La Vie de Jésus (Taxil)/Conclusion

P. Fort (p. 360-372).

CONCLUSION


Quelques jours après cette fugue aérienne, le pigeon pattu, qui est la troisième personne de la Trinité, se métamorphosa en langues de feu et vint chatouiller, par des attouchements brûlants, la nuque des apôtres et disciples réunis dans le cénacle.

En mémoire de cette opération, l’Église a institué une fête, dite de la Pentecôte, du mot grec Pentékosté qui signifie : le cinquantième jour. Cette descente du pigeon, réduit à l’état de flammes, a été fixée, en effet, par la légende, à cinquante jours après celui de la résurrection, placée au dimanche de Pâques, comme chacun sait.

En réalité, le Christianisme, en inscrivant sur son calendrier cette pentecostale fête, a tout simplement fait une imitation servile du Judaïsme ; et encore ce plagiat est des plus maladroits ; car les Juifs avaient et ont encore leur Pentecôte, en l’honneur du cadeau que Jéhovah fit de son Décalogue au grand magicien Moïse, sur le mont Sinaï, exactement cinquante jours après la sortie d’Égypte, selon la Bible, et la Pâque juive commémorant la date, très exacte aussi, de cette sortie.

Or, les Juifs, qui, de tout temps, ont remporté partout le premier prix de calcul, ne se sont pas fourré le doigt dans l’œil dans la fixation de leur fête du Décalogue : à l’origine, ils l’appelaient « la fête des sept semaines », et le nom de Pentecôte n’a prévalu que plus tard, lorsque la Palestine, ayant été envahie par Alexandre-le-Grand, devint dépendante du royaume grec de Syrie, sous les Séleucides, époque où la langue grecque commença à se répandre sur le territoire occupé par les tribus d’Israël. C’est pourquoi, quel que soit le jour où tombe la Pâque juive, la Pentecôte du calendrier hébreu se célèbre cinquante jours après, avec une parfaite exactitude, puisque le nom de cette fête est littéralement « cinquantième jour ». Actuellement, par exemple, si la Pâque israélite tombe un mardi, la Pentecôte juive a lieu, non pas le septième mardi suivant, mais son lendemain ou huitième mercredi, pour faire les cinquante jours mathématiquement voulus.

Dans l’Église de Jésus-Christ, il n’en est pas de même. L’arithmétique chrétienne, qui admet que trois fois un font un, a décrété aussi que sept fois sept font cinquante. C’est-à-dire : le Rédempteur est ressuscité le dimanche de Pâques, et le pigeon en flammes a chatouillé les nuques apostoliques le septième dimanche suivant, soit quarante-neuf jours après ladite résurrection ; mais ce quarante-neuvième jour n’en est pas moins le cinquantième, le Pentékosté.

Cela dit, il est bon de savoir, d’après le récit sacré, que les apôtres et disciples étaient au nombre de cent-vingt dans le cénacle, à Jérusalem, lorsque l’Esprit-Saint les visita. Marie, mère de Jésus, y était aussi. Dans ce feu, qui voltigeait, reconnut-elle son ancien amant, l’ex-pigeon ? La question mériterait d’être étudiée par un concile. Et comme, en définitive, il n’a jamais été dit bien clairement quelle forme le divin Paraclet avait prise quand il féconda la fille à Joachim, si par hasard quelqu’un objectait que ce ne devait pas être la forme ignée, mais plutôt la forme colombine, on pourrait lui répondre que Jupiter, pour séduire la belle Égine, fille d’Asope, se transforma en gerbe de flammes et, sous ces espèces et apparences de feu, sut parfaitement lui confectionner un enfant, qui fut nommé Éaque et devint un juge célèbre, personnage au moins aussi historique que Jésus-Christ.

Il est vrai qu’un discuteur acharné répliquerait que les dieux de l’Olympe avaient une puissance plus extraordinaire encore que celle des trois dieux (en un seul) du Paradis : ceux-ci, en effet, n’ont pu se passer de femme pour fabriquer un Messie, qui était l’un d’entre eux ; Junon, au contraire, fut assez maligne pour concevoir le seigneur Mars sans avoir eu besoin de recourir à aucun mâle, et Jupiter alors, se piquant d’amour-propre, surpassa la déesse, son épouse, en se faisant à lui-même une fille, Minerve, avec sa divine caboche en guise de ventre pour le temps de grossesse, l’excellent Vulcain s’étant chargé de l’accouchement, d’un coup de hache sur l’occiput.

Le Messie chrétien est né de la susdite Marie, qui, tout en étant sa maman, est restée vierge ; et les curés, tout fiers de cette bonne histoire, disent : « Voilà qui prouve à quel point notre triple divinité est forte ! Comme miracle, hein ? est-ce assez épatant ? » Pas tant que ça ! répondrons-nous. Dans la mythologie Scandinave, le dieu Heimdall, celui dont la vue est si perçante qu’il distingue les objets à cent mille lieues de distance, et dont l’ouïe est si fine qu’il entend l’herbe pousser sur la terre et la laine croître sur le dos des moutons, le dieu Heimdall, dont le père est le dieu Odin, est né, non pas d’une maman-pucelle, mais de neuf mères vierges, les neuf filles du géant Geirrewdour. Quand les trois dieux (en un seul) du Christianisme seront capables d’un miracle de cette force, alors les curés auront le droit de parler.

Jusque-là, nous serons obligé de leur répéter que les diverses mythologies païennes, si fantastiques qu’elles soient, ont sur la mythologie chrétienne l’avantage de ne pas être, chacune en particulier, un tissu de contradictions. La religion Scandinave n’a pas eu, pour évangélistes, un Matthieu, un Marc, un Luc et un Jean, racontant l’histoire d’Heimdall, chacun d’une façon différente en d’importants détails.

Revenons à notre Pentecôte. Sitôt chatouillés par la langue de feu, les cent vingt apôtres et disciples se mirent à parler des langues étrangères qu’ils n’avaient jamais apprises. Or, dit le texte sacré, parmi les Juifs répandus à cette époque sur toute la surface du monde, beaucoup étaient venus à Jérusalem pour assister à la fête du Décalogue ; ils parlaient quinze idiomes différents, ni plus ni moins, il y avait des Parthes, des Mèdes, des Élamites, des gens de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont, de l’Asie proconsulaire, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Égypte, de la Libye Cyrénaïque, enfin des Latins, des Crétois et des Arabes. Ils montèrent en foule au cénacle, attirés par le bruit qui venait de s’y produire à l’entrée du Paraclet ; et l’on oublie de nous dire que les murailles de cette salle à manger eucharistique s’élargirent de façon à pouvoir contenir les milliers de curieux. Alors, devant la multitude, les cent vingt premiers chrétiens parlèrent toutes les langues.

Malgré la confusion qui dut se produire et rappeler en quelque sorte celle de la tour de Babel, la sainte Écriture nous assure que les représentants de ces quinze nationalités distinguaient leur langage particulier au milieu de ce mêli-mêlo ; et, ce qui n’est pas moins surprenant, ils savaient, sans que personne leur ait rien dit, que les apôtres et disciples étaient tous galiléens. En effet, le texte sacré nous rapporte que ces visiteurs inattendus s’écriaient : « Ces gens qui parlent ainsi ne sont-ils pas tous de Galilée ? et comment donc les entendons-nous parler chacun dans notre langue ? » L’auteur officiel n’explique pas cette bizarre observation, qui est, d’ailleurs, inexplicable. En outre, comment, dans ce tumulte, chacun pouvait-il connaître qu’il y avait là des gens de quinze pays divers ? Comment le Mède pouvait-il savoir qu’on parlait égyptien et crétois ? et l’Arabe, qu’on parlait grec et latin ?

Mais ce n’est pas tout. Là-dessus, — toujours d’après le texte sacré, — quelques-uns se moquèrent des apôtres et disciples qui parlaient tous ensemble, et dirent qu’ils étaient « ivres pour avoir trop bu du vin nouveau ». Pierre, vexé, réclama le silence, l’obtint, et répondit à ce reproche d’ivresse en faisant, lui tout seul, un fort beau discours, tellement beau que trois mille personnes se convertirent, séance tenante. Or, pour être convertis par un discours, il fallait que les milliers d’auditeurs l’eussent compris et, par conséquent, que Pierre eût parlé à la fois quinze langues différentes.

Telle est la Pentecôte, qui fut l’épilogue de l’Ascension, départ final du seigneur Jésus. Le reste appartient à la Vie des Saints, qui n’entre pas dans le cadre de cet ouvrage.

Quant à la Vie de Jésus, que voici terminée, elle mérite enfin que nous fassions ressortir, dans cette conclusion, le toupet phénoménal des prêtres, lorsqu’ils enseignent gravement que non seulement leur homme-dieu est fils de lui-même, en tant qu’inséparable du pigeon enflammé, mais encore qu’il est un personnage bel et bien historique.

Cette légende, audacieusement fabriquée après coup, ils la prétendent d’une authenticité à rendre des points aux Commentaires de César, parce qu’à l’histoire de leur mythe ils ont mêlé quelques personnages ayant réellement existé à l’époque assignée aux faits et gestes du pseudo-crucifié. Mais c’est précisément ce qui est établi par l’histoire romaine et l’histoire juive au sujet de ces personnages réels, c’est cela même qui prouve tout net l’imposture des fabricants d’évangiles.

Prenons, par exemple, le procurateur Ponce Pilate ; son histoire vraie a été écrite par ses contemporains, ses actes ont été mentionnés par les historiens du temps. On sait qu’il était chevalier romain, qu’il entra en charge à Jérusalem comme 6e procurateur et successeur de Valerius Gratus, la onzième année du règne de Tibère (an 25 de l’ère chrétienne), et que, sept ans après, il réprima, avec une sévérité impitoyable et même cruelle, une sédition religieuse qui avait éclaté en Galilée ; puis, deux ans plus tard, c’est-à-dire dans l’année qui suivit celle du prétendu crucifiement de Jésus, eut lieu une nouvelle sédition très violente, dont les détails sont connus : pour faire construire un aqueduc, il avait mis la main sur le trésor du Temple, et on l’accusa à la fois d’abus de pouvoir et de malversation. Quelque temps après, les habitants de la Samarie, durement pressurés par cet administrateur cupide, portèrent plainte au gouverneur de Syrie, Lucius Vitellius, qui était le supérieur hiérarchique de Ponce Pilate, simple procurateur, ne portant pas et n’ayant jamais porté le titre de gouverneur que l’Évangile lui donne constamment[1] ; les réclamations des Samaritains furent admises par Vitellius, qui envoya un commissaire de son gouvernement nommé Marullus, faire une enquête à Jérusalem, et Pilate, qui n’était nullement le gouverneur omnipotent imaginé par l’Évangile, dut comparaître devant le fondé de pouvoirs de son chef Vitellius, le seul gouverneur en cette contrée ; le rapport de Marullus fut défavorable à Pilate ; d’où il résulta que le procurateur de Judée fut obligé de se rendre à Rome pour se justifier auprès de Tibère. Avant qu’il fût arrivé en Italie (an 37), Tibère était mort, et c’est à Caligula que Pilate rendit ses comptes ; destitué par l’empereur, il ne retourna pas à Jérusalem, où il fut remplacé par Marullus. Si le grand procès Jésus-Christ a vraiment existé, comment n’en trouve-t-on pas la moindre trace chez les historiens, qui, ayant à parler de Pilate, relatent cette petite affaire de l’aqueduc et ces deux émeutes, qui n’eurent pourtant aucune suite, qui n’entraînèrent la fondation d’aucune secte ?

Quant à l’Hérode de la passion, il figure dans la légende chrétienne par suite d’une bourde qu’un auteur inspiré par un dieu de science et de vérité n’aurait pas pu commettre. Et d’abord, trois évangélistes sur quatre ignorent, d’une façon absolue, cet incident (pourtant d’une importance énorme dans le procès) du double renvoi de l’accusé, Pilate l’adressant à la juridiction d’Hérode, et celui-ci le faisant vêtir de la robe blanche, costume des aliénés, et le retournant comme fou à Pilate : Luc est seul à connaître cet incident capital (chap. XXIII, v. 6-12) ; Matthieu, Marc et Jean non seulement n’en soufflent mot, mais encore disent expressément que Pilate, après avoir interrogé Jésus, l’avoir mis en parallèle avec Barabbas, l’avoir fait fouetter et couronner dérisoirement, l’abandonna aux Juifs pour être crucifié sous leur responsabilité. Cette promenade de Pilate à Hérode est donc une invention personnelle de l’imposteur qui a signé Luc.

Or, ce Luc est pris la main dans le sac, justement pour avoir imaginé Hérode dans son palais, au milieu de ses gardes, à Jérusalem. En effet, Hérode-le-Grand, qui fut roi de Judée, l’Hérode à qui l’Évangile attribue le fameux massacre de vingt mille bébés du sexe masculin à Bethléem, pour être sûr d’occire dans le tas le Messie nouveau-né, l’Hérode qui historiquement est mort quatre ans avant la date assignée à la naissance du Christ, ce cruel Hérode donc eut pour successeur ses trois fils qui se partagèrent la Palestine, avec la permission de l’empereur romain : Archélaüs lui succéda comme roi de Judée, avec la Samarie et l’Idumée ; Philippe, comme tétrarque de la Batanée, de la Trachonitide et de la Gaulanitide ; Hérode-Antipas, comme tétrarque de Galilée et de Pérée. Archélaüs ne régna que neuf ans ; Auguste, sur les plaintes qui lui furent adressées, le destitua, l’envoya en exil à Vienne (où il mourut), confisqua ses biens et réunit ses états au gouvernement de la Syrie romaine ; c’est depuis lors que la Judée eut un procurateur et que les Israélites de Judée et de Samarie furent sans roi, même étranger à leur race. Philippe, premier mari de sa nièce Hérodiade, dont il se sépara pour la céder à son frère Antipas, régna trente-sept ans comme tétrarque et mourut sans enfants ; la capitale de sa tétrarchie était Césarée-de-Philippe, aujourd’hui Baniyas, petite ville située aux sources du Jourdain ; à sa mort, Tibère réunit ses états à la Syrie, comme Auguste y avait annexé ceux d’Archélaüs. Hérode-Antipas, lui, régna comme tétrarque jusqu’à la mort de Tibère, et alors fut dépossédé par Caligula, qui l’exila à Lyon, et le remplaça par son neveu Hérode-Agrippa, lequel obtint en outre la royauté, d’ailleurs purement honorifique, pour tous les anciens états d’Hérode-le-Grand.

Donc, à l’époque problématique de la passion du Christ, il n’y avait aucun Hérode à Jérusalem ; le trône d’Hérode-le-Grand, qui y fut occupé par son fils Archélaüs, était vide depuis vingt-sept ans ; Hérode-Antipas, tétrarque de Galilée, avait son palais à Tibériade, et non à Jérusalem ; et le nouvel Hérode, qui fut aussi tétrarque de Galilée, avec la couronne royale de Judée, Hérode-Agrippa, ne réintégra à Jérusalem le palais de son grand-père Hérode Ier et de son oncle Archélaüs que quatre ans après le prétendu drame du Calvaire. Ainsi, en aucune façon, Jésus n’a pu être renvoyé par Pilate à un Hérode quelconque.

Enfin, quant aux deux grands-prêtres Anne et Caïphe, qui jouent un rôle dans la légende chrétienne, ils ne peuvent y figurer sérieusement à aucun titre, attendu que le premier était mort depuis longtemps et que le second n’a jamais existé ; ce qui prouve une fois de plus que les inventeurs des quatre évangiles étaient étrangers à Jérusalem et ignorants même de l’histoire du sacerdoce juif.

En premier lieu et comme toujours, manque d’accord entre les quatre blagueurs : selon Matthieu, le Messie, sitôt arrêté au jardin des Oliviers, est conduit directement chez Caïphe, d’où il sort pour être amené à Pilate, et Matthieu ignore totalement le grand-prêtre Anne ; selon Marc, l’homme-dieu, appréhendé par les gardes du Sanhédrin, est conduit au grand-prêtre, qui, après l’avoir interrogé et déclaré blasphémateur, le condamne à mort et le livre à Pilate, et Marc ne désigne ce grand-prêtre sous aucun nom, ni Anne, ni Caïphe ; selon Luc (chap. III, v. 2), Anne et Caïphe étaient tous deux grands-prêtres en même temps, bien que le souverain sacerdoce n’ait jamais été exercé que par une seule personne chez les Juifs, à n’importe quelle époque ; mais Luc commet cette erreur à propos de la prédication de Jean-Baptiste, et, pour la passion du Christ, il ne parle plus que d’un seul grand-prêtre, qu’au surplus il ne nomma pas ; selon Jean, le Messie est trimballé par les soldats juifs du jardin des Oliviers chez Anne, nullement grand-prêtre aux yeux de cet évangéliste, mais seulement beau-père du grand-prêtre Caïphe ; Anne fait lier Jésus solidement et l’envoie à Caïphe, qui ne l’interroge pas, ne le condamne pas, et se borne purement et simplement à le réexpédier à Pilate, lequel, selon Jean, ne se lave pas du tout les mains (version de Matthieu seul), mais au contraire le juge « à son tribunal de Gabbatha » et le condamne finalement, par peur d’être dénoncé lui-même à Tibère César.

Maintenant, à ces quatre légendes contradictoires, opposons la vérité historique, puisque la chronologie des grands-prêtres de Jérusalem a été conservée par les écrivains contemporains des premiers Césars ; les historiens, du moins, ne se contredisent pas, eux, et leurs écrits sont basés sur les documents officiels de leur époque. Ananus, dont l’Évangile a fait Anne dans les traductions françaises, fut nommé grand-prêtre l’année qui suivit la déposition d’Archélaüs et le remplacement du roi de Judée par un procurateur, c’est-à-dire en l’an 7 de l’ère vulgaire ; il était le 19e grand-prêtre, depuis le sacerdoce de Judas Macchabée, et il succédait au grand-prêtre Jésus, fils de Siah. De l’an 7 à l’an 18, le souverain pontificat juif fut exercé successivement par trois grands-prêtres : Ismaël, fils de Phabi ; Éléazar, fils d’Ananus (décédé) ; Simon, fils de Gamith. En l’an 19, fut nommé à cette dignité Joseph, de la famille de Jaddus, et le grand-prêtre Joseph garda sa charge dix-huit ans, jusqu’à sa mort (an 36), soit trois années après le prétendu crucifiement du Christ, et il eut pour successeur Jonathas, de la famille d’Ananus. Ainsi, le grand-prêtre en fonctions au temps de Pilate se nommait Joseph, et non Caïphe, et il n’y a pas eu un seul Caïphe parmi tous les grands-prêtres, depuis l’origine de l’institution jusqu’au 79e et dernier, Phanaïas, fils de Samuel, qui vit la prise de Jérusalem et la destruction du Temple.

Qu’il y ait eu, au temps d’Auguste et de Tibère, quelqu’un s’intitulant Messie, cela ne fait aucun doute ; le patriotisme juif, surtout dans les classes populaires, n’admettait ni la conquête romaine, ni une royauté exercée par les princes asmonéens de la dynastie des Hérode, qui étaient étrangers à leur race, issus de l’Idumée, vaste région de la Palestine méridionale.

Il y en eut même plusieurs, de ces Messies, chacun se disant envoyé de Dieu comme libérateur de la nation opprimée, et devant donner au peuple d’Israël la suprématie prédite par les prophètes. Le Messie Theudas, notamment, entraîna un assez grand nombre de ses concitoyens, dans la quatrième année du règne de l’empereur Claude (onze ans après la prétendue mort de Jésus), et cette révolte fut réprimée par Cuspius Fadus.

Mais un Messie plus important l’avait précédé, galiléen comme Jésus, s’étant fait oindre et devenu ainsi Christos ; celui-ci se nommait Judas, et la prise d’armes qu’il provoqua eut un grand retentissement et fut considérable : elle se produisit peu après la destitution du roi juif Archelaüs, soit six ans après la prétendue naissance de Jésus. Ce Judas le Galiléen professait de nouvelles opinions religieuses, au dire des historiens ; Flavius Josèphe l’appelle « un grand sophiste », et le donne pour fondateur d’une secte, qu’il place à côté de celles des pharisiens, des sadducéens et des esséniens ; cette sédition fut écrasée par Publius Sulpicius Quirinus, gouverneur de Syrie au nom d’Auguste, le même Quirinus qui présida au grand recensement du peuple juif. Or, la secte de Judas le Galiléen subsista comme école secrète, conserva ses chefs religieux ; sous la conduite de Menachem, fils du fondateur supplicié à Jérusalem, et de son parent Éléazar, les Judaïtes ou Zélateurs Exaltés furent d’une activité extraordinaire à partir de l’an 64, s’emparèrent du Temple, de la forteresse Antonia, de toute la ville haute et du château-fort d’Hérode, firent un grand carnage des Romains, obligèrent Cestius Gallus, général de l’empire, à battre en retraite, dispersèrent son armée, organisèrent l’insurrection dans toute la Palestine, massacrèrent leurs concitoyens du parti modéré et causèrent enfin l’envoi de Vespasien, avec soixante mille hommes ; on sait le reste, Jérusalem ruinée et le Temple incendié après un siège de sept mois, qui coûta la vie à la plus grande partie de la nation juive.

Les chefs des assiégés étaient trois, représentant trois partis distincts : Éléazar, le disciple de Judas le Galiléen, Jean de Giscala, et Simon de Gérasa ; Éléazar se tua pour ne pas tomber vivant entre les mains de l’ennemi ; Jean finit ses jours dans un cachot ; Simon fut réservé pour orner le triomphe de Titus vainqueur et fut, aussitôt après, supplicié publiquement à Rome. Tous les révoltés juifs qui ne trouvèrent pas la mort à la prise de Jérusalem, furent vendus comme esclaves, et, parmi ceux-ci, s’il en était qui se lamentaient trop de cette nouvelle condition, on leur infligeait le supplice des esclaves, l’ignominieux crucifiement ; pour humilier Simon davantage, on le crucifia la tête en bas.

Pendant le long siège de la ville de David, il y eut de très violentes discussions parmi les assiégés ; puis, la famine fut terrible et causa de nombreux cas d’aliénation mentale. On cite un homme du peuple, nommé Jésus, qui se promenait dans la cité et reprochait aux chefs leurs querelles, en s’écriant : « Malheur à vous ! malheur à nous tous ! malheur à Jérusalem ! malheur à moi-même ! » Un jour qu’il poussait ces cris sinistres, en se promenant sur les remparts, il fut tué par une des pierres que lançaient les catapultes des assiégeants ; les judaïtes le proclamèrent prophète et martyr.

Se tromperait-on beaucoup en voyant l’origine du Christianisme dans la secte de Judas Christos le Galiléen, adversaire du parti sacerdotal juif et du paganisme gréco-romain ? Ces judaïtes christiens sont mentionnés dès le règne de Néron, étant déjà répandus sur divers points de l’empire et persécutés. Après la ruine de Jérusalem, leurs survivants sont esclaves, et les premiers chrétiens nous sont représentés comme mêlés partout aux esclaves, faisant de la propagande religieuse parmi les esclaves, et s’assemblant secrètement dans les catacombes avec les esclaves païens qu’ils convertissaient à leurs idées d’émancipation. Est-il insensé de supposer que, se cachant pour leur propagande, ce sont les judaïtes qui ont imaginé ces fraternelles agapes, dont on a fait plus tard la communion eucharistique, et que des légendes vagues et contradictoires se soient formées, mêlant et dénaturant les souvenirs des Jean et Simon, des Judas et Jésus ?

Rien n’est plus caractéristique, en effet, que la date à laquelle le Christianisme fixe la première persécution contre les disciples de Jésus : c’est en l’an 64, disent les docteurs de l’Église, que Néron promulgua son édit. Eh bien, cette année 64 est précisément celle où Éléazar, parent et disciple de Judas le Galiléen, leva en Palestine l’étendard de la révolte contre la puissance romaine ; c’est alors que les judaïtes massacrèrent 3,000 soldats de l’empire, qui se trouvaient en garnison à Jérusalem. Il n’est pas étonnant qu’en présence de ce soulèvement, de cette rébellion sanglante, Néron, ne se bornant pas à ordonner la répression en Judée et en Galilée, ait édicté des mesures despotiques contre tous les Juifs épars sur les divers points de l’immense territoire soumis à ses proconsuls ; il n’est pas étonnant qu’il ait fait rechercher en Italie les membres de la secte judaïte, plus particulièrement même que les autres israélites, et qu’il ait livré au supplice tous ceux qui purent être découverts à Rome, voyant en eux des conspirateurs. La persécution de Néron s’appliqua donc nécessairement aux disciples du Christos Judas, lequel n’est pas un mythe. Puis, à partir des règnes de Vespasien et de Titus, c’est-à-dire après la ruine de Jérusalem, conséquence de l’insurrection d’Éléazar, les survivants de la nation juive, dispersés dans tout l’empire, furent tenus partout en suspicion, et il est très probable que, parmi leurs diverses sectes, celle des judaïtes fut la plus traquée et persécutée. N’est-on pas fondé à Croire que, pour mieux se dissimuler, pour dérouter les soupçons, les chefs de cette secte ont pu masquer leur rattachement à Judas le Galiléen en fabriquant toutes ces légendes diverses, dont les prêtres ont tiré ensuite les éléments des évangiles ?

Évidemment, ceci n’est qu’une hypothèse et n’a pas d’autre valeur ; mais il est impossible de ne pas constater que si, dès cette époque, quelques auteurs parlent de christiens (christiani), qui peuvent fort bien avoir été des judaïtes, aucun historien ne connaît, par contre, le Jésus-Christ de l’Évangile, ni son cortége de miracles, qui cependant n’étaient pas pour passer inaperçus ; et voilà pourquoi nous inclinons à penser que des prêtres ont songé, dès le deuxième siècle, à tirer parti de ces légendes, alors à l’état d’embryon, et ont entrevu la possibilité de créer un culte nouveau, alors que le paganisme n’avait plus de croyants, alors qu’on riait publiquement de Jupiter et des dieux de l’Olympe, — les immortelles satires de Lucien de Samosate, vivant à cette époque, sont là pour l’attester.

Oui, une secte chrétienne peut s’être créée dans ces circonstances, s’être répandue, sans que son existence et sa propagation nécessitent la réalité de Jésus-Christ ; et des martyrs de cette idée religieuse, suppliciés sous Domitien, Trajan et autres, ne prouvent rien à cet égard, absolument rien, pas plus que les milliers de martyrs qui se font broyer, même de nos jours encore, sous les roues du char de Djaggernaut, ne prouvent l’existence réelle de Bouddha et de ses incarnations.

Comment peut-on croire raisonnablement que Jésus-Christ a existé, et surtout existé en accomplissant des prodiges extraordinaires, alors que pas un historien, pas un écrivain contemporain n’a parlé de lui, avec ou sans miracles ?

Tacite, qui vécut de 54 à 140, et dont l’histoire abonde en détails de mince importance, a ignoré Jésus-Chris. Suétone (65-135), l’historien minutieux des douze Césars, a ignoré Jésus-Christ. Quintilien, l’illustre rhéteur, né sous Claude, a ignoré Jésus-Christ, lui dont le livre De l’Institution oratoire, un des plus beaux monuments de la littérature latine, passe en revue tous les discoureurs, avocats et sophistes-prêcheurs. Pline l’Ancien, né sous Tibère, mort sous Titus, a été un admirable naturaliste, mêlant à la science de la nature l’agréable récit des faits célèbres de son temps, et il a ignoré Jésus-Christ ; et son neveu, Pline le Jeune, dont les innombrables lettres, alertes et instructives comme celles de Mme de Sévigné, parlent de tout, ne savait rien de Jésus-Christ, même dans ses lettres à Trajan, où il cite les christiens comme une secte issue du Judaïsme. Épictète, le grand moraliste, le philosophe à qui l’examen d’aucune croyance religieuse n’échappe, a ignoré Jésus-Christ, lui qui était né dans l’Asie-Mineure, qui vint à Rome sous Néron et fut exilé sous Domitien, lui dont les entretiens furent recueillis par son disciple Arrien. Pomponius Mela, qui écrivit en l’an 43 (dix ans après les miracles inouîs du Vendredi-Saint) son grand et savant ouvrage Des Contrées du Globe, fit de la géographie à la manière de Strabon, c’est-à-dire joignit à la description de chaque pays étudié par lui les principaux aperçus des événements qui s’y étaient accomplis ; et il est complètement muet sur Jésus-Christ, quand il parle de la Judée !…

Et Plutarque ?… Il est né en 50 à Chéronée, en pleine Grèce, dans cette contrée où l’Église affirme que les disciples du Messie Jésus se sont répandus après la Pentecôte, qu’ils ont évangélisée, qu’ils ont remplie de prodiges au spectacle desquels les foules se convertissaient ; il est mort en 120 ; il a passé trente ans à Rome, où les miracles chrétiens éclataient, extraordinaires, jusqu’au milieu du Colisée, sous les yeux de la multitude, nous racontent les curés. Plutarque avait, comme historien, une spécialité : il biographiait tous les hommes célèbres, sans négliger de recueillir les légendes merveilleuses, et il n’a pas écrit la biographie de Jésus-Christ !…

Et Sénèque ?… Né à Cordoue en l’an 2, mort à Rome en l’an 66, il était contemporain de l’homme-dieu ; il vécut la plus grande partie de sa vie à la cour impériale ; il était à Rome, lorsque s’y produisit, de 51 à 64, la longue lutte de prodiges entre Simon Pierre et Simon de Gitta, lutte qui finit par la mort tragique de ce dernier, au dire des papes infaillibles. Ce Simon, chef d’une secte samaritaine, s’était brouillé en Judée avec Pierre et avait entrepris, dès lors, de lui faire une concurrence sérieuse, à coups de prestiges. Pierre rendait la vue aux aveugles, dégonflait les hydropiques, ressuscitait des morts, au nom de Jésus-Christ : Simon de Gitta opérait au nom d’un Saint-Esprit, qu’il appelait Pneuma-Agion, et ses miracles n’étaient pas de la petite bière, non plus, quoique d’un autre genre : à son commandement, les statues des places publiques descendaient de leur socle et exécutaient des gambades dans la rue ; il jetait une faucille en l’air, elle partait vers le champ voisin et faisait, toute seule, la besogne de dix moissonneurs ; un soir, on manquait de lumière dans une salle de conférences, Simon appela la lune, elle descendit en rapetissant son disque, entra dans la salle et s’y tint à quelque distance du plafond, pour éclairer les auditeurs tout le temps nécessaire. Finalement, en présence de la cour impériale, des sénateurs et du peuple, Simon de Gitta s’éleva au ciel dans un char de feu, instantanément apparu à son invocation ; mais Pierre invoqua Jésus-Christ à son tour, le char disparut, et le magicien Simon tomba d’une hauteur de cent mètres environ, se cassant les jambes dans sa chute ; de dépit, il se jeta le lendemain d’une fenêtre et, ce coup-ci, se tua. Tout cela est article de foi… Eh bien, Sénèque, qui a beaucoup écrit, n’a rien dit de ces merveilles ; il est vrai que, plus tard, les moines ont détruit et fait complètement disparaître son traité Du Mouvement de la Terre, qui devait sans doute contrarier les idées dogmatiques de la terre plate et immobile et du soleil mouvant, et son traité Sur la Superstition, qui, fort probablement, s’il mentionnait les christiens, ne leur montrait pas assez de respect ou exposait leurs premières légendes, différentes des évangiles.

Et Philon d’Alexandrie, le Platon juif, qui vécut cent ans (né l’an 20 avant l’ère vulgaire, mort l’an 80 après), qui vint à Rome et à Jérusalem, qui philosophait en essénien convaincu, qui a écrit tant d’ouvrages, contenant certaines théories passées ensuite dans les écoles théologiques chrétiennes ; encore un qui a ignoré Jésus-Christ, Pierre, Jean, Paul et les autres apôtres !…

Et Flavius Josèphe lui-même n’a rien su des prédications publiques du Messie Jésus, rien su de ses miracles publics, rien su de son crucifiement public ; Josèphe, l’historien juif, qui a relaté tous les Messies quelconques, qui a écrit avec le plus grand luxe de détails l’histoire de sa race et en particulier celle des Juifs jusqu’au siège de Jérusalem, auquel il assista ; né quatre ans après le drame du Golgotha et trente-un ans après la grande révolte de Judas le Galiléen, il a connu les judaïtes christiens, mais les chrétiens de Pierre et Paul, non !…

Allons ! dès qu’on l’examine de près, le seigneur Jésus-Christ n’est qu’un mythe, et la vérité de la fabrication de sa légende s’entrevoit, ainsi que le travail souterrain et latent qui en a fait peu à peu la base d’une religion nouvelle, arrivant bien à point pour remplacer le vieux paganisme gréco-romain qui s’effritait. Le coup, qui, par la main de Titus, a abattu la nation juive, a fait, de ce peuple dispersé par les Césars, deux tronçons : l’un, opiniâtre, entêté, s’est obstiné dans la foi de ses pères ; l’autre, plus habile, s’est plié, en tâtonnant et se dissimulant d’abord, sous le joug des vainqueurs, mais a fini par les dompter, le jour où Constantin comprit le parti que le trône impérial pouvait tirer du nouvel autel.

L’hébraïsme chrétien a le présent ; l’hébraïsme juif espère toujours avoir l’avenir. Erreur pour tous deux : depuis le rire fécond de Voltaire, la libre-pensée fait reculer toutes les superstitions, infâmes ou ridicules ; et c’est à la libre-pensée, conquérante libératrice, qu’appartient l’avenir.

 

Terminé cette nouvelle édition, revue et augmentée, le jour du troisième centenaire du supplice de Giordano Bruno, qui n’est pas un mythe, lui, le sublime martyr de la libre-pensée, retenu huit années dans les prisons du Saint-Office, soumis aux tortures de l’Inquisition, et brûlé vif à Rome, le 17 février 1600, par le Pape et les Cardinaux, princes des prêtres.



  1. Ce n’est qu’une minime erreur de détail, diront les partisans de l’Évangile. Non certes, répondrons-nous ; des erreurs de ce genre ne peuvent pas être commises dans des documents authentiques, surtout quand on nous affirme que les évangélistes, loin d’être des ignorants, susceptibles de confondre un procurateur avec un gouverneur, ont reçu, par les langues de feu de la Pentecôte, la science la plus complète. Supposons qu’un de nos contemporains publie une brochure anecdotique sur la défense de Belfort pendant la guerre franco-allemande de 1870-71, qu’il s’y présente comme ayant été au nombre des assiégés, qu’il y raconte des faits jusqu’alors ignorés du public, et que, chaque fois qu’il ait à parler du colonel Denfert-Rochereau, commandant de la place, il le nomme : le général Denfert-Rochereau. Cette erreur grossière sur le grade du chef militaire de Belfort ne suffirait-elle pas à prouver que le document est apocryphe, que l’auteur de la brochure n’est qu’un effronté blagueur ?