La Vie de saint Yves



LA VIE DE SAINT YVES,


Prestre, Official de Tréguer et Recteur des Paroisses de Tre-Trez et Lohanech, au mesme Diocese, le 19. May.



L’ HEUREUX SAINT YVES, Miroir des Ecclesiastiques, ornement de son siecle, Advocat & Pere des pauvres veuves & orphelins, Patron universel de la Bretagne Armorique, mais specialement de l’Evesché de Treguer, nasquit au Manoir de Ker-Martin, en la Paroisse de Menehi, Diocese de Treguer, distant de la Ville de Land-Treguer d’un quart de lieue. Son pere s’appelloit Helory de Ker-Martin, Sr. dudit lieu, & sa mere Azo du Kenquis, fille de la Maison du Kenquis, c’est-&-dire en François le Plessix, en la Paroisse de Pleu-meurit-jaudy, prés la Ville de la Roche-Derien. Il vint au monde le 17 Octobre l’an de salut 1253, seant en la Chaire Apostolique le Pape Innocent III, sous l’Empereur Conrad, & le 17. du regne de Jean I. du nom, surnommé Le Roux, Duc de Bretagne.

Ses parens furent soigneux de l’élever, nommément sa Mere, Dame fort pieuse, laquelle avoit eu spéciale revelation de sa future Sainteté ; &, aussi tost qu’il eut passé ses premiers ans, le pourveurent d’un Precepteur, lequel, en la Maison paternelle, luy donna les premieres impressions de la pieté, & luy enseigna aussi les premiers Rudimens des sciences, quoy l’enfant se portoit de grande affection. Il frequentoit les Eglises, écoutant attentivement le service Divin, pendant lequel, il disoit ses Heures de N. Dame lesquelles il recitoit tousles jours sans y manquer.

II. Ayant suffisamment étudié au Païs, son pere, le voyant desireux de continuer ses études, l’envoya Paris, l’an de salut 1267, & de son âge le 14. ; il s’habitua en la Ruë au Fèvre & s’adonna à l’étude de la Logique & des Arts, esquelles sciences il profita si bien, qu’il fut passé Maistre és Arts. Alors, il changea de logis & alla demeurer en la ruë du Clos-Bruneau, s’occupant à entendre le Texte des Decretales, la Theologie Scolastique & le Droit Canon. Ayant consommé son cours en ces sciences, il alla de Paris à Orleans, l’an de grace 1277, le 24. de son âge, où il etudia en Droit Civil, sous le fameux Jurisconsulte Maistre Pierre de la Chappelle, lequel depuis, pour ses merites, fur fait Cardinal de l’Eglise Romaine. Ayant achevé son cours en Droit Civil, il vint en Bretagne & s’arresta en la ville de Rennes, où il frequenta les écolles d’un docte & pieux Religieux de l’Ordre de S. Francois, sous lequel il oûit le quatrieme livre des Sentences & l’interpretation de la sainte Escriture, enflammant sa volonté en l’Amour de Dieu, à mesure que son beau jugement le luy faisoit connoistre, &, par la familiere frequentation qu’il avoit aec ce Pere Cordelier, qui estoit renu en reputation de grande Sainteté, il conceut un saint mépris du monde et se résolut de le quitter tout à fait & de se ranger au service de Dieu & de l’Eglise ; ce que longtemps auparavant il avoit projetté.

III. Il print les Ordres de rang jusqu’à la Prestrise inclusivement, menant une vie si sainte & si édificative, que l’Archidiacre de Rennes, en estant informé, l’apella prés de soy & le fit son Official, Charge qu’il exerça avec reputation de grande integrité; mais, yoyant que le Peuple Rennois estoit fort litigieux, il quitta son Officiauté qui luy valoit cinquante livres de rente (grosse somme en ce temps-là), & s’en vint au Païs, au grand contentement de tous ceux qui le connoissoient. L’Archidiacre, le congédiant, luy donna un cheval pour le porter au Païs ; mais il le vendit dés Rennes & en donna l’argent aux pauvres, puis s’en vint à pied au païs, où il ne fut gueres, que Messire Alain de Bruc, Evesque de Treguer, jugeant que Dieu le luy envoyoit pour le service de son Eglise, le fit Official de Treguer & Recteur de la Paroisse de Tre-Trez, lequel Benefice il posseda huit ans. Il se comporta en cét office de Juge Ecclesiastique avec si grande integrité, qu’il ravissoit tout le monde en admiration de sa vertu, & remarqua-t’on que jamais il ne prononça Sentence, qu’on ne luy vist les larmes couler le long des jous, faisant reflection sur soy-mesme & considerant qu’un jour il devoit luy-mesme estre jugé.

IV. Il taschoit à pacifier ceux qu’il voyoit en discorde, sur le point d’entrer en procés ; &, lors qu’il ne les pouvoit mettre d’accord, il assistoif ceux qui avoient le bon droit, specialement les pauvres qui n’avoient les moyens de poursuivre leur droit ; ausquels il fournissoit liberalement de l’argent pour leurs frais ; mesme poursuivoit les appellations des Sentences iniques & jugemens pervers donnez contr’eux ; comme il fit pour une pauvre veuve nommee Levenez, de laquelle il entreprit la defense contre un gros usurier, plaida sa cause & la gagna ; & fit de mêmee pour un pauvre Gentilhomme, nommé Messire Richard le Roux, chicané par l’Abbé du Relec, ayant premierement fait jurer audit le Roux, qu’en sa conscience il croyoit avoir le bon droit. Et encore bien qu’il prist plus gayement en main la defense des miserables & pauvres gens, dénuez d’assistance & faveur, que des grands Seigneurs, & que mesme, en faveur de ceux-là, (quand ils avoient bon droit) il faisoit décheoir ceux-cy de leurs prétentions, neantmoins jamais on ne s’est plaint qu’il ait donné jugement inique, ny entrepris la defense d’aucune cause qui ne fut bonne & juste.

V. Il jugea, un jour, une cause de Mariage en faveur d’un jeune homme qui revendiquoit une fille pour femme, laquelle n’y vouloit consentir ; toutesfois, S. Yves, sur les preuves qu’il trouva contr’elle, la condamna ; elle en apella à Tours, où le Saint se rendit pour soûtenir sa Sentence. L’Official de Tours, ayant fait seoir S. Yves prés de soy, fit visiter le procés ; &, d’autant que par les enquestes il ne paroissoit rien du Mariage, l’Official de Tours demanda à S. Yves qui l’avoit meu de donner la Sentence commee il l’avoit donne : parce (dit-il) que la fille m’a confessé le Mariage[1]. Alors, l’Official de Tours interrogea publiquenent la fille, laquelle nia le fait ; & S. Yves, l’ayant, en presence de l’Official de Tours, interrogea, elle le confessa de rechef. L’Official de Tours la reprenant d’inconstance de ce qu’elle avoit nié que ce fust son mary, aussi le nié-je (dit-elle). S. Yves, reprenant la parole, l’interrogea de rechef en cette sorte : « Venez-ça ma Fille ; m’avez-vous pas confessé que vous l’aviez pris en Mariage ? » « Ouy, (dit-elle) il est mon mary & je suis sa femme, &, tant qu’il vive, n’auray autre mary que luy. » L’Official de Tours, voyant ce mystere, resta tout étonné ; &, averty de la grande Sainteté de S. Yves, luy ceda la Chaire pour confirmer sa Sentence.

VI. Ce qui luy arriva, une autre fois, en la mesme Ville de Tours n’est pas moins remarquable. Y estant allé pour une autre cause de Mariage, qui avoit esté poursuivie par devant luy, entre un Gentilhomme & une jeune Damoiselle, laquelle se portoit apellante de certaine Sentence donnée par S. Yves, Official de Treguer, par devant l’Official de Tours, le Saint y alla soûtenir sa Sentence. Il avoit de coûtume de loger chez une honneste & riche veuve, laquelle, dés qu’elle le vid, commença à pleurer & luy dire : « Ha ! Monsieur mon cher hôte, je suis ruïnée sans remede, par un mechant garnement qui a plaidé contre moy, & seray demain condamnée à luy payer douze cens écus d’or, à tort & sans cause. » S. Yves la consola, l’exhortant d’avoir sa confiance en Dieu, lequel ne l’abandonneroit pas en son affliction, & la pria de luy faire entendre son affaire, luy promettant de l’assister en tout ce qu’il pourroit. « Monsieur, (dit-elle) il y a environ deux mois que deux hommes, accoustrez en Marchands, vinrent loger ceans, &, d’arrivée, me donnerent à garder une grande bougette de cuir fermée à clef, fort pesante, & me dirent que je ne la baillasse si l’un d’eux que l’autre ne fust present ; ce que je leur promis faire. A cinq ou six jours de là, comme j’estois la porte de ceans ils passerent par la ruë, avec trois ou quatre autres Marchands, & me dirent: adieu mon hostesse, accommodez-nous bien à soupper, & devalerent la ruë.

VII. Peu après, l’un d’eux s’en retourna à mon logis & me dist: Mon hostesse, baillez-moy un peu la bougette, car nous allons faire un payement avec ces marchands que vous voyez là ; moy, qui ne pensois qu’à la bonne foy, luy baillai la bougette, laquelle il emporta & jamais depuis ne le vis ; l’autre Marchand s’en retourna ceans, le soir, & me demanda si j’avois veu son compagnon ? Non (dis-je), je ne l’ay point veu depuis que je luy ay baillé la bougette. Comment (dit-il) la bougette ! la luy avez-vous bail1ée ? Ha ! me voilà ruïné & rendu pauvre pour jamais ; ce n’est pas ce que vous nous aviez promis, quand nous vous la baillasmes ; je m’en plaindray à la Justice ; &, de fait, (Monsieur) il m’a fait adjourner devant le Lieutenant du Baillif de Touraine, & a, par serment, affirmé qu’en sa bougette y avoit douze cens pieces d’or & quelques lettres & cedules de consequence quand elle me fut bail1ée, & ; est le procez en tel terme que, demain, je dois avoir Sentence. S. Yves, l’ayant paisiblement ecoutée, luy dit: Mon hostesse, faites-moy venir vostre Advocat et que je parle à luy. » L’Advocat venu raconta le tout au Saint, ainsi que la femme luy avoit dit ; ce qu’ayant entendu & conferé 1à dessus, S. Yves obtint de l’Advocat qu’il plaideroit cette cause pour son hostesse.

VIII. Le lendemain, saint Yves se trouva en l’Audiance avec son hostesse, & apres que la cause eust esté par ordonnance du Juge apellée, saint Yves, pour la veuve defenderesse, requist de voir en face son adverse partie, lequel ayant comparu, & l’estat auquel estoit le procez recité (car plus ne restoit qu’à prononcer la sentence), S. Yves, parla pour son hostesse, disant: « Monsieur le Juge, nous avons à vous montrer un nouveau fait qui est peremptoire la decision du procez ; c’est que la defenderesse a fait telle diligence & si bonne poursuitte depuis le dernier apointement prins en la cause, que la bougette dont est question a esté trouvée, & l’exhibera quand par Justice il sera ordonné. » L’Advocat du demandeur requist que, tout presentement, elle exhibast la bougette en jugement, autrement qu’il ne servoit de rien d’alleguer ce nouveau fait, pour empescher la prononciation de la Sentence : « Seigneur Juge (dit S. Yves) le fait positif du demandeur, est, que luy & son compagnon, en baillant la bougette à la defenderesse, leur Hostesse, la chargerent de ne la bailler à l’un d’eux que l’autre ne fust present, &, pour ce, fasse le demandeur venir son compagnon, &bien roloutters la defenderesse exhibera la bougette, tous deux presents. » Sur quoy le Juge apointa, & declara que l’Hôtesse ne seroit point obligée de rendre la bougette que tous deux ne fussent presents. La Sentence ainsi donnée, le demandeur se trouva bien etonné, devint pasle & commença à trembler ; dequoy route la compagnie resta fort etonnée ; ce que voyant le Juge, par soupçon, le fit saisir & serrer en prison, où il fut si-bien poursuivi contre luy, qu’ayant trouvé que c’estoit un pipeur, qui, pour tromper & voller cette pauvre veuve, luy avoit baillé une bougette pleine de vieux clous & ferrailles, qu’il fut, à trois jours de là, pendu & etranglé au gibet de Tours.

IX. Ainsi Saint Yves, fut suscité de Dieu pour garanti cette pauvre veuve & faire punir ce volleur, comme jadis Daniel pour délivrer la chaste Suzanne & châtier ces impudiques vieillards. Si est-ce qu’il s’en trouva quelques uns qui médirent du Saint ; mais ceux qui avoient le palais de l’Ame plus sain & les yeux moins chassieux, en faisoient tout autre jugement. Par ces œuvres d’extrème charité, qu’il exerçoit à l’endroit des pauvres miserables, il s’acquist ce beau & glorieux titre de Pere & Advocat des pauvres veuves & orphelins. Son patrimoine se montoit bien à soixante liv. de rente (qui en ce temps-là faisoit une bonne somme), lequel il distribuoit entierément aux pauvres. Quand il estoit Official de l’Archidiacre de Rennes, il entretenoit, à ses propres frais, deux ecolliers aux études, l’un nommé Derien, & l’autre Olivier ; &, à Pasques, la Pentecoste, la Toussaints, Noël & : autres Festes solemnelles, il lea faisoit disner à sa table, avec grand nombre d’autres pauvres. Dans sa maison Prebendale à Land-Treguer, & en ses Presbytaires de Tre-trez & Lohanech, quand il y estoit, il logeoit les pauvres ; &, dans son Manoir de Ker-Martin, il bastit un Hôpital ; en tous lesquels lieux ils recueilloit les pauvres, non seulement ceux qui y venoient ou qu’il rencontroit dans son chemin ; mais même il les alloit chercher & les emmenoit chez luy, leur donnoit l’eau à laver, les servoit à table & graissoit leurs soulliers. Il donnoit à plains boisseaux son bled aux pauvres, tant du revenu de son patrimoine que de son Benefice ; il leur donnoit mesme jusques au pain disposé & apresté pour sa propre refection ; &, se trouvant, une fois, prié d’un pauvre sans le pouvoir soûlager, il mist son chapperon ou cuculle en gage pour du pain, qu’il print en une maison prochaine, lequel il bailla incontinent à ce pauvre.

X. Il nourrissoit beaucoup de pauvres enfans orphelins ; instruisoit les uns en sa maison, mettoit les autres en pension chez des Maistres ouvriers pour apprendre mestier, lesquels il salarisoit de son propre argent. Il ne pouvoit endurer de voir lea pauvres nuds ; un jour estant allé (selon sa coustume) visiter les pauvres à l’Hospital de Land-Treguer, voyant plusieurs pauvres fort mal vétus, il leur bailla la pluspart de ses habits. de sorte qu’il luy fallut s’envelopper dans un loudier, attandant qu’on luy en eust apporté d’autres. Une autre fois, il fit la même chose ; &, comme un jour son cousturier luy fut venu vestir une robbe & capuchon gris, il apperceut en la court un pauvre à demy nud ; il ne le peut endurer ; mais, retenant ses vieux habits, luy donna cét accoustrement neuf. Allant une fois à l’Eglise, disant son Breviaire, un pauvre, luy demanda l’aumône, n’ayant que luy donner, tira son capuchon & le luy donna. Il visitoit souvent les malades, nommément les pauvres & nécessiteux, les consoloit & assistoit, il leur administroit les Sacremens, les y disposant avec grand soin & charité. Il ensevelissoit de ses propres mains les corps des pauvres qui decédoient tant en l’Hôpital que chez luy & és maisons particulieres, les enveloppant en des suaires blancs siens, les portoit à la sepulture, aidé de quelques autres pieuses personnes.

XI. Dieu fit paroistre, par plusieurs miracles, combien luy estoit agreable la charité dont S. Yves assistoit ses membres. Nous avons dit cy-dessus, que, trouvant un jour un pauvre en son chemin, n’ayant que luy donner, il luy donna son chapperon, mais Dieu le luy remist sur la teste, avant qu’il fust arrivé en l’Eglise où il alloit. Une autre fois, ayant trouvé à sa porte Jesus-Christ, en forme d’un pauvre homme tout poury de lepre, il le fit monter en sa chambre, luy bailla à laver, le fit seoir à table & luy servit bien à disner, puis s’asseoit auprès de luy pour disner aussi ; mais, sur le milieu du disner, ce pauvre parut si resplendissant, que toute la chambre en fut claire, regardant fixement S. Yves, il luy dist : « Dieu soit avec vous ! » & disparut, laissant le Saint comblé de joye & consolation Spirituelle. Pendant une grande cherté qui avint par tout le Païs, pour huit sols de pain, il substanta plus de deux cens pauvres, le pain se multipliant miraculeusement entre ses mains ; &, une autre fois, pour deux deniers de pain, il rassasia vingt-quatre pauvres. Quand les Religieux mendians venoient vers luy, il les logeoit & traittoit avec grande charité & respect, & avoit fait dresser une chambre tout exprés pour les recevoir, garnie de tout ce qui y estoit besoin, oh luy meme les traittoit ; souffloit & attisoit le feu pour les chauffer ; leur versoit l’eau sur leurs mains & les servoit à table en grande humilité. Un pauvre estant arrivé tard à Ker-Martin & n’osant fraper à la porte se coucha auprés & y passa la nuit ; saint Yves, sortant de bon marin, le trouvant là, le fit entrer, le revétit de ses propres habits, luy donna bien disner & à souper, le fit coucher en un bon lict, alla se coucher au mesme lieu où il l’avoit trouvé et y passa la nuict.

XII. S’il estoit soigneux de nourrir corporellement les pauvres & les substanter du pain materiel, il l’estoit encore plus à nourrir leurs Ames du pain de vie, de la parole de Dieu. Il ne se contentoit pas de prescher ses Paroissiens, il preschoit les autres circonvoisins, faisant, par fois, trois ou quatre predications par jour. Il assistoit l’Evesque de Treguer en ses visites & le précedoit d’ordinaire pour disposer le peuple à cette action & à recevoir le saint Sacrement de Confirmation, & alloit, devant l’Evesque, de Paroisse en autre, à pied, avec un rare exemple & édification de ceux qui le voyoient. Il s’adonnoit avec telle ferveur & attention d’esprit à ce saint et Apostolique Office, que souvent il en oublioit le boire & le manger ; &, estant de retour au logis, le soir, après avoir presché tout le jour, ne se pouvoit presque tenir sur bout tant il estoit faible. On a remarqué qu’à un vendredy saint, il prescha la Passion en sept diverses Eglises. Le monde couroit après luy de Paroisse en autre, pour entendre ses admirables Sermons, comme d’un Apostre. Il fut une fois à Kemper & fut prié de prescher en la Cathedrale ; ce qu’il fit avec grande édification & satisfaction de l’Evesque de Cornoüaille & de toute la ville.

XIII. Il preschoit d’ordinaire en Breton, souvent en Latin, nommément aux actes capitulaires, & aucunes fois en François, s’accommodant à la capacité de ses Auditeurs. Quand il alloit par les champs, il s’arrestoit à Catechiser les villageois & leur apprendre leur créance, à dire leur Chappelet, examiner leur Conscience & autres pieux & devots exercices que tout bon Chrestien doit sçavoir. Ses Prédications n’estoient pas infructueuses, ny ses travaux vains, car il faisoit de grandes conversions. L’an 1294, il fut pourveu de la Recteurerie de Lohanech, Paroisse en laquelle il fit un grand fruit car par ses Prédications il convertit nombre de vicieux, spécialement des usuriers publics, entr’autres un certain, nommé Thomas de Kerrimel, lequel, ayant été converty par ses predications, se fit Moyne en l’Abbaye de Begar, lors estroittement reformée. Il convertit aussi deux Clercs concubinaires & un grand paillard et violateur de filles, nommé Derien, Preschant une fois à Loc-Ronan, en Cornoüaille[2], le Sieur de Coat-Pont, Escuyer, sortit de l’Eglise comme il racontoit en Chaire, sans se soucier d’entendre le Sermon ; S. Yves, le voyant, dit : « S’il y avoit icy trois ou quatre filles avec un trompette du Diable (il entendoit par là des sonneurs), il y seroit demeuré ; mais non pas pour ouyr la parole de Dieu : lequel je prie de le punir en cette vie & ne luy réserver la peine deue à cette offense en l’autre ; » ce qui fut incontinent fait, car ledit Gentil-homme devint Paralytique, & ne fut guery de ce mal qu’après la mort de S. Yves qu’il obtint la santé à son Sepulchre.

XIV. Son Oraison estoit sans relâche, car c’estoit elle qui entretenoit & nourrissoit non seulement son Ame, mais aussi miraculeusement son corps. On l’a veu une fois cinq jours, un autre fois sept jours tous entiers, absorbé en une profonde contemplation, sans boire, manger, ny dormir. Entre les Oraisons Jaculatoires, il avoit toujours en boûche : « Jesus Christus Filius Dei ! » & « Seigneur créez en moy un coeur net & pur ! », Il disoit, tous les jours, fort devotieusement son service & celebroit la Sainte Messe, avant que de se vétir des ornemens Sacerdotaux, il se mettoit à genoux devant ou à costé de l’Autel auquel il devoit dire la Messe, le visage couvert de son chapperon, les mains jointes, le cœur élevé en Dieu, se recolligeoit, &, après la Messe, en faisoit de mesme ; & une fois, en la grande Eglise de Treguer, pendant qu’il faisoit ses Actions de grâces après la Messe, une belle Colombe, environnée d’une grande clarté, s’estant reposée sur son chef, s’envola sur le grand Autel & y demeura quelque temps, puis disparut. Disant le Confiteor & le Canon de la Messe, il sentoit de grandes consolations spirituelles, &, à la prise de l’Hostie, il versoit de ses yeux un ruisseau de larmes. Une fois, lorsqu’il tenoit le Corps de Nostre Seigneur, il apparut un globe de feu à l’entour, lequel, ayant paru autour du Calice, disparut incontinent. Ayant entendu qu’un jeune homme vouloit entrer en procez contre sa mere, il les manda un matin & tascha à les mettre d’accord ; mais voyant qu’ils n’en vouloient rien faire, il les pria de l’attendre un peu, ce qu’ils firent, &, ce pendant, alla dire la Messe, en laquelle ayant prié pour eux, il fut exaucé ; car, quand il s’en retourna vers eux, il les trouva avoir changé de volonté & les accorda sur le champ.

XV. Il estoit doüé d’une grande humilité ; il ne vouloit aucunement estre loüé ny estimé ; moins encore luy arriva-t-il jamais aucune parole qui pûst tourner à sa propre gloire ; &, encore bien qu’il fust si signalé en science & sainteté, il se maintenoit toujours en une si profonde humilité, comme si c’eust esté le plus ignorant de la terre. De cette humilité procedoit le peu de cas qu’il faisoit de sa propre personne ; il alloit à pied, sans vouloir user de monture, mesme accompagnant l’Evesque de Treguer en ses visites ; pour vestement, il portoit sur sa chair nuë un aspre Cilice & par dessus une chemise de grosse toile d’étouppe, laquelle, le plus souvent, il mouilloit avant que de la vestir, pour plus s’incommoder. Il print l’habit du tiers Ordre de Saint François au Convent de Guengamp, s’accoustra d’une robbe de grosse bure grise & d’un capuchon de mesme estoffe, si vile & si commune, que l’aune ne coûtoit que deux sols six deniers ; &, pour toute chaussure, portoit des sandales comme les Freres Mineurs. Quand quelques Religieux se presentoient pour prescher aux lieux où il s’estoit disposé de prescher, leur cedoit la Chaire, disant n’estre digne de parler en leur presence ; sur quoy se sont rencontrées plusieurs saintes contestations entre luy & plusieurs bons Religieux, avec grande édification des assistans.

XVI. Dès qu’il estoit étudiant à Paris, il commença à s’abstenir de chair, donnant sa portion aux pauvres ; estant à Orleans, il commença aussi à s’abstenir de vin & jeûner tous les Vendredys, &, quelque temps aprés, il commença à ne manger que du pain de seigle, d’orge ou d’avoine, & souvent demeuroit un jour tout entier, quelque fois cinq, quelque fois sept, sans rien manger du tout, ravy en contemplation, & neanmoins estoit aussi frais & dispos, que si tous les jours il eust fait grand chere. Dés l’an 1289, quinze ans, avant sa mort, il changea entierement de vie, & redoubla ses austeritez, car, dans ce temps il jeûna trois jours la semaine au pain & à l’eau, les Mercredys, Vendredys & Samedys, les Quatre-Temps & Vigiles de N. Dame & des douze Apostres, les Avents & onze Caresmes, tous les jeûnes de l’Eglise & les dix jours qui sont depuis l’Ascension de Nostre Seigneur jusques à la Pentecoste ; les autres jours, il ne mangeoit qu’une fois le jour du pain de seigle, d’orge ou d’avoine, jamais de forment, & du potage de gros choux, raves ou féves, avec du sel ; rarement il y mettoit un peu de farine ou de beurre ; les jours de Noël, de Pasques, de Pentecoste & de Toussaints, il mangeoit deux fois le jour ; &, le jour de Pasques à son disné, il mangeoit des œufs ; de chair ny vin jamais, du poisson très rarement ; il ne dormoit qu’un peu devant l’Aurore, pour se disposer — dire la Messe, passant le surplus de la nuit à prier, lire les Saintes Escritures, assister les malades moribonds, ou telle autre sainte action. Son lict ordinaire estoit un peu de paille épandue sur une claye tissuë de grosses verges, ayant sous sa teste une Bible ou quelque grosse pierre ; souvent il couchoit sur quelque banc ou platte terre, dans la Sacrisie de l’Eglise Cathedrale de Land-Treguer, pour empescher les violences des Officiers du Duc, qui, à tous coups, vouloient de force enlever le Thresor & argenterie de l’Eglise de saint Tugduval. Dormant une fois, au bourg de Land-Elleaw, en Cornoüaille, avec un homme, nommé Maurice du Mont, en mesme chambre, cettuy-cy fut éveillé d’une voix qui disoit que le Saint gisoit sur la pierre, ne trouvant saint Yves en la chambre, alla au Cimetière & le trouva couché dans la pierre en laquelle saint Elleaw avoit fait sa penitence.

XVII. La querelle des Regales n’estant pas encore assoupie, les Agents & Officiers du Duc donnoient beaucoup de peine à l’Evesque de Treguer & à son Chapitre, saisissant leurs revenus à faute d’obeyr aux Edits du prince & aux Loix du Parlement, &, sous ce prétexte, eussent bien voulu mettre la main sur le Thresor & argenterie de la Cathedrale, & de fait, s’efforcerent plusieurs fois de ce faire ; mais ils se voyoient saint Yves en teste qui leur rompoit toujours leur dessein, non sans danger de sa vie, ne demandant pas mieux que de mourir pour une si juste cause ; il y en eut un si effronté que de vouloir entrer de force dans l’Eglise, mais S. Yves, l’en ayant empesché, fut par luy frapé & blessé à la main, ce qu’il porta avec patience ; toutes fois, pour arrester ces insolences, il fit plusieurs voyages vers le Duc, duquel il obtint que ces garnemens ne s’ingerassent plus d’attenter à telles choses, & leur fit commandement de ne plus inquieter l’Eglise de Treguer.

XVIII. Que diray-je de sa patience ? Certes, il la fit paroître en plusieurs occasions Une fois, le Thresorier de Treguer & quelques autres Messieurs, desquels la veue debile et chassieuse estoit offusquée par la vertu du Saint, l’apellerent publiquement gueux, coquin, pique-boeufs, quoy qu’il fust Noble et Gentil-homme de bon lieu ; mais le Saint, par sa patience, vainquit leur malice ; car luy ayans, par quatre diverses fois, chanté telles injures, jamais il ne leur répondit autre chose, sinon : « Dieu vous le pardonne. » Luy ayant est dérobbé une notable quantité de bled, jamais il ne s’en meut, ny ne dist aucune parole de mécontentement, mais seulement : «Que Dieu leur fist la grace s’amender ; qu’ils en avoient affaire & luy aussi. » Dormant une fois, dans la Sacristie de l’Eglise Cathedrale de Land-Treguer pour la garde des Vases sacrez, avec un autre, nommé Olivier, cettuy-cy sur la minuit, entendit un bruit & tintamarre effroyable comme d’un tonnerre, si violent, qu’il pensoit que tout l’édifice tomboit par terre ; s’estant réveillé en sursaut, il se leve & suit saint Yves (qui sortoit de la Sacristie dans l’Eglise) jusques dans le choeur, où le Saint, arrivé devant le maistre Autel, s’arreste quelque temps, puis passe outre jusqu’au lieu où on garde les Reliques de saint Tugduval ; là, le vint trouver l’heureux Prélat saint Tugduval, & parlèrent long-temps ensemble ; saint Tugduval parlant d’une voix grave & majestueuse, & saint Yves humblement & d’une voix basse.

XIX. Il conserva inviolablement le fleuron de sa Chasteté (comme depuis a solemnellement témoigné son Confesseur Messire Auffray) &, de plus, protesta que pendant le cours de sa vie, jamais il n’avoit commis aucun pecha mortel ; mais, quant à la Chasteté, pas seulement un veniel. Il montra aussi, en plusieurs & diverses occurences, qu’il avoit l’esprit de Prophetie. Une femme s’estant venus plaindre à luy de ce que son fils l’avoit abandonnée & s’estoit rendu Moyne : « M’amie (dit-il) ne vous plaignez point ; il vous reviendra, parce qu’il aime trop l’argent; » ce qui arriva ainsi; car l’autre, ne pouvant mettre frein à sa convoitise, quitta le froc & s’en alla. Son innocence estoit si grande, que les creatures irresonnables luy obéïssoient. Un jour, comme il disnoit en sa maison, entre un grand nombre de pauvres qu’il traitoit ce jour là, un oyseau d’une extreme beauté, entra dans la salle, laquelle il rendit route éclatante de la lueur qui sortoit de luy,&, voltigeant doucement autour du col & de la teste de saint Y’es, se vint poser sur la paume de sa nain, où ayant demeuré quelque temps, il s’en volla avec la Benediction. Allant, un jour, par le pays, il trouva le pont qu’il luy falloit passer tout noyé & couvert d’eau, ce que voyant il fit le signe de la sainte Croix dessus, & l’eau se divisa de part & d’autre, donnant passage libre au saint & à son serviteur, puis se referma comme devant.

XX. Sur le chemin de Land-Treguer à Land-Volon, y a un pont, nommé Ar-Pont-Losket, lequel estant rompu, on voulut le refaire de bois ; le bois qui y estoit destiné fut coupé trop court de demy pied ; mais saint Yves, par sa prière, l’allongea & reduisit à longueur competente. Estant Recteur de Lohanech, il esteignit un grand incendie & embrasement de feu, qui s’estoit pris en une maison, levant la main & faisant le signe de la Croix vers le feu, lequel, (chose étrange) tout incontinent s’esteignit, sans plus y faire aucun dommage. En la Paroisse du Trevou[3], il y avoit un pauvre homme tellement agité du malin esprit, qu’on ne le pouvoit tenir, il fut amené à saint Yves, lequel, l’ayant fait coucher une nuit avec luy, le délivra entierement.

XXI. Voyant que l’Eglise Cathedrale de Treguer estoit fort caduque, petite, bâtie à l’antique, mal percée, obscure & doublée de simples lambris, il se resolut, avec l’aide de Dieu, de la reparer ; plusieurs se moquoient de cette entreprise, mais luy, qui avoit sa confiance en Dieu seul, les laissoit dire. Il alla visiter le Duc, les Seigneurs de sa Cour, les Barons & Seigneurs du Pays, les exhortant à contribuer à une œuvre si pieuse, fit faire des questes & cueillettes parmy le Peuple, obtint quelques deniers communs de la Ville, persuada l’Evesque, son Chapitre, les Recteurs & Clergé du Diocese d’y contribuer du leur, avec tant d’efficace, qu’il n’y eut ny grand ny petit qui n’y contribuast tres-volontiers. On convoqua ouvriers de toutes parts, lesquels, (les materiaux déja rendus sur la place), reparerent, en peu de temps ce Temple, & Dieu fist connoistre, par un grand miracle, combien ce service luy avoit esté agreable ; car saint Yves ayant eu avis que, dans la forest de Rostrenen, y avoit de beaux arbres, alla trouver le Seigneur Pierre de Rostrenen pour luy en demander quelques uns, & obtint de luy permission d’en prendre autant qu’il luy en faudroit, à son choix.

XXII. S. Yves le remercia & s’en alla fi la forest, choisit grand nombre de beaux arbres, les fait abattre & marquer. Mais comme la Cour des Grands est, d’ordinaire, remplie de flatteurs, aucuns de ce metier qui avoient ouy saint Yves faire cette demande au Seigneur & l’eussent bien voulu faire dés lors conduire, mais n’avoient osé en presence du Saint, le lendemain, dirent au Seigneur qu’il estoit bien simple de se laisser ainsi affronter par cet hypocrite ; que sous pretexie de bastir l’Eglise de Land-Treguer, amassoit un grand argent, & qu’abusant du pouvoir qu’il avoit eu, il avoit abbatu deux fois plus d’arbres qu’il n’en falloit pour cet édifice, & des plus beaux qui fussent dans la forest. Ce Seigneur, croyant trop legerment aux faux rapports de ces gamemens, se mist en colere contre le Saint &, quand il s’en fust retourné le remercier, le tença rudement & luy dist meme quelques injures & mots de travers.

XXIII. Saint Yves endura patiemment cette attaque & répondit seulement : que c’estoit pour le service d’un Seigneur, qui estoit riche & puissant pour le recompenser & qui ne manquoit jamais à recompenser ceux qui se monstroient liberaux à luy bastir & orner des Temples ; au reste que la chose n’estoit pas comme on la lui faisoit entendre ; que, le lendemain matin il luy feroit voir qu’il n’avoit pas pris d’un seul pied plus qu’il n’en falloit pour l’édifice, au dire des ouvriers qu’il avoit amenés. Le lendemain donc, la Messe ouye dans la Chappelle du Chasteau, saint Yves & le Seigneur de Rostrenen, son train & les ouvriers allerent à la Forest voir les arbres qu’on avoit abbatus & marquez ; ils trouverent (chose miraculeuse) que sur le tronc de chacun arbre qui avoit esté coupé le jour precedent, cette nuict, estoit crû trois arbres, beaucoup plus beaux que ceux que l’on avoit coupez, de sorte que, si on en avoit coupé vingt, il s’en trouvoit soixante. Le Seigneur de Rostrenen, ayant veu ce miracle, se jetta aux pieds de saint Yves, &, luy ayant demandé pardon, luy permit d’en prendre tout autant qu’il auroit aftaire. Un autre miracle non moindre arriva à l’endroit du maistre Charpentier, qui avoit entrepris la structure de la Cathedrale de Treguer, il avoit coupé toutes ses poutres & autres pieces trop courtes de deux pieds ; cela le mit au desespoir & se vouloit pendre ; en cette destresse, il alla trouver saint Yves, &, en sa presence & d’une multitude de peuple, mesura son bois une & deux fois & le trouva tel qu’il avoit dit : saint Yves le consola, &, s’estant un peu abaissé, pria Dieu pour luy, puis luy dist : « Mon amy, prenez vostre ligne, mesurez encore une fois, vous vous estes peut-estre trompé : » il obeït au Saint & trouva toutes ses pieces plus longues de deux grands pieds qu’il ne falloit.

XXIV. Enfin, saint Yves tout cassé & usé, plus de travaux & austeritez que de vieillesse, tombas malade apres Pasques ; &, connoissant que Dieu vouloit mettre fin à ses travaux & donner commencement à son repos, il se disposa à ce passage, quoy que toute sa vie n’eust est qu’une continuelle preparation à la mort. Le Mercredy, quinzième de May, Vigile de l’Ascension, il se sentit si foible & debile, qu’à peine se pouvoit-il tenir sur pieds ; il celebra la Messe en sa Chappelle de Ker-Martin, l’Abbé de Beauport le soustenant d’un costé, & Messire Alain, Archidiacre de Treguer, de l’autre. La Messe estant finie, il entendit de confession ceux qui se presenterent, puis se coucha sur sa claye ordinaire. Les nouvelles de sa maladie divulguées, plusieurs personnes de qualité le visiterent, tant Ecclesiastiques que Laïcs : entr’autres, s’y rendirent l’Official, (qui lui avoit succedé en cét Office) & un Recteur, nommé Jean, lesquels, le voyant si durement couché sur sa claye, en ses accoustremens ordinaires, le reprindrent de cette trop grande austerité, disant, qu’à tout le moins il devoit avoir davantage de paille sous soy ; mais il leur repondit doucement « qu’il estoit bien ainsi, & qu’il n’en meritoit pas d’avantage. »

XXV. Le lendemain, Jeudy, seizième de May, jour de l’Ascension, il se confessa & se fit revétir de ses habits Sacerdotaux ; &, voyant sa Chappelle pleine de peuple, qui de toutes parts le venoit visiter, il leur fit une belle exhortation, laquelle leur tiroit les larmes des yeux ; &, voyant qu’un grand nombre de ses Paroissiens de Lohanech le venoit voit, il y envoya Jacques, son serviteur, pour les remercier de sa part & leur dire qu’il estoit en bon estat, graces à Dieu. Le Vendredy, dix-septième May, un Prestre, nommé Messire Derien, luy ayant dit, entr’autres propos, qu’il devoit faire venir le Médecin, le Saint, levant les yeux & les bras vers un Crucifix qu’il avoit devant soy, lui dist qu’il n’avoit affaire d’autre Médecin que de celuy-là. Le Samedy, dix-huitiesme jour de May, il fut mis en Extrême-Onction, presens le Grand Vicaire & Official de Treguer, Messire Geffroy et Alain Prestres ; le Prestre qui l’oignoit s’appelloit Messire Hamon, auquel il répondoit & aidoit, ayant la veuë portée sur le Crucifix. Aprés, il s’affoiblit fort & perdit la parole ; &, ayant passé le reste de ce jour & toute la nuit suivante en veilles, prieres & contemplations, le lendemain, Dimanche aprés l’Ascension, dix-neufième de May, au Crepuscule, cette sainte Ame s’envola au Ciel, où elle joüit de celuy, à qui elle avoit si fidellement servy en ce monde. Il deceda le cinquantième an de son âge, cinq mois moins, & de Nostre Seigneur l’an 1303, le dix-huitième du regne de Jean II. du nom, Duc de Bretagne.

XXVI. Le jour mesme, le Corps fur porté, de la Chappelle de Ker-Martin où il estoit, dans la grande Eglise de Treguer, où se rendit une innombrable multitude de peuple de toutes parts ; les uns baisoient ses pieds, autres, ne pouvans approcher de si près, y faisoient toucher leurs Chapelets, Heures ou Medailles, lesquels ils retenoient puis apres en grande reverence ; mais la pitié estoit de voir les pauvres veuves, orphelins, mendians & autres miserables, qui, allans à trouppes se jetter devant le Cercueil du defunt, déploroient la perte qu’ils faisoient de leur Pere nourrissier, Avocat & Consolateur. Il fut dépoûillé de ses pauvres haillons & revêtu d’autres habits ; les siens furent serrez reveremment, hormis une partie qui fut ravie par le peuple. L’enterrement fut solemnellement celebré, & le Saint Corps mis en terre, où il ne fut gueres que Dieu ne l’honorast de grands miracles.

XXVIL 1. Un pauvre homme malade, estant tombé dans le grand puits de Land-Treguer, se recommanda à saint Yves & y demeura sans se noyer, ni aller sous l’eau, jusques ce qu’on l’alla retirer. 2. Un pauvre homme de Nyort, condamné d’estre pendu & étranglé, se recommanda à saint Yves, promettant s’il le délivroit de ce danger, qu’il iroit visiter son Sepulchre : il fut bien pendu ; mais, quelque effort que fit le bourreau, il ne luy pût jamais faire aucun mal, moins encore l’etrangler. 3. Un honneste personnage, nommé Messire Hervé de Kerguezenou, allant par pays, passant un pont nommé vulgairement Pont-Arz, tomba, avec son cheval, dans la rivière fort profonde & rapide, &, ne se pouvant aider, estoit en danger de se noyer ; mais ayant invoqué saint Yves, son cheval bondit horts l’eau & se mit en lieu de seureté ; sa valise de cuir, qui avoit coulé au fond, revint sur l’eau, sans que des papiers de consequence qu’il y avoit fussent aucunement mouillez ny gastez. 4. Un jour, Escuyer Jean de Pestivien & quinze autres personnes, dép]acez du Manoir de Ros-Color pour aller en l’isle de Teven, une lieuë avant dans la mer, furent subitement accueillis d’une tourmente qui brisa leurs avirons, en sorte que le batteau, battu des vagues & entre-ouvert de toutes parts, alloit couler au fond ; en ce pril, ils réclament saint Yves, &, incontinent, leur batteau fut jetté doucement au mesme lieu où ils s’estoient embarquez, duquel ils sortirent tous sains et sauves.

XXVIII. 5. Yves le Terrier & Jean le Tarz, de la Paroisse de Pleumeur-Gautier, avec nombre d’autres, estans en un batteau sur Mer, entre l’Isle de Modez & Lezar-Trew, ayans est surpris d’une cruelle tempeste, furent battus de telle furie, que leur vaisseau coula à fonds & noya tous les autres, ces deux exceptez qui se voüerent à S. Yves. 6. Messire Alain de Kerenrays , Escuyer, & sa femme, voyans leur valet & ]eur cheval emportés du courant impetueux d’une riviere jusques en pleine Mer, les recommanderent à Dieu & à saint Yves, &, tout à l’instant, ils entrerent dans le Havre de Loüaner, Diocese de Vennes, & se sauverent à terre. 7. Dix hommes de la Paroisse de Plou-Pezr firent naufrage entre Bec-Milliaw & le Gueaudet, leur vaisseau ayant esté si furieusement battu de la tourmente qu’il coula à fonds ; en cette extremité, ils eurent recours à Dieu & à saint Yves, lesquels ils invoquerent de bon cœur à leur aide & furent miraculeusement jettez à la coste, sains & gaillards. 8. Messire Guil]aume Tournemine, Seigneur de la Hunaudaye, Diocese de S. Brieuc, tombé, avec son cheval, dans une fondriere és greves de Hilion, en manifeste danger de sa vie, ayant invoqué saint Yves, son cheval bondit hors & se sauva & luy aussi. 9. Un jeune garçon de la Paroisse de Tredarzec, Diocese de Treguer, nommé Alain André, tombé dans la Mer, au port de la Roche-Noire, prés Land-Treguer, en danger de se noyer, fut sauvé miraculeusement à l’invocation de saint Yves. 10. Un batteau, où y avoit grand nombre de personnes, se brisa contre un rocher en pleine Mer, ce que voyans ces pauvres gens, tous d’une voix se recommanderent à saint Yves ; ils allerent premierement à fonds, puis revinrent sus & furent doucement jettez au rivage, sans autre mal.

XXIX. 11. Un certain, nommé Jean le Lièvre, de la Paroisse de Tredarzec, estant allé en Mer, avec plusieurs autres, le batteau, battu des vents & des vagues, coula à fonds & noya tous les autres, luy seul excepté, qui s’estoit recommandé à S. Yves. Somme, il a delivré quatorze de peril de se noyer, soit en eau douce, soit sallée ; à son Sepulchre, quatorze paralytiques ont receu guerison, six insensez, trois aveugles & neuf autres vexez de diverses maladies ; mais venons au plus grand des miracles, qui est la suscitation des morts. 12. Un jeune enfant, figé de quatorze ans, nommé Raymond le Roux, fils d’Alain le Roux, de la Paroisse de Boul-Briac, Diocese de Treguer, tombé sous la rouë d’un moulin, brisé & blessé en la teste & par tout le corps, fut enfin tiré mort, après avoir esté demie heure dans l’eau ; mais ayant esté voüé à saint Yves par Geffroy Morvan, avec promesse d’offrir une ceinture de cire au Sepulchre du Saint, il ressuscita, devant tous les assistans, sain & guery de ses blessures. 13. En la Paroisse de Prat, Diocese de Treguer, une veuve nommée Azenor, avoit un fils, nommé Alain, lequel estant mort sur les quatre heures aprés midy, sa mere pria Dieu & le recommanda à saint Yves ; le matin, comme on le vouloit mettre dans ses chasses, il ressuscita & vécut douze ans depuis, sans autre incommodité, sinon qu’il avoit une de ses narrines closes.

XXX. 14. Un jeune Enfant de la Ville de Land-Volon, nommé Aymeric, âgé de dix ans, s’estant noyé en un bras de Mer, éloigné de deux lieuës de sa maison, rapporté chez ses parens, sa mere, toute éplorée, se jette à genoux, le voüe à saint Yves & tout à l’heure il ouvrit les yeux & appella sa mere, laquelle l’interrogeant où il avoit esté ? « Avec un Seigneur (dit-il) accoustré tout de blanc, lequel m’a tiré hors de l’eau où j’estois suffoqué. » 15. Un jeune Enfant, âgé de cinq ans, nommé Yves, fils de Rivallon, de la Paroisse de Plou-Guiell, près Land-Treguer, estant mort le Jeudy Saint, environ la minuit, sa mere ayant prié saint Yves pour luy, il ressuscita le jour de Pasques, à l’heure de Vespres. 16. Un petit Enfant, nommé Alain, fils d’Yves Cadiou, de la Paroisse de Ple-Bien, Diocese de Treguer, s’estant noyé en un fossé près de la maison, ses pere, mere & oncles, l’ayant voüé à saint Yves, il ressuscita & vivoit encore du temps de l’Enqueste. 17. Un autre Enfant, nommé Jean’, fils de Pierre Men, âgé de quatre ans ou environ, tiré de dessous la rouë d’un moulin qui l’avoit tout fracassé, voüé à saint Yves, revécut le lendemain. 18. Un autre petit Enfant, nommé Jean, âgé d’un an & demy, porté par sa mere, Jeanne du Vau, Paroissienne de Ple-bien, Diocese de Treguer, sur le bord d’une fontaine, tombé dedans, se noya & fut tiré mort ; mais voüé au Saint par sa mere, ressuscita & vivoit lors qu’on faisoit les Enquestes des miracles pour Canonizer ledit Saint.

XXXI. 19. Un Enfant en la ville de Land-Treguer, tué d’un coup de ruade d’un cheval, porté au Sepulchre de S. Yves, ressuscite. 20. Un autre Garçon, nommé Guillaume, de la Paroisse de Garlan, près Morlaix, âgé de six ans, tombé dans l’estang de Porz-meur, en fut tiré mort ; mais recommandé & voüé par sa mere à saint Yves, il ressuscita & vivoit encore du temps de l’Enqueste. 21. Un Enfant de la Paroisse de Bolez, Diocese de Treguer, âgé de six ans, s’estant noyé dans la riviere de Guindi, voüé à saint Yves, ressuscita. 22. Henry Olivier, noyé en l’estang de Pleulouan[4], en Cornouaille, recommandé à saint Yves, ressuscita. 23. Item, une jeune fille, nommée Tephan[5], de la Paroisse de Plouenan, Diocese de Leon, évidemment morte, saint Yves reclamé, ressuscita. 24. Guerinette, fille de Riou Alan, an Diocese de Leon, estant morte à trois heures après midy, un Samedy, voüée saint Yves, ressuscita le Dimanche, pendant la grande Messe. 25. Une petite fille, agée de trois ans, nommée Amice, ayant esté malade, trois mois durant, mourut, & voüé à saint Yves, trois heures après recouvra la vie.

XXXII. 26. Une femme de la ville de Guerrande, Diocese de Nantes, estant grosse, l’enfant mourut dans son ventre ; elle vint à Land-Treguer en Pelerinage, visiter le Sepulchre de saint Yves, &, si-tost qu’elle se fut agenouillée près du Tombeau, son ventre tout coup enfla de telle façon, que sa ceinture & la bande de son cotillon se rompirent & le fruit revint en vie dans son ventre, fut né deux mois après, fut nommé Guillaume, & vivoit quand on fist les Enquestes, âgé de dix ans.

XXXIII. 27. Semblablement, une femme, nonmée Suzane, de la Paroisse de Ploudaniel, Diocese de Leon, estant enceinte, son fruit estant mort depuis cinq jours, elle invoqua saint Yves, & tout incontinent, en moins d’un Ave Maria, elle enfanta un fils, qui fut Baptizé & vescut neuf jours, sans laict ny autre nourriture quelconque. 28. Une autre femme de la Paroisse de Plou-Neiz, au Comté de Goëlo, Diocese de S. Brieuc, ayant enfanté un enfant mort, iceluy, voüé à saint Yves, ressuscita sur le champ & estoit en vie quand on fit les Enquestes. Ce ne seroit jamais fait, si je voulois, par le menu, raconter les autres miracles que Dieu fit par son moyen, avant sa Canonization. 29. Une femme de Cornouüille delivrée du peril de la mort pour la difficulté de son accouchement. 30. Une autre receut mesme assistance en la Paroisse de Penguenan, Diocese de Treguer, Une autre de Plestin obtint laict pour nourrir son enfant. Un Navire de Treguer en péril, voüé à saint Yves, garenty de la tourmente. Un jeune enfant, le feu s’estant pris à son batteau qui fut brûlé, fut conservé, ayant été, par sa nourrice absente, voüé au Glorieux saint Yves.

XXXIV. Le Duc Jean III. du nom, voyant les grands miracles qui se faisoient en sa Duché, par les merites de saint Yves, dressa un honorable Ambassade vers le Pape Clement V, suppliant Sa Sainteté de commettre quelques uns pour informer de la Vie, Meurs & Miracles de saint Yves ; pour, puis apres, proceder à sa Canonization. Le Pape se rendit un peu difficile à cette Requeste ; mais il mourut peu après, & luy succeda Jean vingt-deuxième, auquel le Duc envoya en Ambassade Yves, Evesque de Treguer, & Montseigneur Guy de Bretagne, Comte de Penthièvre son oncle[6], accompagnez de plusieurs autres Seigneurs Bretons. Tous les Evesques de Bretagne seconderent l’intention du Duc ; d’autre costé, Philippe de Valois, Roy de France, la Reyne Jeanne, sa femme, l’Université de Paris & grand hombre d’Archevesques, Princes, Seigneurs & Communautez firent telle instance au saint Pere de Canonizer ce Saint, que Sa Sainteté resolut d’y proceder.

XXXV. Cela ainsi arresté, fut decernée commission aux Evesques d’Angoulesme & de Limoges & à l’Abbé de St. Martin de Toarné, Diocese de Bayeux, de faire diligente perquisition de la Vie, Mœurs & Miracles de saint Yves ; pour à quoy obeir, ils vinrent en Bretagne &, le vingt troisième jour de Juin, l’an 1330, commencerent, en la Ville de Land-Treguer, à executer leur commission, & jurerent 300 témoins (lesquels depuis ils ouïrent separément), que saint Yves avoit esté bon & fidelle Catholique, saint Homme, & que, pendant sa vie & après sa mort, Dieu, par son intercession, avoit fait plusieurs grands miracles ; & de mesme jurerent plus de cinq cents autres. Après avoir conferé ensemble & avoir levé les mains vers l’Eglise Cathedrale de Treguer parlans par l’organe de R. Pere Maurice, Abbé de Sainte Croix, Diocese de Treguer ; lequel, au nom & de la volonté du peuple là present, ayant fait le serment en son Ame & en l’Ame de tous & chacun desdits assistans, & ayant touché le livre des Evangiles, en porta exprès témoignage, & fut achevé cét enqueste, le 4 d’Aoust suivant, à laquelle furent presens M.e Pierre du Closeau, natif d’Angoulesme, Barthelemy Prieur, natif de Berry, Prieur Seculier de l’Eglise de Grages, Diocese de Bourges, Guillaume, Chanoine du Mans & d’Authun, Jacques, Chanoine d’Angoulesme, Raoul, Archiprestre de Tiroza, en Limosin, Jacques, Recteur d’Asso, en Languedoc, Diocese de Tholose, & Jean d’Allemand, de Limoges, tous Notaires Apostoliques, & Messire Roger Polin, du Diocese de Bayeux, Notaire Imperial ; &, d’autant qu’ils n’entendoient la langue Bretonne, ils firent pour truchemens & interpretes Venerable Auffray, Abbé de Bon-repos, de l’Ordre de Cisteaux, Diocese de Cornouaille, messire Hervé de Pluzunet, Chanoine de Saint Brieuc & de Vennes, Olivier de la Cour, Clerc, & Messire Jacques, Recteur de Meskel, Diocese de Vennes[7], tous Notaires Apostoliques.

XXXVI. L’an suivant, 1331, le 4. jour de Juin, l’Evesque de Limoges presenta, en plein consistoire, l’Enqueste, & Sa Sainteté députa trois Cardinaux pour l’examiner, sçavoir est : Jean, Evesque Portunense[8], Suffragant du Pontife Romain, Jacques, Prestre, Cardinal de Sainte Prisce, & Luc, Diacre de Sainte Marie in via lata, lesquels, l’onzième du mesme mois, ayant pris le serment desdits Commissaires sur la verité de leur susdite enqueste, l’examen fait, reduisirent toute la substance d’icelle en procez-verbal, selon lequel, ils firent leur rapport au saint Consistoire ; mais, sur ces entrefaites, mourut le Pape Jean XXII, auquel succeda Clément VI, lequel celebra fort solemnellement la Canonization de saint Yves, qu’il avoit procurée (n’estant encore que Cardinal) envers les Papes Clement V, Benoist XI & Jean XXII, auquel ayant succedé au Souveraint Pontificat, un jour comme il alloit par pays, saint Yves lui apparut un baston en main, & l’exhorta de se haster à le Canonizer ; Le saint Pere le fit en grande solemnité, le 19. jour de May 1347. Voicy la teneur de l’Arrest de sa Canonization:

XXXVII. A l’honneur du Tout-Puissant, DIEU, PERE, FILS & S. Esprit, pour l’exaltation de la Foy & augmentation de l’Eglise Catholique ; de l’authorité dudit Seigneur Dieu, Pere, Fils & Saint Esprit & des Bien-heureux Apostres Pierre & Paul & de la nostre, & du commun avis de nos Frères, Decretons & diffinissons que le Sr. Yves Helouri[9], de bonne memoire, par cy-devant Prestre du Diocese de Treguer, doit estre écrit au Catalogue des Saints & doit estre de tous honoré comme Saint, &, de fait, l’écrivons au Catalogue des dits Saints ; Statuons & Ordonnons que tous les ans, au 19. de May, qui est le jour de son decés, sa Feste soit celebrée par l’Eglie Universelie devotement et solemnellement, & luy soit fait Office, comme d’un Confesseur non Pontife. Au surplus, de la mesme authorité, concédons à tous ceux qui, Penitens & Confessez, au jour de l’Elevation de son Corps ou le jour qu’on celebrera la premiere Feste en son honneur, visiteront l’Eglise de Treguer, sept ans & sept quarantaines d’indulgences ; &, devant les Octaves desdites Elevation & solemnité premiere, chacun un an & une quarantaine ; & à ceux qui visiteront le Sepulchre dudit Saint, chacun an, au jour de sa Nativité, ou de sa Mort où de l’Elevation de son S. Corps un an & une quarantaine ; & à ceux qui le feront aux jours estans dans l’Octave desdites festes cent jours de pardon & Indulgences des Penitences à eux enjointes.

Avant que proceder à sa Canonization, le Pape fit un beau Sermon, qu’il ne sera pas hors de propos de mettre icy comme en son propre lieu.

SERMON DU PAPE CLEMENT SIXIESME


A la Canonization de Saint Yves.

Habitation de Sion, éjoüis-toy & chante loüange, parce que le grand Saint d’Israël est au milieu de toy[10]. Le Bien-heureux Saint Yves, Prestre du Diocese de Treguer, s’éjoüit en la gloire ; il se réjoüit en sa couche & possede une joye par dessus route joye ; hors laquelle, il n’y en a point d’autre ; joye qui se prend, non de la creature, mais bien du Createur.

Laquelle, une fois acquise, ne se perd jamais ; en comparaison de laquelle toute autre joye est tristesse, toute autre douceur amertume, toute autre delectation peine et ennuy ; joye qui égaye & réjoüit les plus affligez, dont ce saint joüit au Ciel, & peut à bon droit dire, avec le Prophete Isaye : M’éjoüissant, je m’éjoüiray en mon Seigneur, & mon Ame sera joyeuse en mon Dieu ; car il m’a vetu d’accoûtremens de salut et m’a environné d’accoutremens de justice, comme un espoux orné de sa Couronne & une espouse parée de ses affiquets[11]; & parlant de la Mystique habitation de Sion, qui est l’Eglise Militante, dit : le Roy m’a fait entrer dans ses Celliers[12].

Nous doncques qui sommes en l’Eglise Militante, répondons-luy: « Nous nous éjoüirons & récréerons en toy, ayant souvenance de tes mamelies ; beauconp plus délicieux que le vin, les justes et les droitturiers l’ayment ![13] &, de fait, éjoüissons-nous, émeus de la fraternelle charité, qui est une mesme en ce monde & au Ciel, & ne déchoit jamais [14]. Conservons-la donc de notre part, & nous réjoüissons, avec les Anges et les Saints, de son bon-heur, selon le conseil que nous donne l’Apostre ; & plus particulièrement encore, de ce que c’est un d’entre nous, lequel nous ayant instruits par ses vertus & ravis par ses miracles, a pris place en la Cour Celeste & nous peut beaucoup ayder par ses merites, nous peut donner du laict de ses mammelles, je veux dire, nous soulager par ses saintes consolations, compassion & misericorde : « loüns le Seigneur en son Saint ; loüons sa vie magnifique, sa conversation pacifique, sa grande seureté, après tant de dangers évitez ![15] »

Loüons le bon-heur de ce sage Pilote de Jesus-Christ, lequel, après tant d’orages tempestueuses de la mer de ce monde, a conduit son Navire au port tant desiré ! Loüons ce grand Capitaine de toutes vertus, lequel, après avoir vaillamment combattu & triomphé, maintenant est, & à jamais sera en gloire. Imitons-le selon nostre pouvoir, comme bons & fidels serviteurs de nôtre Seigneur Jesus-Christ, qui se réjoüit infiniement pour le salut de cette Ame, pour laquelle il a épandu son Sang ; car s’il se réjoüit du retour & conversion du pecheur[16], figuré par l’Enfant Prodigue, bien que le pecheur qui fait encore Penitence soit incertain de la gloire, & ne se puisse asseurer d’avoir le don de perseverance, à plus forte raison se réjoüit-il de voir l’Ame du juste qui monte du desert de ce monde abondante en delices appuyée sur son amy[17], c’est à dire, sur les mérites de la Mort & de la Passion de son Sauveur, &, par le moyen d’icelle, douée d’une gloire certaine & qui n’aura point de fin. L’Espoux se réjoüit de son Espouse ; Dieu se réjoüit de cette Ame et nous incite à joyes : Vous vous réjoüissez, dit-il, & serez joyeux des choses que j’ay crées ; car j’ay creé Israel exaltation & son peuple la joye ; je me réjoüiray en Jerusalem & seray fort joyeux sur mon peuple & en elle ne sera point ouye la voix de clameur[18]. Je m’éjoüiray doncques au Seigneur et seray en liesse en mon Dieu & Sauveur de mon Ame[19]. Vous aussi, Justes, loüez le Seigneur ; éjoüissez-vous en luy, et le loüez, vous ses Saints, petits & grands ensemble ; car quant à moy, je loüeray le nom de Dieu par Cantiques & le magnifieray en loüange, & cela luy plaira plus que si je luy offrois en sacrifice un jeune veau, à qui les ongles et cornes commencent encore à poindre[20].

Car ce Saint Nourrisson de la sainte Eglise a produit des armes dont il a vaincu nos ennemis, qui sont les Heretiques, à sçavoir : la grande continuation & longue durée des miracles, qui servent pour confondre leur obstination, & le fera encore au grand jour du Jugement, à leur éternelle confusion & perdition. Il a aussi produit un grand nombre de diverses vertus, qui servent pour réduire les Catholiques delinquants au droit sentier de la vertu. Il est grand Saint, d’autant que, pendant qu’il estoit en cette vie, son esprit est devenu tres-excellent en œuvres grandes & admirables, selon les quatre qualitez ressemblans aux quatre dimensions d’un corps ; haut envers Dieu en esperance, charité & adoration de latrie ; profond en soy-mesme par une vraye humilité ; large envers son prochain en assistance, & long en toutes vertus par sa continuelle perseverance en icelles. A present, il est Bien-heureux & grand en quatre autres qualitez, qui se rapportent à mesmes dénominations, à sçavoir : haut envers Dieu en amour & charité, profond en sapience & connoissance de la verité ; large de son secours envers nous, & long en une gloire qui n’a jamais de fin. Il est grand Saint d’Israël, c’est à dire, voyant Dieu, & un des Princes de la Cour Celeste ; il est au milieu de nous, pour mieux voir nos necessitez & nous secourir plus promptement par ses prieres. Au second des Macchabées, chapitre 15, Onias, qui avoit esté Grand Prestre, Homme de bien & benin, de regard honneste, modeste en mœurs, agreable en paroles, qui, dés sa jeunesse, s’estoit exercé en la vertu, fut veu, étendant ses mains, prier pour tout le peuple Juif ; & après, apparut un autre homme d’honneur & d’âge près de luy, duquel Onias dit : C’est cettuy-cy qui aime beaucoup les Freres & tout le peuple d’Israël ; c’est cettuy-cy qui prie beaucoup pour tout le peuple de la Sainte Cité, Jeremie le Prophete de Dieu[21] ; lequel fut aussi veu tendant sa main droite, de laquelle il donna un glaive Judas Machab(us, luy disant : Prends ce glaive d’Or, la sainte épée, qui est un don de Dieu, par laquelle tu détruiras les Adversaires de mon peuple d’Israël.

Ainsi Saint Yves impetre pour nous le glaive d’Or, c’est à dire, la Grace divine, pour détruire les embusches & tentations de Sathan ; ainsi il prie beaucoup pour nous tous ; nous ayde promptement en nos necessitez, comme il se voit au procez, duquel resultent trois choses ; la premiere que saint Yves a eu la vraye Foy ; la seconde, qu’il avoit les bonnes œuvres ; la troisiesme, que, par ses merites & intercessions, Dieu a fait de grands miracles en divers temps, pendant sa vie & après son decez ; d’où s’ensuivent nécessairement deux points ; le premier est, que la nature a un Seigneur qui est Tout-Puissant ; qui, par son infinie Sapience, la gouverne, &, par sa toute Puissance, change l’ordre des choses, quand il luy plaist ; &, par sa supreme Bonté, fait des œuvres rares & admirables, afin que, par ces signes visibles, il nous fasse connoistre son Essence invisible ; & fait plusieurs extraordinaires actions, à la requeste de ceux desquels la croyance et les moeurs luy sont agreables, afin que nous sçachions la façon en laquelle il veut estre servy de nous. Le second point est, que ce saint Personnage est certainement en gloire ; que, si vous ne me voulez croire, croyez aux œuvres, afin que vous croyez et connoissiez que Dieu a esté en luy pendant sa vie, par la Foy & les bonnes œuvres, que ce Saint avoit aussi-bien à l’exterieur qu’a l’interieur ; & qu’il est maintenant en Dieu, c’est à dire, confirmé en sa Grace. Ce saint Prestre, qui avoit souvent offert à Dieu les Hosties pacifiques sur l’Autel, est allé luy-mesme faire l’Offrande devant son sublime Trône, les larmes changées en joye & liesse.

« Benist soit Dieu qui a visité son peuple » par le ministere d’un si bon Prestre; &, l’ayant retiré à soy, ne cesse de consoler notre captivité par la souvenance qu’il nous donne de luy ! Son esprit s’éjoüit au Seigneur, parce que, délivré de la pesanteur de son corps, il ne s’arreste à aucune sorte de creature, n’en ayant que faire pour se substanter, puisqu’il est joint à Dieu, & sera éternellement un mesme esprit que luy, de volonté & d’affection. Ayant donc à Canonizer ce Saint, nous le prierons ainsi : « Saint Yves ! la solemnité que nous préparons à vos vertus, nous puisse, par vos mérites, apporter ce fruit ! Que nous ayons les miettes des Graces que le Saint Esprit vous a départy ! vostre vie est une regle des bonnes mœurs ; vostre mort la porte de la vie ; faites-nous participans de ces dons, impetrant de Dieu qu’il mette bien loin de nos cœurs les tenebres d’erreurs & des vices, afin qu’à la fin de cette vie, nous soyons admis en la compagnie des Bien-heureux, avec lesquels nous vous honorons & benissons ! Au nom du Pere & du Fils & du Saint Esprit. Ainsi soit-il ! »

Voilà le Sermon que le Souverain Pontire fit avant la Canonization de saint Yves.

XXXVIII. Le saint Corps ayant est levé de terre, le chef fut séparé & mis dans le Thresor de l’Eglise Cathedrale de Land-Treger, & le reste de ses Reliques dans un beau Sepulchre. Le Duc Jean V, fils du Conquereur, portoit une speciale devotion à saint Yves, par les mérites duquel, ils asseuroit avoir est délivré de plusieurs dangers ; aussi, ce fut luy qui fit construire dans l’Eglise de Land-Treguer, à costé gauche de la Nef, cette belle Chappelle en l’honneur de saint Yves (Communement dire la Chappelle du Duc) de fort belle structure, toute voûtée ; entre laquelle & les pilliers de la Nef, il fit faire un beau vase de pierre blanche, tres-artistement élabouré, dans lequel est le Corps du Saint, &, par dessus, un dôme de même étoffe, d’une exquise architecture ; le tout environné & fermé, de tous costés, d’une cloaison de grilles de fer, qui prennent depuis le pavé jusques à la voûte ; &, par dedans cette closture, tout le Sepulchre, du haut en bas, est environné de rideaux de toille blanche. Le mesme Due, la poursuite & sollicitation de son Confesseur, Reverend Pere Frere Jean le Denteuc, Religieux de l’Ordre des Freres Prédicateurs du Convent de Morlaix, fonda le Convent du mesme Ordre en la Chappelle de la Trinité, près sa ville de Guerrande, Diocese de Nantes, auquel il mist la première pierre, le 16 Mars 1408 (1)[22], &, pour la singuliere devotion qu’il portoit à saint Yves, il voulut que l’Eglise de ce Convent luy fust dediée par Guillaume de Malestroit, Evesque de Nantes, le 16 Septembre l’an 1441.

XXXIX. Ce Prince, ayant esté traitreusement pris par Margot de Clisson, Comtesse de Penthièvre, le treiziesme de Février 1419, & serré prisonnier au Chasteau de Champtoceaux, apprehendant le danger auquel il se trouvoit, se recommanda de bon cœur à Dieu, interposant les merites & prieres de saint Yves, & fit voeu de fonder une Messe quotidienne en l’Église Cathedrale de Treguer, pour estre, tous les jours, celebrée en la Chappelle que, pour cet effet, il promettoit bastir auprès du Sepulchre de saint Yves, si, par son intercession, il se voyoit, un jour, delivré de cette prison. Ce fait, il ressentit, bien-tost après, les effets des Prieres de saint Yves, car les Princes, Barons & Seigneurs de Bretagne, & mesme les plus proches parens & alliez de la Comtesse de Penthièvre, extrêmement offensez d’un attentat si indigne sur la propre personne de leur Prince, se présentèrent en armes devant Champtoceaux, au nombre de cinquante-cinq mille combattans, & presserent si-bien les assiégez, qu’en moins de cinq semaines ils les contraignirent de rendre & le Duc & la place, au mois de May 1420. Et, en Octobre suivant, le Duc, tenant son Parlement General à Vennes, ayant procédé contre les criminels, voulut accomplir son vœu & fit ladite Fondation, laquelle fut receuë & approuvée par ledit Parlement ; j’en insereray icy les points les plus remarquables. L’Acte se commence ainsi :

JEAN, par la grâce de Dieu, Duc de Bretagne, Comte de Mont-fort & de Richemont : A tous ceux qui ces presentes Lettres verront & oyront, Salut. Comme, de nostre propre mouvement & la tres-singuliere devotion que nous portons au tres-glorieux Saint, Monseigneur saint Yves, duquel le Corps gist en l’Eglise de Treguer, Nons avons éleu & choisi notre Sepulture, & encore, de present, (sous le bon plaisir de Dieu) la choisissons & élisons en ladite Eglise ; &, pour ce, Avons Ordonné & Ordonnons, par ces presentes, nostre general Parlement tenont, faire une Fondation de divin Office, dotation de certaines rentes & revenus cy-après declarez, pour dire & celebrer, en ladite Eglise, certain nombre de Messes, Processions & Anniversaires à perpetuité, en la forme & maniere qui s’ensuit : Premierement, il fonde une Messe quotidienne à notte devant la Tombe de saint Yves qui sera celebrée par un Chanoine, Vicaire où Chappelain de ladite Eglise, assisté de Diacre & Sous-Diacre Porte-Croix, Acolites, Chappiers, tous les jours, à l’issuë de Matines ; lesquels, avec le College des Chanoines, viendront processionellement de la Tombe dudit saint, chantans l’Antienne, Verset & Oraison d’iceluy & l’Oraison pour le Duc en sa vie, &, après son decez, Inclina ; quoy fait, commenceront la Messe. Le Dimanche, jour de la Trinité, avec la Collecte de saint Yves ; le Lundy de Requiem, pour les Ames de ses prédecesseurs & successeurs ; le Mardi de S. Yves ; le Mercredy de S. Tugduval, Patron de ladite Eglise ; le Jeudi du St. Esprit ; le Vendredy de la Sainte Croix ; le Samedi de N. Dame ; &, tous les jours, fors le Lundi, sera dite la Collecte propre pour Son Altesse ; &, à la fin de la Messe, on ira en Procession à sa Tombe, chantans le Ne recorderis ; Pater noster ; De profundis, & !es Oraisons accoustumées. 2. Tous les jours, à la fin de Matines, sera sonnée la plus grosse cloche de ladite Eglise pour avertir le peuple de l’heure que ladite Messe commencera. 3. Fera le Prestre, qui celebrera ladite Messe, prier pour Son Altesse, & ce au langage du pays. 4. Douze Anniversaires par an, chacun à estre celebré le premier de chaque mois [non empesché] avec Vigiles, Sonneries, Luminaires, Chappes & autres accoustumez aux Anniversaires solemnels. 5. Pour l’entretien dudit Service, Son Altesse donne 500 liv. monnoye , de rente annuelle, à prendre sur les devoirs du Havre de sa Ville de la Roche-Derien [nouvellement conquise sur ceux de Penthièvre.) Le reste de l’Acte ne fait point à nostre propos, sur la fin duquel le Duc excepte ses Souverainetez Royaux & Ducaux & promet, en Parole de Prince, pour soy & ses successeurs, observer inviolablement le contenu de ladite Fondation, & prie l’Archevesque de Tours & tous autres à qui il apartiendra de l’aprouver. Puis suit : Donné en nostre ville de Vennes, le 7 jour d’Octobre 1420. Ainsi signé par le Duc, sur le reply : Par le DUC, de son Commandement en son Grand Conseil general, Parlement tenant, YVETTE : en Parlement general de Bretagne tenu à Vennes, le 7 jour d’Octobre 1420, furent ces presentes publiées, confirmées, approuvées & authorisées, presens Prelats, Barons & aurtes établis dudit Parlement. Signé, GARIN & scellé en cite verte, à un lac de soye.

XL. Ce Prince estant mort au Manoir de la Touche, près Nantes, au mois d’Aoust l’an 1442, fut enterré au Chœur de l’Eglise Cathedrale de ladite Ville, près le Duc Jean le Conquerant, son Père ; mais les Evesque & Chapitre de Treguer, en vertu de la clause aposée au commencement de cette Fondation, portant que ledit Duc, de l’an 1420, 21. an avant son decez, « avoit éleu & choisi sa sepulture en l’Eglise Cathedrale de Treguer, » donnerent procure à Jean de Nadillac, Chanoine de ladite Eglise, Archidiacre de Plou-kastell, pour faire rendre le Corps dudit Duc à leur Eglise ; ce qu’il poursuivit si bien, que, neuf ans après, qui fut l’an 1451, les ossemens dudit Prince furent délivrez aux Commissaires du Chapitre de Treguer, lesquels l’apporterent jusques en l’Eglise Treviale de Nostre Dame de Runaan, deux lieuës & demie de Land-Treguer ; toutes les Villes, Bourgs & Paroisses, par où ils passoient, faisoient des services et prieres funebres pour le repos de son Ame. L’Evesque de Treguer, Messire Jean de Ploeuc, assisté des Chanoines & Chappelains de sa Cathedrale & des villes & Paroisses circonvoisines, le fut prendre à Runaan, l’emporta en son Eglise & l’y inhuma au bas de sa Chappelle, un peu plus bas que le Sepulchre de saint Yves.

La Bretagne prend ce glorieux Saint pour son Patron ; mais spécialement l’Evesché de Treguer, duquel il estoit originaire : il est aussi Patron de l’Université dudit païs, érigé à Nantes par le Pape Pie II, l’an 1460, à l’instance du Duc François II. Dans laquelle Province, il y a grand nombre d’Eglises dediées à Dieu sous le Nom de ce Saint ; mais sur tout l’Eglise N. Dame de Ker-Martin, à present nommée de Saint Yves, bastie au bout des Rabines de sa maison paternelle, un quart de lieuë hors la Ville de Land-Treguer, est devotement visitée par les Pelerins, non seulement Bretons, mais aussi étrangers de diverses nations, lesquels y viennent & experimentent les effets de son intercession, à la Gloire de Dieu & de son Saint, lequel joûit ès Cieux de la Beatitude éternelle, en la compagnie des Bien-heureux.

La Vie de saint Yves a este par Nous recueillie du Martyrologe Romain, le 19 de May, et Annotations de Baronins sur iceluy, Molinus en ses Additions sur le Martyrologe d’Usward, le 19 May et 17 Octobre ; Bzovius en ses supplédmens aux Annales de Baronius, sur l’an de grace 1374 ; Surius, le 19 de May, qui dit l’avoir prise ex Dipolomate Clementis Sexti ; Pierre de Natalibus, liv. 4, chapitre 21 ; saint Antonin, en la 3. partie de ses Histoires ; l’ancienne Legende dorée, imprimée à Roüen l’an 1521 ; celle de René Benoist et Guillaume Gazel, le 19 May ; T. Friard, és Additions à Ribadeneira ; Robert Cœnalis, de re Gallica, perioch. 6, Chap. 2 ; François Gonzague, en son Histoire de ortu et progressu Seraphicæ Religionis ; Jean Rioche, Provincial des Cordeliers de la Province de Bretagne, en son Compendium temporum ; le Pere Fichet, Cordelier de la Province de Saint Louys, en son livre de l’Exemple de la parfaire contemplation ; Alain Bouchard, en ses Annales de Bretage, livre 4 ; d’Argentré, en son Histoire de Bretagne, en plusieurs endroits ; les anciens Breviaires et Legendaires manuscrits des neuf Eveschez de Bretagne ; le Proprium Sanctorum Rennois et Nantois ; Pierre de la Haye, Sieur de Kerhingant, fit un petit traité des Vie et Miracles de Saint Yves, imprimé és deux langues Bretonne et Françoise, separément, l’an 1623, à Morlaix, par Georges Alienne ; les Archives de l’Eglise Cathedrale de Treguer, desquelles j’ay eu commmication par le moyen de Noble et Discret Messire Pierre Calloët, Chanoine et Grand Archidiacre de Treguer ; le procez manuscrit de sa Canonization, à moy commmiqué par le Sieur de Kerfals et les actes et memoires que m’en donna, l’an 1627, le Sieur de Crekh-an-gouez, Capitaine de la Ville de Lan-Treguer, Seigneur proprietaire des maisons de Kermartin et le Plessix.

ANNOTATIONS.


LES RELIQUES DE SAINT YVES (A.-M. T.).


Pour ce qui est de leur histoire avant la Révolution, nous n’avons qu’à reproduire ce qu’en a dit dom Lobineau :

« Quand on fit l’élévation des Reliques de S. Yves, la tête fut mise à part, pour être conservée dans le Trésor de l’Église, et le reste fut laissé dans le tombeau. Le Roi de Chipre, à qui un miracle fait en sa personne avoit donné autant de reconnoissance pour S. Yves qu’il s’étoit auparavant senti de dévotion pour lui, pria Charles de Blois son cousin, Duc de Bretagne, alors délivré de sa prison d’Angleterre, de lui envoïer quelque portion des Reliques de ce saint Prêtre. Charles se rendit à Treguer avec la Duchesse son épouse et s’adressa Frère Yves ou Even le Begaignon, Evêque du lieu, Religieux de l’Ordre de S. Dominique, ci-devant Pénitencier du Pape, et depuis Cardinal. Le Prélat et les Chanoines montrèrent à Charles de Blois les Reliques de S. Tugdual et celles de S. Yves, et lui en donnèrent quelques portions pour le Roi de Chipre. Charles leur en témoigna sa reconnoissance par de grandes exemptions qu’il leur accorda par lettres patentes du 24 de juin de l’an 1364. Le même Prince avoit aussi obtenu de l’Évêque de Treguer une portion d’une côte de S. Yves, dont voulant enrichir son Comté de Penthivre, il en fit présent à l’Église de N.-Dame de Lamballe et porta lui-même la Relique, pieds nuds, en procession, tant en l’église des Augustins de la même ville qu’à celle de N.-D. qui sont assez éloignées l’une de l’autre. Cependant la peine ne le rebuta point quoiqu’on ait remarqué qu’il avoit les pieds tout en sang dès les Augustins. Le même prince, peu de tems avant la bataille d’Aurai, étant à Rennes, mit d’autres portions des mêmes reliques dans l’Église Cathedrale, dans celle de S. Georges, et dans celle de S. Melaine où il les porta lui-même, trois jours consécutifs, en procession, et les pieds nuds. Il s’est fait encore d’autres distributions des Reliques de S. Yves, au moïen de l’une desquelles Philippe de Luxembourg, Évêque du Mans, Cardinal et Légat en France, se trouva maître de trois parties considérables de ces ossemens sacrez, dont il fit présent le 4 de mai de l’an 1516 au Roi François I. Le Roi, après son entrée dans Milan les donna le 6 de Novembre de la même année au Marquis de Montferat, pour les porter à Emmanuel I. Roi de Portugal et à la Reine sa femme, Marie d’Arragon. Depuis, Antoine I. qui se dit Roi de Portugal après la mort de Dom Sébastien, les donna le 3 d’Avril de l’an 1594 à Dom Emmanuel Prince de Portugal, à Paris, et celui-ci les déposa dans l’Abbaye de S. Sauveur d’Anvers, de l’Ordre de Citeaux, où elles furent reçues et placées dans le trésor, après avoir été visitées et vérifiées par Aubert Le Mire, Evêque de cette ville, l’an 1620. En 1671 il s’en fit une translation solennelle avec beaucoup de magnificence. Les religieux de cette Abbaïe en donnèrent une esquille en 1675 à un Seigneur du païs, qui en fit part à beaucoup d’autres, et particulièrement à la Confrairie des Jurisconsultes de Gand, dévouée à S. Yves, et qui voulut commencer les exercices de son union le jour de la fête du Saint, le 19 de Mai de l’an 1677. Le Conseil de Malines, touché d’une sainte émulation voulut témoigner autant de zèle pour la gloire de S. Yves, qu’en avoient marqué ceux de Gand. C’est pourquoi ils prièrent, l’an 1670. leur Vice-président du Conseil d’écrire à l’Abbé de S. Sauveur d’Anvers, afin d’obtenir de lui quelque morceau des Reliques de S. Yves pour être placées dans l’Oratoire de la Congrégation des Jésuites de Malines. L’Abbé se rendit aux prières du Vice-président, et l’Évêque d’Anvers s’étant rendu à S. 8auveur le 19 de Janvier de l’année suivante tira du Reliquaire une portion de ce que l’on y conservoit des ossemens de S. Yves qu’il porta lui-même à Malines, et la délivra à la Congrégation des Magistrats et des Jurisconsultes qui tenoit ses assemblées dans l’Oratoire des Jesuites, où elle fut déposée le 2 de Février et placée sur l’Autel avec la solemnité requise le 19 de mai suivant. En 1682 les Jurisconsultes de Louvain obtinrent une pareille faveur de l’Abbé de S. Sauveur d’Anvers ; et la portion des Reliques de S. Yves qui leur fut donnée, fut portée le 19 de Mai, en grande pompe, à l’Église Collegiale de S. Pierre de Louvain. »

Certes nous avons lieu d’être fiers en voyant les princes, les prélats, les corporations de jurisconsultes et d’avocats tant en France qu’à l’étranger, honorer ainsi notre Saint national et convoiter si ardemment les parcelles de ses ossements sacrés, mais ce qui nous intéresse le plus dans l’histoire des Reliques de saint Yves c’est ce qui concerne les restes demeurés en Bretagne, et particulièrement à la cathédrale de Tréguier. Nous sommes heureux de reproduire intégralement le procès-verbal suivant qui nous montrera par qui furent sauvées pendant la Terreur, puis par qui furent restituées après la Révolution les précieuses reliques de saint Yves, de saint Tugdual et de saint Maudet {appelé ici saint Mandé).

« Nous, Pierre-Joseph-Marie Saint-Priest, Claude Rolland, Charles Riou et Olivier L’Hermit, prêtres desservants de l’Église de Tréguier, étant instruits qu’en 1793, les citoyens Louis Le Creiou, alors maire, Jacques Richard, Jean-Marie Caudan, Yves Lemerdi et Jacques Le Groadec, Officiers municipaux, s’étant adjoint le citoyen Testard du But, prêtre, avaient enterré les reliques de saint Yves, saint Tudual et saint Mandé, pour les soustraire à la destruction dont elles étaient menacées par le vandalisme, avons prié les administrateurs de nous faire connaître l’endroit où reposaient les présentes reliques afin de les exposer à la vénération des fidèles : des témoins dudit enterrement, plusieurs étant décédés, les citoyens Louis Le Creiou, Jacques Richard et Jean-Marie Caudan se sont présentés avec les citoyens Jean-Louis-Hyacinthe Perichon, premier adjoint de la municipalité, Guillaume Kalio, François Dieuleveult, Jean-Baptiste Le Bonniec, Yves Le Bozec, et plusieurs autres accompagnés desdits témoins et des maçons Pierre Poulet et Yves Le Gueut, qui avaient fait l’inhumation en 1793 ; nous nous sommes transportés à la porte collatérale à droite du chœur, vis à vis de la chapelle de Saint-Tudual. Après avoir creusé environ deux pieds de profondeur, lesdits maçons ont trouvé deux caisses, une de plomb et une de bois, qu’ils ont reconnues, ainsi que les citoyens Louis Le Creiou, Jacques Richard et Jean-Marie Caudan, être les mêmes qu’ils avaient enterrées en 1793. Nous en avons fait l’ouverture et y avons trouvé le chef de saint Yves, son bras gauche, le bras droit de saint Tudual, et l’os fémoraire de saint Mandé. Après avoir vénéré et encensé les précieux restes des amis de Dieu, nous les avons porté à la sacristie processionnellement, et les avons déposés dans un grand reliquaire de bois doré. Lesquelles démarches et agissements nous avons faits et terminés en l’église de Tréguier, ce jour, vingt-huit avril mil huit cent-un. Le tout en présence des témoins dont les signatures suivent:

» Pierre-Joseph-Marie Saint-Priest; Claude-Marie Rolland, prêtre ; Charles Riou, prêtre ; L’Hermit, prêtre.

» Guy Guillou, musicien ; Gousanzout ; Jean-Marie Caudan ; Guillou, fils ; Allain Abgrall ; Yves Le Bars ; Yves Hamon ; Le Provec, assesseur du juge de paix ; Yves de Quément ; Coadic ; P. Le Gorrec ; Rouxel, ainé, assesseur du juge de paix ; Pierre Gigon ; Charles Leperret, tisserand ; Pierre Le Campion, perruquier ; Françoise Adam ; Yves Le Gallou, marchand ; Marie-Louise Leperon ; Yves Balcon, marchand ; Antoine Huet ; Rogard ; Roussel, père ; Pierre Roulet ; Julien Goubert ; François Kerambrun, perruquier ; Jacques Le Laune, instituteur ; J. M. Rouxel ; Charlotte Du Breil de Rays ; Du Breil, veuve de Cillard ; Jeanne-Marie Ridec; Céleste Du Breil de Rays ; Léon-Jean Le Yaouang ; Julien Herviou ; Anne Le Bideau ; F. Hamon ; Guillaume-Arthur Raolio ; Louis Le Moal ; Le Bronsort-Caudan ; Hélène Le Bronsort ; Victoire Le Bronsort ; Jacques Richard ; Pierre Le Sauve ; Emilie Fleuriot de Langle ; Olimpe de Langle ; Marie-Joseph Trémurec ; Marie-Anne Le Flohic ; Alexis Le Fleur.

» Je certifie les signatures ci-dessus et de part véritable ; et foi doit être ajoutée au besoin.

» A Tréguier, le 20e floréal an 9 de la République française.

Le Guillou l’ainé, maire.

» Vu en cours de visite, à Tréguier le huit mai mil huit cent vingt-un.

† Mathias, év. de Saint-Bieuc. »

Cette pièce aurait pu suffire à coup sûr pour établir l’authenticité des reliques de saint Yves, mais comme en pareille matière l’Église se montre désireuse de voir accumuler les preuves, au procès-verbal précité fut adjointe la déclaration suivante :

« Je soussigné, chanoine de l’ancien chapitre de l’église cathédrale de Tréguier, déclare reconnaître la tête que l’on conserve dans cette église et qui m’a t présentée hier, pour être celle de saint Yves, prêtre, qui avant la révolution était renfermée dans un chef d’argent et que j’ai eu plusieurs fois le loisir d’examiner pendant les dix ans que j’ai possédé un canonicat dans ladite église de Tréguier. En foi de quoi j’ai signé le présent certificat pour servir de pièce authentique.

A Tréguier, le huit aoust mil huit cent onze.

De la Motterouge

Chanoine de Tréguier anciennement
et maintenant de Saint-Brieuc »

Jusqu’en l’année 1820 les reliques de saint Yves furent exposées à la vénération dans un simple reliquaire en bois doré ; à cette date elles furent placées dans un reliquaire de bronze doré donné par Mgr Hyacinthe-Louis de Quélen comme l’atteste l’inscription suivante gravée sur une de ses faces :

Anno Domini MDCCCXX, H. L. De Qelen Trajanop. Archiepiscop. Coadjutor Parisiensis capsam hanc œneam inaurat. in qua sancti Yvonis sacerdotis reliquias collocari fecit devote Domino obtulit.

Cette dédicace, qui n’est pas un modèle de style épigraphique, pourrait se traduire:

L’an du Seigneur 1820, H. L. de Quélen archevêque de Samosate coadjuteur de l’Archevêque de Paris a offert dévotement au Seigneur cette châsse de bronze doré dans laquelle il a fait placer les reliques de saint Yves prêtre.

Il avait bien raison de donner à saint Yves cette marque de dévotion le futur archevêque de Paris, car il lui devait une amende honorable : propriétaire du manoir de Kermartin sanctifié par la présence de l’Avocat des pauvres, au lieu de le restaurer il n’avait trouvé rien de mieux à faire que de le démolir et de le remplacer par une maison vulgaire qui se loua et se loue toujours à des fermiers ; au-dessus de la porte une plaque commémorative proclame cet acte de « piété » ; il ne faut cependant pus trop en vouloir au prélat ; c’était l’esprit de l’époque dont la piété prenait parfois la forme du pire vandalisme.

Le don de l’Archevêque amena naturellement le transport des reliques de saint Yves, du reliquaire de bois dans le reliquaire de bronze ce qui donna lieu à la rédaction des deux procès-verbaux suivants, le premier devant rester aux archives de l’église cathédrale de Tréguier, le second destin à être déposé dans la châsse même avec les reliques comme le texte le dit. Les deux pièces portent les mêmes signatures et aussi les mêmes dates : 24 novembre 1820 pour le changement des reliquaires ; 8 mai 1812 pour le visa de l’autorité épiscopale.

« Je soussigné curé de la paroisse de Tréguier et vicaire général de Mgr Mathias Le Groing de la Romagère, évêque de Saint-Brieuc, certifie et atteste que les reliques enfermées dans le grand reliquaire de bronze doré et qui portent cette inscription : Sancti Yvonis proviennent du corps de saint Yves, prêtre, lesquelles reliques étaient conservées par le chapitre de la cathédrale de Tréguier jusqu’à l’époque de la Révolution. À cette époque ces saintes reliques furent cachées en terre et ensuite reconnues et relevées du lieu où elles étaient, le vingt-huit avril mil huit cent un par Mr Garat de Saint-Priest, alors grand vicaire du diocèse de Tréguier, accompagné de plusieurs prêtres, du nombre desquels j’étais moi-même Elles furent placées dans un reliquaire de bois doré, ainsi qu’il conste par procès-verbal, dont l’original se trouve joint au chef de Saint-Yves. Elles ont été reconnues par Mgr l’Évêque de Saint-Brieuc, dans sa visite épiscopale, le 25 août 1809, et le reliquaire qui les renferme a été revêtu de son sceau. C’est de ce reliquaire qu’elles ont été extraites le 24 novembre 1820 pour être placées ce même jour dans le grand reliquaire de bronze doré où elles sont maintenant. Ainsi toute confiance doit être accordée à leur authenticité, quoique les titres originaux aient été consumées pendant leur séjour dans la terre. Ce placement s’est fait en présence de MM. les vicaires de cette paroisse qui signent avec moi.

A Tréguier, le 25 novembre 1820.
Riou, vicaire général, curé de Tréguier.
J. M. Robin, prêtre, vicaire de Tréguier.
J. Lescop, prêtre, vicaire de Tréguier.

Vidimus die octava Maii, anno millesimo octingentesimo, vigesimo primo.

Matthias, ep. Briocensis. »

« Je soussigné, vicaire général de Mgr Mathias Le Groing de la Romagère, évêque de Saint-Brieuc, certifie et atteste que le chef renfermé dans le grand reliquaire de bronze doré, où devra aussi se trouver le présent certificat, est le chef de saint Yves, prêtre, mort le 19 mai 1303, lequel chef ayant été toujours conservé dans l’église de Tréguier, y fut caché en 1793 pour le soustraire à la profanation et exhumé et reconnu en ma présence, le 28 avril 1801 par l’autorité ecclésiastique compétente. C’est du reliquaire où il fut placé alors, que je le place dans le grand reliquaire de bronze doré destiné à conserver désormais cette précieuse relique. Ce placement se fait le 2 novembre 1820 en présence des vicaires de cette paroisse, qui signent avec moi et j’appose à cet écrit le sceau de Mgr Mathias Le Groing de la Romsgère, évêque de Saint-Brieuc. Ledit reliquaire sera également muni du sceau dudit Seigneur Évêque.

Riou, vicaire général, curé de Tréguier.
J. M. Robin, prêtre, vicaire de Tréguier.
J. Lescop, prêtre, vicaire de Tréguier.

Vidimus die 8 Maii, anno 1821.


Mathias»

Le 18 mai , Mgr Augustin David fit ouvrir le reliquaire pour placer sur la tête de saint Yves une couronne en vermeil enrichie de pierreries, don personnel du prélat.

Au mois d’août , M. le docteur Le Bec, chirurgien de l’hôpital Saint-Joseph à Paris, ayant remarqué dans les reliques que renfermait la châsse vitrée « certaine altération due à un champignon qui rendait les os friables et menaçait le chef de saint Yves de s’effriter, » fit part de ses observations au clergé paroissial ; M. l’Archiprêtre Le Goff constata que la menace n’était que trop inquiétante et résolut d’employer tous les moyens dont dispose aujourd’hui la science pour arrêter le mal dont il s’agit. Le 20 août , sous la présidence de M. l’abbé Jules Gadiou, secrétaire de l’évêché, délégué de Mgr Fallières ; à l’instance de M. le chanoine Le Goff, vicaire général honoraire, curé-archiprêtre de la cathédrale de Tréguier ; en présence de M. le chanoine Duchêne, supérieur du petit séminaire de Tréguier des membres du Conseil de fabrique, de plusieurs ecclésiastiques et d’un grand nombre de personnes de la ville, M. le docteur Guermonprez professeur à l’Université catholique de Lille, assisté d’un de ses élèves M. François Le Gueut et de M. le docteur Guézennec, médecin à Tréguier, procéda à l’examen et au lavage des reliques renfermées dans la châsse :

1o Le chef de saint Yves.

2o La moitié supérieure du tibia gauche du même saint.

3o Un fragment volumineux de la diaphyse de l’humérus du même saint.

4o L’humérus droit de saint Tugdual premier évêque de Tréguier.

5o Le radius gauche de saint Tugdual.

Les altérations survenues dans ces ossements vénérés tant la conséquence de l’humidité, tous les soins possibles furent employés pour empêcher qu’elles se renouvellent à l’avenir.

Les détails qui précèdent ont été empruntés à la brochure publiée pour rendre compte de ce qui fut ainsi fait le 20 août 1897, et nous en devons la bienveillante communication à l’abbé Le Goff, vicaire général, chanoine honoraire, curé-archiprêtre de Tréguier.

Dans la paroisse de Landudal, doyenné de Briec, se trouve le manoir de Trémarec dont la chapelle seigneuriale est dédiée à saint Yves. De temps immémorial on vénère dans cette chapelle la plus notable relique que possède de lui le diocèse de Quimper. Comment y est-elle venue ? — Je l’ignore complètement ; ce qui est certain c’est que la famille de Trémarec [qui portait d’azur à trois coqs d’argent, becqués et membrés de gueules) possédait la seigneurie de ce nom dès avant 1426 (Nobiliaire de P. de Courey) ; elle s’est fondue dans la famille de Kergadalan en 1540.

Château, chapelle, reliquaire et relique auraient passé des seigneurs de Kergadalan aux Furic qui, à leur tour, les auraient légués aux seigneurs de Kerguélen ; c’est du moins une tradition verbale conservée par ceux-ci.

La chapelle de Saint-Yves de Trémarec continue d’être un vrai centre de dévotion ; le pardon annuel présente un aspect particulièrement pieux ; le pouce du Saint enfermé dans un pouce en argent est placé dans une châsse en bois, surmontée d’un buste de saint Yves coiffé de la barette et tendant les bras ; en dessous sont figurés trois sacs de procédure avec les inscriptions : sac des pauvres, sac des veuves, sac des orphelins.

La relique, le reliquaire d’argent et la châsse ont été cachés pendant la Révolution à Kervéal, ferme voisine du château de Trémarec ; à cette époque la chapelle fut ruinée ; elle a été relevée par la famille de Kerguélen et appartient aujourd’hui à Madame de Pompery.


L’ÉGLISE SAINT-YVES-DES-BRETONS, A ROME (A.-M. T.).


Tout le monde sait que la Bretagne, comme presque tous les pays gouvernés par des princes souverains, avait à Rome son église nationale ; elle était placée sous le vocable de saint Yves ; au-dessus de la porte principale à l’extérieur, on pouvait lire :

Divo Yvoni trecorensi pauperum et viduarum advocato natio Britanniæ œdem hanc jampridem consecratam restauravit. M.D.LXVIII.

Sur la porte latérale, rue Ripetta:

Sancti Yvonis pauperum viduarumque advocati templum insauratum. A. — MDLVIII.

Et sur une autre porte latérale:

S. Yvo advocatus pauperum.

Le 19 mai 1845, un jeune diocésain de Quimper ordonné à Rome le Samedi-Saint précédent, écrivait de la Ville Sainte à son évêque Mgr Graveran ; ce jeune prêtre, Léopold de Léséleuc, mort évêque d’Autun en 14873, était déjà (on le verra dans sa lettre) le Breton que nous avons connu si plein d’amour pour son pays.

Voici les impressions qu’il emportait de Saint-Yves-des-Bretons :

� Le jour que je choisis pour renouveler entre les mains de Votre Grandeur la promesse d’obéissance que le vicaire de Sa Sainteté a reçue pour elle, apporte au sentiment de mon ardent amour pour le pays où je suis né une vivacité nouvelle, et j’éprouve aujourd’hui plus que jamais que le sang Breton ne se refroidit pas pour s’éloigner de la Patrie. On célèbre ici, comme à Quimper, comme à Tréguier comme à Loanec comme dans toute la Bretagne, la fête de S. Yves, et c’est dans notre Église nationale que j’ai offert ce marin le S. Sacrifice, en priant Dieu de ne point laisser arracher sa foi à un peuple qui a tant fait pour la défendre et la conserver pure. Hélas ! Monseigneur, j’ai trouvé au pied de cet autel, presque abandonné depuis quelques années, des penses amères et un contraste cruel entre le présent et un passé qui n’est pas loin. Je me suis promis de déposer dans votre cœur paternel un chagrin que partagent avec moi tous les Bretons qui ont visité Rome dans ces derniers temps. Au commencement du quinzième siècle, le Pape Calixte III, si je ne me trompe, donna à notre Nation une des plus vieilles églises de la ville. Aussitôt elle fut mise en état de servir au culte ; des fondations très importantes y furent faites, et la générosité que nous avons toujours eue pour les choses de Dieu, malgré notre pauvreté d’ancienne date, eut bientôt trouvé moyen de bâtir plusieurs maisons pour nos pèlerins et nos pauvres, de fonder et de doter un hospice pour nos malades. Saint-Yves-des-Bretons devint une paroisse, et, comme toutes les nations de l’Europe, la nôtre fut représentée auprès du tombeau des Apôtres ; elle y eut sa modeste résidence pour les jours de Pèlerinage ou de persécution. Après la réunion, nos établissements, comme ceux des Lorrains, des Bourguignons, etc., devinrent Français, et furent confiés à l’administration dont l’Ambassade est le centre. On peut bien voir aujourd’hui que, dès les premiers jours, ou peu s’en faut, la protection de notre nouvelle métropole ressembla singulièrement celle du Seigneur de Lafontaine. Notre Église fut négligée, laissée sans réparations, et, si l’on peut encore assez admirer son magnifique pavé de mosaïque et ses colonnes de granit, c’est que tout cela était à l’épreuve d’une longue négligence. Cependant la révolution de 94 elle-même ne nous déposséda pas entièrement. Il y eut toujours un recteur Breton à Saint-Yves ; nos maisons et notre hospice furent loués au profit de Saint-Louis-des-Français, mais enfin elles restèrent ; nos 12 ou 15 mille lires de revenus se conservèrent ; les 1,300 messes fondées à perpétuité par la piété de nos ancêtres furent célébrés près des tombeaux où j’ai lu les noms celtiques des fondateurs ; Saint-Yves était toujours une paroisse, et, par conséquent, une Église vivante et fréquentée. Aujourd’hui, Monseigneur ce n’est plus qu’un bénéfice en commande, et si j’en crois certains bruits, nous sommes menacés d’être plus dépouillés encore que nous ne le sommes. — En 1824 (car la consommation du mal que je viens dénoncer à Votre Grandeur n’est pas plus ancienne) on obtint du Souverain Pontife l’autorisation d’acquitter dans l’Église de Saint-Louis les fondations Bretonnes, et Saint-Yves fut fermé, au grand mécontentement du quartier qui se trouvait compris dans la circonscription d’une paroisse plus éloignée. Mais il est vraisemblable qu’aucune réclamation ne fut faite au nom des propriétaires de l’Église ; elle fut donc close et abandonnée. En 1842, on pensa à reconstituer l’ancienne communauté de Saint-Louis, en obligeant les chapelains à la vie commune ; plusieurs de ceux-ci, presque tous Corses, s’étant montrés peu disposés à subir la nouvelle loi, on chercha le moyen de s’en débarrasser, et la rectorerie de Saint-Yves fut rétablie pour y placer un de ces prêtres. — Je dois dire en passant, que, tout Corse qu’il est, sa voix est la seule qui s’élève pour réclamer au moins quelques-uns des droits de notre Église ; mais vous comprenez, Monseigneur, que ce n’est pas une grande Autorité. Il y a quelques semaines, plusieurs de nos compatriotes, MM. de Kerguélen, Donquer, de Kermenguy, Le Vicomte, etc., allèrent y célébrer la Sainte Messe, et ensuite se rendirent en corps chez M. Lacroix, clerc national de France, pour lui demander que l’on fit au moins quelques réparations à notre Église. Mais je suis convaincu que, cette fois encore, on s’en tiendra de belles paroles. Déjà deux maisons, dont l’une était notre hospice, ont été vendues à l’Église des Portugais pour le prix de 8,000 piastres ou 42,000 francs ; une troisième est louée par Bail emphytéotique, ce qui ressemble bien à une aliénation. Il ne se dit pas dans l’Église d’autre messe que celle du Recteur, et aujourd’hui, jour de S. Yves, je m’y suis servi d’un calice de cuivre, et d’un ornement troué. Enfin, il est, dit-on, question d’abandonner l’Église à une Confrérie d’avocats.

Je crois, Monseigneur, qu’il serait très facile d’obtenir, sinon complète justice, au moins quelque respect pour les intentions les plus essentielles des fondateurs. Si Votre Grandeur confiait le soin de cette affaire au patriotisme de MM. de Carné, du Dresnay, et autres députés Bretons, je suis convaincu que le Ministre des affaires Étrangères consentirait à ordonner que des réparations fussent faites à l’Église de Saint-Yves, que l’on prélevât pour son entretien au moins une partie des dix mille francs de revenu qui lui restent encore, enfin que les 1,300 messes qui doivent s’y dire annuellement cessassent d’être acquittées dans une autre Église.

J’ai cru de mon devoir, Monseigneur, de révéler à Votre Grandeur un état de choses qui blesse autant la justice que le sentiment national dont les Bretons sont universellement animés. Je serais heureux, si je suis encore à Rome lorsque vous y viendrez, de vous conduire sans éprouver un trop vif chagrin, à cette Église que vos prédécesseurs ont sans doute chérie, et de lire avec vous sans éprouver une sorte d’indignation ces mots qui peut-être furent gravés à son fronton par un Evêque que de Quimper : « Sancto Ivoni, pauperum et viduarum advocato, natio Britanniœ dicavit. » — (Archives de l’Évêché de Quimper.)

Depuis plusieurs années le vœu formulé par l’abbé L. de Léséleuc est réalisé, comme on le verra plus loin.

MONUMENTS DE SAINT YVES (J.-M. A.).


e manoir de Kermartin où naquit saint Yves a passé dans le cours des âges aux familles de Quélen et de la Rivière, puis en 1754 devint propriété du marquis de la Fayette, père du célèbre général, par son mariage avec Julie-Louise de la Rivière, dame de Kermartin. En 1792, ils vendirent cette terre au comte de Quélen de la Villechevalier. (Archives des Côtes-du-Nord, Fonds La Rivière, etc.). En 1824, Mgr Hyacinthe de Quélen, archevêque de Paris, fit démolir la vénérable demeure pour construire à la place une banale maison de fermier, sur laquelle une simple plaque de marbre rappelle désormais le souvenir du grand saint. La seule chose contemporaine de saint Yves qui soit encore conservée en cet endroit, c’est le vieux colombier où ses yeux d’enfant ont dû suivre bien souvent le vol des pigeons qui s’y abritaient.

La chapelle du Minihy-Tréguier, fondée en 1293 par saint Yves, a été rebâtie plus grandiosement et plus richement en 1480 ; on y voit une copie de son testament, sa vie est retracée en détail dans les vitraux, et l’on conserve dans la sacristie les restes de son bréviaire, magnifique manuscrit sur vélin.

ÉGLISE DE LOUANEC.

J’ai eu en septembre t890 le bonheur de visiter la vieille église romane de Louanec, dont saint Yves fut recteur, de 1294 à 1315. Vers 1895 elle a été démolie pour faire place à une église neuve. Je laisse la parole à M. de la Borderie pour qualifier comme il faut cet acte de barbarie. (Bulletin de l’Association Bretonne, classe d’Archéologie, tome 13e, Congrès tenu à Rennes, 1897.

« C’est assez, ou plutôt c’est trop, c’est beaucoup trop d’avoir à signaler l’un des plus tristes forfaits du vandalisme, la destruction d’un sanctuaire contemporain de saint Yves, et dans lequel cet incomparable modèle de vertu, de justice, de piété, de charité, ce grand protecteur de la Bretagne, avait exercé pendant onze ans les fonctions de pasteur des âmes. Il s’agit de l’église de Louanec, dans la presqu’ile de Tréguer, non loin de la magnifique baie de Perros.

Cette église comprenait deux parties: le chœur, du XVe-XVIe siècle, semblable à beaucoup d’autres de la même époque, et la nef qui était romane. La nef se composait, de droite et de gauche, de trois arcades en plein cintre, séparées par de massifs piliers, surmontées de petites fenêtres aussi en plein cintre fortement ébrasées dans la massive muraille, qui dénotaient certainement le XIe ou le XIIe siècle. Elle n’était pas, cette nef, un modèle d’élégance, je le reconnais mais pendant onze années elle avait vu le grand saint Yves, le patron de la Bretagne, accomplir dans son enceinte les rites sacrés, y proclamer la doctrine évangé1ique, en consacrer toutes les pierres par ses prières, les arroser de ses bénédictions et embaumer de sa vertu, de sa charité incomparable tout l’édifice. Cette nef était vraiment une relique du saint au même titre que la chasuble d’étoffe byzantine conservée dans la même paroisse sous le nom de chasuble de saint Yves. Saint Yves avait revêtu cet ornement sacré ; mais n’était-ce pas aussi un ornement sacré cette vieille église, ces murs antiques qui l’environnaient quand il épanchait devant Dieu ses prières, quand il l’invoquait pour la Bretagne, ces tours qui avaient vu ses aspirations ardentes, ses austérités inimitables ? N’était-ce pas dans un coin de cet édifice que le saint reposait chaque nuit sur une couche dont le matelas était rembourré de triques et de fagots ?

Eh bien! cette antique et vénérable nef, vraie relique de saint Yves, route pleine de lui, on l’a détruite, démolie comme la plus vulgaire baraque. Je ne puis pas retenir le mot qui seul exprime ma pensée: c’est un sacrilège ! Ce n’est pas comme archéologue que je proteste ; c’est comme chrétien, comme Breton. »

CHASUBLE DE SAINT YVES.

Dans la vieille église de Louanec et dans la nouvelle se conserve encore la chasuble dont parle M. de la Borderie. Elle y est exposée dans une sorte d’armoire vitrée. C’est la planeta ou chasuble ample dans la forme du moyen-âge, qui se relevait sur les bras en formant des plis gracieux. Elle est faire d’une étoffe ancienne où sont tissés des rangs de griffons ailés affrontés, chacun des rangs étant séparé par une bande étroite ornée de zig-zags, et chacun des griffons par un losange ou une macle héraldique. Espérons du moins que cette précieuse relique sera conservée avec plus de soin que la vieille église qui a disparu.

SARCOPHAGE DE LANDELEAU.

Il y a quinze ans, au cimetière de Landeleau, à six mètres de la grande porte ouest de l’église, existait une sorte de petit oratoire de 4 ou 5 mètres de longueur sur 2m 50 de largeur, désigné par les fidèles sous le nom d’Ermitage de saint Théleau. L’ensemble de l’édifice semblait être du XVe siècle, mais les assises inférieures se composaient d’un appareil en arêtes de poissons ou feuilles de fougères et devait remonter à une haute antiquité peut-être même à l’époque (premières années du Ve siècle) où saint Théleau, évêque de Landaff au pays de Galles, vint dans notre Armorique et passa au territoire de Landeleau auquel il donna son nom. Dans cet ermitage se trouvait un sarcophage de granit, d’une longueur totale de 2m 32, ayant 2 mètres de creux avec logette pour recevoir la tête. Ce sarcophage porte dans le pays le nom de Lit de saint Théleau. Saint Yves prêchant en notre contrée eut à passer une nuit à Landeleau, comme il est dit au paragraphe XVI, et par esprit de pénitence et de vénération pour saint Théleau, il quitta sa chambre pour aller coucher dans ce lit de pierre, ce dont rendit témoignage son compagnon Maurice du Mont. L’ermitage a disparu, mais le sarcophage est conservé dans l’église paroissiale et on peut le vénérer comme ayant à sanctifié, peut-être par saint Théleau, certainement par saint Yves.

NOUVEAU T0MBEAU DE SAINT YVES.

On a vu au paragraphe XXXIX comment le Duc Jean V fit construire la grande chapelle du Duc au côté nord de la cathédrale de Tréguier et érigea dans cette chapelle un tombeau monumental à saint Yves ouvrage pour lequel il donna son poids en argent. Ce tombeau a été détruit en 1793.

De nos jours Mgr Bouché, qui occupa le siège de Saint-Brieuc de 1884 à 1888, animé d’un grand zèle pour la gloire de saint Yves, pensa rétablir ce monument et chargea M. A. de la Borderie d’en rédiger le programme, de manière à reproduire aussi exactement que possible dans ses lignes générales le tombeau élevé par Jean V. Une notice détaillée servit donc de guide à l’architecte, M. Devrez pour dresser un plan admirablement étudié et très heureusement compris, plan qui fut soumis à l’examen et à l’approbation d’une commission spéciale le 19 mai 1885. Pour arriver à réunir les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet, M. le chanoine Le Goff, Curé-Archiprêtre de Tréguier, fit appel à tous les prêtres bretons et tous les dévots de saint Yves. Les 7, 8 et 9 septembre 1890, dans les premières années de l’épiscopat de Mgr Fallières Saint-Brieuc, des solemnités pleines de foi et d’enthousiasme furent célébrées dans la ville de Tréguier, pour inaugurer le nouveau monument, qui fut bénit par Son Éminence le Cardinal Place, archevêque de Rennes, assisté de Mgr Fallières, de Mgr Bécel, évêque de Vannes ; Mgr Freppel, évêque d’Angers ; Mgr Potron, évêque de Jéricho ; et Mgr Gonindard, archevêque de Sébaste, coadjuteur de Mgr l’Archevêque de Rennes.

Voici rapidement la composition de ce tombeau : sur trois marches de granit bleu et un soubassement de granit poli s’élève un sarcophage en pierre blanche, banc royal de Confians couronné par une table aussi en granit poli. Sur cette table, la statue couchée de saint Yves en marbre blanc, la tête posée sur un quartier de roche que soutiennent deux anges. Cette statue est l’œuvre de M. Valentin, sculpteur breton. Autour du sarcophage, dans des niches gothiques, sont quatorze statuettes représentant les parents, les amis et les dévots du Saint : Hélori, seigneur de Kermartin, son père ; Azou, sa mère et Catherine Hélori, sa sœur ; Rivallon le jongleur ou ménétrier et sa femme Panthoada ; Charles de Blois et l’évêque Alain de Bruc ; Maurice, archidiacre de Rennes ; Guiomar Morel, le cordelier de Guingamp, et Catherine Autret, la jeune miraculée de Plestin ; enfin les glorificateurs du Bienheureux : Philippe de Valois et Clément VI, Jean V et l’Evêque de Saint-Brieuc et Tréguier, Monseigneur Bonché, l’initiateur de l’œuvre.

Au dessus du sarcophage s’élève un riche édicule formant un magnifique dais de pierre, porté par six contreforts on pilastres soutenant des arcades toutes sculptées et toutes dentelées, surmontées elles-mêmes par des tympans aux pignons aigus au haut desquels, pour leur donner encore plus d’élancement, se dressent des statues d’anges aux ailes éployées. Dans les niches des pilastres sont les statues des principaux Saints bretons. D’abord les fondateurs des neuf évêchés de Bretagne : Samson, Pol de Léon, Corentin, Tugdual, Clair, Melaine, Patern, Malo et Brieuc. Ensuite les protomartyrs de l’Armorique, Donatien et Rogatien de Nantes ; les rois bretons, Judicaël et Salomon, et enfin saint Gildas de Ruis, le premier historien de la race bretonne. Au sommet des pinacles, le Bon Pasteur et la Vierge a l’oiseau. Pour avoir une idée complète de ce travail monumental il faut lire la description détaillée qu’en a faite M. de la Borderie et qui a été publiée en 1890 par l’Œuvre de saint Yves a Tréguier.

Ajoutons qu’en ce moment, mars 1900, M. l’archiprêtre Le Goff, l’infatigable dévot de saint Yves, vient de lancer une souscription pour élever au grand thaumaturge une statue colossale dans le cloître de la cathédrale de Tréguier. C’est une noble protestation contre l’entreprise impie qui a voulu, il y a quelques années, placer dans cet enclos sacré la statue de l’infâme Renan.

En bon rang parmi les œuvres ayant trait a la gloire de notre saint, il convient de signaler les Monuments originaux de l’Histoire de Saint Yves, publiés pour la première fois par une réunion de Bibliophiles avec le concours de MM. Daniel, curé de Dinan ; Perquis, professeur au Grand-Sémiaire de Saint-Brieuc ; L. Prud’homme, éditeur ; Tempier, archiviste des Côtes-du- Nord ; précédés d’une Introduction de M. A. de la Borderie, correspondant de l’Institut président de la Société des Bibliophiles Bretons.

Cette publication, parue en 1885-1886, comprend :

1o Introduction, par M. Arthur de la Borderie ;

2o Enquête pour la Canonisation de saint Yves, édifiée à Tréguer en l’an 1330 : texte complet des 243 témoins ;

3o Rapport des Cardinaux sur cette enquête, présent au Saint-Père, en l’an 1331 ;

4o Bulle de Canonisation de saint Yves (1347) ;

5o Office primitif de saint Yves, composé avant 1350, tiré du Légendaire de Tréguer.

Après ce monument scripturaire, il faut en citer un autre, qui est une gloire pour notre époque et pour le gentilhomme qui l’a composé : La Légende Merveilleuse de Monseigneur sainct Yves, par le Vicomte Arthur du Bois de la Villerabel. — Illustrations de Paul Chardin. Rennes, Hyacinthe Caillière, libraire-éditeur, l’an M DCCC LXXXIX. Cette date de 1889 est certainement fictive, c’est 1489 qu’il faudrait lire, car c’est en plein moyen-âge que nous transporte ce livre inimitable sorti d’un cœur si aimant et si convaincu.

ÉGLISES ET CHAPELLES DE SAINT YVES.

Elles sont si nombreuses qu’il est impossible de les citer dans cette note, d’autant plus que l’on serait sûr d’en omettre un certain nombre. M. Gaultier du Motray indique treize paroisses pour la Bretagne et quarante-quatre chapelles, mis en mettant des etc. à la fin de sa liste, car elle est loin d’être complète. — En dehors de notre pays je rappelle l’église de Saint-Yves des Bretons à Rome, dont il a été question dans la note précédente. Elle datait du XIIe siècle et était d’abord dédiée à saint André. Le pape Nicolas V, 5 la demande du cardinal Alain de Coëtivy, la céda à la nation des Bretons, qui la consacrèrent à leur saint Yves, Toutefois cette cession ne fut solennellement confirmée que par son successeur Calixte III en 1455. L’Eglise devint alors paroissiale. Les avocats de Rome ayant choisi ce saint pour leur patron, fondèrent une congrégation qui avait pour but de défendre les causes des pauvres sans aucune rétribution pécuniaire. Cette congrégation célébrait tous les ans, avec grande pompe, dans l’église de Saint-Yves, la solennité de la fête du saint, le 19 mai. Le pape Jules II, en 1511, institua près de cette église, et l’y annexa, un hôpital destin aux pauvres malades et aux pèlerins bretons. La vielle église a été démolie en 1875, pour cause de voirie et remplacée par une autre plus petite et de style différent. (Jules de Laurière, Bulletin Monumental, 1879.)

ICONOGRAPHIE DE SAINT YVES.

Il serait également bien difficile d’indiquer toutes les statues de saint Yves qui sont honorées dans nos églises. J’en connais environ quarante dans le diocèse de Quimper et elles ne doivent pas être moins nombreuses dans les diocèses de Vannes, de Rennes et surtout de Saint-Brieuc. Tantôt le Saint est représenté seul, tantôt en groupe, entre le riche et le pauvre, insensible à l’offre d’argent que lui fait le riche, se tournant au contraire vers le pauvre dont il prend la défense. Les plus beaux groupes dans ce genre sont ceux de la Roche-Maurice, Gouézec, Pleyben, Huelgoat, chapelles de Tréanna en Elliant, Quilinen en Landrévarzec et Saint-Vennec en Briec. Celui-ci est daté de 1592, et tous les autres ont le même caractère et semblent appartenir & la fin du XVe siècle. Saint Yves y est représenté vêtu du surplis et du camail, avec le bonnet carré ou barrette sur la tête. A l’église de Goueznou, dans le retable de l’autel nord, il y a un groupe plus complet, du XVIe siècle : saint Yves est assis sur un siège élevé, rendant la justice et ayant autour de lui un riche offrant une bourse, deux pauvres, une veuve, un orphelin et un homme de loi. Un petit ange tient un cartouche sur lequel est écrit: Saint Yves.

La statue en pierre qui est au portail ouest de l’église du Folgoët et qui provient d’une chapelle de la paroisse, faisait aussi primitivement partie d’un groupe ; le pauvre existe toujours près du porche des apôtres, mais le riche a disparu. Ce saint Yves doit dater de la fin du XVe siècle ou du commencement du XVIe. Il est vêtu d’une robe longue ; mais le vêtement qui est là-dessus, qu’est-il ? Est-ce un surplis, une housse, un surcot ? Les épaules sont couvertes par un camail ou un chaperon muni d’un vaste capuchon qui vient envelopper la tête par dessus le bonnet carré. Au calvaire de Plougonven, une statue du même saint absolument analogue comme pose et comme costume, porte la date de 1554. La plupart des statues isolées de saint Yves le représentent en surplis, camail et barrette, tenant d’une main un rouleau de papier ou de parchemin, et de l’autre un sac à procès, une bourse ou un livre suspendu. Au temps de Louis XIV on lui donne volontiers le costume d’official, la robe d’avocat ou même de président de tribunal, comme à Peumeurit, Pouldavid et Guimiliau.

Après ces représentations sculptées, je dois signaler le célèbre et beau vitrail de saint Yves à l’église de Moncontour, Côtes-du-Nord, et une autre verrière du même saint à Montfort-l’Amaury, Seine-et-Oise, non loin de Rambouillet ; et aussi la grande verrière moderne de Plougonven où la vie de notre saint est dérite en huit beaux tableaux.

Et pour terminer, il convient d’exposer la plus belle iconographie qui existe de saint Yves, la cathédrale de Nantes, d’après M. l’abbé Cahour :

A la porte latérale de gauche (sud) :

Cette porte se compose de trois voussures concentriques. La première à droite du spectateur est extrêmement endommagée. Il est difficile d’y voir clairement quelque chose. On peut soupçonner pourtant, dans les trois premiers sujets inférieurs, une représentation de saint Yves rendant la justice en plaidant pour ses clients.

Nous prenons maintenant par le haut la voussure qui touche à cette première ; en voici les sujets faciles à reconnaitre : 1o Maurice Dumont, sur l’ordre d’une voix céleste, se lève pendant la nuit et trouve saint Yves dans le cimetière, couché vêtu dans une concavité de rocher, où saint Elleau avait mené la pénitente ;

2o Un pauvre passe la nuit à la pote du Saint ; il l’introduit chez lui, au matin, et lui laisse la disposition de sa maison, après l’avoir revêtu de ses propres habits ;

3o Il couche à la place de ce pauvre, à sa porte, pendant la nuit suivante ;

4o Il demande au Seigneur de Rostrenen la permission de prendre du bois dans ses forêts pour faire la charpente de la cathédrale de Tréguier ;

5o Il choisit les pieds d’arbres et les fait couper, et chaque pied en produit miraculeusement trois, à la place de celui qui était coupé ;

6o Le bois est coupés et équarri, il s’allonge miraculeusement pour les besoins de l’édifice.

En partant du haut, nous trouvons les sujets suivants:

1o Saint Yves achète des pièces de drap pour vêtir des pauvres ;

2o Il donne ses soins à un malade ;

3o Il ensevelit un mort.

Les deux groupes suivants sont désormais informes. Nous passons de l’autre côté de la porte, qui, pour le spectateur, est à la gauche. — Nous commençons ici par la troisième voussure intérieure, partie supérieure:

1o Le Saint est endormi sur une chaise, qui était sa couche ordinaire. Un témoin le contemple ;

2o Il donne à un pauvre un vêtement neuf qu’on lui apportait pour lui-même ;

3o Sujet très défiguré ;

4o Saint Yves prêchant ;

5o Saint Yves faisant le catéchisme à des enfants ;

1o Saint Yves, entrant dans une chaumière, y trouve un pauvre délaissé qu’il fait transporter chez lui ;

2o Saint Yves soignant de ses propres mains ce malade ;

3o Saint Yves passe à pied sec, avec son domestique, une rivière dont il a séparé les eaux par le signe de la croix ;

4o Saint Yves tente de réconcilier un fils avec sa mère ;

5o Saint Yves dit la messe à cette intention ;

6o La réconciliation s’opère. (J’avoue pourtant que pour ces trois derniers sujets je ne produis cette explication qu’avec réserves ; les sujets sont très mutilés.)

Enfin, nous arrivons à la dernière voussure. Le premier sujet, pour le bas, nous présente saint Yves étendu mort sur la claie ; plusieurs personnages religieux sont arrêtés devant lui. — Trois sujets que l’on peut intituler: Hommages et supplications au tombeau du Saint.

  1. « Confessé » doit évidemment être pris ici dans le sens d’avoué ; remplissant les fonctions d’official saint Yves n’avait nullement à entendre en confession une des parties intéressées dans le procès. A.-M. T.
  2. Ce n’est pas à Locronan même que ce fait s’est passé mais sur la route de Gouézec à Quimper, comme le rapporte un témoin, le St de Pestivien dans le procès de Canonisation. — P.P.
  3. Il est question ici de la paroisse du Tréhou, de l’ancien diocèse de Léon. — P. P.
  4. Pleulouan aujourd’hui Poullaouen
  5. Ce nom dont la forme française était Typhaine, et la forme latine Theophania était très usité à l’époque de saint Yves ; il était porté par plusieurs personnes qui déposèrent comme témoins dans la procès de sa canonization. — A.-M. T.
  6. Lisez son frère, car Guy de Penthièvre pere de Jeanne la femme de Charles de Blois, était bien le frère du Duc Jean III. — P. P.
  7. Mesquer est pres de Guérande au diocese de Nantes.
  8. Albert veut dire Evêque de Porto, l’un des sieges suburbicaires occupes par les cardinaux de l’ordre des évêques. — A.-M. T,
  9. Nota que le surnom de S. Yves n’estoit pas Helori mais de Kermartin, toutesfois il se trouve avoir signe Yvo Hælori de Ker-martin, se servant de Helouri qui estoit le nom propre de son pere, comme de nom patronimique, non pas comme de surnom disant Yvo Hælorii, comme qui diroit Yvo Filius Helorii, — A.
  10. Exulta et lauda habitatio Sion, quià magnus in medio tui sanctus Israel. Isaie, 12 v. 5. — A.
  11. Isaie c. 61, v. 10.
  12. Cant. c. 2, v. 4. — A.
  13. Cant. 1. 3.
  14. I. Cor. c. 13, v. 8.
  15. Psalm. 150 : Laudate Dominure in sanctis ejus. A.
  16. Luc. 15. A.
  17. Cant. 8. A.
  18. Isaye. c 65, v. 18 et 19. A.
  19. Habac. 6. A.
  20. Apoc. 19, Psalm. 68. A.
  21. Mach. 2, c. 15, v. 13. A.
  22. Selon la supputation moderne 1409 — A