La Vie en fleur/Chapitre XIV

Calmann-Lévy (p. 177-179).

XIV

DERNIÈRE JOURNÉE DE COLLÈGE

Ma dernière journée de collège vint enfin.

Mes parents, croyant bien faire, ne m’avaient pas épargné la philosophie dont j’avais profité d’une manière bien contraire à leurs intentions. Sans être très intelligent, je trouvai la philosophie qu’on m’avait enseignée tant sotte, tant inepte, tant absurde, tant niaise, que je ne crus rien des vérités qu’elle établit et qu’il faut professer et pratiquer si l’on veut passer pour un honnête homme et un bon citoyen.

C’était le dernier jour de l’année scolaire. La plupart des élèves s’en allaient pour deux mois ; quelques-uns plus heureux s’en allaient, comme moi, pour toujours. Tous faisaient un paquet de leurs livres qu’ils emportaient ; j’abandonnai les miens à l’établissement.

Notre professeur ne fit pas sa classe. Il nous lut la distribution des Aigles, dans le Consulat et l’Empire de M. Thiers. Ainsi l’Université, pour couronner mes études, me fit connaître le plus mauvais écrivain de la langue française.

J’éprouvai une grande peine à la pensée que je ne verrais plus Mouron tous les jours. Je serrai sa petite main chaude avec une émotion dissimulée. Car j’étais dans l’âge où l’attendrissement le plus noble paraît une faiblesse indigne d’un homme. Ne comptant plus sur des séances académiques pour nous réunir, nous fîmes serment de nous revoir chez nos parents.

J’étais très malheureux au collège d’une façon à peu près constante, et je me promettais une grande joie de le quitter. Quand j’en sortis pour n’y plus rentrer, je fus déçu. Ma joie n’était ni aussi grande ni aussi franche que je me l’étais promis. C’était la faute d’un naturel faible et timide ; c’était aussi l’effet de cette odieuse discipline qui, s’exerçant sur toutes les pensées et tous les mouvements des élèves depuis l’enfance jusqu’à la jeunesse, les rend incapables de jouir de la liberté et impropres à vivre dans le monde. Je le sentais, moi qui échappais tous les soirs à la contrainte des surveillants. Qu’était-ce donc pour les pensionnaires qui ne quittaient pas leur prison ? L’éducation en commun, telle qu’elle est donnée encore aujourd’hui, non seulement ne prépare pas l’élève à la vie pour laquelle il est fait, mais l’y rend inapte, si peu qu’il ait l’esprit obéissant et docile. La même discipline qu’on impose aux petits grimauds d’école devient pénible et humiliante quand des jeunes gens de dix-sept à dix-huit ans y sont soumis. L’uniformité des exercices les rend insipides. L’esprit en est abêti. Il est faussé par le système des punitions et des récompenses qui ne répond pas à ce qu’on va trouver dans la vie où nos actions portent en elles leurs conséquences bonnes ou mauvaises. Aussi, en quittant le collège, éprouve-t-on un embarras d’agir et une peur de la liberté. C’est tout cela que je sentais confusément ; et mon bonheur en était troublé.