La ligne et la couleur

La Revue contemporainesérie 1, tome 1 (p. 100-286).

LA LIGNE ET LA COULEUR,

HISTOIRE D’ATELIER.

I.

Ce fut par une chaude matinée du mois d’août que Paul Dubiez fit son entrée triomphale à Paris.

La diligence de Caen qui portait Paul et sa fortune déposa dans la cour des Messageries le précieux fardeau, rompu, moulu et couvert de poussière. Celui-ci ne prit pas le temps de réparer le désordre de sa toilette ; il se jeta dans un fiacre, fit placer près de lui une valise fort légère, et cria au cocher d’un ton plein d’assurance :

— Rue Pigale, chez monsieur Guerville.

— Quel numéro ? demanda le cocher.

Paul regarda celui-ci en face, et d’un air fort étonné :

— Numéro quarante-sept, dit-il en levant les épaules.

Puis il se mit à murmurer tout bas quelques mots qui voulaient dire sans doute : Comment ! cet animal ne connaît pas M. Guerville, un nom européen !

On arriva rue Pigale.

Le numéro 47 s’épanouissait au-dessus d’une petite porte dont le cocher tira la sonnette. La porte s’ouvrit et laissa voir un long sentier bordé de fleurs et de verdure. À l’extrémité s’élevait une petite maison décorée de bas-reliefs en plâtre et couronnée par une vaste verrière qui annonçait l’atelier d’un peintre.

Une servante accorte et pimpante vint au-devant du jeune homme. Celui-ci la salua avec tout le respect que l’on doit aux femmes, surtout quand on arrive de province.

— Mon oncle est-il chez lui ? dit le jeune homme.

— Ah ! monsieur est le neveu de M. Guerville ? fit la servante. C’est donc lui que mademoiselle Pauline attendait avec tant d’impatience !

— C’est probable ; et mon oncle ?

— M. Guerville est sorti, mais mademoiselle Pauline est là.

— Diable ! c’est dommage ; j’aurais pourtant bien voulu le trouver en arrivant, murmura Paul d’un air embarrassé.

— Mais, puisque je vous dis que mademoiselle Pauline est à la maison, c’est la même chose ; elle sera si heureuse de vous voir !

Pendant ce dialogue le cocher arriva portant la valise, la déposa sur les marches du perron et attendit.

L’embarras du jeune homme augmentait à chaque instant.

— Entrez donc, reprit la servante.

Paul allait franchir le seuil lorsque la voix du cocher l’arrêta.

— Monsieur, vous oubliez de me payer ma course, dit celui-ci.

— Ah ! c’est juste.

Et Paul se mit à fouiller dans toutes ses poches ; le vide était parfait. Heureusement deux beaux yeux bleus faisaient le guet derrière les lames d’une persienne.

Une charmante jeune fille s’élança sur le perron.

— Catherine, payez le cocher, dit-elle. Puis s’adressant au jeune homme : Eh bien ! mon cousin, c’est comme cela que vous me dites bonjour ?

Paul leva les yeux sur Pauline. C’était une fort jolie blonde d’environ dix-huit ans, d’une taille souple et élancée, d’une grâce parfaite et du visage le plus doux qu’il soit possible d’imaginer. Le jeune homme parut satisfait de son rapide examen, et s’approchant de la jeune fille avec une gaucherie qui n’était pas dépourvue d’élégance :

— Pardon, ma cousine, dit-il, je ne vous avais pas aperçue ; permettez que je vous embrasse.

Pauline tendit ses deux joues fraîches comme des boutons de rose aux lèvres de son cousin, et baissa la tête en rougissant.

— Mon oncle va bien ? poursuivit Paul sans prendre garde à l’émotion qu’il avait produite. Où donc est-il allé par cette chaleur ?

— Il est allé à une vente de tableaux. Entrez, il va revenir tout à l’heure ; venez vous reposer ; vous devez être si fatigué !

— Une vente de tableaux, dites-vous, ma cousine ; une belle vente sans doute ; mon Dieu, que je voudrais y être !

— Vous êtes bien aimable, mon cousin ; ce sont les dames de Caen qui vous ont donné des leçons de galanterie ?

L’épigramme glissa sur le jeune homme sans l’effleurer.

— Savez-vous, continua-t-il, si ce sont des tableaux anciens et de quelle école ?

— Non, mon cousin, je n’en sais rien et je n’ai pas envie de le savoir. Si vous n’avez rien de plus gracieux à me dire, je vais me retirer.

— Comment, ma cousine, vous, la fille d’un peintre illustre, d’un membre de l’Académie des Beaux-Arts, du meilleur élève de David, vous restez étrangère et insouciante au mouvement des arts !

— Ces choses-là regardent mon père et non pas moi. Attendez son retour, vous le questionnerez et il vous répondra. Jusque-là parlez-moi de ce que je sais, dites-moi comment se porte mon oncle Dubiez, pourquoi il ne vous a pas accompagné à Paris, ce qu’il fait là bas, mon bon oncle ; il y a si longtemps que je ne l’ai vu !

— Mon père se fait vieux, et puis la goutte le tourmente beaucoup. À propos, il m’a chargé d’une petite commission pour vous ; je l’ai là dans ma valise.

— Oh ! dites-moi ce que c’est, fit Pauline avec un accent de joie enfantine.

Paul ouvrit sa valise, chercha dans tous les coins et finit par découvrir un petit paquet qu’il remit à sa cousine.

Celle-ci se hâta de l’ouvrir et trouva une broche en ivoire, ciselée avec une extrême délicatesse ; elle représentait un bouquet de fleurs épanouies.

— Que cela est joli ! s’écria la jeune fille. Est-ce lui-même, continua-t-elle en levant sur son cousin un regard à la fois timide et malin, est-ce lui même qui l’a choisie ?

— Ah ! mon Dieu, oui ; que voulez-vous, je lui disais qu’il vaudrait mieux vous acheter une bonne épreuve de Berghem ou de Rembrandt qu’un pareil brimborion ; il m’a répondu que je n’avais pas le sens commun.

Pauline, en entendant ces paroles, examinait son cousin avec la plus grande attention.

— Quel dommage ! se disait-elle en poussant un soupir.

Sur ces entrefaites, M. Guerville rentra. Après avoir serré avec effusion son neveu sur son cœur, et lui avoir demandé des nouvelles de sa famille :

— Eh bien ! jeune homme, dit-il, ton père s’est donc enfin décidé à t’envoyer à Paris. Il y a longtemps qu’il aurait dû le faire. Il m’écrit en m’annonçant ton arrivée, que tu as fait depuis deux ans d’immenses progrès… j’ai peine à le croire : vois-tu, en province, on ne sait pas dessiner… Enfin, nous verrons cela demain. Pour aujourd’hui nous sommes en fête, tu m’entends, Pauline.

— Oui, mon père, dit la jolie fille.

Et elle courut donner ses ordres à la cuisine.

— Hein ! mon ami, comment la trouves-tu, ta cousine ?

— Charmante, mon oncle.

— Travaille bien, fais-toi un nom… Je ne t’en dis pas davantage.

— Et la vente ? interrompit le jeune homme, comme s’il n’eût pas entendu un mot de ce que son oncle venait de lui dire.

— Quelle vente ?

— Parbleu ! la vente d’où vous venez.

— Ah ! c’est vrai, je l’avais oubliée. Misérable, mon cher, misérable ! Il n’y avait là que des tableaux flamands et hollandais.

— Des tableaux flamands et hollandais ! Vous appelez cela misérable !

— Sans doute, je suis de l’avis de Louis XIV : je ne puis pas sentir ces magots.

— Des magots ! une peinture si ferme et si vraie !

— Mon garçon, dit l’académicien en frappant sur l’épaule de son neveu, j’avais raison de craindre pour toi l’influence paternelle. Ton père, vois-tu, n’a jamais connu que la couleur, il t’a gâté ; il t’aura dit qu’il n’y a pas de lignes dans la nature, que le coloris suffit pour exprimer le contour, que sans la couleur il n’y a pas de peinture…. Il faut que tu oublies tout cela, mon enfant, ou bien tu ne feras jamais qu’un mauvais peintre.

Paul se rappelait qu’à son départ de Caen, son père, vieux peintre de portraits fort renommé dans sa province, lui avait dit précisément tout le contraire et l’avait mis en garde contre les doctrines exclusivement académiques de son beau-frère. Il ne prêta donc qu’une médiocre attention à cette exposition préliminaire de principes, et il laissa passer, sans même songer à les contredire, les propositions les plus opposées à ses propres opinions, se promettant bien, quand il aurait la brosse en main, de n’en faire qu’à sa tête.

L’académicien, heureux et surpris tout à la fois de trouver en son neveu un auditeur muet et docile, s’étendit longuement sur la suprématie de la ligne. Il lui montra, dans le plus grand détail, son atelier et sa collection toute composée de tableaux de David, de Lethière, de Gros, de Gérard, de Girodet, etc., dont son neveu n’aurait certainement pas donné 100 fr., s’il les avait eus à sa disposition.

À chaque toile dont il révélait… les beautés, l’académicien faisait entendre des paroles d’enthousiasme, des épithètes admiratives, des exclamations de bonheur. Jamais, suivant lui, la Renaissance n’avait rien produit d’aussi beau, et l’antique lui-même pouvait à peine soutenir la comparaison.

— Vois ce bras, disait-il, observe ce raccourci, admire la pureté de ce contour. Oh ! la ligne, la ligne ! mon enfant, ne t’écarte jamais de la ligne : c’est la ligne qui conduit à Rome, c’est elle aussi qui ouvre la porte de l’Institut.

Le jeune Dubiez paraissait écouter avec un profond recueillement, et, de fait, son esprit était ailleurs qu’aux discours laudatifs de son oncle. Celui-ci, cependant, interprétait en sa faveur le silence du jeune homme, et, satisfait des dispositions excellentes où il croyait voir son neveu, il augurait déjà bien de ses prochaines leçons.

— Il fera honneur à mon atelier, se disait-il, et l’illustre David aura en lui un digne continuateur de ses saines traditions.

Comme il faisait cette réflexion consolante, l’académicien et son futur élève arrivèrent devant un petit cadre recouvert d’une draperie de soie verte.

— Tu vois ceci, dit le digne homme : eh bien ! c’est le morceau le plus précieux de toute ma collection. Ce n’est pas seulement un chef-d’œuvre, c’est un souvenir, et il se rattache au jour le plus heureux de ma vie. David peignait alors son tableau du Sacre ; il avait déjà terminé la tête de l’Empereur, celle du pape, celle de l’impératrice ; il avait reproduit les traits des principaux dignitaires ; mais il lui restait à peindre la figure de l’enfant de chœur, à droite, sur le premier plan. À plusieurs reprises, je l’avais vu mettre la main à ce personnage, et, chaque fois, il avait effacé son travail. Enfin, un jour j’observai qu’il avait passé l’éponge sur la toile avec un mouvement de dépit plus marqué que de coutume, et qu’ensuite il avait pris son chapeau, sa canne, et était allé se promener. Je m’approchai alors du tableau et j’essayai, la brosse à la main, de me rendre compte des difficultés qui tenaient un si grand maître en échec. À force de chercher, je finis par modeler les contours d’une tête pleine de finesse et de sérénité. J’allais effacer mon travail, quand j’entendis du bruit. C’était David qui rentrait. Je n’eus que le temps de m’échapper et de rejoindre mes camarades qui travaillaient dans un autre atelier. David ne tarda pas à s’y rendre. Lequel d’entre vous a mis la main mon tableau, dit-il d’un ton sévère ? — Tout le monde, excepté moi, leva la tête, mais nul ne répondit. — Personne ne veut s’avouer coupable ? poursuivit-il en me lançant un regard expressif, eh bien ! je vais vous chasser tous. Il n’y avait pas moyen de céler plus longtemps mon crime, je me jetai aux genoux du maître et lui demandai grâce. — Ah ! c’est toi, dit-il en me relevant, je le savais bien : il n’y a que toi ici capable de faire une tête pareille. Suis-moi. Je le suivis tout interdit, ne sachant encore ce que je devais espérer ou craindre. Il me conduisit devant la toile inachevée, prit un pinceau, termina la chevelure de la tête que je venais de faire, puis il me dit : — Souviens-toi de ceci : II n’y a pas de belle figure sans cheveux, il n’y a pas de belle tête sans un corps bien proportionné. En trois coups de brosse il eut ébauché le corps entier de l’enfant de chœur. Vois maintenant, reprit-il, c’est un chef-d’œuvre, et je ne retoucherais pas à ta figure quand bien même l’Empereur me l’ordonnerait. Mais si tu t’avises de mettre encore la main à l’œuvre de ton maître, je te chasse de mon atelier. Aujourd’hui tu m’as rendu service, il est juste que je t’en récompense ; choisis parmi toutes ces toiles celle qui te convient le mieux, je te la donne. Maître, lui répliquai-je, la plus douce récompense que je puisse ambitionner je l’ai reçue, puisque vous permettez que la main de votre indigne élève laisse une empreinte sur votre chef-d’œuvre ; mais je croirais manquer à tous mes devoirs de reconnaissance si je ne m’empressais d’accepter votre présent. Il y avait là une foule de morceaux précieux des anciens maîtres, des Jouvenet, des Coypel, des Lebrun, des Lesueur, des tableaux des écoles italienne, flamande et hollandaise, des Guide, des Albane, des Rembrandt, etc. ; je ne les regardai même pas, j’allai droit à l’ébauche du pape qui avait servi à David pour la figure du souverain Pontife, et je la détachai de la muraille. David sourit et me regarda avec bienveillance ; puis, prenant du vermillon au bout d’un pinceau, il écrivit au bas du tableau ce que tu vas lire.

À cet endroit de son récit, M. Guerville tira le voile qui couvrait le tableau, et Paul put lire en effet : « Donné à son élève et rival Guerville, par David. » Le nom du maître était une signature. Paul regardait cette toile depuis quelques instants sans mot dire.

— Eh bien ! qu’est-ce que tu penses de cela ? demanda l’académicien.

— C’est très-flatteur pour vous, mon oncle.

— Ce n’est pas ce que je te demande ; je veux savoir ton opinion sur ce tableau. C’est un chef-d’œuvre, n’est-ce pas ? Vois comme la ligne de ce front est pure, comme le galbe de ce nez est correct, comme cette bouche est bien modelée.

— Vous avez raison, mon oncle, il en est ainsi que vous dites ; mais il y a dans tout ceci une chose que j’admire plus que ce front, plus que cette bouche.

— Quoi donc ? interrompit l’élève de David, tout surpris que son neveu eut pu découvrir à première vue une beauté nouvelle dans cette toile qu’il regardait tous les jours depuis trente-six ans.

— C’est que pouvant choisir entre un Rembrandt et ceci, vous ayez préféré ceci.

M. Guerville, excellent homme au fond, ne souffrait pas patiemment la contradiction ; mais lorsqu’on s’attaquait à l’objet de son culte, à David, il devenait furieux. Telle fut pourtant sa stupéfaction en entendant les paroles téméraires de son neveu, qu’il n’eût pas la force de se mettre en colère. Il regarda le jeune Dubiez dans le blanc des yeux, et leva les épaules ; puis, laissant retomber le voile sur le précieux tableau, il sortit de sa galerie sans prononcer une parole, sans se retourner pour voir si son neveu le suivait.

Quand celui-ci fut seul, il crut pouvoir enfin lâcher la bride à ses réflexions, et soulager son cœur de l’ennui profond dévoré pendant cette longue exhibition.

— Quelle plate école ! s’écria-t-il ; comme tout cela respire l’apprêt et la convention !… comme tout cela est terne et froid !… on prendrait volontiers ces figures pour des manequins de neige. Si ces toiles m’appartenaient, je les jetterais au feu, ne fût-ce que pour ne pas les voir greloter plus longtemps.

Jamais les échos de cette maison n’avaient entendu de pareils blasphèmes.

Le jeune homme allait sans doute continuer d’épancher sa bile, lorsqu’il sentit une main légère se poser sur son bras : c’était celle de Pauline. La jeune fille avait le front triste et le regard humide.

— Mon cousin, dit-elle, qu’avez-vous donc fait à mon père ? il est furieux contre vous… il parle de vous renvoyer à Caen.

— À Caen !… A en juger par ce que j’ai vu jusqu’à présent, on y peint mieux qu’ici.

— Ainsi, à peine arrivé, vous songez déjà à nous quitter ! Moi qui avais espéré…..

Et la jeune fille, incapable de cacher plus longtemps son chagrin, se mit à fondre en larmes.

— Non, ma cousine, je ne veux pas m’en aller ; je suis venu à Paris pour y rester, j’y resterai.

— Oui, mais si dès le premier jour vous vous brouillez avec mon père !…

— Pourquoi veut-il que j’admire toutes les platitudes de son école ?

— Au moins vous pourriez ménager ses affections, et garder le silence ?

— Que voulez-vous, ma chère cousine, j’ai fait tous mes efforts pour cela ; mais, à la fin, la bombe a fait explosion.

— Si je vous en priais bien fort, me promettriez-vous plus de patience à l’avenir ?

Le jeune homme sembla hésiter.

— Je vous en prie, continua la jeune fille, d’un ton calin ; faites-le pour moi, je vous en serai bien reconnaissante.

Paul regarda le joli visage de sa cousine appuyé sur son bras ; il était trop artiste pour ne point être frappé de sa beauté. Cette voix pénétrante et douce, ce regard fin et caressant triomphèrent des dernières hésitations. Paul s’engagea à tout ; et le frais sourire de Pauline lui paya les arrhes de la reconnaissance promise.

Ils descendirent au salon et y retrouvèrent M. Guerville, à qui sa fille persuada aisément tout ce qu’elle voulut, sur un prétendu aveu que Paul aurait fait de ses torts à l’égard de l’illustre David. Le jeune homme, entendant cette manière de le justifier, allait intervenir et rectifier les faits, c’est-à-dire envenimer les choses au point de les rendre irrémédiables ; mais la jeune fille s’empressa de lui clore la bouche avec sa petite main blanche. L’oncle et le neveu restèrent donc jusqu’au soir les meilleurs amis du monde. On s’occupa exclusivement du présent et de l’avenir du jeune Dubiez ; il fut convenu qu’il habiterait une petite chambre dans le voisinage en attendant que son pinceau pût augmenter la modique pension paternelle, et qu’il viendrait chaque jour chez son oncle prendre les aliments du corps et de l’intelligence.

La passion qu’il nourrissait dans son cœur pour l’école de David, n’empêchait pas M. Guerville d’être un excellent homme ; et Paul, de son côté, avait l’âme ouverte à tous les bons sentiments. Son culte pour les Hollandais et les Flamands n’avait en aucune façon affaibli les forces affectives de son âme ; en sorte que, dès ce jour-là, il se noua entre l’oncle et le neveu des liens de sympathie réciproque dont la suite de cette histoire nous montrera la solidité.

La jolie fille de l’académicien fut-elle complétement étrangère à ces heureux arrangements, à ces échanges affectueux, nous n’oserions prendre sur nous de l’affirmer, et nous laisserons à la sagacité de nos lecteurs le soin de décider la question.

II.

Paul montra, dans les premiers jours, une déférence, nous allions dire une complaisance, — pour les conseils et les théories de son oncle, qui fit le bonheur du respectable élève de David. Il copia avec une patience exemplaire toutes les têtes classiques des tableaux de maitre ; il dessina toutes les poses académiques de l’Ecole, et mérita les éloges les plus flatteurs de la part de M. Guerville.

— Courage, mon enfant, disait celui-ci ; persévère dans cette voie, et tu iras bientôt à Rome.

Les choses marchaient donc au mieux. Jusque-là, notre jeune homme n’avait fait que des études au crayon ; il attendait avec impatience le jour où son oncle lui permettrait enfin de prendre la brosse. — Ce jour fortuné arriva.

— Je vois avec plaisir, lui dit l’académicien, que ton père n’avait pas trop négligé chez toi cette partie essentielle de notre art : la ligne. Je te permets dès aujourd’hui le superflu : la couleur ; mais n’oublie jamais ce précepte que celle-ci n’est qu’une esclave, comme la rime en poésie, et qu’elle doit toujours obéir à la ligne comme l’autre à la raison.

Après avoir ainsi parlé, M. Guerville prit sa canne, son chapeau, et s’en alla à l’Institut, laissant Paul aux prises avec Tatius, roi des Sabins.

Paul se mit à attaquer bravement l’adversaire de Romulus. Il voulut d’abord suivre à la lettre les leçons du maître, et oublier la couleur pour ne songer qu’à la ligne ; mais, quelque bonne volonté qu’il apportât, il lui fut impossible de vaincre sa nature. Il avait beau mèler le noir au blanc ; les tons gris prenaient sous sa brosse un reflet d’or, le contour d’abord vif et net se fondait dans le clair obscur ou se noyait dans sa lumière ; la vive arrête des profils s’arrondissait dans la pénombre ; enfin le jeune artiste oublia complétement les recommandations du maître, et perdit de vue son modèle. Après cinq heures d’une lutte acharnée contre le guerrier sabin, il se crut enfin victorieux, et il se prépara humblement à recevoir les honneurs du triomphe dès que son oncle serait de retour.

Celui-ci ne tarda pas à rentrer. Il était de fort mauvaise humeur. On venait de tirer au sort les sujets pour les concours de l’année, et le hasard avait fait choix d’un épisode de l’histoire moderne : le roi Jean à Poitiers, pour le concours de peinture historique. On juge s’il y avait de quoi exaspérer un homme qui ne comprenait pas les arts en dehors de l’attirail grec ou romain, et qui circonscrivait la peinture historique aux sujets fournis par Homère, Virgile ou Tite-Live.

M. Guerville entra brusquement dans l’atelier, et, déposant sa canne et son chapeau sur la table :

— Voyons, dit-il, montre-moi ce que tu as fait du Tatius ? au moins, c’est un sujet raisonnable que celui-là.

Paul mit sa toile dans un jour favorable, pendant que son oncle essuyait les verres de ses lunettes.

Qu’est-ce que tu nous a peint là ? s’écria l’académicien, après quelques minutes d’examen.

— Mais, mon oncle, c’est Tatius.

— Tatius !… cela ! Tatius n’a jamais eu cette couleur. Voyez plutôt le modèle.

— J’avais cru que la nature…

— Il n’y a pas de nature qui tienne ; quand je vous dis de me faire un Tatius, je ne vous demande pas de peindre la nature.

— Cependant, mon oncle, vous avouerez que le modèle est bien gris, et que mon travail se rapproche davantage de la couleur de la chair.

— Eh ! voilà le mal ; ce n’est pas un Tatius couleur de chair que je vous ai demandé, c’est un Tatius gris. De la chair naturelle on en voit partout, et ce n’est pas la peine d’apprendre à peindre pour imiter ce qui est si commun. Le but de l’art, Monsieur, c’est d’idéaliser la nature, et la nature idéale, c’est le gris. Vous avez beau balancer la tête, vous ne ferez pas changer les préceptes du divin David. Il n’y aura jamais que le gris pour conserver la netteté de la ligne et la pureté des contours. Tenez, voyez ce que vous avez fait avec votre prétendu coloris ! Que sont devenus vos profils ! noyés, perdus dans l’ombre. Et votre ligne ? il n’y en a plus ; tout cela est mêlé, confondu. Les reliefs semblent sortir du tableau, les ombres font des trous à la toile. En un mot, ce n’est pas de l’art, c’est l’imitation servile de la nature. Ah ! Paul, mon ami, si tu suis cette route, tu n’iras jamais à Rome. Notre jeune homme, qui avait pourtant fait de son mieux, et qui avait mème adouci en maint endroit l’éclat de sa verve pour complaire à son oncle, fut tout étourdi en entendant les critiques de l’académicien. Son père lui avait toujours dit qu’il fallait s’inspirer de la nature, son oncle affirmait, au contraire, que la nature était une mauvaise conseillère qu’il fallait fuir comme la peste. Qui croire ? Son père n’était qu’un pauvre peintre de province, pendant que son oncle était devenu une des célébrités de son art, un illustre académicien…. Par goût, il préférait les avis de son père ; par raison, il était tenté d’obéir aux préceptes de son oncle. Cette lutte entre la vocation et l’intérêt devait, comme c’est l’ordinaire chez les natures jeunes et enthousiastes, aboutir au triomphe de la première.

Il en fut ainsi, en effet. Paul continua d’écouter patiemment les théories de son oncle, mais sans les mettre en pratique ; il continua de dessiner et de peindre des Tatius, des Junius Brutus, des Hector et des Léonidas ; mais il le fit avec tant de dégoût que, loin de faire des progrès dans la manière académique, il semblait chaque jour oublier ce qu’il avait appris la veille. Les choses en arrivèrent même à ce point que M. Guerville désespéra tout à fait de l’avenir de son neveu, et lui déclara tout net un beau jour qu’il ne voulait pas perdre plus longtemps ses précieuses leçons pour un si mauvais élève.

— Je vais te renvoyer à ton père, ajouta-t-il ; car, pour faire ce que tu fais, tu serais aussi bien à Caen qu’à Paris.

Cette menace produisit quelque effet sur le jeune homme. Depuis huit mois qu’il habitait la capitale, le séjour de cette ville lui était devenu indispensable. Il avait fait de nombreuses connaissances parmi les artistes ; il fréquentait, sans en rien dire à son oncle, les ateliers des plus célèbres coloristes ; il étudiait du regard leur manière, et, ne pouvant, lui-même mettre la main à l’œuvre, il se nourrissait, du moins, de leurs conversations et du spectacle de leur travail. Il devint ainsi un connaisseur habile, et posséda bientôt toutes les ressources de l’art sans avoir la main faite à les mettre en pratique.

Cette vocation contrariée, cette expansion sans règle et sans but du goût naturel d’un côté, de l’autre ces études sans profit, parce qu’elles étaient faites sans plaisir, ce cercle monotone sans cesse parcouru avec amertume et dégoût, devaient engendrer un effet bizarre et pourtant nécessaire ; ils devaient étouffer chez le jeune homme toutes les facultés actives et productrices de l’artiste et ne lui laisser en partage que les facultés passives en les développant à l’excès, en faire non plus un artiste qui conçoit et exécute, mais un artiste qui reçoit des impressions et les réfléchit. Quand il est riche, un homme de cette espèce est fort heureux : on l’appelle un collectionneur. Quand il est pauvre, c’est une autre affaire ; s’il ne meurt pas à l’hôpital, il devient marchand de bric-à-brac ; souvent même l’un n’empêche pas l’autre.

Paul courait donc beaucoup les ateliers des coloristes ; mais il visitait plus souvent encore les musées publics et les galeries particulières, s’arrêtant toujours de préférence devant les rois de la couleur et préférant parmi ceux-ci les chauds et puissans coloristes des écoles septentrionales, les lumières éclatantes de Rubens, les clartés vives et mystérieuses de Rembrandt. Pour posséder un Rembrandt et un Rubens, il aurait donné sa vie, si la mort n’avait pas dû le séparer de ses idoles chéries.

Ces explorations souvent répétées ne permettaient guère un travail assidu dans l’atelier de la rue Pigale. M. Guerville disait :

— Mon neveu se dérange.

Pauline se disait de son côté :

— Mon cousin ne m’aime pas.

Puis, par une succession d’idées naturelle dans l’esprit d’une jeune fille, elle ajoutait mentalement :

— Peut-être en aime-t-il une autre !

Alors de belles larmes brillaient sous la paupière de Pauline et roulaient sur ses joues comme les gouttes de rosée sur les feuilles de la rose.

Pauline n’avait plus de mère pour deviner ses chagrins, et elle les cachait si bien aux yeux de son père, que celui-ci n’en aurait jamais soupçonné l’existence. Obligée de renfermer dans son cœur le triste secret de ses peines, elle devenait rêveuse et mélancolique ; l’éclat de ses yeux s’éteignait dans les pleurs, et les fraîches couleurs de son visage se voilaient sous la pâleur des veilles. Elle n’était ni moins belle ni moins touchante, et même la douleur en posant la main sur ce jeune front lui avait imprimé un caractère plus grave et plus élevé.

À des regards moins distraits que ceux du jeune homme, ce changement profond qui s’était opéré dans les manières et dans les habitudes de sa cousine aurait été l’indice d’une certaine agitation de l’âme, et il aurait sans doute provoqué des soins et des attentions toutes particulières ; mais Paul était trop absorbé par sa secrète passion pour penser à autre chose. Loin de soupçonner la cause des chagrins de sa cousine, il n’en remarquait pas même les effets. Les doux reproches que Pauline lui adressait quelquefois ne produisaient aucune impression sur lui ; dans les prières qu’elle lui faisait, il ne voyait jamais que les préceptes de son oncle affaiblis, présentés sous une autre forme et tendant au même but, l’adoration du grand Lama de la peinture académique, de David.

La menace fulminée par M. Guerville contre son élève indocile produisit plus d’effet ; elle eut pour résultat de le river, un peu plus solidement que par le passé, à la chaîne de l’atelier. Il reprit ses études antipathiques avec une sorte d’ardeur fébrile qui lui conquit derechef non pas l’affection, il ne l’avait jamais perdue, mais l’estime de son oncle, et celui-ci fut même tellement charmé des progrès de son neveu, qu’il l’autorisa, en manière de récompense, à aller copier au Musée le Combat des Romains et des Sabins.

Quand tu te seras bien pénétré de toutes les beautés de ce chef-d’œuvre, avait dit M. Guerville, tu seras capable de concourir pour le grand prix.

Ce fut avec un vif sentiment de joie que le jeune artiste emporta son chevalet au Louvre. Il s’installa à son aise devant le tableau de David ; puis, lorsqu’il eût pris position, il poussa une reconnaissance dans les autres salles du Musée.

III.

Un mois s’était écoulé depuis le jour où Paul avait planté hardiment sa tente entre les deux camps romain et sabin, et l’académicien, occupé à terminer le portrait d’un grand personnage, n’avait pas eu le temps d’aller surveiller le travail de son neveu.

Un matin, il dit à sa fille :

— Pauline, mon enfant, habille-toi, mets ton chapeau ; Paul ne nous attend pas, nous allons le surprendre.

La jeune fille, bien que rien en apparence ne lui dût être plus agréable qu’une pareille visite, se mit à trembler de tous ses membres, comme si elle eût été frappée d’une triste appréhension.

— Ne croyez-vous pas, mon père, hasarda-t-elle d’une voix timide, qu’il vaudrait mieux l’avertir.

— L’avertir ! pourquoi faire ?

— Mais peut-être son travail n’est-il pas encore assez avancé….

— Depuis un mois qu’il est à la besogne, s’il n’a pas bientôt fini, il n’en finira jamais.

— Nous pourrions attendre à demain.

— Non, je suis fatigué ; j’ai besoin de me reposer un instant, et rien ne me remet plus vite en belle humeur que cet admirable tableau de mon illustre maître. Après cela, si tu ne veux pas venir, reste ; j’irai seul…

— Non, mon père, non, interrompit vivement Pauline ; je vous accompagnerai.

Une demi-heure après, le père et la fille montaient en voiture et se dirigeaient vers le Louvre.

Le chef-d’œuvre de David était alors placé dans la première travée de la grande galerie qui fait suite au salon carré. M. Guerville passa devant l’immense toile de Véronèse sans même lever les yeux, et entra avec sa fille dans la galerie. À peine le regard de Pauline avait-il plongé entre ces deux longues files de cadres, qu’elle sentit ses genoux fléchir et le sang refluer vers son cœur. Elle fit un vaillant effort pour ne point se trouver mal, et, appuyée sur le bras de son père, elle arriva avec lui en chancelant devant le tableau de David.

Deux chevalets étaient dressés en face du cadre, et sur chacun d’eux une toile était posée. L’une de ces toiles était couverte d’une couche de couleur à peu près grise ; une main, tremblante et presque débile, était occupée, en ce moment, à découper sur ce fond monotone les silhouettes de Tatius et de Romulus, à l’aide d’un long pinceau trempé dans le noir le plus pur. L’autre toile était encore vierge de tout contact colorant ; seule, la figure de Tatius avait été esquissée à la hâte au crayon blanc ; elle attendait, le sabre à la main, qu’il plût à son auteur de lui donner un adversaire.

Quant au neveu, les yeux intéressés de Pauline n’avaient pu le découvrir, à plus forte raison ceux de l’honorable académicien.

— Bonjour, père Burichon, dit-il en s’adressant au vieillard qui découpait, avec une si scrupuleuse attention, la teinte grise de sa toile.

Le père Burichon, ainsi que l’avait appelé M. Guerville, redressa la tête, releva ses lunettes sur son front et regarda attentivement son interlocuteur.

— Tiens ! c’est toi Guerville, s’écria le vieux bonhomme. Qu’est-ce que tu viens faire ici ! maintenant que tu es de l’Académie, tu n’as pourtant plus besoin d’étudier le maître !

— Et toi, tu l’étudie toujours ?

— Jusqu’au jour où j’aurai un fauteuil auprès du tien. Ce n’est pas juste, pourtant, j’aurais dû passer avant toi, j’étais ton ancien.

— Bah ! ton tour viendra bientôt.

— Tu crois, fit le vieillard en se rapprochant précipitamment de l’académicien. Ainsi, tu me promets ta voix.

— Nous verrons, mon vieux, nous verrons, quand il y aura une place vacante. En attendant, dis-moi si tu as vu mon neveu.

— Ton neveu ! je ne le connais pas.

— Il n’y a donc pas longtemps que tu peins devant ce tableau.

— Ah ! si, il y a longtemps, fit le vieillard avec un soupir, il y a vingt-cinq ans, j’en suis à ma vingt-deuxième copie.

— Je comprends, tu l’as dessiné tant de fois, que maintenant tu le copies les yeux fermés, voilà pourquoi tu n’a pas vu mon neveu, Paul Dubiez.

— Il se nomme Dubiez, ton neveu ? c’est donc le fils de Dubiez qui était avec nous chez David ?

— Justement.

Oh ! alors c’est bien différent, je ne l’ai pas vu, non, mais je l’ai entrevu….. une fois….. il y a un mois, quand il est venu apporter sa toile.

— Et depuis ?

— Il n’a plus reparu, mais sa toile est toujours là, le gardien l’apporte régulièrement tous les matins.

— Ah ! fit l’académicien stupéfait.

C’est ton élève peut-être ? ajouta le vieillard, avec un sourire de maligne satisfaction ; en voilà un qui ne te fera jamais honneur.

— On ne sait pas, dit Guerville en se pinçant les lèvres.

— C’est tout su, un jeune homme de son âge qui ne peut faire que çà.

Et d’un geste de mépris, le vieux copiste montrait la figure à peine esquissée de Tatius.

Le professeur ne put entendre de sang-froid traiter son élève avec un pareil dédain.

— S’il le voulait, mon vieux, dit-il en se croisant les bras et en agitant la tête, en deux jours il en ferait plus et du meilleur que toi en deux ans.

— Dame, voilà qui le prouve, fit le vieux peintre en ricanant.

— Pourquoi pas ? Combien a-t-il mis de temps pour crayonner cette figure ? cinq minutes au plus, et vois comme elle est bien campée, comme c’est hardi, comme c’est pur, comme c’est exact ! Regarde la tienne, au contraire, combien as-tu passé de mois à la charbonner ? et comme c’est fait ! les yeux de travers, la bouche trop grande, le nez trop petit, le bras droit trop long, l’épaule gauche trop haute, le torse plat comme une sole, les cuisses rondes, les genoux cagneux, les jambes comme des fuseaux, et les pieds comme des nageoires.

— Mon père ! fit Pauline en tirant M. Guerville par le bras.

Aux torrens de cette amère critique, le pauvre vieillard ne savait opposer d’autre digue que son indignation. Il rougissait, il palissait, il balbutiait et se taisait tout à la fois.

— Et cette Hersilie ! à quoi ressemble-t-elle ? est-ce un homme, est-ce une femme ! ses bras sont deux potences et ses jambes dansent une sarabande !….

— Mauvais rapin, s’écria enfin Burichon, en proie à une rage impossible à rendre honte déshonneur de l’école ! souviens-toi donc du mépris que David faisait de toi !

— David ! ne prononce pas le nom de ce maître ; s’il revenait au monde, furieux de se voir ainsi maltraité par des mains profanes, il te traiterait comme Apollon fit de Marsyas, il t’écorcherait vif.

Le vieux bonhomme ne se possédait plus ; il saisit son bâton de Jacob, et le brandissant comme une épée :

— Va-t-en, s’écria-t-il, je ne sais ce qui me retient…… Va-t-en, barbouilleur, marchand de peinture à la toise, tu n’es….. tu n’es….. qu’un…..

Et comme il ne trouvait pas d’injure assez forte pour la jeter à la tête de son adversaire :

Tu n’es….. qu’un… académicien, s’écria-t-il dans une magnifique explosion de colère.

La foule des rapins et des gardiens, que le bruit de la querelle avait attirée dans ce bout de la galerie, partit à ces mots d’un immense éclat de rire. Pauline profita de la confusion générale pour entraîner son père, et tous deux disparurent au milieu des toiles et des chevalets.

Calmée déjà par les propos joyeux des jeunes gens qui l’environnaient, la colère du père Burichon s’apaisa complétement aux instances des gardiens. Le vieil élève de David qui avait de la rancune, se contenta de grommeler entre ses dents des promesses de vengeance ; puis, il reprit sa brosse, et continua, sans autre encombre, sa vingt-deuxième copie du combat des Romains et des Sabins.

IV.

Que faisait notre ami Paul pendant que ces événemens comico-tragiques signalaient la présence de l’honnête académicien devant le tableau du maître ? Suivons l’oncle et sa fille à travers les galeries, et nous allons le savoir.

Pauline entraînait toujours son père ; ils avaient ainsi franchi les écoles française et allemande sans s’arrêter, et la grande collection de Rubens fuyait elle-même à vue d’œil.

— Vous avez été bien cruel pour ce pauvre vieillard, dit Pauline de sa voix la plus douce.

— Que veux-tu, qui s’attaque à l’élève s’en prend au maître.

— Mais un vieux camarade…

— C’est vrai, c’est vrai, j’ai eu tort ; je n’aurais pas dû tenir compte des remarques d’un homme qui n’a jamais su tenir une brosse. Mais pourquoi aussi ce maudit Paul… Ah ! qu’il me tombe sous la main, nous verrons beau jeu… c’est lui qui paiera pour tous, car lui seul est coupable.

Pauline n’avait détourné la colère de son père que pour la faire tomber sur la tête du jeune homme.

— Mon père, dit-elle, il ne faut pas juger sans savoir.

— Comment, je subis une pareille humiliation pour lui, et je devrais encore m’en féliciter ! Pauline, mon enfant, poursuivit le père en s’arrêtant et jetant un regard sévère sur sa fille, tu prends beaucoup trop d’intérêt à ton cousin.

La jeune fille baissa la tête et sentit les sanglots soulever sa poitrine.

M. Guerville avait reprit sa marche, et tous deux arrivaient à quelque distance du fameux portrait de Rembrandt par lui-même, celui qui porte une chaine au cou et la tête nue, un chef-d’œuvre de touche et de coloris.

L’académicien s’arrêta brusquement.

— Tiens ! dit-il, ton beau cousin, veux-tu le voir ? le voilà.

Pauline leva ses yeux humides et le vit en effet, fort occupé à faire la copie de cet admirable portrait.

— Ah ! coquin, continua Guerville, c’est ainsi que tu profites de mes leçons, attends.

Et, avant que Pauline eut pu deviner son dessin, il s’approcha par derrière du jeune homme trop absorbé par son travail pour relever la tête, saisit sur sa boîte à couleur la plus forte brosse qu’il put trouver, et la passa diagonalement à travers la figure presqu’achevée de la copie.

Bondir comme un tigre sur son tabouret et sauter à la gorge de l’académicien, fut pour l’artiste l’affaire d’une seconde ; mais, reconnaissant aussitôt son oncle et sa cousine, il recula d’un pas, et se laissa retomber sur son siége.

— Ah ! mon oncle, dit-il, c’est vous, un artiste, qui avez fait cela !

— Le fait est qu’il a une singulière figure ainsi, ton Rembrandt. Mais ne vas-tu pas me gronder à présent ? Il paraît que les rôles sont changés. Ah ! mon cher neveu, vous perdez votre temps et tout le fruit de mes leçons à faire des magots, et il faudra encore que j’aie du respect pour eux ! nenni. Du reste, à compter d’aujourd’hui, j’abdique l’honneur trop difficile de faire de toi un David ou seulement un Raphaël. Nous resterons bons amis tout de même, mais je ne veux plus semer dans une terre ingrate les divins préceptes de mon art. Je vais écrire à ton père pour lui donner le conseil de te faire teinturier, décorateur d’Opéra, faiseur de caricatures, que sais-je, moi ? Mais, de perdre l’espoir de faire jamais de toi, même… un Burichon. Ah ! continua l’académicien avec un soupir, ce n’est pas toi qui aurais jamais eu l’honneur de peindre une tête dans un tableau du maître…

Paul était attéré ; il craignait le courroux paternel, il tremblait devant la triste perspective de s’en retourner à Caen, lui qui avait mordu au fruit défendu de la couleur, et qui avait entrevu les délices des plus belles collections parisiennes.

— Je vous en prie, mon bon oncle, avant de me condamner, écoutez-moi ; avant d’écrire à mon père, entendez ma justification, dit le jeune artiste d’un ton suppliant.

— Allons, je t’écoute ; je suis curieux de savoir comment tu vas te justifier d’avoir copié un Rembrandt, lorsque je t’envoie copier un David !

— Rien n’est plus simple, mon bon oncle. Le jour de mon installation au Musée, je voulus revoir ce portrait que j’aime tant, et, à force de le regarder, il me vint l’envie d’en faire une copie pour moi. Je voulus d’abord n’y consacrer qu’une heure par jour ; j’achetai une toile, un second chevalet et je me mis à la besogne ; mais tel fut le plaisir que j’éprouvai, que je ne pus m’en arracher avant d’avoir terminé ma copie. Ce fut fait en deux jours. Je m’apprêtais à emporter mon travail et à le suspendre triomphalement dans ma chambre, lorsqu’un petit vieux, qui avait rodé toute la journée autour de moi, s’approche : — Voulez-vous me vendre cette copie, me dit-il ? — Telle n’est pas mon intention, répliquai-je. — Je vous en donne cent francs, continua-t-il. — Cent francs, c’était un trésor pour moi ; avec cent francs, je pouvais acheter quelque bonne gravure du maître que j’avais lorgnée en passant chez un marchand de la place du Musée. Je donnai mon tableau, et le petit vieux me mit dans la main cinq pièces d’or. J’allais courir chez le marchand de la place du Musée, lorsque le petit vieillard me retint par le bras. — Voulez-vous, me dit-il avec beaucoup de politesse, me faire sans désemparer neuf autres copies du même tableau ; si elles valent celle-ci je vous les paierai le mème prix. — Mille francs à gagner comme cela, tout de suite, qu’auriez-vous fait, mon oncle ?

— Parbleu ! la belle question, j’aurais accepté le marché, sauf à maudire après cela le moyen par lequel j’aurais gagné cet argent.

— Eh bien ! mon oncle, c’est ce que j’ai fait en tous points, si j’en excepte le dernier.

— Et sais-tu le nom de cet indigne propagateur des mauvaises doctrines ?

— Ma foi non, je n’ai pas pensé à le lui demander. Tous les jours, vers trois heures, il vient voir où en est mon travail ; quand une copie est terminée, il la paie et l’emporte sans rien dire.

— Et que fais-tu de ton argent ?

— Oh ! pour cela, mon bon oncle, vous pouvez bien le penser ; je le destine à acheter un original.

— Un original !… de qui ?

— Du maître, de Rembrandt.

— Sur ma parole, tu es fou, mon enfant. Au lieu de placer bel et bien cet argent ou du moins de l’employer convenablement à l’acquisition d’un bon tableau qui puisse te servir de modèle, un morceau de David ou de son école, tu songes à le jeter ainsi par la fenêtre.

— J’ai fait mieux que d’y songer, mon oncle, j’ai mis mon projet à exécution, j’ai acheté pour mille francs à un peintre qui avait besoin d’argent, un beau petit Rembrandt sur lequel j’ai déjà donné cinq cents francs à-compte.

— Tu as donc déjà fait cinq copies de ce tableau ?.

— J’en ai fait neuf, et voilà la dixième que vous venez de mettre en si piteux état. Permettez que je répare le mal ; j’ai promis de livrer cette dernière copie aujourd’hui, et grâce à vous je crains d’être en retard.

En parlant ainsi, Paul reprit sans façon sa palette et son pinceau, et, tournant le dos à son oncle, il attaqua vaillamment la balafre dont M. Guerville avait gratifié le beau visage du maître hollandais. Heureusement la brosse dont avait fait usage l’académicien était sèche et elle n’avait fait que brouiller un peu les teintes fraîches de l’habile copiste.

M. Guerville eut presqu’un remords d’avoir si légèrement porté la main sur l’œuvre de son neveu, lorsqu’il sut le profit que celui-ci en tirait, mais il dut se consoler bien vite quand il le vit refaire en quelques minutes ce que lui-même avait défait en une seconde.

— Si tu mettais seulement la moitié autant d’ardeur quand tu copies David, en moins d’un an, tu serais de force à enlever le prix de Rome. Allons, achève ton magot puisqu’il est commencé. Nous, poursuivons notre promenade ; tout-à-l’heure, nous viendrons te reprendre.

M. Guerville continua sa rapide inspection de la galerie, entraînant avec lui Pauline qui aurait mieux aimé sans doute rester auprès de son cousin.

Pendant ce temps-là, notre jeune homme travailla avec tant de verve, qu’en moins d’une demi-heure il eut terminé sa dixième et dernière copie.

À peine était-elle achevée, que le petit vieillard arriva. Il avait l’air défait, et son attitude était moins triomphante que de coutume ; mais, Paul n’y fit pas mème attention.

— Vous avez fini ? demanda le vieillard d’un ton brusque.

— Voilà votre dixième toile, répondit Paul ; vous convient-elle ? Le vieux bonhomme regarda attentivement le tableau pendant quelques minutes, sans que son visage trahit la moindre impression agréable ou fâcheuse, puis il tira de sa poche cinq louis qu’il remit à l’artiste sans ajouter un seul mot.

— Avez-vous encore besoin de mes services, demanda celui-ci ?

Le vieillard fit un signe affirmatif.

— Voulez-vous que je vous fasse aux mêmes conditions dix copies du Tobie et sa famille qui est là bas ? C’est encore plus beau que ce portrait, mais c’est plus difficile à imiter.

— Non, nous verrons plus tard ; pour le moment, j’ai autre chose à vous demander.

— Je suis tout à vos ordres, dit Paul, qui commençait à prendre goût aux pièces d’or.

— Bien. Vous connaissez le Combat des Romains et des Sabins ?

— De David, ajouta le jeune artiste, qui sentit à ces mots un frisson courir par tout son corps. Vous voulez que je vous en fasse une copie ?

Le vieillard remua la tête de haut en bas avec un sourire qui signifiait : Vous m’avez compris.

— Non, fit Paul, ne comptez pas sur moi pour cela.

— Je vous donnerai autant pour ce tableau que pour les dix que vous venez de faire.

— Vous le couvririez d’or que je ne le ferais pas. Oui, oui, Tatius à droite, Romulus à gauche, Hersilie au milieu et des enfants qui roulent entre leurs jambes ; je connais cela, j’en ai assez.

Le petit vieillard parut fort déconfit à cette déclaration aussi claire que positive. Il étudia un instant la physionomie du jeune artiste pour voir si elle ne trahissait pas un regret, et comme il vit qu’elle n’exprimait rien qui lui fut favorable, il prit sa toile et s’apprêta à s’éloigner.

— Un moment, monsieur le traitre, s’écria derrière lui une voix connue.

Le vieillard s’arrêta subitement comme s’il eût été frappé de la foudre.

— Qu’est-ce que vous tenez-là à la main ? continua ironiquement Guerville, car c’était lui ; — voyons, montre-nous donc ce chef-d’œuvre… Ah ! ah ! monsieur le futur académicien, c’est ainsi que vous encouragez les mauvaises tendances de nos élèves.

Le petit vieillard, qui n’était autre lui-même que Burichon, devint pâle de colère ; mais, surpris en flagrant délit de lèse-école, il n’osa proférer une parole. Guerville vit sa confusion et eut pitié de lui.

— Allons, dit-il, je te pardonne, mais à une condition : c’est que tu me pardonneras aussi ma vivacité de tantôt ; j’ai eu tort et ma fille te dira combien je l’ai regretté.

En parlant ainsi, l’académicien tendait la main à son ancien camarade ; mais celui-ci, soit qu’il gardàt rancune de la querelle, soit plutôt encore qu’il supportàt péniblement la pensée d’avoir été surpris achetant des copies de Rembrandt, hésitait à répondre à l’avance que lui faisait Guerville.

— Eh bien ! continua celui-ci d’un ton brusque, mais plein de cordialité, est-ce que tu vas faire l’enfant avec moi ?

Et, lui prenant la main presque de vive force, il la lui secoua de manière à lui désarticuler les os.

— À la bonne heure ! reprit-il ; maintenant que la paix est faite, tu dînes avec nous.

Burichon voulut s’en défendre ; mais Guerville faillit se fâcher.

Pendant ce temps-là, Pauline et son cousin étaient restés les spectateurs muets de cette scène. Pour des raisons différentes, ni l’un ni l’autre n’y comprenaient rien. Ce fut encore l’académicien qui se chargea d’éclaircir le mystère.

— Ah ! ça, non cher, dit-il à Burichon, depuis quand fais-tu exécuter tes copies par d’autres ?

— Tu vois bien que c’est du Rembrandt, fit simplement celui-ci.

Il devait paraître tout naturel aux yeux de M. Guerville qu’un élève de David ne voulût pas souiller son pinceau à copier des tableaux flamands ou hollandais.

— Je comprends bien, dit l’académicien ; mais je ne puis deviner pourquoi tu as eu besoin de dix copies de ce magot-là.

— Que veux-tu ? répliqua le petit vieillard, tout le monde n’a pas comme toi le bonheur d’être académicien et d’avoir une réputation. Mon pinceau ne me donnait pas de quoi vivre : je me suis fait marchand.

— Un élève de David ! fit Guerville en joignant les mains et levant les yeux au ciel. Enfin, j’aime encore mieux te retrouver marchand de tableaux que de te voir, comme mon coquin de neveu, faire des copies de Rembrandt ; dix copies en un mois, mon cher Burichon ! et quelles copies ! des copies dont toi-même tu donnes cent francs. Eh bien ! quand je te le disais tantôt, que mon neveu, s’il le voulait, en ferait plus et du meilleur en deux jours que toi en deux ans !

— Oh ! ça, pour ce qui est de l’habileté, je l’accorde, il est plus fort que moi ; mais, pour la pureté du dessin, pour la fermeté des contours, enfin pour tout ce qui constitue une véritable peinture, le jeune homme a encore beaucoup à apprendre.

— Ceci est une vérité, et j’ose dire que, s’il n’étudie pas la manière du divin David, il n’aura jamais, comme moi, l’honneur de peindre une figure dans un tableau maître. Tu te souviens, Burichon, de cet enfant de chœur dans le tableau du Sacre ? Vous ai-je raconté cette histoire, mon neveu ?

— Oui, mon oncle.

— C’était une figure que le divin David avait recommencée cinq fois sans la réussir. Enfin, un jour je remarquai qu’il avait passé l’éponge sur son travail, et qu’ensuite il avait pris son chapeau, sa canne, et était allé se promener. Alors…

Pendant que M. Guerville continuait son récit favori, le vieillard tira Paul à part.

— Mon jeune ami, dit-il, venez me voir demain matin ; voici mon adresse ; mais surtout, pas un mot à votre oncle.

— J’irai, dit le jeune homme.

— Eh bien ? Burichon, qu’est-ce que tu dis donc à mon neveu ? interrompit l’académicien ; tu l’empêches d’écouter mes leçons. Je disais donc qu’à force de chercher j’étais parvenu à modeler une tête pleine de finesse et de sérénité…

— Je connais l’histoire, dit Burichon, et je vais m’habiller.

— C’est à six heures que nous dînons ; sois exact. — La sérénité, mon neveu, est une expression très-difficile à rendre, parce qu’elle ne modifie pas la régularité des traits. J’avais réussi au-dela de toutes mes espérances. Cependant, j’allais effacer ma figure, quand j’entendis du bruit…

— On ferme ! on ferme ! crièrent les gardiens de tous côtés.

— Viens, Paul, je te conterai la fin chemin faisant.

Pour la vingtième fois peut-être, le jeune homme dut subir l’anecdote jusqu’au bout.

V.

Le lendemain, aussitôt qu’il fut levé, Paul se rendit chez Burichon.

L’appartement que celui-ci occupait dans la rue Coquenard était littéralement encombré de tableaux vieux et modernes. Il y en avait sur les murailles, il y en avait au plafond, à droite, à gauche, sur les meubles, sous les meubles et même par terre. On pénétrait à grand peine dans l’antichambre entre deux lignes de cadres dédorés ; de là on passait au salon, qui présentait l’aspect le plus étrange ; faute d’espace pour les suspendre on avait dressé les toiles les unes contre les autres, comme des livres dans les rayons d’une bibliothèque ; au plafond étaient attachées des cordes qui soutenaient une espèce de treillis en bois sur lequel d’autres toiles étaient empilées, si bien qu’il eût été impossible à un homme de grande taille de se tenir debout. De meubles, on n’en voyait pas, sauf une chaise sur laquelle Burichon faisait asseoir ceux qui venaient le visiter.

La chambre à coucher était disposée de la même manière, et toutefois c’était, à cause du lit qui pouvait servir de siége à deux personnes au moins, la pièce la plus habitable de l’appartement.

Ce fut là que Burichon introduisi : Paul ; c’était là aussi qu’il retirait ses plus précieux morceaux.

En entrant dans ce sanctuaire du bric-à-brac, notre jeune amateur avait été saisi à la gorge par un parfum de vieilles toiles qui le fit tressaillir d’aise ; mais, hélas ! il eut bientôt la douleur de constater que si l’encens brûlait sur ces autels, le dieu était absent.

— Je vous ai prié de venir me voir, dit le petit vieillard, afin de vous initier à tous les secrets de notre belle profession. Vous ne ferez Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/260 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/261 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/262 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/263 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/264 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/265 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/266 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/267 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/268 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/269 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/270 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/271 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/272 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/273 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/274 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/275 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/276 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/277 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/278 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/279 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/280 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/281 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/282 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/283 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/284 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/285 Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/286