La grande Trouille !
La grande Trouille !

Nom de dieu, mince de trouille qui pend au cul des jean-foutre de la haute !
Depuis huit jours, les sales bougres ne dorment plus leur saoûl : ils ont le trac de sauter, — comme une merde qu’ils sont.
Voici d’où vient leur taf : à Soisy-sous-Etiolles, un patelin de Seine-et-Oise, on a chapardé dans une poudrière de carrière 380 cartouches de dynamite, — quelque chose comme 35 kilos : un joli petit tas, nom de dieu !
Y a une dizaine de jours que le coup a été fait : « qué qui l’a fait ?… » se sont demandé les grosses légumes.
Oh, mille bombes, ils n’ont pas cherché longtemps ! En moins de quinze jours, ils ont accouché du raisonnement suivant : « Sûr, c’est des zigues d’attaque qui ont barbotté cette dynamite. Ils doivent avoir dans le ciboulot l’idée de faire danser l’ambassade d’Espagne, afin de venger un tantinet les quatre anarchos de Xerès… Autre chose, le 1er Mai s’amène, et comme les gas ont besoin de munitions, ils ont trouvé tout simple d’en paumer au bon coin… »
Après s’être fendu d’une telle ruminade, y avait pas à batifoler : « Quelle veine ! que s’est dit Constans-le-Massacreur. Ça ne pouvait pas mieux tomber : illico, faut perquisitionner chez tous les anarchos dont j’ai l’adresse. »
Ce qu’il jubilait le bandit !
Songez donc, il n’est plus ministre : on lui a foutu ses huit jours ; il fait le métier en attendant que Sa Jean Foutrerie Carnot lui ait dégotté un remplaçant.
Or donc, en faisant du zèle, Constans prouve qu’il est un mossieu mariole, il se rend indispensable, et Sa Jean Foutrerie sera obligé de le laisser en place.
Mille tonnerres, on peut quasiment dire que le truc de Constans a réussi : il a foutu deux douzaines de quarts d’œil en campagne, et pendant deux jours ces sales birbes trimballant à leur suite une chieuse de roussins, n’ont fait que perquisitionner de droite et de gauche.
Turellement, les salopiauds ont poussé une petite visite à la turne du Père Peinard, rue d’Orsel, ainsi qu’à la Révolte, rue Mouff.
Faut-il qu’ils soient daims, ces couillons-là ! Pas besoin de dire que dans les deux coins, ils ont juste trouvé peau de balle et balai de crin.
Maintenant, je vas citer à queue leu-leu quelques-uns des copains qui ont eu la déveine de recevoir, juste à six heures du matin, la visite des roussins : Y a Constant Martin et Duprat, rue Jocquelet ; Lucas, à Belleville ; à Saint-Denis, Alkran, Bouteville, Pauwels, Bastard, Plock. À Clichy, Ferrière et les frères Estièvent. À Levallois, Marchand. Et chez bien d’autres gas, nom de dieu, dont les quotidiens ne donnent pas les noms.
Chez tous ceux-là, les roussins ont trouvé du vent.
Mais, nom de dieu, à les en croire, y a deux endroits où ils ont été plus bidards : primo, à Asnières, dans un local où se réunissait un groupe ; sous un tas de charbon, ils ont chauffé une quinzaine de cartouches de dynamite. Bordier, le bon bougre qui avait loué le local, a été entoilé.
Deuxième, dans le cinquième arrondissement, chez Chalbret, ils ont trouvé une cinquantaine de cartouches et des mèches.
Hé, nom de dieu, chouetto suifard !
Les richards et les gouvernants sont sauvés : ils peuvent à nouveau roupiller sans crainte, et se foutre les deux plats à barbe sur l’oreiller.
Pour ce qui est de Constans, le voilà recalé. Il va être ministre à perpète…… tout au moins jusqu’au jour où Carnot lui cèdera sa chaise à goguenot.
Turellement, le populo est à la noce, lui aussi ! Les loupiots ont des ripatons aux pattes ; le bricheton ne vaut plus que deux sous la livre ; les patrons turbulent pour leurs ouvriers ; les députés ne sont plus crapules…
Pas besoin d’ajouter que le 1er Mai se passera tout doux…
Et tout ça, nom de dieu, à cause qu’on a chauffé chez deux anarchos quelques morceaux de dynamite !