La Vie de M. Descartes/Livre 1/Chapitre 1

Daniel Horthemels (p. 1-7).


La vie est un present de la nature assez considerable pour ne pas negliger de sçavoir à qui l’on en est redevable : et j’ay lieu d’esperer que ceux à qui celle de M Descartes ne sera point entierement indifferente, me sçauront gré de leur avoir fait connoître les personnes dont la providence a voulu employer le ministere pour la production de ce philosophe.

Je sçai qu’il en est presque des philosophes comme des saints de l’eglise de Dieu : et que les uns non plus que les autres n’ont souvent rien à emprunter de leur famille. On peut dire même que les personnes du siecle qui reçoivent quelque lustre de leur naissance, n’ont qu’un merite assez mediocre, lorsqu’elles sont obligées de recourir à celuy de leurs parens et de leurs ancêtres, pour en tirer quelque avantage.

J’avouë que ce n’est pas traiter M Descartes en philosophe que de parler de la noblesse de son sang, et de l’antiquité de sa race : et que ceux qui font profession de mépriser ces considerations trouveront peut-être que sa naissance pour être un peu trop illustre l’a éloigné de la philosophie d’un degré plus qu’elle n’auroit fait, si elle avoit eu la mediocrité de celle de M Gassendi, ou les défauts de celle du celebre Galilée.

Ce n’est donc pas pour rien ajoûter au merite, où à la reputation de M Descartes que je veux parler de son extraction, puisqu’à toute rigueur il n’en a point reçu plus que M Gassendi, ou Galilée en auroient pû recevoir de la leur. Mais c’est pour faire voir que la gloire que ses ancêtres ont pû meriter dans les armées, et dans les cours souveraines n’empêche pas qu’ils n’en aient reçu une toute nouvelle de nôtre philosophe par un effet du retour que la retroaction est capable de produire.

La vie est un present de la nature assez considerable pour ne pas negliger de sçavoir à qui l’on en est redevable : et j’ay lieu d’esperer que ceux à qui celle de M Descartes ne sera point entierement indifferente, me sçauront gré de leur avoir fait connoître les personnes dont la providence a voulu employer le ministere pour la production de ce philosophe.

Je sçai qu’il en est presque des philosophes comme des saints de l’eglise de Dieu : et que les uns non plus que les autres n’ont souvent rien à emprunter de leur famille. On peut dire même que les personnes du siecle qui reçoivent quelque lustre de leur naissance, n’ont qu’un merite assez mediocre, lorsqu’elles sont obligées de recourir à celuy de leurs parens et de leurs ancêtres, pour en tirer quelque avantage.

J’avouë que ce n’est pas traiter M Descartes en philosophe que de parler de la noblesse de son sang, et de l’antiquité de sa race : et que ceux qui font profession de mépriser ces considerations trouveront peut-être que sa naissance pour être un peu trop illustre l’a éloigné de la philosophie d’un degré plus qu’elle n’auroit fait, si elle avoit eu la mediocrité de celle de M Gassendi, ou les défauts de celle du celebre Galilée.

Ce n’est donc pas pour rien ajoûter au merite, ou à la reputation de M Descartes que je veux parler de son extraction, puisqu’à toute rigueur il n’en a point reçu plus que M Gassendi, ou Galilée en auroient pû recevoir de la leur. Mais c’est pour faire voir que la gloire que ses ancêtres ont pû meriter dans les armées, et dans les cours souveraines n’empêche pas qu’ils n’en aient reçu une toute nouvelle de nôtre philosophe par un effet du retour que la retroaction est capable de produire.

Monsieur Descartes étoit sorti d’une maison qui avoit été considerée jusqu’alors comme l’une des plus nobles, des plus anciennes et des mieux appuyées de la Touraine. Elle s’étoit même beaucoup étenduë dans la province de Poictou, et elle avoit poussé ses branches jusqu’en Berry, en Anjou et en Bretagne par le moien des belles alliances qu’elle y avoit contractées.

Il étoit fils de Messire Joachim Descartes qui eut pour pere Pierre Descartes, et pour mere Claude Ferrand sœur d’Antoine Ferrand premier lieutenant particulier au Châtelet de Paris, et de Michel Ferrand qui fut pere de Monsieur Ferrand doyen du parlement de Paris. Pierre Descartes n’eut point d’autre enfant que Joachim. C’étoit un gentilhomme aisé qui s’étoit retiré de bonne heure du service et des emplois pour goûter plus long-temps les fruits du repos qu’il i 3 s’étoit procuré. Mais il n’hesita jamais de l’interrompre, lors qu’il fut question de servir son prince et sa patrie. Il se signala même depuis en diverses occasions ; et s’étant jetté dans la ville de Poictiers l’an 1569 avec le Comte Du Lude pour en soûtenir le siége contre les huguenots, il contribua beaucoup à affermir le parti du roy, à faire lever le siege, et à maintenir le peuple, et les troupes dans l’obeïssance du prince legitime.

Ce Pierre étoit fils de Jean Descartes, et de Jeanne Du Puy qui étoit fille et heritiere d’un cadet de la maison De Vatan en Berry. Cette bisayeule de nôtre philosophe mourut assez jeune : et son mary passa à de secondes nopces sans avoir pû neanmoins augmenter sa famille par ce nouveau mariage.

Jean avoit eu pour pere Gilles ou Gillet Descartes, et pour mere Marie Magdelaine Desmons qui étoit d’une famille tres-noble, et des plus anciennes du haut Poictou.

Gilles étoit fils d’un autre Pierre Descartes, et de Madelaine Taveau de la maison De Mortemer. Il avoit eu un frere nommé à l’archevêché de Tours. Ce prelat portoit le nom de Pierre comme son pere. Si le Sieur Robert et Messieurs De Sainte-Marthe n’en ont point fait mention dans leur liste des archevêques de Tours, on peut attribuer cette omission au peu de durée qu’eût ce pontificat, et à la mort precipitée du nouvel archevêque. On a lieu même de douter qu’il eût eu le loisir de se faire sacrer, et de prendre possession de son siege dans toutes les formes.

Pierre Descartes pere de Gilles, et de l’archevêque Pierre étoit fils d’un autre Gilles et de Marthe Gillier qui étoit de la maison De Puy-Garreau. Ce Gilles n’étoit que le puîné de la maison : mais il en devint en suite le chef, parce que son aîné Pierre Descartes Seigneur De Mauny en Touraine prés de Ligueil n’eut qu’une fille qui porta son bien hors de la famille, et qui par son mariage passa dans la maison De Lillette en Touraine, laquelle s’est trouvée depuis fonduë dans celle De Maillé.

Ceux qui voudront recourir aux titres de la maison de Descartes qui se gardent chez M De Kerleau, et M De Chavagnes qui sont maintenant les premiers de cette maison en Bretagne, et neveux de nôtre philosophe, pourront encore faire remonter sa genéalogie plus haut. Mais quelque avantage qu’on en voulût tirer pour la reputation de la famille, on peut dire que si ce n’étoit le merite des vivans qui la soûtiennent avec honneur, il n’y auroit plus gueres aujourd’huy que la consideration de nôtre philosophe qui fût en état de faire revivre ces anciens dans la posterité, et de rendre leur nom immortel. Il suffit de dire pour en faire remarquer la noblesse, que l’on n’y a jamais apperçu de mes-alliance ; et pour en faire sentir l’antiquité, que l’on ne l’a point encore pû fixer par aucune datte d’annoblissement qui en ait montré la source.

Il y avoit encore en Touraine une autre branche de l’ancienne maison de Descartes ou Des Quartes, qui se trouva transformée par les alliances dans des familles étrangeres du temps de Henry Second. Cette branche s’étoit divisée sous le regne de Charles Vii en aînez qui sçurent se maintenir noblement jusqu’à la fin, hantant les ban et arriere-ban sans avoir jamais derogé à leur état  ; et en puisnez qui tomberent dans la pauvreté, et qui furent obligez d’entrer dans le negoce pour subsister. De ces derniers étoit venu un medecin de Châtelleraut en Poictou nommé Pierre Descartes, qui du tems de François I soûtint un procez à la cour des aydes de Paris contre les elûs de cette ville, qui prétendoient le mettre à la taille. Il fut rétabli par la cour dans tous les droits de sa noblesse, aprés avoir fidellement representé sa genéalogie par generations non interrompuës jusqu’au roy Charles Cinquiéme. Mais la branche des uns et des autres s’étant separée de celle de M Descartes le philosophe dés le tems de Philippes De Valois, je les ay jugez trop éloignez de luy, et trop indifferens à nôtre sujet, pour en rapporter icy les noms et les qualitez.

Voions maintenant l’état où étoit la famille de M Descartes au temps de sa naissance. Son pere Joachim fils unique de Pierre se trouvant au bout de ses études, n’avoit point témoigné vouloir se déterminer à la profession des armes, soit qu’on luy eût fait sentir que la noblesse françoise étoit fatiguée, épuisée, et à demi ruinée par les guerres civiles et étrangeres, soit que l’exemple de son pere luy fit connoître que la tranquillité de la vie étoit le moyen le plus seur pour conserver son bien. Mais l’aversion qu’il avoit pour l’oisiveté jointe à l’obligation de se determiner à un ge nre de vie qui fut honorable le fit songer à prendre parti dans la robe. Il tourna ses vûës vers le parlement de Bretagne, et il se fit pourvoir d’une charge de conseiller en cette cour, le Xiv jour de fevrier de l’an 1586 par la resignation d’Emery Regnault. Comme les offices de ce parlement ne sont que semestres pour le service et la residence, il ne se soucia point d’établir sa demeure ordinaire à Rennes, mais il se contenta d’y aller passer son semestre. Peu de temps aprés par contract du Xv de janvier de l’an 1589 il épousa Jeanne Brochard fille du lieutenant general de Poictiers, et de Jeanne Sain ou Seign, qui lui donna trois enfans durant le peu d’années qu’elle eut à vivre avec lui.

L’aîné appellé Pierre Descartes Seigneur De La Bretailliere De Kerleau, De Tremondée, De Kerbourdin etc. Est mort conseiller au parlement de Bretagne où il avoit esté reçeu le X D’Avril 1618 par les soins de son pere, qui étoit venu enfin s’établir dans la province. M De La Bretailliere s’étoit allié dans la noblesse de Bretagne, et il avoit épousé par contract du Xvii de septembre en 1624 Dame Marguerite Chohan De Cockander, dont il avoit eu deux fils et quatre filles. L’un des garçons étoit Pierre Descartes Seigneur De Montdidier qui avoit été marié à une veuve de qualité et fort riche dans la province, et qui mourut sans enfans et sans emploi. L’autre est Messire Joachim Descartes Seigneur De Kerleau etc. Qui est aujourd’hui regardé comme le chef du nom et des armes de toute la maison, dont il soûtient le rang, et la dignité avec beaucoup d’honneur et de reputation. Il fut reçeu conseiller au parlement de Bretagne le Xxx jour de may de l’an 1648 et par contract signé le premier jour de l’année 1656 il épousa Dame Marie Porrée Du Parcq fille de Messire Nicolas Porrée Du Parcq conseiller au même parlement, et de Dame Julienne Du Guesclin, de la famille du fameux Bertrand connétable de France.

De ce mariage sont venus deux garçons et trois filles.

L’aîné qui a beaucoup de merite se nomme François Joachin ; il vient d’être pourvû d’une charge de conseiller au parlement, où il doit répondre avantageusement à ce qu’on attend de lui. Le second se nomme René comme son grand-oncle, et il est entré depuis un an au noviciat des jesuites à Paris. Ses superieurs en ont tres-bonne opinion, et ils font esperer qu’il ne se rendra pas indigne de porter le nom du grand philosophe. L’aînée des filles de M Descartes De Kerleau appellée Marie, avoit épousé Messire Charles Bidé De La Grand-Ville conseiller au parlement fils d’un president au mortier, et petit-fils d’un maître des requêtes : mais elle perdit son mary en 1689 et elle est demeurée avec quatre petits enfans.

Les deux autres filles ne sont pas encore pourvuës. Des quatre filles de M De La Bretailliere frere aîné de nôtre philosophe, les deux aînées embrasserent la profession religieuse, la premiere nommée Anne Descartes aux carmelites de Vannes, la seconde nommée Françoise aux ursulines de Ploermel dans le diocése de S Malo : toutes deux filles de beaucoup d’esprit, et de grande pieté. La troisiéme appellée Marie Madelaine Descartes a épousé Messire François Du Pereno Seigneur De Penvern, et De Persequen gentilhomme tres-qualifié dans la province. Ils ont eu plusieurs enfans dont les filles sont ou religieuses, ou encore sans établissement. Des garçons, l’aîné appellé Joachim est capitaine dans le regiment de Jarzé, le second est au college. La quatriéme est Mademoiselle Catherine Descartes qui n’a point jugé à propos de s’engager dans les liens du mariage : et s’il est vrai d’un côté qu’elle soûtient dignement la memoire de son oncle par son esprit et son sçavoir, on peut dire de l’autre qu’elle sert de modele aux personnes de son sexe par sa vertu. C’est à sa gloire que quelques-uns ont publié que l’esprit du grand René étoit tombé en quenouille .

Le second des enfans de Joachim Descartes pere de nôtre philosophe, fut une fille nommée Jeanne, qui fut mariée à Messire Pierre Rogier, chevalier seigneur Du Crevis, et qui mourut fort peu de temps aprés son pere. Leur mariage fut suivi de la naissance de deux enfans, d’un fils et d’une fille. Le fils appellé Messire François Rogier, est mort conseiller au parlement de la province, et a laissé un fils de son nom, qui est Monsieur Le Comte De Villeneuve. La fille nommée Susanne a épousé un gentilhomme de Bretagne qui est M De Lambely Baron De Kergeois.

Le troisiéme des enfans de Joachim, et le dernier de ceux que luy donna Jeanne Brochard sa premiere femme, fut René Descartes nôtre philosophe, qui s’est vû obligé de porter la qualité de Seigneur Du Perron malgré la fermeté avec laquelle il a toûjours refusé toutes sortes de titres. C’est sur l’exactitude de ce détail que l’on pourra redresser l’opinion de ceux qui en ont écrit autrement, et qui ont publié qu’il étoit l’unique enfant du second lit.