La Visite du tsar Pierre le Grand en 1717

La visite du tsar Pierre le Grand en 1717 d’après des documens nouveaux [1]
Comte d’Haussonville

Revue des Deux Mondes tome 137, 1896


A VISITE
DU
TSAR PIERRE LE GRAND EN 1717[2]
D'APRES DES DOCUMENS NOUVEAUX


I

Lorsque, au mois d’avril 1717, par l’intermédiaire de Châteauneuf, notre ambassadeur à la Haye, le Tsar Pierre le Grand informait le Régent de son désir de visiter Paris, il ne faisait que donner suite à un dessein conçu dix-neuf années auparavant. En 1698, lors de son premier séjour en Hollande, il avait fait sonder Louis XIV à ce sujet, et « il fut mortifié, ajoute Saint-Simon, de ce que le roi déclina honnêtement sa visite, dont il ne voulut point s’embarrasser. »

Le majestueux monarque craignait sans doute quelque manque à l’étiquette de la part d’un souverain encore peu façonné au cérémonial des cours, ou qui, plutôt, semblait se faire un jeu de le braver. Pour témoigner aux ambassadeurs de Guillaume d’Orange sa mauvaise humeur de leur arrivée tardive, ne s’était-il pas avisé naguère de ne vouloir leur donner audience qu’à bord d’un vaisseau hollandais, et dans la grande hune, où il les reçut du reste avec beaucoup de majesté, sauf à rire de la frayeur qu’ils avaient témoignée en montant aux échelles de cordes. Mais en 1717, Pierre Ier n’était plus un souverain dont la visite pût être déclinée honnêtement. En quelques années, son robuste génie avait façonné, en quelque sorte à coups de cognée, un empire encore naissant, à la solidité duquel l’opinion européenne n’avait guère cru d’abord, mais dont elle commençait à pressentir confusément les grandes destinées. « Je serai succinct, a dit Saint-Simon, sur un prince si grand et si connu, et qui le sera sans doute de la postérité la plus reculée pour avoir rendu redoutable à l’Europe et mêlé nécessairement à l’avenir dans toutes les affaires de cette partie du monde une cour qui n’en avait jamais été une, et une nation entièrement ignorée. » L’avenir a donné singulièrement raison aux prévisions de Saint-Simon, et le duc d’Orléans avait l’esprit trop pénétrant pour n’y pas lire aussi bien que lui. Aussi n’eut-il garde de décliner la visite annoncée, bien que cette visite soulevât quelques questions délicates.

Le Tsar entendait garder l’incognito. Dans la première dépêche où il est question de son arrivée[3] il est désigné « comme une personne de distinction qui paraît vouloir rester incognito, mais que Son Altesse Royale veut traiter avec toute la distinction et tous les égards qui peuvent marquer beaucoup de considération de sa part, sans cependant lui rendre les honneurs que lui-même paraît ne vouloir pas recevoir pour éviter les embarras du cérémonial ». Mais quels étaient les honneurs que Sa Majesté tsarienne, comme on l’appelait alors, voudrait et ceux qu’elle ne voudrait pas recevoir ? La question était embarrassante. Desgranges, qui faisait depuis vingt-cinq ans fonction de maître des cérémonies, s’en préoccupait fort. Il en était de même du Corps de ville de Paris (nous dirions aujourd’hui le Conseil municipal), qui, plein de bonne volonté, demandait s’il devait aller au-devant du Tsar et lui porter les présens ordinaires, lesquels présens consistaient « en douze douzaines de boîtes de confitures et autant de flambeaux de cire[4]. »

Pour résoudre toutes ces questions, le Régent ne crut pouvoir mieux faire que d’envoyer à Dunkerque (car le Tsar pour venir de Hollande avait choisi la voie de mer) le sieur de Liboy, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roy. Liboy était porteur d’instructions très détaillées, mais qui roulaient uniquement sur des questions d’étiquette[5]. Il fut ainsi le premier Français qui eut l’honneur d’être présenté au Tsar, et ses lettres, qui sont demeurées inédites, au moins en France, — car elles n’ont point échappé aux intelligentes investigations des membres de la Société Impériale d’Histoire de Russie[6], — contiennent, sur l’arrivée et le séjour de Pierre Ier à Dunkerque, de curieux détails. Nous leur emprunterons ce portrait[7] :

« Le Czar est de la plus grande taille, un peu courbé et la teste penchée à l’ordinaire. Il est noir et a quelque chose de farouche dans la physionomie. Il paroit avoir l’esprit vif et la conception aisée, avec une sorte de grandeur dans les manières, mais peu soutenue. Il est mélancolique et distrait, quoique accessible et souvent familier. On dit qu’il est robuste et capable de travail de corps et d’esprit. »

Dès les premiers entretiens, il fut évident que Sa Majesté Tsarienne désirait, autant que cela serait possible, échapper au cérémonial. « Il demande, écrivait Liboy, que le Roi veuille le faire loger dans une maison particulière qui soit convenable. Il veut éviter les maisons royales. » De même, il ne voulut pas des voitures « honnestes et propres » qui avaient été préparées pour lui, mais qui étaient de lourdes berlines. Il demanda que ces voitures fussent remplacées par cinq chaises à deux roues et à deux places, de simples cabriolets, et que les relais fussent disposés de façon à gagner Paris en quatre jours. La nécessité d’attendre ces chaises le fit prolonger son séjour à Dunkerque. Une journée y fut employée par lui (c’est Liboy qui parle) à prendre médecine, les trois autres à visiter en détail, — car le Tsar avait la passion des choses maritimes, — le port, le bassin et les magasins de Dunkerque. Il fut si satisfait de sa visite qu’il demanda si l’on ne pourrait pas trouver un officier de marine, parlant le hollandais, qu’on attacherait à sa personne. Ainsi fut fait.

Liboy, cependant, avait profité de ces quatre jours pour adresser à Paris quelques renseignemens sur les habitudes de Pierre Ier[8] : « Le Czar se lève matin, dîne vers les dix heures, soupe vers les sept et se retire avant neuf. Il boit des liqueurs avant les repas, de la bière et du vin l’après-midi, soupe peu et quelquefois point du tout, et se couche avant neuf. Il mange de tous nos mets et boit de nos vins, hormis le Champagne. Les seigneurs aiment ce qui est bon et s’y connaissent. » « Je ne suis point encore parvenu à m’apercevoir, ajoutait-il, d’une espèce de conseil ou de conférence d’affaires sérieuses, à moins qu’on en ait traité en gobelottant. » Aussi attribuait-il le voyage du Tsar uniquement à la curiosité et à une inquiétude naturelle.

Liboy se trompait, comme on va le voir ; mais il ne s’en était pas moins fort bien acquitté de cette première mission. Le Régent crut cependant, pour faire plus d’honneur au Tsar, devoir envoyer au-devant de lui jusqu’à Calais le marquis de Mailly-Nesle, gentilhomme « dont la naissance et le mérite étaient également distingués », disait sa lettre d’introduction. Mais celui-ci eut moins de succès que Liboy. Il paraît s’être proposé le singulier dessein d’éblouir ces hôtes encore un peu agrestes de la France par l’élégance de sa toilette. Il changeait d’habit chaque jour. Tant de recherche ne lui valut qu’un sarcasme : « En vérité, dit le Tsar, je plains M. de Nesle d’avoir un si mauvais tailleur qu’il ne puisse trouver un habit fait à sa guise. »

Pierre le Grand ne perdait point de temps à changer de toilette en route. Il n’avait qu’une idée : arriver le plus rapidement possible à Paris, et il brûlait les étapes, au risque de causer parfois certains mécomptes. « Vous aurez peut-être de la peine à croire, écrivait d’Amiens l’intendant M. de Bernago[9], que le Czar a passé hier dans cette ville sans que j’aie eu l’honneur de le voir. Nous l’attendions à l’évêché avec M. le marquis de Nesle et M. de Liboy, parce qu’il ne trouve pas bon qu’on aille au-devant de lui et nous comptions du moins qu’il viendrait prendre un rafraîchissement et son relais, quand on vint nous dire qu’il avait envoyé chercher les chevaux par son courrier et qu’étant monté dans mon carrosse à la porte de la ville, il l’avait déjà traversée en diligence sans vouloir s’arrêter ni voir personne. » M. de Bernage ajoutait en post-scriptum : « Il ne sera pas impossible que M. l’évêque d’Amiens fasse un peu de plaintes, car, pour ne pas perdre mon étalage, je priai les dames à venir manger le souper du Czar à l’évêché, et Mme de Bernage donna un grand bal dans le palais épiscopal dont ce prélat m’avait laissé maître. »

Même déception à Beauvais où l’évêque-comte l’attendait à coucher. « J’avais, écrivait l’évêque avec mélancolie, rendu ma maison, qui n’est pas magnifique, le plus commode que j’avais pu pour loger le Tsar et une partie de sa suite. Je lui préparais un concert de voix et d’instrumens, et une illumination avec feu d’artifice. Il aurait trouvé ses armes en plusieurs endroits de sa maison et, dans la chambre où je croyais qu’il devait coucher, les portraits des grands-ducs de Moscovie, père et mère du Czar. Mais tous ces préparatifs, et tous ceux que j’avais tâché de faire pour lui donner à mangeront été inutiles. » En effet le Tsar, redoutant l’affluence du peuple qui commençait à se presser sur son passage, ne voulut même pas entrer dans Beauvais, et il préféra s’arrêter dans un méchant village, où lui et sa suite dînèrent au cabaret pour dix-huit francs[10]. Comme on lui avait fait observer à l’avance qu’il ferait mauvaise chère dans ce cabaret : « Je suis un soldat, aurait-il répondu. Pourvu que je trouve du pain et de la bière, je suis content. »

Le Tsar approchait rapidement de Paris, lorsque, à Beaumont, sa dernière étape, il rencontra le comte de Tessé que le Régent envoyait pour lui faire compliment, et qui devait être attaché à sa personne pendant toute la durée de son séjour. Le choix était des plus heureux. Tessé n’était pas seulement un maréchal de France, un homme de beaucoup d’esprit et de fort bonne compagnie. Il avait été mêlé sous le règne précédent à beaucoup de grandes affaires dont il s’était tiré à son honneur. C’était lui en particulier qui, en 1696, avait réussi à détacher le duc de Savoie de la ligue d’Augsbourg, et dans ses relations avec ce prince difficile il s’était montré négociateur fort habile. Depuis la mort du souverain qu’il avait servi avec beaucoup de dévouement, il vivait dans une demi-retraite, partageant son temps entre une petite maison de campagne qu’il possédait aux Camaldules, près de Grosbois, et un appartement aux Incurables. Mais la retraite n’était pas beaucoup son affaire, et il ne lui fallut qu’un signe pour venir reprendre son ancien rôle. Des Français un peu infatués de la splendeur de leur capitale pouvaient seuls en effet croire, comme Liboy, que la curiosité et le désir d’admirer Paris étaient l’unique mobile qui avait poussé Pierre Ier à entreprendre ce voyage. L’habile souverain poursuivait au contraire un but parfaitement déterminé qu’un rapide coup d’œil jeté sur l’état de l’Europe fera comprendre.

Depuis l’année 1713 les traités de Westphalie, qui formaient depuis plus d’un demi-siècle le droit public européen, avaient été remplacés par les traités d’Utrecht et de Bade. Ces traités avaient mis un terme à la longue guerre de la Succession d’Espagne, et créé au point de vue diplomatique et territorial un nouvel état de choses. L’Autriche ne les avait subis qu’avec impatience, et ne demandait qu’un prétexte pour les remettre en question. L’Espagne elle-même, qui n’en avait pas tiré tous les avantages qu’elle en espérait, ne les acceptait qu’à contre-cœur. Au contraire, les autres États de l’Europe, et en particulier la France, épuisée par la longue lutte qu’elle avait soutenue, voulaient sincèrement la paix. De là un nouveau groupement des forces : d’un côté la triple alliance, c’est ainsi que, depuis le traité tout récent de la Haye, on appelait l’union de la France, de l’Angleterre et de la Hollande. En face l’Autriche affaiblie, mais encore redoutable ; à côté d’elle deux puissances secondaires : l’une, la Prusse, un peu nouvelle venue dans le monde européen, remuante, ambitieuse, qui s’était rangée du côté de l’Autriche dans la guerre de la Succession d’Espagne ; de l’autre, la Suède, vieille alliée de la France depuis Richelieu, encore unie à elle par un traité qui lui assurait un subside de 600 000 écus par an, mais engagée depuis plusieurs années, par l’aventureux Charles XII, dans une guerre funeste et non encore terminée où la Russie lui avait enlevé toutes ses provinces baltiques. Enfin, au loin, sortant à peine de ses steppes et de ses forêts sauvages, la Russie.

Si la Russie, qui jusque-là n’avait paru songer qu’à ses propres affaires, intervenait dans celles de l’Europe, de quel côté se rangerait-elle ? Qu’elle se rangeât du côté de l’Autriche, qu’elle entraînât avec elle la Prusse, son alliée dans la guerre suédoise ; et, en face de la coalition anglo-franco-hollandaise, pouvait se dresser une coalition austro-prusso-russe qui la contre-balancerait exactement. Les traités d’Utrecht et de Bade, et par conséquent la paix de l’Europe, risquaient d’être remis en question, ce qui était contraire à la politique de la France.

D’un autre côté, la Russie, dont les récentes conquêtes sur la Suède n’avaient jamais été reconnues, ni ratifiées par aucun traité, qui toujours isolée n’avait jamais fait partie du concert européen, avait intérêt à tenir de quelque instrument solennel la ratification de ces conquêtes, et à entrer dans ce concert. « Toutefois, comme l’a très bien dit un des hommes qui ont étudié de plus près, dans le passé, les rapports de la France et de la Russie, M. Albert Vandal[11], le Tsar ne pouvait espérer prendre place dans ce concert et s’y faire écouter qu’à la condition d’être présenté par un ami considérable qui lui servirait de répondant… Il fallait à la Russie l’appui d’une de ces vieilles monarchies qui, grâce à l’ancienneté autant qu’à l’éclat de leur puissance, marchaient à la tête des nations. Il n’aimait point l’Angleterre et ne connaissait pas l’Espagne : restait la France. »

La France et la Russie avaient donc même intérêt, et personne ne doutait en Europe que le voyage de Pierre le Grand ne cachât quelque dessein diplomatique[12]. Chacun se demandait dans quel plateau de la balance il jetterait, le cas échéant, le poids de sa puissante épée. L’Angleterre et l’Autriche suivaient ses pas avec une égale anxiété. Mais la pensée du Tsar semblait encore enveloppée d’un certain mystère. Esprit sagace et délié, Tessé était propre autant qu’homme du monde à percer ce mystère, et il devait s’y employer utilement.

Le Tsar arriva à Paris le 7 mai à neuf heures du soir. Il avait préféré cette heure tardive pour échapper à la curiosité. Mais il n’en trouva pas moins la rue Saint-Denis et la rue Saint-Honoré illuminées, avec force gens aux fenêtres ou sur son passage. Afin qu’il pût choisir, on avait préparé pour lui deux appartemens : l’un au Louvre, l’autre à l’hôtel de Lesdiguières. Il visita d’abord celui du Louvre. Il le trouva trop magnifiquement tendu et éclairé, et préféra l’hôtel de Lesdiguières. Déjà, en cours de route, on avait pu remarquer son goût pour la simplicité. Dans les appartemens qui étaient préparés pour le recevoir, il choisissait toujours la pièce de derrière. Il fit de même à l’hôtel de Lesdiguières, où il fit tendre son lit de camp dans une garde-robe.

Le lendemain de son arrivée il reçut la visite du Régent. Il sortit de son cabinet, fit quelques pas au-devant de lui, l’embrassa, disent les récits du temps, avec un grand air de supériorité, et se retournant, rentra dans son cabinet, suivi par le Régent « qu’il semblait mener en laisse ». Ils s’assirent sur deux fauteuils, le Tsar prenant celui du haut bout. La conversation entre eux dura une heure, mais sans qu’il y fût parlé d’affaires ; le prince Kourakin servait d’interprète.

Le 11 mai, le Tsar reçut la visite du petit Roi qui avait 7 ans. Le cérémonial avait été soigneusement réglé. Le Tsar descendit recevoir le Roi à la porte de son carrosse, et tous deux marchant de front se rendirent jusqu’à la chambre du Tsar, où ils s’assirent sur deux fauteuils égaux. Le Roi lui débita un fort joli compliment qu’on lui avait fait apprendre par cœur. Au lieu de lui répondre, le Tsar le prit brusquement dans ses bras et, l’élevant à la hauteur de son visage, l’embrassa à plusieurs reprises, ce qui n’était nullement prévu par le cérémonial. On craignit un instant que le petit Roi ne prît peur ; mais, bien qu’un peu surpris, il fit bonne contenance, et la conversation, soutenue surtout par le duc du Maine et le maréchal de Villeroy, dura fort agréablement un quart d’heure.

Le lendemain le Tsar rendit sa visite au Roi, et fut tout surpris, car c’était la première fois qu’il sortait, de la foule qu’il trouva sur son passage. Le Roi devait le recevoir à la descente de son carrosse. Mais aussitôt que le Tsar l’aperçut sous le vestibule des Tuileries marchant vers lui, il sauta de son carrosse, courut au-devant du Roi, le prit dans ses bras et monta ainsi l’escalier. Ces brusqueries, un peu voulues peut-être, n’étaient pas sans grâce, et on fut fort touché à la Cour de la prédilection et de la tendresse que, durant toute la durée de son séjour, Pierre le Grand témoigna au jeune Roi.

Ces devoirs de cérémonie remplis, commença pour le Tsar cette vie sans trêve de visites officielles aux monumens publics qu’il est de tradition d’imposer aux souverains de passage à Paris et qu’ils subissent avec une inlassable bonne grâce. Le jour même de sa réception aux Tuileries il avait visité dès 8 heures du matin, la place Royale, la place des Victoires, la place Vendôme. Le 12 mai on le conduisit à l’Observatoire, aux Gobelins, au Jardin du Roi ; le 14 à la grande galerie du Louvre où on lui montra le plan des villes fortifiées ; le 16 aux Invalides où il goûta la soupe des soldats, but à leur santé, et, après avoir tâté le pouls à l’un d’eux qu’on tenait pour perdu, lui prédit qu’il en reviendrait (pronostic qui se vérifia) ; le 17 à Saint-Cloud ; le 18 à Issy ; le 21 au Luxembourg ; le 23 à Meudon ; le 24 aux Tuileries ; le 25 à Versailles ; le 26 à Marly. Et cela sans compter les plaisirs du soir : dîner à Saint-Cloud chez le Régent et représentation de gala à l’Opéra, au cours de laquelle, ayant eu soif, il demanda un verre de bière que le Régent lui offrit avec grand respect sur une soucoupe.

Pierre le Grand parut prendre beaucoup d’intérêt à ces visites, surtout à celles qu’il fit aux établissemens scientifiques. Il y trouvait l’occasion d’une foule de questions qui montraient l’étendue de ses connaissances, et sur tous ceux qui l’approchaient il produisait une impression singulière. Laissons encore parler Saint-Simon : « Tout montrait en lui la vaste étendue de ses lumières et quelque chose de continuellement conséquent. Il allia d’une manière tout à fait surprenante la majesté la plus haute, la plus fière, la plus délicate, la plus soutenue, en même temps la moins embarrassante, quand il l’avait établie dans toute sa sûreté, avec une politesse qui la sentait et toujours et avec tous, et en maître partout, mais qui avait ses degrés suivant les personnes… C’est la réputation qu’il laissa unanimement en France qui le regarda comme un prodige dont elle demeura charmée. »


II

Cependant le véritable but que s’était proposé Pierre le Grand en entreprenant son voyage n’était point perdu de vue. Le Tsar chargeait son vice-chancelier Schafiroff, que Tessé appelle souvent le ragot, et son ambassadeur en Hollande le prince Kourakin, qui était en même temps son beau-frère par sa première femme, d’entrer en négociations avec Tessé. De son côté le maréchal d’Huxelles, membre du Conseil de Régence et président du Conseil des Affaires étrangères, rédigeait pour l’usage de Tessé un long mémoire[13], qui devait lui servir d’instruction. Ce mémoire témoigne, à la vérité, de la part du maréchal d’Huxelles, une certaine hésitation à s’engager dans une alliance aussi nouvelle. Il recommande à Tessé « de combattre et d’éluder des engagemens précis et plus forts que ce qui convient à la correspondance et à la bonne amitié ». Mais il l’informe cependant « que Son Altesse Royale regarde comme un point important de pouvoir engager ce prince (le Tsar) de manière qu’il perde désormais toute idée de former une liaison avec la cour de Vienne, et que celles que Sa Majesté aura formées avec lui puissent servir de fondement à des engagemens plus étroits », et il fait observer avec justesse, « que comme Sa Majesté et le Tsar ne peuvent jamais avoir d’intérêts à démêler, les liaisons établies sur ces fondemens ne peuvent qu’être utiles à l’une et à l’autre puissance, sans qu’il puisse jamais en naître des inconvéniens capables d’en altérer la force, ni d’en diminuer les avantages. »

La première conférence s’ouvrait le 18 mai, avec un grand secret, pour échapper, disait Tessé « aux mouches allemandes et de toutes les nations qui observent les moindres démarches. » Dès le début, le négociateur français se trouvait en présence d’une de ces propositions précises qu’il lui était recommandé d’éluder et qui était ainsi formulée : « une amitié réciproque et une alliance fidèle, pour le ciment et le fondement de laquelle il sera fait un traité de défensive pour assurer les traités d’Utrecht et de Bade, comme aussi que la France garantira les conquêtes que le Tsar a faites sur la Suède, laquelle Suède ne sera point assistée d’argent, ni de troupes, directement ni indirectement. » Et comme Tessé répondait, avec juste raison, qu’il est impossible de garantir des conquêtes tant qu’une guerre n’est pas terminée, et que « tout ce qui est sujet à la variation du succès ne peut jamais être garanti », on lui répliquait avec une vivacité, qu’il rend admirablement dans une dépêche où il semble rapporter les paroles mêmes du Tsar[14] : « Eh bien ! laissez le Tsar agir comme il l’entendra sur la Suède, sans garantir ses conquêtes, mais mettez le Tsar au lieu et place de la Suède. Le système de l’Europe a changé la base de tous vos traités. La Suède quasi anéantie ne peut plus vous être d’aucun secours. La puissance de l’Empereur s’est infiniment augmentée, et moi, Tsar, je viens m’offrir à la France pour lui tenir lieu de la Suède. Je lui offre non seulement mon alliance, mais ma puissance et en même temps celle de la Prusse, sans laquelle je ne pourrais pas agir… Par moi, Tsar, la balance que l’alliance de la Suède vous devait faire, sera rétablie ; mais le grain que j’y mets l’emporte ; et de là je conclus que moi, Tsar, je dois avoir le même traitement que la Suède, puisque je vous tiendrai lieu non seulement de ladite Suède, mais que je vous amène la Prusse. »

L’offre était pressante autant que formelle, et ceux qui l’avaient faite insistaient pour avoir une réponse immédiate. « Ces gens-cy, écrivait Tessé[15] le 20 mai, me demandèrent, dès hier au soir, si j’avais réponse des ouvertures que j’avais fait faire de leurs dernières propositions. A quoy je leur répondis simplement qu’en leur gardant le secret impénétrable qu’ils m’avoient demandé, je croyais que Son Altesse Royale regardoit cette affaire comme assez importante pour y réfléchir et prendre peut-être son conseil le plus secret, pour digérer une matière d’aussi grande conséquence. »

La matière avait besoin en effet d’être digérée, car il ne s’agissait de rien moins pour la France que d’abandonner, pour une alliée nouvelle et inconnue, une alliée ancienne et éprouvée, bien qu’un peu infidèle dans les derniers temps. Il n’y avait pas moyen cependant de se dérober, et on convint que chacune des parties rédigerait séparément un projet de traité. Le projet français comprenait sept articles[16] dont le premier stipulait qu’il y aurait « désormais et pour toujours à l’avenir une alliance et une amitié durable et fidèle, une union et une correspondance étroite entre le Roy Très Chrétien, le Tsar de Moscovie, leurs héritiers et successeurs. » Le projet russe, assez différent dans les termes, et dont la rédaction provoquait de la part du maréchal d’Huxelles de nombreuses observations, tendait cependant au même but, et les choses paraissaient de prime abord devoir marcher sans encombre. « Si nous n’avançons pas beaucoup, écrivait Tessé au sortir d’une troisième conférence[17], il semble au moins que nous ne reculons pas, de manière que dans cette affaire-ci, qui peut-être n’en a jamais eu de pareille, à force de s’entendre (car rien n’approche de l’embarras de traiter par truchement), j’ai quelque lieu de croire et d’espérer que Son Altesse Royale trouvera quelque avantage dans tout ceci. » Et dans une autre lettre : « Je crains que vous ne trouviez que nous allons peut-être plus vite que vous ne voulez ; mais attendu qu’il faut, comme l’on dit, qu’une porte soit ouverte ou fermée, encore faut-il que Son Altesse Royale et vous preniez un parti. »

Mais cette négociation que Tessé craignait de voir marcher trop vite au gré du Régent, encore hésitant, allait se trouver au contraire entravée par l’entrée en scène d’un troisième négociateur : la Prusse. Rien n’était plus naturel en soi-même que l’intervention de la Prusse. Elle avait été l’alliée de la Russie dans la guerre contre la Suède, et avait aussi des conquêtes, entre autres l’importante place forte de Stettin, à garantir. De plus, un traité d’alliance défensive, de nature assez vague et qui sur sa demande était demeuré secret, l’unissait à la France depuis 1716. Il n’y avait donc aucune raison de la tenir à l’écart de cette négociation. Le projet de traité français était même doublé d’un second projet par lequel « il était convenu que le traité de bonne correspondance, d’amitié et d’alliance convenu entre Sa Majesté Très Chrétienne et le Czar de Moscovie serait commun au Roi de Prusse en tous ses points. »

Lorsque le baron de Kniphausen, que le Roi de Prusse avait envoyé auprès du Tsar, débarqua à Paris, il était tout simple de l’admettre en tiers, et une lettre de Kourakin à Tessé informait ce dernier que désormais Kniphausen assisterait aux conférences qui se tenaient à l’hôtel de Lesdiguières. « Nous sommes convenus cependant, mandait Tessé à d’Huxelles, qu’il ne serait donné d’étendue de confiance au Prussien que dans la proportion où nous le croirions utile et nécessaire, et qu’il n’aura nulle connaissance des articles qui devront être secrets entre nous. » Mais à partir de l’intervention du Prussien, comme l’appelait Tessé, les choses commencèrent à mal marcher. Par égard pour lui sans doute, on crut devoir substituer aux deux projets de traité différens sur lesquels on délibérait un troisième projet auquel le Roi de Prusse était personnellement partie, et dont l’article premier était ainsi conçu[18] : « Il a été stipulé et accordé qu’il y aura, du jour de la conclusion de ce traité entre Sa Majesté Tsarienne, Sa Majesté Très Chrétienne, et Sa Majesté le Roi de Prusse, entre leurs héritiers et successeurs, leurs royaumes, pays et Etats, un traité d’amitié, de correspondance et de commerce éternel et sincère, lequel sera observé de telle manière que les parties contractantes s’entre-promettent de la manière la plus forte de faire tout ce qui dépendra d’elles pour procurer et avancer le bien et les avantages de l’un et de l’autre, et de détourner au contraire toutes sortes de dommages et de préjudices. »

Mais autant il était facile de stipuler qu’il y aurait amitié éternelle entre la Russie, la France et la Prusse, autant il allait être malaisé de s’entendre sur les conditions de cette amitié. On tomba aisément d’accord sur le principe même de la garantie réciproque de l’état territorial créé ou à créer d’une part par les traités d’Utrecht et de Bade, d’autre part par ce qu’on appelait la paix éventuelle du Nord, c’est-à-dire le traité qui ne pouvait manquer d’intervenir entre la Suède, la Russie et la Prusse. Mais sur les conditions où s’exercerait cette garantie les difficultés ne tardèrent pas à surgir.

Une première difficulté fut soulevée par la France. Les termes du projet qui avait été rédigé par Schafiroff et Kourakin limitaient expressément ce concours promis par la Prusse et la Russie au cas où le « Roy Très Chrétien viendrait à être attaqué par une guerre ouverte dans ses royaumes et Etats. » D’Huxelles faisait observer avec raison que, le but de cette nouvelle alliance étant la garantie des traités d’Utrecht et de Bade, ces traités seraient aussi bien violés si l’Empereur s’attaquait aux puissances italiennes qui avaient été partie à ces traités, et l’observation était si juste que cette difficulté ne paraît point avoir eu de suite.

Une seconde difficulté fut soulevée, celle-là par les négociateurs russes, à propos de la date à partir de laquelle la Russie, suivant l’expression du Tsar lui-même, serait mise aux lieu et place de la Suède[19]. La Russie aurait voulu être substituée effectivement à la Suède dès le lendemain de la signature du traité. La France faisait au contraire observer qu’étant encore liée vis-à-vis de la Suède par un traité qui ne devait prendre fin que dans dix mois, elle ne pouvait pas prêter assistance aux deux belligérans à la fois. Comme l’objection était juste, la difficulté parut encore de celles sur lesquelles il ne serait pas impossible d’arriver à une entente. Mais une difficulté plus sérieuse, et qui devait malheureusement devenir la pierre d’achoppement, surgit à propos du mode d’exécution de la garantie mutuelle.

Un article séparé et destiné à demeurer secret du projet du traité allait jusqu’à prévoir la composition et l’effectif des forces que l’exécution de la garantie mutuelle obligerait, le cas échéant, chacune des parties contractantes, d’envoyer au secours de l’autre, à première réquisition. Ces forces devaient comprendre non seulement de l’infanterie et de la cavalerie, mais des troupes de marine. Les chiffres seuls étaient laissés en blanc, pour être ultérieurement fixés. Mais le maréchal d’Huxelles, qui dans toute cette négociation paraît avoir fait preuve d’un esprit un peu timide peut-être, mais judicieux, faisait observer que le projet russe semblait toujours supposer que les troupes du Tsar se joindraient à celles du Roi. « Or, il est aisé de prouver, disait-il avec raison, que si la guerre était déclarée, cette jonction deviendrait impossible. Ainsi, il faut fixer l’effet de la garantie à une diversion », et il ajoutait : « Comme l’on veut agir de bonne foi, il ne faut pas dissimuler au ministre du Tsar que nous ne croyons pas que la France puisse donner d’autres secours au Tsar que des subsides, et que nous comptons aussi que le Tsar ne peut nous secourir que par une diversion[20]. »

Ce fut sur cette question de la jonction ou de la diversion qu’il devint impossible de s’entendre, le négociateur français insistant pour que le cas de diversion fût stipulé, les négociateurs russes et prussiens s’y refusant. Toutefois, la difficulté principale ne venait pas de la Russie. Pierre le Grand avait une juste confiance dans son armée. Il l’avait mesurée à Poltawa contre les héroïques bandes de Charles XII et les avait anéanties. Il ne craignait pas de se trouver seul, face à face avec l’Autriche. Il n’en était pas de même de l’envoyé prussien : Kniphausen n’envisageait pas sans terreur l’éventualité où les jeunes troupes de son Roi se trouveraient seules aux prises avec la vieille armée autrichienne. Sa situation était, il faut le reconnaître, singulièrement difficile. Il ne s’attendait point à prendre part à une aussi importante négociation : ses pouvoirs étaient insuffisans, et il craignait d’être désavoué par un maître qui, à en juger par la manière dont il traita plus tard son fils, ne devait pas avoir l’humeur tendre pour ses serviteurs. Le séjour du Tsar en France permettait au contraire aux négociateurs russes d’en référer à leur maître sur les points difficiles ; mais le genre de vie que celui-ci menait ne rendait pas toujours aisé de le saisir.


III

Depuis qu’il était débarrassé des visites officielles, le Tsar, dont le séjour à Paris se prolongeait depuis près d’un mois, se livrait aux caprices de son humeur curieuse. Un jour où l’on comptait pouvoir lui soumettre l’état des affaires, la fantaisie lui prenait de voir sortir de Notre-Dame la procession de la Fête-Dieu. Il fallait que Tessé, laissant là les négociations, courût aux Enfans-Trouvés, dont les balcons étaient vis-à-vis l’église, et priât les sœurs à qui appartenaient ces balcons de les faire orner tant bien que mal avec quelques tapis pour que le Tsar y fût convenablement[21]. « Au surplus, ajoutait-il, je ne sais point où le Tsar dînera ni s’il retournera à Versailles. Je n’ai nulle nouvelle du duc d’Antin. Avec tous ces déménagemens il n’y a homme à qui la tête ne tournât. »

La tête lui tournait bien davantage encore, lorsqu’il apprenait que le Tsar, qu’il devait accompagner partout, était sorti sans le prévenir de l’hôtel de Lesdiguières, et s’était jeté dans un fiacre sans dire où il allait. Parfois il en usait de même avec le carrosse des femmes qui s’étaient fait descendre devant sa porte pour le voir sortir. C’est ainsi qu’un jour il monta, pour se faire conduire à Boulogne, dans le carrosse de la maréchale de Matignon qui fut fort étonnée de se trouver à pied. Ces jours-là, Tessé le cherchait effaré dans toute la ville, sans pouvoir le rejoindre. Pour échapper à la curiosité, il avait coutume de revêtir un costume fort simple que Buvat décrit ainsi dans son journal. « Le Tsar était fort simplement vêtu d’un surtout de bouracan gris assez grossier, tout noir, avec une veste d’étoffe de laine grise dont les boutons étaient de diamans, sans cravate et sans manchettes, ni dentelles aux poignets de sa chemise, ayant une perruque brune à l’espagnole, dont il avait fait couper le derrière qui lui avait paru trop long et sans être poudrée. » Duclos, dans ses Mémoires secrets, rapporte en effet qu’ « il avait commandé une perruque et que le perruquier ne douta pas qu’il ne lui en fallût une à la mode qui était alors de les porter longues et fournies. Mais le Czar lui fit donner un coup de ciseaux tout autour pour la réduire à la forme de celle qu’il portait. »

Si simple que fût son ajustement, il lui arrivait presque toujours d’être reconnu, grâce à un certain air de majesté naturelle, et la foule qui s’attachait à ses pas l’importunait souvent. C’était chez des ouvriers de réputation qu’il se faisait de préférence conduire, et il se plaisait à les voir travailler. Duclos ajoute : « Les choses de pur goût et d’agrément le touchaient peu ; mais tout ce qui avait un objet d’utilité, trait à la marine, au commerce, aux arts nécessaires, excitait sa curiosité, fixait son attention et faisait admirer la sagacité d’un esprit étendu, juste, et aussi prompt à s’instruire qu’avide de savoir. »

En effet, on voulut lui faire admirer la collection des pierreries du Louvre, mais il avoua qu’il s’y connaissait peu. En revanche, il prit beaucoup d’intérêt à voir à Bercy le cabinet de physique de Pajot d’Ons-en-Bray, le directeur des postes. Un carme alors fameux par ses découvertes, le Père Sébastien, lui fit admirer plusieurs de ses machines. Il eut soin de rendre également visite à tous les corps savans. A la Sorbonne il embrassa le buste de Richelieu et prononça ces paroles qui pour lui paraissent bien théâtrales[22] : « Je donnerais la moitié de mon empire à un homme tel que toi pour qu’il m’apprît à gouverner l’autre. » A l’Académie française, comme il avait négligé de prévenir de sa visite, il ne trouva que deux académiciens qui lui firent les honneurs de la salle des séances. A l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres il prit beaucoup d’intérêt à l’Histoire métallique de Louis XIV. A l’Académie des sciences, sa réception fut tout à fait solennelle. « Il voulut y prendre séance, disent les Mémoires de la Régence, et il permit à la Compagnie de s’asseoir pour considérer l’ordre de l’Académie et le rang des académiciens. » On lui fit les honneurs de plusieurs machines nouvelles, et il prit grand intérêt à tout ce qu’on lui montra. Il se plut beaucoup également à la Monnaie où le Directeur fit frapper devant lui une médaille d’or qu’il lui présenta. D’un côté était gravé son portrait et de l’autre cette inscription : Vires acquirit eundo. Il rendit également de nombreuses visites à l’Observatoire, ou bien, au contraire, il faisait venir des savons à l’hôtel de Lesdiguières pour s’entretenir avec eux, en particulier des géographes, et il leur donnait les renseignemens nécessaires pour rectifier les erreurs qu’ils avaient commises en dressant la carte de son vaste empire encore mal connu.

Ces allures si nouvelles chez un souverain avaient commencé par étonner les Parisiens. Elles finirent par leur plaire et il s’était acquis une popularité véritable. Toutefois, les femmes de la Cour le boudaient un peu. C’est qu’il n’avait guère fait de frais pour elles. « Il est peu galant, écrivait le marquis de Louville[23], ce qui ne met pas les femmes dans son intérêt. » Une question d’étiquette l’avait empêché de rendre la première visite aux princesses du sang. Quelques-unes cependant n’y tinrent pas, et le firent complimenter par un gentilhomme. A celles-là seulement il consentit à rendre visite. Ainsi avait fait Madame, la mère du Régent, qui, toute fière de l’avoir reçu, l’appelait « mon héros le Czar ». Mais un peu grosse, et rouge, par-dessus le marché, Madame, malgré tout son esprit, n’était pas faite pour lui donner une juste idée des grâces françaises. Aucune dame de la Cour ne lui fut régulièrement présentée. Ce n’est pas qu’il ne sût être aimable à l’occasion quand il le voulait. C’est ainsi que, visitant les Invalides avec le maréchal de Villars, il sut que la maréchale était là en voyeuse, comme on disait alors. Il la fit approcher et lui dit des paroles obligeantes. Dînant à Bellevue chez le duc de Tresmes, il apprit que sa fille la comtesse de Béthune était là, en voyeuse également. Aussitôt il la fit prier de se mettre à table avec lui et la combla de politesses. Mais quand la curiosité attirait les femmes en foule sur son passage, il affectait d’ignorer leur présence. Ainsi fit-il à Petit-Bourg, chez le duc d’Antin, où il alla dîner et où la duchesse de Bourbon avec un certain nombre de dames de la Cour s’étaient rendues pour le voir. Il les trouva toutes rangées dans une galerie. Mais il se borna à les saluer d’une simple inclination de tête et ne s’en fit nommer aucune.

Le séjour du Tsar à Petit-Bourg fut marqué par un épisode où brilla la bonne grâce du duc d’Antin, ce parfait courtisan, qui, à force d’obséquiosité envers Louis XIV, avait réussi à se faire pardonner par lui d’être le seul fils légitime de Mme  de Montespan. Le Tsar était tendrement attaché à la Tsarine Catherine, sa seconde femme. Un instant, son séjour à Paris se prolongeant, il avait pensé à la faire venir. Mais la question de l’incognito qu’il tenait à garder lui avait fait renoncer à ce dessein, et il lui avait mandé de l’attendre aux eaux de Spa. D’Antin savait cela, et, voulant se rendre agréable au Tsar, il avait trouvé moyen de se procurer un portrait de la Tsarine. La première chose que Pierre le Grand aperçut en entrant dans la salle à manger fut ce portrait, au-dessous duquel d’Antin avait fait graver quelques vers. « Cette galanterie lui plut si fort, dit Duclos qu’il s’écria qu’il n’y avait que les Français qui en fussent capables. » Malgré toutes nos recherches, nous n’avons pu trouver les vers composés parle duc d’Antin pour la Tsarine.

Il y eut cependant une femme que Pierre le Grand témoigna la curiosité de voir bien qu’elle eût quatre-vingt-deux ans : ce fut Mme  de Maintenon. On trouve partout racontée, d’après Saint-Simon, la visite qu’il lui rendit à Saint-Cyr. Ce récit n’est point tout à fait exact. Il n’est pas vrai que, sans la saluer, il se soit borné à écarter les rideaux de son lit, et qu’après l’avoir regardée il se soit éloigné sans mot dire. Apparemment Mme  de Maintenon devait savoir comment les choses s’étaient passées. Voici comment elle raconte elle-même cette visite[24] : « Le Czar est arrivé à sept heures du soir. Il s’est assis au pied de mon lit. Il m’a demandé si j’étais malade. J’ai répondu que oui. Il m’a fait demander ce que c’était que mon mal. J’ai répondu : Une grande vieillesse. Il ne savait que me dire, et son truchement ne paraissait pas m’entendre ; sa visite a été fort courte. Il est encore dans la maison, mais je ne sais où. Il a fait ouvrir le pied de mon lit pour me voir. Vous croyez bien qu’il n’en aura été guère satisfait. »

Pierre le Grand visita Saint-Cyr en grand détail. « Il se fit montrer, rapporte le Mercure de France, les cinq classes et toutes les demoiselles, chacune à leur place. » Pendant ce temps les seigneurs de sa suite, qu’il avait laissés à Versailles, y avaient amené d’autres demoiselles qu’ils firent coucher précisément dans l’appartement de Mme  de Maintenon, ce temple de la pruderie, dit Saint-Simon. Blouin, l’ancien valet de chambre de Louis XIV, qui avait autrefois remplacé l’officieux Bon temps, et qui était demeuré gouverneur de Versailles, s’en montrait fort scandalisé.

IV

Cependant, le séjour du Tsar touchait à son terme. Il était nécessaire que la négociation se terminât d’une manière ou de l’autre. Mais elle en demeurait toujours au même point. « La patience de Job serait en vérité nécessaire, Monsieur, écrivait Tessé[25]. Nous avons travaillé jusqu’à deux heures après midi et reculons à mesure que nous croyons avancer, ou peut-être nous avançons à proportion de ce que nous voulons reculer. » La difficulté était toujours la même, la Russie, et surtout la Prusse, se refusant à la diversion et ne voulant s’engager qu’à la conjonction, comme l’Angleterre et la Hollande s’y étaient engagées par un article du traité de la Haye : « J’entends bien, ajoutait Tessé, l’embarras où vous met le détail de cet article, mais je n’y vois guère d’emplastre. »

D’Huxelles commençait à douter également du succès, et il écrivait à Tessé[26] : « Si vous voyez bien clairement que l’on ne puisse se concilier présentement, il serait bon qu’il parût que la difficulté ne viendrait que de l’incertitude qu’on éprouve jusqu’à quel point le Roy de Prusse voudrait se porter pour l’exécution de la garantie, parce qu’en ce cas il nous resterait une ouverture pour amener le Czar au point de faire présentement un traité d’amitié, en attendant que l’on pût prendre des liaisons plus étroites. »

Kniphausen, qui était l’auteur principal de la difficulté, mais qui voulait en même temps en décliner la responsabilité, disait de son côté à Tessé en se promenant avec lui, à l’issue d’une de leurs nombreuses conférences, dans le jardin de l’hôtel de Lesdiguières : « Le Czar ne passera jamais l’article de la diversion que vous demandez au lieu de secours. Je ne sais pas non plus si mon maître le passerait. Ainsy j’ay lieu de croire que notre traité entier ne se fera pas. »

Quelques jours après avait lieu dans ce même jardin, entre Tessé d’un côté, le Tsar et ses ministres de l’autre, une dernière conférence qui achevait d’enlever tout espoir de succès. Voici en quels termes expressifs Tessé rend compte de l’intervention personnelle du Tsar[27] : « Notre Czar arriva donc hier au soir. Monsieur, très content de son voyage, mais dès qu’il eut, en arrivant, fait un tour de jardin et assemblé ses ministres, l’humeur luy changea et je le vis gesticuler et, se promenant seul, rêver appuyé sur son baston, et travaillant sur le sable comme un homme agité. Ses ministres m’appelèrent et me dirent la douleur de leur Maistre de sentir qu’avec une volonté déterminée de s’unir à la France il ne pouvait y réussir ; que de tout son cœur, il voudrait estre en estat de s’engager à une diversion en cas de guerre nécessaire contre l’Empereur, mais qu’il ne le pouvait sans le Roy de Prusse dont l’envoyé, quoy que muny de pouvoirs, n’avait pas celuy de son Maistre sur l’article de la diversion, et que sans le dit Roy de Prusse il ne pouvait agir ni rien promettre de positif. »

Dès l’instant que le Tsar, malgré le désir passionné de s’unir à la France que lui prête Saint-Simon, ne voulait pas s’engager sans la Prusse, la négociation ne pouvait qu’échouer. Il faut reconnaître qu’il était difficile à la Russie d’abandonner son allié, et D’Huxelles lui-même en tombait d’accord : « On ne peut s’empêcher de convenir, écrivait-il à Tessé[28], avec le Czar et ses ministres que l’engagement que ce prince prendrait de faire une diversion en cas de guerre serait impossible dans l’exécution sans le concours du Roy de Prusse. Aussy la difficulté que fait le Czar de promettre en effet ce qu’il voit qu’il ne pourrait pas accomplir est une marque de la bonne foi de ce prince et de la fidélité qu’il veut observer dans ses engagemens. » Aussi en revenait-il à l’idée, déjà émise par lui, de signer dès à présent un « traité de bonne amitié et correspondance », sans qu’il y fût parlé de subsides, de conjonction ou de diversion, toutes questions qui devraient être ultérieurement réglées. Mais il était trop tard. Le Tsar touchait à son départ. Le 16 juin on lui fit passer en revue aux Champs-Elysées les régimens des gardes, des gens d’armes, des chevau-légers et des mousquetaires. Excédé de la chaleur, de la poussière, du grand nombre de carrosses et de gens à pied qui se pressaient pour le voir une dernière fois avant son départ, il ne regarda presque pas les troupes. Quittant la revue, il alla visiter les travaux du pont tournant des Tuileries et, ajoute Buvat dans son journal, « s’enferma dans une loge de suisse avec M. le duc d’Orléans, où ils restèrent environ en conférence une demi-heure avec l’interprète du Czar qui était un Anglais de nation. »

Dans cette dernière conférence fut-il question de la négociation qui venait d’échouer et chercha- t-on quelque moyen de la renouer ? Cela est possible, mais ce n’est qu’une supposition. Le 20 juin, le Tsar partait pour Spa, où l’attendait la Tsarine. A la vérité il laissait derrière lui Kourakin et Schafiroff chargés de discuter un « traité de bonne amitié et correspondance » en sept articles que D’Huxelles avait précipitamment rédigé. Mais il n’y avait plus rien à faire[29]. Les négociateurs étaient aigris les uns contre les autres, comme le sont souvent des gens qui ont disputé trop longtemps. Schafiroff se plaignait, sans grande raison, que la France eût varié dans ses propositions, et son étroite entente avec Kniphausen paraissait même suspecte à Tessé. Kniphausen était également de mauvaise humeur de la responsabilité qu’on prétendait faire peser sur lui. Aussi se montrait-il plus récalcitrant que jamais. Quand le 20 juin, Tessé se présenta chez lui pour lui soumettre ce traité de correspondance et de bonne amitié sur le texte duquel il était à peu près d’accord avec Schafiroff, Kniphausen déclara « que jamais on n’avait signé un traité, de quelque nature que ce soit, ny avec quelques pouvoirs que l’on pust avoir, sans l’avoir auparavant fait voir à son Maistre, et qu’il ne signerait point les articles soit ostensibles, soit secrets, sans en avoir donné part au sien et les lui avoir envoyés. » Tessé, retournant chez Schafiroff qui devait l’attendre, le trouva sorti. Il comprit que les deux négociateurs se dérobaient, et il écrivit une courte lettre à D’Huxelles pour lui donner le bonsoir et l’avertir que de son côté il s’en retournait à sa petite maison des Camaldules dont il déclarait, depuis quelque temps déjà, avoir le Heimweh.

Ainsi se termina, sans succès apparent, cette négociation dont le fait même est bien connu, mais dont les détails n’ont jamais été racontés, et dont l’ensemble n’a pas été apprécié très équitablement, suivant nous, du moins, par les historiens qui en ont fait mention. Faute d’être remontés aux sources, le rôle cependant si important de la Prusse leur a échappé, et ils ont adopté un peu trop facilement la version de Saint-Simon qui, égaré par sa haine contre le cardinal Dubois, attribue aux funestes charmes de l’Angleterre et au fol mépris que la France aurait fait de la Russie, l’échec de la négociation[30]. Les funestes charmes de l’Angleterre n’y furent, comme on a pu le voir, pour rien. Sans doute le Régent était très justement préoccupé de ne point donner ombrage à l’Angleterre et de ne point porter atteinte aux stipulations toutes récentes de la Haye, stipulations qui au reste avaient été communiquées au Tsar. Il avait même dans le projet d’alliance en délibération fait insérer cette clause « que le présent traité ne pourrait porter aucun préjudice au traité de la Haye ». Mais cette réserve toute naturelle avait été acceptée par la Russie et la Prusse qui réservaient également leur alliances extérieures.

Il n’est pas davantage exact que la France ait témoigné un fol mépris de la Russie. La négociation avait été au contraire poussée aussi loin que possible et n’avait échoué que sur une difficulté sérieuse. La vérité c’est que les temps n’étaient pas mûrs pour une alliance aussi étroite que l’aurait souhaitée Pierre le Grand. L’état de l’Europe était trop incertain, les communications entre les deux pays encore trop difficiles. Mais les efforts tentés avec beaucoup de bonne foi de part et d’autre ne furent pas perdus. La négociation fut reprise quelques mois après, non pas il est vrai à Paris, mais en Hollande, et le dernier projet de traité, hâtivement rédigé par le maréchal d’Huxelles, devint, le 19 août 1717, le traité d’Amsterdam, premier instrument diplomatique au bas duquel la France et la Russie aient apposé leur signature.

Le séjour de Pierre le Grand à Paris eut un résultat encore plus décisif. Si la France, pour reprendre l’expression de Saint-Simon, demeura charmée de lui, il demeura aussi charmé de la France. Il partit enchanté de la réception qui lui avait été faite, du respect et de la sympathie dont il s’était senti environné. A partir de ce jour, les deux pays cessèrent d’être étrangers l’un à l’autre. Non seulement des relations diplomatiques régulières furent établies par l’envoi de ministres caractérisés, comme on disait alors, mais les Russes commencèrent avenir en grand nombre à Paris ; les Français apprirent le chemin de Saint-Pétersbourg ; et de ce voyage justement célèbre datent, entre les deux peuples, ces sentimens d’instinctive amitié, qui, traversés parfois par les erreurs de la politique, méconnus par les rêves de l’ambition, n’en renaissent pas moins, toutes les fois que les circonstances deviennent favorables, avec l’indestructible vitalité des sympathies naturelles et des intérêts permanens.


HAUSSONVILLE.


  1. L’article que nous sommes heureux de pouvoir donner à nos lecteurs a été composé par M. le comte d’Haussonville, à la demande et sur la désignation de l’Académie française, pour être offert en hommage, dans la séance du mercredi 7 octobre 1896, à LL. MM. l’Empereur et l’Impératrice de Russie.
  2. L’article que nous sommes heureux de pouvoir donner à nos lecteurs a été composé par M. le comte d’Haussonville, à la demande et sur la désignation de l’Académie française, pour être offert en hommage, dans la séance du mercredi 7 octobre 1896, à LL. MM. l’Empereur et l’Impératrice de Russie.
  3. Aff. étrang. Corresp, Moscovie, t. VII. Lettre à M. le comte d’Hérouville, commandant pour le service du Roi à Dunkerque.
  4. Ibid. Lettre de M. de Trudaine, prévôt des marchands, 26 avril 1717.
  5. Ibid. Mémoire pour servir d’instructions au sieur de Liboy, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, allant par ordre de Sa Majesté auprès du Czar de Moscovie, qui vient incognito dans le royaume. Ce mémoire a été publié dans le Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, t. VIII. — Russie. Introduction et notes de M. Alfred Rambaud.
  6. Société impériale d’histoire de Russie, t. XXXIV. Ce volume contient plusieurs pièces intéressantes relatives au séjour de Pierre le Grand, dont les originaux sont aux Affaires étrangères et qui sont inédites en France, entre autres les lettres de Liboy et quelques lettres du maréchal de Tessé que nous citerons plus loin.
  7. Aff. étrang. Moscovie, t. VII. Liboy au maréchal d’Huxelles, 23 avril 1717.
  8. Ibid. Lettres de Liboy, 27 et 28 avril 1717.
  9. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VII. Lettre du sieur de Bernago, intendant de Picardie, au maréchal d’Huxelles. 7 mai 1717.
  10. Aff. étrang. Moscovie, t. VII. L’évêque-comte de Beauvais au maréchal d’Huxelles, 11 mai 1717.
  11. Louis XV et Elisabeth de Russie, par M. Albert Vandal.
  12. Pendant le séjour du Tsar en Hollande, une négociation avait déjà été ébauchée avec notre ambassadeur Châteauneuf, et c’est en partie parce que Châteauneuf ne semblait point comprendre sa pensée que Pierre Ier avait résolu de venir à Paris. (V. Rambaud, Introduction).
  13. Recueil des instructions, etc. Russie, p. 190. Mémoire pour servir d’instructions à M. le maréchal de Tessé. Ce Mémoire avait déjà été publié par le général de Grimoard dans l’ouvrage improprement appelé Mémoires de Tessé.
  14. Aff. étrang. Corresp. Moscovie. Lettre de Tessé du 19 mai.
  15. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VII. Ce projet |de traité porte la date du 27 mai. Lettre de Tessé du 20 mai.
  16. Ibid.
  17. Ibid. Lettre de Tessé du 21 mai 1717.
  18. Aff. étrang. Moscovie, t. VIII. Ce troisième projet porte la date du 4 juin.
  19. C’était ce que Tessé appelait dans sa langue pittoresque le coup des subsides qu’il aurait bien voulu parer en faisant valoir que la garantie des traités d’Utrecht et de Bade accordée par la Russie à la France avait pour équivalent la garantie de la paix éventuelle du Nord accordée par la France à la Russie, et que par conséquent les obligations réciproques des deux puissances se contre-balançaient. Mais ces Messieurs, ce sont les propres expressions de Tessé, lui riaient au nez et répondaient qu’ils étaient assez puissans pour se garantir par eux-mêmes. « Pour trancher court, écrivait Tessé, je ne vois nulle apparence que Son Altesse Royale puisse tirer aucun fruit de ce que nous faisons, et du voyage du Czar et de ses bonnes et apparentes dispositions d’entrer fidèlement en alliance avec nous, à moins qu’il ne se résolve, en mettant le Czar au lieu et place du roi de Suède, de lui donner les subsides qu’il donnait audit roi. Je me suis tenu en réserve sur le point du plus ou moins de ces subsides. »
  20. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VIII. Ces observations du maréchal d’Huxelles sont en regard du projet de traité, rédigé par Schafiroff et Kourakin, dont le texte est sur deux colonnes.
  21. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VII. Lettre de Tessé du 26 mai.
  22. Ces paroles ne sont rapportées ni par Saint-Simon, ni par Dangeau. Elles ne se trouvent que dans Duclos, dont les Mémoires secrets sont loin de mériter une confiance absolue.
  23. Mémoires secrets du marquis de Louville. Lettre du 17 juin au duc de Saint-Aignan.
  24. Lettres de Mme  de Maintenon, t. VII, 11 juin 1717. Cette publication est celle de La Beaumelle, toujours, il faut l’avouer, un peu suspecte.
  25. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VIII. Lettre de Tessé du 5 juin 1717.
  26. Ibid. Le maréchal d’Huxelles à Tessé, 6 juin 1717.
  27. Ibid. Lettre de Tessé du 13 juin 1717.
  28. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VIII. Lettre à Tessé du 13 juin.
  29. D’Huxelles ne se faisait pas d’illusions sur les chances de succès de cette dernière tentative. « Au reste, Monsieur, écrivait-il à Tessé, je suis toujours persuadé que la plus grande difficulté que vous trouverez consistera en ce que vous n’offrirez plus des secours d’argent actuels ou prochains, puisqu’il paraît que c’est le but principal et peut-être unique qu’on se soit proposé en cette occasion. (Lettre à Tessé du 15 juin 1717.)
  30. M. Rambaud, dans son Introduction, a adopté cette version. Il reproche même à Tessé d’avoir fabriqué et montré aux Russes un faux traité avec la Suède. Cela n’est pas tout à fait juste. L’idée de montrer aux Russes un traité non pas faux, mais incomplet, ne fut qu’une suggestion du maréchal d’Huxelles à laquelle il ne fut donné aucune suite par Tessé. Quant au reproche que Tessé, dans ses Mémoires, adresse au nouveau gouvernement « de n’avoir eu d’autre intention que de voltiger et d’amuser le Czar », il ne faut pas oublier que ces Mémoires de Tessé sont, en réalité, l’œuvre du général de Grimoard, qui ne fait que donner ici son sentiment. M. Louis Wiesener, dans un article de la Revue des Études historiques (année 1893), nous paraît seul avoir apprécié exactement les choses.