Michel Lévy Frères (p. 146-156).

viii

LA LUXURE DE SANG.

Comme nous descendions la galerie des Offices, nous fûmes arrêtés par une affluence de peuple qui, se précipitant dans la salle des débats criminels, située au premier étage du monument, refluait jusque sur l’escalier et obstruait le passage de cette foule qui se poussait, se pressait, se heurtait, afin de trouver place dans l’enceinte publique. Il y eut une grande rumeur, chose étrange chez ce tranquille et silencieux peuple florentin ; et cette grande rumeur se composait d’un seul nom répété par trois mille bouches : Antonio Ciolli ! Antonio Ciolli ! Antonio Ciolli !

J’essayai de faire quelques questions, mais ceux à qui je m’adressais étaient trop préoccupés de trouver place dans la salle pour prendre le temps de me répondre ; d’un autre côté, comme je ne voulais pas me faire écraser au milieu de cette effroyable presse, j’allais me retirer sans savoir de quoi il s’agissait, lorsque j’aperçus un des premiers avocats de Florence, un des hommes les plus instruits et les plus spirituels de l’Italie, monsieur Vicenzo Salvagnoli. Je lui fis un signe de détresse qu’il comprit, et auquel il répondit par un autre signe, qui voulait dire : Venez à moi. Je m’empressai de suivre son conseil, et nous parvînmes à nous joindre dans un angle du palier.

— Qu’est-ce donc, lui demandai-je, et que se passe-t-il ? est-ce qu’il y a émeute à Florence ?

— Comment ! vous ne savez pas ? me dit-il.

— Quoi

— Quelle affaire on va juger ?

— Non.

— N’entendez-vous pas un nom que tout le monde répète ?

— Oui, celui d’Antonio Ciolli ; en bien ! après ? quel est cet homme ?

— Cet homme, c’est le chef de la société du Sang, c’est le capitaine des assassins de Livourne, qu’on a arrêté flagrante delicto avec quatre de ses complices.

— Vraiment ! est-ce que je puis voir juger cet homme ?

— Venez avec moi, j’ai mes privilèges comme avocat, je vous ferai entrer par une porte latérale, et je vous placerai aux postes réservés.

— Mille fois merci.

En effet, ce que monsieur Salvagnoli venait de me dire avait grandement excité ma curiosité ; il y avait plus d’un an, déjà qu’on racontait d’effroyables assassinats commis dans les rues de Livourne, de ces assassinats sans aucune cause, dont on cherche en vain les motifs, et dont les auteurs restent inconnus. Seulement des hommes au visage noirci avec de la suie, ou à la figure couverte d’un masque, passaient tout à coup près de quelque citoyen inoffensif, près de quelque femme attardée, près de quelque enfant joueur ; l’enfant, la femme ou l’homme jetaient un cri, chancelaient une seconde, puis tombaient dans leur sang : pendant ce temps l’assassin, qui ne s’arrêtait ni pour voler, ni pour dépouiller sa victime, tournait l’angle d’une rue et disparaissait.

On avait assassiné des gens à qui personne ne connaissait d’ennemis. Ce n’était donc pas des haines qui s’assouvissaient.

On avait assassiné de pauvres vieilles femmes qui n’avaient plus que quelques jours à passer sur la terre, et dont on ne faisait que hâter la mort de quelques jours. Ce n’était donc point pour des causes de jalousie.

Enfin on avait assassiné de pauvres enfans qui mendiaient. Ce n’était donc pas par des motifs de cupidité.

Et cela se renouvelait tous les jours : pas une soirée ne s’écoulait que le pavé de Livourne ne fût en quelque endroit taché de sang, pas une nuit ne voyait sa fin sans que l’aigre cloche de la Miséricorde en tintant deux ou trois coups n’annonçât qu’il y avait un mourant à secourir ou un cadavre à relever.

Alors on ne savait que penser et l’on s’égarait en mille incertitudes.

On disait que c’étaient les portefaix de Gênes qui voulaient perdre le commerce du port de Livourne.

On disait qu’un des garde-chiourmes du bagne avait été gagné et laissait sortir les forçats la nuit.

On disait enfin qu’une société secrète s’était organisée, présidée par un chef auquel elle avait fait serment d’obéir ; qui se composait de cinq ou six membres, et dont le premier statut voulait que chaque jour il y eût du sang répandu.

Cette dernière conjecture était la plus invraisemblable : c’était la seule vraie.

Un cordonnier était le chef de cette société : il se nommait Antonio Ciolli, il logeait via dell’Olio ; il avait organisé cette étrange association.

Les blessures étaient rétribuées selon leur gravité ; c’était Ciolli, qui avait quelque fortune, et dont le commerce était assez étendu et par conséquent assez lucratif, qui avait établi ce tarif : il donnait cinq pauls pour une blessure légère, dix pauls pour un doigt coupé, quinze pauls pour une blessure grave, un sequin pour la mort.

Et cependant il n’exigeait pas que l’on tuât. : voir couler le sang lui suffisait.

Cette horrible récréation dura dix-huit mois, disaient les bruits populaires.

Enfin, un soir, c’était le 18 février 1840, un homicide fut commis, deux blessures furent portées ; mais ce soir-là l’autorité qui veillait arrêta un des assassins ; c’était un garçon cordonnier nommé Angiolo Ghettini ; celui qui l’arrêta était une espèce de sergent de ville, ou chasseur de la police, comme on appelle à Livourne cet officier de la force publique. Angiolo Ghettini lui porta à la lèvre supérieure un coup de poignard ; mais comme la blessure du chasseur Lorenzo Nobili était légère, il saisit Ghettini à bras le corps et le renversa : Ghettini fut arrété, et cette arrestation amena celle du reste de la bande. Elle se composait de cinq affidés : le chef, Antonio Ciolli ; puis venaient les complices Odoardo Mellini, Luigi Bianchini, dit Naso, et Antonio Centini, dit le Capucin.

C’était pour voir juger ces cinq hommes accusés di lascivia di sangue, c’est-à-dire de luxure de sang, que se pressait la population.

Lascivia di sangue ! le mot est digne de Dante, n’est-ce pas ?

Je suivis mon guide et j’entrai dans la salle. Comme il me l’avait promis, monsieur Salvagnoli me fit placer à un poste réservé d’où j’étais à merveille pour tout voir et pour tout entendre ; et comme les accusés n’étaient pas encore introduits, j’eus le temps de jeter un coup d’œil autour de moi ; c’était la première fois que j’entrais dans la salle de la procédure criminelle.

C’était une salle neuve et que l’on venait d’achever ; elle ne me fit point l’effet d’avoir été destinée aux scènes qui devaient s’y dérouler ; le stuc blanc dont elle est revêtue partout, le soleil brillant qui l’inonde par ses larges fenêtres, les ornemens verts qui la décorent, lui donnent un air de gaîté qui contraste étrangement avec sa terrible destination. Je me rappelai ces corridors sombres de notre vieux Palais de Justice, ces chambres profondes et sévères où se réunissent nos jurés ; enfin ce Christ surmontant la tête du président, symbole à la fois de justice humaine et de miséricorde divine ; et je reconnus jusque dans la salle où ils jugent leurs criminels le genre si opposé des peuples du Nord et des peuples du Midi.

Au bout d’un instant, les juges criminels, précédés par le greffier et suivis de l’accusateur public, parurent et prirent leurs places. Quelques minutes après, une porte latérale s’ouvrit, les accusés entrèrent successivement et allèrent s’asseoir, accompagnés des gendarmes, aux bancs qui leur étaient réservés, à la gauche du président, en face de l’avocat-général ; leurs défenseurs s’assirent devant eux.

Les cinq accusés étaient cinq jeunes gens, aucun n’avait sur le visage cet aspect de brutalité repoussante que nous cherchons chez le meurtrier, et surtout chez le meurtrier d’instinct ; ils étaient au contraire assez beaux garçons, et l’un d’entre eux surtout avait la physionomie remarquablement intelligente.

Leur entrée fit une sensation profonde. J’ai, déjà dit les étranges choses qu’on racontait à leur égard. Un murmure violent courut donc dans l’assemblée ; trois d’entre eux se retournèrent et regardèrent en riant comme s’ils cherchaient à deviner la cause de ces murmures.

Le président imposa silence ; puis, un instant accordé à la curiosité, l’accusateur public se leva et lut l’accusation suivante, que je traduis à peu près littéralement :

« Un assassinat exécuté, deux blessures faites et une simple insulte commise à Livourne dans la soirée du 18 février 1840, et suivis de résistance à la force armée, résistance dont le cordonnier Angiolo Ghettini se rendit coupable, devaient nécessairement exciter un grand mouvement de douleur et d’inquiétude parmi les bons et industrieux habitans de cette populeuse cité.

Comment, en effet, réprimer l’effroi qui suit la vue du meurtre ? Comment étouffer la pitié qu’inspirent les victimes ? Comment demeurer impassible quand la sécurité de toute une population est compromise ?

Il fut donc bien naturel ce sentiment de trouble et de crainte qui s’empara de toute la ville de Livourne quand, au son de la cloche qui appelait les pieux confrères de la Miséricorde au secours des moribonds et des blessés, se répandirent les terribles détails de la sanglante, histoire accomplie dans cette fatale soirée.

Voici les faits relatifs à cette soirée, la cour n’étant appelée à délibérer que sur ces faits.

Le 18, Antonio Ciolli, après avoir bu comme d’habitude à son dîner, se rendit au jardin Bicchi, espèce de guinguette dans laquelle il retrouva ses compagnons habituels ; là ils s’assirent à table et continuèrent de boire ; Ciolli à lui seul but à peu près trois fiasques, c’est-à-dire un peu plus de six bouteilles de vin.

Alors les accusés feignirent d’improviser une mascarade ; on prit une poêle, et avec du noir de fumée chacun se teignit la figure ; alors les accusés demandèrent où il y avait bal pour aller y finir leur soirée, et sortirent du jardin Bicchi.

Du jardin Bicchi les accusés se rendirent au cabaret de Porta alla Mare, où ils burent encore quelques verres de vin.

Enfin ils entrèrent au café del Cappanara, où ils demandèrent un bol de punch.

Pendant toute cette première course ils étaient accompagnés de quatre autres de leurs camarades qu’ils avaient rencontrés chez Bicchi, et qui, ne soupçonnant pas comment se terminerait la soirée, les suivirent la figure noircie, et criant et vociférant comme eux.

Mais arrivés là, Bastiani, Vincenti et les deux Bicchi, qui étaient les quatre étrangers joints à la bande, trouvèrent que c’était assez faire les fous comme cela, et se séparèrent de Ciolli, de Ghettini, de Bianchini, de Centini et de Mellini. Cette séparation eut lieu dix minutes à peu près avant que le premier assassinat ne fût commis sur la personne de Lemmi.

Maintenant il résulte de l’instruction :

Que le 18 janvier, vers les neuf heures et demie du soir, Jean Lemmi, âgé de soixante ans, étant à quelques pas de sa porte, sous l’arcade qui conduit au jardin Montrielli, dans le bourg des Capucins, se vit assailli par une bande de furieux, et se sentit aussitôt et successivement frappé de cinq blessures : la première, dans le bas-ventre, et celle-là produite par un fer quadrangulaire et traversant les intestins grêles, fut reconnue comme mortelle ; la seconde, dans la partie supérieure du bras droit, faite par un simple couteau ; la troisième, dans la partie extérieure du même bras, pénétrant jusqu’au périoste et avec lésion des muscles, laquelle troisième blessure fut reconnue causée, comme la seconde, par un simple couteau ; la quatrième, qui fracturait la septième côte et pénétrait dans le poumon, produite, comme la première, avec un fer quadrangulaire, et comme la première réputée mortelle ; enfin la cinquième, qui pénétrait dans la partie supérieure du bras gauche avec rupture du muscle deltoïde, causée par un simple couteau et considérée comme grave.

Desquelles blessures le susdit Lemmi mourut dans l’hôpital de Livourne le surlendemain, 20 janvier 1840, à cinq heures de l’après midi.

Cet assassinat commis, les meurtriers abandonnèrent la victime, et, continuant leur route par le bourg des Capucins, arrivèrent à la Pyramide, où deux d’entre eux se séparèrent des trois autres, et se portèrent impétueusement à la rencontre du nommé Jean Vanucchi, lequel causait avec un de ses amis ; mais à la vue d’un troisième individu qui venait se joindre aux deux premiers interlocuteurs, les assassins, pensant qu’ils auraient affaire à trop forte partie, puisqu’ils n’étaient que deux contre trois, retournèrent en arrière et rejoignirent leurs compagnons. Jean Vanucchi a déclaré qu’en voyant s’approcher de lui deux individus la figure teinte de noir, et avec des intentions aussi visiblement hostiles, il fit un vœu intérieur à Notre-Dame-de-Montenero, vœu dont il s’empressa de s’acquitter le lendemain envers la sainte image.

Les meurtriers abandonnèrent alors le bourg des Capucins et prirent le cours Royal, dans la direction de la villa Attias. Au bout de deux cent cinquante pas à peu près, un d’eux se détacha des quatre autres et s’introduisant dans la cour de Joseph Prataci, surnommé le Facteur, et l’ayant trouvé près de la porte, il lui porta une blessure dans la région lombaire droite ; blessure produite par un fer quadrangulaire, qui fut reconnue grave, et qui effectivement entraîna une incapacité de travail de quarante jours, et le mit pendant près de quinze jours en péril de mort.

Arrivés à la villa Attias, en face de la rue Léopold, à l’endroit même où lors des fêtes publiques ou élève la tribune du souverain, ces cinq furieux aperçurent Gaëtano Carrera et se précipitèrent sur lui, mais Gaëtano Carrera était un homme vigoureux, qui se débarrassa du premier qui l’attaqua par un coup de poing qui le renversa à terre, et qui échappa aux autres par la fuite.

Quelques instans après, et à peu de distance de cette tentative manquée, les mêmes individus rencontrèrent le septuagénaire Mazzini, qu’ils entourèrent aussitôt, et auquel l’un d’eux porta de face dans la région inguinale droite une blessure quadrangulaire, heureusement peu grave, attendu que le fer rencontra un bandage que portait ledit Mazzini, à cause d’une hernie dont il est affligé. Cependant le coup fut assez violent pour que Mazzini tombât à la renverse en criant au secours ; il en résulta que, soit que les assassins eussent peur que quelque patrouille n’accourût à ses cris, soit qu’ils le crussent plus grièvement blessé qu’il n’était effectivement, ils ne redoublèrent pas leurs coups et prirent la fuite.

Mais, comme nous l’avons dit, Mazzini n’était que légèrement blessé ; il se releva et se mit à suivre les assassins en criant : Au meurtre ! Arrivé à la rue Léopold, il rencontra une patrouille de chasseurs de la police et leur désigna les fuyards ; ceux-ci se mirent aussitôt à leur poursuite et en atteignirent deux : l’un qui parvint à s’échapper de leurs mains, l’autre qui essaya de faire résistance en portant au chasseur Nobili un coup de stylet dans la figure. Ce coup lui coupa la lèvre supérieure ; mais le chasseur Nobili ne lâcha point le meurtrier, et, l’ayant terrassé, le força de se rendre. En tombant, l’assassin avait jeté loin de lui son stylet, mais on le retrouva ; c’était un fer quadrangulaire, le même, selon toute probabilité, avec lequel avaient été portées les deux blessures de Lemmi et la blessure de Mazzini.

Le prisonnier était Angiolo Ghettini, lequel, par conséquent, outre l’accusation d’homicide volontaire, se présente encore devant la cour sous la prévention de résistance à main armée à la force publique. »

Voilà la série de crimes dont étaient, pour une seule soirée, accusés les nommés Ciolli, Ghettini, Mellini, Centini et Bianchini, sans compter ceux dont la vindicte publique les chargeait depuis dix-huit mois.

Je ne pus suivre ce procès, entraîné que je fus par des courses aux environs de Florence ; ce que je sus seulement, c’est que les accusés avaient commencé par tout nier, mais qu’enfin l’un d’eux, Centini, dans l’espoir sans doute qu’on lui ferait grâce, s’était détaché de la dénégation générale et avait tout dit.

Les débats ne portèrent, comme l’accusateur public en avait prévenu la cour, que sur les faits advenus dans cette soirée. Ces faits furent tous prouvés, et, la peine de mort étant abolie en Toscane, les cinq accusés furent condamnés aux galères à perpétuité.

Mais comme à partir de ce moment les meurtres quotidiens s’arrêtèrent à Livourne, le peuple ne fit aucun doute que, comme il l’avait pensé, avec cet admirable instinct qui a fait comparer son jugement à celui de Dieu, les véritables coupables ne fussent tombés entre les mains de la justice et que cette lascivia di sangue dont ils avaient donné de si cruelles preuves dans la soirée du 18 janvier ne s’était pas bornée à ces quatre assassinats.

Alors le peuple, après l’instruction judiciaire, fit son instruction à lui, et il découvrit des choses étonnantes. Nous citerons deux faits seulement, lesquels ont à Livourne force de chose jugée.

Ciolli était marié et paraissait fort aimer sa femme. Cependant comme cette soif de sang dont il était atteint était le premier de ses amours, un soir que les conjurés, soit par crainte, soit par lassitude, n’avaient pas versé le sang quotidien, il fut convenu que, pour ne pas déroger au serment, on ferait une légère blessure à la femme de Ciolli : celui au tour duquel c’était de frapper, car ces hommes avaient chacun leur jour, alla s’embusquer au coin de la rue, et Ciolli ordonna à sa femme d’aller lui chercher chez l’apothicaire une once d’huile de ricin, dont il avait besoin, disait-il, pour se purger le lendemain. La femme sortit sans défiance : un instant après on la rapporta évanouie et baignée dans son sang ; la blessure, qui offensait le gros de la cuisse, n’était cependant pas autrement dangereuse. Mais la pauvre femme avait eu si peur qu’elle s’était cru morte. Derrière elle entra celui qui lui avait frappé le coup, et qui aida Ciolli et ses autres compagnons à porter les secours nécessaires à la blessée. À minuit, ces cinq hommes se séparèrent satisfaits ; grâce à l’expédient trouvé par Ciolli, ils n’avaient pas perdu leur journée.

Peut-être aussi cet accident eut-il une autre cause, et Ciolli, en faisant frapper sa propre femme, voulut-il détourner les soupçons de lui.

La troupe se recrutait successivement : elle s’était d’abord composée de deux associés, puis de trois, puis de quatre, puis de cinq. Le jour où le cinquième associé avait été reçu, il avait été décidé que le soir même il donnerait un gage à ses compagnons en frappant la première personne qu’il rencontrerait en sortant. La nuit était sombre, l’assassin n’était pas encore fort aguerri dans le métier ; il sortit, et, voyant venir un homme à lui, il le frappa en détournant la tête et sans savoir qui il frappait. Le coup n’en fut pas moins mortel, l’homme expira le lendemain.

C’était son père.

Voilà, non pas ce qui résulta de la procédure, je le répète, car la procédure, comme on l’a vu, sans doute dans la crainte de soulever trop d’horreurs, ne porta que sur les faits accomplis pendant la soirée du 18 janvier 1840 ; mais ce qui se raconte par les rues de Livourne : aussi l’exaspération contre les accusés était telle que, lorsqu’on les amena pour subir l’exposition sur le théâtre même des crimes qu’ils avaient commis, on fut obligé de leur donner une garde quatre fois plus forte que d’habitude ; le peuple voulait les mettre en morceaux.

De plus, l’exposition accomplie, on n’osa point laisser ces hommes à Livourne, et on les envoya au bagne de Porto Ferrajo, où ils sont à cette heure, et où je les ai revus vêtus de la casaque jaune des condamnés à vie, et portant sur le dos cette terrible étiquette :

Lascivia di sangue.

En France, un procureur-général n’aurait pas manqué de faire honneur à la littérature moderne de la perte de ces honnêtes citoyens, qui fussent sans aucun doute restés l’ornement et l’exemple de la société s’ils n’avaient pas lu les romans de M. Victor Hugo et vu représenter les drames de M. Alexandre Dumas.

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Je raconterais bien encore l’histoire d’un sbire qui a tué sa femme, et qui, pour faire disparaître le cadavre, l’a salé et fait manger à ses enfans. Je ne veux pas réhabiliter Lacenaire.