de l’ange qui joue l’orgue.

Transportée à Valladolid, puis dans la chapelle du palais de Madrid, la copie repassa les Pyrénées durant les guerres de Napoléon. En 1817 elle était à Bruxelles et son sort fut pareil à celui de l’original ; elle fut misérablement dispersée.

L’œuvre de Coxcie est fort remarquable, et nous sommes de l’avis de Lucas de Heere. Le Raphaël flamand « a sauvegardé son honneur. » Mais la comparaison avec les Van Eyck est écrasante. La facture du grand copiste reste superficielle, son modelé est lâche. Il force ses tons, donne au rouge un maximum de vivacité et pourtant sa couleur garde un aspect anémique ; son paysage manque d’air ; ses détails d’orfèvrerie sont médiocres. Rien ne proclame mieux la grandeur des frères Van Eyck que l’infériorité de cette belle copie[11].

Le Retable traverse ensuite une époque critique[12]. Pendant les troubles du 19 août 1566, on dut le transporter dans la nouvelle citadelle de Gand ; peu de temps après, les luthériens, par l’entremise du prince d’Orange, l’offrirent à Elisabeth d’Angleterre dont ils voulaient l’appui ; l’évêque Triest par son énergie, sut heureusement empêcher ce marché. Puis survinrent les fureurs iconoclastes ; le chef-d’œuvre menacé fut caché à l’Hôtel de Ville avec d’autres objets précieux. La ville ayant été reprise par les Espagnols, on profita d’une accalmie pour replacer le polyptyque dans la chapelle de Judocus Vydt en septembre 1584, sous la direction du peintre Frans Horebaut. La série des périls n’était point épuisée. En 1641 le feu détruisit le toit de Saint-Bavon ; le Retable fut sauvé à temps ; mais une nouvelle restauration fut jugée nécessaire. Le peintre Van den Heuvel s’en chargea en 1663 ; en tout cas, il nettoya Adam et Ève, « schilderye van Adam en Eva. » Ces mêmes figures eurent le don de scandaliser le voltairien Joseph II quand il visita les Pays-Bas en 1785, et elles furent dès lors reléguées dans les combles. Ce fut le commencement de la fin.

En 1794, faisant en Belgique leur moisson de chefs-d’œuvre, les commissaires français s’emparèrent de l’Adoration. Mais grâce à l’intervention de l’évêque Mgr Fallot de Beaumont, les volets mobiles purent rester à Gand. Les parties centrales, exposées au Louvre, y firent sensation. On les restitua à la fabrique de Saint-Bavon après Waterloo, et elles traversèrent triomphalement la ville de Gand au milieu des réjouissances populaires. Le 10 mai 1816, on les replaça sur l’autel et on eut le tort de ne pas y joindre tout de suite les volets sauvés en 1794.

Il se passa alors une chose effroyable.

Profitant de l’absence du nouvel évêque, Mgr de Broglie, les marguilliers vendirent les six volets : Anges musiciens, Anges chanteurs, Juges intègres, Chevaliers du Christ, Pèlerins et Ermites. C’est une histoire tragique et grotesque dont l’un des épisodes les plus douloureusement comiques a été conté récemment avec une loyauté admirable par le chanoine G. Van den Gheyn[13], de la cathédrale de Saint-Bavon. La vente eut lieu en 1816. L’année suivante le gouverneur de la Flandre orientale, baron de Kevenberg invita les marguilliers « à lui faire connaître les auteurs de la vente illicite dont il s’agit, afin de faire peser sur eux la responsabilité qu’ils ont encourue. » Le vicaire général J. le Surre répondit le 7 juillet par une longue missive que le chanoine Van den Gheyn publie et commente. C’est un document d’une extraordinaire valeur pour l’histoire du goût esthétique. Les marguilliers, comme administrateurs en service d’activité, avaient droit, assure le vicaire général, de vendre ces volets « espèce de fermeture antique, quoique fort disgracieuse. » À quoi bon garder ces débris ? D’ailleurs les Français survenant dans le pays avec leur « agence de commerce et approvisionnement pour l’extraction en pays conquis des objets de sciences, arts et agriculture », les avaient abandonnés « comme chose de peu de valeur. »

Le vicaire oubliait que l’intervention de Mgr de Beaumont avait sauvé ces débris et qu’on les avait remisés dans un magasin attenant à la salle capitulaire pour les protéger contre de nouvelles convoitises. Le singulier plaidoyer de J. le Surre nous apprend ensuite qu’il s’écoula quelque temps avant que la « fermeture » fût replacée sur l’autel. Enfin en 1816 le polyptyque était reconstitué. Mais dès 1815 l’idée avait germé dans l’esprit des marguilliers de vendre les volets « à un prix honnête en Angleterre. » On s’adressa à un marchand d’Ostende, appelé Van Iseghem qui ne trouva point l’amateur espéré. On fut plus heureux d’un autre côté. Un chanoine de Saint-Bavon qui avait quitté Gand pour habiter Bruxelles, connaissait dans cette ville un marchand de tableaux appelé Nieuwenhuys, un hollandais doué d’un flair artistique surprenant[14], mais antiquaire sans scrupule et véritable écumeur d’églises. Informé de l’occasion qui s’offrait, Nieuwenhuys finit par consentir à donner mille francs par volets (les marguilliers eux-mêmes avaient fixé le chiffre), à la condition que les peintures lui fussent livrées dans les 24 heures.

Les marguilliers acceptèrent. Tout de même le vicaire général fut pris d’une sorte de scrupule et voulut avoir l’avis des hommes compétents. Il s’adressa à deux collectionneurs gantois pour avoir leur opinion sur la valeur des panneaux. Hélas ! il ne cite pas les noms de ces deux merveilleux connaisseurs dont la science et le « goût » autorisèrent la pire des sottises.

L’un d’eux vint à Saint-Bavon et examina soigneusement les volets remis en place. On lui demanda ce qu’ils pourraient bien valoir. Il répondit en substance qu’ils n’avaient d’autre mérite que leur antiquité et le nom du peintre et qu’un amateur en donnerait bien cent francs pièce ! « On nous offre mille francs par panneau, » répondit le vicaire général. « C’est une affaire superbe. Ne manquez pas une pareille occasion, » répliqua cet expert étonnant « un tel prix n’est que l’effet d’une sorte d’enthousiasme pour les pièces antiques. »


Photo Hanfstaengl
Jean Van Eyck
Les Anges chanteurs
Volet du Retable de l’Agneau
(Musée de Berlin)

On peut facilement imaginer l’extraordinaire conversation qu’entendirent les murailles de la Chapelle Vydt. Qu’on lise seulement la lettre révélatrice publiée par le Chanoine Van den Gheyn et conservée à l’évêché de Gand. Le goût de l’époque, disons-le, y est bien plus dénoncé que le béotisme ou la soi-disant avidité des marguilliers. L’église de Saint-Bavon était fort pauvre et la lettre du vicaire général se termine par le tableau de la détresse où se trouvait la Cathédrale…

Nieuwenhuys eut donc les volets dans le délai prescrit par son ultimatum. Mais le peuple gantois eut un mouvement de révolte. L’Adoration était un palladium sacré. On le vit bien en ces tristes heures. Dès que le troc fut connu Gand se souleva. Quelques amis des « pièces antiques » déposèrent une plainte. Une descente de justice fut opérée chez le brocanteur ; on ne trouva rien. Pendant que la justice instruisait, le Hollandais, né malin, avait fait sortir clandestinement les six panneaux de Belgique ; il les vendit 100,000 francs à un Anglais appelé Solly qui habitait l’Allemagne, lequel les vendit 400,000 thalers au roi de Prusse. Les florins de Nieuwenhuys faisaient boule de neige.


Photo Hanfstaengl
Jean Van Eyck
Les Anges Musiciens
Volet du Retable de l’Agneau
(Musée de Berlin)

Tels sont les faits brutaux. Ils sonnent comme un glas dans la vie du chef d’œuvre.

L’histoire accidentée du polyptyque n’est point terminée. Nouvel incendie en 1822. Des cendres brûlantes tombèrent sur le Retable et le panneau central fut fendu d’un bout à l’autre. Nouvelle restauration, nouveau nettoyage par un peintre inconnu appelé Lorent, qui touchait une paye de 15 fr. par jour. Ce manœuvre consacra huit journées à la Vierge, douze à Dieu le Père, quinze à saint Jean–Baptiste, dix-huit au panneau de l’Agneau mystique. Nous étions loin du temps où l’on demandait pour ces travaux le concours de maîtres illustres comme Lancelot Blondeel et Jan Schoreel.

En 1834 les archéologues protestèrent contre l’abandon des volets d’Adam et Ève dans les greniers de la cathédrale. Ils y étaient oubliés depuis Joseph II. On continua à ne point s’en occuper. En 1847, le comte de Laborde obtint l’autorisation de les voir et écrivit : « …Ces deux précieux tableaux, appuyés contre le mur, dans un galetas sans cheminée, sont exposés aux désastreux effets des variations de la température, au froid en hiver, à une chaleur brûlante en été ; n’étant pas accrochés, on les déplace à chaque mouvement opéré dans un fouillis de meubles, de bannières, de chandeliers, de pupitres, etc. etc., on les heurte, on menace de les briser. » L’illustre historien se démena, mais inutilement, Enfin en 1858, tandis qu’on s’occupait de faire restaurer une nouvelle fois les parties centrales, la fabrique de Saint-Bavon commença d’interminables négociations avec le Ministre des Beaux-Arts au sujet des panneaux d’Adam et Ève. En 1801 un arrêté royal parut au Moniteur. Les fabriciens cédaient les deux figures au gouvernement, qui les fit placer au musée de Bruxelles. On donnait en échange au conseil de fabrique les volets de la copie de Michel Coxcie, que l’on venait d’acheter… au fils de Nieuwenhuys. Le père avait pris les originaux ; le fils vendait les copies. C’était une restitution avantageuse. Le gouvernement par le même arrêté (qui attribue Adam et Ève à Hubert) s’engageait en outre, à intervenir jusqu’à concurrence de cinquante mille francs, dans l’exécution de vitraux et à faire exécuter une copie des deux figures « avec les modifications qui seraient indiquées par le conseil de fabrique ». Les copies furent commandées à M. Victor Lagye qui couvrit nos ancêtres de pagnes ridicules……

Aujourd’hui l’église de Saint-Bavon possède des Van Eyck toute la partie fixe du Retable : Dieu le Pere, la Vierge, Saint Jean-Baptiste, l’Agneau mystique : les volets sont de Michel Coxcie, — sauf Adam et Ève de Victor Lagye.

Le musée de Berlin à les volets achetés par Nieuwenhuys ; ils ont été sciés en deux en 1805 de façon à pouvoir présenter la face extérieure à côté de la face intérieure. On y a joint Dieu Le Père et l’Agneau mystique de Coxcie dont les copies de la Vierge et de saint Jean-Baptiste sont à la pinacothèque de Munich.

Adam et Ève trônent au musée de Bruxelles dans la salle dite des Gothiques.

Nous n’ajouterons qu’un mot à cette triste histoire.

En mutilant le Roi des Retables notre époque qui parle volontiers de beauté, a prouvé sa barbarie foncière avec autant d’éclat qu’en arrachant les marbres du Parthénon.

Le Retable est fermé

Les grisailles qui représentent saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Evangéliste imitent deux statues de pierre blanche et fine. Chose curieuse et qui montre à quel point les Van Eyck méritent de figurer dans l’histoire de la Renaissance : il y a des réminiscences antiques dans ces figures, — Michiels en a, Je crois, fait le premier la remarque[15] et l’on croit distinguer des souvenirs de quelque Esculape dans le Précurseur et de quelque Apollon dans l’Evangéliste. L’antiquité commençait à préoccuper le monde entier ; nous avons vu que l’épitaphe de Jean Van Eyck cite Phidias, Apelle, Polyclète, et bien avant cela la sainte Catherine de Courtrai laissait entendre des accents classiques. Mais une tendresse toute chrétienne anime les grisailles du Retable et la nouveauté de leur expression est soulignée par l’effort qu’elles décèlent vers l’illusion picturale, Les figures se détachent à merveille de la niche pleine d’ombre, les inscriptions :

IOHES BAPTA
IOHES EWANTA
semblent vraiment taillées dans le marbre. Nous croyons avoir de vraies statues sous les yeux. Imiter au point de faire illusion : tel est le triomphe de l’art nouveau. Un seul maître y pouvait prétendre avec ces deux grisailles : Jean Van Eyck. N’était-il point familiarisé avec la sculpture, ayant étoffé des statues ? Et peintre réaliste jusqu’à la violence, ce qui l’attirait le plus sans doute dans l’art sculptural de son temps ce n’était point le naturalisme de l’école de Bourgogne, mais par une contradiction bien humaine, la tradition de grâce et de noblesse qui se perpétua dans les ateliers belges jusqu’à la fin du XIVe siècle.

Obtenant à ce point l’illusion du réel avec la pierre morte, à quel degré ne devait-il pas réussir avec les êtres vivants ?

Judocus Vydt est représenté avec ses moindres cheveux, rides, plissures, veines, ses paupières sans cils, le regard timide de ses yeux gris, avec toutes les petites gerçures de ses lèvres exsangues, les volutes de son oreille qui est lourde mais si individuelle ; Isabelle Borluut montre un visage masculin, largement taillé, peu séduisant, adouci par la coiffe de tulle et qu’un beau jeu de lumière enveloppe en partie d’une pénombre délicate. Jean seul était capable de peindre de tels portraits. On dit que l’expression personnelle fait défaut à ces deux donateurs, que malgré les couleurs de leurs vêtements et de leurs chairs ils ont l’air de statues comme les deux grisailles, Mais une expression devait dominer ici tout sentiment, toute passion individuelle : la foi. On conviendra que Judocus Vydt et sa femme, si simplement vêtus et si pieusement absorbés, sont l’incarnation même de la piété des Flandres.


Photo Hanfstaengl
Hubert et Jean Van Eyck
Les Chevaliers du Christ
Volet du Retable de l’Agneau
(Musée de Berlin)

Voyons la rangée supérieure où se déroule le Mystère de l’Annonciation.

L’Ange est descendu dans quelque maison patricienne de Gand ou de Bruges ; son manteau, sa robe sont traités en teintes uniformes avec le parti pris décoratif qui convenait à l’extérieur des volets. Des lèvres enfantines du messager céleste sortent les paroles de la Salutation : « Ave gracia plena, Dominas tecum[16]. » — « Salut pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ! » — Une atmosphère chaude, heureuse, délicatement embrasée, pénètre par les baies du fond, et dans l’azur éteint du ciel crépusculaire, il semble que l’on entend vibrer le chant des oiseaux voltigeant autour du pignon lointain.

La scène se développe à droite du spectateur. Agenouillée à côté de son prie-Dieu, les mains croisées sur la poitrine, la colombe posée sur son front divin, Marie répond à l’envoyé du Seigneur : « Ecce ancilla domini. » — « Voici la Servante du Seigneur. » — Les lettres sont renversées. Par une autre convention que nous connaissons bien, le peintre a placé Marie et l’Ange dans des intérieurs très bas ; si la Vierge se levait, elle aurait de la peine à se tenir debout. Cette disposition admise, rien de plus vrai que


Hubert et Jean van Eyck
Le Retable de l’Agneau (fermé)
Avec l'autorisation de la Société Photographique, Berlin et Paris


Photo Hanfstaengl
Hubert et Jean Van Eyck
Les Juges Intègres
Volet du Retable de l’Agneau
(Musée de Berlin)

l’oratoire de Marie. C’est l’heure vespérale du Mystère. Un demi-jour tiède entre par l’étroite fenêtre du fond, éclaire la petite niche où brillent quelques ustensiles de cuivre, enveloppe le prie-Dieu et le bréviaire, tandis qu’un rayon perdu joue avec l’eau de la carafe posée sur le balcon de l’antichambre. Les premières arcades s’ouvrent sur une sorte de loggia voûtée et c’est au delà seulement que l’on aperçoit une rue dont les maisons projettent de grandes ombres. L’Ange et Marie sont traités dans le style sculptural des deux figures en grisaille, sans ressembler toutefois à des images de pierre. Le visage de Marie est admirable de confiance, de foi, d’émotion.

Entre les deux figures, deux panneaux plus étroits complètent le décor de l’Annonciation. D’un côté, un petit tabernacle avec un plat, une bouilloire de cuivre et une serviette ; le tout voilé d’inexprimables rousseurs. D’autre part, au delà d’un balcon où montent deux colonnettes accouplées par le plus adroit des architectes et reproduites par le plus hardi des peintres, on voit un coin de ville. On a cru pouvoir identifier ce site avec la rue Courte du Jour de Gand, et comme Judocus Vydt possédait trois hôtels dans ces parages, on a dit que Jean Van Eyck était venu terminer le Retable à Gand, avait transformé en atelier le second étage de la demeure personnelle du Mécène, et reproduit pour son Annonciation le décor patricien et le site gantois offerts à ses yeux. Ingénieuses suppositions, amusantes à enregistrer, mais fondées sur de pures légendes…[17]. Il est certain toutefois que Jean Van Eyck est l’auteur de cette Annonciation. Style des figures, charme profond des intérieurs, sentiment de la vie des choses : tout nous parle de son génie.

Au-dessus de l’Ange, le prophète Zacharie est un vieillard grisonnant, coiffé d’un bonnet bleu, vêtu d’un manteau vert doublé d’hermine. Le doigt posé sur son livre déployé, il montre les paroles annonciatrices qu’on lit sur son phylactère : « Exulta satis filia Syon iubila, ecce Rex tuus venit. IX. » — Sois dans l’exaltation, fille de Sion, jubile, voici que ton Roi vient[18]. »

Le prophète Michée, au visage ridé, à la barbe et aux cheveux touffus, incline sa tête vers Marie ; il a fermé son livre et mis un signet, là où sa prophétie dit les paroles de l’inscription : « De te egredietur qui sit dominator in Israël. » — « De toi sortira celui qui sera le maître d’Israël[19]. »

Les deux sibylles sont très individualisées et coiffées à l’orientale. La sibylle de Cumes — turban bordé de perles, corsage bleu brodé d’or, voile retombant semble s’incliner devant les paroles de Michée. On lit sur sa banderole : « Rex adveniet per secla futurus, scilicet in carne. » — « Il viendra ton roi qui sera pendant les siècles, à savoir dans la chair. » Ce texte reproduit presque littéralement le second des vingt-sept vers cités par saint Augustin dans son De Civitate Dei[20] :

E coelo rex adveniet per secla futurus.

Ces vers, à ce que dit saint Augustin, sont une version du grec par un certain Flaccianus ; en tout cas, le passage cité en vers latins par l’auteur de la Cité de Dieu faisait certainement partie du texte grec original des Oracula Sibyllina[21] (5). La popularité des vers en question fut très grande au moyen âge[22] ; il n’est donc pas surprenant que les Van Eyck les aient connus. Il y a plus. La prophétie de la sibylle est associée par eux au Mystère de l’Annonciation. Ce n’était pas un fait nouveau dans l’histoire de l’art. Au portail de la cathédrale de Laon, la sibylle se trouve également parmi les incarnations de l’Ancien Testament qui figurent l’Annonciation, et là aussi nous la voyons avec l’inscription : Et : P : Secla : Futur.[23].

La sibylle d’Erythrée, avec son turban blanc rayé de bleu, est comme accroupie dans son ample robe blanche bordée d’or. Son inscription dit : « Nil mortale sonans afflata es numine celso. » — « Ne prononçant aucune parole humaine, tu es inspirée par la divinité d’en haut. » — devise à peine modifiée d’un vers de Virgile[24].

Le caractère de ces quatre figures supérieures diffère du style des autres parties extérieures des volets ; on y peut voir l’œuvre de quelque disciple d’Hubert travaillant sous la direction de Jean, car il est certain que toutes les parties que nous avons analysées jusqu’à présent ne furent exécutées qu’en dernier lieu.

L’extérieur est néanmoins la préface de l’événement exalté à l’intérieur ; il prédit l’Adoration de l’Agneau par la présence :

1° des sibylles, prophétesses païennes,
2° de Michée et de Zacharie, prophètes du monde juif,
3° de Gabriel qui annonce à Marie le prochain avènement du Messie,
4° de Jean-Baptiste, le Précurseur immédiat de l’Agneau, celui qui le premier fit savoir qu’il était venu,
5° de Jean l’Évangéliste, lequel dans l’Apocalypse, a révélé le signe éternel de l’Agneau dans le Ciel.

Il est plus que probable que la conception de cette sorte de préface n’avait rien d’original ; les maîtres de cette époque vivaient de traditions profondes mais familières ; leur génie gardait toutes ses forces pour l’exécution. Nous avons cité l’exemple de la sibylle de Cumes ; les sibylles et les prophètes formaient en outre le chœur obligé du prologue dans les mystères du moyen âge. On multiplierait les exemples. L’extérieur du polyptyque porte la trace d’un symbolisme artistique déjà vénérable ; de même il faudrait remonter aux premiers siècles chrétiens, aux peintures des catacombes, aux premières mosaïques représentant l’Agneau, debout sur une colline verdoyante d’où sortent les quatre fleuves du Paradis, pour retrouver les ancêtres augustes du Retable de Gand[25].

Déployons les volets et admirons combien la disposition matérielle ajoute à l’émotion. Le chef-d’œuvre en s’épanouissant nous découvre son âme et tout de suite des flots de beauté et de vie nous inondent et nous ravissent en esprit…

Le Retable glorifie le vaste et profond mystère de l’Agneau et résume les doctrines dont l’Immolation et la Résurrection de Jésus-Christ sont le centre. Le christianisme ne connaît pas de plus haut symbole ; il réunit à la fois l’idée du sacrifice de Dieu et celle de sa victoire, il contient l’histoire de la chute des hommes et de leur rédemption, il s’offre comme un enseignement perpétuel d’ineffable bonté et de sacrifice de soi à ceux que le Seigneur a désignés pour établir son règne ici-bas.

Le thème du chef-d’œuvre n’offre aucune obscurité symbolique. Il est fourni par l’Apocalypse qui prophétise la victoire de l’Agneau et le triomphe de l’Église et complété par les textes de la Fête de tous les Saints. Les visions de saint Jean, les psaumes, hymnes, capitules qui célèbrent les héros de l’Église sont traduits sous une forme très claire qui ne s’est point attachée à l’interprétation littérale, qui a simplifié le sujet en l’élargissant et qui a fini par grouper avec un maximum d’intensité plastique toutes les idées chrétiennes autour de l’Agneau Pascal. Dans le ciel rayonnent Dieu le Père, Marie protectrice des serviteurs du Christ, Jean-Baptiste le précurseur de l’Agneau, les anges qui chantent la gloire éternelle de Dieu. Et voici Adam et Ève, tronc des innombrables branches humaines. Leur faute a jeté l’humanité dans le crime et la détresse. Mais le sang rédempteur a coulé ; l’Agneau est venu ; il a triomphé. L’hommage de la Terre et du Ciel entoure sa divinité. Anges, Archanges, Dominations, Principautés et Puissances, Vertus des deux, Chérubins et Séraphins, Patriarches et Prophètes, saints Docteurs de la loi, Apôtres, Martyrs rougis de leur sang, saints Confesseurs, Vierges du Seigneur, Anachorètes, Cohortes célestes[26], Chevaliers de la


Hubert et Jean van Eyck
L’Agneau Mystique. Partie centrale du Retable de l’Agneau
(Église de Saint-Bavon, Gand)


Photo Hanfstaengl
Hubert et Jean Van Eyck
Saint Antoine et les Ermites
Volet du Retable de l’Agneau
(Musée de Berlin).

foi viennent en foule célébrer les noces de la triomphante victime. Et l’Église, nouvelle Jérusalem que Dieu a fait descendre du Ciel, s’est parée comme une épouse pour son époux. Et l’assemblée entière des fidèles a revêtu la robe nuptiale. Et le monde moral universel est venu glorifier l’Agneau divin, symbole de la Rédemption suprême…

Dieu le Père est assis, la tête couronnée de la tiare papale. Une éclatante bille de chape, chargée de cabochons et de perles, agrafe son manteau rouge galonné d’inscriptions, de filigranes, de pierres, de perles. Le sceptre de cristal de roche qu’il tient de la main gauche excitait jadis l’admiration de tous les peintres : à lui seul, dit Van Mander, il coûterait un mois de travail[27]. De la droite, le Roi des Rois bénit les fidèles, tandis qu’à ses pieds étincelle une couronne votive, hommage sans doute des royautés terrestres. Un tapis de brocart est tendu derrière lui, surmonté de trois demi-cercles concentriques où sont tracées en capitales gothiques les inscriptions suivantes :

« Hic est Deus potentissimus propter divinam majestatem suam, omnium optimus propter dulcedinis bonitatem, remunerator liberalissimus propter immensum largitatem. » — « Celui-ci est le Dieu tout puissant par sa divine majesté, de tous le meilleur par la douceur de sa bonté, le rémunérateur le plus libéral à cause de son infinie largesse[28]. » D’où est tirée cette inscription ? Vient-elle de quelque ouvrage des Pères ? Le texte n’est point de la Bible et cette question de provenance est bien délicate à résoudre. Sur les franges du manteau, brodées en perles, des lettres forment la phrase suivante :

SABAOT… PEX † PETR † Δ…
ΔNC… M † PED.. NANXIN † D… NC † ΔNANX
…ΔNC.

Il est impossible de trouver un sens à ce texte, seuls les mots Sabaot (en hébreu armées) et Pex, qui est peut-être rex, peuvent signifier quelque chose. Comme l’a déjà remarqué Liévin de Bast, il est probable que le peintre n’a pas eu l’idée de composer une phrase suivie, offrant un sens. Il a placé ces lettres en guise d’ornement pour figurer une sorte d’écriture[29]. On trouve des exemples identiques de lettres ornementales dans bon nombre de miniatures du XVe siècle, sur les plats allemands en cuivre et sur les statuettes polychromes de la même époque. Toutefois, ainsi que nous l’avons fait remarquer, la soi-disant devise de Jean Van Eyck est comme rappelée par les lettres : NANXIN… ΔNANX.[30]

Une marche mène au trône de Dieu le Père ; on lit :

« Vita sine morte in capite, inventus sine senectute in fronte, gaudium sine merore a dextris, securitas sine timore a sinistris. » — « Sur la tête la vie sans mort ; au front la jeunesse sans vieillesse ; à droite, la joie sans tristesse, à gauche la sécurité sans crainte. » Et sur le brocart vert tendu derrière le Très Haut, au dessus du pélican, dans une jolie banderole ornementale, par trois fois est répété le nom du Fils qui bientôt descendra sur la terre :

IHESVS XPS

La Vierge est à la droite du Père, enveloppée d’un manteau bleu que garnit une bande de vermeil semée de cabochons et de perles ; sur ses cheveux dénoués est posé un diadème constellé de pierres énormes, garni d’une merveilleuse émaillerie florale et stellaire : lys, roses, clochettes, étoiles. « Et combien Marie nous montre un doux visage, dit Lucas de Heere ; il semble que l’on voit ses lèvres prononcer les mots qu’elle lit ! Et quelle perfection dans sa couronne et sa parure ![31] » Une candeur divine enveloppe en effet son visage ; et la joaillerie qui ruisselle sur le Vase immaculé de la grâce divine » ne fait qu’en rehausser la pureté. L’inscription qui l’auréole dit vrai :

« Hec est speciosor sole, et super omnem stellarum disposicionem, luci comparata invenitur prior, candor est enim lucis eternæ, speculum sine macula dei (maiestatis)[32] » — « Celle-ci est plus brillante que le soleil et que toute l’ordonnance des étoiles ; comparée à la lumière, elle se trouve la surpasser, car elle est l’éclat de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté divine. » C’est le texte de la Sapience[33] qui se retrouvera — mais complet cette fois — dans la Vierge Van der Paele. Et sur la tenture blanche d’où se détache la merveilleuse Madone de l’Adoration, d’indéchiffrables signes ornementaux répètent trois fois :

YKUCZUYXV

Saint Jean-Baptiste, au visage âpre et doux encadré d’une chevelure et d’une barbe épaisses, porte un manteau vert bordé d’une joaillerie semblable à celle de la Vierge. Sa droite, en se levant vers Dieu, écarte le vêtement glorieux et laisse apercevoir le cilice, plus glorieux encore. De la main gauche il tourne les feuillets d’un missel et sous le manteau apparaît un pied nu couvert de la poussière du désert. On lit sur les cintres qui entourent son inoubliable visage :

« Hic est Baptista Iohannes, major homine, par angelis, legis summa, evangelii sanctio, apostolorum vox, silentium prophetarum, lucerna mundi. » — « Celui-ci est le Baptiste Jean, plus grand que l’homme, égal aux anges, la somme de la loi, la sanction de l’évangile, la voix des apôtres, le silence des prophètes, la lampe du monde. »

Ces trois grandes figures dominent l’ensemble de leur vie surhumaine, et nous transportent par de là les régions terrestres. Marie incline le front vers son missel ; sa beauté a la robustesse sculpturale que nous lui avons vue dans l’Annonciation de l’extérieur, mais dégagée à présent de l’émoi qui la faisait frissonner à l’approche de Gabriel ; Jean-Baptiste avec son visage infiniment compatissant, inculte et profond, est l’une des plus impressionnantes créations de l’art ; un souffle sort de ses lèvres ; des mots parlent dans ses yeux… Le Très Haut est enveloppé d’une majesté juvénile et immortelle ; il est tendre et grave, doux et ferme ; sa voix sonnera comme le tonnerre ou les harpes… Mais qui donc a exprimé cette opinion, répétée sans cesse par la critique, que ces incarnations célestes conservaient quelque chose de la raideur et du hiératisme byzantins ? Certes leurs attitudes s’enferment dans la rigueur des gestes rituels ; mais les personnages sont d’une largeur d’expression et d’exécution sans précédent. Ce n’est point sans raison que Dürer les admirait spécialement ; l’harmonie inaltérable des manteaux — rouge, bleu, vert — qui chante et gronde sur presque toute la surface de ces panneaux supérieurs est de la plus puissante audace. En accordant à Hubert la gloire d’avoir conçu et dessiné ces figures, — et c’est une concession qu’il est difficile de refuser à l’opinion traditionnelle — il faut reconnaître aussi qu’un seul peintre pouvait modeler de la sorte ces vêtements, ce visage de Marie, déployer un tel faste de couleurs, c’est Jean Van Eyck.

Les Anges chanteurs, dit Van Mander, — qui répète ici Lucas de Heere — sont peints avec tant d’art « qu’on sait, en les considérant, lequel tient la dominante, la haute-contre, le ténor et la basse[34]. » Les expressions du vieux chroniqueur sont inexactes ; il n’y a point ici de haute-contre, de ténor, ni de basse ; il ne saurait être question que de soprano et de contralto ; mais il est juste de constater la vérité avec laquelle les différents registres des voix enfantines sont traduits par le jeu musculaire du visage. Les premiers-dessus, fronts plissés, lèvres tendues, masques contractés dans l’effort qu’exige la note aiguë, sont à droite de l’auditeur ; à gauche sont les voix graves, — visage calme, lèvre inférieure baissée, menton rentrant légèrement dans le cou[35]. Et tandis que sept des anges se livrent de tout cœur à leur chant, un huitième, plus jeune, montre dans le fond un profil distrait par le souvenir de quelque jeu céleste.


Photo Hanfstaengl
Hubert et Jean Van Eyck
Saint Christophe et les Pélerins
Volet du Retable de l’Agneau
(Musée de Berlin).

La richesse des accessoires tient ici du rêve. Les chapes en velours d’Italie sont historiées de larges orfrois, galonnées de parements où se dessinent des figures de saints, des têtes de Christ, des rinceaux brodés. Deux billes de chape retiennent l’attention, l’une surtout, circulaire, en métal, avec la statuette d’un saint qui ouvre un diptyque sur ses genoux. Des bandeaux de vermeil avec cabochons, perles et croix, ceignent les fronts angéliques et les chevelures qui sont d’un roux d’or. Le lutrin est d’un exceptionnel intérêt dans l’histoire de la hucherie religieuse ; le pupitre pivote sur un coude de cuivre et le bahut inférieur — « où repose un de ces grands livres de musique, dont les bibliothèques de Vienne et de Bruxelles reçurent des cours bourguignonnes-néerlandaises le somptueux héritage[36] » — est lambrequiné d’un saint Michel ravissant qui terrasse le dragon et qui rappelle le saint Georges de l’autel portatif de Dresde. Les petits carreaux « peints et jolis » étalent sur le sol l’image de l’Agneau avec la banderole traditionnelle et sont décorés de belles lettres ornementales « AGLA… ATLA… » L’œil risquait de s’égarer dans ce luxe ; le peintre ne l’a pas voulu. L’ange du premier plan bat la mesure, ou vient de faire mouvoir le pupitre ; son geste en découvrant le revers de sa chape, introduit parmi les sinuosités des orfrois, les reflets du velours, les entaillures du meuble et les étincelles des bijoux, un pli triangulaire, rigide, droit, austère, — un pli de génie — qui communique à la composition une stabilité suprême.

Et malgré tous ces trésors rien dans ce panneau ne captive autant que la physionomie pure des chantres divins, physionomie dont on ne saurait dire si elle est virile ou féminine tant la virilité en est délicate et tant la grâce en est robuste. Elle dégage un sentiment de beauté idéale, platonicienne, et pour dire exactement, classique ; les anges de Luca della Robbia ne seront pas très différents de ceux de Jean Van Eyck — j’écris spontanément le nom du cadet — et c’est à quelque source inconnue de beauté antique, recueillie par la statuaire du XIVe siècle, que les Anges chanteurs du Retable doivent peut-être la sculpturale pureté de leurs visages.

Au céleste concert vocal va répondre le concert des instrumentistes divins.

Un ange — désigné à tort comme étant sainte Cécile — s’absorbe dans le charme prolongé des notes de l’orgue. Peut-être accompagne-t-il les anges chanteurs, peut-être joue-t-il un prélude ? Les autres instrumentistes attendent leur entrée et celui qui joue delà vielle est si profondément attentif que le joueur de harpes semble vouloir le tirer de son rêve…

L’orgue est placé presque de face ; plat, légèrement évasé par le bas, son seul motif ornemental est une petite frise qui sépare le clavier du sommier. Mais les vingt et un tuyaux placés par ordre de grandeur de droite à gauche, brillent comme de grands rayons argentins. L’instrument est assez perfectionné, semble-t-il ; le registre situé à gauche, un peu au-dessous du clavier, suppose en effet l’existence d’un second jeu ; et cette forme de l’orgue — un buffet rectangulaire avec tuyaux disposés d’une manière symétrique — a fourni l’orgue dit positif ou d’appartement, demeuré en usage jusqu’aux premières années du XIXme siècle. — La harpe est probablement l’instrument que Praetorius[37] appelle harpe ordinaire, par opposition à la grande harpe double et à la harpe dite irlandaise ; elle a vingt-quatre cordes — exactement le chiffre indiqué par Praetorius ; c’est, par excellence, la harpe portative que l’on désignera uniformément dans la suite sous le nom de harpe irlandaise. Dans le panneau de l’Adoration, l’instrument offre une particularité : la console supérieure, qui relie la caisse sonore à la colonne cachée derrière les tuyaux de l’orgue, a la forme d’un véritable croissant, alors qu’elle devrait monter obliquement vers la colonne. Cette figure ne se rencontre nulle part ; il faut y voir sans doute une création de l’artiste, séduit par la ligne gracieuse que lui donnait cette disposition nouvelle. Les Van Eyck étaient les plus scrupuleux des maîtres ; ce n’est qu’en de rares occasions qu’ils ont transformé la réalité pour l’embellir, sans d’ailleurs jamais s’écarter de la vraisemblance.

L’instrument à archet est un type remarquable de vielle à archet, l’ancêtre direct de la viole, laquelle engendra le quatuor moderne. La vielle de Van Eyck est montée de cinq cordes, — le nombre le plus habituel et celui que les théoriciens assignent à la vielle à partir du XIIIme siècle. Les ouïes sont en C — les S n’apparaissant qu’avec les dernières violes au XVIIme siècle. La caisse est droite, particularité singulière, car les côtés absolument droits sont extrêmement rares. Les dépressions latérales de la vielle sont en général très faibles, analogues à celles de la guitare ; elles sont de moins en moins marquées à mesure qu’on remonte vers les types primitifs ; mais comme elles sont nécessaires pour le maniement de l’archet, il est à croire que jamais un instrument n’en fut dépourvu et que nous nous trouvons encore une fois en présence d’une fantaisie de l’artiste. La fidélité habituelle de Jean Van Eyck ne permet point toutefois de l’assurer. Son exactitude en d’autres parties ferait même croire qu’il connaissait à fond la technique des instruments. Bien qu’on n’aperçoive qu’une partie du cheviller par exemple, on distingue parfaitement qu’il s’agit d’un cheviller plat où les chevilles à têtes ouvragées s’enfoncent verticalement. Enfin l’archet — une simple baguette arquée par la tension d’une mèche de crin, sans bec ni hausse, — est tenu d’une manière irréprochable, à pleine main, le pouce inséré entre la baguette et le crin, afin de tendre celui-ci et de l’éloigner de la baguette.

Rien n’est instructif comme de suivre ainsi pas à pas la conscience du génie dans la recherche de la vérité et de la beauté. Cinquante ans plus tard, quand Memling peindra de célestes joueurs de vielle, ses anges auront une tenue d’archet déplorable…

Le sentiment de grâce idéale qui créa les Anges chanteurs de l’Adoration a fait naître aussi les Anges instrumentistes. Que dire cette fois de ces mains longues, onduleuses, souples d’où ne peuvent s’échapper que des sonorités juvéniles et célestes ! Et que dire de ce concert de teintes inexprimables — cheveux d’or rouge, velours italiens frappés d’orfrois, bordures d’hermine et galons gemmés, couronnes de vermeil, carreaux bleus où passe et repasse l’Agneau avec sa banderole, hautes flûtes argentées de l’orgue — symphonie de couleurs, musique des anges prenant corps dans la matière la plus diaprée, la plus sonore, la plus richement harmonisée qui soit !…

Sur les panneaux de Dieu le Père, de la Vierge, de saint Jean-Baptiste des Anges chanteurs et musiciens, ruissellent des cascades de joyaux. Nous retrouverons de semblables merveilles dans d’autres parties du Retable ; leur profusion nous arrête dès à présent et réclame un commentaire.

Un mot caractérisera la bijouterie des Van Eyck : c’est de la broderie gemmée. Les billes de chape, rondes ou polylobées — et les crosses que nous verrons ailleurs, — relèvent seules de l’orfèvrerie ; le reste appartient à l’art du joaillier. Les ornements qui bordent les robes sont tous identiques. Sur un mince bandeau métallique — du vermeil sans doute — l’artiste a semé sans compter les perles et les cabochons (la taille des pierres précieuses n’ayant fait son apparition que dans la seconde moitié du XVIme siècle). Les cabochons, en outre, sont embatés et non sertis. Tous les spécimens d’orfèvrerie sont bien de l’époque du tableau ou un peu antérieurs, ce qui tendrait à faire croire que nos Flandres dès lors, ne possédaient plus guère d’objets précieux des siècles précédents. Si le Retable avait vu le jour sur les bords de la Meuse, il offrirait peut-être quelques joyaux typiques de cette orfèvrerie meusienne qui florissait avec tant de splendeur au XIIIme siècle et dont les abbayes wallonnes conservaient précieusement les chefs-d’œuvre exécutés par des moines artistes, tels que l’abbé Wibald de Stavelot ou frère Hugo d’Oignies. La rareté des abbayes en Flandre, les fluctuations de la mode dans le clergé régulier, expliquent peut-être cette absence dans le Retable d’objets fevrés plus archaïques. Les billes de chape sont en général du XVme siècle, une ou deux peut-être du XIVme — toutes apparentées à celles du célèbre trésor de Tongres. La belle couronne votive, aux pieds de Dieu le Père, est étampée, ce qui la rend plus légère, et rehaussée de cabochons, de filigranes, de perles qui profilent de délicats ornements lancéolés ou fleurdelisés. On aime à supposer que Jean Van Eyck lui-même inventait ces bijoux merveilleux, et


Jean van Eyck
Adam et Eve. Volets du Retable de l’Agneau
(Musée de Bruxelles)

qu’il soumettait ses conceptions à quelque Jean de Leeuw. De même, on songe à son ami Arnoulfini en contemplant les velours italiens flammés d’orfrois qui enveloppent les Anges. Ces étoffes étaient introduites en Flandre par les riches marchands qui fréquentaient nos foires, et nous en possédons encore de beaux échantillons dans le pays. On se représente volontiers Arnoulfini déployant quelque envoi précieux devant le peintre, et Jean Van Eyck battant des mains dans la joie d’avoir découvert l’introuvable chape qui convenait à ses Anges…

La nudité d’Adam et d’Eve, à côté de ces richesses, c’est la misère humaine à côté des splendeurs du Ciel.

Ce fut un événement retentissant dans l’histoire du naturalisme que l’exécution de ces deux figures. Les frères Limbourg avaient peint des nus dans les Heures de Chantilly ; mais des nus mièvres, encore conventionnels. Jean Van Eyck — la critique cette fois est unanime à le citer — les peignit sans réticence, sans mensonge. Il lui avait paru juste d’idéaliser des figures célestes chargées de Gloire ; il ne voulut point embellir les créatures humaines chargées de la Faute. On dit qu’il les peignit telles parce qu’il ne trouva point de modèles professionnels ! Mais où trouva-t-il les beaux adolescents qui figurent les Anges ? Il peignit l’Homme et la Femme comme il lui convenait de les peindre, sans la moindre atténuation, la moindre addition, la moindre correction.

Devant les échantillons d’humanité que lui fournit son temps, il oublie les leçons des statuaires ; il redevient l’observateur aigu, infaillible et scrupuleux de la nature ; ce n’est point qu’il ne conserve quelque sécheresse sculpturale, mais il renonce à la synthèse du modelé ; il reproduit l’homme avec le hâle rougeâtre de la figure, du cou, des mains, la pâleur des chairs cachées habituellement par les vêtements, avec le duvet des poils qui entourent les seins, ombrent les cuisses, avec l’indigence musculaire du bras, signe par où se manifeste en général de la déchéance physique du mâle. Il peint une femme aux seins jeunes, au ventre déformé par la mode contemporaine (on tenait la proéminence de l’abdomen pour une suprême élégance), il la montre, elle aussi, avec les ordinaires imperfections physiques de son sexe : omoplates saillantes, pied presque difforme, bras maigres, — défauts que dissimule la toilette mais que l’œil impitoyable du maître dévoile, sans le moindre désir d’ailleurs d’accabler ses modèles de sa sincérité, de sa pitié ou de son ironie. Il les peint comme il les voit. Parmi tant de surprises que réservait le Retable, celle-ci fut peut-être la plus prodigieuse. L’impression fut si considérable que tout de suite les contemporains appelèrent la chapelle de judocus Vydt : la chapelle d’Adam et Eve.

Les commentaires que ces figures ne cessèrent de provoquer nous font voir à quel point l’interprétation d’une même œuvre d’art évolue à travers les temps et combien le critique est tenté de substituer sa conception à celle de l’auteur. Lucas de Heere écrit dans son Ode[38] :

« Voyez comme Adam est là, terrible et vivant
Jamais vit-on peinte ainsi la chair du corps humain ?
On dirait qu’il refuse et repousse l’offre d’Eve
Qui lui tend avec amour une figue douce aux lèvres. »

Van Mander[39] remarque chez Adam « une expression de terreur et comme de remords d’avoir enfreint le commandement de Dieu ».

Michiels[40] admire « le sein voluptueux…, le visage régulier, noble et doux », la souplesse du corps d’Eve ; Adam, grave et triste, dit-il, a l’air de refuser le fruit… Aujourd’hui la critique ne s’étonne plus que du réalisme intransigeant du peintre, et on oppose volontiers ce naturalisme septentrional à celui de Masaccio, représentant Adam et Eve emportés par la folie du remords. Les figures de Van Eyck, dit-on, ignorent le repentir. Mais n’oublions pas que nous assistons au Mystère de la Rédemption. Et d’ailleurs Van Eyck en peignant ces immortelles images, leur a imprimé la trace indélébile du labeur, de la peine, de la vanité terrestres.

S’il n’a pas fait œuvre de penseur, il a fait une fois de plus œuvre de génie ; et son génie, mieux que jamais, triomphe de tous les obstacles techniques ; le modelé est patient et en même temps rapide, sans fadeur, ferme. Le contour des membres se précise sur le fond noir par une légère cernure blanche, — seule formule de cette peinture, libre entre toutes. Aucun souci spécial de faire jouer la figure dans l’air, mais une savante et naturelle disposition des ombres dégradées qui amène de fines lumières frisantes sur les reliefs brun-jaunâtre des chairs. Les valeurs sont contenues, juste assez pour s’équilibrer avec les grisailles représentant, au-dessus d’Adam : le Sacrifice de Caïn et d’Abel, et au-dessus d’Eve : le Meurtre d’Abel.

Ces petites scènes, enfermées dans des demi-tympans, imitent des hauts-reliefs, et les figurines en sont stylisées à la manière des grisailles extérieures. C’est, en deux actes brefs, le rappel du drame terrible et glorieux qu’évoque le Retable. L’offrande des deux frères annonce le sacrifice volontaire du Libérateur, et le meurtre d’Abel rappelle que le sang de l’homme versé par le crime ne sera lavé que par le sang de Dieu.

Nous voici devant l’Agneau mystique.

La plénitude des Temps est arrivée ; le Christ est mort et ressuscité ; il a lavé nos péchés dans son sang. La promesse divine, faite au commencement du monde, est accomplie. L’Agneau véritable, l’Agneau de Dieu attendu depuis quatre mille ans est venu ; il a remporté la victoire ; il est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction dans les siècles des siècles[41]. Sans lui, l’homme se voyait déshérité du ciel. Par lui, la terre se réveille et resplendit, les créatures retrouvent la blancheur céleste, tous les êtres et toutes les choses clament à l’unisson l’alléluia de la Nouvelle Alliance…

La colombe mystique, lien spirituel entre le Ciel et la Terre paraît au haut de la composition centrale, — l’Agneau mystique, — où monte, en colline douce, une vaste pelouse tout émaillée de fleurs printanières, fleurs de notre sol : campanules, muguets, violettes, plantins, pensées, primevères, lys. Au premier plan, la Fontaine de vie. La vasque est en pierre ; la tige annelée en laiton surmontée d’un ange, dessine un profil que l’on rencontre souvent dans les chandeliers dinandais. L’eau « pure comme du cristal », que l’Apocalypse fait sortir du trône de Dieu et de l’Agneau, s’écoule en jets brillants et forme un petit ruisselet sous le bassin. Au second plan, sur l’autel rouge, l’agneau blanc, et, sur la nappe étincelante, un calice recueillant le sang rédempteur. L’antependium de l’autel est en broderie. Sur le bandeau supérieur, on lit le texte de l’Evangile de saint Jean[42] : « Ecce Agnus Dei qui tollit peccata mundi. » — «  Voici l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. » Puis plus bas :

IHS                VITA
VIA                VITA

« Jhesus via, veritas, vita ! » — « Jésus est la voie, la vérité et la vie, » paroles tirées du même Evangile[43]. L’autel s’enguirlande d’une garde d’innocence : anges aux ailes de pourpre pâle, vêtus de tuniques blanches avec des plis bleuâtres et rosés. Les enfants du fond portent les instruments de la Passion ; deux thuriféraires sur le devant balancent des encensoirs ; les autres prient. Et c’est dans ce groupe isolé de l’Agneau et des angelets, un délicieux rappel des joies sereines de la partie supérieure.

À gauche de la Fontaine apocalyptique sont les prophètes agenouillés déployant les livres sacrés ; et derrière eux un groupe de docteurs, de philosophes, d’auteurs, d’artistes sacrés, ceux qui ont cru d’avance, ou qui ont été pleins de l’esprit de grâce, Platon peut-être avec le manteau blanc et la couronne de laurier, puis ceux qui ont incarné avec le plus d’éclat l’inspiration chrétienne, Dante croit-on avec son manteau bleu et sa branche de myrte, symbole des vertus de Beatrix[44]. Mais dès ce moment nous nous heurterons à la difficulté d’identifier les personnalités profanes qui figurent dans le chef-d’œuvre. Il faut nous contenter d’admirer les attitudes sobres, les têtes énergiques diversement vigoureuses et croyantes de ces personnages à qui l’on pourrait peut-être reprocher de former un groupe trop compact.

De l’autre côté de la « source d’eaux vivantes », les apôtres s’agenouillent au nombre de quatorze, car suivant la tradition médiévale saint Paul et saint Barnabé s’ajoutent aux Douze. Les grands manteaux, les barbes farouches, les teints sombres, les profils camus, les chevelures épaisses des compagnons du Maître s’opposent aux physionomies et aux vêtements des ecclésiastiques qui suivent : papes, évêques, diacres, abbés, prêtres magnifiques en leurs chapes et leurs dalmatiques rouge et or, leurs tiares et leurs mitres d’or, leurs croix et leurs crosses d’or, « leurs étoles tissées d’or, le tout emperlé, chargé de rubis, d’émeraudes, une étincelante bijouterie jouant sur cette pourpre ardente qui est le rouge des Van Eyck[45]. » Et parmi cette foule ecclésiastique, merveilleusement harnachée d’orfèvrerie comme on eut dit au XVe siècle, où les vivants portraits abondent et dont les rangs sont peut-être aussi un peu pressés, on reconnaît à ses tenailles, instrument de son martyr, saint Liévin apôtre de Belgique, martyrisé en 633.

Au troisième plan, au delà de l’autel, un bocage d’orangers, de vignes, de myrtes, de rosiers. D’un côté sortent les Élus, ceux-là mêmes que l’Apocalypse nous montre devant le trône de Dieu tenant des palmes à la main[46], et qui sont ici vêtus de chasubles, de dalmatiques, de chapes, coiffés de tiares et de mitres. Une remarque curieuse à propos de leurs vêtements : en réalité on ne distingue qu’une seule chasuble. La plupart des hauts dignitaires ecclésiastiques, si nombreux dans cette partie centrale, sont vêtus de la chape (capa, pluviale), qui dans l’origine n’était pas un ornement sacerdotal, mais était portée par les chantres, les laïcs et par le clergé dans les processions. La chape était originairement munie d’un capuchon pouvant se rabattre sur la tête en cas de pluie, d’où les expressions capa ou pluviale et le mot pluvial encore usité en France. Le grand nombre de chapes figurant dans le Retable de Gand est caractéristique et logique ; il ne s’agit point ici de la célébration d’un office, mais d’une cérémonie de fête, d’un vaste synode en plein air, où les personnifications vénérées de l’Église viennent s’incliner processionnellement devant l’Agneau.

De l’autre côté, à la suite de sainte Agnès, sainte Dorothée, sainte Barbe paraissent les chastes vierges couronnées de roses, habillées de teintes légères, bleu pâle, gris-rosâtre, mauve tendre, portant presque toutes la palme du martyr. Et il semble que ces théories lointaines qui se détachent comme « des notes d’azur clair ou foncé sur l’austère teinture du bois sacré »[47], ne sortent du bocage que pour s’élever au ciel.

Les rayons du Saint Esprit illuminent le ciel et la terre, et la nature, parée de toutes ses fleurs, — fleurs du sol, fleurs du printemps et fleurs humaines, — chante la puissance du Seigneur. Et par delà les collines qui ferment les bosquets et que gardent quelques ifs et palmiers, une ville surgit toute bleue, plantée sur un second horizon : la Jérusalem céleste avec des clochers, beffrois, pignons, tours, dômes, — formant la plus ingénieuse silhouette qu’il soit possible d’imaginer, toute une architecture ciselée, dentelée, élancée, qui n’est point une architecture de rêve, qui n’est point non plus la reproduction d’édifices existants, mais qui nous offre l’image d’une cité conçue par le cerveau d’un grand artiste et telle qu’aurait pu être une ville au XVe siècle dans nos régions scaldiques et mosanes, avec ses monuments achevés. Songeons à tous les chefs-d’œuvre de l’architecture gothique interrompus par leur constructeur et qui nous ont été transmis sans leur couronnement. Les édifices de l’Adoration ont bien pu trouver leur point de départ dans des constructions réalisées ; mais le peintre en a complété les motifs, il les a munis de pointes, de flèches, de tourelles, de lanternes terminales. La détermination exacte des styles et des époques est impossible ; plus impossible encore l’identification des monuments. Pour M. Six[48] en allant de gauche à droite on reconnaîtrait le dôme de Munster, la tour d’Utrecht (au-dessus de l’Agneau et assez exacte), la cathédrale de Cologne, avec son chœur étrangement séparé des deux clochers achevés, la grande église de Saint-Martin à Maestricht ; à l’extrémité droite (au-dessus de la théorie des Élus) une construction religieuse d’aspect fantastique, haussant une double lanterne sur un dôme surbaissé, serait inspirée par le dôme de Mayence. Puis vient une église rhénane du XIIIe siècle, Andernach ou Ruremonde. M. Six qui veut faire naître le Retable à la Cour de Guillaume de Hollande, s’étonne avec quelque satisfaction de ne trouver aucune réminiscence des édifices flamands dans cette Jérusalem des Flandres. Mais tout aussi bien que l’éminent critique hollandais reconnaît les monuments que nous venons d’énumérer, nous pouvons signaler aussi entre la soi-disant cathédrale de Cologne et l’étrange dôme de Mayence, le Beffroi de Bruges, le clocher de Notre-Dame de Bruges, les tours jumelles de Saint-Barthélemy de Liège. De même avec quelque bonne volonté on reconnaîtrait la tour brugeoise du Minnewater dans le panneau des Juges et le Beffroi de Tournai dans celui des Chevaliers. Répétons toutefois qu’il est téméraire ici d’affirmer quoi que ce soit. Négligeons plutôt ces détails et considérons le large horizon où se perd notre regard. Nous sommes surpris par la réalité poétique du paysage. L’espace est conquis ; le peintre de l’Agneau mystique est capable de fixer un instant de l’évolution du jour et le ciel a la netteté d’une fraîche aurore.

Dès ce jour aussi l’art s’inonda de clartés et cette fois notre reconnaissance doit évoquer le souvenir des deux frères étroitement unis. Il serait bien hasardeux pourtant de se livrer à des considérations techniques devant ce panneau central. Le premier prophète en houppelande lilas est repeint ; de même, la Fontaine de vie est presque entièrement repeinte ; le diacre en dalmatique qui précède saint Liévin a le col de sa chasuble visiblement refait ; des repeints sont sensibles un peu partout, notamment dans les ombres des draperies ; les têtes seules restent à peu près intactes. Toutefois le premier et le second plan — les personnages à droite et à gauche de la Fontaine, l’autel et les anges — doivent être de la main de Hubert ; il y a une certaine gaucherie dans la manière de rassembler les figures en groupes épais et dans la déclivité excessive d’une pelouse dont les tonalités verdoyantes ne sont point dégradées. Quant au troisième plan — les deux théories d’Élus, le bocage de roses, de myrtes, de vignes, d’orangers, Jérusalem baignant dans l’azur, et les nuages illuminés par la lumière du Saint Esprit — j’y retrouve la main du frère cadet achevant ou reprenant l’œuvre du frère aîné avec sa science d’architecturiste, de perspectiviste, d’infaillible interprète de la Nature.

Les Chevaliers du Christ et les Juges intègres[49] cavalcadent dans une vallée de hautes roches, embroussaillées au sommet, fleuries aux anfractuosités, boisées par endroits, et dominées ici et là, de châteaux, de donjons, de montagnes lointaines. Les stratifications et fissures des roches sont si exactement reproduites, que l’on reconnaît sans hésitation qu’il s’agit de roches calcaires, telles qu’elles se rencontrent dans le pays mosan[50]. En tête des six Chevaliers du Christ chevauchent trois écuyers porte-étendard le front ceint de lauriers. Ils ont l’indécise virilité des éphèbes voués à la défense de Dieu, les grâces à la fois sereines et belliqueuses d’une Jeanne d’Arc, des physionomies d’archanges limpides et profondes…

Mais avant de contempler la beauté expressive de ce groupe, soulignons l’extrême intérêt documentaire des accessoires : armures, bannières, vêtements. La digression s’impose. L’écuyer du premier plan porte sous l’armure un vêtement tenant de la journade et du sayon, au-dessus duquel est placé la cuirasse. La jupe fanfreluchée et plissée descendant jusqu’aux genoux, est la jupe du sayon ; les longues manches tailladées, fendues par devant pour laisser passer le bras, sont celles de la journade. Cette disposition est très rare, sayon et journade recouvrant en général l’habit de fer. Les plastrons, encore dépourvus de la pansière et réunis à l’épaulière de quatre lames articulées protégeant l’arrière-bras, ont la forme des premières armures de plates de la fin du XIVme siècle et du commencement du XVme. Les mains des deux premiers écuyers sont défendues par les gantelets-mitons qui apparurent vers le commencement du XVe siècle et auxquels se substituèrent un demi-siècle plus tard les gantelets à doigts séparés. Les boucliers, aux formes chantournées, échancrées à dextre pour le passage de la lance, sont les targes dont le modèle venait d’Allemagne. Ils sont suspendus au cou par leur guige, mais la position des écuyers ne permet point de voir si le bras est passé dans les énarmes. Il n’est pas aisé non plus de constater si les jambes sont armées de grèves complètes on simplement de jambières, et si l’extrémité des solerets on pédieux dessine l’ogive tiers-point ou l’ogive à lancette — formes en usage de 1420 à 1470 environ. Détails sur lesquels il est inutile d’insister d’ailleurs et dont l’intérêt s’efface devant les particularités techniques des solerets.

La chaussure de fer du premier écuyer est formée de plates se recouvrant dans le sens de la pointe du pied, c’est-à-dire que chaque articulation baille en quelque sorte du côté de l’adversaire. Or les hommes d’armes éprouvèrent bien vite l’inconvénient de cette disposition et, dès la fin du XIVme siècle, on les vit adopter le mode inverse du recouvrement des lames entre-elles. De plus les pédieux ne s’ornent pas encore des poulaines allongées que l’on verra plus tard aux armures des bandes d’ordonnance. On pourrait en conclure que ces écuyers sont conçus et exécutés par Hubert Van Eyck si un autre détail ne venait nous prouver que les Chevaliers du Christ furent terminés par une autre main. L’éperon à longue tige du premier écuyer est d’une date assez avancée dans le XVe siècle siècle. Remarquons aussi que sa dague, dite dague à rognons, est propre à nos contrées ; elle est connue sous le nom de dague flamande ; on en faisait usage en Angleterre et en Italie et elle fut employée au XIVe siècle et pendant la première moitié du XV- siècle.

Les bannières offrent des similitudes frappantes avec celles de nos anciennes confrairies ou serments de l’arbalète (sous le patronage de saint Georges) et de l’arc (saint Sébastien). À Bruxelles le Grand Serment portait d’argent à la croix de gueules ; le Petit Serment de gueules à la croix d’argent absolument comme la seconde bannière du polyptyque. À Gand la confrérie de saint Sébastien portait de gueules à la croix d’or cantonnée de quatre croisettes du même, comme on le voit sur la bannière du fond, sauf une petite différence dans la forme des croisettes. Peut-être en était-il de même à Bruxelles ; mais Wauters, l’archiviste défunt de la ville de Bruxelles, soutenait que le Serment de saint Sébastien de cette ville portait d’argent à la croix potencée d’or, cantonnée de quatre croisettes du même émail, ce qui équivalait à dire qu’il portait les armes pleines de Jérusalem — que rappelaient d’ailleurs aussi les armoiries du serment gantois.

Il est donc permis de reconnaître saint Georges et saint Sébastien dans le deuxième et le troisième écuyers, porteurs de la bannière carrée, ou cornette. Quel est l’émouvant porte-étendard qui chevauche au premier plan avec la longue enseigne triangulaire du chef de lances ? Nous adopterons

Hubert et Jean Van Eyck
Le Retable de l’Agneau (ouvert)
Avec l’autorisation de la Société Photographique, Berlin et Paris


l’opinion de Waagen[51] qui reconnaît saint Michel complétant ainsi le trio des patrons de nos gildes flamandes.

Il est vain de vouloir identifier les autres Chevaliers. Waagen et de Bast y découvraient Godefroid de Bouillon, Tancrède et Robert de Flandre, Baudouin de Constantinople, saint Louis. Pour M. Six[52] les personnages qui viennent au second rang seraient les trois preux : Charlemagne au fond, Godefroid de Bouillon sur un mulet blanc et sans doute le Roi Arthur devant. Ayant constaté que le chaperon bleu du Chevalier dont on ne voit que les yeux et le nez, est un repeint ou repentir qui cache le relief d’une couronne, M. Six voit dans ce personnage le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, coiffé de l’insigne des Bourguignons en lutte avec les d’Armagnacs. Jean sans Peur s’était battu contre les infidèles en 1396 ; le peintre l’aurait glorieusement couronné ; le duc par humilité aurait demandé qu’on remplaçât sa couronne par le chaperon…

Les couronnes et les coiffures des Chevaliers ne révèlent rien de précis en réalité. Sans doute, il est aisé de reconnaître dans certaines couronnes des ornements propres aux empereurs et aux rois ; mais la haute couronne fermée et le cercle fleurdelisé appartiennent-ils bien exclusivement comme on serait tenté de le croire, à l’empereur d’Allemagne et au roi de France ? Il faut bien admettre, étant donné la part d’imagination que révèlent d’autres accessoires — architecture, instruments, etc. — qu’une notable partie des sujets du Retable est traitée d’une façon théorique. La haute couronne fermée pourrait ici synthétiser en un seul schéma les Empires d’Occident et d’Orient. Quant à la couronne fleurdelisée, elle était encore à l’époque des Van Eyck, et même postérieurement, commune aux autres souverains de l’Europe, bien qu’ils eussent souvent modifié la forme des fleurons, ainsi que nous l’apprennent leurs sceaux. Enfin les coiffures des autres Chevaliers offrent des types qui font penser aux puissants de l’Occident — aux ducs de Bretagne par exemple — en même temps qu’à ceux de l’Orient, sans qu’on puisse rien identifier d’une manière certaine. Il semble donc impossible de reconnaître des figures déterminées, des personnalités mondaines dans le sens restrictif du mot.

Il en est de même en ce qui concerne les Juges Intègres. Considérez, dit Lucas de Heere[53],
…dans quelle dignité chevauchent
Les rois, les princes, les comtes, suivis de leurs seigneurs.
À bon droit parmi eux, l’on voit aller le peintre,
Le cadet, et pourtant le meilleur, qui termina toute l’œuvre ;
Un chapelet rouge orne son habit noir.
Hubert prend le pas, comme par droit d’aînesse.

Suivant Van Mander, Philippe-le-Bon se tient entre les deux peintres et l’on ne sait s’il désigne le personnage au merveilleux profil méridional ou celui qui porte le large col d’hermine. Il y a longtemps d’ailleurs que l’on a reconnu l’erreur de Van Mander en ce qui concerne la présence du duc. Si nous nous souvenons de la distance énorme qui séparait à cette époque les artistes des nobles, il semble bien improbable que les auteurs du polyptyque aient osé se représenter dans un cortège où figurent des seigneurs portant le manteau des électeurs du Saint Empire. Pourtant cette tradition qui, depuis Lucas de Heere, désigne Hubert et Jean parmi les Juges, retrouve des adhérents[54]. Hubert monte un destrier blanc, sur le devant du panneau ; son bonnet de zibeline, sa robe de samit rouge fourrée de petit-gris, ses yeux plissés, son sourire « éginétique », le font très différent de son frère que l’on voit de face au quatrième rang : type très fin, yeux bleus énergiques, menton rond, visage glabre que surmonte un chaperon artistement noué, robe noire que rougit un chapelet de corail.

Chevaliers et Juges s’avancent dans le soleil qui allume la soie des bannières, incendie les armures et les targes, tire du feu des joyaux. Les chevaux sont de choix, différents d’attitudes, de robes, très individualisés, — chevaux de tournois et de joutes débarrassés de leurs armures, transformés en palefrois, houssés d’orfèvreries et de passementeries, les uns très fiers de leur parure solennelle, les autres hennissant d’impatience. Et Van Mander avait raison de s’émerveiller avec tous les peintres, de la transparence de leurs crinières et de leurs queues ondulantes. Les chevaux des Heures de Turin n’en sauraient décidément être que des répliques.

Ces panneaux des Chevaliers et des Juges racontent fidèlement le luxe et les aspirations de la noblesse contemporaine. Gentils coureurs de lances, hérauts et roys d’armes, souverains et princes, seigneurs et écuyers, nobles héros parvenus à la vertu « de prouesse et de bonne renommée », toute la figuration qui parade dans les chroniques d’Olivier de la Marche et de Georges du Chastellain est devant nous. Et non seulement les splendeurs bourguignonnes incarnées en Messire Philippe l’Asseuré, prince « curieulx d’habitz et de parures » sont ici transposées, mais encore les vertus que l’on prêtait à ce champion de la foi, tremblement et effroi des Marches infidèles. Et l’on aime à croire que c’est en songeant à quelque chevalier sans double — tel Jacques de Lalaing, « beau comme Pâris, pieux comme Enée, sage comme Ulysse le Grégeois, plein d’ire devant les ennemis comme Hector le Troyen, » — que c’est en se souvenant de quelque personnage de ce genre, irréel et vivant, que les peintres du Retable peignirent leurs jolis porteurs de cornettes et d’enseignes, archanges cuirassés et laurés, vainqueurs du bon combat contre le Démon et les Ténèbres.

Tenant bâton noueux d’une main, chapelet de l’autre, les Ermites[55] sortent du ravin où s’écoulent leurs jours retirés et contemplatifs. Saint Antoine les guide. Plus de riches habits, plus de belles parures, plus de jolis visages ; mais des barbes touffues, de longues chevelures incultes ou des crânes chauves, de grosses robes de bure, de lourdes chaussures ou des pieds nus. Et sur les visages cénobitiques, tantôt une joie douce, tantôt une ardeur profonde, tantôt l’accablement du bonheur, tantôt l’ivresse d’un mysticisme presque sauvage. Ce n’est plus la féerique cavalcade des seigneurs descendant de leurs donjons altiers ; c’est la prière et la pénitence affrontant les durs cailloux du chemin. Sainte Marie Madeleine, avec son vase de parfum, et sainte Marie l’Egyptienne suivent les Ermites ; et ce panneau, aussi bien par les effets de lumière qui plongent le groupe dans une ombre rayonnante que par la complexité et la pittoresque physionomie des vieillards barbus, fait invinciblement penser à Rembrandt.

Un géant, à longue barbe noire et lisse, jambes nues, mal enveloppé d’un manteau rouge, portant en guise de bâton de voyage un jeune tronc d’arbre, marche en tête des Pèlerins[56]. Ses compagnons sont au nombre de seize, de tous âges, de tous caractères, de toutes coulpes, animés d’un égal entrain à la suite du bon géant. Et comment brasseraient-ils mélancolie ? Un drille à jeune trogne ferme la marche, bouche bayante, yeux hilares. Ses histoires mirifiques réconfortent les pénitents ; c’est quelque Ulenspiegel gantois ou brugeois que Dieu envoya dans sa grâce à Messieurs les Pèlerins. Le paysage a de quoi réjouir les âmes. Le bocage sacré de la partie centrale se prolonge ; un magnifique monde végétal nous mène dans les climats méridionaux ; un pin parasol, des cyprès élancés, des orangers aux fruits d’or garnissent la colline rocheuse ; puis derrière les pèlerins une vallée fraîche où, dans un fond de clarté matinale, tout au loin, fleurit le sourire d’un site flamand : une ville, des saules, une rivière. Un cyprès et un palmier gardent la vallée heureuse et nous devons relever ici une petite erreur à la charge de l’infaillible peintre : ses régimes de dattes, au lieu d’être en grappes comme il faudrait, pendent en chapelet. — Il suffirait néanmoins à un artiste moderne de peindre la colline qui s’élève au pied du palmier pour être le plus grand de nos paysagistes. Des nuages légers, merveilleusement floconneux, s’arrondissent dans le ciel ; des oiseaux filent dans l’air bleu, non pas des accents circonflexes renversés comme feraient nos peintres, mais de vrais oiseaux ; on les reconnaît ; voici des hirondelles, des martinets, un vol de grues fendant le ciel en angle aigu. Et non seulement ce sont de véritables portraits, mais les différents instants du vol sont surpris : vol latéral, vol de face, vol circulaire, oiseau planant, oiseau qui se pose. Partout et toujours la même puissance, la même conscience, la même intuition des êtres et des choses. Grandeur et perfection du détail s’unissent en une harmonie qui nous confond. Nous prolongerions en vain notre description. Ce que Fromentin dit de la partie centrale, doit s’appliquer au Retable tout entier : « L’esprit peut s’y arrêter à l’infini, y rêver à l’infini, sans trouver le fond de ce qu’il exprime ou de ce qu’il évoque. L’œil de même peut s’y complaire sans épuiser l’extraordinaire richesse des jouissances qu’il cause ou des enseignements qu’il nous donne[57]. »

On commande le Retable à Hubert vers 1420. Il commence par la partie centrale : l’Agneau mystique et presque en même temps aborde les panneaux des Chevaliers, des Juges, des Ermites, des Pèlerins ; c’est lui sans doute aussi qui peint la prédelle perdue, où la scène du Jugement dernier montrait, dit Van Mander, des damnés s’agenouillant devant l’Agneau. On peut se demander d’ailleurs si cette prédelle était bien une peinture ; Van Vaernewyck en effet parle tout simplement d’un piédestal (voet).

Jean entre de bonne heure en scène. Il revient de la Haye à la fin de l’année 1424 et apporte immédiatement sa collaboration au polyptyque. Il achève le paysage du panneau central et s’il ne conçoit pas les figures supérieures sûrement ici encore il intervient avec son entente unique du modelé et du coloris. Les deux frères sans aucun doute ne cessaient d’être aidés par des élèves ; ceux-ci peignaient les accessoires dessinés par les maîtres, et ne laissaient pas d’avoir des accents de génie dans l’atmosphère d’émulation que l’on s’imagine aisément.

Malgré la réputation que la commande du polyptyque devait valoir à Hubert, c’est Jean qui entre au service de Philippe le Bon ; il est dès ce moment le plus célèbre des deux frères ; seul il est capable d’achever l’œuvre gigantesque. Hubert meurt en 1426. À ce moment sans doute Jean travaille à certains panneaux détachés, ceux des Anges musiciens et chanteurs par exemple, si parents de l’Ange qui figure dans l’Annonciation de St-Pétersbourg. Le cadet part pour le Portugal. Voici le Retable interrompu ; mais ce voyage nous a appris à quel point l’artiste travaillait rapidement. Il revient, s’installe à Bruges et de même que Rubens revient de son voyage diplomatique en Espagne avec sa manière définitive, de même Jean Van Eyck, rentré dans les Flandres, commence sa véritable carrière. Elle s’ouvre par l’achèvement du chef-d’œuvre. Le maître reprend le paysage des Ermites et des Pèlerins, et montre qu’il a pris des croquis sinon en Andalousie ou à Grenade, du moins à Lisbonne et dans les environs. Quelques petites besognes pour la Cour l’éloignent à peine du Retable. Il peint avec ses élèves la partie extérieure et tout prouve que les figures d’Adam et Ève et les portraits de Judocus Vydt et de sa femme sont entièrement de sa main.

Récapitulons. L’Agneau Mystique, les Chevaliers, les Juges, les Ermites, les Pèlerins sont de l’aîné, sauf la plus grande partie du paysage ; on peut accorder aussi à Hubert la conception des trois grandes figures de Dieu le Père, de saint Jean-Baptiste et de la Vierge que Jean acheva. Tout le reste est l’œuvre du frère cadet : les Anges chanteurs et musiciens, Adam et Ève, les volets extérieurs[58]. Enfin, le grand mérite du cadet consiste surtout dans l’unification du chef-d’œuvre. Après la mort de son frère, le polyptyque resta dans son atelier pendant six ans ; il ne se contenta point d’achever tel panneau, de peindre telle figure. Il voulut faire vivre l’ensemble d’une âme unique qui reflétât le monde de beautés nouvelles qu’il apercevait lui-même dans l’infini de la nature et de l’art. Il est impossible que Jean Van Eyck au bout de six ans n’ait pas marqué le chef-d’œuvre entier de son sceau.

Si grande que soit ma conviction sur l’intervention respective des deux frères, j’ai trop éprouvé au cours de cette analyse les incertitudes, les lacunes d’une enquête qui dépasse mes forces, pour ne point souhaiter de nouvelles lumières sur un problème si passionnant. Les deux noms, au surplus, sont indissolublement unis dans la gloire du chef-d’œuvre : Hubertus incepit : Johannes perfecit. Et ce qui, après tout, domine ici les problèmes archéologiques, c’est la leçon de Beauté et de Vérité à laquelle nous convie l’Autel de Judocus Vydt.

La peinture de retables avait produit peu d’œuvres dans les Flandres ; les miniatures étaient réservées aux gens riches ; l’enseignement des vitraux était peu intelligible ; on ne cultivait guère la peinture murale dans nos provinces. Et soudain paraît ce chef-d’œuvre, poème des plus chères croyances de la race, Évangile des peintres flamands, aurore éternellement lumineuse de l’art moderne.

Voici fixée à jamais la richesse de la Flandre du XVme siècle. Luthiers, armuriers, joailliers, brodeurs, tisseurs, céramistes, huchiers, architectes, dinandiers, orfèvres, tapissiers de Monseigneur Philippe ont apporté, semble-t-il, leur concours aux peintres du Retable et viennent témoigner de l’habileté, du goût, de la loyauté d’exécution qui sont l’honneur des métiers de Flandre. Toute la somptuosité de la cour bourguignonne s’incarne dans ces Chevaliers et ces Juges, parés de damas et de samit pour quelque solennelle ambassade. Mais à travers tant de luxe, ce que notre esprit se plaît à découvrir et à recréer, c’est une gamme infinie de sentiments. La Flandre croyante est là sous ces aspects divers : humilité, énergie, contemplation, extase, repentir. La nature participe à cette ivresse religieuse ; mais par-dessus la nature, par-dessus les êtres et les choses, Dieu règne.

Le Retable de l’Agneau est plus que le chef-d’œuvre d’une école et d’une race ; c’est le plus grand acte de foi que connaisse l’histoire de l’art. Il résume les courants internationaux de la beauté au début des temps modernes, mais en même temps il fixe nos doctrines religieuses. Si la peinture, comme le dit Hegel, est le centre de l’art chrétien, le polyptyque de Gand est le centre de la peinture chrétienne. Le génie de deux maîtres, le talent d’une famille de disciples unis étroitement suivant le saint usage des ateliers d’autrefois, — il ne fallait rien moins pour réaliser sans défaillance ce poème alléluiatique. Moyennant cette association de forces soumises à la discipline des croyances familières, la Beauté, comme le veut Platon, retrouvait le Créateur.

Nous ne connaissons plus, nous ne voulons plus, nous ne pouvons plus connaître de telles victoires. Au temps béni des Van Eyck, l’art humble, attentif, scrupuleux copiait les formes, et, sans qu’il les cherchât, trouvait les forces, car l’artiste les portait en soi ; le peintre imitait l’Aspect du monde, mais il en trouvait instinctivement la Pensée, car elle était en son cœur.

Et c’est ainsi qu’à travers la résurrection d’une époque, le Retable de l’Agneau nous découvre la face de Dieu ; et c’est ainsi que l’Art, avec le concours de la Foi, fait descendre le Ciel sur la Terre.

Terminé le Dimanche de Pâques 1905. 

  1. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 32.
  2. Ibid. p. 36.
  3. Exposition des Primitifs flamands, op. cit. p. XV.
  4. Six. À propos d’un repentir de H. Van Eyck. Gaz. des Beaux Arts, 1903.
  5. Ces renseignements biographiques sur Judocus Vydt m’ont été fournis verbalement par M. Victor Van der Haeghen, archiviste de la ville de Gand.
  6. Le Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 84.
  7. Karl Voll. Jean Van Eyck en France. Gazette des Beaux-Arts, 1901, II.
  8. Van Vaernewyck. Ch. XLVII.
  9. Cf. Ode de Lucas de Heere. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 38.
  10. Le Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 33.
  11. Une deuxième reproduction fut exécutée au commencement du XVIIe siècle ; elle passa entre diverses mains. Elle est à présent au musée d’Anvers ; nous l’estimons très inférieure au travail de Michel Coxcie.
  12. Cf. à partir de cette époque sur l’historique du chef-d’œuvre : Ch. Ruelens, Annotations de Crowe et Cavalcaselle : Les anciens Peintres flamands, trad. Delepierre, T. II, p. LVII ; Siret dans l’Art chrétien en Hollande et en Flandre, T. I, p. 2 et 5. Amsterdam 1881 ; Michiels : les Peintres Brugeois, op. cit. et Ch. Van den Gheyn : Quelques documents inédits sur deux tableaux célèbres. Bulletin de la société d’histoire et d’archéologie de Gand t. VIII, 1900. p. 201 à 208.
  13. Frère de notre éminent collaborateur.
  14. On lui doit notamment l’identification des premières œuvres de Thierry Bouts.
  15. Les Peintres Brugeois 1846. p. 49.
  16. Évangile selon saint Luc, chap. I, versets 28 et 38. Je donnerai les inscriptions, dégagées de leurs abréviations.
  17. Les arguments de ceux qui reconnaissent une vue de Gand dans les deux revers d’Adam et Ève ont été résumés en dernier lieu dans la Flandre libérale du samedi 9 juillet 1904.
  18. Zacharie, ch. IX, verset 9.
  19. Michée, ch. V, verset 2.
  20. Lib. XVIII, cap. 23 (Migne. Patrologie latine, t. XLI, col. 579.)
  21. Ce sont les vers 217-260 du Livre VIII, voir l’édition récente de Joh. Geffcken, Die oracula sibyllina, Leipzig, 1902, p. 153, 157.
  22. Cf. E. Sackur, Sibyllinische Texte, p. 187.
  23. Cf. Em. Mâle, L’Art religieux du XIIIe siècle en France, 2e éd. Paris, 1902, p. 179-181.
  24. Éneïde, liv. VI, vers 50.
  25. Voir par exemple la planche 252 dans G. Wilpert : Le pitture delle Catacombe romane, Rome, 1903.
  26. V. Hymne et Magnificat de la Fête de tous les Saints. M. Max Dvorak dans son remarquable travail : Das Raetsel der Kunst der Brüder Van Eyck rapporte une tradition bien curieuse que les Van Eyck ont sûrement du connaître puisqu’elle est rapportée par la Légende dorée (Cf. Jacobi a Voragine Legenda aurea, éd. Graisse, 1846, p. 727.) Un gardien de la basilique de St-Pierre s’étant endormi après avoir fait sa ronde de nuit vit en songe Dieu le Père assis sur un trône et à ses côtés un chœur d’anges « omnes angelos in circuitu morantes ». À la droite du Seigneur trônait la Madone « virgo virginum cum dyademate præfnlgenti » et à sa gauche Jean-Baptiste vestitus pilis camelorum. » Vers le trône se dirigeaient « innumerabilis multitudo virginum, multitudo venerabilium seniorum, cohors in habitu pontificali. Postea processit innumerabilis multitudo militiæ, demum advenit turba diversarum gentium infinita. » Après Saint-Pierre montre au gardien le purgatoire… C’est comme une ébauche de l’Adoration de l’Agneau… sans l’Agneau, Cette histoire était sûrement courante au moyen âge où tout le monde connaissait la Légende dorée, et nous prouve une fois de plus que les Van Eyck ont mis en œuvre des traditions très répandues. Cf. Dvorak, op. cité. Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des allerh. Kaisershauses. t. XXIV. fasc. 55, p. 253.
  27. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 31.
  28. Waagen a fait deux erreurs de lecture. Au lieu de dulcedinis, il a lu dulcissimam et pour largitatem il donne tarditatem ( Messager des Sciences et des arts, 1824. p. 1907.) Il a reconnu son erreur en ce qui concerne le mot tarditatem. Cf ibid, p. 443. Liévin de Bast a mieux lu, mais il n’a pas été absolument exact en imprimant MAJESTATE, OPTI et INME, ibid p. 197, note 2.
  29. Messager p. 197, 1.
  30. Nous ne pouvons pas donner une idée exacte de cette ressemblance avec nos caractères d’impression.
  31. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 35.
  32. Waagen n’a pas pu lire les mots qui suivent luci jusqu’à speculum et il a faussement interprété luci pour luciscor (Messager, 1824, p. 199). L. de Bast ne s’est trompé que pour le mot candor qu’il a lu capor (ibid. p. 199 note).
  33. Livre de la Sagesse, ch. VII. Depuis le commencement jusqu’après invenitur prior, c’est le verset 29 ; depuis candor jusqu’à la fin, c’est le verset 26.
  34. Livre des peintres, éd. Hymans p. 31.
  35. Nous sommes absolument de l’avis d’Ambros sur se point (Geschichte der Musik, t. III, Introduction Die Zeit der Niederlander.) Les anges chanteurs, dit-il, offrent « les caractères très apparents des deux genres de voix : aiguë et grave  ». Il ajoute, ce qui est plus hardi : « Ce n’est pas à un contre-point improvisé que se livrent ces anges, mais bien à l’exécution d’une musique figurée. Le premier des chantres bat la mesure en élevant et en abaissant la main droite. »
  36. Ambros. op. cit.
  37. Praetorius. Teatrum instrumentorum, pl. XVIII, fig. I.
  38. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 31.
  39. Ibid. p. 31.
  40. Les peintres Brugeois, p. 47.
  41. Apocalypse, V. 12.
  42. Chap. I, verset 29.
  43. Chap. XIV, verset 6.
  44. Michiels : les Peintres Brugeois, p. 43.
  45. Fromentin. Les Maîtres d’autrefois, 5e édition, p. 426.
  46. Chap. VII.
  47. Fromentin. Les Maîtres d’Autrefois, p. 426.
  48. Gazette des Beaux-Arts, art. cit. 1er mars 1904.
  49. On lit sur le vieux cadre du premier panneau : Cristi milites et du second : Iusti Iudices.
  50. Remarque communiquée verbalement à l’auteur par M. Bommer, directeur du Jardin botanique de Bruxelles.
  51. Manuel de l’Histoire de la Peinture, p. 93. M. Six (art cité, Gazette des Beaux arts, mars 1904) y voit saint Martin.
  52. Art. cit. Gazette des Beaux-Arts, 1904.
  53. Livre des Peintres éd. Hymans p. 35.
  54. M. Durand-Gréville, notamment.
  55. Heremite sti, dit le vieux cadre.
  56. Le cadre cette fois porte : Pegrini sti.
  57. Les Maîtres d’autrefois p. 427.
  58. Nos conclusions se rapprochent beaucoup de celles de M. M. Dvorak, dont le remarquable et tout récent travail : Das Raetsel der Kunst der Brüder Van Eyck n’a pu être consulté par nous à la Bibliothèque de Bruxelles que quatre mois après la date (décembre 1904) où nous avions fait part à nos élèves de Bruxelles et de Liège de notre conviction au sujet du Retable.